Soumis par Révolution Inte... le
Alors que la pandémie et le désastre écologique font rage, la crise économique nous frappe avec la montée en flèche des prix, la hausse du chômage et de la précarité, et dans ce contexte, les capitalistes nous pressurent encore plus férocement. Nous le voyons à Cadix, où dans la nouvelle convention collective de la métallurgie, on essaie de supprimer la majoration de 50 % des heures supplémentaires, soit une perte moyenne de 200 euros par mois.
La baie de Cadix renvoie une image terrifiante de la crise capitaliste : plus de 40 % de chômage, de nombreuses fermetures d’entreprises, la liquidation d’Airbus Puerto Real et de Delphi…Beaucoup de jeunes sont poussés à émigrer vers la Norvège ou vers d’autres pays supposés « mieux lotis ».
Contre cette menace qui pèse sur la vie et l’avenir de tous les travailleurs, les ouvriers métallurgistes se battent avec une détermination et une combativité que nous n’avions pas vue depuis longtemps. Ils ne sont pas les seuls à se battre. Les employés dans la fonction publique en Catalogne ont manifesté massivement contre le recours intolérable aux emplois d’intérim (plus de 300 000 travailleurs de l’État ont des emplois précaires). Des luttes ont lieu dans les chemins de fer de Majorque, à Vestas (province de La Corogne) contre 115 licenciements ; chez Unicaja contre plus de 600 licenciements ; chez les métallurgistes d’Alicante ; il y a des manifestations dans différents hôpitaux contre le licenciement de travailleurs ayant contracté le Covid. Ces luttes coïncident avec des luttes menées dans d’autres pays : aux États-Unis, en Iran, en Italie, en Corée, etc. (1)
Nous tenons à exprimer notre solidarité avec les travailleurs en lutte de Cadix. Leur combat contribue à briser la passivité et la résignation, il exprime l’indignation des travailleurs face aux outrages que ce système inflige, tout cela peut constituer un encouragement pour les premiers pas d’une réponse prolétarienne à la crise et à la barbarie du capitalisme.
L’extension de la lutte contre le piège de l’isolement
Les employeurs, lors des négociations sur les conventions collectives, ont proposé de « geler les salaires en 2020 et 2021, la suppression du paiement double des heures supplémentaires, l’allongement de la durée de la journée de travail, de créer une nouvelle catégorie de travailleurs payés en dessous de leur qualification et de ne pas négocier une récupération salariale qui serait toxique, douloureuse et dangereuse ». (2) Il s’agit d’une attaque brutale par rapport à laquelle les syndicats ont tenté de désamorcer la tension sociale avec deux journées d’action stériles.
Cependant, face à la montée de l’agitation et de la combativité, ils ont fini par appeler à une grève illimitée à partir du 16 novembre, qui a été massivement suivie et s’est étendue jusqu’à la baie de Gibraltar. Le 17 et le 18, le syndicalisme radical a piégé les travailleurs à travers des blocages de la circulation qui ont conduit à des affrontements avec la police dans une stérile « guérilla urbaine », ce qui a donné des munitions à la presse, à la télévision, aux réseaux sociaux, pour les calomnier comme étant des actions « terroristes »… Ainsi El Mundo a lancé une accusation haineuse contre les travailleurs : « Annulation d’opérations chirurgicales, un accouchement dans une ambulance… La grève des métallurgistes empêche l’accès à l’hôpital des soignants et des malades à l’hôpital de La Línea » (17 novembre 2021). Comme cela a été démontré à Euzkalduna en 1984, à Gijón en 1985 et lors de luttes précédentes à Cadix, de tels affrontements ne servent qu’à s’isoler et à empêcher les autres travailleurs de se joindre à la lutte et s’aliéner les éventuelles sympathies de la population. Ils renforcent le capital et son État, et lui donnent les moyens de déclencher une répression féroce.
