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Pour pouvoir déployer pleinement sa manoeuvre, la bourgeoisie se devait d'embarquer, dans le «mouvement» qu'elle a provoqué, derrière les cheminots, d'autres secteurs importants de la classe ouvrière. Voilà pourquoi, les centres de tri parisiens qui, par le passé, ont toujours fait preuve de combativité et de résistance aux magouilles syndicales, sont dès le début, une cible de choix pour l'ennemi de classe. Celui-ci, par l'intermédiaire de ses syndicats et de ses gauchistes, a tout fait pour les précipiter dans la «lutte». C'est ainsi que le centre de tri PTT de Paris Austerlitz est en grève depuis le mardi soir 28 novembre. Et c'est après la visite et l'intervention très appuyée de délégations de cheminots et du centre de tri du PLM (Gare de Lyon), dominées par des syndicalistes de bases (les pontes syndicaux se sont faits discrets à ce moment-là), que le centre s'est mis en grève. Pour emporter la décision et faire basculer les hésitants, tous les moyens sont utilisés, depuis les discours les plus «radicaux» et les plus «combatifs» jusqu'à la présence, au sein de l'AG, d'une éminente journaliste du «Monde » qui a été amenée là pour «témoigner» de l'«élargissement du mouvement» (ce qu'elle fera dès le lendemain à la une de son journal). Depuis lors, la grève a touché au mieux dans ses moments forts 50% du personnel. Dès le départ, les syndicats CGT, SUD, et LO ont pris la direction, l'organisation et le contrôle des assemblées quotidiennes. Par des interventions interdisant toute réelle discussion, «On ne va pas chipoter, il faut y aller», «Nous sommes OBLIGES de suivre les cheminots», ils ont vidé les AG de leur rôle décisionnel et souverain qui passe justement par le débat et la réflexion collective sur les buts et les moyens de la lutte. En ne laissant d'autre choix aux participants de ces AG que celui de la grève «reconductible» -mais dans les faits, longue et illimitée-, les syndicats ont réussi à imposer une dynamique «jusqu'au-boutiste» qui ne pouvait qu'effrayer les hésitants, nombreux, et les exclure de la lutte. Dans les brigades de nuit, sur une centaine de postiers, la moyenne des votes pour la grève a été entre 40 et 45. Souvent en dessous de 40. De fait, dans la grève, les syndicats ont créé une division entre participants aux AG et non-participants, entre grévistes et non-grèvistes. Les militants de LO ont été le fer de lance de l'enfermement des AG dans la lutte longue et aveugle : «Comment pouvons-nous hésiter à faire grève alors que les cheminots ont déjà perdu tant de jours ?», «Nous ne pouvons laisser les copains en grève, il faut tenir, et tenir encore». Et lorsque ces arguments, qui visent à culpabiliser les ouvriers qui s'interrogent, n'ont plus été efficaces, lorsqu'une brigade de nuit a suspendu la grève pour un week-end, tout en affirmant dans une motion sa mobilisation, les militants de LO se sont opposés à la tenue de l'assemblée. Pour les syndicalistes, une assemblée n'est «souveraine» que pour voter... ce qu'ils ont décidé.
Aujourd'hui, après 17 jours, la grève continue de façon minoritaire. Mais déjà, tout comme dans les autres secteurs, les syndicats vont maintenant jouer de leur division pour le pourrissement de la grève et sa défaite. Par exemple, LO qui dirige les AG des brigades de jour, a proposé à SUD et à la CGT de prendre en main celles-ci. Ce que ces derniers ont refusé, trop contents de laisser le sale boulot à LO. D'ailleurs l'organisation trotskite s'y prépare en affirmant dans son bulletin de boîte du 12 décembre que si la grève «devait se terminer sur ce qu elle a déjà obtenu, ce serait une victoire pour tous»... alors qu'ils disent le contraire dans les AG. Les syndicats vont essayer de se renvoyer la responsabilité de la reprise du travail et laisser les assemblées se déliter petit à petit, provoquant ainsi le retour au travail des grévistes, chacun dans son coin, individuellement, aggravant le sentiment amer de l'impuissance et de s'être «fait avoir». A part dire oui ou non à la grève illimitée, les assemblées n'ont eu aucun pouvoir, ni aucun contrôle. Malgré quelques timides tentatives, à aucun moment les travailleurs du centre n'ont pu prendre l'initiative et disputer la direction de la lutte aux syndicats. Ce sont les syndicats et LO qui ont tenu les AG, qui ont organisé la grève et les délégations, qui ont eu le monopole des informations et qui ont mené cette grève là où elle en est arrivée. Ce sont les syndicats qui ont décidé des manifestations. Ce sont les syndicats qui négocient sans aucun contrôle de la part des ouvriers ce qui leur laisse toute latitude pour s'entendre avec le gouvernement. Ce sont les syndicats qui magouillent entre eux pour finir la grève dans l'échec. Laisser l'initiative et la direction des luttes aux syndicats mène à la division et à la défaite.
"Révolution Internationale" n°252
Janvier 1996