Même mort, Le Pen continue de nourrir le piège de l’anti-fascisme

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Jean-Marie Le Pen aura incontestablement connu un destin hors du commun. C’est à la fac de droit, juste après la guerre, que cet individu a fait ses débuts en politique dans des opérations coups de poing tabassant à la fois les forces de police et les étudiants « communistes ». Après ces épisodes peu reluisants de petite frappe, menant son bonhomme de chemin, il intègre l’Union et fraternité française de Poujade ; c’est sous cette étiquette qu’il devient, à 27 ans, le plus jeune député d’alors.

La vie de parlementaire ne lui convient pas et c’est dans le déroulement de la guerre d’Algérie qu’il va pouvoir activement défendre son obsession : maintenir « l’Algérie française ». Il défendra jusqu’à la fin de sa vie l’usage de la torture et mettra au profit des services spéciaux coloniaux son savoir-faire où, notamment au service du général Massu, il se livrera avec zèle à des assassinats.

Fondé en 1972, avec un ramassis d’anciens du groupe d’ultra-droite, Ordre nouveau, le Front national rassemble divers courants de l’extrême droite (parmi lesquels d’anciens poujadistes, un ancien SS et un ancien de l’OAS) (1) qui désirent conquérir les foules et s’offrir une vitrine présentable. Cependant, les résultats ne sont pas au rendez-vous. S’ensuivra une longue période jugée « difficile » pour ce barbouze devenu gênant et dont l’extrême-droite voulait faire une marionnette juste utile à intervenir dans les médias au moment des scrutins. Sauf que dans les médias, il n’est pas franchement accueilli à bras ouverts.

Il faudra attendre l’arrivée de Mitterrand au pouvoir, qui, par opportunisme, va obliger les grandes chaînes de télévision à le recevoir en interview, pensant ainsi affaiblir le parti de droite et, au passage, faire diversion sur son propre passé à l’extrême droite et ses fonctions de ministre de la Justice durant la guerre d’Algérie. En polarisant sur le FN, la gauche d’utilisait cet l’épouvantail pour tenter de dédouaner ses attaques croissantes contre le prolétariat, notamment avec « le tournant de la rigueur » à partir de 1983. Mitterrand espérait surtout utiliser la montée en puissance soigneusement organisée de l’extrême droite pour détourner la classe ouvrière, alors particulièrement combative, de son terrain de lutte en la poussant dans les bras de la « défense de la démocratie » et des partis de gauche face au prétendu « danger fasciste ». Main dans la main avec le FN, avec qui le PS organisa alors de nombreuses « réunions de travail », Mitterrand va ainsi « créer » l’homme politique Le Pen qu’il pense pouvoir utiliser pour ses propres dessins. Et dans un premier temps, la tactique va fonctionner : le FN et ses obsessions racistes sortent de l’anonymat et deviennent le centre de gravité du débat politique. Le Pen déployeait des trésors de propos nauséabonds et provocateurs : les chambres à gaz ? « un détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ». Quelques mois plus tard, c’est le ministre Durafour qui est rebaptisé en « Durafour-crématoire ». La mise en place de la proportionnelle aux législatives de 1986 va installer 35 députés frontistes à l’Assemblée nationale.

Tout en favorisant sa montée en puissance, la gauche ne va cesser d’utiliser Le Pen et ses outrances pour impulser des campagnes idéologiques visant à embrigader la jeunesse dans des luttes anti-racistes et pousser tout le prolétariat vers les urnes. Ce n’est pas un hasard : la classe ouvrière était, depuis Mai 68, particulièrement combative, développait ses luttes, nourrissait sa réflexion sur le système capitaliste et sa concurrence de tous contre tous, son nationalisme et ses avatars ouvertement racistes. La bourgeoisie et ses partis de gauche ont utilisé le FN pour tenter de couper le prolétariat de son terrain de classe, de sa perspective révolutionnaire. Bref, de le réduire à l’impuissance sur un terrain totalement piégeux, celui des élections. C’est ainsi que parallèlement à la montée du FN, la gauche initiera, là encore avec l’assentiment de Mitterrand, le mouvement « SOS racisme » et toute sorte de groupes « anti-fa ». Tout cela, au nom de la défense de la « démocratie française »… qui a pourtant depuis longtemps et à de nombreuses occasions fait la preuve de la pire xénophobie.

Ces campagnes vont culminer dans les gigantesques manifestations de 2002 lorsque Le Pen réussit à se qualifier au second tour de l’élection présidentielle. Cet événement traduisait déjà une certaine perte de contrôle de la bourgeoisie sur son appareil politique, qui ne va cesser de se confirmer les décennies suivantes avec l’ascension de la fille, Marine. Le « monstre », nourri des pires miasmes de la décomposition, commençait à échapper à tout contrôle. Mais ce fut aussi pour le reste de la bourgeoisie, droite et gauche confondus, une formidable occasion pour refourguer sa camelote « démocratique », alors que l’abstention battait des records. Entre la diabolisation du FN et les campagnes de culpabilisation, la bourgeoisie a martelé ses mensonges sur la démocratie et l’unité nationale.

Au moment de sa mort, alors qu’une large partie de la bourgeoise et de ses médias colportent désormais sans vergogne une large partie de son programme politique et ses idées les plus immondes, la gauche s’est une dernière fois servi du « diable » Le Pen pour alimenter ses campagnes « antifascistes ». Si l’héritière est désormais au porte du pouvoir, choisir entre l’extrême droite et un « moindre mal » reste toujours un piège destiné à désarmer la classe ouvrière.

Rosalie, le 20 janvier 2025

 

 

1 Organisation armée secrète, organisation terroriste d’extrême droite favorable au maintien de l’Algérie dans le giron tricolore.

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Populisme et antipopulisme