Soumis par Internationalisme le
Après tout le battage autour du film documentaire d'Al Gore Une vérité qui dérange, du sommet fin janvier à Paris du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (IPCC en anglais), c'est le sommet européen de mars qui s'est penché sur le réchauffement climatique. Ils déclarent tous haut et fort leur volonté d'agir pour protéger l'environnement et rendre sûr l'avenir des générations futures. Cependant, malgré les précédentes déclarations enflammées du sommet Planète Terre à Rio (1992) ou les résolutions du Protocole de Kyoto (1998), c'est à vue d'œil qu'augmente la pollution et que les menaces liées à un dérèglement climatique s'amplifient. Indéniablement, la sonnette d'alarme pour le climat qui retentit maintenant suscite beaucoup d'inquiétude dans la po-pulation, et surtout chez les jeunes, qui entrevoient en conséquence un avenir encore plus sombre.
Dans l'enchevêtrement de déclarations et de campagnes mystificatrices, bon nombre de questions sur les causes, les liens entre les phénomènes et les solutions restent sans réponse.
Pour stimuler ce processus de réflexion, le CCI organise différentes réunions publiques, pour susciter un débat réel. Ce fut entre autres le cas à Bruxelles, le 17 mars dernier. Pour faire de cette réunion publique un lieu de discussion aussi vivant et ouvert que possible, nous avons demandé à un jeune sympathisant s'il voulait en préparer l'introduction. C'est avec enthousiasme qu'il a accepté cette proposition, et son exposé a été chaleureusement accueilli par le CCI et tous les participants, dont la moitié environ étaient des jeunes. La discussion lors de cette réunion a été très vivante, entre autres du fait d'une large participation des jeunes. L'effort désintéressé et honnête de tous les présents a témoigné une préoccupation commune pour la recherche, aux côtés du CCI, d'une argumentation claire et de réponses. Comme l'a affirmé un intervenant : "La recherche de la vérité est plus importante que la vérité elle-même".
Tous les sujets n'ont pas pu être traités, ce qui a été ressenti comme une frustration par certains participants. Une frustration positive, qui témoigne de la soif de continuer, engendrée par le débat! En conséquence, des rendez-vous ont également été pris pour une poursuite.
Nous publions ci-dessous l'exposé, ainsi que les grandes lignes du débat.
L'exposé
C'est maintenant officiel: le rapport de l'ONU sur le climat nous dit qu'en ce moment des changements climatiques menaçants sont à l'œuvre et seront encore plus sensibles à l'avenir. On pourrait discuter la crédibilité de ce rapport. Un article dans EOS (Ongemakkelijke waarheden? EOS n° 1, janvier 2007), un mensuel de science et de technologie, nous explique que les éléments sur lesquels se fonde GIEC, le groupe de recherche des Nations Unies qui étudie le changement climatique, se basent sur des données insuffisantes et incomplètes. Il est certain que des changements climatiques importants sont en cours, et que nous pouvons nous attendre aux plus graves scénarios-catastrophes: animaux, plantes, écosystèmes entiers vont disparaître ou se déplacer; sécheresse et famine augmentent; pendant les vagues de chaleur, plus d'enfants et de personnes âgées ou malades périront; dans les régions touchées par des tempêtes et des précipitations, plus de victimes encore tomberont; des maladies se répandront plus rapidement; si les courants marins s'arrêtent, il pourrait faire glacial en Europe occidentale; on peut s'attendre à des millions de réfugiés écologiques, etc. Mais le but de la discussion que nous allons mener aujourd'hui n'est pas de redécouvrir la climatologie, mais d'aborder l'aspect social, pour mener une réflexion à propos de la propagande de la classe dominante.
- Les changements climatiques sont-ils dus à "l'Homme", à "l'humanité", comme nous le suggère le rapport de l'ONU? Le journal De Morgen titre: "C'est presque certain: c'est notre faute", en se référant au rapport des Nations Unies, où il est dit que "l'Homme" est presque certainement responsable du réchauffement de la terre à cause de l'utilisation des combustibles fossiles. "L'humanité", que veut dire cette conception abstraite? Est-ce ce monstre irréfléchi et égoïste, incapable de penser à long terme, qui ne pense pas aux générations suivantes? Mais est-ce que toi ou moi, bien que nous soyons préoccupés par l'avenir, avons quelque chose à dire sur la manière dont les gouvernements s'occupent du problème? Non, selon moi la cause du phénomène n'est pas "l'Homme" ou "l'humanité".
- Alors, la cause des changements climatiques est-elle le citoyen, ou en d'autres termes l'individu? Nous utiliserions trop d'énergie, trop d'eau, nous roulerions trop en voiture. C'est ce que nous racontent toujours les médias. Serait-ce à chaque individu d'adapter son comportement de consommateur ou sa consommation d'énergie? Mais dans la société actuelle, on ne peut choisir qu'entre une voiture polluante et une moins polluante, entre un moyen de chauffage polluant mais meilleur marché et des panneaux solaires, plus chers. Pourquoi travaillons-nous la nuit, à la lumière artificielle, au lieu de travailler de jour, à la lumière du soleil? Non, la faute n'incombe pas à l'individu.
