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Nous publions ci-dessous une lettre d’un de nos lecteurs à propos de la lutte de classe en Pologne.
À propos de la Pologne…
Depuis 1905, la grève en masse, arme de lutte politique- est en Pologne une tradition bien enracinée. C'est à l'emploi de cette arme que le prolétariat polonais doit les premières brèches importantes ouvertes dans l'édifice tsariste. Aujourd'hui, dans la lutte historique du prolétariat moderne pour sa libération, la classe ouvrière polonaise occupe le tout premier rang et le prolétariat du monde entier se trouve poussé à comprendre son importance historique car, il livre en Pologne une de ces batailles décisives dans la lutte émancipatrice du prolétariat mondial.
En pleine crise économique et malgré la lourde menace de la répression militaire qui plane constamment sur lui, le prolétariat polonais continue de livrer une grandiose lutte, certainement une des sources les plus fécondes en enseignements qui se soient produites depuis des décennies. Il se bat seul pour sa propre existence ; il brandit très haut sa bannière ; il remet à l'honneur la pratique de la grève en masse propulsant dans l'action des centaines de milliers de protagonistes ; il a recours à l'assemblée générale renouant par là avec la pratique des organes de dualité de pouvoir. Les premières éruptions du prolétariat ne se sont pas terminées par une navrante défaite ; au contraire, elles auront encouragé les combattants à livrer de nouveaux assauts. Maintenant, le mouvement s'affronte à des forces infiniment plus puissantes matériellement, non plus Kania et l'Eglise apostolique romaine, mais le capitalisme mondial qui a trouvé en Walesa son plus efficace cheval de Troie.
Brutalement, les dernières flambées de grèves du prolétariat polonais sont venues confirmer qu'il n'y avait pas de quelconque socialisme en Pologne, mais une économie nationale soumise aux lois de la domination impérialiste du marché mondial. Qu'il n'existait pas â Varsovie un type d'Etat "ouvrier dégénéré", mais un appareil de domination policière, grand des intérêts généraux de la classe dominante, la bourgeoisie polonaise. Que, divisée économiquement pour l'exploitation des marchés et la conquête des indispensables débouchés, la bourgeoisie mondiale était tout comme en 1871 et en 1917, solidaire lorsqu'il s'agissait de réprimer les désordres sociaux par sa gendarmerie, et, de garantie â chacune de ses fractions nationales de la continuité du capitalisme par la ressource de ses coffres-forts. Qu'à cette franc- maçonnerie des brigands d'Est et d'Ouest, le prolétariat devait opposer sa propre solidarité internationale en s'inspirant des méthodes de Marx et d'Engels œuvrant à la constitution de 1'AIT en 1864 et, de l'effort des bolcheviks luttant pour la reformation de l'Internationale. Que toute lutte, voulue et vécue par le prolétariat freinait de manière conséquente les préparatifs militaires de la bourgeoisie en vue d'un troisième carnage impérialiste.
Quoi qu'obscurci par l'emprise religieuse et les ressentiments nationalistes qui subsistent dans une classe qui se relève de la plus tragique contre révolution de son histoire, le caractère fondamental du mouvement n'est en rien marqué par l'idéologie trade-unioniste. Bien plutôt, il constitue Un des maillons de la marche en avant du prolétariat qui se fraie la voie à travers une série d'avancées et de retraites car, seule classe révolutionnaire qui soit en même temps classe exploitée, il ne peut pas poursuivre son ascension sur une route rectiligne, à l'inverse de la bourgeoisie montante.
Les grèves conduites par le prolétariat polonais constituent une puissante réaction â la pression de plus en plus insupportable d'un capitalisme dominé par la crise. Ces grèves sont spontanées, en ce sens qu'elles réagissent immédiatement à une situation sociale donnée, qu'elles rendent coup pour coup dans la lutte. Elles permettent de développer les innombrables ressources et toutes les capacités créatrices du prolétariat. C'est un flot montant de réalisation des plus positives pour l'unification de la classe qui se produit en Pologne. rt dans cette mesure où s'est effectuée la plus large mobilisation et le regroupement du meilleur des forces prolétariennes, les machinations insensées des "jaunes" en vue de stopper le mouvement ont été étouffées dans l'oeuf, et les bouchers qui rêvent du sabre et du fusil pour noyer une fois pour toutes le mouvement dans un bain de sang doivent ronger leur frein. Par sa puissance, le mouvement a contraint les dirigeants à céder plus d'une fois sur leurs revendications : "Ce n'est pas l'emploi de la force physique, mais bien la résolution révolutionnaire des masses de ne pas se laisser effrayer, le cas échéant, dans leur action de grève par les conséquences les plus extrêmes de la lutte et de faire tous les sacrifices nécessaires qui confèrent à cette action une puissance si irrésistible qu'elle peut souvent amener dans un court laps de temps de notables victoires" (Rosa Luxembourg : "Grève de masse, partis et syndicats"). Telle est bien la situation en Pologne. Prêt à tout effort, disposé aux sacrifices les plus pénibles, le prolétariat se bat et, par cette lutte, il est devenu le facteur social le plus actif, celui qui tient entre ses mains la clé de la situation. Poussé S la lutte par Eine situation de crise, il agit sur les bases des lois de l'histoire qu'il plie sous sa volonté. Au niveau actuel de son développement conscient, le prolétariat est non seulement de taille à tenir tête à ses ennemis, mais aussi capable de les terrasser.
