Soumis par Revue Internationale le
Au cours de la première moitié de 2012, plusieurs essais, réussis ou non, de missiles à longue portée, effectués par la Corée (du Nord comme du Sud), la Chine, l’Inde et le Pakistan ont ouvert les yeux sur les ambitions de tous les plus grands pays d’Asie. En même temps, des commandes gigantesques de bateaux de guerre reflètent la militarisation en cours en haute mer,1 dans les océans qui baignent l’Asie. En fait, tous les pays asiatiques ont été forcés de se positionner par rapport aux nouvelles puissances "émergentes", la Chine et l’Inde. Leurs ambitions et la stratégie américaine de créer un contrepoids à la Chine ont déclenché une course aux armements dans tous les pays d’Asie.
Alors que les commentaires dans la presse se sont jusqu‘à maintenant concentrés principalement sur leur croissance à deux chiffres, la montée économique des deux puissances asiatiques s’est inévitablement accompagnée d’une montée de leurs ambitions impérialistes. Pour comprendre cette situation, nous devons la replacer dans un contexte historique plus large.
Le poids global de l’Asie dans la production mondiale revient aux normes historiques avant le développement du capitalisme européen. Entre le 11ème et le 17ème siècle, la Chine avait la plus grande flotte du monde. Jusqu’au 18ème siècle, la Chine était en avance sur l’Europe au niveau technologique dans beaucoup de domaines. En 1750, la part mondiale de la Chine dans les produits manufacturés était de presque 1/3 alors que l’Europe n’en était encore qu’à 1/4. Mais l’expansion des puissances capitalistes en Chine et en Inde au 19ème siècle a signifié pour ces deux pays2 un "déclassement" et leur part relative dans la production mondiale déclinait.
Aujourd’hui, la Chine est de retour sur la scène. Son "retour" peut-il se passer d’une "manière harmonieuse" et "pacifique" comme le proclament ses dirigeants?
Tous les pays d’ Extrême-Orient3 dépendent largement des voies maritimes des trois goulots d’étranglement : la Mer de Chine du Sud, le détroit de Malacca (entre la Malaisie, Singapour, l’Indonésie) et le détroit d’Ormuz (entre l'Iran et Dubaï). "Plus de la moitié du tonnage annuel de la flotte marchande mondiale passe par les détroits de Malacca, Sunda et Lombok (Indonésie) et la plus grande partie continue vers la Mer de Chine du Sud. Le trafic de pétroliers passant par le détroit de Malacca pour gagner la Mer de Chine du Sud est plus de trois fois celui du canal de Suez et bien 5 fois plus grand que le trafic dans le canal de Panama. Pratiquement, tout le fret qui passe par les détroits de Malacca et Sunda, doit passer à proximité des Iles Spratly." 4
90 % du pétrole importé par le Japon passe par la Mer de Chine du Sud. Presque 80 % du pétrole de la Chine passe par le détroit de Malacca. Pour le moment, les États-Unis contrôlent la plupart de ces passages obligés. En tant que puissance émergente, la Chine trouve cette situation insupportable –parce que leur contrôle par une seule puissance telle que les États-Unis pourrait étrangler la Chine.
Alors que le premier grand conflit impérialiste du 20ème siècle a pris place entre deux puissances asiatiques (la guerre russo-japonaise de 1905), les principales batailles de la Première Guerre mondiale ont eu lieu en Europe et les champs de bataille en Asie étaient très marginaux, la Seconde Guerre mondiale a aspiré beaucoup plus l’Asie dans la destruction générale et une puissance asiatique en était un des principaux participants. Quelques-unes des batailles les plus féroces et les plus sanglantes ont eu lieu en Asie. Après la Seconde Guerre mondiale, alors que le continent européen était divisé par le "rideau de fer", établi au sein de l’Europe centrale au travers de l’Allemagne divisée, l’Asie faisait l’expérience de la division de quatre pays en deux parties : Corée, Chine, Vietnam (réuni depuis) et Inde. Alors que le "rideau de fer" en Europe était détruit en 1989, les divisions en Asie ont continué à exister, chacune d’elles entraînant des conflits permanents et créant des zones frontières parmi les plus militarisées (Corée du Nord/Corée du Sud, République Populaire de Chine/Taiwan, Pakistan/Inde). Mais maintenant, ce ne sont pas seulement les conflits entre pays divisés qui continuent à alimenter les tensions impérialistes, ce sont surtout l’apparition d’un nouveau challenger, la Chine, et les réactions des pays voisins et de la superpuissance rivale, les États-Unis, qui aggravent les tensions.
1 Cela se réfère à la notion de marine de haute mer (les "eaux bleues" en anglais, c’est à dire en eaux profondes), un terme plutôt imprécis qui désigne en général une marine de guerre capable d’assurer le pouvoir dans les eaux internationales en dehors de ses propres eaux côtières.
2L’Inde n’était pas un pays au 19ème siècle bien sûr. D’ailleurs, on ne peut pas dire que l’Inde comme unité politique ait existé avant le Raj britannique.
3Le terme « Extrême-Orient » est bien sur complètement euro-centriste. Pour les États-Unis, les région est le « Far ouest » alors que pour les pays asiatiques eux-mêmes la région est évidemment centrale. Nous utiliserons donc ce terme uniquement par convention et facilité d’écriture.
4https://globalsecurity.org/military/world/war/spratly-ship.htm et https://en.wikipedia.org/wiki/File:Shipping_routes_red_black.png