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Une des meilleures armes de la bourgeoisie contre la classe ouvrière consiste à faire passer ses luttes pour autre chose que ce qu'elles sont, et en particulier à les désigner du nom de ces fractions bourgeoises dont la fonction est justement de saboter la lutte ouvrière tout en prétendant la représenter. Dans nos régions dites "démocratiques", nous avons l'habitude de voir les mass-médias faire tout leur possible pour présenter toute grève ouvrière comme étant celle de telle ou telle officine syndicale. S'il n'y a pas de "pluralisme syndical" en Pologne, les mouvements d'"opposition démocratique", et le KDR en particulier, font parfaitement l'affaire! L'ensemble de la presse a voulu faire passer ce dernier pour le "meilleur soutien", 1'"expression politique", ou encore 1'"inspirateur" des grèves.
Cette volonté de camouflage du véritable antagonisme social veut nous faire prendre des vessies pour des lanternes : d'un côté la détermination de ceux qui n'ont à perdre que leurs chaînes, de l'autre, 1'"opposition" qui, le jour même de l'entrée en grève des chantiers de Gdansk, appelle à une manifestation à Varsovie sur le thème de la défense de la patrie polonaise; d'un côté la mise en pratique par les ouvriers de la solidarité prolétarienne avec le développement de son organisation autonome et centralisée, de l'autre, l'appel du KOR à la solidarité internationale... des "dirigeants occidentaux", des "dirigeants des grandes banques et institutions financières internationales", pour qu'ils apportent "leur soutien moral et éventuellement économique" pour sauver la Pologne !
Le KOR nous désigne bien là quelle est la classe qu'il soutient, exprime et prétend inspirer. A 1'instar de tous les mouvements de "contestation", de "dissidence" qui fleurissent dans quasiment tous les pays de l'Est, il ne se présente lui-même que comme une opposition très responsable, respectrice "du cadre légal" et parfaitement consciente des impératifs nationaux imposés tant par la dégradation de la situation économique que par les conditions de l'appartenance au bloc de l'Est. "J'essaie de me placer du point de vue du pouvoir", disait J. Kuron en 77, tout en suggérant à ce dernier "le redressement de la situation économique du pays par des réformes à petits pas avec l'assentiment des travailleurs", et surtout -et c'est bien là que le KOR se montre la plus responsable des oppositions- en tirant la sonnette d'alarme, au lendemain des émeutes de 76, sur la trop grande vulnérabilité de l'Etat polonais face aux assauts de la classe ouvrière :
"Les événements ont montré que, dans le système actuel, les citoyens n'ont qu'un seul moyen pour exprimer leur position: celui de manifester pour traduire leur mécontentement. Il faut élargir les libertés démocratiques pour éviter de nouvelles explosions populaires". (Lettre des onze au Parlement en juin 76, signée par les co-fondateurs du KOR, dont J. Kuron).
Depuis sa fondation en 76, le KOR développe sa propagande autour des moyens d'obtenir cet "assentiment des travailleurs" et d'éviter les explosions de la lutte de classe, avec en première place la "création de syndicats libres", sur le modèle des commissions ouvrières espagnoles, qui ont fait la preuve de leur efficacité dans ce domaine comme le décrit si bien le journal du KOR "Robotnik":
- "Peu à peu les directions ont compris qu'un contact avec les commissions ouvrières était dans leur propre intérêt, parce que ce sont elles qui représentent les travailleurs, avec lesquels on ne peut s'entendre que par leur intemédiaire. En effet, les directions n’obtenaient rien par l'intermédiaire des syndicats officiels." (souligné par nous)
Ces pourfendeurs de l'"Etat totalitaire", ces "défenseurs des ouvriers" se montrent les conseillers attentifs des bureaucrates, qu'en bourgeois cohérents, ils aspirent à devenir eux-mêmes. Selon la formule du sinistre Kuron: "Je suis moi-même un apparatchik", mais un apparatchik qui sort de son chapeau la recette pour "obtenir quelque chose des ouvriers", ce à quoi a échoué le gouvernement actuel.
UNE RELEVE DEMOCRATIQUE?
En opposant à l'Etat polonais son programme "à coloration ouvrière", J. Kuron avouait lui-même "ne se faire aucune illusion sur la possibilité de ces réformes". L'opposition polonaise est suffisamment consciente des impératifs nationaux pour savoir que, plus que jamais, avec l'aggravation de la crise économique l'Etat ne peut que durcir encore plus son contrôle sur la société et renforcer l'attaque contre la classe ouvrière. Cependant, si la bourgeoisie ne s'illusionne guère sur la marge de manœuvre de son propre système, et si l'opposition se sait finalement condamnée à rester... dans l'opposition, celle-ci ne s'est développée jusqu'à présent que pour redonner quelque crédit à des illusions qui s'écroulent par pans entiers sous les effets de la crise et que le gouvernement ne parvient de toutes façons plus à entretenir. Les "lendemains qui chantent" du socialisme sont repeints à la sauce démocratique sous les traits d'un "débat national" retrouvé. Il s'agit surtout de convaincre les ouvriers que la confrontation directe avec l'Etat peut être évitée, que l'amélioration de leur sort ne peut passer que par l'union de la nation pour l'obtention de ces fameux "droits démocratiques".
