Les déformations de la théorie marxiste

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Nous donnons ici un troisième article sur le marxisme, théorie révolutionnaire du prolétariat. Dans RI n" 122, nous montrions la nature de classe du marxisme. Dans RI n ° 126, nous nous étions attachés à décrire les principales déviations de la conception marxiste du travail théorique des organisations révolutionnaires.

Dans le présent article, nous poursuivons l'étude des déformations de la théorie marxiste, en abordant plus spécialement les conceptions bordiguiste et conseilliste du Parti de classe, symétriquement erronées.

 

La déformation conseilliste

Les origines des idées conseillistes se trouvent dans l'expérience de la révolution de 1919 en Allemagne, où il devenait clair pour les révolutionnaires, non seulement que les syndicats et la social-démocratie étaient passés dans le camp ennemi, mais que ces formes d'organisation n'exprimaient plus le contenu de la lutte prolétarienne. La réaction contre cette expérience a pris la forme d'un "matérialisme vulgaire", qui voulait comprendre la nature de La lutte à partir du cadre étroit de l'usine.

  • "Nous avons compris que la révolution prolétarienne est en premier lieu une question économique Les révolutionnaires doivent d’abord prendre le contrôle des usines et de leurs fonctions Le contrôle, la participation dans le calcul et la gestion, le droit à la co-détermination, la prise en charge des usines, sont, suivant la situation, des étapes qui pourraient se succéder rapidement en période révolutionnaire " (Otto Rühle, De la Révolution Prolétarienne à la Révolution Bourgeoise).

Et plus tard, Pannekoek écrivait :

  • "La tâche la plus grande est, pour les travailleurs, l'organisation de la production sur de nouvelles bases Elle devra commencer par 1'organisation à l'intérieur de l'usine " (Les Conseils Ouvriers).

Cette vision "usiniste" met la nature révolutionnaire du prolétariat sens dessus-dessous : le prolétariat est la classe du travail social, non seulement au niveau de l'usine, mais surtout au niveau du marché mondial. Dans son "assaut du ciel", la classe ouvrière doit d'abord dépasser les limites de l'usine, et se hisser à une compréhension globale, politique, et du capitalisme et des tâches de sa révolution. Les conseils ouvriers seront ainsi les instruments du pouvoir prolétarien, non sur la production de chaque usine mais sur la transformation de la société au niveau mondial. Comprendre ceci, c'est comprendre le rôle des organisations révolutionnaires et du parti, non pas comme les organisateurs de chaque lutte particulière, mais comme les défenseurs politiques des "buts généraux" du mouvement dans son ensemble.

La déformation bordiguiste

De nos jours, les courants issus de la Gauche Italienne qu'on appelait "bordiguiste" se sont scindés en deux -le "bordiguisme avoué" qui reprend intégralement les conceptions de Bordiga sur le rôle du parti révolutionnaire, et le "bordiguisme embarrassé" de ceux qui, tout en rejetant les idées les plus grotesques de Bordiga, n'ont pas opéré une rupture nette.

Pour le "bordiguisme avoué" du PCI (Programme Communiste) :

  • "Aujourd’hui, l'ensemble de la classe ne cesse de revêtir devant nous des significations changeantes il ne  reste donc que le parti, comme organe actuel qui définit la classe, lutte pour la classe, gouverne pour la classe au moment voulu (qui) retourne défendre, avec une foi aveugle s'il le faut, la théorie invariable, l'organisation rigide, et la méthode du marxisme " (Programme Communiste n°53-54)

Nous voici en plein délire mystique. Ce n'est plus la classe qui définit l'organisation révolutionnaire mais le parti qui définit la classe. "La question de savoir si on peut attribuer une vérité objective à la pensée humaine" n'est plus une question de théorie, et encore moins de pratique, mais de simple auto-proclamation d'un "parti", qui, comme dirait Descartes, "pense, et donc, est".

Pour le "bordiguisme embarrassé" du genre PCInt (Battaglia Comunista) et CWO, si "le parti est à la fois un produit et un facteur de la lutte de classe” (très bien!), néanmoins "l'organe spécifique, permanent et irremplaçable de la lutte révolutionnaire prolétarienne est le parti de classe" qui "mène la classe en avant, à la révolution insurrectionnelle" ; "ce n'est qu'à travers le parti, et jamais par la seule spontanéité que l'énorme potentiel révolutionnaire de la classe sera déclenché." (citations tirées de la plateforme de Battaglia Comunista). Nous voyons à travers cette vision la classe ouvrière réduite à une simple "force" qui sera "guidée" par le parti ; ce n'est que le parti qui "continuellement élabore et développe" ses principes. Ce n'est pas pour rien que Battaglia se réclame toujours de la vision du "Que Faire?" de Lénine, pour qui la conscience devait être apportée aux ouvriers par les intellectuels bourgeois. Cette vision évacue complétèrent le rapport dynamique, dialectique entre le prolétariat et ses organisations politiques.

