Révolution Internationale n° 390 - mai 2008

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La classe ouvrière multiplie ses combats dans le monde entier

La paupérisation, la misère, la précarité, la hausse des prix alimentaires de première nécessité sont devenues des sujets de préoccupation universels. La bourgeoisie elle-même s'inquiète de l'ampleur et de l'accélération mondiale que prennent ces phénomènes.

Déjà aujourd'hui, ce sont chaque jour 100  000 personnes qui meurent de faim dans le monde. L'ensemble des produits alimentaires a bondi de 83  % au cours de ces trois dernières années. Pour le blé, la hausse atteint 181  %. Les Etats-Unis eux-mêmes ont décidé d'instaurer des cartes de rationnement pour le riz. Déjà, lors des grandes famines qui terrassèrent sur place les populations au Sahel, en Ethiopie ou au Darfour au cours des vingt dernières années et que les médias ont présentées comme une fatalité ou une "catastrophe naturelle", la responsabilité du système capitaliste était évidente. Maintenant, le prix des aliments de base les rendent inabordables pour une partie croissante de la population mondiale  ! La banque mondiale considère que ce sont les populations de 33 pays dans le monde qui sont touchées par ce désastre. "On va vers une très longue période d'émeutes, de conflits, des vagues de déstabilisation régionale incontrôlable", déclare Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l'alimentation, dans un entretien à Libération (le 14/04/08). Il dit aussi que "Avant la flambée des prix déjà (...) 854 millions de personnes étaient gravement sous alimentées. C'est une hécatombe annoncée." La Banque mondiale avertit d'ailleurs que "L'inflation alimentaire n'est pas un phénomène temporaire et que les cours devraient rester supérieurs à ceux de 2004 jusqu'en 2015". Une grande partie de la population mondiale est menacée de mourir de faim dans les mois à venir et tout cela pourquoi  ? Non plus seulement à cause d'une famine endémique mais parce que le système capitaliste s'enfonce dans sa crise économique inexorablement, facteur d'inflation donc d'augmentation des prix. De plus, ne pouvant plus spéculer sur l'immobilier, c'est au tour des matières premières et plus particulièrement des produits alimentaires de flamber entraînant toujours plus de personnes dans la famine.

 

Les émeutes de la faim (1)

La première manifestation de cette aggravation de la crise, c'est la multiplication sur la planète des émeutes de la faim. La révolte a éclaté dans de nombreux pays où la population est réduite à mourir de faim. En disant non à une misère déjà présente ou qui se rapproche à grands pas, la plus grande partie de l'humanité se défend contre cette société, le capitalisme qui impose à tous les exploités du monde une existence de plus en plus précaire (2). Ces émeutes de la faim se multiplient particulièrement en Afrique : Burkina Faso, Cameroun, Egypte, Mauritanie, Ethiopie, Sénégal. Mais aussi un peu partout dans le monde : en Haïti, aux Philippines, en Indonésie, en Thaïlande, au Bangladesh...

A Haïti, les manifestants ont exprimé leur rage et leur colère parce que, entre autres prix en hausse, le sac de 120 livres de riz est passé de 35 à 70 dollars en un an. Le chef de l'Etat René Préval déclarait cyniquement : "Les manifestations et les destructions ne vont pas payer les prix ni résoudre les problèmes du pays. Au contraire, cela peut faire augmenter la misère et empêcher les investissements dans le pays". Et tout cela, ce n'est pas parce qu'il n'y a plus de nourriture, mais parce qu'elle est devenue trop chère en quelques semaines pour leur revenu misérable. 80  % de la population d'Haï­ti vit avec moins de deux dollars par jour, bien en dessous du seuil de pauvreté devenu aujourd'hui seuil de mortalité assurée.

Là, comme dans les autres pays où il y a des émeutes, la bourgeoisie n'a qu'une seule réponse pour ceux qui crient leur faim : le feu "nourri" des balles  ! 200 morts lors de la répression des émeutes au Burkina Faso en février, 100 morts au Cameroun, 5 morts en Haïti et en Egypte, ce sont deux jeunes de 9 et 20 ans qui ont succombé aux tirs des forces anti-émeutes. Le capitalisme n'a rien d'autre à leur distribuer. C'est une des preuves de la faillite de ce système et de l'impasse où il mène l'humanité.

Cependant, non seulement la révolte d'une masse grandissante des miséreux dans le monde démontre qu'elle ne débouche nullement sur la résignation mais, surtout, elle n'est pas isolée. La même combativité et la même colère montent et s'affirment partout dans les rangs ouvriers du monde entier face à la flambée des prix des produits de première nécessité, face à des salaires de misère, face à des conditions d'exploitation de plus en plus inhumaines. Les grèves et les manifestations se multiplient dans de nombreux pays, dans les pays développés mais aussi dans les immenses bagnes industriels des pays plus pauvres (3). Très souvent, la propagande de la bourgeoisie consiste à opposer les habitants du Nord et du Sud de la planète comme si les premiers étaient des "privilégiés" ou des profiteurs et les seconds des incapables. C'est une de leur façon de nous rendre tous responsables et coupables des ravages pourtant liés à leur propre système économique en crise. Cette tactique est en train de se fissurer sérieusement. Les entreprises sont parties vers des pays où elles pouvaient payer les ouvriers moins chers, c'est à dire presque rien. Leur Eldorado est en train de partir en fumée. De plus en plus d'ouvriers commencent à refuser cette exploitation forcenée. Ils sont en train de développer leur propre expérience de la lutte. Dans un monde rongé par le développement de la concurrence entre les Etats, les entreprises, les exploiteurs de tout acabit, on veut nous faire croire que la classe ouvrière elle-même est gagnée par l'individualisme et le chacun pour soi. On veut nous faire croire que la gangrène de cette société en perdition ronge aussi tous les exploités et les travailleurs. Eh bien, NON  ! Dans la plupart de ces luttes s'est exprimé un puissant sentiment de solidarité entre les ouvriers.

Une seule réponse à la faillite du capitalisme mondial : développement d'un combat uni et solidaire

En effet, lors de ces dernières années, des luttes ouvrières importantes se sont développées partout dans le monde. Elles s'affirment désormais dans les pays les plus pauvres de la périphérie comme au cœur du système capitaliste, notamment en Europe occidentale.

Depuis plus de deux ans, de nombreux conflits ont eu lieu en Egypte, notamment à partir de l'usine textile de Ghazl al-Mahalla au nord du Caire (4), fer-de-lance de la colère ouvrière où la police a attaqué un groupe d'ouvriers en procédant à plus de 300 arrestations. Là, la faiblesse de l'encadrement syndical est un facteur qui favorise la massivité de la lutte et la radicalité des revendications ouvrières. Les syndicats apparaissent clairement pour ce qu'ils sont, des parties intégrantes de l'Etat, il n'y a aucune illusion sur leur nature anti-ouvrière. C'est un des aspects qui permet à la lutte ouvrière de s'étendre plus facilement entre les différents secteurs et de la faire vivre. L'esprit de solidarité des luttes en Egypte s'est encore exprimé ces derniers mois à travers le fait que d'autres secteurs industriels ou d'autres prolétaires comme les cheminots, les fonctionnaires des impôts, les employés des postes ou encore les professeurs d'université au Caire, à Alexandrie, à Mansoura, en grève le 23 mars, ont rejoint la lutte. Toutes ces grèves ont exprimé des revendications semblables pour l'essentiel : contre le coût de la vie, protestation contre des salaires humiliants et insuffisants pour nourrir leur famille, des logements trop chers et insalubres, etc.

En Iran, une puissante vague de grèves secoue le pays : en janvier, les chauffeurs de bus de Téhéran étaient en grève. Une centaine d'ouvriers avaient été arrêtés et 2 des leaders du mouvement sont toujours emprisonnés. Le 18 février à Chouch (au sud du pays), les ouvriers d'une usine de canne à sucre ont manifesté pour obtenir des salaires impayés en janvier et février. Ils s'étaient déjà mis en grève en septembre 2007 pour le même motif. Ils n'étaient pas en mesure d'assurer les fêtes de fin d'année pour leur famille et leurs enfants (la nouvelle année débute fin mars dans le pays). Les salaires impayés ont été la cause de la plupart des nombreux débrayages ou manifestations qui se sont multipliés dans le pays, notamment les employés de l'usine Pachmineh Baft de la ville de Ghazvine (ouest), ceux de l'usine de textile Mehrpouya à Ispahan (centre), de l'entreprise Navard à Karadj (ouest), les employés des télécommunications et de l'entreprise Sandough Nasouz à Téhéran. Dans le nord du pays dans la région de Rasht, les ouvriers (en particulier dans le textile), dont le salaire n'avait pas été versé depuis des mois, ont bloqué les rues de la ville et sont allés manifester devant les bâtiments officiels en brandissant des pancartes "Nous avons faim". Dans la province voisine de Gilan, des ouvriers ne sont plus payés depuis 13 mois. Des manifestations et des grèves semblables se sont produites à Elam à l'ouest du pays, comme dans une usine de produit pharmaceutique de Téhéran. Chaque fois, le gouvernement a répliqué par une dure répression. Le 21 février, dans le sud à Masjed Soleiman, les 800 ouvriers grévistes du barrage d'Abbaspour ont été violemment chargés par les forces de sécurité de l'Etat et la police secrète (VEVAK). Le 14 avril, après 3 jours de grève, la police a attaqué à coups de bulldozer une usine occupée de fabrication de pneus de la région d'Alborz au nord du pays, pour déloger les grévistes qui avaient brûlé des pneus dans l'enceinte de l'usine pour manifester leur colère (toujours pour non-paiement des salaires). Un millier d'entre eux ont été arrêtés après des heurts violents avec les forces de sécurité.

Depuis le début de l'année, au Vietnam, il y a eu 150 grèves dans les entreprises du pays. Dernièrement 17  000 ouvrières d'une usine de chaussures Nike au sud du Vietnam se sont mises en grève pour une hausse de salaire, réclamant une hausse de 200  000 dôngs (8 euros), face à la flambée des prix à la consommation. Elles n'ont obtenu que la moitié de ce qu'elles réclamaient mais, lors de la reprise du travail, des affrontements ont eu lieu et l'usine a dû fermer pour 3 jours. Dix mille ouvriers qui fabriquent des jouets à Danang se sont aussi mis en grève pour réclamer des hausses de leurs primes et l'allongement de la période de congés pour les fêtes du Têt.