Aujourd'hui, décrivant -dans un article paru dans "Le Monde" du 20 août- 1'enjeu de la situation ouverte par les grèves et leur extension, Kuron explicite clairement l'attitude du KOR :
- "Lorsque l'inflation aura mangé les augmentations et que les promesses d'un meilleur approvisionnement n'auront pas été tenues, les grèves reprendront un nouvel essor. La colère des ouvriers sera plus grande, et plus grande encore, si c'est possible, leur méfiance vis à vis du pouvoir. Or celui-ci sera encore plus impuissant...La révolte sera alors inévitable, avec comme conséquence une tragédie â l'échelle nationale.".
C'est pourquoi explique-t-il: "la tâche principale de l'opposition démocratique consiste à transformer les revendications économiques en revendications politiques".
Alors que le gouvernement, tant qu'il a pu le faire n'a cessé de développer l'argument: "Nous pouvons discuter des problèmes économiques. Mais ne touchez pas aux problèmes politiques", la propagande du KOR s'articule autour de 1' l'idée qu'il faut que les ouvriers abandonnent le terrain économique pour le terrain politique, car "s'élever contre la hausse des prix porterait un coup au fonctionnement de l'économie". En un mot, le mouvement actuel doit cesser "de ne parler qu'au nom des ouvriers" pour comprendre que "seul un immense effort de tous, accompagné d'une profonde réforme, peut sauver l'économie du pays."
Tel est l'objectif que propose 1"opposition", au moment où la classe ouvrière en Pologne, en refusant d'opposer revendications politiques et revendications économiques, en imposant toute la pression de son auto-organisation, affirme plus que jamais son autonomie de classe face à l'ensemble de la société.
UNE FRACTION CREDIBLE DE LA BOURGEOISIE
Devant une détermination ouvrière bien plus puissante que celle qu'elle avait réprimée dans le sang en 70 et 76,1a bourgeoisie fait la démonstration qu'elle sait aussi tirer les leçons de l'histoire. Non seulement tout est fait pour éviter le risque que constituerait l'utilisation de la répression directe, mais le capital polonais a su produire ses propres anti-corps à la lutte de classe.
De l'église à l'opposition, en passant par les différentes tendances du POUP, la bourgeoisie fait tout son possible pour offrir aux yeux de la classe ouvrière de multiples facettes qui, à quelques nuances de langage près, se rejoignent pour appeler la classe ouvrière à modérer son élan revendicatif.
N'est-ce pas le KOR lui-même qui, au moment de l'établissement par le comité inter-entreprises de Gdansk de la liste des revendications, met en garde les ouvriers contre "des revendications qui, soit acculent le pouvoir à la violence, soit entraînent sa décomposition. Il faut leur laisser une porte de sortie",
Le libre cours laissé au développement du KOR depuis 76 -qui lui permet aujourd'hui de se réclamer d'une implantation directe dans les grands centres industriels et de publier sa presse au grand jour- lui donne les moyens d’assumer la fonction pour laquelle il est né : celle, tout en cherchant à récupérer pour son propre compte les formes prises par la vague de luttes actuelle, d'essayer d'entraîner les grèves ouvrières sur le faux terrain de la défense de la démocratie, celle d'appeler les ouvriers à resserrer les rangs derrière "leur" Etat national. C’est dans ce sens que, dans la situation de quasi-blocage où se trouve le capital polonais, le KOR peut prétendre constituer aujourd’hui son serviteur le plus zélé.
La fin de non-recevoir qui accueille de tels arguments, et qui se résume dans la réponse d'un ouvrier : "on leur laisse une porte de sortie, puisqu'on les laisse gouverner", traduit bien tout le clivage entre la volonté ouvrière et l'orientation "responsable" que le KOR voudrait bien parvenir à donner au mouvement.
La vague d’arrestations opérées le 20 août ne doit pas faire illusion. Celles-ci ont eu lieu au moment même où le gouvernement, mesurant toute la force du mouvement, se décidait à assouplir sa politique et à entamer des négociations. En arrêtant les dirigeants du KOR, le gouvernement pouvait espérer orienter la négociation autour de leur libération, ou du moins redonner à celui-ci une image de marque plus oppositionnelle capable d'en faire des "interlocuteurs valables", c'est à dire valables aux yeux des ouvriers, capables de récupérer toute leur confiance. Dans l'ensemble, la manœuvre a relativement échoué pour le moment, et, même dans la négociation -terrain sur lequel la bourgeoisie se sent généralement la plus à l'aise, parce qu'il lui est plus facile d'y opérer des manœuvres de division- la détermination ouvrière ne s'est pas épuisée.
Pour que le rapport de forces imposé par la classe ouvrière puisse se maintenir et ne laisse aucune prise à de telles tentatives, les ouvriers doivent poursuivre dans la voie dans laquelle ils se sont engagés : développer et renforcer le contrôle des assemblées générales sur les organes dont ils se sont dotés.
Tout en cherchant à éviter pour le moment l'emploi de la répression directe contre les ouvriers, la bourgeoisie mobilise toutes ses forces pour tenter de diviser, enfermer, dévoyer le mouvement vers un terrain qui n'est pas le sien. Dans ce cadre , 1'"opposition démocratique", incapable d'apparaître comme une relève cohérente à la bureaucratie en place, peut peut-être espérer de la situation actuelle eue ses bons et loyaux services sauront être payée d'une reconnaissance "légale" de la société bourgeoise, du droit ou non de former une officine syndicale à son image. Mais, avant tout, elle n'a de raison d'exister au sein de la classe dominante en Pologne que si elle parvient à se faire ce flanc-garde dont a tant besoin aujourd'hui l'Etat capitaliste polonais.
Le 30-08-80
J.U.