Soumis par Internationalisme le
"Le consommateur belge doit s'attendre dans les mois à venir à la plus forte hausse de prix généralisée depuis le début des années 1990. Dixit le bureau fédéral du Plan" (De Standaard, 1.3.08). Avec la hausse vertigineuse du coût des produits alimentaires de base et de l'énergie, l'inflation s'envole. Elle est chiffrée aujourd'hui à 4.39 %, le niveau le plus élevé depuis 1985, alors que les économistes tablaient, il y a quelques mois encore, sur 2%. Dans la réalité quotidienne, c'est entre 20 et 50 % que les prix des principales denrées alimentaires (pain, pâtes et céréales, produits laitiers, fruits, légumes, viande...) ou de l'énergie ont augmenté ces derniers mois. Le mazout de chauffage, par exemple, a augmenté de 50% en un an (De Morgen, 12.4.08). Et sans doute ne s'agit-il là que des premières averses d'un terrible orage qui s'annonce.
La paupérisation croissante touche l'ensemble des travailleurs
Cette paupérisation en forte croissance n'est ni "nationale" ni conjoncturelle. Et l'accélération actuelle de la crise mondiale, qui se manifeste par la sévère récession qui s'annonce suite à la crise de l'immobilier aux Etats-Unis, par une crise bancaire gravissime causée par une politique de crédits illimités, par un sévère recul des bourses, par une spéculation folle sur les matières premières, renforce son impact sur l'ensemble de la planète. Dans des pays comme l'Egypte, les Philippines, Haïti ou le Burkina Faso, des émeutes de la faim éclatent contre la hausse vertigineuse des denrées alimentaires de base. Aux Etats-Unis, le problème du logement est devenu central et chaque mois depuis l'été dernier, 200.000 personnes en moyenne sont jetées à la rue. Et cette déferlante touche aujourd'hui de plus en plus l'Europe. Dans les grandes métropoles européennes, les travailleurs sont souvent réduits à s'entasser dans des taudis plus ou moins insalubres, alors que les prix des loyers, du gaz, des transports en commun, de l'essence ne cessent de grimper. Outre les fameuses cités de banlieue dont l'état ne cesse de se dégrader, à la périphérie, des bidonvilles (que les pouvoirs publics prétendaient avoir éradiqués au début des années 1980), des abris de fortune ou de véritables "favelas" comme dans le "Tiers-monde" sont en train de refleurir.
En Belgique, 14,6% de la population vit aujourd'hui en dessous du seuil de pauvreté. En Wallonie, ce chiffre grimpe même jusqu'à 17%, et à Bruxelles, on atteint déjà les 25%. Les soupes populaires (à commencer par les "Restos du Cœur") sont de plus en plus fréquentées par des salariés. Le nombre de colis alimentaires distribués s'accroît fortement et les demandes d'aide auprès des CPAS pour faire face à un endettement non gérable ont augmenté en 2007 de 21%. Par ailleurs, avec la multiplication des emplois précaires, temporaires ou partiels, un nombre croissant de travailleurs n'ont plus de revenu stable, ce qui entraîne même les familles dont les revenus se situent au-dessus du seuil de pauvreté dans les difficultés. La baisse des salaires tout comme les incertitudes sur le marché de l'emploi accentuent encore ces tendances (cf. DM, 12.4.08).
Quelle politique attendre du nouveau gouvernement ?
Les travailleurs peuvent-ils espérer une politique d'aide sociale du nouveau gouvernement ou des partis politiques qui le soutiennent ? Après 9 mois d'un psychodrame interminable, la bourgeoisie belge a enfin accouché d'un gouvernement dirigé par le social-chrétien Yves Leterme. Et, à en croire le programme gouvernemental, le temps semble effectivement au beau fixe : baisse des impôts, création de 200.000 nouveaux emplois, augmentation des bas salaires, dégagement d'un surplus de 1% du budget pour investir dans le système des retraites, etc. Bref, la promesse du paradis social ! En réalité, cette déclaration est une pure mystification, comme le reconnaissent d'ailleurs divers économistes bourgeois : "Ce gouvernement prétend diminuer les charges, augmenter les dépenses tout en dégageant un surplus budgétaire [...]. En fait, de telles intentions devraient déclencher un éclat de rire généralisé car ce gouvernement nous raconte tout simplement des histoires " (P. De Grauwe, prof. d'économie à l'U. de Louvain, DM, 29.3.08).
