Les responsabilités accrues des révolutionnaires face à la gravité de la situation historique

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Le CCI a tenu son 13e congrès fin mars et début avril 1999, en un moment historique marqué par l'accélération de l'histoire, alors que le capitalisme agonisant fait face à une des périodes les plus difficiles et périlleuses de l'histoire moderne, comparable par sa gravité aux deux guerres mondiales, au surgissement de la révolution prolétarienne en 1917-19 ou à la grande dépression de 1929. En effet, la gravité de la situation est déterminée par un aiguisement des contradictions à tous les niveaux :

  • celui des tensions impérialistes et du développement du désordre mondial ;
  • une période très avancée et dangereuse de la crise du capitalisme ;
  • des attaques sans précédent depuis la dernière guerre mondiale contre le prolétariat international ;
  • une décomposition accélérée de la société bourgeoise.

Le CCI, conscient de l'énorme responsabilité que cette situation confère au prolétariat, a centré les débats du congrès de façon à tracer les perspectives avec la clarté qu'exige le moment historique actuel. C’est uniquement en développant sa combativité et sa conscience que le prolétariat pourra mettre en avant l'alternative révolutionnaire qui seule peut assurer la survie de la société humaine. Mais la responsabilité la plus importante repose sur les épaules de la Gauche communiste à laquelle se rattachent les organisations du camp prolétarien. Elles seules peuvent transmettre les leçons théoriques et historiques, ainsi que la méthode marxiste, indispensables aux minorités révolutionnaires qui émergent aujourd’hui pour se rattacher à la construction du parti de classe du futur. En quelque sorte, comme Bilan dans les années 1930[1], la Gauche communiste se trouve aujourd’hui contrainte de comprendre une situation historique nouvelle sans précédent. Cet enjeu requiert à la fois un profond attachement à l’approche théorique et historique du marxisme et de l’audace révolutionnaire pour comprendre des situations qui ne sont pas totalement intégrables dans les schémas du passé.

C'est avec une telle préoccupation que le CCI a abordé son 13e congrès, afin d'être en mesure de contribuer pleinement, à travers ses analyses, ses positions et son intervention à la réponse prolétarienne face à la gravité de la situation mondiale à l'aube du prochain millénaire.

Situation internationale : une tendance croissante au chaos

Les débats sur l'analyse et les perspectives de la situation internationale ont constitué l'axe central de notre 13e congrès (voir la résolution sur la situation internationale publiée dans la Revue Internationale n° 97). Et il ne pouvait en être autrement. Peu de jours avant sa tenue, la nouvelle guerre des Balkans avait éclaté[2]. Le congrès a établi clairement que cette nouvelle guerre constituait l'événement le plus important sur la scène impérialiste depuis l'effondrement du bloc de l'Est à la fin des années 1980. La guerre actuelle et ses effets déstabilisateurs à l'échelle européenne et même internationale, constituent une nouvelle illustration du dilemme dans lequel se trouvent aujourd'hui enfermés les Etats-Unis. La tendance au "chacun pour soi” et l'affirmation de plus en plus explicite des prétentions impérialistes de leurs anciens alliés les obligent de façon croissante à faire étalage et usage de leur énorme supériorité militaire. En même temps, cette politique ne peut aboutir qu'à une aggravation encore plus grande du chaos qui règne déjà dans la situation mondiale.

Ainsi, le congrès a conclu que la guerre dans l'ex-Yougoslavie est la plus claire expression d’une nouvelle étape dans le développement de l’irrationalité de la guerre dans le capitalisme décadent, directement liée à la phase de décomposition. Cela confirme une thèse fondamentale du marxisme à propos du capitalisme du XXe siècle considérant que, dans sa période de déclin, la guerre est devenue son mode d'existence.

Une telle accentuation du chaos, avec un bras de fer permanent entre les grandes puissances, est alimenté par une accélération de la crise capitaliste qui s'est développée à partir de la fin des années soixante lorsque s'est achevée la période de reconstruction du second après-guerre. Au début de la décennie, la bourgeoisie a masqué ce phénomène en présentant l’effondrement du bloc de l’Est comme la victoire finale du capitalisme sur le communisme. En réalité, la faillite de l’Est a été un moment-clé dans l’approfondissement de la crise capitaliste mondiale. Elle a révélé la banqueroute d’un modèle bourgeois de gestion de la crise : le stalinisme. Depuis lors, l'un après l’autre, les "modèles économiques” ont mordu la poussière, en commençant par la deuxième et la troisième puissances industrielles du monde, le Japon et l’Allemagne. Elles devaient être suivies par la plongée des "tigres" et des "dragons" d’Asie et des économies "émergentes" d’Amérique Latine. La banqueroute ouverte de la Russie a confirmé l’incapacité du "libéralisme occidental" à régénérer les pays d’Europe de l’Est. La bourgeoisie a présenté cette catastrophe économique comme particulièrement sévère, mais néanmoins limitée à une récession conjoncturelle et temporaire. Ce que ces pays ont subi en vérité est une dépression en tout point aussi brutale et dévastatrice que celle des années trente. Et ce n'est que le prélude d'une nouvelle récession ouverte au niveau mondial.

