Soumis par Révolution Inte... le
Ces derniers temps, la bande dessinée s’est emparée des vies de révolutionnaires illustres. Après Auguste Blanqui et Louise Michel, c’est au tour de Rosa Luxemburg et de Lénine d’avoir leur biographie sous forme de romans graphiques. Se plonger ainsi dans la vie mouvementée et passionnante de ces grandes figures du mouvement ouvrier n’est pas simplement un réel plaisir, c’est aussi une absolue nécessité. La classe ouvrière a perdu son identité, elle ne sait plus qu’elle existe et a perdu la mémoire de son passé. Ses luttes, ses organisations, sa capacité par exemple à mettre fin à la Première Guerre mondiale, tous ces trésors d’expériences, sources de confiance dans les capacités révolutionnaires du prolétariat et donc en l’avenir, sont aujourd’hui oubliés. Parcourir les dessins et les bulles d’une bande dessinée faisant revivre les événements de la Commune de Paris de 1871, la Révolution russe de 1917 ou les insurrections allemandes de 1919 est l’un des moyens de se réapproprier ce passé, de recouvrer la mémoire ouvrière. Le prisme de la biographie rend l’œuvre plus concrète, plus vivante. Il permet de comprendre et sentir la force qui animait ses révolutionnaires : leur dévouement à la cause prolétarienne, leur implication en tant que militant dans un mouvement organisé, leur courage face à la répression et, peut-être surtout, leur résistance face aux pressions idéologiques de la bourgeoisie, qui souvent s’incarnaient par une lutte à l’intérieur même des organisations révolutionnaires, pénétrées par cette idéologie de la classe dominante. Toutes ces bandes-dessinées montrent clairement que la vie des révolutionnaires est une vie de combats politiques incessants. Seulement toutes ces œuvres ne sont pas égales. Certaines, toujours critiquables et perfectibles, retracent honnêtement la trajectoire de leur personnage historique. D’autres, au contraire, font intégralement parti de la propagande, relayant en dessin les mensonges les plus éhontés dont la bourgeoisie a toujours accablé les révolutionnaires. Si la bande dessinée Rosa la rouge de Kate Evans fait partie de la première catégorie, indéniablement le Lénine de Denis Rodier et Marie Pierre Rey nourrit la seconde.
Cette BD réalisée par Ozanam, Denis Rodier et Marie Pierre Rey est une nouvelle attaque contre la Révolution d’Octobre à travers des calomnies à l’égard de la personnalité de Lénine. Marie Pierre Rey, la conseillère scientifique de cet ouvrage, trouve une justification à cette énième imposture en invoquant l’ouverture des archives de l’URSS après 1991 qui aurait permis de mettre au jour le vrai visage de Lénine à savoir “l’un des dictateurs les plus intransigeants de la période contemporaine”. Pour cette dernière, cet album serait un modèle d’objectivité puisqu’il rendrait compte du parcours politique de Lénine “au plus près de la réalité”. Si de telles entreprises n’étaient pas aussi néfastes tout particulièrement pour les jeunes générations qui s’intéressent à la politique et à la perspective du communisme, on ne pourrait qu’ignorer un travail aussi ridicule et malhonnête. Or, les leçons et les enseignements que l’on peut tirer du parcours militant de Lénine sont précieux pour la classe ouvrière et il en va du devoir des organisations révolutionnaires de défendre l’honneur des grandes figures du mouvement ouvrier ayant joué un rôle inestimable dans l’œuvre révolutionnaire du prolétariat. Sous couvert d’une prétendue autorité scientifique, cet album adopte une démarche totalement différente puisqu’il dresse un portrait à charge de Lénine en sélectionnant des épisodes de sa vie le plus souvent détachés de tout contexte qui ne servent qu’une seule logique : celle de forger l’image d’un dictateur en puissance. Certes, raconter la vie d’un personnage sous le format BD impose nécessairement de faire des choix. Mais contrairement à ce que prétend Marie Pierre Rey, ces derniers n’ont pas été faits à partir d’une analyse minutieuse et contextualisée de la vie et l’œuvre de Lénine mais plutôt par la volonté de participer à l’entreprise de diabolisation du personnage. Un Lénine manipulateur, violent, autoritaire, mettant l’histoire au service de ses propres intérêts si l’on en croit la manière dont est rapporté le déroulement du deuxième congrès du POSDR en 1903 qui a vu la scission entre les mencheviks et les bolcheviks. On y voit Martov se lamentant sur un banc, rendant l’autoritarisme de Lénine responsable de l’échec de ce congrès. Rien n’est plus faux ! Lénine n’a jamais eu l’ambition de devenir le “chef” du parti. Son intransigeance et sa fermeté n’étaient pas dues à des velléités autoritaires mais exprimaient la volonté de défendre l’organisation des révolutionnaires et ses principes alors que certains autres ne se battaient plus pour le prolétariat mais pour leur propre reconnaissance personnelle au sein du parti, pour défendre leur bande de copains ou leur orgueil blessé. Les bolcheviks, eux, sont restés dévoués à la classe ouvrière sans mettre en avant leur ego. La rigueur militante dont a dû user Lénine au cours de ce congrès était motivée par la nécessité de créer un parti ouvrier unitaire et centralisé capable d’assumer ses responsabilités devant la classe.
