Grève des enseignants de l’UNAM (Mexique): Se réapproprier les leçons des luttes passées

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Personne ne doute de l’augmentation du nombre de chômeurs dans le monde en raison du ralentissement de l’activité économique et de l’aggravation de la crise, accélérée encore par le Covid-19. Au Mexique, selon les données officielles, le nombre de chômeurs a augmenté de 117 % après la pandémie, ce qui représente 2,43 millions de travailleurs, dont près de 57 000 sont sans emploi depuis plus d’un an. Les travailleurs se sont retrouvés dans une situation plus fragile avec la pandémie en raison du danger quotidien d’être exposés à l’infection dans les transports et sur le lieu de travail, de l’incertitude de perdre leur emploi en raison du risque de faillites et de fermetures d’entreprises, ou encore de l’effort supplémentaire qu’ils doivent désormais fournir avec le télétravail, car il implique de couvrir des dépenses supplémentaires pour effectuer leur travail. Toutefois, dans ces circonstances, la situation actuelle rend plus difficile pour les travailleurs de protester pour de meilleures conditions de vie et de travail. Nous avons vu, par exemple, comment les protestations des travailleurs de la santé se sont multipliées au Mexique dans de nombreux hôpitaux, mais ceux-ci étaient très minoritaires et isolés en raison des exigences de la pandémie elle-même, qui n’a pas laissé aux infirmières, médecins, aides-soignants, etc. suffisamment de repos pour répondre à leurs besoins vitaux (parmi eux, il y a également eu de nombreux décès). (1)

Ainsi, il est important de souligner que la grève à l’UNAM montre clairement que le prolétariat n’est pas vaincu, qu’il fait preuve de combativité et qu’il a conservé intactes ses capacités de lutte pour la défense de ses conditions de vie et de travail, malgré les nombreuses difficultés et obstacles de la situation actuelle. L’UNAM est l’université la plus importante du Mexique, avec environ 40 000 enseignants aux niveaux secondaire, supérieur et post universitaire. La plupart d’entre eux n’ont pas de contrat de base, leurs contrats sont donc renouvelés chaque année, voire chaque semestre.

Depuis la pandémie, les activités de recherche ont été réduites, mais les cours n’ont pas été arrêtés, ils ont été repris en ligne avec les ressources des enseignants eux-mêmes, travaillant depuis leur domicile, et bien sûr avec une augmentation considérable de la charge de travail pour préparer le matériel de cours et l’évaluation en ligne.

En plus de l’augmentation de la charge de travail due au télétravail, des centaines de professeurs ont subi des retards dans le paiement de leur salaire, accumulant un retard pouvant aller jusqu’à un an, si bien qu’en février 2021, des réunions de professeurs ont été organisées pour discuter de leur situation, ce qui a conduit à un arrêt de travail de trois jours à partir du 16 mars à l’appel des professeurs de la Faculté des sciences. La grève s’est étendue à partir du 16 mars à différentes facultés, écoles et collèges des différents niveaux de l’UNAM, et au cours de la grève, elle a pris la forme d’une grève illimitée. Dès le 3 mai, certaines facultés et écoles ont repris partiellement les cours, mais le 5 mai, au moins 22 facultés étaient toujours en grève, et l’usure, la lassitude et le désespoir étaient déjà présents.

Première grève des travailleurs avec travail par internet

La particularité de cette mobilisation est que la plupart des arrêts de travail et des protestations ont été organisés par le biais d’assemblées qui ont été réalisées à travers le réseau « zoom » et rassemblant des étudiants comme des professeurs. Cependant, les rassemblements et les manifestations présentiels qui ont eu lieu en personne ont eu une très faible participation, comme celle du 25 mars qui a rassemblé environ 500 manifestants et celle du 11 mai, dans laquelle il y avait encore moins de participants. Cette grève s’est d’abord organisée en dehors du contrôle syndical, si bien que des organisations d’enseignants ont commencé à se créer, dans lesquelles ils ont défini une liste de revendications qui exprimaient leurs besoins et leur reconnaissance en tant qu’exploités : « Nous réclamons des salaires équitables pour les enseignants, un salaire complet, la restitution d’une partie du salaire non payé depuis des années, contre la précarité de l’emploi, la fixation d’un salaire minimum pour l’enseignement des diverses matières, pour la dignité du travail éducatif ».

