Bilan de la lutte de classe depuis 1988

Afficher une version adaptée à l'édition sur imprimante

L'unification des luttes ne peut être l'œuvre que des travailleurs eux-mêmes

 

Au moment où se termine l'année 88, tous les médias bourgeois se plaisent à célébrer cette année comme marquée d'une pierre blanche : elle aurait été "l'année du début du retour de la prospérité", "l'année de la paix" et autres foutaises. Pour la classe ouvrière, pour qui 88 a signifié la continuation de l'austérité, des licenciements, du chômage massif, il n'y a pas de quoi se réjouir. Au contraire, alors que les sombres perspectives d'une nouvelle accélération de la crise, longtemps écartées par la classe dominante et étouffées dans les médias à la faveur des préparatifs électoraux aux USA, refont surface, il est clair pour la classe ouvrière que les années qui s'ouvrent vont être celles d'une nouvelle aggravation de ses conditions d'existence, d'une nouvelle accélération des attaques anti-ouvrières dans tous les pays.
Moins que jamais, dans la période qui s'ouvre, la classe ouvrière ne pourra faire l'économie de la lutte. Au contraire, Il va lui falloir poursuivre et développer, encore plus massivement et avec plus de détermination, la bataille pour la défense de ses conditions de vie, contre ce système porteur d'une misère toujours plus profonde et générale. C'est pourquoi il lui faut par contre tirer le bilan de ce que 88 a apporté de son point de vue de classe à elle, c'est-à-dire sur le plan du développement de ses combats et du renforcement de ses armes de résistance à la misère capitaliste.

En premier lieu l'année 88 a vu la confirmation que la vague internationale de luttes ouvrières engagée depuis 83 ne cornait pas de répit. Qu'il s'agisse de mouvements d'ampleur ou d'escarmouches plus limitées qui ont fait moins parier d'elles, c'est à une multiplication de luttes qu'on a assisté et avec elles toute une acquisition d'expérience qui s'est poursuivie pour la classe ouvrière : Suffie, Pologne, Allemagne de l'Ouest, Brésil, Mexique, Grande-Bretagne, France, Yougoslavie, Belgique...

D'autre pari, l'année 88 a confirmé l'accélération de la confrontation entre les classes à travers le fait que les moments de pause dans la lutte de classe sont de plus en plus courts et cela, non seulement au niveau international, mais au sein de chaque pays. A Peine un mouvement est retombé que la colère ouvrière rejaillit quelques semaines plus tard dans le même pays : en Suède, en janvier, puis en mai; en Pologne, en mai et de nouveau en août ; en Grande-Bretagne, tout au long de l'année mais surtout en janvier-février, puis à nouveau en été ; en France, au printemps puis à l'automne... Cette situation révèle que de plus en plus de secteurs ouvriers rentrent dans la bataille et que les défaites partielles que subit la classe ouvrière ne pèsent plus comme une chape de plomb.

Mais surtout, encore plus significative est la grande simultanéité de la mobilisation ouvrière, la tendance à ce que ce soit des secteurs entiers et décisifs de la classe qui rentrent massivement et simultanément dans la bataille, posant concrètement la nécessité et la possibilité de leur unification.

C'est ce qu'ont montré, durant la vague de luttes en Grande-Bretagne en février, le groupe d'infirmières qui a pris contact avec les mineurs en grève, ou la grève de solidarité avec les infirmières décidée par une assemblée d'ouvriers de Ford. C'est ce mètre besoin qui a été très fortement exprimé dans les luttes de Chausson et de la SNECMA  en France, révélant à quel point les enseignements (en particulier le danger du corporatisme) de la défaite de la SNCF commençaient à être tirées par les ouvriers en France, et où il a fallu toute l'adresse du syndicalisme de base pour saboter cette tendance et la vider de son contenu. C'est de manière particulièrement exemplaire l'appel lancé par des ouvriers en grève dans la pétrochimie à Helsingborg en Suède s'adressant à tous les ouvriers du pays pour les appeler à entrer en lutte avec eux contre les attaques du patronat suédois (cf. RI n°170 ‑ juillet-août 88).