En Roumanie, les ouvriers de l'usine Dacia-Renault arrachent une hausse de salaire de 100 euros (soit une augmentation de 40  % de leur salaire) après une grève de plusieurs semaines. Et ce sont 4000 ouvriers d'Arcelor Mittal à Galati, à l'est du pays, qui se sont mis en grève illimitée. Ils réclament un salaire net multiplié par deux, une augmentation des primes pour le travail le week-end et une hausse des aides apportées aux familles de sidérurgistes accidentés ou décédés. La direction a cédé immédiatement une hausse de 12  %. Mais la grève est suspendue par le tribunal pour "raison de sécurité et risque d'explosion du site du fait de fonctionnement à minima de certains hauts fourneaux de la cokerie". Ces luttes à Dacia-Renault et à Arcelor Mittal viennent se porter en faux contre tous les chantages à la délocalisation et toutes les tentatives de la bourgeoisie de diviser la classe ouvrière suivant les frontières nationales. Elles rappellent cette vérité toute simple que dans tous les pays, la classe ouvrière subit la même exploitation et a donc le même combat à mener. Sur toute la planète, il n'y a qu'une seule et même classe ouvrière qui doit être unie et solidaire  !

En Pologne, en janvier et février de cette année, les ouvriers de la mine de charbon Budryk à Ornontowice en Silésie ont mené une grève de 46 jours pour réclamer l'alignement de leurs salaires sur les autres mines du pays (toutes les mines du pays sont repassées sous le contrôle de l'Etat). C'est la plus grande grève connue par ce secteur depuis 1989 avec occupations de puits. Cette grève a été soutenue par 2/3 de la population. La grande grève de 1980 avait été freinée puis combattue par la création du syndicat Solidarnosc, applaudie par toute la bourgeoisie des pays occidentaux. Et justement, c'est ce même syndicat Solidarnosc et la centrale syndicale ZZG, main dans la main avec la direction, qui ont traité les grévistes de "racailles". Les femmes de mineurs sont allées manifester à Varsovie pour défendre leur combat. Une semaine après la reprise et devant le faible empressement de la direction à augmenter les salaires et à s'aligner sur les statuts des autres mines, 900 ouvriers ont menacé de repartir en grève.

Mais la résistance des ouvriers s'affirme aussi dans les pays centraux au cœur même du capitalisme.

En Grande-Bretagne, la journée du 24 avril a vu la mobilisation de plus de 400  000 salariés du secteur public face à la détérioration du pouvoir d'achat et aux attaques du gouvernement "travailliste" de Gordon Brown, avec en tête la première grève nationale des enseignants depuis 21 ans qui a rassemblé plus de 200  000 d'entre eux pour réclamer l'augmentation des salaires face à la hausse des prix. Ils ont été rejoints par beaucoup d'autres salariés du secteur public, allant des 900 garde-côtes maritimes et sauveteurs en mer qui en étaient à leur troisième grève de 24 heures depuis le 7 mars (pour la première fois dans l'histoire du pays concernant cette profession) jusqu'aux éducateurs, aux fonctionnaires des différents ministères et aux employés municipaux (20  000 à Birmingham), en passant par les douaniers et les inspecteurs du permis de conduire. Les ouvriers des employés de la raffinerie de Grangemouth en Ecosse devaient également se mettre en grève en raison d'un conflit sur leur régime de retraite. Dans le métro londonien, la menace de 3 jours de grève entre le 6 et le 8 avril de 7000 conducteurs a fait reculer l'attaque de la direction qui projetait un plan de remise en cause des normes de sécurité pour faire des économies.

En Allemagne, après la mobilisation des ouvriers de la région de Bochum (et notamment d'Opel) pour soutenir les ouvriers de Nokia menacés de perdre leur emploi  (5), il y a eu une série de débrayages en février dans la sidérurgie avec 5,4  % d'augmentation de salaire pour les 93  000 salariés du secteur accepté par le syndicat IG-Metall. Depuis, le pays a traversé une vague de grèves "dures", en particulier dans le secteur public et chez les fonctionnaires, dans la semaine du 3 au 7 mars. Les syndicats ont été contraints de lancer une "grève d'avertissement" dans les transports publics (bus et trains régionaux restés au dépôt, en particulier à Berlin où 12  % d'augmentation de salaires sont réclamés), dans les hôpitaux, les caisses d'épargne, les crèches et la plupart des aéroports (Francfort, Munich, Düsseldorf, Hambourg, Stuttgart, Hanovre) et diverses administrations publiques sont restées fermées. Sous la pression des ouvriers, le syndicat Verdi menaçait de grève massive et illimitée fin mars ou début avril pour 8  % de salaire en plus (jusqu'à 200 euros mensuels) alors que la direction ne proposait que la moitié  ; de la même façon, il a été prévu de lancer une grève illimitée à partir du 2 mai prochain, dans les postes (à la Deutsche Post) en réclamant à la fois 7  % d'augmentation de salaire, une garantie d'emploi jusqu'en 2011 et un abandon du projet d'augmentation du temps de travail (une demi-heure par semaine) alors que pour ce temps de travail supplémentaire, la direction ne propose qu'une hausse de 5,5  % de salaire en plus et une vague promesse sur les non-licenciements. A Berlin, Verdi a aussi lancé un appel à la grève à partir du 20 avril dans les usines de bus, métros et tramways ainsi que dans les services de ravitaillement en essence et de nettoyage de la compagnie berlinoise des transports publics. L'entrée en scène du prolétariat en Allemagne, lui qui a subi de plein fouet une contre-révolution sanglante dans les années 1920 (en particulier lors de l'écrasement des insurrections de 1919 et 1923) et qui a une si grande expérience, est un facteur particulièrement encourageant pour l'avenir de la lutte de classe.

Vers l'unification des luttes

Le plus marquant, à travers tous ces exemples de luttes de par le monde, est la similitude des raisons de la colère ouvrière. D'abord et avant tout, l'augmentation généralisée des prix et la faiblesse des salaires rendent de plus en plus difficile la vie, voire la survie. A cela, il faut ajouter partout les conditions de travail insupportables, une retraite toujours plus lointaine, misérable, et dans certains pays inexistante, des soins médicaux de plus en plus inaccessibles, etc. Certains sont réduits à la famine, les autres sont toujours plus paupérisés, précarisés. Il faut mesurer le chemin que la classe ouvrière est en train de parcourir depuis quelques années. Elle a non seulement repris le chemin des luttes, mais ses luttes acquièrent peu à peu une dimension inédite à la fois par leur quasi-simultanées et par leurs étendues  (6). Il y a un lien profond entre ces luttes des ouvriers des pays de la périphérie et ceux du cœur du capitalisme. Elle ouvre, pour le futur, des perspectives nouvelles au développement des luttes ouvrières.

En même temps que cette combativité s'exprime avec une ampleur et une massivité inédite à la périphérie, les mêmes caractéristiques se développent dans des pays centraux comme en France, en Grande-Bretagne et en Allemagne, avec toute leur expérience historique des luttes et des pièges que va tendre inévitablement la bourgeoisie. C'est parce que cette expérience est indispensable et irremplaçable que ces derniers conservent plus que jamais leur importance centrale et déterminante pour le développement de l'internationalisation et la généralisation des luttes dans l'avenir.

Mais en même temps, l'énorme combativité dans les pays de la périphérie du capitalisme constitue un encouragement à entrer en lutte pour les ouvriers des pays centraux en démontrant l'ampleur du développement international des luttes ouvrières. Surtout, elle démontre la force de la classe ouvrière : même dans des conditions extrêmement difficiles, en vivant dans la misère et en subissant une répression féroce et sanglante, notre classe est capable de se battre, de redresser la tête, de refuser la résignation. Le sentiment de dignité est une des valeurs morales profondes de la classe ouvrière, voilà qui doit nous donner confiance en nous et en notre force  !

Map (25 avril)

 

1) Un article plus détaillé sur ces émeutes de la faim sera publié très prochainement sur notre site Web.

2) Pour les centaines de milliers de personnes qui sont déjà condamnées à mort parce qu'elles ne peuvent plus acheter à manger, la bourgeoisie va essayer de nous culpabiliser et nous entraîner dans des collectes stériles alors que c'est son système politique et économique qui est le vrai responsable de ce drame.

3) Sur les conditions de travail qui sévissent dans ces bagnes industriels, voir ici .

4) Voir notamment "Luttes en Egypte : Une expression de la combativité et de la solidarité ouvrières" et "Bilan du blocage des raffineries (I)".

5) Lire l'article "Allemagne : la combativité montante de la classe ouvrière au niveau mondial " (RI no 387, février 2008).

6) Pour en donner une idée, nous dressons dans ce numéro une liste, très loin d'être exhaustive, des principales luttes ouvrières dans le monde rien que depuis le début de l'année 2008.

 

Récent et en cours: 

Manifestations de lycéens : la nouvelle génération inquiète pour son avenir

Depuis plus d'un mois, les lycéens manifestent contre la suppression de 11  200 postes dans l'éducation nationale à la rentrée 2008 (et 80  000 d'ici 2012). Le gouvernement a d'ailleurs accumulé les "fautes de com" en disant par la voix de Darcos : "Il n'est pas possible de se désintéresser de ce que coûte l'éducation à la nation et de ce qu'elle obtient en contrepartie des dépenses auxquelles elle consent." C'est vrai, les prolos, ça coûte cher et ça rapporte de moins en moins.

Ce mouvement est significatif et important à de nombreux égards. Il exprime en premier lieu l'inquiétude de toute une génération pour son avenir et pour ses futures conditions de vie et de travail. Car parallèlement aux suppressions de postes d'enseignants, avec des classes surchargées, des enseignants ne sachant plus où donner de la tête et prodiguant inévitablement un enseignement toujours plus médiocre, il y a aussi la création de lycées d'élite et de lycées poubelles. Le mouvement lycéen de cette année est dans la continuité des différents mouvements lycéens des années 1990 et 2000 et du mouvement étudiant contre le CPE en 2006. Il exprime en particulier un profond sentiment et un besoin de solidarité qui dépasse les "frontières" des générations. Il ne s'agit en rien d'un mouvement de lycéens qui font grève, comme on a pu l'entendre, pour ne pas aller en cours, mais du mouvement d'une génération qui a de plus en plus conscience de l'avenir pourri que lui réserve cette société capitaliste.