Malgré les progrès réalisés dans leur reconnaissance en tant que travailleurs exploités, il faut souligner que ces groupes de professeurs qui ont émergé, sont restés dès le début isolés, chacun enfermé dans sa propre faculté, sans établir de relation et de connexion avec les autres facultés et écoles de l’UNAM elle-même et encore moins avec les autres universités qui présentent des problèmes identiques. Cela a été le cas lors de l’ « Assemblée générale des professeurs et assistants de l’UNAM », qui s’est tenue le 24 mars 2021, lorsqu’un professeur d’une autre université publique (UACM) a fait état de problèmes similaires subis par les travailleurs de l’éducation sur ces campus, son intervention a été interrompue par la personne faisant office de président de séance, avec l’argument : « nous devons nous limiter seulement aux problèmes dans l’UNAM, je comprends que ce problème semble être assez important ailleurs, dans l’IPN, l’UACM, l’UAM, mais maintenant nous devons nous en tenir aux questions relatives à l’UNAM ». Lorsqu’un professeur assistant a protesté contre ce type d’argumentation, la réponse a été une fois de plus confirmée de manière catégorique : « Depuis l’assemblée de samedi dernier, nous sommes d’accord sur ce point […] nous ne pouvons pas rejoindre la lutte à l’IPN […] Quiconque ne veut pas participer à l’assemblée dans ces conditions peut partir maintenant ». Les membres des divers groupements faisant partie de l’appareil de gauche ou gauchistes de la bourgeoisie qui étaient présents (trotskystes, féministes…) et d’autres, présumés “radicaux”, n’ont pas dit un seul mot et ont poursuivi imperturbablement leur participation à l’assemblée.

C’est pourquoi ces protestations n’ont pas réussi à effrayer le rectorat, qui a commencé à verser les arriérés au compte-gouttes, en les calculant de manière erronée et en maintenant les arriérés de paiement, mais aussi en ignorant les autres revendications telles que les augmentations de salaire et la fixation d’un salaire de base, en prétendant que pour ces revendications, le seul interlocuteur reconnu était le syndicat AAPAUNAM, puisqu’il était le signataire de la convention collective. Cela montre que, si les trois syndicats qui sont en train de prendre le relais de la domination sur la grève des travailleurs de l’UNAM ont fait profil bas, c’est parce qu’ils attendaient le moment le plus opportun pour se montrer et justifier leur place dans le sabotage de la grève en le rendant plus efficace dans ce partage des tâches : soit comme porte-parole directs du rectorat (l’AAPAUNAM reprenant là son rôle conciliateur traditionnel), soit comme expressions prétendument “critiques” et “alternatives”.

Profitant de l’isolement dans lequel se déroulent les discussions, l’idéologie du gauchisme (2) en profite également pour détourner les discussions hors du terrain des revendications salariales en défense de leurs conditions de vie et de travail en introduisant le slogan de la « démocratisation de l’université » ou pour demander le renvoi de certaines personnalités en haut de la hiérarchie de la structure universitaire. Même la campagne idéologique déclenchée autour du changement supposé que représente le gouvernement « 4T » (de la 4e transformation) (3) remplit son objectif d’étendre et d’approfondir la confusion. Par exemple, un groupe de professeurs a fait appel à l’État en essayant à plusieurs reprises de présenter leurs revendications lors de l’une des conférences de presse “matinales” quotidiennes du président de la nation jusqu’à ce que, le 30 mars, ils y parviennent, en recevant la réponse que c’était une question qui pouvait seulement être réglée par les autorités de l’UNAM.

Bien sûr, il s’agissait d’une mobilisation qui a surgi sur le terrain de la classe ouvrière. La mobilisation a été déclenchée par des attaques directes sur les salaires des enseignants qui les ont affectés immédiatement, et elle est importante en raison de la situation difficile pour la mobilisation imposée par la pandémie. Elle est également importante parce que c’est l’un des premiers arrêts de travail virtuels, ou peut-être un des premiers au monde. Le mouvement est resté combatif pendant quelques semaines, se concentrant sur les revendications économiques, mais a décliné progressivement en raison de son isolement. Cela a permis aux autorités de répondre par une agression directe à la fin du semestre, en licenciant des dizaines de professeurs des facultés et des écoles.

