Soumis par Révolution Inte... le
Dernièrement, une de nos lectrices a fait un voyage à Moscou. Elle nous a envoyé ses impressions.
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"Dans presque toutes mes discussions avec des gens différents en Russie, ces gens m’ont exprimé leur peur d’explosions violentes, non seulement dans les républiques périphériques comme celles du sud (Azerbaïdjan) ou de la Baltique. Quoique le groupe anti-sémite Pamiat ait une influence croissante à Moscou, les tensions nationalistes n’ont pas réellement frappé dans cette ville. De toutes façons, la question la plus brûlante à Moscou même est la situation incroyable de l’approvisionnement, qui, à ce que l’on m’a dit, est pourtant meilleur que dans la plupart des autres parties du pays. Avec des boutiques vides ou ne contenant que quelques marchandises à vendre (les média ont fait des reportages souvent là-dessus), avec des queues incroyablement longues partout, avec des masses de gens qui envahissent la ville tous les jours (Moscou a une population de 9 millions de personnes, 2 millions de plus y viennent tous les jours des autres parties de l’Union, errant dans les rues, à la recherche de nourriture), avec des prix montant en flèche, la patience de la population touche à sa fin. Pour quelqu’un de l’Ouest, il est vraiment difficile d’imaginer que les gens doivent passer à peu près tous les jours de leur vie à faire la queue pour quelque chose... avec la peur que celui qui est devant vous dans la queue prenne le dernier produit.
Apres 5 ans de perestroïka, la situation de l’approvisionnement est devenue la pire que l’on ait connue depuis la deuxième guerre mondiale, et la plupart des gens avec qui j’ai parlé traitent Gorbatchev de démagogue. En fait les moscovites sont surpris d’entendre que sa réputation est si bonne à l’Ouest, parce qu’en Union soviétique la plupart des gens n’ont que du mépris pour lui -du fait qu’il est considéré comme un dirigeant représentatif de l’appareil du parti qui a tout fait, sauf améliorer la situation des ouvriers.
Quand j’ai demandé aux gens s’ils s’attendaient à une amélioration de leur sort, ils m’ont tous répondu qu’ils s’attendaient à ce que cela empire. En conséquence, une colère et une haine incroyables sont en train de voir le jour contre l’appareil du parti. Découragement, désespoir et un manque total de perspective sont les caractéristiques dominantes. Il n’est pas surprenant que l’une des réactions soit l’alcoolisme (déjà, au début des années 80, les ventes d’alcool représentaient un sixième de toutes les ventes de détail, "The Economist" 18/11/89) et l’augmentation de 40% des crimes et de l’hooliganisme. Alors qu’aux USA il y a environ 23.000 assassinats chaque année, le nombre des assassinats en Union soviétique a atteint les 18.000 avec un accroissement plus important que partout ailleurs dans le monde.
Alors que beaucoup de gens s’attendent à ce que le développement de l’Union Soviétique selon les vœux de Gorbatchev n’aboutisse à l’horreur, nombre d’entre eux placent leurs espoirs dans l’introduction de l’économie de marché. Ils croient que si ces mécanismes deviennent effectifs, la situation de l’approvisionnement et celle désespérante du logement pourraient s’améliorer, et qu’en fin de compte ils obtiendraient "un salaire mirifique pour une journée de travail".
Depuis l’époque stalinienne, depuis la fin des années 1920, les mécanismes de l’économie de marché ont été supprimés ou distordus. Les prix n’ont jamais été établis d’après le mécanisme de l’offre et la demande ; les objectifs de production ont toujours été déterminés par quelques apparatchiks du parti, etc... Aussi les gens en Union Soviétique n’ont pas la moindre idée de la réalité de ces mécanismes de marchés tant vantés, tels que nous les connaissons à l’Ouest. Aveuglés par les manques quasi permanents de marchandises dans les magasins, ils se sentent enthousiasmés et impressionnés par les images des TV de l’Ouest ou quand ils entendent parler des monceaux de marchandises disponibles dans les magasins -là où il y a une gigantesque surproduction.
Ainsi quand je les questionnais sur l'"autre côté" de la médaille de l’économie de l’Ouest, à savoir la loi de la jungle de la concurrence, le danger permanent du chômage, la question du logement, la possibilité pour les patrons de licencier leurs employés, la notoire concurrence des ouvriers entre eux, la faim, la misère, etc..., ils s’efforçaient tous de mettre cela de côte et de l’ignorer.
Quand je leur parlais des millions de chômeurs dans les grands pays industriels, certains répondaient même : "si on veut un boulot, on en trouve un, ce n’est que de la paresse". En résumé, les décennies de chômage masqué en Union Soviétique, où pullulent des millions de parasites de toutes sortes, tels les surveillants, les bureaucrates incompétents du parti, les fonctionnaires en tous genres, les agents du KGB, le désœuvrement dans la production, causé par les retards dans l’approvisionnement, l’anarchie et le chaos généralisés, dans le système de production et de distribution, tout cela a conduit de nombreux ouvriers d’URSS à penser que le chômage masqué à l’Est a les mêmes racines qu’à l’Ouest. Les choses iraient très bien si l’on donnait un "bon coup de balai" pour se débarrasser de tous les parasites.
Je leur ai demandé s’ils pouvaient s’imaginer devant l’étalage le plus astucieusement décoré, ou voir tous ces produits dans les magasins, mais n’ayant pas d’argent ou trop peu à cause des bas salaires, ou du chômage... La plupart d’entre eux ne pouvaient simplement pas imaginer cela. Autre réponse : si l’on travaille assez dur dans son boulot, on peut avoir un meilleur salaire et acheter des tas de choses.
Pour quelqu’un de l’Ouest, c’est dur d’entendre des ouvriers de l’Est exprimer les plus grands espoirs dans la mise en place des mécanismes du marché. Aucun porte-parole capitaliste à l’Ouest ne pourrait répandre une meilleure propagande à propos de ces prétendues vertus de l’économie capitaliste.
Déjà, quand je parlais avec mes compagnons de voyage, ils me disaient avoir eu les mêmes discussions. Leurs conclusions étaient que les gens qu’ils avaient rencontrés étaient très naïfs à propos de la réalité de l’Ouest. Ils ont été surpris que certains, des politiciens les plus populaires en URSS sont ceux qui sont les propagandistes les plus ouverts des "réformes capitalistes" (Jelzin, etc..).
Mon compagnon de voyage me disait que tous ceux qui avaient ces espoirs sur les vertus de l’économie de l’Ouest seront probablement les plus déçus.
Après ces quelques discussions avec des gens de Moscou, je me suis rendue compte de mes propres yeux qu’il serait faux de s’attendre à trop de clarté politique de la part des ouvriers d’Union Soviétique. Le règne du stalinisme pèse encore très lourdement comme un cauchemar et les illusions sur l’économie de l’Ouest brouillent encore tout, et cela rendra difficile aux ouvriers d’ici de jouer un rôle clef dans les luttes de classe internationales. L’arriération de l’économie russe fait malheureusement obstacle au dépassement de l’arriération politique des ouvriers en lien avec la classe ouvrière des pays les plus industrialisés de l’Ouest. Et je conclus en disant que cela confère au prolétariat de l’Ouest une responsabilité encore plus grande."
A.