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Contre-résolution
“Il faut tenir compte de l’impossibilité d’arriver en une phase qui s’appelle de transition à des notions fixes, complètes, ne souffrant aucune contradiction logique et exempte de toute idée de transition” (Bilan)
A – La période de transition du capitalisme au communisme
1) La succession des modes de production esclavagiste, féodal, capitaliste ne connaissaient pas à proprement parler de période de transition.
Les nouveaux rapports, sur la base desquels s’édifiait la forme sociale progressive, étaient crées à l’intérieur de l’ancienne société. Le vieux système et le nouveau coexistaient (jusqu’à ce que le second supplante le premier) et cette cohabitation était possible parce qu’entre ces diverses sociétés n’existait qu’un antagonisme de forme alors qu’elles restaient par essence des sociétés d’exploitation. La succession du communisme au capitalisme diffère fondamentalement du passé. Le communisme ne peut émerger au sein du capitalisme parce qu’entre ces deux sociétés, il y a non seule ment une différence de forme, mais aussi une différence de contenu. Le communisme n’est plus une société d’exploitation et le mobile de la production n’est plus la satisfaction des besoins d’une minorité. Cette différence de contenu exclut la coexistence de l’un et de l’autre et crée la nécessité d’une phase transitoire au cours de laquelle les nouveaux rapports et la nouvelle société se développent à l’extérieur du capitalisme.
2) Entre la société capitaliste et la société communiste se place donc une phase de transformation révolutionnaire de celle-ci en celle-là. Cette phase transitoire est non seulement inévitable, mais encore nécessaire, pour combler les conditions matérielles et spirituelles léguées par le capitalisme au prolétariat (immaturité qui interdit le règne immédiat du communisme au sortir de la révolution). Cette période se caractérise par la fusion de deux processus sociaux : l’un de décroissance des rapports et catégories appartenant au système en déclin, l’autre de croissance des rapports et catégories qui relèvent du système nouveau.
La spécificité de l’époque de transition réside en ceci : le prolétariat qui a conquis le pouvoir politique (par la révolution) et garanti sa domination (par la dictature) s’engage dans le bouleversement ininterrompu et systématique des rapports de production et des formes de conscience et d’organisation qui en dépendent. Pendant la phase intermédiaire, par des mesures politiques et économiques, la classe ouvrière développe les forces productives laissées en héritage par le capitalisme, en sapant les bases de l’ancien système et en dégageant les bases de nouveaux rapports sociaux fondés sur une répartition de la masse des produits (et des conditions de la production) permettant à tous les producteurs de réaliser la pleine satisfaction, la libre expansion de leurs besoins.
B – Le régime politique de la période de transition
3) le capitalisme, la substitution de son privilège au privilège féodal, l’époque des révolutions bourgeoises pouvait s’accommoder d’une coexistence durable entre États capitalistes et États féodaux, voire même pré-féodaux, sans altérer ou supprimer les assises du nouveau système. La bourgeoisie, sur la base de positions économiques conquises graduellement n’avait pas à détruire l’appareil d’État de l’ancienne classe dominante dont elle s’était progressivement emparée. Elle n’eut à supprimer ni la bureaucratie, ni la police, ni la force armée permanente, mais à subordonner ces instruments d’oppression à ses fins propres, parce que la révolution politique (qui n’était pas toujours indispensable) concrétisait une hégémonie économique et ne faisait que substituer juridiquement une forme d’exploitation à une autre. Il en va tout autrement pour le prolétariat qui, n’ayant aucune assise économique et aucun intérêt particulier, ne peut se contenter de prendre tel quel l’ancien appareil d’État. La période de transition ne peut débuter qu’après la révolution prolétarienne dont l’essence consiste en la destruction mondiale de la domination politique du capitalisme et, en premier lieu, des États bourgeois nationaux. La prise du pouvoir politique général dans la société par la classe ouvrière, l’instauration mondiale de la dictature du prolétariat précèdent, conditionnent et garantissent la marche de la transformation économique et sociale.
