"Barbarie" ou communisme?

Afficher une version adaptée à l'édition sur imprimante

Un blog qui se nomme Barbaria dénonce le capitalisme et sa variante stalinienne, les syndicats et la gauche du capital, le féminisme et les luttes partielles, il s’élève contre la démocratie et le patriarcat, parle de lutte prolétarienne, prétend défendre le communisme comme alternative au capitalisme. Cependant, il nie la lutte de classe du prolétariat, il présente comme une « révolution » ce qui est plutôt la plongée dans la barbarie et, tout en se gargarisant de phrases remplies « de revendications de la Gauche communiste », cache soigneusement l’existence des groupes de la Gauche communiste.

Une négation du prolétariat dilué au milieu des « exploités de l’histoire »

La « lutte des classes » que Barbaria nous présente et le « prolétariat » dont il nous parle n’ont rien à voir avec la véritable lutte des classes et le véritable prolétariat. Barbaria nous explique : « Lorsque les tisserands lyonnais prennent les armes en 1831, la bourgeoisie a une mémoire de classe. Elle s’est souvenue des invasions de ces peuples primitifs qui ont assailli l’Empire romain et qu’ils appelaient barbares, parce que leur langue ressemblait à du bruit. Les tisserands de Lyon ne parlaient pas non plus une langue que la bourgeoisie pouvait comprendre. Dans la lutte séculaire entre la civilisation et la barbarie, la révolution s’exprime dans une langue qui n’est pas celle des maîtres, une langue que l’Empire de la civilisation ne peut atteindre. Chaque fois que les classes exploitées se sont soulevées dans l’histoire, elles ont apporté avec elles la même barbarie, la même communauté humaine contre l’exploitation. Barbaria est un lieu de mémoire. C’est là qu’est conservée l’histoire millénaire de notre classe, des communautés primitives à la communauté humaine mondiale ». (1)

Cette vision fait disparaître le prolétariat, dilué dans toutes les classes exploitées de l’histoire. Si le prolétariat est solidaire avec elles et intègre le meilleur de leur lutte, le prolétariat est différent en ce qu’il n’est pas seulement la classe exploitée sous le capitalisme, mais il est aussi la classe révolutionnaire. Les esclaves et les serfs n’ont pas pu mettre fin à l’exploitation, mais le prolétariat est la première classe exploitée de l’histoire qui a la capacité et la conscience pour mettre fin au capitalisme et créer une nouvelle société, le communisme.

Dans le cadre des débats au sein de la Ligue des communistes, Engels a écrit Les principes du communisme, (2) où il a montré pourquoi le prolétariat est différent des esclaves et des serfs et où, dans cette différence, réside sa nature révolutionnaire. Barbaria laisse tout cela de côté et soutient que les révoltes interclassistes, les « mouvements sociaux » tels que les « gilets jaunes » ou les manifestations au Chili ou en Équateur en 2019, seraient l’expression de la lutte des classes : « Une réalité faussement comprise tente de nous faire croire que nous vivons dans un monde sans révolutions ni révoltes. Il suffit de regarder de la Roumanie à l’Albanie, de l’Algérie à l’Irak, de la Bolivie à l’Équateur, de l’Argentine à Oaxaca, pour voir l’intensité des révoltes et des révolutions qui ont balayé la surface de la terre au cours des 25 dernières années, sans parler de l’intense processus de lutte de classe qui s’est déroulé en 2011 dans le monde arabe, au moment même où de nombreux sociaux-démocrates avaient annoncé la fin des révolutions […] L’avenir immédiat sera donc celui d’une intense lutte de classe. C’est un phénomène que l’on observe déjà depuis quelques mois dans des régions comme la Chine, l’Iran, l’Irak, le Kurdistan, Haïti… Et plus récemment, il a touché aussi la France avec le mouvement des ‘gilets jaunes’, la Hongrie ou la Tunisie ».

Aujourd’hui, le prolétariat souffre cruellement de la perte de son identité de classe, du manque de confiance en ses propres forces, Barbaria panse cette plaie en vendant comme « lutte des classes » la mobilisation interclassiste et nationaliste des « gilets jaunes » qui chantaient La Marseillaise et arboraient le drapeau tricolore avec lequel la Commune de Paris a été écrasée. (3)

La barbarie présentée comme « révolution »

Barbaria parle de « révolution ». Le changement de régime à Cuba en 1959 aux mains du castrisme nous a été vendu comme une « révolution ». L’éviction de Trump de la présidence américaine aurait été une « révolution citoyenne ». Les trotskystes transforment toute agitation dans un pays exotique en « révolution ». Barbaria apporte sa contribution à cette entreprise semant la confusion en nous parlant, comme nous l’avons déjà vu, de « révoltes et révolutions » en Irak (?), en Haïti (??), au Kurdistan (???), en Chine (????), chez les « gilets jaunes » (?????)…

