Référendum européen, victoire du non Mais c'est toujours la bourgeoisie qui gagne

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«On a gagné!», scandait au soir du 29 mai le «peuple de gauche», sur la place de la Bastille à Paris. «Cette victoire est avant tout celle des ouvriers, des employés, des jeunes, des sans-emploi (qui ) se sont ainsi rassemblés jusque dans les urnes pour rejeter cette camisole libérale»,  déclarait le secrétaire nationale de Parti Communiste stalinien Français , ajoutant : «Cette victoire s’est construite (…) dans une dynamique de rassemblement populaire qui évoque les grands moments du Front populaire ou de mai 1968» ; «C’est un mouvement de revanche sociale» évoquait le trotskiste Besancenot de la LCR Française; «La réfutation de cette Constitution donne de l’espoir aux chômeurs et aux gens vivant dans la misère et la précarité: l’espoir que le Non contre la Constitution néo-libérale en France et aux Pays-Bas provoquera un changement brusque dans l’histoire qui mènera à une réorientation radicale dans la politique européenne.» proclamait la «démocratique» et «progressiste» «Fondation Europe Sociale» aux Pays-Bas; «Ce résultat est carrément favorable à l’avenir de l’Europe. L’affluence élevée et les nombreuses discussions montrent que l’Europe vit parmi la population, à condition que les gens eux-mêmes aient véritablement quelque chose à dire. Dans deux des trois pays où un référendum s’est tenu, on a vu une affluence élevée et un refus net de la Constitution. Cela montre un large soutien pour une Europe démocratique et sociale.» renchérissait un autre «Comité Constitution Non» de gauche Hollandais.

La gauche est en première ligne pour présenter la victoire du Non au référendum sur la Constitution européenne comme «une grande victoire de la classe ouvrière». Mensonge ! La classe ouvrière n’a rien gagné. Au contraire, la bourgeoisie a exploité ses échéances électorales afin de pourrir la conscience ouvrière en profitant des illusions encore très fortes dans les rangs des prolétaires envers la démocratie et le terrain électoral.

Les prolétaires doivent se souvenir que ce qui leur a toujours été présentée comme de «grandes victoires ouvrières», a toujours représenté les pires défaites et les plus dangereuses pour leur classe. Ainsi, en 1936, cet avènement du gouvernement de Front populaire en France encore aujourd’hui présenté comme une «grande victoire» pour les ouvriers, alors que ce gouvernement de Front populaire a permis à la bourgeoisie d’embrigader massivement derrière le drapeau de l’anti-fascisme les ouvriers dans les horreurs et les massacres de la Seconde Guerre mondiale. C’est au nom du grand mensonge du «triomphe de la dictature du prolétariat en URSS», «de la victoire du socialisme dans un seul pays» et des «avancées dans la construction d’une société communiste» que des générations entières de prolétaires ont été entraînées et sacrifiées sur l’autel de la contre-révolution stalinienne pendant plus d’un demi-siècle derrière une idéologie de la «défense de la patrie socialiste», mais aussi exploitées, massacrées, déportées, emprisonnées par « la patrie du socialisme».

Les prolétaires sont tombés dans le piège qui lui présentait cette consultation électorale comme un enjeu pour eux. La bourgeoisie exploite aujourd’hui cette situation pour accentuer son avantage et intoxiquer davantage la conscience des ouvriers, en lui faisant croire que le bulletin de vote serait plus efficace que la lutte de classe, même si les effets de cette propagande ne peuvent que s’effacer très rapidement face à la réalité. L’énorme et incessant battage électoral sur le référendum, avant, pendant et après, n’a qu’un seul but: faire avaler aux prolétaires le grossier mensonge selon lequel le moyen le plus efficace de faire reculer la bourgeoisie et de faire entendre leur voix, d’exprimer leur ras le bol, n’est pas le développement de la lutte de classe mais le bulletin de vote. Ainsi les trotskistes de Offensief aux Pays-bas ne laisse pas de doute : «Déjà en automne dernier les travailleurs néerlandais avaient démontré qu’ils refusaient de subir les mesures d’économie draconiennes et le démantèlement de l’Etat-providence. Maintenant de nouveau, il apparaît qu’ils en ont ras-le-bol de la politique du cabinet Balkenende. Le 2 octobre de l’année dernier, plus de 300.000 gens sont descendus en protestation contre les plans du cabinet dans les rues d’Amsterdam. Maintenant, une fois de plus un sujet politique important de ce cabinet néo-libéral est renvoyé à la poubelle.»  (site Offensief : La voix contre la Constitution a été une voix des travailleurs contre les profiteurs)

Une campagne idéologique mensongère

De l’extrême droite aux organisations gauchistes, l’incessant battage idéologique, dramatisé à souhait depuis plus de trois mois, ne visait qu’à attirer et à rabattre un maximum de prolétaires sur le terrain électoral.