Si le programme gouvernemental actuel n'est que de la poudre aux yeux, c'est que le gouvernement Leterme n'est une fois encore qu'un gouvernement "transitoire", "en sursis" (pour une analyse de la crise politique, voir notre article "La crise politique n'empêche pas une attaque unifiée contre la classe ouvrière", dans Internationalisme 335). La bourgeoisie belge a dû se donner une fois de plus du temps jusqu'au 15 juillet pour négocier entre les diverses fractions politiques impliquées un grand compromis concentrant en un paquet global les mesures de réorganisation de l'Etat fédéral, d'assainissement budgétaire et de renforcement de la position concurrentielle de l'économie nationale. Dans ce cadre, le pourrissement de la situation économique à travers une année de paralysie politique pourrait bien être la stratégie suivie pour accroître la pression sur les diverses fractions régionales afin de se réunir derrière une politique commune.
Car, si le pénible cheminement pour la constitution du gouvernement et la détermination de son programme illustrent les difficultés croissantes de la bourgeoisie belge à gérer ses institutions, la classe ouvrière n'a pas d'illusion à avoir : quelles que soient les dissensions entre partis bourgeois, quelles que soient les tensions existantes, la bourgeoisie retrouve toujours son unité dans les attaques contre les travailleurs. Et les chants de sirène de la déclaration gouvernementale d'avril ne font que masquer le mûrissement du contexte pour lancer de telles agressions :
- L'encre du programme gouvernemental n'était pas encore sèche que les experts soulignaient déjà que les équilibres budgétaires proposés ne tenaient pas la route et que des restrictions s'imposeraient inévitablement lors du "contrôle budgétaire" de l'été;
- Les indicateurs économiques sont à l'orage : les prévisions de croissance de l'économie belge pour 2008 sont en chute libre de 1,9% à 1,4% (alors que la croissance était encore de 2,7% en 2007). L'instabilité économique mondiale incitera encore moins les entreprises à investir et les gens auront moins d'argent à dépenser par le fait que leurs rentrées réelles baisseront à cause de l'inflation croissante. Déjà, on constate une baisse des demandes de construction de 12%. Or budget et programme gouvernemental comptaient sur une croissance de 1,9%;
- Pour la première fois depuis 15 ans, la balance commerciale de la Belgique est en déficit. "C'est un signal important que notre position concurrentielle est en fort recul. Et cela pour un pays comme la Belgique qui se targue d'être un pays exportateur" (l'économiste G. Noels, DM, 16.4.08);
- Lorsque la bourgeoisie prépare un mauvais coup contre les salaires, elle ressort le monstre du Loch Ness de la liaison automatique des salaires à l'index, comme ce fut le cas début avril, lorsque le directeur de la Banque Nationale, Guy Quaden, évoqua la nécessité de supprimer cette indexation des salaires. Cela permet alors aux syndicats de jouer aux matamores pour "sauver l'index", tandis que le gouvernement fait passer ses mesures d'attaques contre les salaires en modifiant par exemple la composition de l'index (le gouvernement Dehaene en 1994), en imposant un "saut d'index" (dans les années 1980) ou en introduisant une norme complémentaire (la hausse des salaires belges ne peut dépasser la moyenne de celle des principaux concurrents). Comme le dit cyniquement le gouverneur Quaden (DM, 12.4.08) "L'index est important comme élément de la paix sociale en Belgique mais ce système ne peut néanmoins pas devenir économiquement trop coûteux".
L'orientation du "programme caché", que prépare le gouvernement Leterme, avec l'appui actif des partis socialistes (le PS francophone, depuis des années "aux affaires" à tous les niveaux de pouvoir, et le SPa flamand, assumant pleinement ses responsabilités dans le gouvernement régional flamand), est sans ambiguïté : une nouvelle attaque directe contre les salaires qui se combinera avec d'autres mesures : réduction des retraites et implémentation de l'âge légal du droit à la retraite à 65 ans, voire davantage comme en Allemagne (67 ans) ou en Grande-Bretagne (68 ans) ; augmentation de la productivité à travers la lutte contre l'absentéisme et la réduction des pauses ou des jours de récup ; "flexibilité" et précarité accrues dans le privé ; dégraissage de la Fonction publique ; forte dégradation des droits des chômeurs indemnisés et pressions accrues pour une mise au travail entre les diverses régions du pays. Et ceci alors que, sous l'impact de l'aggravation de la crise, des plans de licenciements massifs s'apprêtent à toucher des secteurs comme les banques et les assurances.
