Soumis par Révolution Inte... le
Nous publions ci-dessous un extrait d’un courrier adressé par un de nos lecteurs, Robert, suite à une permanence en ligne à laquelle il a assisté, suivi de notre réponse.
Concernant les luttes des prolétaires : les révolutionnaires doivent-ils dénoncer les luttes des prolétaires qui se trompent, utilisent des méthodes qui ne sont pas les siennes ou juste faire la critique ? Car à mon avis, il y a une différence entre dénoncer et critiquer. Dénoncer : veut dire signaler comme coupable. Signaler publiquement les pratiques malhonnêtes, immorales ou illégitimes. Condamner : « déclarer (quelqu’un) coupable », « blâmer quelque chose », « Fermer, empêcher », « interdire ». Critiquer : « capable de discernement, de jugement », « séparer », « choisir », « décider », « passer au tamis »)
Si on regarde ces trois définitions, à mon avis, il faut condamner et dénoncer les organisations bourgeoises et petites-bourgeoises qui désorientent le prolétariat. Mais il faut critiquer un mouvement mené par les prolétaires pour plus de clarification, dans un but de le soustraire à l’influence bourgeoise et petite-bourgeoise. Si on dénonce une lutte du prolétariat, on la dénonce auprès de qui ? De la police, de la justice ? De l’Etat en général ? Ou bien dénoncer des prolétaires auprès d’autres prolétaires ? Par exemple, dénoncer les prolétaires noirs, sous prétexte que leur mouvement est embrigadé par les organisations bourgeoises, auprès des prolétaires blancs ? Dire aux prolétaires blancs qu’il faut soutenir vos frères noirs mais sur des bases de classe ? Ou leur dire non, c’est un mouvement interclassiste, il faut le dénoncer ??? Critiquer, c’est passer au tamis une lutte afin de voir les forces et les faiblesses.
Voyons ce que dit Marx à ce propos, et je souligne que c’est le CCI qui m’a appris cette phrase, pour critiquer le PCInt, que je trouve juste. Marx dit : « Par conséquent, rien ne nous empêche de relier notre critique à la critique de la politique, à la prise de partie en la politique, donc à des luttes réelles, et de nous identifier à ces luttes. Nous ne nous présentons pas alors au monde en doctrinaires armés d’un nouveau principe : voici la vérité, agenouille-toi ! Nous développons pour le monde des principes nouveaux que nous tirons des principes mêmes du monde. Nous ne lui disons pas : “renonce à tes luttes, ce sont des enfantillages ; c’est à nous de te faire entendre la vraie devise du combat”. Tout ce que nous faisons, c’est montrer au monde pourquoi il lutte en réalité, et la conscience est une chose qu’il doit faire sienne, même contre son gré ».
Lorsque Marx dit que nous ne lui disons pas : « renonce à tes luttes, ce sont des enfantillages ; c’est à nous de te faire entendre la vraie devise du combat ». Cela veut dire, à mon avis que Marx ne dénonce pas et même ne condamne pas les luttes des prolétaires, même si les prolétaires se trompent. Mais Marx rajoute : « Tout ce que nous faisons, c’est montrer au monde pourquoi il lutte en réalité, et la conscience est une chose qu’il doit faire sienne, même contre son gré ». Cela veut dire, à mon avis que les révolutionnaires doivent faire la critique des luttes des prolétaires et faire en sorte à l’orienter vers des buts de classe, vers le but final qui est la dictature du prolétariat.
Pour les luttes parcellaires et le rôle des révolutionnaires : « Pas plus qu’on ne juge un individu sur l’idée qu’il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de bouleversement sur sa conscience de soi ; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle, par le conflit qui existe entre les forces productives sociales et les rapports de production » (Karl Marx). Ce que j’ai compris de cette phrase, c’est que les révolutionnaires ne doivent pas se limiter à la façade des luttes, mais à chercher les causes qui poussent les prolétaires à s’engager dans des luttes inter-classistes. Car la signification que donnent les organisations bourgeoises, petites-bourgeoises et les prolétaires à des slogans n’est pas la même. Les prolétaires lorsqu’ils parlent de liberté, égalité, fraternité, cela veut dire dignité, pain, paix… Même si les mots sont ambigus.
Robert
Réponse du CCI
Pour commencer, nous voulons saluer le courrier du camarade qui a souhaité poursuivre le débat et apporter d’autres arguments à ceux développés dans la discussion lors de la permanence. Nous ne pouvons qu’encourager ce type d’initiative et c’est dans cette démarche que nous inscrivons la réponse que nous faisons ici au camarade.
Les questions que soulève le camarade sont d’une grande importance : il s’agit, en effet, de déterminer comment les révolutionnaires doivent orienter leur intervention face à des mouvements de protestation de toutes sortes. La première chose que nous devons mettre en avant ici, c’est la question du terrain de classe.
