Soumis par Révolution Inte... le
En dépit des difficultés liées à la pandémie, de la situation profondément dégradée par la crise du capitalisme qui vient obscurcir le futur, il existe une alternative, une issue vers une autre société, sans exploitation, ni misère sociale : la société communiste. Contrairement aux mensonges de la bourgeoisie qui depuis des décennies a voulu nous faire croire que la classe ouvrière s’était évaporée suite à l’effondrement du bloc de l’Est.
Le prolétariat, comme l’a révélé la crise sanitaire, n’a nullement disparu ! C’est ce qu’est obligé de reconnaître la bourgeoisie face aux exploités qu’elle expose sans scrupule au virus pour assurer la continuité de la production : les infirmiers, médecins ou personnels d’entretien dans les hôpitaux, les ouvriers d’usine comme les employés du commerce ou de bureau, toutes les “petites mains” sont sur le “front”, sacrifiés sur l’autel de l’économie nationale et donc du profit, quand elles ne sont pas jetées dans les queues des demandeurs d’emplois. Face à toute la propagande bourgeoisie et à l’impasse dans laquelle elle nous entraîne, nous devons nous appuyer sur l’expérience du mouvement ouvrier et de nouveau regarder vers le futur, sortir de la prison de l’immédiat. Non seulement, il est indispensable de tirer les leçons des combats du passé pour préparer ceux de l’avenir, mais ces expériences démontrent aussi que la classe ouvrière est bien la seule classe en mesure de renverser le capitalisme, qu’elle porte en elle un futur pour l’humanité.
Dans ce cadre, l’extrait de l’ouvrage de David Mandel, Les Soviets de Petrograd, que nous publions ci-dessous, fait apparaître clairement deux choses essentielles que nous voulons souligner ici :
- contrairement au mensonge selon lequel la prise du pouvoir en Russie, notamment à Petrograd, ne serait qu’un vulgaire “coup d’État” sanguinaire de Lénine (transformé par le bourrage de crâne de la classe dominante en dictateur tyrannique) et sa “clique”, nous voyons au contraire la détermination et de l’implication politique de la classe ouvrière, pleinement actrice de l’histoire.
- En lisant les résolutions rédigées au cœur des usines par les ouvriers eux-mêmes, on ne peut que constater leur intransigeance et leur esprit de combat, notamment contre les faux amis de gauche. Le haut niveau de conscience révolutionnaire des masses au sein des comités ouvriers (soviet), vastes assemblées et organes du pouvoir prolétarien, est palpable.
En publiant les extraits ci-dessous émaillés de résolutions, nous souhaitons porter l’attention sur l’expérience extraordinaire que fut la vague révolutionnaire mondiale du siècle dernier, notamment au sein du foyer ardent que fut “Pétrograd la Rouge”. Cette expérience reste pour tous les révolutionnaires et le prolétariat une expérience majeure donnant tout son sens à son combat de classe.
“À l’inverse de l’intelligentsia, la majorité des ouvriers de Petrograd ont accueilli l’insurrection avec enthousiasme. Des résolutions d’appui ont été adoptées par les usines de tous les types et dans toutes les couches ouvrières, des métallurgistes de l’arrondissement de Vyborg aux ouvriers du textile de l’arrondissement Nevski, et par presque tous les ouvriers de l’imprimerie. La résolution suivante, adoptée à l’unanimité, est typique de la position des métallurgistes :
“Nous, les ouvriers de l’usine Rozenkrantz au nombre de 4 000, envoyons nos salutations au Comité militaire révolutionnaire du soviet des députés et des soldats de Petrograd et au Congrès pan-russe des Soviets, qui a pris le chemin de la lutte, et non de l’accommodement, avec la bourgeoisie – ces ennemis des ouvriers, des soldats et des paysans les plus pauvres –, et pour cela nous déclarons : camarades, continuez sur ce chemin, aussi dur que cela puisse être. Sur cette voie, nous mourrons ensemble avec vous ou nous sortirons vainqueurs”.