En effet, la bourgeoisie aura réussi à polariser l’attention des ouvriers, à semer les pires confusions, à brouiller les pistes pour ramener un maximum d’ouvriers sur le terrain électoral. Le référendum était omniprésent dans tous les médias. Il n’était pas possible d’échapper aux virulents débats, aux polémiques enflammées sur les supposés enjeux de ce scrutin. Ce matraquage idéologique tentait de persuader chaque «citoyen», surtout chaque prolétaire, que cette consultation représentait un enjeu absolument crucial et déterminant. Toutes les fractions de la bourgeoisie se sont ainsi félicitées d’avoir pu lancer et animer «un grand débat démocratique» dont le seul résultat aura été de déboussoler, de semer un maximum de confusion et d’illusions dans la tête des ouvriers. Tous les médias et certains responsables politiques l’ont proclamé: «votez oui ou votez non mais votez !». Le principal poison idéologique distillé dans cette campagne a été de faire croire que «rien ne serait plus comme avant», que la montée du Non, dopée par le mécontentement social envers les gouvernements, avait contraint la bourgeoisie à mettre la préoccupation sociale au centre de sa campagne. Cela est en partie vrai, mais le seul but de cette manœuvre était de pousser les ouvriers dans le piège démocratique, dans le piège électoral, dans la mesure où, auparavant, cette campagne suscitait à juste titre l’ennui et le désintérêt le plus complet au sein de la classe ouvrière. C’est à partir du moment où la bourgeoisie est parvenue à canaliser le mécontentement social autour du référendum, à faire croire qu’elle pouvait reculer en retirant la directive Bolkestein qu’elle est parvenue à relancer et à redonner un nouveau souffle à la mystification démocratique et au terrain électoral.  Mais, maintenant la bourgeoisie voudrait nous faire croire que dans l’après référendum, désormais, la parole, la priorité, seront au social. C’est un mensonge. Plus que jamais, l’avenir que nous réserve le capitalisme, c’est l’intensification des attaques anti-ouvrières. Cette propagande idéologique cherche à faire prendre des vessies pour des lanternes, faire croire que la réaction «citoyenne» peut changer le cours du capitalisme, infléchir la bourgeoisie et barrer la route au libéralisme et aux délocalisations. La politique gouvernementale ne va pas changer d’un poil.

Le principal objectif de la bourgeoisie vis-à-vis des prolétaires dans n’importe quelle élection est de les pousser à abandonner le terrain collectif de la lutte de classe pour s’exprimer en tant que «citoyens», atomisés, sans appartenance de classe, dans le bien nommé «isoloir», sur un terrain pourri d’avance et qui n’est nullement le leur, mais celui de la bourgeoisie. Pour la classe ouvrière, le terrain électoral est un piège idéologique destiné à semer les pires confusions et à empêcher le développement de sa conscience de classe.

Les élections ne sont qu’une mystification

Il n’en a pas toujours été ainsi. Au 19ième siècle, les ouvriers luttaient et se faisaient tuer pour obtenir le suffrage universel. Aujourd’hui, inversement, ce sont les gouvernements qui mobilisent tous les moyens dont ils disposent pour que le maximum de citoyens aillent voter. Pourquoi ?

