Soumis par Révolution Inte... le
En écho à l’article publié ci-contre, voici un tract que le CCI avait diffusé au moment de la grève de masse en Pologne en 1980. Nous insistions alors sur la dimension internationale et unitaire que représentait le combat des ouvriers polonais. Leur lutte était en réalité la lutte de tout le prolétariat mondial.
En Pologne, comme en Occident, comme dans tous les pays, les ouvriers sont exploités. Comme tous les exploités, ils subissent dans leur chair la crise économique du capitalisme mondial. Comme tous les exploités, ils se battent. La force des ouvriers en Pologne, l’exemple de leurs luttes, est un formidable encouragement pour tous les travailleurs. Les exploiteurs le savent et le craignent. C’est pour cela qu’ils présentent la Pologne comme un “cas particulier”. Pour les défenseurs du capitalisme à l’occidentale, les ouvriers se seraient battus “pour une démocratie à l’occidentale”. Pour les défenseurs du capitalisme d’État à la russe, la lutte aurait pour but une “amélioration” du soi-disant “socialisme”. Pour tous, “en Pologne, c’est différent, ici, ce n’est pas pareil”. La vérité, c’est que : les ouvriers en Pologne se battent pour les mêmes intérêts que les ouvriers de tous les autres pays ; leur ennemi est le même que celui des prolétaires du monde entier : le capitalisme.
Les ouvriers polonais mènent une lutte de masse contre la bourgeoisie étatique. Cette bourgeoisie n’est pas moins capitaliste que celle des autres pays parce qu’elle a l’étiquette “membre du Parti communiste” au lieu de l’étiquette “privé”, parce que là-bas les ouvriers font la queue devant les boucheries et ici devant les bureaux de chômage. Les ouvriers qui se battent en Pologne font partie de la même classe ouvrière internationale qui s’est battue en France en 68, en Italie en 69, en Pologne en 70 et en 76, aux USA dans les mines en 78, à Longwy et Denain en France en 79, dans la sidérurgie anglaise en 80, dans la métallurgie brésilienne en 79 et 80, et dans tant d’autres pays ! C’est contre une même crise du capitalisme qui touche tous les pays que cette classe ouvrière engage le combat. Et cette crise, parce qu’elle n’a pas d’issue, condamnera la société à une 3e guerre mondiale si les bourgeois ont les mains libres. Pendant tout le temps qu’a duré la lutte, les ouvriers de Pologne ont fait la démonstration que l’acceptation passive de l’exploitation, l’impuissance face à la répression, le sentiment de désespoir face à une vie d’abrutissement, la peur du lendemain, la hantise de la guerre, ne sont pas des fatalités.
La classe ouvrière, quand elle lutte, quand elle est unie, quand elle agit de façon massive sur son terrain, est une force immense qui peut faire reculer le capitalisme.
Tant que les ouvriers ont imposé un rapport de forces en leur faveur, ni la bourgeoisie polonaise, ni la bourgeoisie russe, n’ont osé déchaîner la répression. Quel que soit le développement de la situation, les ouvriers de Pologne ont fait un pas immense pour rendre à leurs camarades du monde entier la fierté d’appartenir à une classe qui produit l’essentiel des richesses de la société, qui demain pourra édifier un nouveau monde libéré de l’oppression et de l’exploitation.
Pourquoi cette force de la classe ouvrière en Pologne ? Parce que les ouvriers se sont donnés deux armes essentielles : la généralisation de la lutte et l’auto-organisation.