Mais les travailleurs sont en train de chercher d’autres moyens d’être forts. Le 19, un piquet de grève de plus de 300 travailleurs s’est formé pour appeler à la solidarité les travailleurs de Navantia à San Fernando. Ce même jour, des manifestations ont été organisées dans les quartiers ouvriers de Cadix, Puerto Real et San Fernando. Après un rassemblement devant le siège des patrons, les travailleurs ont fait le tour de la ville, en suivant un itinéraire improvisé, en expliquant leurs revendications aux passants. Le 20, une manifestation massive a eu lieu dans le centre de Cadix et des rassemblements dans les quartiers ont été organisés pour soutenir les camarades entrés en lutte.
Nous ne pouvons avoir de force que si nous étendons la lutte aux autres travailleurs, si à travers des manifestations, des piquets de grève et des assemblées générales, nous organisons l’extension de la lutte. La lutte est forte si elle se propage, brisant les barrières de l’entreprise, du secteur, de la ville, forgeant dans la rue la lutte unie de toute la classe ouvrière.
La lutte doit être organisée par des assemblées générales
Dès le début, les syndicats ont monopolisé les négociations avec les employeurs, par l’intermédiaire du Conseil andalou des relations du travail. Nous savons déjà ce que sont ces « négociations » : une parodie où l’on finit par signer ce que veut le capital. Cela s’est produit à maintes reprises à Cadix : à Delphi, les syndicats ont fait avaler la pilule des licenciements aux travailleurs, la même chose s’est produite dans les différentes luttes dans les chantiers navals ou plus récemment à Airbus. Se souvenant de ces coups de poignard dans le dos, le 20, un rassemblement de travailleurs devant le siège des syndicats a crié « Où sont-elles passées, les Commissions ouvrières et l’UGT [les deux principaux syndicats nationaux en Espagne], on ne les voit pas ! »
Pour être forte, la deuxième nécessité est que la lutte soit prise en charge par l’assemblée générale de tous les travailleurs et que celle-ci organise des comités de lutte élus et révocables pour mener à bien la défense des revendications, promouvoir des actions de lutte, etc.
Depuis les expériences de 1905 et de 1917-23, les luttes où la classe ouvrière a pu manifester sa force sont organisées par les travailleurs eux-mêmes dans des assemblées générales ouvertes au reste de la classe ouvrière : les chômeurs, les retraités, les travailleurs précaires, etc. Cela est aussi le produit de l’expérience des métallurgistes de Vigo en 2006 (3) et du mouvement des Indignados en 2011. (4)
Les ouvriers ne peuvent pas laisser la lutte entre les mains des syndicats. Dans le communiqué d’une coordination des ouvriers de la métallurgie de Cadix, il était déclaré que « les syndicats doivent nous conseiller et nous représenter mais ne pas prendre des décisions pour nous et en secret ». Il ne s’agit absolument pas de cela ! Quel est le « conseil » que donnent les syndicats ? D’accepter ce que les patrons demandent. Quant à la lutte, leur « mobilisation » consiste en des actes isolés, de pressions sans aucune force ou d’affrontements minoritaires avec la police. Ils ne nous représentent absolument pas, ce qu’ils représentent, c’est le capital et son État. Leur fonction même d’instruments au sein du capital, c’est de « prendre des décisions pour nous et en secret ». Ils ne font que renforcer le capital et son État et leur donnent les moyens de déclencher une répression féroce.
Le piège localiste du slogan : « Sauver Cadix »
Les syndicats veulent enfermer la lutte dans un « mouvement citoyen » pour « sauver Cadix ». Il est vrai que les industries ferment, qu’un jeune sur trois doit émigrer. Mais c’est ce que nous voyons dans tous les pays. Détroit, autrefois le centre de l’industrie automobile américaine, est aujourd’hui un désert de ruines, de fer et de ciment. La même chose se produit dans l’industrie minière des Asturies. Des exemples, il en existe par milliers. Ce n’est pas Cadix qui coule, c’est le monde capitaliste qui s’enfonce dans un processus irréversible de crise économique, de destruction écologique, de pandémies, de guerres, dans une barbarie généralisée.
