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Nous publions ci-dessous le texte que nous a fait parvenir un sympathisant à l’occasion de la marche silencieuse organisée à Anvers à la suite des meurtres commis en pleine rue le 11 mai dernier. Une fois de plus, c’est la décomposition sociale qui est à l’œuvre: un jeune manquant de perspective d’avenir «pète un plomb» et abat trois personnes dans la rue. Un mois avant, dans la gare centrale à Bruxelles, d’autres jeunes assassinaient un adolescent en lui volant son lecteur MP3. Malheureusement, ce genre de violence est devenue de moins en moins exceptionnelle ces quinze dernières années: enfant violé par des adolescents en Grande-Bretagne, tueries dans des écoles américaines, pogroms anti-étrangers en Allemagne, violences contre les musulmans aux Pays-Bas.
La bourgeoisie utilise ces événements, produits du pourrissement de son propre système d’exploitation, le sentiment légitime d’horreur qu’ils inspirent et la compassion qu’ils suscitent, pour appeler la population en général, et le prolétariat en particulier à se ranger derrière l’Etat et la démocratie, présentés comme les seuls remparts possibles à la violence irrationnelle qui se déchaîne dans toutes les grandes villes. Le capitalisme n’a aucune solution à opposer à cette violence; au contraire, c’est sa propre persistance qui les produit.
Le texte que nous reproduisons est prometteur à plus d’un égard: d’abord, il montre que tout le monde n’accepte plus les «explications» de la bourgeoisie, qu’il existe de plus en plus une tendance à la réflexion critique par rapport aux campagnes idéologiques de la classe dominante. Ensuite, le texte est lui-même un appel à cette réflexion, un appel à la discussion collective, puisqu’il a été diffusé dans l’entourage de son auteur; il invite à débattre ceux-là même qui sont la cible des campagnes de la bourgeoisie, et à ce titre, il constitue une contribution au contre-poison que secrète la classe ouvrière au venin idéologique de la bourgeoisie.
Nous soutenons donc pleinement cette démarche, et nous ne pouvons qu’encourager nos lecteurs à aller dans le même sens.
La lettre
Récemment, j’ai reçu diverses invitations à participer à la "Marche Blanche" de vendredi. Cette marche vise à réagir aux meurtres commis par un jeune homme de dix-huit ans à Anvers. Après s'être rasé le crâne, ce jeune s'est acheté une arme de chasse et a ensuite commencé son équipée meurtrière. Il a tué une jeune Africaine et un enfant de deux ans et a blessé une jeune fille voilée. Ensuite, il a été lui-même blessé par la police, capturé et interrogé. Durant son interrogatoire, il a dit que c'est consciemment qu'il a abattu des allochtones.
Les assassinats commis sont horribles et ne sont pas justifiables. Beaucoup ont montré leur compassion pour les victimes. On est choqué par la violence irrationnelle qui règne aujourd'hui et on veut le montrer en participant à une marche, organisée par l'Etat. C'est tout à fait compréhensible, mais je me pose quand même beaucoup de questions à ce propos.
Quel est exactement l'objectif de cette marche? "Pour un monde meilleur, sans violence aveugle et raciste" (De Standaard, 26.5.06). Pour montrer à la société que nous sommes contre la violence aveugle. Ne le sommes-nous pas depuis des années? La violence s'est-elle arrêtée? Va-t-elle s'arrêter maintenant? Nous attaquons-nous aux réelles origines de la violence? Je pense qu'il est important d'aller aux racines profondes du problème, de nous poser des questions sur le monde dans lequel nous vivons. Ce n'est pas en défilant passivement dans une marche que nous y changerons quelque chose.
Pourquoi une telle violence irrationnelle existe-t-elle? Pourquoi la xénophobie (= peur des étrangers) existe-t-elle? A cause de quoi les idées xénophobes et d'extrême-droite ont-elles autant de succès dans la période actuelle? Selon moi, ce sont des questions générales, fondamentales qui doivent être posées. Des questions qui remettent en cause la société actuelle et ne se cantonnent pas à sa logique.
Les questions suivantes ont été mises en avant pas les médias et les politiciens: "Le Vlaams Belang est-il responsable? Dans quelle mesure est-il responsable? Quelle peine faut-il infliger au coupable? Que peut-on faire contre cette violence, sans porter atteinte à notre «démocratie»?" Ces questions sont un piège. On raisonne dans le cadre de la logique de cette société, à l'intérieur de ses limites. On ne prend en compte que les conséquences au lieu de changer la société elle-même, car ce sont ses fondements eux-mêmes qui vacillent. Par exemple, le Vlaams Belang serait à l'origine du problème. Cette argumentation ne tient pas la route. Les partis d'extrême-droite sont une conséquence, pas la cause d'une société qui cherche un bouc émissaire pour sa misère. Ces partis attisent bien sûr la haine, mais en dernière analyse, ils sont une expression de la pensée que produit la société actuelle.
Quelle peine pour le meurtrier? Et si pour une fois, on se posait la question de savoir pourquoi il y a des meurtriers? Qu'est-ce qui fait que des gens tuent? La frustration, la dépression? D'où vient le fait qu'autant de gens aujourd'hui ne se sentent pas bien dans leur peau (en 2004, environ 8 % de la population de 15 ans et plus était dépressive)? Est-ce le manque de perspective, le manque de confiance dans l'avenir?
Quoi que vous fassiez, je vous demande de vous poser ces questions générales, d'y réfléchir, d'en discuter avec d'autres et de ne pas aveuglément faire confiance aux slogans des organisateurs. Posez-vous des questions sur la marche elle-même. Qui l'organise? Qui appelle à y participer? Qui y trouve un intérêt? Pour ma part, je ne serai pas présent à la marche.
Sincères salutations,
Y