- La source du phénomène est-elle l'industrie? En elle-même, l'industrie n'est pas quelque chose de mauvais. Au dix-neuvième siècle, avec le capitalisme en plein développement, l'industrie était florissante, une indication du caractère alors progressiste du système de production capitaliste, puisque pour la première fois dans l'histoire, l'industrie nous offrait la possibilité de produire trop. A partir de ce moment, les besoins de base de tous les hommes pouvaient potentiellement être satisfaits.
- Ou la responsabilité des changements climatiques incombe-t-elle à la société capitaliste, au système de production capitaliste? Selon moi, la véritable origine des changements climatiques n'est effectivement pas dans la "nature destructrice de l'homme", ou dans les "comportements consciemment ou inconsciemment polluants de l'individu", ou enfin dans l'appareil de production en tant que tel, mais dans la manière dont l'industrie, la science et la technique sont aujourd'hui utilisées et développées, donc dans le système de production actuel. Car si les techniques actuelles et les connaissances scientifiques nous offrent la possibilité de limiter, voire d'éviter la catastrophe écologique, alors pourquoi la société capitaliste ne nous offre-t-elle pas cette possibilité?
Pouvons-nous résoudre le problème des changements climatiques au sein de la présente société capitaliste, des structures économiques, politiques et sociales actuelles? L'Etat, ou une association d'Etats peuvent-ils résoudre le problème? C'est la question suivante qu'il faut se poser. Est-ce que le capitalisme peut sauver l'humanité, par exemple au travers de ses structures politiques, son Etat? J'en doute. Vera Dua, présidente de Groen!, écrivait en mars 2007 sur le site de ce groupe: "On émet à peine moins de CO2 qu'au début des années 1990. Alors qu'il est maintenant clair que dans la période après Kyoto, des efforts encore beaucoup plus importants devront être faits". C'est donc très clair: même la bourgeoisie concède que son protocole "révolutionnaire" de Kyoto n'apporte rien. Et que signifient concrètement ces "efforts beaucoup plus importants"? Payer plus cher les sacs-poubelles, l'électricité et l'eau? Céder une part du salaire de chacun "pour l'environnement"? Les Etats du monde entier peuvent-ils s'unir par-dessus les frontières et former un bloc pour prévenir cette catastrophe? Si les pourparlers entre Etats produisent des résultats au même rythme qu'au récent sommet européen sur le climat, c'est mal parti.
Au sens large, ce problème écologique en revient à poser la question de savoir si le capitalisme peut satisfaire les besoins humains, et donc aussi s'il est capable d'assurer à chacun un environnement sain. S'il existait pour satisfaire les besoins humains, on n'aurait pas en même temps une surproduction de nourriture et des famines, on utiliserait depuis longtemps des moyens de transport non polluants, et on développerait la science dans d'autres directions que la production d'armes de haute technologie, particulièrement polluantes.
La dernière question, peut-être la plus importante à laquelle il faudrait répondre est: quelle alternative à la société capitaliste, qui semble être à l'origine de cette misère écologique? Le débat est ouvert.
La discussion
Différents participants ont montré par de nombreux exemples qu'effectivement, déjà avec le niveau actuel de la science et de la technologie, beaucoup de choses sont possibles avec des conséquences beaucoup moins nuisibles. C'est ainsi entre autres qu'on a parlé de projets spectaculaires mis en oeuvre dans différentes parties du monde par un bureau d'architectes de New York. Mais la discussion a rapidement montré qu'aujourd'hui, de telles expériences ne voient le jour qu'à la condition de mener à un profit suffisant. Dans un certain nombre de cas, ces projets ne servent qu'à donner une image de "bonne volonté" ou comme vitrine prestigieuse pour pallier la mauvaise réputation d'entreprises polluantes (par exemple, Shell, Nike, Monsanto). Mais cette discussion a révélé qu'implicitement, sur le plan scientifique et technologique, les jalons d'une autre manière de produire et de vivre sont présents. Les intervenants étaient d'accord que la seule entrave à la réalisation de cette alternative était celle du capitalisme et des lois du marché, pas les limites de la technologie ou de la science.
Rapidement, la discussion a tourné autour de la question "Quelles sont alors les causes? La nature humaine? L'individu? Le capitalisme?". Le Rapport de Paris désigne l'homme et l'individu consommateur comme un pollueur: "chacun participe à la problématique (voiture, sacs plastiques, chauffage...)", c'est comme ça qu'il pose le problème. Mais tout est individualisé, bâti selon les règles de la concurrence mortelle, et n'a donc pas de solution individuelle, ont répondu les participants. Ce rapport n'apporte qu'un sentiment de culpabilité.