Les médias ont mis à plusieurs reprises en exergue, afin de mieux introduire la confusion, "l'opposition" prétendue entre les slogans étudiants de 1968 (mode oblige) comme "A bas les profs" et ceux des lycéens d'aujourd'hui qui "veulent plus de profs" et "plus d'autorité". Il y a évidemment des différences mais il existe un lien indéfectible, celui d'une génération qui a initié les vagues de luttes internationales qui ont jalonnées les années 1970 et 1980 avec une génération qui s'inscrit d'ores et déjà dans le développement actuel de luttes ouvrières au niveau international.

C'est la peur de cette jeune génération qui fait que les lycéens ont été isolés soigneusement par les syndicats lycéens et que les syndicats enseignants ont créé la confusion, appelant seulement à certaines manifestations et laissant aux enseignants l'initiative individuelle de soutenir la grève ou pas. Cela est un signe indubitable de la peur de la bourgeoisie de voir le mouvements s'élargir. En effet, la manifestation du 15 avril, à laquelle les syndicats enseignants avaient appelé, a montré une colère très forte de la part de ces derniers, en particulier dans le primaire, et les manifestations qui ont suivi ont également été des moments où ce ne sont plus que les revendications "lycéennes" qui sont mises en avant mais, chaque fois plus, des revendications sur un terrain ouvrier.

C'est bien pour ces raisons que la FIDL (Fédération Indépendante et Démocratique Lycéenne) et l'UNL (Union Nationale Lycéenne) se sont efforcées d'enfermer le mouvement dans une logique "lycéenne" avec des actions démoralisantes, telles que le blocage de certaines voies routières, ou encore le blocage des lycées, mais sans aucune perspective d'ouvrir la discussion ou des assemblées générales à tous, lycéens, étudiants et salariés, etc.

Cependant, devant la détermination et la combativité des lycéens, il revient aux syndicats de l'enseignement de les reprendre à leur compte en s'efforçant de mettre un terme à ce mouvement. Aussi, FSU, Unsa-Education, Sgen-CFDT, Ferc-CGT et SUD-Education ont décidé de deux journées d'action nationale les 15 et 21 mai pour demander la mise en oeuvre d'une "autre politique éducative visant la réussite de tous les élèves". Tout cela n'est que de la poudre aux yeux pour enrayer un mouvement qui se développe en profondeur au sein de la classe ouvrière et de leurs jeunes générations. Ce mouvement n'est pas que l'expression d'une lutte actuelle de lycéens en colère mais celle d'une tendance toujours plus claire chez les jeunes générations à ne pas se soumettre passivement aux conditions de travail lamentables qui sont de plus en plus celles de leurs aînés et à les entraîner dans la lutte avec eux.

Mulan (24 avril)

 

Géographique: 

Situations territoriales: 

En France, gouvernement et syndicats main dans la main contre la classe ouvrière

Depuis les élections municipales, le gouvernement annonce une nouvelle attaque chaque jour ou presque :

  • projet de suppression de la carte de réduction pour les familles nombreuses pour les voyages en train (sur lequel le gouvernement a momentanément reculé devant le tollé suscité)  ;
  • confirmation de la validité (et l'entrée en fonction officielle) de la loi sur les nouveaux contrats de travail qui permettent de légaliser la généralisation de la "flexibilité" et la précarité de l'emploi dans tout le secteur privé  ;
  • abaissement de 10  % du plafond des minima pour postuler à un logement social qui va priver de nouvelles dizaines de milliers de foyers comme de personnes isolées en situation difficile de ce recours  ;
  • mise en avant par la ministre de la Santé de la perspective de désengagement total de la Sécurité sociale pour le remboursement des lunettes (et à terme des frais de prothèse dentaire) : face à un concert de protestations, le gouvernement déclare que la mesure n'est pas à l'ordre du jour dans l'immédiat mais nul doute que l'annonce du creusement du déficit de la Sécurité sociale ne tardera pas à la faire ressortir, probablement dès l'été prochain  ;
  • annonce du renforcement des sanctions appliqués aux chômeurs contraints d'accepter au bout de 6 mois "toute proposition d'emploi dans la limite de 2 heures quotidiennes de transports du domicile et rémunérée au moins à 70  % de son salaire antérieur"  ;
  • réduction du montant des allocations familiales majorées perçues entre 11 et 14 ans à partir du 2e enfant mineur, soit 600 euros par famille  ;
  • publication d'un Livre blanc de la fonction publique cautionnant l'essentiel des mesures déjà en cours sur la "mobilité" et les suppressions de postes mais avec en prime l'introduction d'un "salaire au mérite" pour les fonctionnaires  ;
  • mise en place d'une "réforme hospitalière" basée sur des "structures régionalisées" qui devrait aboutir à la disparition de 235 hôpitaux représentant des dizaines de milliers d'emplois et de lits  ;
  • annonce que les chômeurs de plus de 57 ans et demi devront désormais justifier d'une recherche assidue d'un emploi auprès des Assedic au prétexte de "favoriser l'emploi des seniors" jusqu'à 61 ans au moins, en vue de les intégrer dans l'attaque globale contre les chômeurs (suppression d'indemnisation au bout de 6 mois). Ce battage sur l'emploi des seniors prépare les personnes âgées à accepter de toucher des retraites de misère et les conditionne (ils n'auront de toute façon pas vraiment le choix) à retrouver d'hypothétiques petits boulots pour survivre ;
  • projet scandaleux d'instaurer une taxe à payer par les retraités eux-mêmes pour permettre... de continuer à leur verser une retraite !

 

Cette pluie d'attaques...

Derrière tout cela, le gouvernement tente de mettre les bouchées doubles pour accélérer le démantèlement complet de l'Etat-providence. Comme l'a réaffirmé Sarkosy devant un panel de journalistes : le cap des "réformes" sera maintenu coûte que coûte et à la trappe tous ceux qui ne voudront pas s'y plier  !

Dans le contexte actuel de chute du pouvoir d'achat, de généralisation de la précarité, de plans de licenciements qui pleuvent les uns derrière les autres, de hausses de loyers prohibitives, d'escalade ininterrompue des prix alimentaires ou de produits de première nécessité, de nouvelles franchises médicales qui sont autant de coups plus douloureux les uns que les autres qui s'abattent sur l'échine des prolétaires, cela signifie une accélération insupportable de la paupérisation de la classe ouvrière et une détérioration considérables de ses conditions de vie et de travail. Une partie de plus en glus grande des travailleurs en est réduite à quémander ou ramasser des produits invendables à la fin des marchés, à subir l'humiliation de faire la queue auprès des associations caritatives pour obtenir des paniers repas pour eux et leurs familles aux portions de plus en plus réduites (vu la hausse des produits alimentaires de base), à s'entasser dans des logements de fortune ou des taudis insalubres, à renoncer aux soins coûteux en cas de maladie.

Ces conditions de survie de plus en plus inhumaines frappent en particulier les travailleurs "sans papiers" qui, en plus de leurs salaires de misère, en plus d'être soumis à un chantage et à une pression permanente d'une majorité de leurs patrons, sont contraints de vivre dans l'angoisse et la terreur permanente des contrôles et sous la menace d'une expulsion manu militari. Le courage de certains d'entre eux qui ont pris le risque de se mettre en grève pour tenter de sortir de cette impasse mérite le respect et l'entière solidarité de tous les prolétaires. Mais le cynisme de la bourgeoisie est sans bornes : le succès de la grève d'une dizaine de travailleurs sans-papiers de la restauration à Neuilly (fief de Sarkozy) aura servi d'appât pour attirer un maximum de travailleurs clandestins dans un véritable piège. Encouragés aussi bien par la publicité médiatique autour de cette grève que par certains patrons et par les associations liées au PS et surtout par le syndicat CGT qui s'est attelé à chaperonner la plupart d'entre eux, des milliers de sans-papiers sont poussés à présenter leur dossier dans les préfectures dans l'espoir de se faire régulariser. Cette illusion sera vite déçue. Comme l'ont réaffirmé brutalement Hortefeux et Sarkozy, cette régularisation se "fera au cas par cas", c'est-à-dire au compte-goutte. Comme il y a quelques années, les associations de gauche et la CGT, qui se donnent un grand coup de publicité en se prétendant les champions de la défense des travailleurs clandestins, en sont les pires ennemis. Ils se font les plus précieux rabatteurs d'Hortefeux pour débusquer les ouvriers clandestins, ce qui permettra peut-être au ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale d'atteindre cette année le chiffre de 27  000 expulsions promis pour 2008.

... que les syndicats aident à faire passer

D'ailleurs, la CGT et les autres syndicats sont partout à la manœuvre pour saboter toute riposte ouvrière. Ainsi, ils pourrissent le terrain de la lutte comme chez Airbus. Dès l'annonce de la confirmation de fermeture prochaine des sites de Méaulte en Picardie et de Saint-Nazaire découlant du fameux plan "Power 8", ils ont organisé de prétendus "débrayages de solidarité" sur les autres sites à Toulouse et à Nantes où l'essentiel de leur propagande a consisté à mettre les ouvriers français en concurrence avec leurs frères de classe allemands qui seraient injustement "épargnés par la restructuration" et à les dresser contre eux . On se souvient qu'avant les élections municipales, comme d'ailleurs avant les législatives il y un an, les syndicats avaient été à tour de rôle les premiers reçus à l'Elysée. Le gouvernement a pris soin de s'assurer de leur collaboration totale indispensable pour faire passer les attaques. C'est pourquoi les syndicats s'emploient à défouler, à cloisonner les réactions ouvrières et à les émietter à travers de petites luttes pour empêcher ou du moins désamorcer une cristallisation du mécontentement grandissant, bref pour éviter le surgissement de grosses vagues incontrôlables.

Cependant, la pression de la combativité ouvrière reste intacte, comme le démontre la grève des grutiers et des "portiqueurs" dans les ports, notamment à Marseille et au Havre contre les menaces de suppressions d'emploi, même si les syndicats font tout pour enfermer cette luttes dans un cadre totalement catégoriel et corporatiste. Et la plupart des grèves actuelles sont, malgré le travail de morcellement syndical, porteuses des mêmes revendications de hausse salariales face à la flambée des prix aussi bien chez les travailleurs de La Redoute à Wattrelos près de Roubaix, chez les employés de Coca-Cola à Grigny en région parisienne, comme chez les salariés de la compagnie d'assurance Mondial Assistance à Paris, Bagnolet et Le Mans. Plus que jamais résonne l'actualité d'un des slogans de Mai 68 : "Ce n'est qu'un début, continuons le combat  !"