Vers un développement de la lutte de classe
La classe ouvrière est la première victime de l'aggravation de la crise économique mondiale. Le capitalisme en crise n'a pas d'autre moyen pour tenter de faire face à la concurrence sur le marché mondial que d'augmenter la productivité en réduisant le nombre d'emplois et de baisser le coût de la rémunération de la force de travail : pertes d'emplois et baisse des salaires; mais la paupérisation et la précarité croissantes, qui touchent la classe ouvrière, sont aussi le révélateur de la faillite irrémédiable du système capitaliste. Le capitalisme est de plus en plus incapable d'entretenir la force de travail de tous ceux qu'il exploite : l'incapacité d'intégrer une majorité de prolétaires à la production que révèlent le chômage massif et la précarité de l'emploi s'ajoute à l'incapacité de continuer à les nourrir, à les loger, à les soigner décemment.
L'accélération actuelle de la crise économique et la vague de paupérisation qui l'accompagne se produisent alors que, depuis quelques années maintenant, la classe ouvrière redresse progressivement sa tête et retrouve une combativité grandissante. Ces nouvelles attaques assénées par la bourgeoisie vont donc constituer un terreau fertile sur lequel vont se développer la lutte du prolétariat et son unité. D'ores et déjà, d'ailleurs, monte une colère dont témoigne en Belgique la "rafale gréviste" de l'hiver 2008.
Face aux hausses des prix et malgré l'absence de gouvernement, ce qui avait commencé à la mi-janvier spontanément comme un conflit social local chez un fournisseur de Ford Genk pour "1 euro de plus", se transforme très vite en une réelle vague de grèves pour une augmentation du pouvoir d'achat. Ce sont les mêmes ouvriers qui étaient sous pression à l'occasion des restructurations chez Ford, Opel ou VW en début d'année qui ont mis le feu aux poudres. D'abord, le mouvement revendicatif spontané a réussi à déborder vers Ford Genk et vers pratiquement toutes les entreprises des environs immédiats pour ensuite atteindre toute la province du Limbourg et le secteur métallurgique. La vague de grèves sauvages s'est étendue lentement vers d'autres branches industrielles et d'autres provinces, surtout dans la partie néerlandophone et à Bruxelles.
Syndicats et employeurs, pour étouffer les foyers, ont canalisé les revendications dans le sens de primes uniques et de boni liés aux résultats. Souvent, les patrons essayaient même d'acheter la paix sociale pour mettre fin à la vague de grèves avant même que les ouvriers engagent effectivement l'action. "Parce qu'ils ont eux-mêmes à tenir compte de protestations subites, mais plus encore parce qu'ils veulent à tout prix éviter une grève sauvage et sont donc prêts à racheter à l'avance un éventuel désordre" (interview de H. Jorissen, président des métallos de la FGTB dans DM, 2.2.08). Car, s'il y a bien un fil rouge à travers tout le mouvement, c'est "qu'il ne s'agit pas de grèves organisées par les syndicats, mais de grèves sauvages. C'est la base qui se révolte, et ce sont les syndicats qui tentent de négocier" (un des témoins au forum de discussion de DS sur la vague de grèves).
Les syndicats font tout pour favoriser un éparpillement des luttes qui les stérilise. Leur fonction d'encadrement repose entièrement sur leur capacité de diviser et d'isoler les luttes afin d'empêcher les prolétaires de prendre conscience de leur capacité collective à s'opposer à ces attaques. Face à ce sabotage, il est nécessaire que les ouvriers arrivent à développer l'unification des nombreuses luttes simultanées qui éclatent aujourd'hui, par le biais par exemple de revendications ou de plateformes de lutte communes. C'est ainsi que pourra s'enclencher une véritable dynamique d'unité et de solidarité, que ces luttes portent en elle et qui est non seulement le seul moyen de résister à des attaques qui touchent tous les ouvriers, dans tous les secteurs, mais qui débouche sur une perspective de remise en cause de l'impasse où les plonge le capitalisme.
Jos / 15.04.08