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Les syndicats ont revêtu le bleu de travail et sont descendus à 1'usine. Faisant mine de réformer l'excessif bureaucratisme de leurs appareils, ils essaient de redéployer leurs tentacules sur le terrain du syndicalisme de base. De la sorte, ils s'adaptent aux nouvelles exigences que leur impose dans la situation actuelle leur rôle de gardiens de Tordre bourgeois dans les usines. Des exemples de cela, nous les trouvons accomplis dans la lutte de Longwy-Denain en France, dans la grève de l’acier en Angleterre et dans la grève de masse en Pologne.
Ces trois exemples sont les plus parlants pour souligner le caractère international de la lutte ouvrière et des problèmes qu'elle rencontre aujourd'hui.
LES EXPERIENCES FRANÇAISE, ANGLAISE ET POLONAISE
A Longwy-Denain, la bourgeoisie française a tenté de mettre en place dans la sidérurgie un plan de 30 000 licenciements. Devant cette attaque, une violente réaction ouvrière s'est produite : dans les zones sidérurgiques des grèves et des manifestations de masse ont éclaté.
Comment la bourgeoisie française parvint-elle à freiner et à dévoyer momentanément cette grande lutte ?
Elle a employé la répression mais, et surtout, elle a usé d’une arme plus efficace : faire en sorte que les ouvriers soient DESORGANISES, DESUNIS ET SANS COORDINATION, les empêchant de former leurs organes d'unité et de décision souveraine : les ASSEMBLEES ET LES COMITES ELUS ET REVOCABLES. A cela, elle y est arrivée en poussant en avant le syndicalisme de base : elle a donné la liberté aux unions locales de se radicaliser et de regrouper dans leur sein les ouvriers les plus combatifs.
Par ailleurs, quand la combativité ouvrière commença à fléchir, les syndicats ont trouvé dans leurs organes ; de base un point d'appui pour réinstaller Tordre, organisant la démoralisation et la débandade des rangs ouvriers.
Dans le cas de la grève de l'acier, en Grande-Bretagne, les syndicats ont créé des comités de grève pour intégrer les ouvriers les plus combatifs et dominer la lutte. Ces comités se donnèrent des allures de radicalité et se dédièrent à la généralisation de la lutte en anticipant la combativité des ouvriers. En fait, et c'est là que nous pouvons voir comment agissent ces organes néo-syndicalistes de base, cette "généralisation", ils la limitèrent à la branche sidérurgique, ils la firent par le moyen des votes à bulletins secrets, collectes d'argent, etc...
En Pologne, alors que ce qui avait fait la force des luttes ouvrières l'été dernier, c'était le manque total d'illusions des ouvriers sur les syndicats officiels, la bourgeoisie est parvenue à faire passer la reconnaissance du nouveau syndicat "Solidarité" pour une victoire ouvrière. Sitôt mis en place, ce syndicat n’a pas tardé à jouer son rôle d'étouffoir de la lutte de classe. Le pompier Walesa parcoure la Pologne pour éteindre tout conflit qui risque de mettre le feu aux poudres.
En dévoyant la lutte sur des terrains légalistes, en soulignant la nécessité d’une modération de la lutte de classe, en menant des négociations secrètes, Solidarité à bien tiré les leçons du syndicalisme occidental.
PERSPECTIVES
Les expériences antérieures doivent guider notre compréhension des nouvelles manœuvres des syndicats pour noyer nos luttes.
Les bases du succès mystificateur du syndicalisme de base sont au nombre de trois :
- il récupère les éléments les plus combatifs ;
- il jouit d'un préjugé favorable parmi les ouvriers ;
- il prend des initiatives "radicales" et, du moins, il s’oppose aux directions syndicalistes, ou, comme en Pologne, aux anciens syndicats.
Même relatif, le succès du syndicalisme de base est d'abord fait d'une faiblesse juvénile dans le regain de la lutte de classe. Il est fort d'un manque d'assurance encore sensible du prolétariat dans ses propres forces.
En dehors de situations de lutte de classe extrême, il est facile de se laisser enjôler par ces organes syndicaux qui revêtent l'apparence du "nouveau", du "plus démocratique", d’assurer une plus grande "participation", etc., par rapport aux vieux organes syndicaux déconsidérés, du style bonze.
Nous pourrions dire que le syndicalisme de base est au syndicat ce que ce dernier est au capitalisme : un amortisseur et un coupe-feu de la lutte ouvrière.
Face à la pression de la lutte, et pour ne pas en perdre le contrôle, les syndicats "assouplissent" leur discipline interne, laissant une certaine "liberté" à leurs organes de base qui sont ceux qui ont une relation directe à la lutte, leur donnant une marge d'action et davantage de possibilités de prendre des initiatives au niveau local, de l'entreprise et du secteur. Cela se traduit en "divergences" entre base et bureaucrates. Ces “divergences" constituent un ingrédient irremplaçable du syndicalisme de base, ils en sont un de ses piliers. Un de leurs objectifs est précisément de convertir n'importe quel affrontement entre ouvriers et syndicats en litige "interne" opposant base et sommet. Un peu comme dans les feuilletons américains de la TV, pleins de mauvais capitalistes et hommes politiques, mais nous laissant entendre que ce sont des exceptions, car il y en a aussi des bons et des intègres le syndicalisme de base nous présente les choses ainsi : le mal, c'est le sommet; ce qui est pur, c’est la base qui maintient l’"essence" du syndicalisme et rachète le tout.