W (26 avril)

 

Situations territoriales: 

Récent et en cours: 

Une seule classe, un seul combat !

Jamais autant de pays n'ont été simultanément touchés par des luttes, ce qui témoigne de la force et de la combativité ouvrière à l'échelle internationale. Face au black-out des médias de la bourgeoisie, en voici quelques exemples qui ne concernent que ce début d'année 2008.

En Europe

• Belgique : en mars, grèves chez Ford à Genk, à La Poste à Mortsel contre les contrats temporaires, grève des transports publics à Bruxelles et "grèves sauvages" dans un groupe pétrochimique BP et dans l'entreprise logistique Ceva contre des licenciements.

Grèce : 3 journées de grève générale de 24 heures depuis le début de l'année contre la réforme des retraites  (1) (réduction des pensions de 30 à 40  %, incitation à travailler au-delà de 65 ans pour les hommes et de 60 ans pour les femmes, suppression des départs anticipés à la retraite) et contre la réforme de la sécurité sociale (fusion des fonds, réduction du nombre de caisses de sécu avec suppression des avantages en faveur des travailleurs dont le métier est pénible). Ces grèves ont paralysé les principales activités du pays : transports, banques, postes, télécoms, cheminots, etc. La dernière, le 19 mars, a rassemblé des millions de personnes dans les rues.

Irlande : grève de 40  000 infirmières pendant plus de 15 jours depuis début avril pour revendiquer plus de 10  % d'augmentation et une réduction du temps de travail à 35 heures tandis que les pilotes d'Aer Lingus luttent contre leurs futures conditions de travail avec l'ouverture d'un nouveau terminal à Belfast. Grève sauvage contre l'avis du syndicat, le 4 avril, de 25 chauffeurs de bus à Limerick pour réclamer un nouveau contrat salarial.

Italie : dans la région de Naples, l'usine Fiat de Pomigliano est en grève depuis le 10 avril pour protester contre "l'externalisation" de 316 emplois (phénomène que les ouvriers craignent de voir se généraliser).

Russie : des mines de bauxite ont été occupées par 3000 ouvriers pendant plus d'une semaine. Ils réclamaient une augmentation de 50  % de leur salaire et le rétablissement de droits sociaux précédemment supprimés. Ce mouvement a suscité une vive sympathie dans le pays et le soutien de la population locale. La direction a cédé 20  % d'augmentation de salaire et rétabli une partie des droits sociaux.

Suisse : à Bellinzone (Tessin), un mois de grève de 430 ouvriers des ateliers mécaniques contre la suppression de 126 emplois de CFF Cargo qui s'est terminé le 9 avril avec le retrait du plan de restructuration (après manifestation le 7, à Berne, où s'est manifestée la solidarité d'autres ouvriers).

Turquie : la guerre au Kurdistan n'a pas empêché une grève massive dans les chantiers navals de Tuzla sur la mer de Marmara parmi les 43 000 ouvriers. Suite à une manifestation, le 28 février, réprimée par la police, plusieurs milliers d'ouvriers ont fait grève pendant 2 jours et le "sit-in" devant le chantier a été une fois de plus chargé par la police (passage à tabac et 75 arrestations). "Nos vies ont moins de valeur que leurs chiens" criaient de colère les grévistes, démontrant leur volonté de se battre pour leur dignité  ! Les ouvriers n'ont repris le travail qu'après la libération des grévistes arrêtés et avoir obtenu quelques promesses de la direction d'accepter certaines revendications (amélioration des conditions d'hygiène et de sécurité, garantie sur cotisations sociales et salaires, limitation du travail à 7 heures 30 par jour...).

En Afrique

Algérie : 3 jours de grève "illégale" dans la fonction publique à partir du 13 avril (1,5 million de salariés) pour une augmentation du salaire de base et en refus de la nouvelle grille des salaires  ; grève de 207 manutentionnaires d'une cimenterie de Hammam Dalaâ dans la région de M'sila avec cahier de 17 revendications contre leurs conditions de travail le 10 avril.

Cameroun : plusieurs grèves à répétition entre novembre 2007 et mars 2008 contre les conditions de travail inhumaines dans les palmeraies de la Socapalm liée à un groupe belge et au français Bolloré .

Swaziland : fin mars, menace de 16  000 ouvriers du textile de se mettre en grève pour obtenir de meilleurs salaires et des primes dans cet ancien "bantoustan" de l'Afrique du Sud.

Tunisie : les 6 et 7 avril, 30 ans après la grève générale et l'explosion de colère de janvier 1978 dans la même région durement réprimée (plus de 300 morts), nouvelle répression et vague d'arrestations dans la zone minière du bassin de Gafsa contre des ouvriers mobilisés depuis janvier contre les mises au chômage dans la région  ; grève contre les conditions de travail le 10 mars dans la société de télémarketing Teleperformance qui emploie 4000 personnes.

En Amérique

Canada : grève sauvage à Olymel (Vallée Jonction). Moins d'un an après la ratification par les syndicats d'une convention qui acceptait une amputation de 30  % des salaires et leur blocage sur 7 ans en échange d'une promesse de garder l'emploi, débrayage spontané de 320 ouvriers d'un atelier de découpage suite à une sanction à l'encontre d'un ouvrier prenant son poste en retard. La direction fait intervenir le syndicat pour demander la reprise du travail et le non-ralentissement de la production  ; sitôt après, 70  % des ouvriers décident en AG d'une grève sauvage illimitée à compter du 20 avril.

Etats-Unis : grève des scénaristes de Hollywood et de 5000 travailleurs de la chaîne de télévision MTV  ; grève à Detroit (Michigan) et à Buffalo (Etat de New York) de 3650 ouvriers à partir du 26 février chez Axle & Manufacturing Holding (équipementier de General Motors et Chrysler) à l'appel du syndicat UAW contre une réduction des salaires et des avantages sociaux  ; arrêts de travail contre la poursuite de la guerre en Irak et en Afghanistan annoncé le 1er mai par les dockers de la côte Ouest.

Mexique : le 11 janvier, grève dans la plus grande mine de cuivre du pays à Cananea (province de Sonora au nord du pays) pour l'amélioration des salaires ainsi que de leurs conditions de santé et de sécurité. Cette grève est déclarée illégale et une violente répression de la police et des forces spéciales de sécurité du gouvernement s'abat (entre 20 et 40 blessés, plusieurs arrestations). Le tribunal ayant finalement reconnu la légalité de la grève, une nouvelle grève le 21 janvier est suivie par 270  000 mineurs.

Venezuela : la grève massive des sidérurgistes (2e activité industrielle du pays dans la province de Guyana sur l'Orénoque) est durement réprimée par le prétendu "champion du socialisme du xxie siècle" Chavez  (2).

En Asie

Chine : le 17 janvier, révolte des ouvriers de Maersk dans le port de Machong. Dans la seule même région (du Delta de la Rivière des Perles au sud-est du pays dans un périmètre très industrialisé -  100  000 entreprises, 10 millions d'ouvriers  - compris entre Canton, Shenzhen et Hong-kong ), il y a au moins une grève par jour de plus de 1000 ouvriers depuis le début de l'année  !

Emirats : Après avoir cédé à une partie des revendications de la révolte massive des ouvriers du bâtiment immigrés de Dubaï  (3), une répression devant servir "d'exemple" s'est abattue sur eux : condamnation à 6 mois de prison ferme et expulsion après coup de 45 ouvriers pour "incitation à la grève". Mais cette lutte n'a pas été sans effets : 1300 ouvriers du bâtiment de l'Emirat voisin, au Bahrein, subissant les mêmes conditions d'exploitation proche de l'esclavage se sont mis en grève pendant une semaine début avril. Ils ont rapidement obtenu une augmentation de salaire tellement le risque de contagion dans la région était grand. La main d'œuvre étrangère représente plus de 13 millions de personnes dans les six émirats du Golfe.

Israël : grève sauvage des bagagistes de la compagnie El Al en mars  ; grève des employés à la Bourse de Tel-Aviv qui, depuis février dernier, perturbe quotidiennement les marchés financiers pour les salaires, contre les heures supplémentaires et la précarité.

 

1) Il faut dire que le gouvernement conservateur avait été réélu en septembre 2007 avec la promesse de ne pas toucher aux régimes de retraite.

2) Nous reviendrons prochainement sur le déroulement de cette grève.

3) Voir "Luttes ouvrières à Dubaï : un exemple de la montée de la combativité ouvrière à l'échelle internationale ".


Récent et en cours: 

Répression au Tibet : la baudruche des "Droits de l'homme"

Avec l'apparition le 10 mars d'une des vagues les plus importantes de manifestations pro-tibétaines depuis 1957, la population du Tibet subit une violente répression. Malgré le total black-out opéré par Pékin, les morts (13 selon la presse chinoise) peuvent très certainement se compter par centaines, tandis que les arrestations (officiellement plus d'un millier) vont bon train, avec tortures et déportations dans des camps de travail  ! Si le Parti "communiste" chinois, un des plus prodigues héritiers du stalinisme, manie le mensonge le plus éhonté sans aucune vergogne, il use aussi de la pire brutalité. Rappelons qu'en 1989, à Lhassa, lors d'une des nombreuses manifestations pour l'indépendance du Tibet, la police avait tué pas moins de 450 personnes.

Face à cette violence sanglante, tous nos dignes représentants de la démocratie, fervents défenseurs des Droits de l'homme, ont fait mine de s'indigner en se contorsionnant avec force gesticulations et autres complaintes diplomatiques. Tous, d'une voix unanime, ont immédiatement brandi à l'encontre de la Chine la suprême menace de "boycotter" la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques, voire les JO eux-mêmes. Cependant, après réflexion, le soufflé, et avec lui les menaces en peau de lapin, est retombé. La France s'est particulièrement distinguée dans cet effet d'annonces hypocrites. Après l'exigence de l'ouverture de pourparlers entre le gouvernement chinois et le dalaï-lama, Paris suivant Washington dans ses appels envers Pékin à "plus de retenue", le gouvernement français a rapidement envoyé Raffarin et Poncelet jouer les carpettes à Pékin, afin d'assurer cette dernière de la "volonté de la France de maintenir et d'approfondir le partenariat stratégique" entre les deux pays. D'ailleurs, mettant en pratique tous les beaux et grands discours récurrents des politiciens français s'enorgueillissant d'être LA patrie des Droits de l'homme, la police française s'est appliquée, lors du passage de la flamme olympique à Paris, à... taper sur la tête des manifestants pro-tibétains. Sur cette répression là, Michèle Alliot-Marie n'a fait qu'une seule critique : celle que les flics n'avaient pas ordre d'arracher les drapeaux tibétains. L'arrachage de drapeau, non  ! les coups de matraques, oui  !