Pendant la période d’ascendance du capitalisme, les  parlements représentaient le lieu par excellence où les différentes fractions de la bourgeoisie s’affrontaient ou s’unissaient pour défendre leurs intérêts. Malgré les dangers et les illusions que cela pouvait entraîner, les travailleurs, dans une période où la révolution prolétarienne n’était pas encore à l’ordre du jour, avaient intérêt à intervenir dans ces affrontements entre fractions bourgeoises et, au besoin, soutenir certaines fractions bourgeoises contre d’autres, afin de tenter d’améliorer leur sort dans le système. C’est ainsi que les ouvriers en Angleterre ont obtenu la réduction à 10 heures de leur journée de travail  en 1848, qu’on a vu l’abrogation de la loi sur la conspiration (droit de s’organiser) en Belgique en 1865 après l’Angleterre 1859 et la France en 1866, que le droit syndical a été reconnu en France en 1884, etc.

Mais la situation est devenue totalement différente depuis le début du 20e siècle. La société capitaliste est entrée dans sa période de crise permanente et de déclin irréversible. Le capitalisme a conquis la planète et le partage du monde entre les grandes puissances est terminé. Chaque puissance impérialiste ne peut s’approprier de nouveaux marchés qu’aux dépens des autres. Ce qui s’ouvre, c’est une nouvelle «ère des guerres et des révolutions», comme le déclarait l’Internationale Communiste en 1919, une ère marquée par les effondrements économiques comme la crise de 1929, les deux guerres mondiales et l’irruption révolutionnaire du prolétariat en 1905 en Russie, de 1917 à 1923 en Russie, Allemagne, Hongrie, Italie. Pour faire face à ses difficultés croissantes, le capital est contraint de renforcer constamment le pouvoir de son Etat. De plus en plus, l’Etat tend à se rendre maître de l’ensemble de la vie sociale et, en premier lieu, dans le domaine économique. Cette évolution du rôle de l’Etat s’accompagne d’un affaiblissement du rôle du législatif en faveur de l’exécutif. Comme le dit le deuxième Congrès de l’Internationale Communiste : «Le centre de gravité de la vie politique actuelle est complètement et définitivement sorti du Parlement.»

Pour les travailleurs, il ne peut plus être question de s’aménager une place dans le capitalisme mais de le renverser dans la mesure où ce système n’est plus capable de leur octroyer ni réformes durables ni amélioration de leur sort.

Pour la bourgeoisie, le parlement est devenu tout au plus une chambre d’enregistrement de décisions qu’elle prend ailleurs.

Reste un rôle idéologique de l’électoralisme qui reste déterminant . La fonction mystificatrice de l’institution parlementaire existait déjà au 19e siècle mais elle se situait au second plan, derrière sa fonction politique. Aujourd’hui, la mystification est la seule fonction qui reste pour la bourgeoisie: elle a pour but de faire croire que la démocratie est le bien le plus précieux, que l’expression de la souveraineté du peuple, c’est la liberté de choisir ses exploiteurs. La démocratie parlementaire et surtout la mystification de l’idéologie démocratique reste le meilleur moyen d’empoisonner la conscience ouvrière  et l’arme idéologique la plus efficace et dangereuse pour domestiquer le prolétariat. 

Les attaques anti-ouvrières n’ont pas cessé au cours de ces derniers mois et dès le lendemain de cette échéance électorale, les prolétaires verront leurs conditions de vie et de travail se détériorer encore plus fortement et rapidement. La bourgeoisie cherche à gagner du temps pour repousser les échéances de confrontations plus massives avec le prolétariat. Elle  est amenée de plus en plus à trouver des parades idéologiques et à déployer le maximum d’efforts pour freiner la prise de conscience de la faillite du système capitaliste au sein de la classe ouvrière.  Comme nous l’écrivions le mois dernier dans notre presse en France et au Pays Bas, «le résultat de ce vote ne changera pas quoi que ce soit à l’intensification des attaques anti-ouvrières menées par les différentes bourgeoisies nationales, à l’accélération de la dégradation des conditions de vie des prolétaires, aux licenciements, aux délocalisations, à la montée du chômage et de la précarité, à l’amputation de tous les budgets sociaux, au démantèlement accéléré de la protection sociale. Ce sont les produits de la crise et les manifestations de la faillite du système capitaliste au niveau mondial».

Face à l’angoisse de l’avenir qui est au cœur des préoccupations ouvrières actuelles, la réponse n’est ni sur le terrain électoral ni de la démocratie, il est dans le développement de la lutte de classe, le seul terrain sur lequel les ouvriers peuvent répondre aux attaques de la bourgeoisie.

Wim &Lac/ 6.06.05

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