LE COMMUNISME DE GAUCHE : UNE MALADIE INFANTILE ?

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IL Y A 60 ANS, EN 1920, LES DELEGUES QUI ASSISTAIENT AU SECOND CONGRES DE LA TROISIEME INTERNATIONALE REÇURENT CHACUN LA COPIE D'UNE BROCHURE ECRITE PAR LENINE : " LE COMMUNISME DE GAUCHE, UNE MALADIE INFANTILE". DANS CETTE BROCHURE, LENINE CRITIQUAIT AVEC VIRULENCE LES ORGANISATIONS QUI SE NOMMAIENT "COMMUNISTES DE GAUCHE". AUJOURD'HUI, CES CRITIQUES SONT COURAMMENT REPRISES PAR LES GAUCHISTES QUI VOIENT DANS LE TEXTE DE LENINE UN CLASSIQUE DE LA DIALECTIQUE ET DE LA TACTIQUE MARXISTE.

QUI ETAIENT CES COMMUNISTES DE GAUCHE OU "ULTRA-GAUCHE"?

LES COMMUNISTES DE GAUCHE

Il y a 60 ans le courant des "communistes de gauche" du mouvement révolutionnaire marxiste représentait l'expression la plus avancée de la grande vague de lutte de classe qui secoua le monde à la fin de la guerre. Contre les distorsions de Lénine même et les mensonges grossiers des trotskystes aujourd'hui, nous devons affirmer :

  • que les communistes de gauche étaient une tendance MARXISTE et non pas anarcho-syndicaliste.
  • qu'il ne s'agissait pas d'ouvriers immatures nouveaux dans le mouvement communiste mais d'une tendance solide qui s'était développée A L'INTERIEUR des partis de masse de la social-démocratie avant la guerre pour s'opposer â la dégénérescence de ceux-ci et défendre les principes révolutionnaires.
  • qu'ils ont rejeté catégoriquement le social-chauvinisme quand la guerre de 14 a éclaté ; ils étaient sur les positions de Lénine à la Conférence de Zimmerwald et Kienthal et prônaient le défaitisme révolutionnaire.
  • qu'ils ont été parmi les premiers à se rallier à la nouvelle internationale en 1919 et qu'ils ont pris la défense de la révolution russe en appelant à l'extension du mouvement révolutionnaire aux pays d'Europe de l'ouest et d'ailleurs.

C'est précisément PARCE QUE les communistes de gauche défendaient les principes de base du bolchevisme et de la troisième internationale qu'ils ont été conduits à s'opposer aux premières manifestations de dégénérescence qui surgissent dès 1920.

La brochure de Lénine elle-même, expression d'une rupture incomplète avec la social-démocratie, fut un signe de cette dégénérescence précoce.

C'est parce que les communistes de gauche étaient marxistes qu'ils furent capables de voir les implications de la nouvelle époque ouverte par la guerre, celle de la décadence du capitalisme et en particulier de comprendre l'importance historique des soviets ou CONSEILS OUVRIERS qui avaient joué un rôle primordial dans la révolution d'octobre.

Le groupe le plus important des communistes de gauche à cette époque était le KAPD (Parti Communiste Ouvrier d'Allemagne) qui s'était formé au début de 1920 à partir de la majorité expulsée du KPD en 1919 pour avoir refusé d'assumer une activité parlementaire.

En Italie, les communistes de gauche étaient représentés par la fraction communiste abstentionniste du Parti Socialiste Italien, regroupée autour d'Amadeo Bordiga, qui défendait la ligne marxiste intransigeante contre le marais social-démocrate du PSI. C'est l'aile gauche "bordiguiste" qui a constitué le noyau de base et la tête du Parti Communiste Italien (PCI) en 1921.

Les communistes de gauche avaient compris, avec justesse, l'impossibilité de continuer à utiliser de telles institutions bourgeoises qui étaient devenues le principal point de ralliement des forces contre-révolutionnaires et qui ne pouvaient désormais qu'œuvrer à détruire les propres organes du pouvoir ouvrier : les conseils.