Différents intervenants ont essayé de montrer qu'effectivement, l'homme modifie son environnement, la nature, et que les modifications climatiques ne sont pas seulement un phénomène naturel, mais sont de plus en plus provoqués par l'activité humaine. Ce n'est pas nouveau. Auparavant, nous connaissions le développement de l'élevage et de l'agriculture, la croissance des grandes villes, accompagnée d'une déforestation massive, jusqu'à 60 % de la surface boisée de la planète, surtout aux dix-huitième et dix-neuvième siècles. Mais si dans le temps les conséquences demeuraient limitées -bien que beaucoup de maladies y trouvent leur explication- elles sont actuellement devenues incontestables à grande échelle dans le monde entier. Lorsque le système a entamé sa phase de décadence au début du vingtième siècle, les ravages sur le milieu naturel ont pris toutes autres dimensions. Ils deviennent impitoyables, comme est impitoyable la lutte que se livrent entre eux les rats capitalistes pour se maintenir sur le marché mondial. Réduire les coûts de production au minimum pour être aussi concurrentiel que possible devient une règle incontournable pour survivre. Dans ce contexte, les mesures visant à endiguer la pollution industrielle deviennent naturellement un surcoût inacceptable. Le capitalisme ne s'est jamais beaucoup préoccupé du bien-être de la planète ou de l'humanité, mais avec sa décadence historique, c'est devenu beaucoup plus grave et le processus s'accélère. L'accumulation de capital est le premier but de la production capitaliste, et le sort imposé à l'humanité ou à l'environnement n'a aucune importance... tant que ça rapporte, c'est bon. Le reste est finalement quantité négligeable, un détail sans importance. Un participant cite Marx à ce propos: "L'accumulation pour l'accumulation, la production pour la production, c'est le mot d'ordre de l'économie politique qui annonce la mission historique de la période bourgeoise. Et elle n'a jamais été freinée par les souffrances qui accompagnent la production de richesse: à quoi serviraient ces lamentations qui ne changent quand même rien à ces nécessités historiques inévitables?" (Karl Marx, Le Capital - Livre I).
Un aspect largement abordé est la question de savoir si le drame écologique pourrait être le moteur d'une prise de conscience à l'échelle mondiale. D'une part, certains ont argumenté que la frustration pouvait être retournée dans un sens positif: "ce n'est plus possible de continuer, mais il y a des solutions". L'ensemble de l'humanité est concerné sur toute la planète, c'est un ennemi commun. Et donc, il y a une très grande base possible pour l'alternative. Mais, ont répondu d'autres, les campagnes idéo-logiques qui sont menées actuellement à grand bruit vont à l'encontre de la prise de conscience du fait que le capitalisme en est le responsable. Elles ont pour but d'empêcher que le problème du changement climatique soit mis en rapport avec les autres désastres sur le plan mondial: la faim, la guerre, le flux des réfugiés, les maladies, la crise de surproduction. Avec les campagnes autour de l'actuelle menace, la bourgeoisie tente, exactement comme elle l'a fait dans les années 1950 à 1990 autour de la menace atomique, de diffuser le message selon lequel "si on résout cette question, il n'y a plus de problème". Ainsi, le système de production capitaliste, avec ses excès impérialistes et leurs effets destructeurs n'est pas remis en question. En fait, assez paradoxalement, le problème est exploité pour exiger des sacrifices, non de la part de la bourgeoisie, mais de celle de la classe ouvrière. Sous différentes formes, des mesures d'austérité et des impôts "pour l'environnement" sont mis en œuvre par des moyens détournés (journée pull-overs, dimanches sans voiture, journée du vélo, taxe sur les vieilles voitures, sur les sacs plastique, sur le chauffage...). Mais ce n'est pas tout. La problé-matique est également utilisée dans la bataille concurrentielle avec d'autres pays. Ainsi, on essaye d'imposer des normes écologiques à la Chine pour protéger ses propres marchés. Ou de justifier l'action militaire au nom de la pollution, comme au Kosovo, où une usine importante a été fermée. Sur le plan de la débâcle nucléaire aussi, on voit chaque Etat défendre ses propres intérêts loin d'un plan général d'ensemble. Enfin, il a été mentionné qu'on voyait même l'émergence d'une espèce de tourisme des catastrophes. Le Canada ouvre de nouvelles voies de communication suite à la fonte des neiges, diverses firmes essaient de doper leurs profits grâce à l'étiquette "ceci est écologique".
La participation active au débat de la majorité des participants a fait qu'il ne restait plus de temps pour une discussion approfondie sur les alternatives et les solutions durables. La plupart étaient d'accord sur la nature et la gravité des problèmes, et aussi avec l'analyse globale. Et surtout, tous étaient d'accord que la création d'une société centrée sur l'homme et son avenir est devenu un besoin urgent. Beaucoup des intervenants ne voyaient par contre pas clairement par où commencer la transformation de cette société. Dans la conclusion, le CCI a donné quelques orientations sur ce plan, et les personnes présentes ont demandé d'organiser une prochaine discussion sur le sujet.
Lac / 9.4.07