En Pologne, les ouvriers ont su dépasser l’éparpillement du début de la lutte. Ils sont devenus une menace réelle pour l’État quand ils ont unifié et centralisé leur combat, quand ils ont étendu jour après jour ce combat vers de nouvelles usines, vers de nouvelles villes, par delà les catégories, les secteurs, l’éloignement géographique, contre les multiples tentatives de la bourgeoisie de les isoler les uns des autres, de négocier usine par usine. Et c’est lorsque le mouvement a commencé à s’étendre à l’ensemble du pays, notamment aux mines de Silésie, où l’État a cédé sur les principales revendications. En Pologne, les ouvriers ont montré à leurs frères de classe qu’aujourd’hui, seule une solidarité sans failles peut faire reculer la bourgeoisie. Et cette solidarité, c’est avant tout, l’extension, la généralisation, l’unité de la lutte. Pourquoi la lutte a-t-elle acquis ce dynamisme dans l’extension, cette extension qui fait défaut a tant de luttes ouvrières ? Parce que les ouvriers ont pris leur lutte dans leurs propres mains, qu’ils en ont fait leur affaire, et non celle de spécialistes de la revendication et de la négociation. Parce qu’ils n’ont pas confié à des bureaucrates le soin de les “représenter”, de “défendre leurs intérêts”, mais se sont dotés d’une organisation formée par eux dans et pour la lutte, avec des délégués élus, contrôlés et révocables à tout moment par les assemblées générales. Parce qu’ils n’ont pas laissé ces délégués négocier dans leur dos avec les exploiteurs, mais se sont organisés pour diffuser à l’extérieur, suivre et contrôler ces négociations. “Nous n’avons confiance qu’en nous-mêmes !” tel était l’état d’esprit des ouvriers au plus fort de la lutte, C’est à ce moment qu’ils ont montré que, spontanément et en quelques jours, ils étaient capables d’initiative et d’organisation, avec une efficacité que seules possèdent les classes porteuses d’un avenir historique. La force du mouvement, son extension et son auto-organisation ; cet exemple donné aux ouvriers des autres pays est la vraie victoire de la classe ouvrière mondiale en Pologne. Que les ouvriers aient agité des drapeaux polonais et chanté l’hymne national, n’est pas une victoire, mais une faiblesse de leur lutte. Le drapeau national est celui des exploiteurs et des généraux, le torchon pour lequel on se massacre dans les guerres impérialistes. Seuls les possédants ont une patrie, les prolétaires n’ont pas de patrie. Que l’Église ait la “liberté d’expression” n’est pas une victoire pour les ouvriers ; elle n’en use que pour réclamer la fin de la grève, l’ordre, la résignation. Que l’État promette d’octroyer des “droits démocratiques” n’est pas non plus une victoire pour les ouvriers. À l’Ouest où ces prétendus “droits” existent, la misère et l’exploitation ont-elles disparu pour autant ? Non. Des “syndicats indépendants” ? À l’Ouest, les ouvriers les connaissent. Nos intérêts ne sont pas servis par ces organes bureaucratiques ; au contraire, chaque fois que la lutte se durcit, ce qui se développe, c’est une tendance au débordement des syndicats, la nécessité de s’organiser indépendamment de toute institution officielle qui prétend “représenter” les ouvriers. Si la bourgeoisie de l’Est laisse aboutir les tentatives actuelles d’institutionnaliser les comités ouvriers surgis dans la grève en Pologne en de nouveaux syndicats, c’est en le vidant de leur contenu ouvrier. Aujourd’hui, on transforme déjà certains délégués en “permanents” mieux payés que leurs camarades et coupés d’eux. Dans un capitalisme mondial en crise, il ne peut exister d’acquis réel d’une lutte que si la classe ouvrière reste mobilisée, unie, vigilante. Prolétaires du monde entier, en Pologne, la classe ouvrière mondiale a fait un pas énorme sur le long et difficile chemin de son émancipation. Mais ce pas ne prendra sa dimension réelle que si partout les ouvriers tirent les enseignements de l’expérience de leurs camarades en Pologne :
– la nécessité et la possibilité de lutter
– le besoin de généraliser le combat
– l’auto-organisation des luttes
Partout, les ouvriers doivent redonner vie aux vieux mots d’ordre du mouvement ouvrier : l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes !
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
CCI, 6 septembre 1980