L’identité de classe et la perspective révolutionnaire

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Nous publions ci-dessous une contribution de la camarade Rosalie qui prolonge un aspect abordé lors de la réunion publique tenue à Paris le 17 septembre dernier. Nous partageons globalement les réflexions de la camarade et voulons saluer l’effort théorique produit sur un sujet aussi essentiel pour la perspective révolutionnaire.

Nous voulons cependant faire quelques remarques. Premièrement, la camarade écrit : « À l’origine du capitalisme, les choses étaient simples : on était ouvrier, paysan ou bourgeois et pour ce qui concernait les ouvriers, les revendications étaient sur le terrain des améliorations de salaire ». En fait, les oppressions raciale, féminine ou encore homosexuelle existaient. Seule la dégradation de l’environnement n’en était pas au point de mettre en péril la survie même de la civilisation. Surtout, dans la période de décadence du capitalisme, le prolétariat ne peut plus obtenir d’amélioration significative des conditions d’existence. La bourgeoisie utilise donc tous les moyens pour détourner la classe de son propre terrain de lutte, les luttes parcellaires faisant évidemment partie de ces moyens.

Nous voulons particulièrement insister sur le fait que derrière le développement des multiples « luttes identitaires » évoqués par la camarade, se cache le danger des luttes parcellaires susceptibles de happer des parties de la classe ouvrière sur des terrains de luttes totalement stériles et néfastes à l’affirmation de l’identité de la classe ouvrière, classe exploitée à l’échelle internationale. Aussi, ce n’est qu’en s’efforçant de développer ses luttes de façon autonome que la classe ouvrière sera peu à peu en mesure de recouvrer son identité.

Si dans ce processus long et sinueux, il s’agira d’être attentif aux réactions de la classe ouvrière dans des pays tels que la Chine ou l’Inde comme le souligne la camarade, il faut être clair et lever toute ambiguïté sur le fait que la clé demeure entre les mains du prolétariat des pays centraux du capitalisme, le plus expérimenté et donc le plus capable de déjouer les pièges de la bourgeoisie. C’est à lui qu’incombe la plus grande responsabilité dans la capacité du prolétariat mondial à ouvrir une nouvelle période révolutionnaire. D’autant, que c’est dans ces mêmes pays que figurent les principaux groupes historiques du milieu politique prolétarien.

Malgré son importance sur le plan quantitatif, le prolétariat des pays périphériques reste marqué par des faiblesses beaucoup plus importantes liées à son manque d’expérience. C’est la raison pour laquelle le CCI rejette la théorie du « maillon le plus faible », point de vue de Lénine et développé par l’Internationale communiste. (1)

Enfin, nous voulons fortement souligner la conclusion dressée par la camarade qui pose de façon particulièrement claire l’enjeu contenu dans les luttes présentes et à venir, dans la capacité de la classe ouvrière à recouvrer son identité et développer sa conscience de classe.

Par contre, le prolétariat n’est pas révolutionnaire du simple fait qu’il soit une classe de « dépossédé et d’exploité » comme le souligne la camarade mais aussi par le fait que, pour se libérer de cette exploitation, il doit mettre fin à toute forme de société de classes. La classe ouvrière étant la seule classe sociale permettant de dépasser la société capitaliste.

RI

Samedi 17 septembre, j’ai participé à la réunion publique organisée à Paris avec pour ordre du jour : la suite de l’analyse de la guerre en Ukraine et les grèves en Grande-Bretagne notamment leurs implications au niveau international. Je partage totalement l’exposé reprenant les textes du CCI et voudrais revenir sur la notion d’identité de classe, notion qui nous occupe depuis plusieurs mois dans les réunions publiques et permanences ainsi que dans la presse ; l’ordre du jour de la réunion publique d’aujourd’hui nous rappelle que la compréhension de cette question d’identité est essentielle pour appréhender la période, à savoir : est-ce que la guerre en Ukraine peut être un déclencheur de la lutte de classe autrement dit une forte opposition à la guerre et à l’engagement du prolétariat à la défense du capitalisme ? Ces deux points sont en effet essentiels car ils nous conduisent au cœur de l’alternative : socialisme ou barbarie. J’ai refait un peu d’histoire. À l’origine du capitalisme, les choses étaient simples : on était ouvrier, paysan ou bourgeois et pour ce qui concernait les ouvriers, les revendications étaient sur le terrain des améliorations de salaire, de conditions de travail, etc. Les premières associations ouvrières avaient pour mot d’ordre le fameux « Prolétaires de tous pays, unissez-vous ». Au fil du déroulement du mouvement ouvrier, la société capitaliste a évolué et fait apparaître d’autres classifications sociales. Aujourd’hui qu’observons-nous ? La société capitaliste, dans sa phase de décomposition, a donné naissance à différentes « crises d’identité » correspondant à autant de groupes d’opprimés. Ces groupes souffrant d’oppressions réelles sont encouragés à se mobiliser dans des luttes identitaires en tant que minorités ethniques, féministes, LGBT, minorités de défense de la nature, du local, antispécistes, alimentation BIO, respect de la vie animale, etc. Tous ces mouvements étant plutôt sur le terrain de la gauche, la droite s’occupe d’autres crises identitaires que ce soit la reconquête de l’homme blanc, de l’homme viril, de la religion comme base de l’organisation sociale, etc.