Le jeu est clair : les organes syndicaux de base développent toute une série d’actions "radicales" auxquelles les directions "s’opposent de toutes leurs forces", mais les "tolèrent" parce que la démocratie, c’est la démocratie... Ça, c'est pour la galerie, la réalité est que les directions laissent faire "la base", tant que la lutte demeure globalement contrôlée par elles. Mais si il y a débordement, elles rétablissent l'ordre avec le recours aux bonnes vieilles calomnies de "provocateurs", "aventuristes", etc. ; elles attaquent la lutte ouvrière avec les organes de base en première ligne. Puis, dès que la lutte ouvrière commence à décliner, reviennent en force les directions syndicales
Cette radicalisation des syndicats par leur base, les syndicats ne la font pas, comme ça. Ils s'y voient contraints par la pression de la classe. Mais cela pourtant n'est pas pour nous dissuader de dénoncer les organes syndicaux de base. Cette dénonciation ne doit pas demeurer uniquement au plan du caractère syndical, telle qu'elle se fait parfois, de façon diffuse, mais s'attaquera à l'action de ces organes de base et à leurs fonctions. En rester au simple constat qu’ils naissent sous la pression ouvrière et que, par là même, ils méritent notre confiance parce qu'ils seraient une espèce de “premier pas", est une attitude totalement erronée qui, à terme, peut nous mener à la défaite. Le syndicalisme de base est une entrave de plus que fixe le capitalisme sur la voie des travailleurs, qu’il importe obligatoirement de surmonter. Nourrir l'illusion que notre pression peut nous rendre les syndicats favorables ou, du moins, neutres, est lourd de périls.
La fonction -et le rôle- des "Comités de grève" néo-syndicalistes anglais, de l'intersyndicale en France et de “Solidarité" en Pologne a été bien claire. Et ceux que remplissent les organes syndicaux de base sont similaires:
- tenter d'éviter la formation d'assemblées et, dans le cas d'impossibilité, de les dominer et de les contrôler en les enfermant dans des alternatives syndicales.
Cette orientation va de pair avec une idéologie corporatiste et nationaliste. Ainsi, par exemple, dans la lutte de la sidérurgie en Grande-Bretagne, l'extension du mouvement fut limitée au seul domaine privé et, à Longwy-Denain, toute la stratégie syndicale s'est dirigée à rendre responsables les ouvriers sidérurgistes allemands, “parce qu'ils produisaient à mei1leur marché" et "empêchaient que l'acier français se vende". Avec l’idéologie corporatiste, il n'y a qu'une seule voie de sortie : la défaite.
La situation actuelle du capitalisme, de crise permanente fait que l’unique manière de 1'affronter est de nous unir par-dessus les branches d'industrie et autres divisions que ¡nous impose la bourgeoisie. Les nombreuses expériences de luttes très combatives qui, pour ne pas s'être étendues, sont allées à la dérive, le confirment. Précisément, une des bases du syndicalisme de base consiste bel et bien à ne pas nous faire sortir du cadre de l'usine et de la branche d'industrie ou de la région.
Avec l'idéologie nationaliste, tout également, le syndicalisme de base, et le reste du capitalisme, veut nous faire avaler la couleuvre selon quoi il s'agit de nous opposer aux travailleurs des autres pays parce qu'ils seraient les vrais responsables de notre situation.
En Pologne, le refrain nationaliste chanté par Solidarité n'a qu'un seul but, enfermer les ouvriers sur le terrain national, faire croire que la solution à leurs problèmes est en Pologne et empêcher ainsi toute extension de la lutte par-delà les frontières.
Lorsque la lutte redescend, ces organes de base n'ont pas le moindre scrupule à céder la baguette de chef d’orchestre aux directions syndicales pour que celles-ci, en complicité avec le patronat et le gouvernement, fassent à leur guise. Par exemple, prenons la grève de la sidérurgie en Grande-Bretagne, où une fois la lutte retombée, se sont produits des centaines de licenciements en toute complaisance des syndicats, depuis les "directions bureaucratiques” jusqu'à la très "combative" base syndicale.
Il est très important par les temps actuels, à une époque où le moment décisif de l'affrontement capital-travail se rapproche, que nous puissions créer, à l'heure de la lutte, nos propres organes (Assemblées, comités élus et révocables par l'assemblée,)
Ces assemblées et ces comités, certes, ne sont pas en soi quelque chose dont le prolétariat devra se suffire, mais du moins c'est par eux que la classe se donne la possibilité de faire face aux attaques bourgeoises. En revanche, si le prolétariat â la faiblesse de croire dans le syndicalisme de base, il se coupe toute chance de gagner et assure la défaite.
(d'après “Acción Prolétaria", n°33).