La société capitaliste offre un nombre considérable de possibilités d’indignation, de colère, de protestation, tellement les horreurs, les violences et la misère qu’elle propage sont innombrables. Ceci entraîne toute une série de mouvements épars dans lesquelles peuvent se retrouver des prolétaires refusant d’accepter sans broncher toutes ces expressions de barbarie. Il arrive aussi que des prolétaires, sincèrement indignés, soutiennent et participent à des mouvements revendiquant des droits et une législation pour des catégories opprimées (les femmes, les minorités ethniques, les homosexuels, etc.). Mais il s’agit là de véritables pièges tendus par la bourgeoisie, bien souvent par ses associations et partis de gauche qui instrumentalisent le dégoût évident que suscitent, par exemple, la situation des Noirs aux États-Unis ou les violences à l’encontre des femmes. Ces prolétaires se retrouvent donc englués dans des mouvements parcellaires, et par conséquent embrigadés derrière des revendications purement bourgeoises.
Deux exemples peuvent illustrer ces situations. Beaucoup de prolétaires sont inquiets pour l’avenir de la planète face au réchauffement climatique, à la multiplication des catastrophes dites « naturelles ». Mais en s’impliquant dans des luttes pour une meilleure action des États dans le respect de la nature, ces ouvriers s’allient avec toutes les couches de la société dans l’illusion que des améliorations au sein du capitalisme sont possibles. Ils passent ainsi à côté du seul combat efficace pour sauver la planète : la lutte pour la destruction du capitalisme ! Un combat que seule la classe ouvrière peut mener.
De même, les violences policières dans beaucoup de pays développés, fortement médiatisées pour certaines, ont profondément indigné nombre de prolétaires ! Mais en allant lutter pour que des lois et des procédures viennent garantir une intervention policière plus « respectueuse des droits individuels », les ouvriers se mettent tout simplement à la merci de la bourgeoisie et de ses États en oubliant que les forces de police sont toujours le bras armé de l’État bourgeois dans la répression des luttes du prolétariat, comme l’histoire du mouvement ouvrier l’a démontré à de très nombreuses reprises.
On ne peut donc pas caractériser un mouvement par le fait sociologique que des prolétaires y participent. En tant qu’individus, les prolétaires sont potentiellement sensibles à toutes les causes et ne représentent rien en termes de force sociale. La seule force sociale capable de combattre le capitalisme, c’est la classe ouvrière et cette classe n’est pas la simple somme des individus qui la composent, elle n’est pas une entité sociologique qui n’existerait qu’à travers les individus qui la composent. La classe ouvrière existe à travers ses dimensions économique et politique au sein du capitalisme, à travers sa lutte contre l’exploitation de sa force de travail par le salariat. Autrement dit, en tant que classe exploitée et classe révolutionnaire. Elle trouve sa force dans son histoire, ses luttes, son caractère international. Par conséquent, c’est en tant que force collective, dont le ciment est la solidarité de classe internationale, qu’elle peut véritablement instaurer un rapport de force avec la bourgeoisie.
De même, les révolutionnaires ne sont pas des missionnaires qui interviennent auprès d’individus prolétaires pour les sauver de l’idéologie dominante, ce serait de toute façon impossible, aucun individu ne pouvant seul résister au rouleau compresseur de l’idéologie dominante. Les révolutionnaires sont la partie la plus décidée et consciente de la classe ouvrière. Ils représentent, de façon organisée, son bras armé pour développer sa conscience de classe et permettre au prolétariat de prendre le chemin de l’affrontement au capitalisme.
Dans ce cadre, l’intervention des révolutionnaires ne peut s’entendre que comme s’adressant à la classe ouvrière en tant que telle. C’est quand la classe ouvrière lutte en tant que classe qu’elle peut le mieux entendre et assimiler ce que les révolutionnaires ont à lui dire, notamment dénoncer les pièges que lui tend la bourgeoisie pour l’amener à la défaite. Mais aussi lui rappeler les outils et méthodes qu’elle a développés dans toute son histoire pour mener ses combats, en particulier le fait que, de manière consciente, seules son unité et son autonomie peuvent la préserver des pièges de la bourgeoisie et générer un rapport de force en sa faveur.
De ce fait, nous devons caractériser un mouvement d’abord par ses revendications et ses méthodes de lutte. Cela ne signifie nullement d’attendre patiemment un mouvement « pur » mais de déceler deux choses nécessaires pour orienter l’intervention :
– sur quel terrain se situe la lutte ?
– dans un mouvement, est-ce la classe ouvrière qui est mobilisée ou des individus indifférenciés et mêlés à d’autres couches sociales de la société ?