Tout le cirque médiatique autour de la flamme olympique a peu à peu, pays après pays, viré du ridicule au grand-guignol, du grand-guignol au pathétique. Tous les feux de l'actualité ont été braqués sur cette flamme, symbole des "droits de l'homme" et du "rapprochement entre les peuples"  ! La lutte entre les divers tenants de l'extinction du brandon planétaire, afin de mieux protester énergiquement contre l'Etat chinois, et ceux qui la défendent pour ne pas "priver les Chinois des Jeux olympiques" a fait rage. Aussi, à défaut d'être renseignés sur les exactions de Pékin au Tibet, nous avons été littéralement abreuvés des péripéties du fameux flambeau : elle est passée par ici, elle repassera par là... Surtout, les médias et la clique politique nous ont invité à choisir un camp : pour ou contre l'indépendance du Tibet, pour ou contre le boycott des Jeux olympiques  ? La bourgeoisie manie depuis longtemps l'art de poser de fausses questions. Faut-il vraiment "choisir un camp" entre Tibet et Chine  ? Et que se cache-t-il réellement derrière tout ce cirque politico-médiatique et ces courbettes diplomatiques  ?

On a aussi beaucoup fait appel à l'actuel 14e dalaï-lama, "chef spirituel" mais aussi membre à part entière de l'Etat dans la tradition tibétaine, prix Nobel de la Paix en 1992. Il est honteusement encensé par les médias occidentaux comme le porteur de la véritable culture tibétaine et l'héritier d'une nation séculairement "heureuse". En réalité, il est le digne représentant d'un système social où la masse de la population vit courbée devant des bonzes détenteurs de la "connaissance" divine et est maintenue depuis des siècles dans une arriération extraordinairement profonde, avec un système de servage peut-être d'un niveau encore inférieur et plus brutal que celui que nous avons pu connaître en Europe au Moyen-Âge. Et c'est d'ailleurs un des aspects de l'histoire du Tibet qui a permis de justifier l'invasion de l'armée rouge maoïste afin d'abolir le servage et de permettre une prétendue ouverture à "l'école pour tous", en fait le dressage par les coups à l'idéologie de la "Révolution culturelle". Il n'y a nul choix à faire entre l'un ou l'autre : même si le dalaï-lama apparaît comme le "gentil", face à une "méchante" bourgeoisie chinoise, responsable de la mort directe de plus d'un million de Tibétains entre 1960 et 1990, il n'en reste pas moins l'agent de l'obscurantisme et de l'oppression idéologique les plus crasses.

De nombreux "commentateurs" se sont penchés sur le poids économique de la Chine qui expliquerait la passivité de la "communauté internationale", mais c'est loin d'être la raison principale. Il faut rappeler que ce sont les grandes puissances elles-mêmes qui sont à l'origine de la situation qui prévaut de nos jours au Tibet, bien avant déjà que Pékin ne connaisse l'expansion économique actuelle. Il ne s'agit en effet pas seulement d'une question de pressions économiques, mais surtout et avant tout du résultat de la compétition impérialiste. Lorsque Mao Zedong envahit le Tibet en 1950, avec une armée de "libération nationale", c'est pour affirmer sa volonté d'hégémonie en Asie et pour agrandir de presque un quart le territoire de la Chine. Si Mao osa entreprendre cette offensive, c'est parce qu'il savait qu'il avait non seulement la bénédiction mais également le soutien actif de la Grande-Bretagne qui voyait dans cette invasion la création d'une limite aux velléités impérialistes de l'Inde nouvellement indépendante.

Plus tard, à la fin des années 1950 et avec la naissance de la Guerre froide, et à une époque où Pékin et Moscou étaient alliés militairement, c'est Washington qui va pousser à l'exacerbation du séparatisme tibétain. Nulle intention de leur part de "sauver" les centaines de milliers, voire les millions, de Tibétains qui disparaissaient par vagues successives du fait des répressions ou de la famine, de la politique de discrimination en faveur des ressortissants chinois. Au contraire  ! Il s'agissait pour les Etats-Unis de créer une zone de perturbation permanente face à la Chine.

De nos jours, la situation est différente mais le résultat est identique. Les grandes puissances veulent à tout prix éviter que le Tibet ne devienne un nouveau foyer d'instabilité. Non pas par un souci quelconque "d'humanisme", mais pour couper la route en particulier à une éventuelle vague islamiste, que ce soit sur les frontières avec le Pakistan et l'Inde mais aussi en Chine elle-même. C'est pourquoi elles laissent l'Etat chinois donner libre cours à sa violence.

Bref, les raisons géostratégiques varient, mais la guerre est permanente.Aussi, avant même que les JO n'ait commencé, le parcours de sa flamme a contribué à mettre encore un peu plus en lumière ce que l'organisation de cet évènement sportif a de caractéristique des mensonges du monde bourgeois prétendument désireux de contribuer au "bonheur des peuples". Et la bourgeoisie du monde entier a pu elle aussi montrer les trésors d'hypocrisie qu'elle est capable de déployer, au nom des "Droits de l'homme", alors qu'elle conduit directement l'humanité vers la pire des barbaries.

Wilma (20 avril)

 

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Récent et en cours: 

Irak, Afghanistan, Kosovo : sur les ravages des armes à l'uranium appauvri

L'armement à base d'uranium appauvri est certainement parmi les manifestations les plus illustratrices du cynisme machiavélique de la bourgeoisie. L'uranium appauvri est un métal lourd et dense, des caractéristiques qui lui confèrent une solidité exceptionnelle, capable de transpercer des blindages ou de pénétrer des bunkers souterrains. Ce métal est, à ce niveau, proche du tungstène, à ceci près que le tungstène est cher, en très grande partie produit par la Chine et ininflammable, alors que l'uranium appauvri est gratuit, disponible partout où une activité de fission nucléaire existe et qu'en plus il brûle et explose  ! Il s'agit d'un sous-produit de l'activité nucléaire. Un déchet, en quelque sorte, que le "génie" capitaliste reconvertit de diverses façons, notamment pour des utilisations civiles mais, dans les faits, quasi-exclusivement pour équiper des missiles et obus perforants. Un missile de ce type peut ainsi pénétrer dans un centre de commande souterrain et exploser à l'intérieur, tuant et détruisant tout ce qui s'y trouve.

Mais, comble de l'horreur, ce déchet est extrêmement nocif du point de vue de la radioactivité. Les poussières dégagées par sa combustion et son explosion sont très volatiles et peuvent donc être facilement inhalées. La polémique sur l'incidence de l'uranium appauvri concernant le "syndrome de la guerre du Golfe" (1), les études "cachées" sur la situation au Kosovo ou en Afghanistan, tous ces éléments n'ont abouti qu'à cette conclusion officielle : personne ne peut dire avec certitude que l'uranium appauvri n'a pas d'activité radioactive nocive pour l'organisme humain. Et alors  ? Quelles conséquences en tire la bourgeoisie  ? Forte de cette grandiose ignorance, la bourgeoisie répand ces débris et ces poussières sur tous les théâtres d'affrontements impérialistes. Au diable les conséquences à long terme  ! Peu importe si pendant des décennies, voire des siècles, des enfants naissent malformés ou meurent de leucémies inexpliquées, on ne pourra accuser personne puisque "personne ne savait"  (2). Responsables, mais pas coupables  !

Par ailleurs, en tant que déchet nucléaire, il ne peut être exclu que l'uranium appauvri soit totalement dépourvu d'autres substances rencontrées dans le processus de fission atomique. Comme par exemple du plutonium, dont on connaît en revanche parfaitement l'extrême nocivité  ! (3)

Il est bien sûr évident que la bourgeoisie n'a pas besoin d'uranium appauvri pour répandre la mort, la maladie et la misère sur la planète. Comme cause première des famines dans le monde, la guerre est déjà assez meurtrière comme ça  ! Et on pourrait ajouter les armes chimiques comme le gaz moutarde largement utilisé par le pouvoir irakien. Ce qui distingue l'uranium appauvri, c'est surtout sa capacité potentielle à polluer radio-activement pour plusieurs siècles des zones importantes de la planète et à modifier le patrimoine génétique des populations touchées pour de nombreuses générations. Certaines études considèrent cette pollution comme plus mortelle que les bombardements d'Hiroshima et Nagasaki en 1945 qui emportaient pourtant déjà une charge radioactive importante.

Ce lourd héritage est légué avec un cynisme insupportable et révoltant par une bourgeoisie qui ne peut que balayer la question d'un "a priori ce n'est pas nocif" qui tranche avec sa prétendue préoccupation pour l'avenir de notre écosystème. Derrière les beaux discours de la classe dominante sur le "développement durable", la réalité est profondément alarmante : plus le capitalisme s'enfonce dans la crise et la barbarie, plus l'état de la planète qu'il laisse à l'humanité du futur est délabré, appauvri, modifié, pollué... et pour longtemps  ! Cela souligne avec force l'urgence du développement international de la lutte de classe, seul moyen pour stopper cette infernale destruction.

GD (20 avril)

 

1) On nomme ainsi les augmentations inexpliquées de leucémies, malformations et autres maladies graves parmi les Irakiens et vétérans américains de la guerre du Golfe. Les statistiques fiables sont dures à trouver. D'après des interviews auprès du personnel du département des Affaires des vétérans américains réalisés par l'American Free Press, le nombre "de vétérans de l'Ère du Golfe" maintenant en invalidité depuis 1991 se monte à 518  739 alors que "seulement" 7035 ont été annoncés blessés en Irak. De même, un rapport écrit par un ingénieur pétrochimique irlandais fait état d'une multiplication par 4 des cas de leucémies dans les régions où des projectiles contenant de l'uranium appauvri ont été utilisés  !

2) Cela dit, même "sans savoir", la prudence reste de mise dans les pays occidentaux : le champ de tir du Pentagone dans l'Indiana (80 hectares), où des obus à l'uranium appauvri ont été testés, sera certainement transformée en "zone nationale de sacrifice" et sanctuarisé pour l'éternité  !