Plus intéressant, toutefois, des résolutions semblables ont été adoptées par les ouvriers des entreprises d’État qui avaient longtemps été des fiefs défensistes. À l’usine de tuyaux Promet, dont la main-d’œuvre était essentiellement féminine, les élections du 17 octobre au soviet de Petrograd avaient apporté 963 voix aux bolcheviks, 309 aux mencheviks et 326 aux SR [socialistes révolutionnaires]. Mais le 27 octobre, l’assemblée générale de l’équipe de jour de la même usine adopta la résolution suivante à l’unanimité (avec 18 abstentions) :
“Nous, ouvriers de l’usine Promet […] comptant 1230 personnes, après avoir entendu le rapport du camarade Krolikov sur le second congrès pan-russe (des Soviets) des députés des ouvriers et des soldats et sur la formation d’un nouveau gouvernement socialiste du peuple, adressons à celui-ci nos salutations, lui exprimons notre confiance pleine et entière, et l’assurons de notre soutien sans faille dans sa difficile mission pour accomplir le mandat du congrès.
Nous protestons contre la formation des SD-mencheviques et les SR défensistes du comité national de salut (le considérant) comme un obstacle à la mise en place des mesures que les larges masses d’ouvriers, de soldats et de paysans attendent avec une impatience croissante”.
Les ouvriers de chemin de fer eux aussi des partisans de longue date des SR, ont répondu de façon semblable, de même que les ouvriers (principalement des femmes) des fabriques textiles, de l’alimentation et des usines de caoutchouc.
Encore plus parlant, chez les ouvriers de l’imprimerie, la base s’opposait aux positions de l’exécutif du syndicat. La résolution d’une assemblée commune des imprimeries Orbit et Rabotchaïa Pechat du 28 octobre déclarait :
“Nous, ouvriers de ces imprimeries, ayant entendu le rapport du camarade Venediktov sur la réunion des délégués du 27 octobre au cours de laquelle, a-t-il dit, l’exécutif avait mal informé les imprimeurs participant à la réunion (des délégués) qui s’est tenue et où, en raison de la représentation incomplète, une résolution vile, proposée par un certain Rubin, a été adoptée de façon erronée, (et) qui blâmait le Comité révolutionnaire pour avoir prétendument interdit la presse socialiste”.
Après discussion sur le rapport, la résolution suivante a été adoptée :
“Nous, les ouvriers des imprimeries indiquées, protestons contre les actions de l’exécutif de notre syndicat qui a mal infirmé les ouvriers et la réunion des délégués à venir, et pour cette raison, nous certains établissements d’imprimerie de l’arrondissement Petrogradski, n’étant pas au fait de la réunion, n’avons pas pu y participer, et par conséquent, nous n’assumons pas de responsabilité pour la décision du conseil des délégués. De plus, ayant entendu la résolution adoptée à la réunion des délégués et (qui a été) imprimée dans le journal Delo naroda du 28 octobre, nous déclarons qu’elle nous met profondément en colère et nous la considérons comme indigne d’ouvriers-imprimeurs et nous protestons contre elle dans les termes les plus véhéments. Nous déclarons que le genre de conseil de délégués qui adopte de telles résolutions ne peut pas exprimer notre volonté, mais seulement la volonté des assassins bourgeois du peuple. Par conséquent, nous exprimons notre complet manque de confiance envers l’exécutif du syndicat, qui a délibérément mal annoncé la réunion, de même qu’envers les délégués du conseil pour cette résolution, et, nous adressant aux prolétaires de Petrograd, nous déclarons que nous marchons avec eux et non avec ceux du genre de cet exécutif et de ce conseil de délégués.
Vive le soviet des députés des ouvriers et des soldats !
Vive le peuple révolutionnaire !
À bas les traîtres à la classe ouvrière, comme les Rubin et consorts !”
Un incident révélateur s’est produit dans l’entreprise où le journal menchevique-internationaliste Novaïa Zhizn était imprimé. L’édition du 29 octobre du journal publia une plainte des rédacteurs contre les typographes, car ces derniers avaient refusé d’imprimer un certain nombre de documents, parmi lesquels les ordres de Kerenski, l’appel du général Krasnov aux cosaques et un rapport de la Douma municipale. Les mencheviks-internationalistes avaient adopté une position de neutralité dans la guerre civile naissante, mais les rédacteurs du journal étaient absents quand les typographes, avec l’appui du commissaire de l’arrondissement qu’ils avaient convoqué, s’étaient opposés aux techniciens, qui pour leur part exigeaient l’impression des documents. Le lendemain, les ouvriers se réunirent en assemblée générale et décidèrent de condamner la majorité de l’exécutif du syndicat des imprimeurs, qu’ils accusaient d’avoir propagé parmi les imprimeurs de la ville de fausses informations sur les activités du Comité militaire révolutionnaire, et d’appeler à saboter la décision du”gouvernement révolutionnaire des ouvriers et des paysans portant sur l’interdiction d’imprimer des appels de type pogrom, et de diffuser de fausses informations qui provoquent la panique et, par conséquent, des effusions de sang.
