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Mars. 78, c’était l’espérance, pour beaucoup, que si la gauche parvenait au pouvoir, enfin « tout allait changer » ! L’espérance était la même, en mai 36, quand les élections législatives donnèrent la majorité à la gauche.
Alors, voyons la suite. Le 4 juin, les partis unis de la gauche forment le gouvernement de Front Populaire. La bourgeoisie n’a pas trouvé d’autre moyen, en effet, pour essayer d’en finir avec le mouvement de grèves qui paralyse le pays. Le président Lebrun supplie Blum de lancer un appel aux ouvriers par radio : « Dites-leur que le parlement va se réunir, que, dès qu’il sera réuni, vous allez lui demander le vote rapide et sans délai des lois (sociales)... ils vous croirons... et alors, peut-être le mouvement s’arrêtera-t-il ? » Car le but est bien là. Le 7, les entretiens entre la Confédération Générale du patronat français et la CGT, en présence de Blum, représentant le gouvernement, aboutissent à la signature des accords Matignon qui sont censés donner des avantages au prolétariat.
Le lendemain, les journaux « de gauche » publient l’accord en criant à la victoire et au triomphe. Quelle est donc cette victoire ? Quels sont ces acquis pour le prolétariat ?... « La délégation patronale admet l’établissement immédiat de contrats collectifs de travail... » « Liberté... d’adhérer librement... à un syndicat professionnel ». « Les salaires réels pratiqués... réajustés... » Promesse de « ...négociations pour la fixation par contrat collectif de salaires minima, par région et par catégorie... » « ...dans chaque établissement employant plus de 10 ouvriers, après accord entre organisations syndicales ou, à défaut, entre les intéressés, il sera institué deux titulaires ou plusieurs délégués ouvriers... » en vue « ...de présenter à la direction les réclamations individuelles qui n’auraient pas été directement satisfaites. » et, en conclusion : « la délégation confédérale ouvrière demandera aux travailleurs en grève de décider la reprise du travail dès que la direction des établissements aura accepté l’accord intervenu et dès que les pourparlers relatifs à son application auront été engagés entre les directions et le personnel des établissements ».
Paris, le 7 juin 36. Les ouvriers, moins impressionnés par ces accords que les journaux « de gauche », tardent à reprendre le travail. C’est alors, le 11 juin, le célèbre discours de Thorez qui deviendra le refrain, dans la bouche des Jouhaux, Cachin, Duclos et consorts pour faire reprendre le travail : »...il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue. Il faut même savoir consentir au compromis si toutes les revendications n’ont pas encore été acceptées mais que l’on a obtenu la victoire sur les plus essentielles revendications ». Et, pour hâter la reprise du travail, seront alors ajoutées les fameuses lois sociales du 21 juin 36 :
• les 40 heures : « ...la durée du travail effectif des ouvriers et employés de l’un et de l’autre sexe et de tout âge ne peut excéder 40 heures par semaine », et cela, sans réduction de salaire ;
• les congés payés d’une durée de deux semaines pour tous les travailleurs.
Devant ce qui apparaît comme des acquis, la lutte s’effrite puis finit par s’arrêter. Mais, à partir du moment où le prolétariat arrête sa lutte, cela signifie, en période de décadence, que la bourgeoisie entame la reconquête du terrain momentanément concédé.
Voyons plus loin, en effet. Qu’en est-il, de cette soi-disant victoire dont parle Thorez ?
Les conventions collectives .