3) 1,6 kg de plutonium peuvent provoquer la mort de huit milliards d'individus  !


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Inde, Turquie, Bangladesh : l'horreur des bagnes industriels

En 1984, c'est avec horreur que nous avions découvert le terrible bilan humain de l'explosion de l'usine Union Carbide à Bhopal, en Inde. En l'espace de trois jours, 8000 ouvriers moururent  ! 350  000 dans les semaines et mois suivants, suite aux blessures ou aux effets de la pollution chimique  ! Les conditions d'exploitation effroyables régnant dans ce véritable "bagne industriel" furent la première cause de cette hécatombe. La déflagration eut lieu la nuit alors que les ouvriers et leurs familles dormaient le long de l'usine, dans un immense bidonville. Déjà, à l'époque, la peau d'un ouvrier ne valait donc pas grand-chose mais depuis lors, ces bagnes industriels n'ont fait que proliférer aux quatre coins du monde, en Asie, au Moyen-Orient ou encore en Afrique.

Aujourd'hui, en Inde, au Bangladesh et en Turquie, des dizaines de milliers d'ouvriers travaillent sans relâche dans de gigantesques chantiers navals, rebaptisés "chantiers de la mort". La technique est simple et identique sur chacun de ces sites. Les paquebots à détruire sont lancés à pleine vitesse vers la plage ! Une fois ces géants de la mer échoués, des centaines d'ouvriers s'attellent à les démanteler avec... leurs mains et parfois un chalumeau. Aucune protection, aucune mesure de sécurité. Ces carcasses sont pourtant bourrées de produits chimiques dangereux, voire mortels, chargés le plus souvent d'amiante. Mais si toutes les nations du monde envoient leur flotte y mourir, c'est justement parce que ces conditions d'exploitations inhumaines assurent des "prix imbattables". C'est d'ailleurs dans ce genre de "chantiers de la mort" qu'a faillit finir le porte-avion le Clemenceau et qu'un des fleurons de la marine marchande française, le France, est en train d'y finir ses jours. Dans un rapport daté de 1995 sur le plus grand cimetière de bateaux au monde, le chantier d'Alang en Inde, l'ingénieur Maresh Panda décrivait déjà ainsi les conditions de vie et de travail des ouvriers : "Ils avaient des problèmes de peau dus au contact de matières toxiques, des problèmes respiratoires. Les cales peuvent contenir des gaz et les découpeurs les percent au chalumeau au risque d'explosions. Le sol est saturé de produits toxiques. Or, la plupart des travailleurs sont nu-pieds et peuvent se blesser. (...) Ils étaient à 20 ou 30 dans une même baraque, dormant sur des couchettes superposées. Ils pouvaient travailler vingt heures par jour." Dans une émission d'Envoyé spécial intitulée "Les fossoyeurs d'épaves"  (1), un ouvrier témoigne de l'horreur qu'il vit au quotidien : les explosions en tout genre, les copains tués ou mutilés, la survie dans les cabanes de taules et les maigres repas, etc. Et pourtant, des familles entières font parfois des milliers de kilomètres pour pouvoir travailler ici, ce qui en dit long sur la misère de pans entiers de populations de la planète  !

Aux Emirats Arabes Unis, à Dubaï, des millions d'ouvriers vivent la même horreur en construisant des gratte-ciels à perte de vue  (2). La Chine, comme la Corée en son temps, déporte des millions de travailleurs vers les grands centres industriels. Au total, dans le monde, 2,2 millions d'ouvriers meurent chaque année au travail. Et encore, ce chiffre officiel donné par l'Organisation internationale du travail minimise de beaucoup et volontairement la réalité.

Voici le secret du "miracle économique" des "pays émergents". Dans les années 1980 et 1990, les bourgeoisies occidentales tentaient de bercer d'illusions la classe ouvrière en lui faisant miroiter les miracles allemand, japonais ou même taïwanais. Pour retrouver une bonne santé économique, il fallait les copier : rigueur et sérieux au travail, abnégation pour l'entreprise... Aujourd'hui, les seuls "modèles" qui restent à suivre, ce sont ces bagnes industriels.

Jeanneton (25 avril)

 

1) Cette vidéo est publiée sur Dalymotion.

2) Lire nos articles "Dubaï, Bangladesh : La classe ouvrière se révolte contre l'exploitation capitaliste" et "Luttes ouvrières à Dubaï : un exemple de la montée de la combativité ouvrière au niveau international".


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Récent et en cours: 

Salut au "Comité Communiste de Réflexion" de Toulouse

Comme nous l'avons mentionné au sein de précédentes publications, dans un certain nombre de villes ou de régions du monde 1, des éléments, souvent jeunes, indignés par les conditions actuelles et à venir d'existence de l'humanité, se retrouvent pour échanger leurs réflexions et forment ainsi des cercles de discussion. Certaines fois, il s'agit pour les éléments qui créent de tels cercles de comprendre comment et pourquoi la société actuelle s'enfonce dans la barbarie guerrière et plonge une part toujours croissante de l'humanité dans la misère. D'autres fois, de tels cercles se créent pour tirer les leçons des luttes qui ont été menées, pour comprendre ce qui les a limitées ou carrément faites échouer. Le but est alors de défendre et promouvoir, dans les prochaines luttes, les moyens de leur développement.

C'est en suivant cette seconde voie qu'une poignée d'étudiants de la faculté du Mirail, à Toulouse, a formé un cercle de discussion sous le nom de Comité de réflexion communiste. En effet, une partie de ces étudiants avait été partie prenante des luttes qui s'étaient menées en France en novembre 2007 .  Marqués par cet esprit combatif, ils se réunirent d'abord en pensant qu'il était possible que la lutte ne soit pas finie et qu'il fallait examiner les moyens qui pouvaient éventuellement être employés pour la relancer. Mais rapidement, il est apparu évident que le redémarrage de la lutte n'était pour l'instant pas possible et que le but des discussions du Comité était donc, surtout, de faire le bilan de cette lutte de novembre pour préparer l'avenir.

Les questions soulevées par le Comité de réflexion communiste

Dans toute cette phase de la vie de ce cercle, toute une série de questions ont été posées et discutées. Il était évident pour tous -  mais encore fallait-il faire la narration des événements pour que tout le monde prenne connaissance de la réalité des faits  - que les syndicats étaient les principaux responsables du fait que la lutte n'avait pas pu se développer. Ainsi, le comité s'est posé la question de savoir pourquoi le Comité de lutte des étudiants de l'université était devenu le champ clos des batailles des différents syndicats qui sont animés par des groupes politiques différents, ce qui avait écœuré les étudiants qui n'appartenaient pas à telle ou telle organisation ou à un syndicat et qui, de ce fait, désertaient le Comité de lutte (et parfois la lutte elle-même). De même, pourquoi les syndicats ont-ils saboté la jonction entre les étudiants et les cheminots en lutte  (2) de la même manière qu'ils ont clairement empêché celle des cheminots et des gaziers et électriciens ? Les syndicats en sont même arrivés à stigmatiser les étudiants (qui font partie du comité) qui étaient allés intervenir dans les assemblées générales de cheminots sous le prétexte qu'ils n'avaient pas été mandatés ! Ces événements ont été le point de départ d'une des premières questions que s'est posée le Comité : pourquoi les syndicats mènent-ils une telle politique ? Seraient-ils incompétents pour mener la lutte ? Est-ce que cela viendrait de l'orientation des organisations politiques qui les noyautent (le PS pour l'UNEF, le PC pour la FSE et la LCR pour SUD) ? Enfin, une telle politique ne viendrait-elle pas du fait que la forme syndicale est définitivement inadaptée dans la période actuelle comme arme de combat de la classe ouvrière ?

Cette discussion a mené à un questionnement sur les manifs organisées par les syndicats : faut-il participer à ces manifestations que beaucoup de membres du Comité ressentaient comme des processions défouloirs, organisées par les syndicats, n'ayant aucun moyen de faire reculer l'Etat  ? Pour d'autres membres du Comité, ces manifestations sont appelées par les syndicats parce qu'ils ne peuvent pas faire autrement et pour empêcher que la colère n'explose dans des dimensions qu'ils ne pourraient plus contrôler ; ces manifestations sont donc des moments pendant lesquels les ouvriers en lutte peuvent se retrouver et exprimer leur solidarité -  y compris contre les syndicats qui voudraient que, à la fin des manifestations, tout le monde rentre chez soi avec l'idée que l'on a fait tout ce que l'on pu et qu'il ne reste plus maintenant qu'à les laisser négocier.

Le Comité a aussi tenté de répondre aux questions qui s'étaient posées dans la lutte en prenant le problème par un tout autre bout : si les sections syndicales des différentes corporations n'ont pas rejoint les étudiants, n'est-ce pas parce que la situation des membres de ces corporations est en fait assez confortables ? La lutte des cheminots, celle des enseignants... n'étaient-elles pas celles de catégories socio-économiques voulant garder leurs acquis et non des expressions de la lutte de la classe ouvrière ? En d'autres termes le Comité s'est posé la question de savoir si l'on ne devait pas comprendre la classe ouvrière comme seulement composée des précaires, des chômeurs et des habitants des banlieues. La discussion qui a eu lieu sur ce thème a permis de conclure que l'appellation "classes moyennes" était en fait une astuce idéologique de la classe dominante pour qu'une grande partie des prolétaires ne se considèrent pas comme ouvriers. Et pourtant, quels que soient les secteurs, dans le privé comme dans le public, dans les ateliers ou dans les bureaux, au chômage ou à la retraite, c'est bien la même classe, la classe ouvrière, qui est exploitée et attaquée, c'est bien la même classe qui est de plus en plus précarisée et qui a de plus en plus de difficultés à "joindre les deux bouts". De même, le Comité a pu affirmer clairement que ce n'est pas le très bas niveau de salaire ou le fait de ne pas être propriétaire de son logement qui permet de qualifier tel ou tel être humain de prolétaire, mais le fait qu'il n'a que sa force de travail (manuelle ou intellectuelle) à vendre. Sur cette base, la discussion nous a permis d'établir que les habitants des banlieues, que le capitalisme a marginalisés, sont des prolétaires tout autant que la plupart des membres des prétendues "classes moyennes". Que l'atroce misère et la marginalisation dans laquelle les a poussés le capitalisme les amène à se lancer dans des révoltes isolées -  et malheureusement suicidaires  - ne change rien à cette réalité et cela signifie que l'avenir de leur lutte ne passe pas par ces émeutes mais par la lutte solidaire avec les autres prolétaires.