Les organisations révolutionnaires ne sont pas de simples guides du prolétariat, examinant l'histoire à travers la loupe marxiste afin de donner des leçons aux ouvriers. Elles doivent constamment faire subir à leur théorie et perspectives 1'épreuve des événements à travers leur intervention dans la lutte de classe. C'est de cette façon qu'elles participent au combat de leur classe et qu'elles peuvent lui permettre de clarifier les problèmes auxquels elle se heurte dans sa lutte.

De plus, ce rapport dialectique entre prolétariat et organisations révolutionnaires n'est pas immuable, mais au contraire strictement déterminé par les conditions matérielles, historiques de la lutte de classe.

Ainsi, pour "Bilan" dans les années 30 (période la plus noire de toute l'histoire prolétarienne), "la consigne de l'heure... (était de) ne point trahir", de maintenir et développer les principes qui sont l'arme vitale de la révolution future. Le terrible isolement dont souffraient les petits groupes de la Gauche Communiste, pèse toujours sur les organisations révolutionnaires aujourd'hui. Le rapport entre la classe ouvrière et sa théorie, exprimée dans ces organisations, reste indirect, à la fois :

  • parce qu'elles restent sans grande audience au sein de la classe ;
  • et parce que la lutte prolétarienne elle-même n'est pas encore développée au point de se doter d'organisations autonomes (les conseils ouvriers) capables de mettre en pratique les principes et la méthode du marxisme.

Cependant, l'activité des groupes communistes est aujourd'hui déterminée par une perspective totalement différente de celle des années 30 : un cours vers des affrontements de classe décisifs et non pas vers le massacre inter-impérialiste.

Au moment de ces affrontements, le rapport entre la théorie marxiste des organisations politiques et la classe subit un changement qualitatif. Non seulement les assemblées de la période de grève de masse et les soviets de la période insurrectionnelle donneront au prolétariat la capacité de s'emparer de la théorie révolutionnaire et de la mettre en pratique, mais de plus, cette mise en pratique permettra au marxisme de se renouveler et de s'enrichir sans cesse. C'est à ce saut qualitatif dans la lutte de classe que correspond la formation du parti de classe, reconnu par la classe comme son propre produit et carme moyen d'élaboration de ses armes théoriques.

Ni le parti, ni les conseils ouvriers ne sont les uniques détenteurs de la conscience de classe. Celle-ci ne peut se développer que dans le rapport dialectique, dynamique entre les deux : c'est-à-dire dans le mouvement historique révolutionnaire où le parti est capable de donner son sens et son orientation à l'action du prolétariat, et où la classe ouvrière possède la conscience et 1'organisation (les conseils) qui lui permettent de saisir et de mettre en pratique la théorie marxiste.

Après le triomphe de la révolution prolétarienne, c'est le processus de transformation de la société capitaliste en une société communiste qui détermine à nouveau les rapports entre parti et classe. Au fur et à mesure que le prolétariat domine les forces productives, il maîtrise l'élaboration et l'application de la théorie. En dominant les forces productives, le prolétariat à la fois intègre en lui-même les autres couches sociales et intègre les fonctions théoriques du parti. L'aboutissement de ce processus est à la fois la disparition des classes et de l'Etat, et la disparition du parti. Ainsi finit la préhistoire de l'humanité.

Le marxisme, arme de combat

Le marxisme est l'arme théorique de la lutte prolétarienne.

Pour la première fois, le marxisme a démontré scientifiquement que la société capitaliste n'est pas éternelle, que la révolution communiste est nécessaire et possible, que la seule autre alternative est la ruine de l'humanité entière et une nouvelle chute dans la barbarie sans nom et sans fin. Ainsi, le marxisme maintient la conscience des "buts généraux" du mouvement au sein de chaque lutte prolétarienne.

  • "Le marxisme est une vision révolutionnaire du monde qui doit appeler à lutter sans cesse pour acquérir des connaissances nouvelles, qui n'abhorre rien tant que les formes figées et définitives, et qui éprouve sa force vivante dans le cliquetis d'armes de 1'auto-critique, et sous les coups de tonnerre de l'histoire. " (Rosa Luxemburg, L'Accumulation du Capital)

Serge.

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