Samuel Paty, “simple prof” tué par la barbarie capitaliste

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Nous publions ci-dessous une contribution d’une de nos lectrices au sujet de l’article sur la mort de Samuel Paty paru dans Révolution internationale n° 485 : “Derrière tous les terroristes, c’est le capitalisme qui nous tue !” Nous saluons l’effort de réflexion de la camarade qui met en évidence l’ignominie de l’État démocratique dans l’instrumentalisation du meurtre de ce professeur et exhorte les enseignants à ne pas se fourvoyer dans la défense des valeurs républicaines et des idéaux de la Révolution française de 1789 qui n’appartiennent qu’à la classe qui les a engendrés : la bourgeoisie et son État.


Comme l’article du dernier RI le rappelle, ce crime s’inscrit dans une série de “faits divers” qui ont bouleversé la population. Et, bien évidemment, on ne peut qu’être horrifié, voire traumatisé par de tels actes de barbarie. Bien évidemment, ces actes criminels odieux ne sont rendus possibles que parce que le système capitaliste connaît une crise sans précédent et illustre l’avancée de la décomposition du monde. L’article décrit parfaitement en quoi les fanatismes religieux engendrent des monstres à la Coulibaly, Kouachi, etc. Ce dernier assassinat m’a fait m’interroger sur le point suivant : comment les enseignants vont-ils, après la mort de Samuel Paty, planifier et animer ces fameuses séances d’initiation à la citoyenneté et plus particulièrement sous l’aspect de la laïcité et de la liberté d’expression ? Lors de l’hommage national, l’État par l’allocution de Macron, en a fait des tonnes sur le courage des professeurs, “véritables héros de la République”, et a encouragé tous les enseignants à ne rien lâcher et à défendre l’école de la République… La question, c’est jusqu’où les enseignants sont-ils prêts à devenir des héros, voire des héros morts ? La mort tragique de Samuel nous montre le cynisme de l’État. Il n’y a qu’à écouter Blanquer, toujours droit dans ses bottes (petit rappel : le ministre de l’Éducation nationale est dans les arcanes du pouvoir depuis très longtemps et déjà depuis 2010 a officié à l’éducation au sein de différents cabinets de droite comme de gauche). Face à l’ampleur médiatique prise par “l’affaire Paty”, il ne doute de rien et déclare : “Il faut que la protection des enseignants soit accentuée et il est indispensable de signaler et de se faire aider dès qu’on se sent en difficulté.” On est rassuré : de tels propos en disent long sur le cynisme du pouvoir quand on connaît la chronologie de la tragédie où, quoiqu’il en dise, tout le collège était sous pression et en grande difficulté depuis les menaces proférées et réitérées contre Samuel. Le rapport de l’administration sur le déroulé de la tragédie estime “nécessaire de faire monter en puissance les cellules de veille des réseaux sociaux”. C’est à vomir !!!

Blanquer est un homme de pouvoir, entouré par une ribambelle de technocrates fidèles et peu enclins à la contradiction “la galaxie Blanquer” ainsi que l’a décrit Le Monde dans son numéro du 5 décembre. C’est un bel exemple, s’il en était besoin, de la démocratie.

Son dossier en cours sur l’EMI (Éducation aux médias et à l’information) devrait résoudre tous les problèmes, sauf que ni les enseignants ni les chefs d’établissements ne sont en mesure de mettre en pratique cet enseignement “salvateur de la république” ! Pour l’instant, à écouter les sirènes de la bourgeoisie, les profs seraient soit des héros comme dit précédemment (quitte à le payer de sa vie), soit des lâches qui capitulent devant le terrorisme et la barbarie. Il faut être clair : ce clivage est abject et les profs ne doivent pas être dupes et bien comprendre qu’ils sont sur un terrain pourri s’ils tombent dans le panneau et pensent pouvoir infléchir la donne et lutter contre le terrorisme avec leur petit tableau noir ou numérique. Alors, maintenant on assiste à de profonds débats sur : comment faire ? Le silence n’est-il pas plus dangereux que la parole, même si celle-ci heurte ? Doit-on aller jusqu’à signaler des enfants de moins de 10 ans qui “expriment leur solidarité” avec le terroriste lors de la minute de silence organisée par l’éducation nationale en hommage à Samuel ? Près de 800 signalements ont été rédigés ! Est-ce qu’il faut en déduire qu’il y a un péril scolaire de terro­risme en herbe et qu’il faudrait frapper fort ? Une fois de plus, la bourgeoisie a su utiliser la peur (bien légitime) pour que des profs “sonnés par l’horreur du crime” et, du coup, “trop résignés” fassent remonter tous ces signalements. Comment expliquer un tel nombre de remontées de signalements ? Je précise que j’ai fait toute ma carrière d’enseignante en lycée professionnel et, de fait, je pense être assez légitime pour, d’une part évoquer le désarroi des profs et, d’autre part, m’inquiéter sur la tournure qu’ont pris les événements. Tous les profs ont connu des séances où le cours tout d’un coup bascule sur un terrain “pourri” et, à cet instant, il faut savoir faire le choix entre écouter l’inaudible pour pouvoir y revenir dès que la tension sera redescendue ou sauter sur l’occasion pour faire parler les élèves. S’il fallait signaler à chaque fois qu’on entend des horreurs, on en serait à plusieurs milliers de signalements par an. En fait, ce qui pose problème, ce n’est pas tant les expressions des élèves que le fait qu’aujourd’hui, l’école n’est plus un sanctuaire et qu’elle fait partie intégrante de la vie sociale. Les enfants sont eux-mêmes victimes de leurs parents et des entourages extrémistes de tous poils, ne l’oublions pas ! Les grands débats sur comment doit s’exprimer la liberté d’expression au sein de la communauté scolaire est en fait un faux débat. Les profs sont coincés, d’une part dans leur rôle de fonctionnaires et, d’autre part, leur rôle d’éducateurs-pédagogues. Ouvrons les yeux : dans le système capitaliste, la cohabitation des deux objectifs est irréalisable. Alors, que faire ? Ce que font la plupart d’entre eux, le mieux possible au jour le jour dans des conditions parfois très difficiles pour accompagner leurs élèves bien au-delà des contraintes administratives (et même si, certains jours, on n’est pas très fiers d’arrondir le dos et d’espérer tout simplement que la journée va bien se passer). Visiblement, Samuel n’a pas eu l’occasion de finir sa journée et partir en vacances. Un décérébré a pu aller jusqu’au bout de sa trajectoire meurtrière. L’assassinat de Samuel nous rappelle que la seule bonne volonté et toute l’humanité mise au service de son travail (et ce prof n’en manquait pas !) ne suffisent pas à combattre la barbarie créée par le capitalisme. Pour conclure, je ferai le parallèle avec l’hommage rendu aux soignants au moment de la 1ère vague et, plus outrageusement encore, lors de la cérémonie du 14 juillet : pas de mots assez forts pour reconnaître leur dévouement, leur rôle essentiel, etc., les mettre en scène avec leurs bourreaux sous les feux des médias… mais dans le même temps, comme dirait Macron, aucune ou si peu de mesures prises pour les protéger contre le virus et leur permettre de soigner les milliers de malades. En direct avec le virus sans réelle protection, comme s’ils étaient eux aussi devenus des héros appelés à mourir sur le front. C’est vrai qu’on était “en guerre” et en temps de guerre, il y a des morts, beaucoup de morts… Silence, on tue !!!

Rosalie, le 20 décembre 2020

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