4) Le communisme est une société sans classe et, partant, sans État. La période de transition qui ne se développe qu’après le triomphe de la révolution à l’échelle mondiale, est une période dynamique qui tend vers la disparition des classes, mais qui connaît encore la division en classes et la persistance d’intérêts divergents et antagoniques dans la société. Comme telle, elle fait surgir inévitablement une dictature et une forme d’État politique. Le prolétariat ne peut parer à l’insuffisance temporaire des forces productives que lui lègue le capitalisme sans recourir à la contrainte. En effet l’époque de transition est caractérisée par la nécessité de discipliner et de réglementer l’évolution de la production, de l’orienter vers un épanouissement qui permettra l’établissement de la société communiste.
Les menaces de restauration bourgeoise sont également en fonction de cette insuffisance de la production et des forces productives. La dictature et l’utilisation de l’État sont indispensables au prolétariat placé devant la nécessité de diriger l’emploi de la violence pour extirper les privilèges de la bourgeoisie, dominer celle-ci politiquement et organiser de manière nouvelle les forces de production libérées progressive ment des entraves capitalistes.
C -Conditions d’apparition et rôle de l’État dans l’histoire
5) Dans toute société divisée en classe, afin d’empêcher que les classes aux intérêts opposés et inconciliables ne se détruisent mutuellement, et par là même consument la société, surgissent des superstructures, des institutions, dont le couronnement est l’État. L’État naît pour maintenir les conflits de classes dans des limites déterminées. Cela ne signifie nullement qu’il parvient à concilier les intérêts antagoniques sur un terrain d’entente “démocratique”, ni qu’il fasse office de médiateur entre les classes. Comme l’État surgit du besoin de discipliner les antagonismes de classe, mais comme en même temps il surgit au milieu du conflit entre les classes, il est en général l’État de la classe la plus puissante, de celle qui s’est imposée politiquement et militairement dans le rapport de force historique, et qui, par l’intermédiaire de l’État, impose et garantit sa domination.
L’État est l’organisation spéciale d’un pouvoir (Engels), c’est l’exercice centralisé de la violence par une classe contre les autres, destinée à fournir à la société un cadre conforme aux intérêts de la classe dominante. L’État est l’organisme qui maintient la cohésion de la société, non en réalisant un soi-disant “bien commun” (parfaitement inexistant), mais en assurant l’ensemble des tâches de domination d’une classe aux divers niveaux économiques, juridique, politique et idéologique. Son rôle propre est non seulement administratif, mais surtout de maintenir par la violence les conditions de domination de la classe dominante contre les classes dominées, pour assurer l’extension, le développement, la conservation de rapports de production spécifiques contre les dangers de restauration et de destruction.
6) Quelles que soient les formes que prennent la société, les classes et l’État, le rôle de celui-ci reste toujours fondamentalement : assurer la domination d’une classe sur les autres. L’État n’est donc pas “par essence une entité conservatrice”. Il est révolutionnaire à certaines époques, conservateur ou contre-révolutionnaire à d’autres, parce que loin d’être un facteur autonome dans l’histoire, il est l’instrument, le prolongement, la forme d’organisation de classes sociales qui prennent naissance, mûrissent et disparaissent. L’État est étroitement lié au cycle de la classe et s’avère donc être progressif ou réactionnaire selon l’action historique de la classe sur le développement des forces productives de la société (selon qu’elle concourt à favoriser ou à freiner leur développement).
Il faut se garder cependant d’une vision strictement “instrumentaliste” de l’État. Par définition, arme de classe dans les conflits immédiats et de sociétés, l’État est affecté en retour par ces mêmes conflits. Loin d’être simplement tributaire de la volonté (traduction de la nécessité) d’une classe d’assurer sa domination, les appareils d’État subissent les pressions des diverses classes et de divers intérêts. Interviennent dans les déterminations d’action de l’État (et les possibilités de son évolution) aussi bien le cadre économique, le niveau du droit, que les rapports de force politiques et militaires. C’est en ce sens que l’État “n’est jamais en avance sur l’état de choses existant”. En effet, si l’État permet, à certaines époques, aux classes progressives d’exercer le pouvoir politique en vue de l’extension de rapports de production déterminés, il est contraint -à ces mêmes époques et pour poursuivre ce même but- de défendre la société nouvelle contre les menaces internes et externes, de relier les aspects épars de la production, de la distribution, de la vie sociale, culturelle, idéologique et ce avec des moyens (ceux qui existent et dont il peut disposer) qui ne relèvent pas toujours et forcément du programme de la classe révolutionnaire, d’une tendance de la nouvelle société en train de naître. “Ainsi, il faut considérer que la formule “1’État est 1’organe d’une classe” n’est pas, d’un point de vue formel, une réponse en soi aux phénomènes qui se déterminent, la pierre philosophale qui doit être recherchée au travers des faits, mais qu’elle signifie qu’entre la classe et 1’État se déterminent des rapports qui dépendent de la fonction d’une classe donnée”. (Bilan)
D -Nécessité des soviets comme pouvoir d’État du prolétariat
7) L’État qui succède à l’État bourgeois est une
forme nouvelle d’organisation du prolétariat, grâce à laquelle celui-ci
se transforme, de classe opprimée, en classe dominante et exerce sa dictature
révolutionnaire sur la société. Les Soviets territoriaux (des ouvriers, des
paysans pauvres, des soldats) en tant que puissance étatique du prolétariat
signifient :
- la tentative par le prolétariat en tant que seule classe porteuse du communisme, de lutter pour l’organisation de l’ensemble des classes et couches exploitées ;
- la continuation à l’aide du système soviétique, de la lutte de classe contre la bourgeoisie qui reste encore la classe la plus puissante même au début de la dictature du prolétariat, même après son expropriation et sa subordination politique.