Concernant la lutte de classe, notre congrès a mis en avant que, malgré le poids de la décomposition déterminée par l'impasse où se trouve le capitalisme, malgré le recul historique qu'a représenté pour la combativité et la conscience du prolétariat l'effondrement du bloc russe en 1989 -identifié par l'écœurante campagne de la bourgeoisie mondiale avec la mort de la perspective communiste-, le prolétariat n’est pas défait historiquement. Bien que le temps ne joue pas en sa faveur, dans la mesure où il ne peut empêcher la prolifération de toutes les manifestations du pourrissement d'un ordre social en décomposition, la fin de cette décennie est marquée par des manifestations d'une reprise de la combativité. Pour y faire face, les syndicats ont dû recommencer à contrôler, isoler et saboter les mouvements de luttes et la bourgeoisie a dû renouer avec cette politique de black- out des luttes au niveau international, afin de ne pas étaler le "mauvais exemple" de la résistance ouvrière.

Malgré les difficultés qui continuent à peser sur la classe ouvrière du fait de la décomposition de la société capitaliste, le 13e congrès considère qu'il y a de bonnes raisons de penser qu' à long terme, il existe beaucoup d'aspects particulièrement favorables à un nouveau développement de la conscience dans la classe ouvrière :

  • l’état avancé de la crise elle-même, impulsant la réflexion prolétarienne sur le besoin de confronter et dépasser le système ;
  • le caractère de plus en plus massif, simultané et généralisé des attaques, posant le besoin d’une réponse de classe généralisée ;
  • l’omniprésence de la guerre, détruisant les illusions sur un possible capitalisme "pacifique". La guerre actuelle dans les Balkans, une guerre proche des centres vitaux du capitalisme, va avoir un impact significatif sur la conscience des ouvriers dans la mesure où elle va exprimer de façon accrue la perspective catastrophique que le capitalisme offre à l'humanité ;
  • le renforcement de la combativité d’une classe non défaite contre la dégradation de ses conditions d'existence ;
  • l’entrée en lutte d’une nouvelle génération d’ouvriers, avec une combativité pleinement intacte et qui peut apprendre des expériences de la génération ouvrière qui a développé ses luttes après 1968 ;
  • le surgissement de cercles de discussion ou des noyaux d'ouvriers avancés qui vont essayer de se réapproprier l'expérience immédiate et historique du mouvement ouvrier. Dans une telle perspective, la responsabilité de la Gauche communiste sera beaucoup plus grande que dans les années trente, surtout dans un contexte où la bourgeoisie, pleinement consciente du danger que le prolétariat ne renoue le fil de son histoire, a développé une campagne de dénigrement contre le passé et le présent de son ennemi de classe.

 

Inquiète face au danger prolétarien, la classe dominante a placé la social-démocratie au gouvernement dans 13 des 15 pays de l’Union Européenne ainsi qu'aux Etats-Unis. Il s'agissait pour elle de revitaliser la mystification électorale et l'alternative démocratique, après de longues années de gouvernement de droite, notamment dans des pays-clefs comme l'Allemagne et la Grande-Bretagne. Mais, par ailleurs et surtout, face à la nécessité d'accentuer les attaques contre la classe ouvrière, la gauche a l’avantage sur la droite de procéder de façon plus habile et moins provocante.

En conclusion, le 13e congrès a précisé que le fait que la gauche se trouve aujourd'hui dans la plupart des gouvernements constitue une expression du fait que la bourgeoisie est bien consciente du danger que représente une classe ouvrière consciente de son rôle historique, ce qui justifie toutes ces actions préventives destinées à limiter le développement de sa combativité.

Les activités du CCI déterminées par la nouvelle période

Le 13e congrès du CCI a réalisé un bilan de ses activités, au feu d'une situation historique inédite particulièrement difficile et périlleuse, à un moment où les grandes puissances déploient leur arsenal de mort au cœur même de l'Europe.

Le bilan des activités établi par le 13e congrès est très positif. Il ne s'agit pas là d'une manifestation d'autosatisfaction mais d'une évaluation objective et critique de notre activité. Le 12e congrès avait diagnostiqué que le CCI devait revenir à un équilibre de l'ensemble de ses activités, après avoir mené pendant plus de trois ans un combat pour l'assainissement du tissu organisationnel. En accord avec le mandat du 12e congrès, ce "retour à la normale" a été concrétisé par :

  • une ouverture envers le milieu politique prolétarien et envers les contacts, tout en poursuivant le combat contre les groupes et les éléments parasites ;
  • un renforcement théorique-politique, avec la capacité de donner une dimension historique à notre propagande, en la basant sur le marxisme et la propre expérience de la classe ;
  • un renforcement de "l'esprit de parti", seule façon de renforcer l'organisation révolutionnaire.

