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Aujourd'hui, les syndicats occupent massivement le terrain social et l'on assiste à un retour en force du syndicalisme dans les rangs ouvriers. Après s'être laissée manipuler par les syndicats en novembre-décembre 95, la classe ouvrière se retrouve désemparée, hésitante à reprendre le chemin de ses luttes, sans perspective claire, face aux attaques de la bourgeoisie.
Il y a juste 10 ans, à travers la lutte à la SNCF de l'hiver 1986, la classe ouvrière démontrait pleinement à l'inverse que les prolétaires n'avaient pas besoin des syndicats pour développer et étendre leurs luttes et qu'ils étaient capables de créer une dynamique de lutte et d'inquiéter la bourgeoisie en se dégageant de l'emprise syndicale.
Contrairement à la formidable publicité nationale et internationale dont a "bénéficié" novembre-décembre 95 pour piéger les ouvriers, la bourgeoisie fait tout pour étouffer la mémoire de cette lutte en la décriant comme une "grève purement corporatiste", afin d'en dénaturer le sens et la portée.
Les ouvriers prennent l'initiative de la lutte en dehors et contre les syndicats
Cette grève à la SNCF de la fin 1986 s'intégrait dans une vague de luttes et de mobilisation ouvrière en Europe occidentale, vague dans laquelle s'exprimait une forte volonté d'unité, comme par exemple chez les mineurs du Limbourg, en grève au printemps 1986, qui avaient envoyé des délégations massives vers d'autres secteurs de la classe ouvrière. Cependant, malgré cette pression, les syndicats étaient parvenus à organiser et à prendre la tête des manifestations massives, empêchant ainsi la jonction des luttes en Belgique entre secteur public et secteur privé.
La lutte à la SNCF en France, démarrait quant à elle dans la nuit du 18 au 19 décembre 1986, lorsqu'un groupe de conducteurs de trains de Paris-Gare du Nord cessait le travail hors de toute consigne syndicale contre à la "nouvelle grille de travail" et les suppressions d'emploi prévues par la direction. Avant même les négociations qui devaient avoir lieu le 6 janvier suivant, les ouvriers prenaient l'initiative et appelaient les autres cheminots à une assemblée générale. L'assemblée décidait immédiatement la grève, sans aucun préavis. Les grévistes bloquaient tout le trafic ferroviaire de Paris région-Nord et lançaient des appels aux roulants des autres zones à les rejoindre dans la lutte. Avec une rapidité foudroyante, 48 heures après le premier arrêt de travail, la grève des conducteurs était pratiquement générale, impliquant 98% des agents de conduite. Les rares trains qui circulaient étaient conduits par le personnel d'encadrement ou des élèves-conducteurs non qualifiés pour cette tâche et le mouvement s'étendait à la quasi-totalité des dépôts, sans qu'aucun syndicat n'ait appelé au moindre débrayage.
En plusieurs endroits, la grève entraînait derrière elle les autres catégories et les autres secteurs de la SNCF. Partout, le mouvement s'était étendu à l'initiative des seuls ouvriers. Partout s'affirmait la claire et manifeste volonté des grévistes de prendre en charge la lutte par eux-mêmes et de la conserver entre leurs mains, sans laisser les syndicats négocier à leur place. A large échelle, s'instaurait la pratique générale d'assemblées, de permanences, de regroupements où l'on discutait de la conduite, de la reconduction, de l'organisation de la grève, où l'on décidait ensemble des actions à mener. Non seulement le mouvement échappait au contrôle des syndicats mais il exprimait au grand jour l'accumulation d'une défiance profonde et massive vis-à-vis d'eux et de leur travail de sabotage des luttes ouvrières.
Les syndicats n'avaient pas organisé moins de 14 "journées d'action" en cours d'année dans ce secteur pour tenter d'épuiser les ouvriers. Les centrales syndicales dénonçaient tout d'abord la grève et tentaient de la saboter. En particulier, la CGT, minoritaire chez les agents de conduite mais majoritaire au niveau de l'ensemble du personnel SNCF, allait s'opposer ouvertement à la grève depuis les premières heures du conflit jusqu'au 21 décembre à 18 heures, à la veille de l'ouverture de négociations entre syndicats et direction. Dans certains dépôts de la région parisienne, elle appelait à la reprise du travail, dans d'autres (Paris-Austerlitz ou Miramas sur le réseau Sud-Est), elle allait jusqu'à organiser des "piquets de travail", face à un mouvement qui se situait non seulement en dehors des syndicats mais aussi contre eux. Pour la bourgeoisie, il devenait rapidement évident que les syndicats étaient totalement débordés, impuissants, en dehors du coup. Elle savait aussi qu'il existait un risque d'extension de la lutte ouvrière, tant dans la Fonction publique et les entreprises nationalisées que dans le secteur privé. Des signes de colère et d'une méfiance généralisée envers les syndicats s'étaient déjà manifestés à l'EDF, dans les PTT, à la RATP où d'autres "journées d'action" syndicales étaient programmées au cours des semaines suivantes et alors qu'un mouvement de marins, rejoints en solidarité par des ouvriers et des dockers, paralysait les ports du pays depuis près d'un mois.