“Nous jugeons scandaleuse cette activité criminelle d’une partie de notre “exécutif”, qui entraîne la division dans nos rangs prolétariens et ne servira qu’à nos ennemis de classe. Nous déclarons haut et fort que nous soutiendrons de toutes nos forces le gouvernement révolutionnaire des ouvriers et paysans qui nous guidera vers la paix et l’Assemblée constituante.
En un temps où le peuple détruit les racines pourries du système capitaliste et donne le pouvoir à ses véritables représentants, nous, imprimeurs, nous ne pouvons pas voir notre labeur servir à imprimer les ordres de Kerenski, qui a été renversé par le peuple, et, par conséquent, nous estimons justifiées les actions de nos camarades typographes. Et, si à l’avenir, notre aide est requise par le Comité militaire révolutionnaire, nous serons toujours prêts à la lui accorder”.
Une seule personne vota contre la résolution et cinq s’abstinrent. Le mécontentement envers la majorité défensiste de l’exécutif syndical conduisit rapidement à une majorité menchevique-internationaliste dans cet exécutif, puis, pour une courte période, à la majorité bolchevique.
Après la révolution d’Octobre, les mencheviks et les SR, et ensuite de nombreux historiens occidentaux, ont souligné qu’en octobre, contrairement à février, les masses n’étaient pas dans les rues. Cela fut cité comme preuve que la révolution n’était pas une révolution populaire mais un coup d’État militaire et sans légitimité populaire. “Regardez dans les rues” écrivait le journal menchevique-defensiste Rabotchaia gazeta. “Dans les arrondissements ouvriers elles sont vides. On ne voit pas les marches triomphales, pas de drapeaux rouges se portant à la rencontre des vainqueurs… les bolcheviks tiendront à peine une semaine”. (1) Le socialiste-populaire Melgounov, historien et populiste de droite, fait de même observer que les usines ont continué à travailler le 25 octobre […].
Mais la comparaison avec la révolution de Février ignore délibérément les circonstances très différentes des événements d’Octobre. La révolution de Février était un mouvement spontané, qui a vu des masses d’ouvriers désarmés se jeter contre le régime, lequel avait d’importantes forces de répression à sa disposition. Les grèves et les manifestations des ouvriers y ont joué un rôle décisif, mais celui d’une force morale qui a permis aux ouvriers de faire basculer les soldats de leur côté. Les grèves de masse et les manifestations de rues ont créé un climat qui a permis aux soldats de comprendre que leur participation au mouvement pouvait aboutir au renversement du régime et non pas s’achever devant un tribunal militaire et par leur exécution. Les batailles de rue auxquelles les ouvriers ont participé ont eu lieu pour la plupart pendant les deux derniers jours de la révolution et leur principal objectif était de désarmer la police. En octobre, au contraire, les principales forces armées avaient été gagnées avant l’insurrection ; la tâche des insurgés était d’occuper les immeubles stratégiques et de désarmer les derniers soutiens de l’ancien régime. Des actions de masse n’étaient donc pas nécessaires.
Mais plus spécifiquement, après huit mois de déceptions et de frustrations, et gardant à l’esprit la catastrophe économique toujours plus rapprochée et la menace militaire qui pesait, doit-on s’étonner que les ouvriers ne forment pas de processions triomphales dans les rues ? Ils étaient bien conscients que les chances de réussir n’étaient pas élevées. La révolution d’octobre a bel et bien soulevé les espoirs des ouvriers ; sinon ils ne l’auraient pas appuyée. Mais en même temps, il s’agissait d’un acte désespéré pour sauver la révolution de février et de la menace d’une contre-révolution. (2)
Enfin, ceux qui insistent sur l’absence de participation de masse à la révolution d’Octobre, dans le but de lui dénier toute légitimité populaire, négligent le fait que les dirigeants de l’insurrection ne voulaient pas que les masses descendent dans la rue. Trotsky a écrit qu’après l’exprience traumatisante de juillet, les dirigeants craignaient toute effusion de sang inutile, qui aurait pu démoraliser les ouvriers. Et en réalité, les bolcheviks ont déployé beaucoup d’efforts pour persuader les ouvriers de rester au travail pendant l’insurrection. Un appel aux ouvriers signé conjointement par le Soviet de Petrograd, le Conseil des syndicats de Petrograd et le Soviet central des comités d’usine fut publié en caractères gras à la Une de la Pravda du 27 octobre :
“Les grèves et les manifestations des masses ouvrières dans Petrograd ne font que porter préjudice. Nous vous demandons de mettre immédiatement un terme à toutes les grèves économiques et politiques. Tout le monde devrait être au travail et produire en bon ordre. Le nouveau gouvernement des soviets a besoin du travail des usines et de toutes les entreprises, car toute interruption du travail crée de nouvelles difficultés, et nous en avons déjà assez comme ça. Tout le monde à son poste ! En ces jours, la meilleure façon de soutenir le nouveau gouvernement des soviets est de faire son travail. Vive la ferme retenue du prolétariat !”