Cet album enfonce davantage le clou lorsqu’il traite de la Révolution d’Octobre 1917. A la page 43, la façon dont la prise du Palais d’Hiver est rapportée est ni plus ni moins qu’une falsification. On y voit des membres du Comité militaire révolutionnaire ivres en train de vandaliser le Palais et assassiner les membres du gouvernement provisoire alors que les témoignages d’époque, comme celui de John Reed dans Dix jours qui ébranlèrent le monde, attestent que cette action s’est déroulée sans grande violence. Mais visiblement, les historiens à la solde de la bourgeoisie n’hésitent pas à transiger avec la rigueur scientifique quand il s’agit de ressortir le portrait du bolchevik “sanguinaire”, un “couteau entre les dents”. Et que dire de la toute fin de l’album où l’on voit un Lénine malade et convalescent, aigri et colérique en train de justifier la dictature et la terreur rouge sans le moindre remords ? Lénine et les bolcheviks ont défendu la dictature du prolétariat, c’est-à-dire la prise du pouvoir de la société par le prolétariat afin d’émanciper l’humanité toute entière. Tel était le but réel. Cette notion de dictature du prolétariat développée par Marx à la suite de la Commune de Paris est imposée par la lutte de classes et s’oppose à la terreur que la bourgeoisie déploie lorsque son monde est mis en péril.
Marie Pierre Rey, comme bon nombre de ses collègues, préfère se vautrer dans la malhonnêteté en présentant Lénine comme un autocrate qui aurait profité des événements de l’histoire afin d’instaurer son propre pouvoir. Voilà ce qu’elle peut écrire au sujet des soviets dans la postface de l’album : “les bolcheviks n’ont tenu qu’une place mineure dans la Révolution de 1905 qui les a surpris et déroutés par la place que les masses ouvrières y ont spontanément tenue. Pourtant, de cette révolution avortée, Lénine va tirer parti en retenant en particulier l’idée mobilisatrice de “Soviet” qu’il récupère pour son propre compte. Et dès avril 1917, le Soviet de Petrograd venant de se reconstituer, Lénine en appelle à son tour “au pouvoir des Soviets” mais à des Soviets bolchevisés, qu’il s’agira, par une intense propagande, de gagner à sa cause”. Que veut-on dire par là ? Que Lénine a manipulé les soviets pour servir ses propres intérêts ? Mensonge ! Alors qu’en 1914 la bourgeoisie plongeait le monde dans la barbarie, qu’ont fait les bolcheviks ? Contrairement à la social-démocratie, ils se sont placés à l’avant-garde du mouvement d’opposition à la guerre. En 1917, alors que toutes les fractions bourgeoises organisaient le blocus de la Russie, plongeant la population dans la famine, Lénine et les bolcheviks étaient du côté des ouvriers en lançant le mot d’ordre “tout le pouvoir aux soviets !” car ils étaient convaincus que les conseils ouvriers étaient “la forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat” permettant à la classe ouvrière de s’auto-organiser dans le but de renverser la domination de la bourgeoisie. Contrairement aux insanités que déverse cet album, les bolcheviks n’ont jamais voulu s’emparer des soviets, seules les fractions de la bourgeoisie comme la social-démocratie ont entrepris leur sabotage afin de les vider de leur contenu révolutionnaire.
TH, 30 août 2018