À l’heure actuelle, la plus grande majorité des luttes ouvrières sont organisées par les syndicats. Ces derniers, conformément à leur fonction au sein de l’État, n’ont de cesse de diviser les prolétaires afin de conduire la classe ouvrière à la défaite. Si les syndicats se placent aux avant-postes, c’est parce que la bourgeoisie perçoit la colère et la combativité qui s’éveillent. Ainsi, au cours des grèves ou dans les manifestations, sont reprises des revendications qui appartiennent à la classe ouvrière comme de meilleures rémunérations ou de meilleures conditions de travail. C’est en reprenant des revendications se situant sur le terrain de la classe ouvrière que les syndicats parviennent à se présenter comme les professionnels de la lutte et à en garder le contrôle. Il incombe donc aux révolutionnaires de dénoncer ces pratiques de sabotage et de défendre l’auto-organisation de la classe par une véritable prise en main dans des assemblées générales souveraines. En somme, comme le dit le camarade, il s’agit « d’orienter » les luttes vers « des buts de classe » et surtout « vers le but final » qui est le communisme.
Quand, au contraire, des mouvements se situent sur des terrains interclassistes, voire carrément bourgeois, que doivent faire les révolutionnaires ? Ils doivent mettre la classe ouvrière en garde sur la tentation d’y trouver un moyen lui permettant de développer sa lutte et sa conscience. Cela ne veut pas dire, comme le pense le camarade, qu’on « dénonce » ou qu’on attaque nommément les prolétaires qui y participent. Ce qu’on dénonce, ce sont les pratiques menant à des impasses, les revendications qui n’appartiennent pas au terrain de classe du prolétariat. Il ne s’agit pas d’une posture de censeur, il s’agit du seul moyen que nous avons pour faire prendre conscience aux ouvriers déboussolés que la cause qu’ils estiment juste (réclamer des droits à la bourgeoisie) est en fait un piège qui les conduit finalement à défendre le capitalisme (souvent à la remorque de la petite-bourgeoisie). Nous savons aussi que ces mouvements, ne se situant pas sur le terrain de classe, ne permettent pas à la classe ouvrière d’y être présente en tant que classe, du fait qu’elle se retrouve noyée ou diluée, sans force autonome. Notre intervention auprès des prolétaires directement impliqués n’en est que plus inaudible, incompréhensible. Cela signifie que nous devons assumer d’être à contre-courant car les révolutionnaires ont la lourde tâche d’essayer d’orienter la classe ouvrière vers le chemin le plus propice au développement de sa conscience sans jamais perdre de vue le but de la révolution et de la dictature du prolétariat.
Pour autant, la dénonciation de ce type de mouvement, n’exempte pas les révolutionnaires de réfléchir aux raisons pour lesquelles un nombre plus ou moins important d’ouvriers a participé à ces mouvements. C’est notamment ce qu’avait fait le CCI dans son analyse du mouvement des « gilets jaunes » en France.
Bien-sûr, la classe ouvrière n’est pas une entité désincarnée ni, non plus, un être homogène. Elle est traversée de courants, de mouvements, de débats, de réflexions, de combats. En son sein et à chaque période, la propagande des révolutionnaires obtient un écho plus ou moins important sur une partie plus ou moins étendue de la classe. C’est la raison pour laquelle notre intervention doit se concevoir sur une base collective, de classe et non individuelle. Le niveau de conscience de la classe ouvrière à un moment donné n’est pas la somme des consciences individuelles qui la composent mais le résultat de ce bouillonnement permanent de réflexion et de débat qui permet, parfois en quelques semaines comme en 1905 et 1917 en Russie, à des ouvriers analphabètes et sans intérêt pour la politique, de créer les conditions d’une insurrection et inventer les méthodes d’exercice du pouvoir par le prolétariat en faisant surgir des conseils ouvriers.
Il ne s’agit pas d’une science exacte, mais d’une méthodologie pour déterminer la nature de classe d’un mouvement et pour orienter l’intervention des révolutionnaires en son sein. Mais partir de l’individu est, en revanche, une impasse car l’individu sur le plan politique n’existe pas dans le capitalisme. Défendre le contraire reviendrait à nier les conditions réelles de la production capitaliste et donner du crédit à l’idéologie démocratique qui, en partant des votes d’individus dans l’isoloir, construit la légende de la « volonté du peuple ».
Ce qui est le plus important est de partir, au contraire, de la dimension historique et internationale du prolétariat, de déceler en chaque lutte de quelle manière la classe ouvrière s’inscrit dans ce cadre. Dans quelle mesure elle est en capacité de développer sa lutte en défendant ses propres intérêts. Des luttes dont le terrain privilégié reste celui du combat contre l’exploitation capitaliste. Il s’agit de prendre la mesure du développement de la combativité, de la recherche de la solidarité et de l’unité.
GD, 11 novembre 2022