[…] Certains auteurs soulignent l’absence de férocité et la présence même d’une certaine douceur ou d’amabilité de la part des Gardes rouges ouvriers vis-à-vis de leurs adversaires. Cela, disent-ils, indique que le soutien au soulèvement, même parmi les participants les plus actifs, était timoré. Cette modération était en réalité une caractéristique plutôt remarquable des ouvriers qui ont pris part à l’insurrection. Un officier de l’armée, qui participa à la défense du Palais d’Hiver, a laissé ce compte rendu de la “prise d’assaut” :
“Des petits groupes de Gardes rouges ont commencé à pénétrer dans le Palais d’Hiver (pour faire de la propagande parmi ses défenseurs). Tant que les groupes de Gardes rouges n’étaient pas nombreux, nous les désarmions et cela se faisait de façon amicale sans aucun heurt. Cependant, les Gardes rouges étaient de plus en plus nombreux. Les marins et les soldats du régiment Pavlov ont fait leur apparition. Le désarmement a commencé en sens inverse. – celui des junkers, et de nouveau cela se passa plutôt de façon pacifique. (Quand le véritable assaut a commencé) des masses de Gardes rouges, de marins, de Pavolvtsky, etc. ont pénétré dans le Palais d’Hiver. Ils ne voulaient pas d’effusion de sang. Nous étions forcés de nous rendre”.
Skorinko, le jeune Garde rouge de l’usine Poutilov, se souvient du traitement clément que les Gardes rouges réservaient aux prisonniers blancs qu’ils avaient capturés durant les combats qui avaient eu lieu à l’extérieur de Petrograd à la fin du mois d’octobre : “Les exécutions nous étaient une chose étrangère. Nous considérions avec dégoût les soldats qui en réclamaient. Plus tard, les ouvriers et les paysans allaient en payer le prix de leur sang. Le général Krasnov, qui avait été relâché après avoir donné sa parole d’honneur, s’enfuit rejoindre le Don et récompensa notre noblesse de la manière qui convient à un général : il organisa une armée blanche”.
[…] Dans leurs discours du 25 octobre, Lénine et Trotsky ont tous les deux souligné qu’il n’y avait “pas eu la moindre effusion de sang” pendant l’insurrection. I.P. Flerovski, un marin bolchevique du navire de guerre Aurora, se souvient comment, le jour fatidique du 25 octobre, l’équipage”décida d’attendre encore un quart d’heure avant de faire feu sur le Palais d’Hiver, sentant par instinct la possibilité d’un changement de circonstances”. Trotsky commenta ce fait : “par “instinct”, on doit entendre l’espoir obstiné que l’affaire puisse être réglée uniquement par des moyens démonstratifs”. […]
La sauvagerie et la terreur de la guerre civile restaient encore à venir. Malgré la profonde polarisation sociale, l’attitude des ouvriers au niveau personnel était souvent étonnamment tolérante…”
(Extraits du livre de David Mandel, Les Soviets de Petrograd, éd. Syllepse)
1Rabotchaia Gazeta du 27 octobre 1917.
2En fait, contrairement à l’auteur, nous pensons qu’il ne s’agissait nullement “d’un acte désespéré”, mais bien le produit d’une maturation de la conscience au sein du prolétariat et de l’évolution des conditions objectives de la révolution depuis février qui rendaient possibles la prise du pouvoir de la classe ouvrière (note de la rédaction).