Non seulement, grâce au syndicat, elles tentent d’enfermer la lutte du prolétariat dans un cadre légal, mais, en plus, sanctionnant le reflux de la lutte, une loi vient s’ajouter, dès décembre 36, aboutissant, au terme de son évolution à la loi du 4 mars 38, rendant « l’arbitrage » obligatoire en cas de conflit, ce qui vaut aux métallos par exemple, l’énorme avantage, désormais, d’être obligés à « un délai d’une semaine franche avant de recourir à la grève ». Le syndicat fera respecter l’esprit d’arbitrage. Avant même qu’il soit rendu obligatoire, le syndicaliste Jouhaux se déclarait « satisfait des résultats des arbitrages » même si « l’arbitrage ne peut apporter 100 % de satisfaction aux travailleurs »! Et si, en 36, notre PC national élevait la voix par rapport à cela... c’est parce que la classe ouvrière n’était pas encore tout à fait battue ; il fallait donc mettre des nuances pour pouvoir arriver en 38 à la déclaration de Croizat -député communiste- à la Chambre : « La classe ouvrière veut l’ordre. La grève n’est pour elle qu’une ultime nécessité qui lui est imposée par l’arbitraire patronal. La classe ouvrière applaudira si nous lui donnons les moyens de suppléer S la grève... » Un acquis ? Oh oui ! mais pour l’Etat qui a enfin compris que le syndicat lui est un précieux auxiliaire qui lui permet de développer sa présence policière jusque dans les usines ! N’est-ce pas le syndicat qui aura sans cesse prêché l’ordre, la sagesse et l’esprit de conciliation aux prolétaires en lutte lorsqu’il répétait par la bouche de la CGT sur tous les airs ce même refrain : que le mouvement doit rester « paisible, ordonné et propre (sic!!)... » et encore quand il invitait « les délégués de toutes les entreprises encore en grève à redoubler d’activité en vue de la conclusion d’accords... et de faire preuve de l’esprit de conciliation... ! » ‘ -
Quand la décadence du capital, dans sa phase de crise mortelle, impose à l’Etat de préparer sa seule issue : la guerre, l’Etat, plus que jamais, se voit contraint de contrôler toute la société pour orienter vers elle toutes ses énergies. C’est le syndicat, dans l’usine (nous le verrons plus loin), qui se chargera de cette besogne. Une victoire alors ? Oh oui ! pour l’Etat, puisqu’il se renforce face à son ennemi, le prolétariat.
Les Salaires.
Autre grande victoire ! Suite aux grèves de mai-juin, les métallos parisiens, par exemple, obtiennent une augmentation de 22 % environ. Pendant les six derniers mois de 36, les salaires restent inchangés, malgré une hausse du coût de la vie de l’ordre de 25 %. En mars 37, suite à deux réajustements, les salaires se trouvent augmentés de 12,84 %. Les salaires ne sont plus modifiés jusqu’à la fin d’octobre 37. Or, à ce moment-là, la hausse du coût de la vie depuis juin 36 atteint : 50 % ! Dans le meilleur des cas, les augmentations de salaire acquises sont réduites à néant : la vérité, c’est qu’il n’y a plus d’augmentation réelle possible ; elle est mangée immédiatement par la hausse des prix. Alors, pour qui la victoire ?
les 40 heures !
Les plus cyniques osent dire : « juridiquement » cela n’a jamais pu être aboli! Laissons le droit et regardons les faits.
-un décret général du 21 décembre 37 stipule la récupération des heures perdues dans les industries souffrant de morte saison. « Cela est valable dans le industries et commerces assujettis à la loi de 40 heures. »
-et encore... autorisation d’heures supplémentaires dans les secteurs essentiels de la vie économique : dès le 29 juillet 37, par arrêté, cela concerne les mines de fer, et, le 21 décembre 37 les mines de charbon. On institue même un Comité d’Enquête sur la productivité du travail, à l’initiative... de la CGT bien sûr! Mais rassurez-vous, c’est uniquement pour démontrer le caractère calomnieux des affirmations patronales sur les baisses de rendement. Le travail de ce comité trouve son heureux aboutissement dans « l’assouplissement » (!) des premiers décrets et instaure des dérogations supplémentaires... pour les industries intéressant la défense nationale. La CGT prépare la guerre.
-Le 21 décembre, une autre dérogation, toujours exceptionnelle, pour les industries souffrant d’une insuffisance de main d’oeuvre qualifiée. Les décrets de novembre et décembre 38 verront l’institution de sanctions contre les refus d’heures supplémentaires! (cela est encore valable). Enfin nous touchons au but : le décret du 21 avril 39 supprime les majorations de salaires pour les heures comprises entre la 40ème et la 45ème heure!
C’est une victoire en effet, un triomphe... mais pour la bourgeoisie de droite et de gauche qui prépare sa guerre.