Le prolétariat a encore besoin d’un appareil d’État, aussi bien pour réprimer la résistance désespérée de la bourgeoisie, que pour diriger la grande masse de la population dans la lutte contre la classe capitaliste et la mise en place du communisme. Cette situation n’a nullement besoin d’être idéalisée : “L’État n’étant qu’une institution temporaire dont on est obligé de se servir dans la lutte, dans la révolution, pour organiser la répression par la force contre ses adversaires, il est parfaitement absurde de parler d’un État populaire libre ; tant que le prolétariat fait encore usage de l’État, ce n’est point dans l’intérêt de la liberté, mais pour réprimer ses adversaires”. (Engels).
8) Produit de la division en classes de la société, de la nature inconciliable des antagonismes de classes, la dictature du prolétariat se distingue cependant (et avec elle son État) du pouvoir des classes dominantes dans le passé par les caractéristiques suivantes :
a) Le prolétariat n’exerce pas sa dictature en vue de bâtir une nouvelle société d’oppression et d’exploitation. Par conséquent, il n’a nullement besoin, comme les anciennes classes dominantes, de cacher ses buts, de mystifier les autres classes en présentant sa dictature comme le règne de “la liberté, de l’égalité, de la fraternité”. Le prolétariat affirme hautement que sa dictature est une dictature de classe ; que les organes de son pouvoir politique sont des organismes qui servent, par leur action, le programme prolétarien, à l’exclusion du programme et des intérêts de toutes les autres classes. C’est ainsi que Marx, Engels, Lénine, la Fraction parlaient -pouvaient et devaient parler- non d’un État “de la majorité des classes exploitées et non-exploiteuses” (l’encadrement des formations intermédiaires dans l’État n’étant pas synonyme de partage du pouvoir), non d’un État “a-classiste” ou “multi-classiste” (notions idéologiques et aberrantes par définition), mais d’un État prolétarien, d’un État de la classe ouvrière, ce dernier étant l’une des formes indispensables de la dictature du prolétariat.
b) La domination de la majorité, organisée et dirigée par le prolétariat sur la minorité dépossédée de ses prérogatives, rend inutile le maintien d’une machine bureaucratique et militaire, à laquelle le prolétariat substitue, et son propre armement -pour briser toute résistance bourgeoise- et une forme politique lui permettant d’accéder progressivement (et par devers lui l’ensemble de l’humanité) à la gestion sociale. Il supprime tous les privilèges inhérents au fonctionnement des anciens États (nivellement des traitements, contrôle rigoureux des fonctionnaires : électivité complète et révocabilité à tout moment) ainsi que la séparation réalisée par le parlementarisme entre organismes législatifs et exécutifs. Dès sa formation, l’État de la dictature du prolétariat cesse de la sorte être un “État” au vieux sens du terme. A l’État bourgeois se substituent les Soviets, un demi-État, un État-Commune ; l’organe de domination de l’ancienne classe est remplacé par des institutions de principe essentiellement différent.