Le rôle des syndicats comme frein ou saboteurs du développement de la lutte a amené le Comité à se demander pourquoi l'assemblée générale n'avait pas su s'opposer à leur politique. Plusieurs sortes de réponses ont été apportées par les membres du Comité : pour certains, il est nécessaire qu'une minorité dirige l'assemblée générale pour que cette dernière puisse se donner les moyens de développer la lutte ; pour d'autres, la prise de décisions par une minorité à la place de l'assemblée générale ne peut en aucun cas aboutir à renforcer la lutte. Comme pour toute lutte ouvrière, ce sont les ouvriers eux-mêmes et eux seuls qui peuvent développer la lutte et donc le décider  ; dans un tel cadre, les minorités qui ont une meilleure compréhension des moyens de développer la lutte doivent tout faire pour convaincre l'ensemble des ouvriers réunis en assemblée générale de l'orientation qui permettra de développer la lutte. Cette discussion a permis de débattre sur la manière dont évoluait la conscience des ouvriers et des étudiants individuellement et collectivement.

Un outils de réflexion communiste

Toutes ces questions étant à la base de différences d'appréciation réelles entre les membres du Comité, il a été décidé de lire et discuter un certain nombre de textes anciens du mouvement ouvrier qui donnent un éclairage important. C'est donc en cherchant à répondre aux questions posées par la lutte que le Comité a été amené à discuter le livre de Rosa Luxembourg Grève de masse, parti et syndicats qui permet non seulement de comprendre l'évolution des syndicats, mais aussi de voir quel est le rôle des communistes dans la lutte. Suite à la discussion de ce premier livre, le Comité discute en ce moment celui de Léon Trotski Bilan et perspectives.

Enfin, le Comité a décidé à ne pas se limiter à ces questions et a décidé de discuter d'autres questions qui touchent à ce que nous savons tous comme nécessaire : la nécessité du changement de la société. C'est en ce sens, par exemple, que le Comité a décidé d'examiner la réalité et les conséquences de la politique menée par H. Chavez au Venezuela.

Comme nous l'avons dit précédemment, ce Comité n'est pas isolé, dans bien d'autres pays, des ouvriers et des étudiants élaborent de telles discussions. Bien sûr, comme on peut le voir dans ce qui précède, tous ces débats ne se terminent pas par un accord au sein du Comité, mais le CCI salue et encourage la création et le développement de tels regroupements parce que c'est par de telles discussions que des questions essentielles sur les causes de l'état catastrophique du monde actuel, sur les moyens qu'il faut utiliser pour le développement de la lutte et sur la perspective de l'avènement du communisme se clarifient. C'est pour cela et avec cet état d'esprit que le CCI participe chaque fois qu'il le peut à ce type de débat.

Ces regroupements participent du fait que la classe ouvrière se forge les armes pour les inévitables combats qui sont à venir.

Paul (28 mars)

 

1) ) Lire notamment nos articles sur des cercles de discussion aux Midlands et à Bruxelles ("Groupe de discussion des Midlands en Grande-Bretagne : un lieu de clarification de la conscience de classe" et "Discussion : entre le rêve et les faits, sur l'identité et l'Etat").

2) Les membres de ce cercle de discussion de Toulouse avaient d'ailleurs dénoncé par écrit, dans le feu de la lutte, ce sabotage de l'unité par les syndicats étudiants et cheminots, témoignages que nous avons publiés, sur notre site web, sous le titre : "Comment les syndicats ouvriers et étudiants pourrissent la lutte et la réflexion (témoignages dans la lutte)".


Courants politiques: 

Existe-t-il une issue à la crise économique ? (1ère partie)

Depuis août 2007, avec l'effondrement des prêts hypothécaires appelés "subprimes", on assiste à un nouvel épisode des convulsions qui affectent l'ensemble du capitalisme mondial. Les mauvaises nouvelles se succèdent : les taux d'inflation s'emballent (aux Etats-Unis, l'année 2007 a été la plus mauvaise depuis 1990), le chômage remonte, les banques annoncent des pertes par milliards, les Bourses vont de chute en chute, les indicateurs de croissance pour 2008 sont sans cesse révisés à la baisse... Ces données négatives se traduisent concrètement dans la vie quotidienne des travailleurs en tragédies comme celles de se retrouver sans emploi ou expulsé parce qu'on ne peut plus payer les crédits, par des pressions et des menaces à répétition dans le travail, des pensions de retraite qui se dévalorisent et font de la vieillesse une souffrance plus forte avec la misère... Des millions d'êtres humains anonymes dont les sentiments, les préoccupations et les angoisses ne font pas de la matière pour l'info journalistique, sont durement affectés.

 

À quelle étape sommes-nous dans l'évolution historique du capitalisme  ?

Face à la nouvelle éruption de la crise, que nous disent les personnalités et les institutions considérées comme "expertes"  ? Il y en a pour tous les goûts : il y a les catastrophistes qui prédisent une débâcle apocalyptique au coin de la rue  ; il y a les optimistes qui disent que tout est dû à la spéculation, mais que l'économie réelle va bien... Cependant, l'explication la plus courante, c'est que nous serions face à une "crise cyclique" comme beaucoup d'autres que le capitalisme a connues dans le passé tout le long de son histoire. Par conséquent, nous conseillent-ils, nous devons rester tranquilles, courber l'échine contre la tempête jusqu'à ce que reviennent les périodes de vaches grasses d'une nouvelle prospérité...

Cette "explication" prend comme modèle une photo jaunie, en la déformant, de ce qui arrivait au xixe siècle et au début du xxe, mais qui est inapplicable à la réalité et aux conditions du capitalisme de la plus grande partie du xxe siècle et du xxie.

Le xixe siècle fut l'époque d'ex­pansion et de croissance du capitalisme, qui s'étend comme une tache d'huile par le monde entier. Cependant, périodiquement, il était secoué par la crise, comme le Manifeste communiste le mit en évidence : "Chaque crise détruit régulièrement non seulement une masse de produits déjà créés, mais encore une grande partie des forces productives déjà existantes elles-mêmes. Une épidémie qui, à toute autre époque, eût semblé une absurdité, s'abat sur la société, l'épidémie de la surproduction. La société se trouve subitement ramenée à un état de barbarie momentanée  ; on dirait qu'une famine, une guerre d'extermination lui ont coupé tous ses moyens de subsistance  ; l'industrie et le commerce semblent anéantis. Et pourquoi  ? Parce que la société a trop de civilisation, trop de moyens de subsistance, trop d'industrie, trop de commerce. Les forces productives dont elle dispose ne favorisent plus le régime de la propriété bourgeoise  ; au contraire, elles sont devenues trop puissantes pour ce régime qui alors leur fait obstacle; et toutes les fois que les forces productives sociales triomphent de cet obstacle, elles précipitent dans le désordre la société bourgeoise tout entière et menacent l'existence de la propriété bourgeoise. Le système bourgeois est devenu trop étroit pour contenir les richesses créées dans son sein». Cette entrée périodique de la société capitaliste dans des phases d'effondrement avait deux causes principales qui sont toujours présentes aujourd'hui. Premièrement, la tendance à la surproduction -  telle que le Manifeste la décrit  - qui entraîne la faim, le chômage et la misère, non pas parce qu'il y aurait une pénurie de biens (comme c'était le cas dans les sociétés antérieures), mais à cause du contraire, par excès de production (!), parce qu'il y a trop d'industries, trop de commerce, trop de ressources  ! Deuxièmement, parce que le capitalisme fonctionne d'une façon anarchique à travers une concurrence féroce qui jette les uns contre les autres. Ceci provoque une répétition des moments de désordre incontrôlé. Cependant, parce qu'il y avait des nouveaux territoires à conquérir pour le travail salarié et la production marchande, on finissait, tôt ou tard, par dépasser ces moments grâce à une nouvelle expansion de la production qui étendait et approfondissait les rapports capitalistes, particulièrement dans les pays centraux d'Europe et d'Amérique du Nord. A cette époque, les moments de crise étaient comme les battements d'un cœur sain et les vaches maigres laissaient la place à une nouvelle étape de prospérité. Mais déjà à ce moment là, Marx percevait dans ces crises périodiques quelque chose de plus qu'un simple cycle éternel qui déboucherait toujours sur la prospérité. Il y voyait les expressions des contradictions profondes qui minent le capitalisme jusque dans ses propres racines en le précipitant vers sa ruine.

Au début du xxe siècle, le capi-talisme atteint son apogée, il s'est étendu sur toute la planète, la plus grande partie du globe se trouve sous la domination du travail salarié et de l'échange marchand. C'est ainsi qu'il est entré dans sa période de décadence. "A l'origine de cette décadence, comme pour celle des autres systèmes économiques, se trouve l'inadéquation croissante entre le développement des forces productives et les rapports de production. Concrètement, dans le cas du capitalisme, dont le développement est conditionné par la conquête de marchés extra capitalistes, la Première Guerre mondiale constitue la première manifestation significative de sa décadence. En effet, avec la fin de la conquête coloniale et économique du monde par les métropoles capitalistes, celles-ci sont conduites à s'affronter entre elles pour se disputer leurs marchés respectifs. Dès lors, le capitalisme est entré dans une nouvelle période de son histoire qualifiée par l'Internationale communiste en 1919 comme celle des guerres et des révolutions"  (1). Les traits essentiels de cette période sont, d'un côté, l'explosion des guerres impérialistes, expression de la lutte à mort entre les différents États capitalistes pour étendre leur influence aux dépens des autres et de la lutte pour le contrôle d'un marché mondial devenu de plus en plus étroit, qui ne peut plus assurer un débouché suffisant pour une telle abondance de rivaux  ; d'un autre côté, il y a une tendance pratiquement chronique à la surproduction, de sorte que les convulsions et les catastrophes économiques se multiplient. Autrement dit, ce qui caractérise globalement le xxe et le xxie siècles, c'est la tendance à la surproduction -  temporaire au xixe et pouvant être dépassée facilement  - qui devient chronique, soumettant ainsi l'économie mondiale à un risque quasi-permanent d'instabilité et de destruction. D'un autre côté, la concurrence -  trait congénital du capitalisme  - devient extrême et, en se heurtant à un marché mondial qui tend constamment vers sa saturation, elle perd son caractère de stimulation de l'expansion pour ne développer que son caractère négatif et destructeur de chaos et d'affrontement. La Guerre mondiale de 1914-18 et la grande Dépression de 1929 constituent les deux expressions les plus spectaculaires de la nouvelle époque. La première fit plus de 20 millions de morts, causa des souffrances horribles et provoqua un traumatisme moral et psychologique qui a marqué des générations entières. La deuxième fut un effondrement brutal avec des taux de chômage de 20-30  % et une misère atroce qui frappa les masses travailleuses des pays dits "riches", les Etats-Unis en tête. La nouvelle situation du capitalisme sur le terrain économique et impérialiste entraîna des changements importants sur le terrain politique. Pour assurer la cohésion d'une société frappée par la tendance chronique à la surproduction et à de violents conflits impérialistes, l'État, bastion ultime du système, intervient massivement dans tous les aspects de la vie sociale et, surtout, les plus sensibles : l'économie, la guerre et la lutte de classe. Tous les pays s'orientent vers un capitalisme d'Etat qui prend deux formes : celle qu'on appelle mensongèrement "socialiste" (une étatisation plus ou moins complète de l'économie) et celle appelée "libérale", dont la base est l'assemblage plus ou moins ouvert entre la bourgeoise privée classique et la bureaucratie d'État.