-Mais il reste les deux semaines de congés payés. Que représentent-elles? Peu de temps après la promulgation des premiers décrets, le patronat réclame la récupération des fêtes de Noël et du 1er de l’An. Le gouvernement, « de gauche » appuie la demande. Les syndicats recommandent à leurs adhérents d’accepter cette récupération qui doit se limiter, paraît-il, à ces deux jours fériés. En fait, la récupération sera étendue à toutes les fêtes légales et même aux fêtes locales. C’est environ 80 heures de travail supplémentaire par an qui sera ainsi récupéré. Faisons le compte, cela fait exactement deux semaines, les deux semaines de congés payés.
Par ailleurs, il est à noter que ces fameux congés payés, sous une forme ou sous une autre, ont été accordés à la même époque dans la plupart des pays développés, sans qu’il y ait eu forcément de luttes ouvrières pour les amener. C’est qu’outre le fait qu’il est possible au capital de les récupérer sous un autre biais, ces congés ne font que prendre en compte la nécessité absolue de repos supplémentaire en vue de la reconstitution de la force de travail de plus en plus exploitée. Nécessité absolue pour chaque capital national s’il veut conserver des ouvriers « rentables » face à l’accentuation des cadences pour produire au plus bas prix et tenter de rester commercial sur un marché international qui a atteint ses limites.
Une victoire ? Qui aura encore le cynisme de parler de victoire ?
Ainsi, la deuxième guerre impérialiste qui se prépare depuis 1930 peut enfin arriver à terme grâce à la gauche et au syndicat qui auront réussi à démoraliser, mystifier, diviser et vaincre la classe ouvrière. La « gauche » sera fière d’avoir réussi, elle le proclamera, les uns vantant la méthode, c’est Blum quand il déclare : « il faut noter qu’au point de vue de l’ordre public, cette forme de grèves a d’incontestables avantages. Les ouvriers occupent l’usine, mais il est vrai que l’usine occupait les ouvriers. Les ouvriers étaient là et pas ailleurs. Ils n’étaient pas dans la rue. Au moment où ils étaient tous groupés dans l’usine, ils ne formaient pas ces cortèges avec des chants, des drapeaux rouges, qui viennent se heurter aux barrages de police... ». Et oui, enfermés dans les usines, quand ils les occupaient, les ouvriers ne menaçaient pas l’Etat. Les autres vantent l’esprit qui les anime et c’est le PC qui conclue : « Les communistes ont manifesté leur volonté inébranlable de défendre le pays en votant les crédits de défense nationale... sur le champ de bataille, des communistes soldats ont déjà versé leur sang ».
Il y a effectivement de quoi être fier d’avoir contribué à l’accomplissement d’une telle oeuvre, la survie du capital : la 2ème boucherie mondiale fera 55 millions de morts...
Les prolétaires doivent en tirer les leçons.
Comme dans les années 30, le capital est mondialement en crise, et une crise de plus en plus aiguë.
Le capital ne survit plus que dans un cycle infernal de crise, guerre, reconstruction, crise...
Comme dans les années 30, l’heure de la gauche au pouvoir se précise avec aussi un programme qui, lui aussi, promet d’accorder les 40 heures,les loisirs, davantage de congés payés, le SMIC à 2400 F et des augmentations de salaires
Plusieurs leçons doivent être tirées, Nous n’en soulignerons qu’une, mais qui est d’importance, capitale pour le prolétariat : étant définitivement entré dans sa phase de décadence, le capital ne peut plus accorder aucun avantage important et durable ! Le prolétariat ne peut plus espérer, comme au 19ème siècle, s’aménager une place moins mauvaise dans le capital. La seule alternative désormais est : guerre ou révolution. La sinistre mascarade de la gauche au pouvoir et des soi-disant avantages acquis sont là pour l’illustrer. Tous ceux, depuis la gauche, les syndicats et les gauchistes de tout poil qui avec un langage qui se veut ouvrier et plus ou moins radical parlent des acquis de 36 sont les ennemis mortels de la classe, aujourd’hui et demain.
En 36, mondialement, la classe ouvrière était faible. Elle se relevait d’une défaite sanglante, celle de la vague révolutionnaire des années 17-23. Mais, demain, quand la lutte se généralisera, à l’inverse des années 30, c’est un prolétariat ayant refait le plein de ses forces physiques et fort des leçons de ses défaites qui se dressera contre toute cette racaille : syndicats, gauche et extrême-gauche, les démasquant pour ce qu’ils sont : les meilleurs défenseurs du capital.
A.B.