On le voit, les choses sont nettement plus confuses qu’avant et l’identité de classe qui devrait être revendiquée par le prolétariat devient une notion parmi d’autres, voire moins pertinente que d’autres plus modernes du fait que la bourgeoisie nous explique sans cesse que la classe ouvrière n’existe plus. La situation est d’autant plus complexe que les raisons d’oppressions existent bel et bien. Les agressions dans nos vies ne manquent pas et la vie quotidienne devient de plus en plus difficile pour les plus précaires d’entre nous. La dégradation écologique fait envisager le pis pour les années à venir. C’est dans cette fausse thématique que certains prolétaires se laissent embarquer dans ces mouvements identitaires. C’est pourquoi, il nous faut rappeler quelques vérités historiques : toutes ces manifestations sont étrangères à l’identité de classe et sont le produit de la perte de la seule identité de classe qui peut sauver l’humanité à savoir l’identité de classe du prolétariat avec comme perspective le communisme. On a des outils, me semble-t-il, et on peut s’appuyer sur quelques acquis de la théorie marxiste et le premier d’entre eux : l’exploitation de la classe ouvrière est la pierre angulaire de tout l’édifice capitaliste et c’est pour cette raison que le prolétariat de par sa position de dépossédé et d’exploité est révolutionnaire par nature et que sa lutte contient le renversement du capitalisme. Une fois qu’on a dit cela, une question demeure : Où en est le prolétariat et comment va-t-il agir en fonction de ce qu’il va être obligé historiquement de faire pour éviter la destruction de l’humanité ? Le mouvement ouvrier est né de la reconnaissance d’un intérêt commun de classe qui a été à la base de son identité de classe initiale puis son développement vers sa conscience de classe avec la création de ses organisations révolutionnaires. Qu’en est-il aujourd’hui ? Le prolétariat reste la classe de la dépossession et sa fonction dans la société capitaliste n’a pas changé. Ce qui ne signifie pas que « mécaniquement » chaque prolétaire aux différents moments de l’histoire ait été ou soit en mesure de se considérer et de se positionner comme détenteur de cette identité. Ceci étant rappelé, on peut se demander pourquoi depuis les années 1980, la bourgeoisie a été capable de mettre en œuvre toute une série de campagnes idéologiques efficaces jusqu’à proclamer la fin de la lutte de classes présentée comme un épouvantail de temps révolus où la société était divisée en classes sociales… ce qui bien sûr serait totalement dépassé et ne correspondrait plus à la période. Ce qu’il convient de faire d’après la bourgeoisie, c’est se battre pour de grands thèmes sociétaux dans lesquels chaque prolétaire est dilué et devient une femme, un jeune, un vieux, une personne discriminée en raison de son origine, de son handicap, de son orientation sexuelle, de ses préférences alimentaires, de son implantation géographique le désignant comme citoyens ou immigrés avec toutes les sous-classifications possibles : politiques, économiques, climatiques, etc. On le voit très clairement, dans cette panoplie de luttes identitaires, le prolétariat a de quoi y perdre sa boussole et partir dans des luttes sans perspective et très éloignées de sa lutte politique. Un autre point à prendre en compte : il faut bien voir que plus cette situation délétère continue plus la décomposition compromet la perspective d’une autre société humaine.

Comment la situation peut-elle évoluer ? La bourgeoisie, même en phase de déclin final, continue à mettre en place quelques mesures pour tenter d’enrayer la machine (2) que ce soit la mondialisation de la production qui a comme conséquence de nouvelles grandes concentrations ouvrières comme en Chine, en Asie du Sud-Est. Ce qui, entre parenthèses, illustre que le capitalisme sans le prolétariat est une vue de l’esprit. Cette mondialisation n’est pas sans poser de problèmes : on l’a vu au moment de la pandémie COVID et de la guerre en Ukraine avec les difficultés d’approvisionnement et de transport et surtout parce que cette nécessité économique se heurte à l’actuelle tendance au protectionnisme nationaliste.

On le voit bien : tous ces éléments objectifs ne sont pas suffisants pour « réveiller » l’identité de classe au sein du prolétariat et il faut la combinaison de plusieurs facteurs subjectifs comme : quel est le niveau politique des nouvelles générations d’ouvriers en Asie ? en Inde ? Et comment vont réagir toutes ces fractions du prolétariat à l’aggravation de la crise qui comme partout dans le monde, vont les mettre par pans entiers dans la plus grande précarité ? Si l’étincelle de la lutte de classe est attendue dans les pays occidentaux industrialisés de longue date et ayant grâce aux organisations révolutionnaires pu sauvegarder les acquis prolétariens, cette nouvelle répartition de l’exploitation ouvrière doit être prise en compte.

Pour conclure, c’est dans cette perspective que les prochaines luttes vont être déterminantes : en effet, soit elles vont permettre au prolétariat d’affirmer son identité de classe et jouer son rôle historique, soit ces luttes vont rester sur le terrain bourgeois auquel cas le prolétariat restera atomisé à la bourgeoisie faute d’engagement politique sur son terrain.

R., 17 septembre 2022

2 Le texte de la camarade semble, ici, contenir une erreur de formulation. Cette phrase nous paraît contradictoire. La camarade ne voulait-elle pas plutôt dire que les « quelques mesures » prises par la bourgeoisie visent à tenter de contenir la plongée du capitalisme dans le marasme ? Donc à essayer de « huiler » la machine plutôt que de « l’enrayer » ? (NdR)

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