Les émeutes et les convulsions que Barbaria amalgame sous le nom de « révoltes et révolutions » sont très différentes les unes des autres. Cependant, elles ont un point commun : elles n’ont rien à voir avec la lutte du prolétariat. Certaines sont des révoltes désespérées et nihilistes, d’autres sont des mouvements clairement bourgeois, d’autres des affrontements impérialistes. En Chine, par exemple, nous connaissons la rébellion nationaliste des Ouïghours ou le mouvement démocratique à Hong Kong. Quant au Kurdistan, Barbaria fait-il référence au mouvement guerrier et nationaliste du Rojava tant vanté par les anarchistes ? (4)

Mais en quoi consiste la révolution prolétarienne pour Barbaria ? Dans un texte intitulé « 11 points sur Marx », on peut trouver des choses très générales, formellement correctes, sur l’abolition des relations de production capitalistes, la dictature du prolétariat, la destruction de l’État, etc. Cependant, lorsqu’il s’agit d’être concret, nous trouvons des déclarations comme celle-ci : « La réponse de ces communes, comme celle de Puerto Resistancia, est une démonstration de la capacité de notre classe à construire des relations sociales en dehors de celles imposées par le capital et ses États, où, en même temps que les conditions matérielles de vie sont réorganisées, une révolution des valeurs et des relations humaines a lieu. Le monde n’est plus inversé, comme c’est le cas sous le capitalisme, et les besoins sociaux ont la priorité sur tout autre critère (comme l’accumulation illimitée de capital) dans les décisions que prennent les communes sur l’utilisation des ressources disponibles et les efforts qui sont consacrés à leur réalisation. Tout est chamboulé. Ainsi, par exemple, une militante des luttes environnementales, qui avait jusqu’alors besoin d’une escorte face aux multiples menaces et assassinats des paramilitaires, se promène désormais librement, sans crainte, parmi ses voisins. La mobilisation prolétarienne lui a rendu sa sécurité, elle a stoppé la violence du capital dans les espaces où notre classe a imposé sa logique de vie (contre la logique de mort du capital). » (5)

De ce passage, on peut tirer une série de conclusions :

– les relations sociales pourraient être construites en dehors de celles imposées par le capital, au sein même du capitalisme ;

– il y aurait une « révolution dans les valeurs et les relations humaines » (sic !) ;

– au sein du capitalisme, « on pourrait faire en sorte que les besoins humains aient la priorité sur l’accumulation capitaliste" !

En bref, les « révoltes et révolutions » présentées par Barbaria prouveraient des idées telles que :

– le communisme peut déjà être créé au sein du capitalisme ;

– des « espaces libérés » pourraient être créés à partir de la répression de l’État capitaliste ;

– l’économie pourrait être changée sans avoir besoin de détruire le capitalisme…

En d’autres termes, la négation de tout ce qui est « théoriquement » affirmé dans les « 11 points sur Marx ».

Le passage sur la « commune de Puerto Resitancia » à Cali en Colombie présente comme des actes « révolutionnaires » des événements qui expriment l’éclatement de la société en fragments où de petites communautés se protègent désespérément, sans avenir, de la dislocation des relations sociales. Les couches sociales marginalisées, les prolétaires individuels, sont emportés dans le tourbillon de la décomposition et cela est glorifié par Barbaria comme « les lueurs annonciatrices d’une société nouvelle, les étincelles du communisme, les balbutiements, les débuts, de la constitution révolutionnaire d’une classe qui refuse de succomber aux côtés d’un capitalisme moribond ». Pour couronner le tout, Barbaria propose comme alternative de généraliser ce naufrage dans la barbarie à l’échelle mondiale : « Ce que nous voyons à travers l’expérience des communes de Cali ou de Medellin, ou dans les quartiers de Santiago du Chili, est encore insuffisant, ces nouvelles relations sociales ne peuvent s’imposer à la logique du capital qu’au niveau mondial ».

Barbaria revendique la « barbarie » ! Le prolétariat appartiendrait à « la lutte millénaire entre la civilisation et la barbarie », et sa lutte rappellerait les « barbares antiques qui ont pris Rome d’assaut ». Nous nous demandons si cette « revendication » relève de la plus effroyable confusion ou d’une volonté délibérée de présenter le glissement croissant du capitalisme vers la barbarie comme la « perspective révolutionnaire ». Les promoteurs propagandistes de Barbaria doivent l’expliquer.

Cependant, ce qui est très clair pour nous, c’est, tout d’abord, que la civilisation qui naît avec les modes de production esclavagiste, féodal, asiatique despotique et capitaliste, est la pire et la plus sophistiquée forme de barbarie parce qu’elle est institutionnalisée et sanctifiée dans l’État avec ses armées, sa police, ses prisons, ses tribunaux……

Deuxièmement, comme Engels l’avait annoncé en 1890, l’alternative qui se présente à l’humanité est la barbarie ou le communisme. Le visage de la barbarie se dessine de plus en plus rapidement aujourd’hui avec le Covid-19, le désastre écologique, les guerres impérialistes, le chaos croissant… Le tour de passe-passe de Barbaria consistant à inclure le prolétariat dans la « tradition des barbares » et nous montrer comme des « étapes vers la révolution », ce qui n’est rien d’autre que des manifestations de l’enfoncement dans la barbarie.