Ce rappel bref et schématique des caractéristiques générales de l'époque historique actuelle du capitalisme doit nous servir pour situer la crise présente, en l'analysant d'une façon réfléchie, éloignée autant du catastrophisme alarmiste et immédiatiste que, et surtout, de la démagogie optimiste de la "crise cyclique" (2).

40 ans de crise

Après la Seconde Guerre mondiale, le capitalisme, du moins dans les grandes métropoles, réussit à vivre une période plus ou moins longue de prospérité. Le but de cet article n'est pas d'en analyser les causes  (3), mais ce qui est certain, c'est que cette phase (contrairement à tous les sermons des gouvernants, des syndicalistes, des économistes et même de certains qui se disaient "marxistes" qui nous racontaient que le capitalisme avait dépassé définitivement les crises) a commencé à se terminer à partir de 1967. D'abord avec la dévaluation de la livre sterling, après avec la crise du dollar en 1971 et la première crise dite "du pétrole" en 1973. A partir de la récession de 1974-75, une nouvelle étape s'ouvre où les convulsions se multiplient. Faisant un rapide résumé, on peut citer : la crise inflationniste de 1979 qui toucha les principaux pays industrialisés, la crise de la dette en 1982, l'effondrement boursier de Wall Street en 1987 suivi de la récession de 1989, la nouvelle récession de 1992-93 qui entraîne la débandade de toutes les monnaies européennes, la crise des "tigres" et des "dragons" asiatiques de 1997 et la crise de la "nouvelle économie" de 2000-2001. Pourrait-on expliquer cette succession d'épisodes convulsifs en utilisant au forceps le schéma des "crises cycliques"  ? Non et mille fois non  ! La maladie incurable du capitalisme, c'est la rareté dramatique des marchés solvables, un problème qui n'a cessé de s'aggraver tout au long du xxe siècle et qui est réapparu violemment à partir de 1967. Mais contrairement à 1929, le capitalisme d'aujourd'hui a affronté la situation armé du mécanisme de l'intervention massive de l'État, qui essaya d'accompagner la crise pour éviter un effondrement incontrôlé.

Quel est l'outil principal que l'État utilise pour essayer de brider le cheval emballé de la crise qui l'entraîne et le piétine, pour essayer de l'adoucir, de la repousser, d'éviter -  du moins dans les pays centraux  - ses effets les plus catastrophiques  ? L'expérience nous a montré que cet outil a été le recours systématique au crédit. Grâce à un endettement qui, au bout de quelques années, est devenu abyssal, les Etats capitalistes ont créé un marché artificiel qui offrait plus ou moins un débouché à une surproduction qui ne cessait d'augmenter. Pendant 40 ans, l'économie mondiale est parvenue à éviter un effondrement fracassant en recourant à des doses de plus en plus massives d'endettement. L'endettement est au capitalisme ce que l'héroïne est au drogué. La drogue de l'endettement fait que le capitalisme tient encore debout, en s'appuyant sur le bras du monstre étatique -  qu'il soit "libéral" ou "socialiste". Avec la drogue, il atteint des moments d'euphorie où on a l'impression d'être dans les meilleur des mondes possibles  (4) mais, de plus en plus fréquemment, apparaissent des périodes contraires, des périodes de convulsion et de crise, comme celle que nous vivons depuis l'été 2007. Au fur et à mesure que l'on augmente les doses, la drogue a un effet moindre sur le drogué. Il faut une dose plus grande pour atteindre une stimulation de plus en plus petite. Voilà ce qui arrive au capitalisme actuel  ! Après 40 ans d'injections de la drogue "crédit" sur un corps troué de piqûres, l'économie capitaliste mondiale a de plus en plus de difficultés pour réagir et pour atteindre une nouvelle période d'euphorie.

Voilà ce qui est en train de se passer à l'heure actuelle. En août dernier, on nous a dit que tout était revenu à la normale grâce aux prêts injectés par les banques centrales aux organismes financiers. Depuis lors, on a injecté rien de moins que cinq cents milliards d'euros en trois mois sans qu'on n'ait ressenti le moindre effet. L'inefficacité de ces mesures a fini par semer la panique et le mois de janvier 2008 a commencé par une chute générale des Bourses mondiales (5). Pour juguler l'hémorragie, aux Etats-Unis, le gouvernement et l'opposition, main dans la main avec la Réserve fédérale (FED) annoncent le 17 janvier le "remède miracle" de donner à tous les foyers un chèque de 800 $. Cependant, une telle mesure, qui en 1991 fut très efficace, provoque le lundi 21 janvier une rechute des Bourses mondiales aussi grave que la débâcle de 1987. Le même jour, en urgence et dans la précipitation, la FED réduit de trois quarts de point les taux d'intérêt en réalisant ainsi la plus forte réduction de ce taux depuis 1984. Mais le 23 janvier -  au moment où nous écrivons cet article  - les Bourses du monde, sauf Wall Street, souffrent d'un nouvel effondrement. Quelle est la cause de cette poursuite des convulsions, malgré l'énorme effort de crédit réalisé par les États centraux qui ont mobilisé tous les instruments à leur disposition : les prêts aux banques entre les mois d'août et novembre, les réductions des taux d'intérêt, les réductions fiscales  ? Les banques, utilisées massivement par les États comme appâts pour engager les entreprises et les ménages dans une spirale de dettes, se retrouvent dans un état pitoyable, les unes après les autres, à commencer par les plus grandes (comme la Citigroup) en annonçant des pertes gigantesques. On parle d'un phénomène qui pourrait aggraver encore plus la situation : une série d'organismes d'assurances, dont la spécialité est de rembourser aux banques leurs "mauvaises" créances en lien avec les subprimes ont, semble-t-il, d'énormes difficultés pour le faire. Mais il y a encore un problème bien plus inquiétant qui parcourt, tel un tsunami, l'économie mondiale : le réveil de l'inflation. Pendant les années 1970, l'inflation frappa durement les foyers modestes, et elle revient aujourd'hui avec virulence. En réalité, les pièges du crédit, les mesures de capitalisme d'Etat, ne l'avaient pas éliminée, mais tout simplement retardée. Tout le monde craint maintenant qu'elle ne s'emballe et que les prêts gigantesques des banques centrales, les réductions fiscales ou celles des taux d'intérêt, n'arrivent qu'à emballer encore plus le moteur sans réussir à relancer la production. La crainte généralisée est que l'économie mondiale n'entre dans une phase dite de "stagflation", autrement dit, d'une dangereuse combinaison de récession et d'inflation, ce qui, pour la classe ouvrière et la majorité de la population, signifie une nouvelle plongée dans le chômage et la misère associée à la montée en flèche des prix pour tous les produits de base. À ce drame s'ajoute, et ce n'est qu'un exemple, celui de plus de 2 millions de foyers américains réduits à l'insolvabilité.

Comme la drogue, le recours désespéré au crédit mine et détruit peu à peu les fondements de l'économie, en la rendant plus fragile, en provoquant en son sein des processus de pourrissement et de décomposition chaque fois plus exacerbés. On peut déduire, de cette brève analyse de la situation de ces derniers mois, que nous nous trouvons face à la pire et à la plus longue convulsion du capitalisme de ces 40 dernières années. Tout cela peut se vérifier si on analyse les 4 derniers mois, non pas en eux-mêmes -  tel que le font les "experts", incapables de voir plus loin que le bout de leur nez  - mais en tenant compte des 40 dernières années. C'est ce que nous verrons plus en détail le mois prochain, dans la seconde partie de cet article. Nous montrerons aussi à quel point la bourgeoisie reporte de façon toujours plus brutale les effets de sa crise sur le dos des travailleurs et nous tenterons enfin de répondre à la question initiale : Existe-t-il une issue à la crise  ?

Traduit d'Acción proletaria nº 199, publication du CCI en Espagne

 

1) 17e Congrès du CCI, 2007. "Résolution sur la situation internationale».

2) Dans cette campagne électorale que nous subissons ces jours-ci en Espagne (il s'agit des élections législatives d'avril 2008), les deux grands adversaires rivalisent en jouant chacun une partition différente : d'un coté le Parti populaire (droite) brandit l'étendard du catastrophisme, tandis que, de son coté, le Parti socialiste (PSOE) chante le refrain "Du calme, rien à signaler". Les deux mentent et peut-être bien que l'un et l'autre ne savent pas très bien où ils vont.

3) Voir la "Résolution sur la situation internationale" citée ci-dessus.

4) Cette sensation d'euphorie est bien amplifiée par tous les défenseurs du capitalisme, pas seulement les politiciens, les patrons et les syndicats, mais tout particulièrement par ceux qu'on appelle les "faiseurs d'opinion", autrement dit, les medias. On rehausse et on souligne les aspects positifs et on sous-estime ou l'on met de coté les négatifs, ce qui contribue évidemment à propager ce sentiment d'euphorie.

5) Pour se faire une idée, en Espagne, selon les données de l'IESE, 89 milliards d'euros en 20 jours. On estime que la chute des bourses mondiales pendant le mois de janvier est de 15  % selon les chiffres le plus optimistes.


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