Ce faisant, les communistes de gauche étaient dans la lignée directe de la 3ème internationale lorsqu'elle annonçait l'entrée du capitalisme dans "l'ère des guerres et des révolutions" et la mort de la démocratie bourgeoise. Les combattants de la classe ouvrière, comme le KAPD, avaient compris la nécessité des conseils ouvriers comme la "forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat" à l'encontre de tous les mensonges sur la "voie" ou la "tribune" parlementaire.

LE 2ème CONGRES DE LA 3ème INTERNATIONALE

Contrairement à ce que pensent les trotskystes, les communistes de gauche ne furent pas frappés de mutisme, ensorcelés par la rhétorique et la logique de la brochure de Lénine. Ils défendirent leurs positions au 2ème et 3ème Congrès de 1'IC avant d'être finalement expulsés.

Après le fiasco de 1'"action de mars" en Allemagne en 1921, l'Etat bolchevik, (et le mouvement révolutionnaire comme un tout!) a commencé à se résigner à une période d'isolement. On pouvait constater de plus en plus l'effet de l'isolement dans le retournement d'attitude de 1'IC en faveur de l'aile gauche de la social-démocratie, c'est à dire les indépendants allemands -USPD- et les centristes du PSI conduits par Serrati, derrière lesquels s'abritait en fait l'aile droite du PSI conduite par Turati.

Le revirement était déjà clair au 2ème Congrès. La demande du PSI à être membre de 1'IC et leur acceptation immédiate des fameuses "21 conditions" fut attaquée par les communistes de gauche, qui connaissaient la social-démocratie et savaient que ses chiens n'hésiteraient pas à mordre sauvagement le moment venu. Les gauches soulignaient le danger de rechercher l'alliance des faussement séduisants partis de masses comme le PSI et dénonçaient cette politique de la direction de l'IC comme une trahison de ses anciennes positions sur la social-démocratie.

Les gauches allemande, hollandaise, considéraient que la façon la plus concrète d'aller de l'avant était de développer à l'extrême la conscience révolutionnaire dans le prolétariat en particulier sur les questions parlementaire et syndicale.

Ce rejet de tout compromis avec la social-démocratie allait conduire par la suite les gauches à leur exclusion de l'internationale tandis que l'aile droite devenait la force dominante.

Contre ce cours opportuniste, Gorter et le KAPD affirmaient que la social-démocratie était partout exclusivement bourgeoise :

  • "Au lieu d'appliquer maintenant aussi à tous les autres pays cette tactique éprouvée, et de renforcer ainsi de l'intérieur la 3ème Internationale, on fait présentement volte-face et tout comme la social-démocratie jadis, on passe à l'opportunisme. Voici qu'on fait tout entrer : les syndicats, les Indépendants, le centre français, une partie du Labour Party.
    Pour sauver les apparences du marxisme, on pose des conditions, qu'il faut SIGNER (!!). Kautsky, Hilferding, Thomas, etc., sont certes mis à l'index. Mais les grosses masses, 1'élément moyen est admis à rentrer et
    tous les moyens sont bons pour 1'inciter à le faire. Pour que le centre se renforce mieux, les "gauchistes" ne sont pas admis s’ils ne veulent pas passer au centre ! LES TOUT MEILLEURS ELEMENTS REVOLUTIONNAIRES, tels que le KAPD, SONT AINSI TENUS à L’ECART !"

LES POSITIONS DU KAPD

Dans sa réponse au camarade Lénine, Gorter démontre que Lénine et le parti bolchevik n'ont pas pleinement compris la nature de classe de la social-démocratie et des syndicats -spécialement en ce qui concerne la nature des syndicats que le KAPD, lui, confronté à un des plus puissants syndicats du monde, était bien placé pour comprendre:

  • "De par leur nature, les syndicats ne sont pas de bonnes armes pour la révolution en Europe de l'ouest. Même s'ils n'étaient pas devenus les instruments du capitalisme, même s'ils n'étaient pas entre les mains des traîtres, et si -dans les mains de quelques chefs que ce soit- ils n'étaient pas, par nature, voués à faire de leur leurs membres des esclaves et des instruments passifs, ils n'en seraient pas moins inutilisables."