La Gauche communiste existe-t-elle aujourd’hui ?

Barbaria parle beaucoup de la Gauche communiste, sur son blog, on trouve plusieurs articles : « Amadeo Bordiga, un dinosaure du communisme » (sic !) ; « Sur la fondation du PC d’Italie et de la Gauche communiste italienne » ; « Le passé de notre être » (6), etc.

Les camarades de Programa Comunista font une critique assez judicieuse de l’article sur Bordiga. (7) Ils dénoncent la manipulation de Barbaria qui détache Bordiga de la lutte des groupes de la Gauche communiste pour tenter de « définir un apport personnel de Bordiga qu’il s’approprie pour y construire sa propre théorie, sa vision particulière des problèmes qui ne peuvent être abordés, en termes marxistes, qu’à partir du travail anonyme et collectif de l’organe du parti ».

Les camarades du PCI soulignent que la biographie de Bordiga par Barbaria « est soigneusement découpée en 1929 et laisse de côté tout le travail que, depuis l’après-guerre, Bordiga et tant d’autres camarades ont fait pour restaurer le marxisme ».

Cette amputation est également évidente dans les autres textes de Barbaria qui parle de la Gauche communiste en Allemagne, en Russie, etc., mais seulement jusqu’à la fin des années 1920. Il parle de Bilan sans dire un mot de ses continuateurs, Internationalisme et le CCI. Nous ne trouvons pas la moindre trace des groupes actuels de la Gauche communiste, du CCI, de la TCI, de Programme communiste……

Nous n’allons pas spéculer sur les raisons de cet oubli, c’est à Barbaria de l’expliquer. Cependant, il y a une conclusion que tout lecteur peut tirer de cette absence : la Gauche communiste appartiendrait à un passé lointain, que l’on pourrait étudier comme un « fonds documentaire » dans lequel on pourrait puiser les interprétations qui conviennent à ses propres intérêts. La conséquence est évidente : le prolétariat est privé de sa principale force, la continuité historique critique de ses organisations communistes, le fil historique qui va de la Ligue des communistes aux petits groupes actuels de la Gauche communiste. La méthode de Barbaria consiste à faire disparaître ces derniers de l’horizon, en donnant à comprendre au prolétariat et à ses minorités révolutionnaires qu’il ne dispose pas de cet héritage historique fondamental. Cette amputation de la mémoire contre notre classe n’est pas nouvelle. On assiste ces derniers temps à des entreprises comme celle de Nuevo Curso qui ignore totalement les groupes de la Gauche communiste pour chercher à se faire passer comme « Gauche communiste », en se basant sur une resucée de positions du révolutionnaire Munis qui n’a pas réussi à rompre réellement avec le trotskysme. (8)

Il est possible que les promoteurs de Barbaria ne soient pas d’accord avec les positions que nous défendons au sein du CCI ou avec celles d’autres groupes actuels de la Gauche communiste. L’analyse que nous avons faite ci-dessus le démontre clairement. Comme pour n’importe quelle organisation qui a l’intention de prendre la Gauche communiste comme base de son activité organisée (alors que Barbaria laisse entendre que la Gauche communiste serait « le passé de son propre être »), ce que ce groupe devrait faire est de s’engager dans un débat large et profond avec les organisations qui aujourd’hui se réclament de la Gauche communiste. Si finalement, après un débat approfondi, il arrivait à la conclusion qu’elles défendent des positions erronées, la formation d’un nouveau groupe serait alors une contribution possible. Mais ce qui est malhonnête, c’est de parler de la Gauche communiste en laissant entendre qu’elle appartiendrait « au passé de l’être » de Barbaria, et, en même temps, d’ignorer totalement les groupes actuels de la Gauche communiste.

Nous pensons que la contribution que nous apportons doit être soumise à un débat critique et non ignorée. Nous nous en tenons à ce que la fraction Bilan signalait dans le premier numéro de sa revue (novembre 1933) : « Notre fraction revendique un long passé politique, une profonde tradition dans le mouvement italien et international ; un ensemble de positions politiques fondamentales. Mais il ne prétend pas s’appuyer sur ses précédents politiques pour exiger l’adhésion aux solutions qu’il préconise pour la situation actuelle. Au contraire, elle invite les révolutionnaires à soumettre à la vérification des événements les positions qu’elle défend aujourd’hui, ainsi que les positions politiques contenues dans ses documents de base ».

Acción Proletaria, organe du CCI en Espagne, 26 octobre 2021

 

1 « Qui sommes-nous ? », Barbaria.net

2 F. Engels, Principes du communisme (1847).

4 Voir notre article : « Les anarchistes et l’impérialisme kurde » en espagnol.

Rubrique: 

Défense de la Gauche communiste