Enfin ce qu'a confirmé l'année 88, c'est le discrédit croissant des appareils bourgeois d'encadrement des luttes ouvrières, les syndicats, s'exprimant non seulement par la perte générale de leur influence dans tous les pays, non seulement par le démarrage spontané de la mobilisation ouvrière, mais de plus en plus par le rejet ouvert des consignes syndicales : même si c'est surtout dans des pays comme la France ou l'Italie, que ce discrédit et ce rejet ouvert apparaissent le plus fort et général dans la classe, ce sont les mêmes tendances qui se sont exprimées en Grande-Bretagne, en particulier chez les infirmières et les marins.

Les difficultés à concrétiser le besoin de l’unification

Cependant, si les luttes récentes témoignent d'un développement en profondeur dans la classe du besoin de l'unification de ses combats, elles attestent aussi des difficultés que rencontre la classe ouvrière pour concrétiser ce besoin. En particulier, les luttes qui se sont multipliées un peu partout cette année ont dans l'ensemble échoué à briser l'isolement, à s'étendre réellement au delà du secteur. C'est apparemment comme si, à mesure que se réunissent de manière accélérée les conditions pour que se concrétisent réellement et en grand les tendances à l'extension des luttes, à la solidarité active et à l'unification des combats de classe, celles-ci rencontraient sur leur route de nouveaux obstacles.

Cette situation signifie-t-elle que la confrontation entre les classes marque le pas ? Que l'histoire piétine ?

Il n'en est rien. Tout d'abord parce que, comme nous l'avions déjà mis en évidence à propos des luttes de 86 et 87 : "Cette difficulté à concrétiser le besoin d'unification alors que les autres caractéristiques des combats actuels se sont exprimées déjà de façon beaucoup plus marquée, s'explique aisément par le fait que l'unification constitue justement l'élément central des luttes de la période présente, celui qui, d'une certaine façon, contient tous les autres, qui en constitue la synthèse".( Résolution sur la situation internationale, VIIè Congrès du CCI, juillet 87).

Mais si la bataille pour l'unification est nécessairement la plus difficile pour la classe ouvrière parce qu'elle recouvre et concentre la réponse à l'ensemble des besoins vitaux de la lutte, elle l'est d'autant plus que la bourgeoisie de son côté est parfaitement consciente du danger que représente pour son ordre social et économique le développement d'une telle tendance et qu'elle fait tout pour la briser.

En face, une bourgeoisie
mieux préparée.

C'est partout qu'elle s'est mise à développer beaucoup plus systématiquement qu'auparavant toute sa stratégie d'occupation du terrain social, afin d'abord de ne plus se laisser surprendre par l'explosion des luttes (comme cela avait été le cas au début de la grève de la SNCF en France et de la lutte des travailleurs de l'école en Italie, où les syndicats s'étaient trouvés en situation d'opposition ouverte à la grève) et surtout de renforcer la capacité de ses forces d'encadrement à s'adapter à la situation, à coller au maximum à la lutte, en reprenant à leur compte les besoins qu'elle exprime, pour mieux les vider de leur contenu et les retourner contre les ouvriers.

A la pointe de cette adaptation accélérée, se trouve l'offensive développée par la bourgeoisie pour contrer le discrédit de plus en plus énorme des syndicats dans les rangs ouvriers en ayant recours systématiquement, dans toutes les luttes d'importance en Europe aux formes déguisées du syndicalisme, sous la forme du 'syndicalisme de base",et en particulier des "coordinations" auto-proclamées, qui ont été partout le fer de lance de l'enfermement des luttes dans le corporatisme, de l'isolement dans le secteur et l'obstacle majeur à la réelle prise en main de la lutte par les ouvriers eux-mêmes dans leurs assemblées générales depuis la "cordinadora des dockers" espagnols, en passant par ceux des "Cobas" récupérés ou montés par les gauchistes dans le secteur de l'école ou encore les "coordinati machinisti" en Italie, les "coordinations de shop-stewards" en Grande-bretagne dans la grève des infirmières, et bien sûr jusqu'aux coordinations qui depuis deux ans ne cessent de fleurir en France dans tous les secteurs ouvriers où la colère gronde, ce déploiement de structures soi-disant extra-syndicales est devenu aujourd'hui une arme systématiquement déployée par la bourgeoisie pour donner urne fausse réponse au besoin ressenti par les ouvriers de ne plus laisser la lutte entre les mains des syndicats.

