Peut-on gagner en luttant derrière les syndicats ? (Extraits du supplément à notre journal diffusé en décembre 95)

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(...) Alors que pendant des années, notamment les années de la Gauche au gouvernement, ils freinaient des quatre fers face aux différents plans d'austérité, aujourd'hui les syndicats «excitent la foule» à travers des discours «radicaux» et «jusqu'au boutistes».

 

Les syndicats poussent les ouvriers dans le piège de la bourgeoisie avec la complicité des médias.

 

Dans toutes les entreprises, d'abord du secteur public, puis du secteur privé, ils poussent les ouvriers à engager massivement la lutte derrière eux. Face aux hésitations de la plupart des secteurs devant la perspective d'une grève de longue durée, ils sont revenus à la charge à plusieurs reprises partout où la volonté d'entrer en grève était minoritaire (centres de tris, certains dépôts de la SNCF, aux usines Renault, etc.). Les médias bourgeois leur ont même prêté main forte en relayant les appels répétés des grands dirigeants syndicaux à 1'«extension» et au «durcissement du mouvement». Jamais on avait vu un tel empressement des médias au service de la lutte de la classe ouvrière. En général, lorsque les combats ouvriers menacent réellement les intérêts de la classe dominante, c'est le «black out», la conspiration du silence, quand ce n'est pas une dénonciation ouverte des ouvriers en lutte (comme par exemple lors de la grève spontanée de la RATP en décembre 85 où on a eu droit à une campagne hystérique des médias, accusant les grévistes de «prendre les usagers en otage», tandis que les syndicats dénonçaient le caractère «illégal» de cette grève qui est partie sans consignes et donc sans préavis syndical). Il est même arrivé que la grève soit annoncée dans le journal «Le Monde» avant même que les ouvriers ne se soient mobilisés (par exemple au tri de Paris-Austerlitz le 28 novembre) !

 

Les syndicats occupent tout le terrain de la lutte

 

Dans la rue, dans les entreprises, dans les ateliers, dans les assemblées générales, dans des «comités de grève» mis en place par eux, ce sont les syndicats qui dirigent et contrôlent la lutte, ce sont eux qui prennent toutes les décisions, ne laissant pas d'autre alternative aux ouvriers que de les suivre dans une grève longue, «illimitée», ou 'de ne rien faire. En quadrillant ainsi tout le terrain, ils ne laissent aux ouvriers pas d'autre choix que de se soumettre à leurs directives en leur faisant croire que la seule lutte possible, c'est la lutte derrière les syndicats. Après chaque journée d'action (le 24, puis le 28 novembre, puis le 5 décembre, etc.), les syndicats mettent en avant la nécessité de «tenir» jusqu'à la prochaine journée de manifestations afin de faire durer la grève le plus longtemps possible pour épuiser les ouvriers.

 

Les syndicats organisent l'extension... de la défaite

 

Aujourd'hui, les syndicats, CGT en tête, n'ont à la bouche que le mot «extension de la grève !», mais dans la réalité, ils sabotent tous les moyens permettant aux ouvriers de réaliser une véritable extension de la lutte. En particulier, en poussant à la paralysie totale des transports (SNCF et RATP), ils empêchent tout moyen de communication, de déplacement des ouvriers. Non seulement, en bloquant les transports, les syndicats obligent les ouvriers qui veulent aller aux manifestations à dépendre des cars syndicaux, mais ils les empêchent de se rendre aux assemblées générales des autres entreprises en grève. En prenant ainsi les ouvriers en otage, les syndicats gardent le monopole des assemblées générales et de tout contact, de tout lien réel entre les différents lieux de lutte (d'ailleurs sur certaines lignes de la RATP et de la SNCF, c'est la direction elle-même qui a empêché le départ des trains pour donner un petit coup de pouce aux syndicats).

 

Face à cette manoeuvre de séquestration de la classe ouvrière destinée à la déposséder de ses armes de combat, les prolétaires doivent se souvenir de la lutte exemplaire de leurs frères de classe de Pologne en août 1980 qui non seulement a été capable de faire reculer le gouvernement Gierek, mais qui a fait trembler toute la bourgeoisie mondiale. Dès le début du mouvement, en prenant eux-mêmes leur lutte en mains sans l'»aide» d'aucun syndicat, les ouvriers avaient décidé de ne pas bloquer les voies de communication. Ils avaient mis les transports au service de l'extension géographique de la lutte. C'est en grande partie grâce à la circulation des trains et des tramways qu'ils avaient pu étendre et unifier leur combat, en envoyant des délégations massives, d'un bout à l'autre du pays.