Le renforcement de l'organisation s'est également concrétisé par la capacité du CCI à intégrer de nouveaux militants dans sept sections territoriales (et notamment dans la section en France). Ainsi, le renforcement numérique du CCI (qui est appelé à se poursuivre, comme en témoigne le fait que d'autres sympathisants ont posé récemment leur candidature à l'organisation) vient démentir toutes les calomnies du milieu parasitaire accusant notre organisation d'être devenue une "secte repliée sur elle-même". Contrairement aux dénigrements de nos détracteurs, le combat mené par le CCI pour la défense de l'esprit de parti, n'a pas fait fuir les éléments en recherche des positions de classe, mais a au contraire permis leur rapprochement et leur clarification politique.

Le CCI a développé une intervention sérieuse et sereine, emprunte d'une vision à long terme, en vue d'un rapprochement avec les groupes du milieu politique prolétarien. Cette activité s'est étendue aux contacts et sympathisants aux préoccupations desquels il faut répondre avec sérieux et profondeur et à qui il faut permettre de dépasser les incompréhensions et la méfiance envers l'organisation. Cette orientation du CCI ne résulte pas d'une vision mégalomane mais des exigences de la situation historique qui requiert que le prolétariat, et les minorités révolutionnaires à ses côtés, assume ses responsabilités.

La défense du milieu prolétarien a conduit le CCI à combattre la contre-offensive des éléments parasitaires, notamment en publiant deux brochures intitulées La prétendue paranoïa du CCI et en tenant à Paris une réunion publique "internationale" en défense de l'organisation, activité à laquelle se sont intégrés plusieurs de nos contacts. Ainsi, l'organisation a approfondi sur la question du parasitisme politique, en adoptant et en publiant les "Thèses sur le parasitisme", lesquelles constituent une arme de compréhension historique et théorique sur cette question pour l'ensemble des groupes du milieu. La défense du milieu prolétarien a consisté aussi pour le CCI à développer une politique de discussions et de rapprochement, mettant en place avec d'autres groupes de ce milieu des interventions communes face aux campagnes anticommunistes qu'a déchaînées la bourgeoisie lors de l'anniversaire de la Révolution d'Octobre. De même, cette démarche a connu un prolongement dans le travail d'intervention en direction du milieu politique qui surgit en Russie.

Le 13e congrès a établi que l'intervention en direction du "marais politique" doit être assumée de façon plus décidée par l'organisation. Ce "no man's land" indéterminé entre la bourgeoisie et le prolétariat est le lieu de passage obligé de tous les éléments de la classe qui s'acheminent vers une prise de conscience. Il constitue aussi un terrain privilégié de l'action du parasitisme avec lequel se joue une course de vitesse. Aussi l'organisation ne doit pas attendre que les éléments en recherche la "découvrent" pour s'intéresser à eux. Bien au contraire, elle doit s'adresser à ces éléments et mener le combat contre la bourgeoisie dans le marais lui-même.

Ce renforcement de notre vision du milieu politique prolétarien est un résultat du renforcement politique et théorique. Le congrès a souligné que ce dernier ne doit pas être considéré comme une "activité à part", "à côté" ou "en plus" des autres tâches. Dans la situation historique actuelle et dans la perspective à long terme où s'inscrit la vie des organisations révolutionnaires, le renforcement politique et théorique doit inspirer et constituer le socle de nos activités, de nos réflexions et de nos décisions.

Ainsi, le bilan positif de nos activités se base sur une vision plus claire du fait que les questions d'organisation sont déterminantes face aux autres aspects des activités. En ce sens, le (CCI est conscient qu'il doit poursuivre ses efforts et son combat pour acquérir "l’esprit de parti", notamment en luttant contre les effets de l'idéologie, dominante sur l'engagement militant. Au cours de ses 25 années d'existence, le CCI a payé les conséquences de la rupture de la continuité organique avec les organisations révolutionnaires du passé. Bien que nous tirions un bilan positif de cette expérience, nous savons que les acquis dans ce domaine ne sont pas définitifs ; surtout dans la période actuelle de décomposition, quand les efforts de l'organisation pour assurer un fonctionnement animé par "l'esprit de parti" sont sapés en permanence par les tendances de la société au "chacun pour soi", au nihilisme, à l'irrationalité, qui se manifestent dans la vie organisationnelle par l'individualisme, la méfiance, la démoralisation, l'immédiatisme, la superficialité.

Le 13e congrès a inscrit l'orientation des activités du CCI (presse, diffusion, réunions publiques et permanences) dans la perspective, pour une part, d'une accentuation des effets de la décomposition mais aussi d'une accélération de l'histoire, exprimée par une aggravation de la crise du capitalisme et une tendance au resurgissement de la combativité du prolétariat. Le CCI, et avec lui l'ensemble du milieu prolétarien, sort de ce congrès mieux armé pour affronter cet enjeu historique.

Courant Communiste International


[1] Revue de la Gauche communiste d'Italie dans les années 1930. Cf. notre brochure La Gauche communiste d'Italie.

[2] Voir notre tract international publié en première page du numéro précédent de Révolution Internationale et diffusé dans tous les pays où existent des sections du CCI, ainsi qu'au Canada, en Australie et en Russie. Voir également dans ce numéro l'article sur l'intervention des autres groupes du milieu |politique prolétarien.

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Travaux du 13e Congrès du CCI