E -Dépérissement ou renforcement de l’État
9) Tenant compte des considérations que nous avons évoquées quant aux conditions et à l’ambiance historiques dans lesquelles naît l’État prolétarien, il est évident que le dépérissement de celui-ci ne peut se concevoir que comme le signe du développement de la révolution mondiale et, plus profondément, de la transformation économique et sociale. Dans des conditions de combat défavorables (sur le triple plan politique, militaire, économique), l’État ouvrier peut se trouver contraint de se renforcer, à la fois pour empêcher la désagrégation de la société et pour assurer les tâches de défense de la dictature prolétarienne érigée dans un ou plusieurs pays. Cette obligation réagit à son tour sur sa nature même : l’État acquiert un caractère contradictoire : instrument de classe, il est cependant forcé de répartir les biens -les conditions de la production- et les responsabilités sociales selon des normes qui ne relèvent pas toujours et forcément d’une tendance immédiate vers le communisme. En cohérence avec la conception développée par Lénine, Trotsky, et surtout par Bilan nous devons donc admettre -au-delà de préoccupations métaphysiques- que l’État ouvrier, bien qu’assurant la domination du prolétariat sur la bourgeoisie, exprime toujours l’impuissance temporaire à supprimer le droit bourgeois. Ce dernier continue à exister, non seulement dans le déroulement économique et social mais dans le cerveau de millions de prolétaires, de milliards d’individus. L’État menace continuellement même après la victoire politique du prolétariat, de donner vie à des stratifications sociales s’opposant sans cesse davantage à la mission libératrice de la classe ouvrière. Aussi, à certaines époques, “si l’État, au lieu de dépérir, devient de plus en plus despotique, si les mandataires de la classe ouvrière se bureaucratisent, tandis que la bureaucratie s’érige au-dessus de la société, ce n’est pas seulement pour des raisons secondaires, telles que les survivances idéologiques du passé, etc., c’est en vertu de l’inflexible nécessité de former et d’entretenir une minorité privilégiée, tant qu’il n’est pas possible d’assurer l’égalité réelle” (Trotsky). Jusqu’à la disparition de l’État, jusqu’à sa résorption dans une société s’administrant elle-même, celui-ci continue à receler cet aspect négatif : instrument nécessaire de l’évolution historique, il menace constamment de diriger cette évolution non à l’avantage des producteurs, mais contre eux et vers leur massacre.
F -Le prolétariat et l’État
10) La physionomie spécifique de l’État ouvrier se
dévoile en ceci :
- d’une part, comme arme dirigée contre la classe expropriée, il révèle son côté “fort”;
- d’autre part, comme organisme appelé non pas à consolider un nouveau système d’exploitation, mais à les abolir tous, il découvre son côté “faible” (parce que dans des conditions défavorables, il tend à devenir le pôle d’attraction des privilèges capitalistes). C’est pourquoi, alors qu’entre la bourgeoisie et l’État bourgeois, il ne pouvait y avoir d’antagonismes, il peut en surgir entre le prolétariat et l’État transitoire. Avec la fondation de l’État prolétarien, le rapport historique entre la classe dominante et l’État se trouve modifié. Il faut considérer que :
a) La conquête de la dictature du prolétariat, l’existence de l’État ouvrier sont des conditions nouvelles à l’avantage du prolétariat mondial, non une garantie irrévocable contre toute entreprise de dégénérescence.
b) si l’État est ouvrier, cela ne signifie nullement qu’il n’y ait aucun besoin ou possibilité pour le prolétariat d’entrer en conflit avec lui, de telle sorte qu’il ne faille tolérer aucune opposition à la politique étatique.
c) À l’inverse des États du passé, l’État prolétarien ne peut synthétiser, concentrer dans ses appareils, tous les aspects de la dictature. L’État ouvrier se différencie profondément de l’organisme unitaire de la classe et de l’organisation qui regroupa l’avant-garde du prolétariat, cette différenciation s’opérant parce que l’État, malgré l’apparence de sa plus grande puissance matérielle, possède, au point de vue politique, de moindres possibilités d’action. Il est mille fois plus vulnérable par l’ennemi que les autres organismes ouvriers. Le prolétariat ne peut compenser cette faiblesse que par une politique de classe de son Parti et des Conseils ouvriers, au moyen desquels il exerce un contrôle indispensable sur l’activité étatique, développe sa conscience de classe et préserve la défense de ses intérêts. La présence agissante de ces organismes est la condition pour que l’Etat reste prolétarien. Le fondement de la dictature réside non seulement dans le fait que nulle interdiction ne s’oppose au fonctionnement des Conseils ouvriers et du Parti (proscription de la violence au sein du prolétariat, permanence du droit de grève, autonomie des Conseils et du Parti, liberté de tendance dans ces organes), mais aussi que les moyens leur soient octroyés pour résister à une métamorphose éventuelle de l’Etat, non vers le dépérissement, mais vers le triomphe de son despotisme.