Le slogan « Sauver Cadix » détourne la lutte des travailleurs sur un terrain localiste totalement impuissant. Depuis 40 ans, on nous a fait lutter pour la « défense des chantiers navals de Cadix », pour réclamer plus d’investissements dans la baie, etc. Nous en voyons maintenant les résultats ! De plus en plus de chômage, de précarité, de besoin d’émigrer.
Le grand danger pour la lutte est que la solidarité qui commence à se manifester soit canalisée et dévoyée vers le slogan : « Sauver Cadix » qui nous plonge dans l’enferment bourgeois du localisme et du régionalisme, qui est le pire des poisons pour la lutte des travailleurs. Elle est détournée vers l’objectif capitaliste d’un soi-disant « développement économique », censé « créer des emplois » et vers le fait de prôner « une unité » avec les petits entrepreneurs qui nous exploitent, les flics qui nous cognent dessus, les politiciens qui nous vendent leur camelote, la petite bourgeoisie égoïste et mesquine. Ils ont mis la lutte de Cadix dans le même sac que les protestations des patrons de transport. Ainsi, Kichi, le maire « radical » de Cadix a déclaré : « Nous avons été obligés de mettre le feu pour que Madrid nous écoute ». C’est adultérer et falsifier la lutte des travailleurs en la transformant en un « mouvement de citoyens en colère » qui « mettent le feu » pour que les « autorités démocratiques » leur octroient « leur » dû.
Non ! La lutte des ouvriers n’est pas une lutte égoïste pour des revendications partielles. Comme le disait le Manifeste du Parti communiste (1848) : « Jusqu’à présent, tous les mouvements sociaux ont été des mouvements déclenchés par une minorité ou dans l’intérêt d’une minorité. Le mouvement prolétarien est le mouvement autonome d’une grande majorité dans l’intérêt de la grande majorité ». La lutte revendicative fait partie du mouvement historique de la classe ouvrière visant à construire une société consacrée à la pleine satisfaction des besoins humains. Ce n’est pas vers la « baie de Cadix » qu’il faut regarder pour que la lutte aille de l’avant. C’est vers la classe ouvrière dans son ensemble qui souffre autant que leurs frères et sœurs de Cadix de l’inflation, de la précarité, des baisses de salaire dans les contrats de travail, de la diminution des prestations sociales, du chaos dans les hôpitaux, de la menace de la poursuite de la pandémie de Covid. Mais, d’autre part, les travailleurs des autres régions doivent voir dans celle de leurs camarades de Cadix, leur lutte et démontrer leur solidarité en se joignant à eux, en mettant en avant leurs propres revendications.
Contrairement aux mensonges démocratiques, la société actuelle n’est pas une somme de citoyens « égaux devant la loi ». Elle est divisée en classes, une minorité exploiteuse qui possède tout et ne produit rien, et en face d’elle, la classe ouvrière, la majorité exploitée, qui produit tout et possède de moins en moins. Seule la lutte en tant que classe peut rendre les revendications des travailleurs de Cadix réalisables, seule la lutte en tant que classe peut ouvrir un avenir face à l’effondrement de l’économie et à la barbarie du capitalisme.
CCI, 21 novembre 2021
1) Cf. « Les luttes ouvrières aux Etats-Unis, en Iran, en Italie, en Corée… Ni la pandémie, ni la crise économique n’ont brisé la combativité du prolétariat ! », Révolution internationale n° 491 (nov.-déc. 2021).
2) Citation tirée d’un communiqué de la Coordination des ouvriers métallurgistes de la baie de Cadix.
3) Cf. notre article de 2006 : « Grève de la métallurgie à Vigo en Espagne : une avancée dans la lutte prolétarienne », Internationalisme n° 326.
4) Cf. notre tract international : « 2011 : de l’indignation à l’espoir », Révolution internationale n° 431 (avril 2012).