Soumis par Révolution Inte... le
Une sympathisante du CCI nous a fait part dans son courrier de préoccupations concernant directement l’avenir de la lutte de classe. Comme nous ne pouvons ici répondre à tous les aspects abordés par la camarade, nous souhaitons limiter notre réponse à une idée qui nous paraît important d’approfondir et clarifier.
La camarade avance l’idée suivante : « Quand on lutte pour davantage de justice ou d’égalité, ou contre la violence, on peut finir par comprendre que l’origine des inégalités, des injustices et des violences c’est le capitalisme ». La camarade poursuit en posant cette question : « Pourquoi, quand on lutte contre les injustices, contre les violences et pour l’égalité, est-ce un terrain bourgeois ? » (1)
La décomposition sociale, phase ultime de la décadence du capitalisme, marquée par l’incapacité des deux classes fondamentales de la société a donné une perspective à la société, a accru considérablement les injustices, les inégalités et les violences de toutes sortes, mais aussi et inéluctablement les guerres, la destruction de la planète, la misère et barbarie. Cette société entraîne le monde dans l’abîme. Telle est la réalité et le constat que nous devons faire et qui semble irrémédiable. De plus, cette période historique marquée par l’atomisation des individus et la fragmentation sociale débouche sur le repli vers « sa » communauté. Tous ces éléments pèsent donc sur la capacité de la classe ouvrière à recouvrer son identité (c’est-à-dire prendre conscience de son existence en tant que classe exploitée) et à développer ses luttes sur son propre terrain alors que les luttes parcellaires et interclassistes, souvent basées sur un idéal de justice et d’équité justement, tendent à se multiplier et mieux semer le trouble au sein de la classe ouvrière. Par conséquent, sur quelle base la classe ouvrière peut-elle lutter pour la transformation de ce monde ? Ce combat se fonde-t-il sur un idéal de justice ?
Le capitalisme a créé les conditions matérielles de son propre dépassement
Les sociétés de classes ont toujours connues l’inégalité, l’injustice et la violence. Malgré les révoltes des classes exploitées qui se sont succédées tout au long de l’histoire, comme celle de Spartacus contre la domination romaine, ou celle des paysans allemands et la secte chrétienne anabaptiste contre l’ordre féodal au XVIe siècle. Mais aucun des maux de l’exploitation n’a jamais disparu et ne pouvait disparaître. Aucune des classes exploitées du passé n’était réellement en mesure d’abattre l’exploitation de la société dans laquelle elle évoluait.
Contrairement aux modes de production l’ayant précédé, le capitalisme a pu développer les forces productives à un niveau suffisant pour dépasser la pénurie qui caractérisait les sociétés du passé. Le capitalisme ne produit pas pour satisfaire les besoins humains (c’est-à-dire des « valeurs d’usage ») mais pour créer des marchandises (ou « valeur d’échange »), à tel point qu’il est aujourd’hui empêtré dans une crise de surproduction généralisée et inéluctable.
Pourquoi ? Pour produire ses marchandises, le capitaliste achète aux travailleurs leur force de travail, la seule marchandise que les prolétaires peuvent vendre. Mais pour tirer un bénéfice suffisant lui permettant d’« accumuler du capital » (c’est-à-dire de nouvelles machines, plus nombreuses et plus performantes, lui permettant de produire de façons moins coûteuses et de rester compétitif face à la concurrence), il rétribue les prolétaires moins que la valeur réelle des marchandises produites. Or, comment acheter la totalité des marchandises produites si les salaires des prolétaires (et éventuellement la rémunération personnelle du capitaliste) lui sont inférieurs ? C’est ainsi que le capitalisme s’est répandu, tant dans les campagnes des premiers centres de productions capitalistes (en Europe occidentale) qu’aux quatre coins de la planète, à la recherche de nouveaux marchés en mesure d’acheter les marchandises. Ce faisant, il a peu à peu intégré ces marchés et leur population dans le processus de production de marchandises, aggravant davantage ses besoins en débouchés qui, du fait des limites objectives de la planète, sont devenus de moins en moins nombreux. C’est la raison pour laquelle les soubresauts de l’économie mondiale tendent à devenir toujours plus catastrophiques.
Comme le capitalisme a poussé à son terme le développement des forces productives en vue de produire des valeurs d’échange, la réponse à ses contradictions ne peut en aucun cas être le dépassement du capitalisme par une nouvelle société d’exploitation accroissant davantage la masse de marchandises. Le seul moyen de surmonter les contradictions du capitalisme réside donc dans l’abolition de ce qui constitue le cœur de celles-ci : la marchandise elle-même, en particulier, celle à partir de laquelle toutes les autres marchandises sont produites : la force de travail, c’est-à-dire le salariat. Dans la mesure où l’abolition de l’exploitation se confond, pour l’essentiel, avec l’abolition du salariat, seule la classe qui subit cette forme spécifique d’exploitation, c’est-à-dire le prolétariat, est en mesure de porter un projet révolutionnaire. (2)
La lutte pour la « justice » est une mystification
Étant à la fois une classe exploitée et une classe révolutionnaire, le but historique du prolétariat consiste donc à l’émancipation de l’humanité toute entière par la remise en cause du capitalisme comme un tout.