Gorter avait ainsi discerné quelque chose qui manque complètement dans l'analyse de Lénine.

Pour Lénine, et plus tard pour l'IC, le seul problème était réellement de trouver la bonne direction révolutionnaire pour les ouvriers à l'inférieur des syndicats existants.

Pour la gauche allemande, les syndicats ne pouvaient pas être les instruments du renversement du capitalisme puisqu'ils s'étaient INTEGRES A L'APPAREIL D'ETAT aux côtés des partis sociaux-démocrates. Les syndicats, tout comme la social-démocratie, devaient être DETRUITS.

C'est cette idée que Gorter et le KAPD martelèrent constamment.

En essayant de tirer les leçons de la lutte de classe, Gorter et le KAPD ont suivi les traces de Rosa Luxembourg qui dans "Grèves de masses" discerne les changements en train de se produire dans le mouvement historique : le caractère de masse des luttes ouvrières, leur signification de plus en plus politique et l'inadéquation des vieilles formes organisationnelles. Le KAPD resituera cette analyse dans le contexte des nouvelles conditions du capitalisme décadent après que là social-démocratie ait définitivement trahi la classe ouvrière. Si leur travail comporte inévitablement des faiblesses, ils ont eu le mérite de saisir des vérités fondamentales.

Ils n’ont pas jeté aux orties le rôle du parti, au contraire de ce qu'a affirmé Lénine mais étaient en fait pour une discipline et un centralisme rigoureux à l'intérieur du parti. Ils ont cependant analysé le rôle du parti sous le nouvel éclairage du changement de période, spécialement avec le surgissement des soviets, qui étaient pour le KAPD l'arme de la destruction du capitalisme, le moyen pour le prolétariat d’exercer son pouvoir et d'engager l'humanité dans la voie du communisme.

Le rôle du parti, comme le KAPD le comprenait en 1921, était de rassembler les "combattants les plus conscients et les plus mûrs" :

  • "Le parti communiste doit avoir une base programmatique solidement élaborée et doit être organisé et discipliné dans son entier à partir de la base, comme une seule volonté. Il doit être la tête et l'arme de la révolution... La tâche principale du parti communiste— est...d’être la boussole la plus infaillible du communisme. Il doit en toutes occasions savoir montrer le chemin aux masses pas seulement dans les mots, mais aussi dans les faits. Dans toutes les situations de la lutte politique avant la prise du pouvoir, il doit montrer, de la façon la plus claire, la différence entre réforme et révolution et dénoncer toute concession au réformisme comme une trahison de la révolution." (2)

Pour le KAPD, le compromis de 1'IC avec la social-démocratie au 2ème Congrès était précisément une "déviation réformiste" et une "trahison de la révolution".

Dans les dernières 50 années, la classe ouvrière a chèrement payé ces confusions, ces premiers compromis de TIC : des années d'illusion sur la nature de classe des syndicats et des partis sociaux-démocrates. La polémique de Lénine contre les communistes de gauche sert aujourd'hui aux gauchistes -trotskystes, maoïstes, etc., pour justifier leurs intérêts profonds à défendre de tels corps et attaquer les révolutionnaires qui soutiennent et renforcent la compréhension grandissante de des ouvriers de la nécessité de se battre contre la gauche du capital.

Les positions de la gauche communiste, malgré toutes leurs confusions et leur caractère inachevé, sont devenues aujourd'hui des fondations essentielles pour la défense des positions de classe. Pour nous, ces organisations "infantiles" ont jeté des bases pour la prochaine vague révolutionnaire. Ce n'est pas par hasard que leur travail a été enterré et délibérément déformé. Mais aujourd'hui, leur combat est notre combat, leurs leçons sont les nôtres, doublement enrichies aujourd'hui. La gauche communiste a disparu dans la contre-révolution bourgeoise, mais leur travail n'est pas perdu, et sera repris par le les nouvelles générations qui remettront à l'ordre du jour le cri de guerre du KAPD : "la révolution est prolétarienne ou elle n'est rien!"

D'après "World Revolution" N°32