 

Tous les ouvriers savent qu'une lutte ne peut être victorieuse que si elle s'étend et implique le plus grand nombre possible de travailleurs. Aujourd'hui, les syndicats utilisent ce besoin ressenti par les ouvriers non pour renforcer le mouvement mais pour embarquer le maximum d'ouvriers dans le piège de la bourgeoisie. C'est la raison pour laquelle les syndicats, épaulés par leur «base radicale» et les trotskistes (notamment de «Lutte Ouvrière») ont organisé et manipulé des délégations de cheminots qu'ils ont envoyés aller «étendre» la grève notamment dans les entreprises (par exemple les tris postaux) où les ouvriers hésitaient à s'engager dans une lutte longue dont la seule perspective est de «tenir jusqu'au bout», en leur faisant croire que le bras de fer avec le gouvernement se joue sur la durée du mouvement.

 

En poussant à «l'extension» sur ce terrain pourri, celui d'une lutte «dure» et «longue», les syndicats ne visent qu'à élargir la défaite à l'ensemble de la classe ouvrière. Les ouvriers ne doivent pas se leurrer : à chaque fois que les syndicats appellent à «l'extension», c'est pour embrigader le maximum d'ouvriers dans une impasse. C'est d'ailleurs ce qu'ils avaient fait lors de la grève des cheminots, début 87 lorsqu'ils ont appelé à «l'extension» et au «durcissement» du mouvement non pas lors de la montée de la lutte, mais au moment de son déclin, dans le but d'entraîner le plus possible de secteurs de la classe ouvrière derrière la défaite des travailleurs de la SNCF.

 

La grève longue divise les ouvriers et les dégoûte de la lutte

 

Une grève longue ne renforce pas la lutte ouvrière, elle ne peut que renforcer la bourgeoisie. Dans une situation économique où les ouvriers ont déjà bien du mal à joindre les deux bouts, ils ont tout à perdre dans une grève «illimitée». D'abord, ils perdent des semaines de salaire pour une lutte qui ne fait pas peur à la bourgeoisie car, sur le plan économique, celle-ci est prête à tenir jusqu'à ce que les ouvriers soient totalement épuisés. Souvenons-nous de la grève des mineurs en 84 en Grande-Bretagne où les ouvriers ont mené une lutte qui a duré plus d'un an, avec piquets de grève et caisse de «solidarité». Ils ont perdu des mois de salaires pour rien. Non seulement le gouvernement n'a pas cédé, mais de plus, il a accéléré ses plans de licenciements.

 

Souvenons-nous de l'échec de la grève des cheminots en 86-87 et des travailleurs d'Air-France à l'automne 93 où, après plusieurs semaines de paralysie des transports, les ouvriers ont repris le travail sans avoir rien obtenu. Us se sont retrouvés complètement démoralisés. Les grèves longues préconisées par les syndicats ne servent qu'à écoeurer les ouvriers de la lutte. Lorsque les prolétaires reprennent le travail avec le sentiment qu'ils se sont battus «jusqu'au bout» pour rien, ils ne sont pas prêts à repartir au combat avant longtemps, ils se sentent impuissants et ont le sentiment que lutter ne sert à rien. C'est justement ce que recherche la bourgeoisie. C'est bien pour cela qu'elle compte sur ses syndicats pour insuffler un tel sentiment d'amertume et de démoralisation dans les rangs ouvriers, ce qui permettra par la suite au gouvernement et au patronat de faire passer de nouvelles attaques encore plus brutales.

 

La grève longue, «jusqu'au-boutiste», divise aussi les ouvriers en lutte entre ceux qui suivent les syndicats sur ce terrain, et ceux qui ne sont pas disposés à se laisser entraîner aveuglément, qui hésitent à se lancer dans une combat sur lequel ils n'ont aucun contrôle, aucune maîtrise. Dans ce mouvement de riposte contre le plan Juppé, fréquemment, la grève n'est suivie que par une partie, souvent minoritaire, des ouvriers. En imposant sans réelle discussion la grève illimitée dans les AG, en bloquant les dépôts de bus de la RATP autoritairement, en excluant ceux qui ne veulent pas ou hésitent à s'engager dans une grève longue (comme aux usines Renault par exemple), les syndicats interdisent tout contrôle et toute maîtrise collective de la lutte par les ouvriers eux-mêmes. Et surtout ils préparent la défaite : en divisant la classe ouvrière entre grévistes et non-grévistes, ils provoquent des ressentiments et des amertumes.

 

Aujourd'hui la bourgeoise veut infliger une défaite à l'ensemble de la classe ouvrière, elle veut la démoraliser car les attaques du gouvernement Juppé ne sont qu'un début. La crise économique du capitalisme ne pourra aller qu'en s'aggravant et la classe dominante sera amenée à cogner toujours plus fort pour faire payer aux prolétaires les frais de l'effondrement de son système. (...)

Supplément à Révolution Internationale (6/12/95)

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