Les faiblesses du mouvement

La grève des enseignants n’a pas surmonté bon nombre des obstacles auxquels sont confrontées les mobilisations prolétariennes et a donc présenté de nombreuses faiblesses, certaines découlant des difficultés particulières de longue date du prolétariat au Mexique et d’autres causées par la situation elle-même résultant de la pandémie.

La grève a été très corporatiste, il n’y a pas eu d’unité des enseignants, il n’y a pas eu assez d’élan de solidarité pour briser les barrières administratives que la bourgeoisie impose parmi les travailleurs et pour assurer l’unité des enseignants indépendamment de leur « catégorie ». Il n’y avait pas non plus de véritable unité entre les enseignants des différents niveaux de collèges, écoles et facultés ; chaque entité avait ses propres assemblées et, par conséquent, les revendications et les actions étaient dispersées et émiettées dans d’innombrables divisions. Le mouvement n’a pas non plus cherché activement à obtenir le soutien d’enseignants d’autres établissements et encore moins d’autres types de travailleurs. S’il n’y a pas de dynamique vers l’unité et l’extension du mouvement, celui-ci s’effondrera inévitablement dans la défaite. En outre, il y avait un manque d’assemblées générales de masse et d’assemblées générales conjointes pour assurer le contrôle du développement du mouvement. Cette division se manifeste également dans les décisions relatives à la levée de la grève. Chaque unité décidant du moment où elle le ferait, accélérant la dissipation de la solidarité naissante et de l’unité prolétarienne obtenue, tout en créant une plus grande division et un ressentiment de certains travailleurs contre d’autres. Par conséquent, l’État et l’ensemble de la bourgeoisie font très attention à ce que les grèves soient menées de manière sectorielle afin d’éviter l’unité des travailleurs, qui est l’une de leurs principales forces et qui est essentielle pour obtenir des victoires significatives.

La prolongation de la grève, qui dans certaines écoles dure maintenant depuis trois mois (dans ces circonstances de manque d’unité et d’extension) a conduit à l’impuissance et à la fatigue, ce qui les a obligés à envisager la reprise du travail également de manière dispersée, dans un climat qui favorise l’entrée de la structure syndicale (qu’elle soit estampillée pro-gouvernementale, « critique » ou « indépendante ») pour consolider le contrôle et la confusion, ouvrant la porte à la répression (avec des licenciements, comme c’est déjà le cas, on l’a vu plus haut) et aux mobilisations de minorités désespérées, consommant la défaite du mouvement.

Deux leçons fondamentales sont à tirer qui proviennent déjà des grandes luttes de 1905 en Russie et dans d’autres pays comme de l’ensemble de l’expérience historique du mouvement ouvrier. (4) Ce sont les suivantes :

1) La lutte doit être menée, organisée et étendue par les travailleurs eux-mêmes, en dehors du contrôle syndical, par le biais d’assemblées générales et de comités élus et révocables à tout moment.

2) La lutte est perdue si elle reste confinée à l’entreprise, au secteur ou à la nation ; au contraire, elle doit s’étendre en brisant toutes les barrières que le capital impose et qui la lient au capital.

La voie de la lutte prolétarienne, qui commence par des revendications économiques visant à l’unité toujours plus étendue de la classe ouvrière, est la seule qui puisse conduire à une transformation politique et sociale radicale, à la communauté humaine mondiale. Nous devons continuer à avancer sur ce chemin long et difficile, mais c’est le seul qui puisse empêcher la destruction de l’humanité dont la pandémie de Covid-19 donne un signal d’alerte avant-coureur.

Revolucion Mundial, organe du CCI au Mexique (5 juin 2021)

 

1) Pour un bilan des luttes ouvrières dans le monde au plus fort de la pandémie, voir : « Covid-19 : Malgré tous les obstacles, la lutte des classes forge son futur », disponible sur le site web du CCI. 

2) Nous faisons référence aux divers groupements staliniens, anarchistes, féministes, etc. qui mettent en avant un projet bourgeois en se présentant comme défenseurs des travailleurs et qui sont largement présents dans l’UNAM. Pour comprendre les méthodes anti-ouvrières de ce type d’organisations, voir la série : « Le legs dissimulé de la gauche du capital », disponible sur le site web du CCI.

3) Programme de réformes de l’État promises par le président Lopez-Obrador

4) Voir « Il y a 100 ans, la révolution de 1905 en Russie (III) - Le surgissement des soviets ouvre une nouvelle période historique », Revue internationale n° 123.

 

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Luttes de classe