G -Sur la dictature et les tâches de l’État ouvrier
12) Le rôle du capitalisme, son but, suffisaient à indiquer le rôle de ses différentes formes d’Etat : maintenir l’oppression au profit de la bourgeoisie. Pour ce qui est du prolétariat, c’est encore une fois, le rôle et le but de la classe ouvrière qui détermineront le rôle et le but de l’Etat prolétarien. Mais ici, le critère de la politique menée par l’Etat n’est plus un élément indifférents pour déterminer son rôle (comme c’était le cas pour la bourgeoisie et pour toutes les classes précédentes), mais un élément d’ordre capital dont va dépendre sa fonction d’appui -à la révolution mondiale, et, en définitive, la conservation de son caractère prolétarien.
13) Une politique prolétarienne dirigera l’évolution économique vers le communisme seulement si celle-ci reçoit une orientation diamétralement opposée à celle du capitalisme, si donc elle se dirige vers une élévation progressive et constante des conditions de vie des masses et non vers leur abaissement. Dans la mesure où le permet le contexte politique, le prolétariat doit agir dans le sens d’une diminution constante du travail non payé, ce qui amène inévitablement comme conséquence un rythme de l’accumulation suivant un cours extrêmement ralenti par rapport à celui de l’économie capitaliste. Toute autre politique entraînerait inévitablement la conversion de l’Etat prolétarien en un nouvel Etat bourgeois à l’image de ce qui s’est passé en Russie.
14) En aucun cas, l’accumulation ne peut se baser sur la nécessité de l’accumulation pour battre la puissance économique et militaire des Etats capitalistes. La révolution mondiale ne peut résulter que de la capacité du prolétariat de chaque pays à s’acquitter de sa mission, de la maturation mondiale des conditions politiques pour l’insurrection. La classe ouvrière ne peut reprendre à la bourgeoisie sa vision de la “guerre révolutionnaire”. Dans la période de guerre civile, le contraste ne passe pas entre Etat(s) prolétarien(s) et Etats capitalistes, mais entre prolétariat mondial et bourgeoisie mondiale. Dans l’activité de l’État prolétarien, les domaines économiques et militaires sont forcément d’ordre secondaire.
15) L’État transitoire est essentiellement un instrument de domination politique qui ne peut suppléer à la lutte de classe internationale. L’État ouvrier doit être considéré comme un outil de la révolution mondiale et au grand jamais comme le pôle de concentration de cette dernière. Si le prolétariat obéissait au second des deux critères, il serait forcé de passer des compromis avec les classes ennemies alors que les nécessités révolutionnaires réclament impérieusement une lutte sans merci contre toutes les formations anti-prolétariennes, même au risque d’aggraver la désorganisation économique résultant de la révolution. Toute autre perspective qui partirait de soucis soi-disant “réalistes” ou d’une prétendue loi du “développement inégal” ne pourrait que vicier les fondements de l’Etat prolétarien et conduire à sa transformation en Etat bourgeois sous le couvert fallacieux du “socialisme en un seul pays”.
16) La dictature du prolétariat doit veiller à ce que les formes et les procédés de contrôle des masses soient multiples et variés afin de parer à toute ombre de dégénérescence et de déformation du pouvoir des soviets, dans le but également d’arracher sans cesse “l’ivraie bureaucratique”, excroissance qui accompagne inévitablement la période transitoire. La sauvegarde de la révolution est conditionnée par l’activité consciente des masses ouvrières. La véritable tâche politique du prolétariat consiste à élever sa propre conscience de classe comme à transformer la conscience de l’ensemble des couches travailleuses, tâche à côté de laquelle l’exercice de la contrainte se manifestant au travers des organismes administratifs et policiers de l’Etat ouvrier est secondaire (et le prolétariat doit veiller à en limiter les plus fâcheux effets). Le prolétariat ne doit pas perdre de vue ceci : que “tant qu’il fait encore usage de l’Etat, il ne le fait pas dans l’intérêt de la liberté, mais pour avoir raison de son adversaire”.