Luttant pour atteindre leur propre but, les ouvriers polonais ne se sont pas laissés entraîner à la remorque des dirigeants du KOR. A chaque élévation de leur conscience a correspondu une chute de l'autorité et de l'influence de Walesa. Ce que ce dernier désirait, c'était une grève prise d'avance dans les rets de la légalité ; une grève qui ressemble à une pieuse occupation d'usines durant laquelle brûleraient innocemment les cierges et l'encens de la "paix sociale". Après avoir cherché à échapper aux doucereux discours démobilisateurs du KOR, les prolétaires cessaient de s'organiser dans leurs propres organes centralisés.
Cette tâche est celle que doit se donner l'avant-garde des ouvriers qui, au cours de l'affrontement, ont acquis leur conscience de classe. Chaque fois que les ouvriers auront à agir en toute responsabilité par eux-mêmes, leur maturité et leur conscience se manifesteront toujours de manière spontanée. Depuis que les appareils syndicaux sont passés au service du capital, et rien qu'à lui, plus aucun pas réel n'a été franchi au travers de ces fausses grèves soigneusement préparées pour la défaite du prolétariat. A cet égard, Luxembourg a donné une opinion définitive et il suffit de confronter les surgissements de "grèves sauvages'' avec les actions légalistes, impuissantes, initiées par les centrales syndicales pour voir qu'un abîme les sépare. De longue date rompus à la politique de l'arbitrage et des négociations, les vieux syndicats se font les fourriers des défaites successives des luttes. Mais il est erroné d'assimiler tout organe centralisé du prolétariat à un syndicat qui, par voie de conséquence, serait néfaste aux intérêts des travailleurs. De même qu'est incorrecte l'opinion selon laquelle l'action spontanée se suffit à elle-même".
Au cours de la grève en masse, la classe ouvrière devient une totalité organique, une classe pour soi, animée d'une volonté commune pour le triomphe d'un objectif identique et général. Ainsi, les grèves polonaises ont offert et continuent d'offrir d’immenses possibilités pour une germination de la conscience de classe la plus élevée. Or, jusqu'ici, elles ne se sont pas transformées en lutte révolutionnaire, en affrontement direct avec l'appareil d'Etat. Aussi nécessaires qu'elles soient, ni l'assemblée générale, ni la grève en masse n'épuisent le problème. Elles ne forment que des moments de tout un processus qui, parti de la plus modeste grève, doit aboutir nécessairement à l'insurrection. Il ne fait pas de doute que la grève en masse et l'assemblée générale entraînent régulièrement dans la lutte des masses toujours plus grandes. De la sorte, elles conservent au mouvement son caractère de masse et lui assurent sa cohésion. Mais elles ne lui confèrent pas encore son contenu politique socialiste. En elles-mêmes, ni l'une, ni l'autre ne recèlent une vertu miraculeuse ; pour devenir la force motrice la plus puissante de la révolution, la manifestation de la lutte prolétarienne qui ne finit, pour ainsi dire qu'avec la prise du pouvoir, il leur faut ne pas se laisser détacher du but final.
Le socialisme ne jaillit pas de la lutte spontanée de la classe pour satisfaire ses propres intérêts quotidiens. Celui-ci ne peut naître que de l'accentuation des contradictions du capitalisme et de la prise de conscience, par la classe, que la révolution socialiste est indispensable. Alors, et alors seulement, chaque revendication particulière, chaque lutte partielle, chaque mot d'ordre limité peut prendre une signification révolutionnaire.
Mais, pour que la classe prolétarienne prenne conscience de ses intérêts socialistes, il faut qu'en elle s'exprime durant les heurts une force politique capable d'harmoniser l’activité pratique et immédiate avec le but final, pour parler comme Luxembourg. Ce noyau a comme fonction d'empêcher que le mouvement ne vienne se briser sur l'écueil qui est la perte de vue du but final, à accélérer le mouvement spontané en expliquant aux plus larges couches du prolétariat déjà en mouvement l'essence de sa lutte. Sa fonction ne consiste pas à se substituer à elles, qui luttent avec courage et abnégation, mais de coordonner chaque phase de la lutte à la somme entière du mouvement en ¡lui fournissant son orientation consciente.
Ici, en Pologne, cette organisation politique d'avant-garde apparaîtra à chaud plutôt comme l'émanation et la conséquence de la lutte que comme condition préalable au processus révolutionnaire. Ici encore, le parti révolutionnaire sera le produit historique de la lutte de classe, le résultat de grands actes créatifs de la lutte de la classe qui les expérimente, et non pas la machine à faire les révolutions dont rêvent les vulgarisateurs mécanistes.
Que les prolétaires en action deviennent conscients de leurs propres tâches et du chemin à suivre est aujourd'hui aussi indispensable historiquement pour le triomphe du socialisme que l'ignorance de ses mêmes tâches et voies était indispensable pour la survie de la bourgeoisie et la pérennité du capitalisme.
DI NEO 11/02/81