La contre-offensive de la bourgeoisie et de ses syndicats
La bourgeoisie utilisait alors son principal atout : jouer sur la période des fêtes de fin d'année qui s'ouvrait pour prévenir ce risque d'extension du conflit, notamment dans le secteur public, et pour asphyxier et isoler la lutte des cheminots. Pour cela, il lui fallait favoriser la réintégration des syndicats dans le mouvement. La CGT et les autres syndicats cessaient de s'opposer à la grève, donnant désormais ordre à leurs troupes de rattraper le mouvement, se faisant notamment les champions de l'élargissement de la lutte aux autres catégories de personnel de la SNCF où elle disposait d'une plus grande influence. Les négociations s'ouvraient dès le lendemain entre une direction et des syndicats seuls reconnus habilités à représenter les grévistes. Au cours de celles-ci, l'intransigeance affichée par la direction permettait aux syndicats de se radicaliser en se présentant à nouveau comme des "défenseurs des ouvriers" et solidaires d'eux. Mais cela ne pouvait suffire. Et c'est justement parce que les syndicats étaient totalement débordés que la bourgeoisie n'avait pas d'autre choix, pour combler le vide laissé par ses organes traditionnels d'encadrement des luttes ouvrières, que de recourir à des structures para-syndicales et «syndicalistes de base», animées par des gauchistes : les fameuses "coordinations" (l'une plus particulièrement dirigées par les trotskistes de LO, l'autre par ceux de la LCR). Ces «coordinations» ont alors accompli exactement le même sale boulot que les syndicats en enfermant les cheminots dans le piège du corporatisme et en constituant un service d'ordre musclé pour filtrer et interdire l'accès des AG aux «éléments extérieurs à la SNCF». C'est ainsi par exemple que des postiers venus apporter leur solidarité ont été vidés manu militari de l'AG par les «coordinations» pour la simple raison qu'ils n'étaient pas cheminots.
Parallèlement, un mouvement de grève engagé dans le métro se durcit et commence à gagner les dépôts de bus de la RATP : le trafic se retrouve quasiment bloqué à la veille de Noël. La CGT et la CFDT étaient contraintes de s'y joindre, sous peine de perdre tout crédit. Mais dans les heures qui suivent, les syndicats, chacun tirant de son côté, parviennent à faire cesser la grève à la RATP en présentant l'ouverture immédiate de négociations dans cette entreprise comme un succès et en faisant de vagues promesses sur la "défense" de certaines revendications spécifiques. Cela a pour effet de démoraliser nombre d'ouvriers et de casser la dynamique d'extension de la lutte. Malgré la détermination apparemment intacte des grévistes à la SNCF, la réapparition progressive des syndicalistes au premier rang accompagne un repli sur une "solidarité" purement corporatiste, un enfermement dans la SNCF et des "actions" de blocage de voies ferrées. Dès qu'ils ont pu remettre le pied à l'étrier, les syndicats ont organisé le sabotage de la lutte et l'ont entraînée vers la défaite la plus cuisante, pleinement épaulés par le travail des "coordinations". C'est après que toute la bourgeoisie se soit bien assurée que les ouvriers de la SNCF étaient enfermés dans le piège du corporatisme et de l'isolement, que leur combativité ait été épuisée dans un conflit long et jusqu'au-boutiste par les "coordinations", autant d'ingrédients ayant fait pourrir la grève sur pied, que les syndicats ont organisé, début 1987, une pseudo-extension de la lutte dans les autres secteurs, en particulier dans le service public. Cette contre-offensive avait pour objectif essentiel d'amplifier et d'élargir la défaite des ouvriers sous la houlette syndicale. La bourgeoisie cherche à persuader les prolétaires qu'ils n'ont pas d'autre alternative aujourd'hui que de lutter derrière les syndicats. L'expérience de 1986 illustre tout le travail de sabotage des syndicats contre la dynamique des luttes ouvrières. Mais elle démontre surtout que les ouvriers ont les moyens d'étendre la lutte et de la prendre en mains en dehors des structures syndicales. La classe ouvrière doit se réapproprier cette expérience pour reprendre confiance en ses propres forces et retrouver sans hésiter le chemin de ses combats de classe.