La lutte pour la « justice sociale », (comme faire payer davantage d’impôts aux « plus riches ») ou pour plus d’égalité (3) entre les individus dans tel ou tel domaine, quelle que soit leur classe sociale (comme le droit de vote pour tous par exemple), consiste seulement à « faire pression » sur le gouvernement bourgeois pour qu’il améliore la société capitaliste. Elles ne visent donc qu’à vouloir « refonder » ou « améliorer » une société par essence « inégalitaire », « injuste » et en pleine faillite.
Par conséquent, ces revendications ne peuvent pas former un facteur actif à l’identification du capitalisme comme cause de toutes les formes d’oppressions, d’aliénations et de ségrégations au sein de la société.
C’est déjà la critique portée par Marx et Engels dans le Manifeste communiste à l’égard des illusions idéalistes drainées par le courant socialiste utopique : « Certes les inventeurs de ces systèmes aperçoivent l’antagonisme des classes, ainsi que l’action des éléments dissolvants dans la société dominante elle-même. Toutefois, ils n’aperçoivent du côté du prolétariat aucune initiative historique, aucun mouvement politique qui lui soit propre. La forme rudimentaire de la lutte de classes tout comme leur propre situation dans la vie les portent cependant à se croire au-dessus des oppositions de classes. Ils voudraient améliorer l’existence de tous les membres de la société, même des plus privilégiés. C’est pourquoi ils lancent sans cesse leur appel à l’ensemble de la société sans distinction, et même de préférence à la classe dominante. […] C’est pourquoi ils rejettent toute action politique, et surtout toute action révolutionnaire. Ils veulent atteindre leur but par des moyens pacifiques, et ils essaient de frayer un chemin au nouvel évangile social par la force de l’exemple, par des expériences limitées, qui, naturellement, se terminent par un échec. […] Et pour donner corps à tous ces châteaux en Espagne, ils sont forcés de faire appel à la charité des cœurs et des bourses de la bourgeoisie ». (4)
Aujourd’hui, comme au milieu du XIXe siècle, le problème sur cette question se pose peu ou prou dans les mêmes termes :
– Les luttes contre les injustices et pour davantage d’égalité, en entretenant l’illusion que la société capitaliste, par essence inégalitaire, pourrait être améliorée, ne visent pas à mettre en cause le capitalisme comme un tout.
– Ce faisant, en appelant à réformer le système plutôt que de le transformer de fond en comble, ces revendications sèment les illusions et se placent résolument sur les terrains bourgeois ou petit-bourgeois.
Sur quoi est basée la lutte révolutionnaire du prolétariat ?
Depuis que le capitalisme l’a fait surgir, le prolétariat se bat (par la grève, les assemblées, etc.), pour réduire les effets de l’exploitation et se défendre face aux souffrances engendrées par l’esclavage salarié. Par conséquent, la classe ouvrière rentre en lutte, avant toute chose, par nécessité matérielle.
La plupart des luttes révolutionnaires du prolétariat ont ainsi commencé par la défense de besoins vitaux et un refus d’accepter passivement le développement de la misère et de la souffrance, de la guerre ou encore de la répression brutale exercée par la police ou l’armée. Tel fut le cas lors de la Commune de Paris, les révolutions de 1905 et 1917 en Russie et toute la vague révolutionnaire internationale après 1917-1918. Tel fut encore le cas lors de la plus grande grève ouvrière de l’histoire en 1968 en France. Tous ces épisodes de l’histoire du mouvement ouvrier montrent que le prolétariat ne déploie pas sa force révolutionnaire sur la base d’un idéal de justice ou d’égalité mais sur la base de son exploitation et des souffrances que le capitalisme lui fait subir.
Mais, dans le contexte de la décadence du capitalisme et de la concurrence toujours plus acharnée que se livre chaque capital pour écouler ses marchandises, la bourgeoisie est incapable d’accorder la moindre réforme durablement positive à la classe ouvrière. A part faire reculer ponctuellement telle ou telle attaques de la bourgeoisie, le prolétariat ne peut plus rien obtenir de la classe dominante. C’est ainsi que dans ses luttes « défensives », le prolétariat se heurte aussi aux limites objectives de la société capitaliste. Fertilisée par l’intervention de la minorité révolutionnaire, ces luttes « défensives » sont donc le terreau sur lequel le prolétariat est amené à développer sa conscience politique et sa lutte pour la destruction des causes mêmes de l’exploitation. Comme l’affirmait Lénine, la nature par essence révolutionnaire de la lutte du prolétariat implique que « derrière toute grève se dresse l’hydre de la révolution ».
Boris, 1er juillet 2021
1Nous bornerons notre réponse à la question des luttes contre les injustices et contre les inégalités.
2Pour davantage de précisions à ce sujet voir : « Perspective du communisme (III) : Pourquoi la classe ouvrière est la seule classe révolutionnaire », Révolution internationale n° 342.
3Rappelons d’ailleurs que le principe d’égalité ne fait pas partie des bases de la société communiste qui ne vise pas à mettre tous les individus au même niveau mais de s’établir en fonction des capacités et des besoins de chacun. Marx a d’ailleurs critiqué les errements de Babeuf et du courant babouviste durant la Révolution française à ce sujet. Voir notamment : « Du communisme primitif au socialisme utopique », Revue internationale n° 68.
4K. Marx, F. Engels, Le Manifeste communiste, « III. Littérature socialiste et communiste », 1848.