Mais le niveau de préparation et de renforcement des manœuvres bourgeoises ne s'arrête pas là. Les grandes luttes de 86 et 87 ont particulièrement alerté la bourgeoisie quia vu le risque que représente pour elle l'explosion massive de la colère ouvrière dans toute une série de secteurs en même temps à un moment où la classe ouvrière remet de plus en plus ouvertement en cause le poids du corporatisme. Face à ce danger majeur, elle a compris que sa stratégie de recours au syndicalisme de base, répondant "à chaud" à la mobilisation ouvrière, ne pouvait lui suffire. C'est pourquoi on l'a vu commencer à utiliser une tactique beaucoup plus offensive, consistant à faire éclater prématurément une lutte dans un secteur particulier pour mieux briser dans l'œuf l'élan vers une mobilisation massive et solidaire de l'ensemble de la classe, en provoquant l'affrontement avant que n'aient mûri suffisamment au sein de la classe les conditions de cette mobilisation. Cette tactique, qui est vieille comme l'histoire de la lutte des classes et qui a de tout temps permis à la classe dominante de favoriser le déchaînement de la répression, c'est celle qui a été déployée avec ampleur en France à la rentrée, via la lutte des infirmières. Là, la bourgeoisie, non seulement avait choisi le moment, le lieu et les conditions de l'affrontement, mais avait soigneusement préparé son coup et en particulier avait pris soin ‑parfaitement consciente qu'une telle manœuvre ne pourrait prendre si elle se faisait via les syndicats officiels- de mettre en place préalablement la structure d'encadrement qui serait capable de réduire au maximum les risques de débordement : "la .coordination des infirmières" (cf. RI n'173 et éditorial de ce numéro). Et c'est fondamentalement la mime tactique qui avait été mise en oeuvre quelques semaines auparavant en Grande-bretagne avec la grève des postes au mois d'août. En déclenchant le mouvement dans un secteur aussi central que la poste, dans une période de l'année peu propice à l'extension des luttes, la bourgeoisie se donnait les moyens de dévire dans l'œuf ce qui aurait pu donner un nouvel élan aux tendances déjà présentes dans les luttes de janvier-février. La manœuvre a parfaitement réussi : faire partir prématurément au combat un bataillon central du prolétariat, a permis à la bourgeoisie de se donner toutes les garanties du maintien de l'isolement et du corporatisme. Et pour monter une telle manœuvre, la bourgeoisie est prote, comme elle l'a fait avec les infirmières en France, à licher du lest en cédant partiellement aux revendications des postiers. C'est mille fois préférable pour elle que d'être contrainte de céder, et à une autre échelle, à la seule chose qui soit réellement capable de l'acculer : un front ouvrier solidaire, massif et uni.

Que ce soit justement en France et en Grande-bretagne qu'on a vu à l'œuvre le déploiement d'une telle manœuvre, n'est pas étonnant. Ce sont non seulement deux pays où, particulièrement cette année, régnait ‑et continue de régner‑ une situation explosive riche d'énormes potentialités, chose dont la bourgeoisie était parfaitement consciente, mais il s'agit de pays centraux, où la classe dominante a une expérience très importante de la confrontation avec son ennemi mortel et qui n'a fait là que donner l'exemple à ses consœurs des autres pays européens.

L'ampleur des moyens développés par la bourgeoisie est à la mesure de la frayeur que lui inspire la classe ouvrière aujourd'hui. Derrière leur efficacité immédiate, il y a fondamentalement l'affaiblissement général et en profondeur de la capacité de la classe dominante à maintenir son ordre social. L'utilisation systématique du syndicalisme de base cache l'usure historique des principaux moyens d'encadrement, des pales armes de la bourgeoisie en terrain ouvrier que sont es syndicats. Derrière les efforts acharnés de la bourgeoisie pour ne pas laisser l'initiative du combat à la classe ouvrière, il y a l'expérience accumulée par la classe, toute la maturation qui s'est développée en son sein et qui continue à se développer dans le sens du renforcement des armes de son combat. C'est pourquoi les difficultés que rencontre et va rencontrer le prolétariat ne sont que le symptôme d'un niveau plus élevé de confrontation entre les classes. Une confrontation qui va être longue et difficile, mais c'est à travers elle que la classe ouvrière apprendra à déjouer les pièges de la bourgeoisie.

 Révolution Internationale N' 175

Géographique: 

Situations territoriales: