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Revolution Internationale N°13 - janvier/fevrier

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DEUX AVORTONS DE LA GAUCHE DU CAPITAL

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Pour les organisations politiques, la frontière de classe qui sépare le camp bourgeois du camp prolétarien constitue une sorte de "soupape" qui ne permet le passage que dans un seul sens : du terrain prolétarien à celui de la bourgeoisie, jamais dans le sens inverse.

La gauche du capital vient d’engendrer deux nouveaux avortons à prétention "révolutionnaire" : "Union ouvrière" et "Combat communiste", tous deux issus de l'organisation trotskyste "Lutte Ouvrière". A la lecture des premiers numéros de leurs publications, nous pouvons confirmer qu'une fois de plus la vieille loi de la soupape s'est révélée juste.

UNE ORGANISATION PROLETARIENNE NE PEUT PAS SURGIR DU SEIN D'UNE ORGANISATION BOURGEOISE.

L'histoire du mouvement ouvrier connaît des centaines de trahisons. Les exemples d'organisations politiques prolétariennes qui n'ont pu résister à la très puissante attraction du camp de la classe dominante sont malheureusement difficiles à compter. Parfois ces cas ont été de taille : la IIème Internationale avec la presque totalité de ses partis sociaux-démocrates, puis la IIIème Internationale avec le parti bolchevik en tête et tous les partis communistes à sa suite, ont pu, au jour de triomphe de la contre-révolution, abandonner en renégats le camp prolétarien. Et si les internationales n'ont pu survivre à leur trahison que formellement (car la bourgeoisie, de par son être même, ne peut être internationaliste), les partis nationaux sont par contre devenus de véritables bastions de la contre-révolution au sein des travailleurs.

La victoire de la bourgeoisie sur le prolétariat n'est pas seulement physique et économique : elle est aussi idéologique. Et dans le combat permanent des classes chaque trahison d'une fraction révolutionnaire s'est inscrite comme un puissant coup porté par la bourgeoisie contre son irréductible ennemi ouvrier. Pour le prolétariat, de tels coups sont aussi néfastes, et souvent plus, que les massacres et les écrasements physiques des luttes ouvrières. Le combat galvanise, la trahison démoralise. Or la conscience, la foi et la volonté révolutionnaires sont -avec sa capacité d'organisation-, les seules armes réelles dont dispose la classe ouvrière pour sa lutte révolutionnaire.

Mais si l'armée du prolétariat a cédé à la bourgeoisie des organisations précieuses, l'inverse n'a jamais été possible. On trouve dans les rangs du combat historique du prolétariat des militants qui sont passés auparavant par des organisations bourgeoises, ex : Plekhanov était au départ du parti populiste. Mais ce sont toujours des individus, jamais des organisations. L'histoire ne connaît aucun cas d'organisations bourgeoises qui soient devenues ultérieurement prolétariennes ; aucun exemple significatif d'organisation prolétarienne qui ait surgi de la scission d'une organisation bourgeoise.

Pourquoi en a-t-il toujours été ainsi ? Pourquoi n'a-t-on jamais vu une organisation prolétarienne surgir du sein d'une organisation bourgeoise, alors, que l'inverse a été si fréquent ?

Deux raisons majeures expliquent ce fait : 1° La différence de nature entre le programma prolétarien et les théories bourgeoises. 2° Les mécanismes mêmes qui caractérisent une scission organisée.

1° Théorie révolutionnaire et mystification bourgeoise

Le Programme communiste est cohérent ou il n'est rien. Pour l'abandonner, pour le trahir, il suffit de le rendre incohérent, d'abandonner une seule de ses positions fondamentales. Il est de ce point de vue opposé aux théories politiques bourgeoises.

La bourgeoisie ne fonde pas son pouvoir sur sa conscience, sur sa capacité à comprendre et à analyser le monde qui l'entoure. Tout comme l'esclavagisme et le féodalisme, le capitalisme est un résultat "aveugle" du développement des forces productives. "Dans la production sociale de leur existence, dit Marx, les hommes établissent entre eux des rapports de production indépendants de leur volonté." Le socialisme sera aussi un résultat du développement des forces productives. Mais, alors que la conscience était un élément absolument secondaire pour 1'instauration et le maintien des sociétés d'exploitation, elle constitue une condition nécessaire, INDISPENSABLE pour la destruction du capitalisme et l'instauration du communisme.

Pour consommer les bénéfices de l'exploitation, pour les transformer en nouveaux moyens d'exploitation ou même pour remplacer le despote féodal par le despotisme des lois capitalistes, la bourgeoisie n'a pas besoin d'une conscience politique très approfondie. Elle en est d'ailleurs incapable. Son pouvoir dépend de la force brute de son Etat et de sa capacité à faire accepter le système par les exploités.

Par sa tâche mystificatrice, la bourgeoisie peut se servir de n'importe quelle aberration de la pensée, aussi éloignée soit—elle de la réalité (la religion par exemple). Du moment qu'elle lui permet de justifier son Oppression et d'inculquer la soumission et l'abnégation aux exploités. La pensée politique des classes exploiteuses n'est pas et ne peut être un instrument cohérent capable de rendre compte de la réalité concrète, parce qu'elle doit être d'abord un "OPIUM DU PEUPLE". Qu'importe la cohérence du moment qu'on a l'ivresse.

Le bourgeois n'a d'ailleurs même pas conscience de ce fait. Il est la première "victime" de son mensonge. La particularité c'est que pour lui, elle est une justification de ses privilèges, alors que pour les autres elle bat une consolation à leur souffrance.

Il en est tout autrement pour la théorie de la classe révolutionnaire exploitée : le prolétariat.

D'une part, du fait que le but de sa révolution n'est pas le remplacement d'une classe exploiteuse par une autre, mais la fin de l'exploitation. Le prolétariat est la première classe révolutionnaire de l'histoire qui n'a plus besoin d'idéologies mystificatrices. La pensée révolutionnaire prolétarienne est la première dans l'histoire qui a la possibilité d'être une pensée non-mystifiée capable d'envisager la réalité sans fard, de façon cohérente, scientifique.

Mais d'autre part, le prolétariat est aussi la première classe révolutionnaire pour qui la conscience objective est une NECESSITE, un impératif concret et matériel. Les autres classes, telle la bourgeoisie, ont pu développer leurs nouveaux rapports de production au sein même de l'ancienne société : bourgeois et seigneurs féodaux ont coexisté pendant des siècles en se partageant les masses à exploiter dans le cadre du pouvoir politique féodal. Lorsque la révolution politique est intervenue pour concentrer le pouvoir uniquement aux mains de la bourgeoisie (Révolution bourgeoise), il y avait déjà longtemps que les rapports de production bourgeois avaient commencé à dominer la société. Les "penseurs" bourgeois qui ont surgi pour créer la justification idéologique de ce changement politique pouvaient raconter des âneries aussi scientifiques que les théories du "despote éclairé" de Voltaire, sans que cela empêche la révolution d'avoir lieu : de toute façon l'essentiel, la transformation réelle des rapports de production, avait déjà été fait.

Rien de cela n'est possible pour la classe ouvrière. Lorsqu'elle prend le pouvoir politique, TOUT reste à faire sur le terrain de la production et, par ailleurs, ce qu'elle doit faire est radicalement opposé à tout ce qui a existé auparavant: le communisme ne sera pas un nouveau système de lois économiques, c'est-à-dire les hommes soumis aveuglément à des lois économiques stables, à des relations de production qui s'imposent à eux "indépendamment de leur volonté". C'est la fin de l'esclavage économique. La nouvelle société ne pourra être qu'une OEUVRE CONSCIENTE du prolétariat.

La théorie de la classe révolutionnaire ne peut donc plus se contenter de quelques approximations incohérentes tout justes bonnes à se justifier vis-à-vis des autres classes.

La conscience objective des buts réels et des moyens appropriés de la révolution est une FORCE MATERIELLE indispensable, dont l'existence conditionne matériellement la réussite de la transformation de la société.

Autant les théories fumeuses et incohérentes sont nécessaires pour les révolutions bourgeoises, autant une théorie juste, scientifique et cohérente, c'est-à-dire capable de rendre compte de la réalité et de constituer un moyen réel de la transformer est indispensable pour la révolution prolétarienne. Il ne s'agit pas d'un goût éthique pour la "vérité en soi", mais d'une nécessité matérielle concrète.

La nature des positions politiques du prolétariat, son programme historique, a donc comme caractéristique spécifique par rapport aux positions politiques bourgeoises d'être un CORPS COHERENT, UNIQUE, défini par la réalité même qu'il appréhende : la société capitaliste et l'expérience pratique de la lutte pour sa destruction.

On comprend dès lors aisément combien il est simple d'abandonner le programme prolétarien pour tomber dans l'incohérence et les fumisteries bourgeoises et combien, par contre, il est complexe de quitter le marais idéologique bourgeois pour s'élever à la cohérence théorique du prolétariat.

Le programme communiste n'est pas une somme de positions juxtaposées. Il contient une synthèse d'"acquis" donnés par l'expérience historique de la classe ouvrière, mais aucun de ces acquis n'a un sens en lui-même, par lui-même, isolé du reste des acquis. Une position politique particulière du programme communiste n'est, en fait qu'une manifestation, parmi d'autres, sur un problème concret précis, d'une vision générale, d'une cohérence globale.

C'est Pourquoi, on ne peut pas parvenir aux positions prolétariennes à partir de quelques idées à apparence révolutionnaire récupérées au sein d'une organisation bourgeoise, aussi radicale qu'elle se prétende

Il y a de moins en moins de partis bourgeois ayant le courage de se réclamer de leur classe. Pour pouvoir s'acquitter de leurs tâches spécifiques d'endormeurs des exploités, ils sont de plus en plus contraints d'emprunter un langage "ouvrier", si possible "révolutionnaire". Et ce phénomène ira en se développant au fur et à mesure qu'iront s'étendant les luttes de la classe. Pour cela, ils intégreront dans leurs programmes, du moins en paroles, des positions en apparence prolétariennes.

On "radicalise" son langage. Cependant, pour une organisation politique, deux ou plusieurs positions prolétariennes juxtaposées ne sont pas le Programme communiste, ni même un pas vers lui, du moment qu'elles sont accompagnées de positions bourgeoises. Une seule position bourgeoise suffit à Ôter tout caractère prolétarien à un parti prétendu ouvrier. La social-démocratie allemande a perdu toute nature ouvrière, malgré ses traditions, malgré sa formation, du fait d'avoir pris une seule position bourgeoise : la participation à la guerre impérialiste.

Celui qui, ayant adhéré à une organisation bourgeoise -croyant s'intégrer à la lutte prolétarienne, mystifié par le langage "ouvrier" de celle-ci- voudrait un jour rompre avec elle pour retrouver les positions de classe, ne peut en aucun cas se contenter de rejeter "les quelques positions fausses de cette organisation" et "les remplacer par de bonnes". C'est toute la vision d'ensemble qui doit être "remplacée".

C'est une illusion de croire qu'on peut "conserver" quelque chose des positions politiques d'une organisation bourgeoise. C’est s'imaginer que le Programme du prolétariat est un agrégat composé d'éléments divers qui peuvent être ajoutés ou soustraits au gré de sa conscience individuelle.

Le Programme prolétarien est le produit de la conception cohérente du monde, d'une classe dont les intérêts historiques sont clairement et objectivement définis dans la réalité sociale. Il n'accepte en son sein aucune position bourgeoise, parce que dans la réalité il n'y a rien de conciliable entre la classe révolutionnaire exploitée et la classe exploiteuse réactionnaire.

La rupture avec une organisation politique du capital doit Être -pour être réelle- une rupture avec TOUT ce qu'elle défend, car RIEN N'Y EST A CONSERVER. Autrement la rupture n'est pas un dégagement du bourbier réactionnaire mais un ré- enfoncement à un endroit différent.

UN INDIVIDU peut parfaitement parvenir à établir une telle rupture. Cela dépend de sa conscience et l'évolution de sa conscience politique n'est conditionnée -du point de vue organisationnel- que par sa capacité INDIVIDUELLE à se débarrasser de tout le fatras idéologique qu'il a ingurgité pendant son travail dans une organisation du capital.

Mais IL EN EST TOUT AUTREMENT POUR UN GROUPE POLITIQUE. Les "mécanismes" d'une scission imposent à un groupe d'individus (aussi restreint soit-il) des entraves insurmontables qui rendent pratiquement impossible le passage ORGANISE d'une organisation politique bourgeoise à une organisation prolétarienne.

2° Les mécanismes d'une scission

Une scission n'est pas la rupture d'une somme d'individus épars. Elle implique des individus plus ou moins fortement organisés au sein de l'organisation qu'ils s'apprêtent à quitter. C'est à dire, des individus qui possèdent, à côté des désaccords qui les conduisent à rompre (ou à être exclus), un certain nombre de positions communes avec l'organisation d'origine. Ces positions qui les lient à l'ancienne organisation peuvent être plus ou moins nombreuses, plus ou moins importantes. Mais elles existent toujours du moment qu'on parle de scission. Dans la "nouvelle" organisation subsistent en conséquence, immanquablement, toutes les positions considérées "non erronées" de l'ancienne. Une scission est toujours une "filiation", aussi "radicale" qu'ait pu être la rupture. Et la marque de cette filiation n'est autre que la continuité d'un certain nombre de positions.         .

Lorsqu'une organisation révolutionnaire rompt avec une organisation ouvrière qui vient de trahir en adoptant des positions bourgeoises, elle se réclame de la continuité de l'ancien corps. Elle dénonce la trahison, l'abandon des principes et s'affirme comme la continuité de la survivance des principes de départ.

C'est ainsi que la III internationale, par exemple, s'est fondée en dénonçant la trahison de la II, et le passage définitif de celle-ci date le camp de la bourgeoisie. Ce faisant, elle pouvait et devait se réclamer des principes prolétariens qui avaient présidé à l'existence de l'internationale Socialiste. L'Internationale Communiste pouvait être le fruit de différentes scissions de la II, et rester une organisation révolutionnaire, parce que la II était une véritable organisation ouvrière. Elle était le parti mondial du prolétariat pendant des décennies et comme telle elle avait à transmettre tout l'acquis théorique et organisationnel des luttes prolétariennes de son temps.

Cet acquis que les parlementaires social-démocrates venaient de fouler au pied en votant les crédite de guerre, dans les principaux pays belligérants, la gauche de l'internationale (et principalement les bolcheviks et les spartakistes) pouvaient et devaient le reprendre à leur compte et assurer la continuité vivante en rompant violemment pour former une nouvelle Internationale.

Mais de quelle continuité peut se réclamer une organisation qui rompt avec une organisation bourgeoise pour parvenir au Programme Communiste, c'est-à-dire au camp prolétarien ? Comme nous l'avons vu, du fait même de la nature cohérente du programme prolétarien, aucune position de la bourgeoisie ne peut être conservée, encore moins servir de base pour le ralliement au camp révolutionnaire.

La seule position qui peut être commune à des éléments qui rompent avec une organisation bourgeoise pour passer au prolétariat, c'est : nous avons tous été des aveugles. Mais on le comprend aisément, une telle position est une base peu flatteuse personnellement et politiquement plus qu'insuffisante, pour permettre la formation d'une organisation qui cherche en premier lieu à rejoindre la clairvoyance de la classe révolutionnaire. Sur la base de la seule dénonciation d'une organisation dans laquelle on a milité et qui faisait partie du camp du capital il est impossible de s'organiser. Sur cette base, il ne peut exister qu'une somme d'individus qui après avoir reconnu l'erreur bourgeoise qu'ils avaient commise, doivent reprendre individuellement le chemin du camp prolétarien. Individuellement, car la seule chose qui les lie entre eux est une participation effective au travail du capital.

Or, c'est précisément ce lien qu’il est indispensable de dissoudre en premier lieu. Chaque fois que cette dissolution n'a pas lieu, il y a inévitablement conservation des fondements politiques de l'organisation "mère". Il y a filiation avec les forces du capital.

Cette filiation peut prendre parfois la forme de la révolte infantile, du "contre-pied systématique". On croit alors rompre les liens avec l'organisation d'origine en s'efforçant de défendre "le contraire" de tout ce que pouvait défendre l'ancienne. Mais le critère d'orientation politique n'est pas pour autant l'expérience historique des luttes de la classe ouvrière. Lorsqu'on s'attache essentiellement à prendre le contre-pied d'une idéologie bourgeoise on ne peut aboutir qu'à un symétrique tout aussi bourgeois que la première. On demeure prisonnier de la même idéologie car on se détermine toujours par rapport aux idées politiques du capital et non en fonction de la lutte historique du prolétariat.

Ce genre de réaction est particulièrement fréquent en milieu "contestataire" étudiant. L'anarchisme, le "situationnisme" et autres apparentés du "cardanisme", se sont définis surtout en réaction au stalinisme et à son petit-fils, le trotskysme. Tout ce qui de loin ou de près ressemblait à un de ces derniers était réactionnaire et parallèlement était bon, "révolutionnaire", tout ce qui pouvait paraître être une critique de ces idéologies.

Le résultat était, entre autres, le rejet de la révolution russe, la plus grande expérience de la classe ouvrière, le rejet du marxisme et, sous une forme plus ou moins nette, le rejet de toute l'expérience historique de la classe considérée comme "vieille chose". Quant aux positions sur les problèmes fondamentaux de la lutte de classe, il est frappant de constater combien elles finissaient souvent par retrouver le "concret" de celles des groupes trotskystes et staliniens tant abhorrés.

Les organisations politiques de la bourgeoisie, aussi "radicales" et "révolutionnaires" se prétendent-elles, jouent -consciemment ou non, cela est secondaire- une fonction précise au service du capital. L'exercice de cette fonction crée des liens puissants qui les rattachent au capital au point d'y empêcher toute scission révolutionnaire, tout enfantement organisé au profit du prolétariat.

La lutte du prolétariat n'a pas commencé aujourd'hui. Il y a plus d'un siècle de combats ouvriers au cours desquels se sont définis les fondements concrets de cette lutte historique. Rejoindre le camp révolutionnaire aujourd'hui, ce n'est pas se définir par rapport à telle ou telle organisation de la gauche du capital, mais s'approprier des résultats de cette expérience. Or, cela ne peut être fait sans avoir auparavant rompu tout lien avec la politique du capital.   

C'est ce que n'ont pu faire ni "Union Ouvrière", ni "Combat Communiste" en scissionnant de façon organisée de "Lutte Ouvrière".

DEUX AVORTONS DE LA GAUCHE DU CAPITAL

Fruits de la crise politique du capitalisme.

La crise économique du capital entraine des secousses croissantes dans sa sphère politique. Et,..."lorsque le bateau coule, les rats quittent le navire". Le navire de la bourgeoisie fait de l'eau par toutes ses organisations politiques. . "Lutte Ouvrière", une des organisations gauchistes les plus connues (grâce notamment à la candidature d'A. Laguiller au poste de chef de toutes les polices, de toutes les armées et tribunaux du capital français) n'échappe pas à ce phénomène.

La "rupture" d'"Union Ouvrière" et 1'"exclusion" de "Combat Communiste" sont une manifestation, minuscule certes, mais authentique, de cette crise politique qui secoue le capital dans le monde entier.

Pour le cas du "gauchisme" -mouvement à base estudiantine depuis 1968- il faut ajouter qu’il subit aussi actuellement les conséquences de la fin du mouvement étudiant, lycéen, enterré par le début des luttes ouvrières ouvertes. Ce que nous avions écrit en 1969 (RI N°3, Ancienne Série) se vérifie avec une implacable irréversibilité : "Il n'y aura plus mouvement étudiant, parce qu'il y aura mouvement ouvrier".

Une filiation revendiquée.
Pourquoi "Union Ouvrière" et "Combat Communiste" ont-ils rompu avec "Lutte-Ouvrière" ? Pourquoi ont-ils cru nécessaire de créer deux nouvelles organisations politiques ?

Ils n'invoquent aucune raison sérieuse dans les premiers numéros de leur presse... et ils n'en invoqueront jamais aucune. Car, du point de vue du prolétariat, la seule raison valable pour rompre avec le trotskysme et le gauchisme, c'est le fait qu'ils constituent des courants politiques du capital. Or, non seulement l'idée’ n'est même pas insinuée, mais au contraire on se revendique de cette filiation.

  • "Combat Communiste" n'a pas estimé nécessaire de dédier plus de cinq petits paragraphes à la question.(Le papier est surtout rempli par des commentaires, style "nouvel Observateur" sur l'avortement, l'automobile, le logement et quelques notes sur des entreprises pour nous dire qu'elles n'ont pas été conçues "pour accomplir un travail efficace dans de bonnes conditions (?), mais pour permettre à quelques centaines de parasites de faire marner 2000 travailleurs". (Qui l'eût cru !)).

Ce qui est dit dans les cinq paragraphes sur la rupture se résume à deux idées : Io "Notre tendance rejette le dogme selon lequel l'URSS serait aujourd'hui un Etat "ouvrier", même "dégénéré" comme l'affirme "L.O." et 2° "Renouer avec le véritable programme communiste est essentiel pour le mouvement ouvrier. Il ne nous a pas été possible de continuer à exprimer ces idées au sein de Lutte Ouvrière. C'est donc devant l’ensemble des travailleurs que nous les défendrons désormais, avec une vigueur renforcée, en tant que fraction (?) indépendante (??) du mouvement ouvrier révolutionnaire (???)".

"Union Ouvrière" est plus prolixe sur la question, mais c'est la même plaisanterie : "Une année de débat au sein de ce groupe (L.O.), et l'impossibilité pratique (?) qu'il y a à le transformer, nous ont à la fois appris la profondeur du mal (sic) dont il est atteint (et, par-delà lui, la quasi-totalité de l'actuel Mouvement "gauchiste") et la nécessité qu'il y a d'engager, en direction des exploités et des révolutionnaires, une entreprise radicale de rétablissement des principes révolutionnaires et d’intervention communiste directe au sein du Mouvement dans son ensemble".

Quant à la divergence principale elle semble bien se situer aussi sur la question des "Etats ouvriers dégénérés".

  • "Sur toute la planète, et à Moscou comme à Washington, à Pékin, à Paris, à Alger ou à Barcelone (...) les travailleurs sont réduits à* 1'ESCLAVAGE dans tous les aspects de leur existence". Nous parlerons plus loin de ce que ces courants disent des pays dits "socialistes".

Quant aux rapports avec leur organisation mère, on nous dit donc qu'ils ont dû rompre ou être exclus parce que "Combat Communiste" ne pouvait pas "exprimer au sein de L.O." ses idées sur les "Etats ouvriers dégénérés", parce qu'il y avait pour "Union Ouvrière" "impossibilité pratique à le transformer", parce que L.O. et "la quasi-totalité" du gauchisme sont atteints d'un "mal" mystérieux...?

Qu'est-ce qu'ils appellent le mouvement révolutionnaire ? Quel est ce mal ? Pourquoi ces impossibilités d’expression sur les pays dits "socialistes" dans L.O.? En quoi "Union Ouvrière" voulait transformer L.O.?

Les deux avortons restent muets sur ces questions ou se perdent, tel "Union Ouvrière", dans des dissertations larmoyantes sur "la sectarisation extrême de la quasi-totalité des composantes du mouvement" ("sa première maladie") et sur la nécessité d'une "recomposition unitaire du mouvement prolétarien".

"Union Ouvrière" et "Combat Communiste" ne parviennent pas à donner d'explication à leur rupture avec le trotskysme tout simplement parce qu'en fait ils n'ont pas rompu avec lui.

Si on ne trouve nulle part dans leurs publications une dénonciation du trotskysme et du gauchisme en tant qu'éléments de la bourgeoisie, c'est parce qu'en fait aucune des deux "scissions" n'est sortie de ce camp.

En ne dénonçant pas la nature bourgeoise du gauchisme et du trotskysme, les deux avortons revendiquent en fait leur filiation bourgeoise. Et il ne pouvait en être autrement. .

La seule chose qui lie de telles organisations au moment de leur formation c'est leur origine commune. Dénoncer cette origine comme bourgeoise aurait été la première condition (nécessaire même si elle n'est pas suffisante) pour pouvoir tenter de "renouer avec le véritable programme communiste" (comme le veut "Combat Communiste"), ou pour "s'engager dans une entreprise radicale de rétablissement des principes révolutionnaires" (comme l'affirme "Union Ouvrière").

Mais si cette condition avait été remplie, il n'y aurait pas eu d'"Union Ouvrière" ni de "Combat Communiste"; les "scissionnistes" et les "exclus" auraient dû renoncer au délicieux caprice de faire leur propre petit torchon gauchiste. Et ça...

"Union Ouvrière", plagiant une formulation de Marx à propos de la dialectique de Hegel, écrit qu'il faut "dégager le noyau rationnel du gauchisme contemporain de sa gangue mystique". (Grands dieux!!). Que d'honneur pour ce détritus de l'idéologie bourgeoise en décomposition qu'est le "gauchisme". Le noyau du gauchisme n'est pas plus "rationnel" que la décomposition de la petite bourgeoisie dans le capitalisme décadent. Sa "gangue" n'est pas plus mystique que les fusils de la contre-révolution dont il est la dernière expression.

Ceux pour qui la pourriture du gauchisme n'est pas suffisamment avancée pour trouver la force de rompre avec lui, peuvent y rester; mais qu'ils n'aient aucune illusion sur le sort que leur réserve la révolution prolétarienne.

UNE FAUSSE RUPTURE

Révolte petite-bourgeoise oblige. "Union Ouvrière" teinte son langage d'une résonance "situationnisante" : "l'agitation spectaculaire des groupuscules", "la subversion radicale de toute la société de classes", "la révolution radicale qui est l'affaire des générations qui viennent", "les curés en tous genres", "réactiver les IDEES de la subversion radicale". "La subversion communiste du vieux monde", etc...

Les trotskystes honteux veulent probablement exorciser avec des mots les fantômes qui hantent la vie des militants de Lutte Ouvrière : le militantisme érigé en apostolat religieux, l'ouvriérisme, le vocabulaire populiste "pour ne pas effrayer les prolos", etc.

Peine perdue. Les avortons sont "trotskystes" dans l'âme. Trotskystes, entre guillemets, parce qu'en fait le trotskysme n'existe pas, il existe le stalinisme et il existe les divers "appuis critiques" au stalinisme. Ces critiques peuvent se réclamer de Trotsky, de Mao ou de Guevara. Mais objectivement ils ont tous la même caractéristique : la défense "critique" de la perspective stalinienne. Parasites des P.C., ils en sont les meilleurs appuis, ceux des heures critiques, des moments difficiles. Ils ne dénoncent le bureaucratisme des staliniens que pour mieux défendre leurs positions politiques contre-révolutionnaires au sein de la classe avec verbiage soi-disant plus radical .

"Union Ouvrière" et "Combat Communiste" rejettent aujourd'hui (cinquante ans après la Gauche Communiste) l'idée qu'il n'y a pas d'exploitation dans les pays soi-disant communistes. (Mais qui croit encore aujourd'hui à ce mensonge stalinien ?). Peut-être pourrait-on dire : mieux vaut tard que jamais. Même pas.

Pour le prolétariat, la dénonciation des pays dits "communistes" (ou "en voie" de le devenir) en tant que pays de capitalisme d'Etat, n'est qu'un aspect de la dénonciation de la TENDANCE GENERALE DU CAPITALISME DECADENT VERS SA FORME ETATISEE[1]. Tous les Etats du monde subissent cette tendance, TOUS LES ASPECTS DE LA VIE DU CAPITALISME sont marqués par cette évolution. Et principalement les rapports entre capital et force de travail, entre bourgeoisie et prolétariat.

Dans ce domaine, 50 ans d'encadrement et de "trahisons" syndicales, 50 ans de planification et d'exploitation avec la collaboration des appareils syndicaux, 50 ans d'intensification de l'exploitation et de désillusions sur toute possibilité d'obtenir de véritables réformes du capitalisme en faveur de la condition ouvrière, 50 ans enfin de massacré des insurrections ouvrières avec la participation active des syndicats , ont tracé avec du sang une frontière de classe entre le prolétariat et tous ceux qui d'une façon ou d'une autre se font les défenseurs (aussi "critiques" soient-ils) de ces institutions du capital. Dans le capitalisme décadent, la tendance mondiale au capitalisme d'Etat s’est manifestée en premier lieu par la transformation des syndicats en organes de l’Etat capitaliste. Dénoncer le capitalisme d'Etat, c'est d'abord dénoncer ces institutions comme organes de l'Etat

Or, non seulement "U.O " et "C.C." ne voient aucun lien entre le capitalisme d'Etat et les "trahisons" des syndicats, mais en outre ils ne font une critique de ces appareils que pour dénoncer les dirigeants, Séguy et Maire, "chiens de garde du capital dans les rangs de la classe ouvrière" ("Union Ouvrière"), "agents de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier" ("Combat Communiste"), et, pour expliquer qu'afin de ne pas "se couper des exploités"  il faut "développer dans les syndicats même (...) un travail d’opposition COMMUNISTE" ("Union Ouvrière").

Certes, "Union Ouvrière" dit bien qu'il faut "systématiquement mettre en évidence aux yeux des exploités la FONCTION SOCIALE d'encadrement du prolétariat des actuelles machines syndicales et pas seulement les "atermoiements des chefs"", mais il ne s'agit que d'une phrase démentie tout au long du reste du journal par la "critique des dirigeants" et l'appel à travailler au sein de cette police de l'Etat. Bref, à répéter en termes à peine plus "radicaux" ce que clament les "trotskystes" et autres "critiques" du stalinisme depuis des décades.

Les "atermoiements" et la confusion qui caractérisent les deux nouveaux journaux sur la question syndicale sont tels qu’ils pourraient peut-être laisser à certains des doutes sur leur incapacité à se dégager du trotskysme. Nous serions trop exigeants, trop intransigeants, trop sectaires... Leur position sur un autre problème que 60 ans de décadence capitaliste ont tranché en creusant une autre frontière de classe, les questions des "libérations nationales", Ôtent toute hésitation sur leur attachement au camp du capital.

Alors que depuis la première Guerre Mondiale, toutes les "luttes de libération nationale" n’ont servi qu’à fournir de la chair à canon ouvrière et paysanne sur l’autel des conflits entre grandes puissances impérialistes, alors que des centaines  de mouvements nationalistes, ont démontré dans le sang une et mille fois que la voie nationaliste, dans les pays industrialisés comme dans les autres, est celle du renforcement du capitalisme d’Etat et de la marche aux boucheries capitalistes, alors que les travailleurs des pays coloniaux ou semi-coloniaux ont été utilisés systématiquement comme "pions" des grandes puissances sous prétexte de les rendre "Indépendants" (c’est-à-dire libres d’être exploités par leurs propres bourreaux nationaux, libres de mourir sous les bombes russes ou américaines, anglaises ou chinoises), "Combat Communiste" pousse sans gêne le cri de guerre confusionniste qui a permis tant de fois d’aboutir à ces opérations de mystification : "A bas le colonialisme. Vive la lutte des travailleurs antillais pour l’indépendance... et (il faut bien se draper du chapeau ouvrier) pour le socialisme".

Plus "pudique", "Union Ouvrière" fait de même, mais du bout des lèvres (pour qu’on entende moins ?): "flétrissure de l’oppression sous toutes ses formes (...). Le mouvement de destruction communiste de toutes les sociétés de classes (...) ne peut être indifférent à aucune des formes d’oppression que le développement du capital a répandues par toute la terre, et notamment au martyr colonial ou semi-colonial des masses paysannes et prolétariennes des deux tiers de la planète".

On se mouille le moins possible mais on défend la même écœurants marchandise nationaliste sous prétexte de "non indifférence" à "toutes les formes d’oppression". .

Dans le capitalisme décadent, il y a une oppression fondamentale qui SEULE commande à toutes les autres : celle du capital sur le prolétariat.

Le combat contre le capital est un combat contre l’oppression impérialiste, mais le soi-disant combat contre l’oppression impérialiste n’est plus aujourd'hui un combat contre le capital. Des millions de prolétaires et de paysans morts sous les drapeaux de l'"anti-impérialisme" sont là pour en témoigner.

L’indifférence, ce n'est pas la dénonciation des mystifications nationalistes, mais la crainte de le faire parce qu'on se sent "solidaires" de sa propre bourgeoisie de pays industrialisé.

"L'indifférence" et le crime contre-révolutionnaire c'est croire que le combat contre le capital et contre son cadre politique, la nation, est valable uniquement dans une partie du monde, l'autre étant condamnée à mourir pour l'indépendance de SA bourgeoisie nationale et pour les intérêts de SA puissance impérialiste tutrice.

Un seul combat est à l'ordre du jour dans tous les pays : la révolution prolétarienne. Dans tous les pays, chez les yankees comme chez les zoulous, chez les moscovites comme chez les patagons, intérêt national égal intérêt du capital.

Non, on ne "renoue" pas "avec le véritable programme communiste" à partir d'une organisation issue du camp politique de la bourgeoisie. "Combat Communiste" et "Union Ouvrière" viennent de le confirmer une nouvelle fois.

A leurs militants qui croient avoir franchi un pas vers le prolétariat, qui ont peut-être décelé un instant l'immensité du mensonge stalinien et trotskyste, nous ne pouvons souhaiter, pour leur bien, qu'une chose : que leurs nouvelles organisations meurent.

R. Victor


[1] D'ailleurs, ni "Union Ouvrière", ni "Combat Communiste" ne se risquent à prononcer le mot de "capitalisme d'Etat". Us préfèrent parler d’"esclavage salarié" (Engels rejetait explicitement ce terme qu'il considérait servir surtout à faire un amalgame confusionniste qui escamotait la véritable réalité du capitalisme.)

Courants politiques: 

  • Gauchisme [1]

La crise dans les pays de l'Est

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L'année 1974 vient de se terminer dans un concert généralisé au monde entier sur le thème de la "crise". Toutes les interprétations possibles en sont données: "crise du pétrole", "crise des structures", "crise de l'énergie", "crise de civilisation" sont les diverses "explications" qui accompagnent une hausse vertigineuse des prix et du chômage et les appels à la baisse de la consommation et à l'austérité.

La "crise de civilisation" et la "crise du pétrole" ayant fait long feu face à l'approfondissement actuel de la dégradation du capitalisme, on commence à voir apparaître un nouveau cheval de bataille pour démontrer que le système peut encore s'en tirer. "En 1975, le taux de croissance (de l'URSS) sera de 6,5% selon les économistes soviétiques et de 7,2% selon les prévisions américaines. (...) C'est un incontestable succès face à l'économie occidentale frappée de stagnation et de chômage"[1]. Les mêmes qui, il n'y a pas si longtemps, affirmaient avec aplomb que la France restait un oasis de paix dans un monde en crise, récidivent maintenant sans peur du ridicule: on commence à tourner les yeux vers l'Est, car dans l'affolement généralisé, il faut entre autres trouver à tout prix "un champ de prospection pour notre commerce extérieur"(1). Cette recherche effrénée de marchés, qui se traduit par la multiplication des tentatives d'accords commerciaux est le lot de toutes les nations: entre l'Europe et les Etats-Unis, le Moyen-Orient et l'Europe, l'URSS et l'Europe, etc.

L’INTEGRATION AU MARCHE MONDIAL

L'URSS négocie des contrats de fourniture d'hydrocarbures à l'Allemagne de l'Ouest, l'Autriche, la France du même type de ceux qui existent déjà avec l'Allemagne de l'Est, la Tchécoslovaquie. Les entretiens entre Etats-Unis et URSS font en ce moment grand bruit. Tout ne va pas sans mal. Le P.C.F. attribue à la rapacité de l'impérialisme américain les difficultés qui peuvent se présenter, mais il se fait tout doux lorsqu'elles s'aplanissent. Et lors de la rencontre Brejnev- Giscard, il n'était plus question que d'"intérêt mutuel" et de "coopération exemplaire".

"Coopération” et "détente" sont les nouveaux leitmotive Pour le reste, G. Marchais, dans sa polémique avec le P.S. précise qu'il s'agit de "résoudre sans crise les problèmes du monde moderne"[2]. Face aux problèmes qui se posent au capitalisme mondial —trouver des marchés pour écouler la production, proposer du "socialisme" pour calmer les ouvriers—, la bourgeoisie rejoint les P.C. dans la louange des pays "socialistes". The Bankers de Glasgow proclame que l'"économie soviétique est plus stable, moins exposée à des chocs destructeurs que ne l'est l'économie occidentale. Si, comme on peut le penser, les désordres sociaux nous guettent (...) et si les dirigeants soviétiques sont capables de garder le contrôle à la fois sur le plan économique et sur le plan social, les points faibles de leur système sont peut-être dans ce cas le tribut qu'ils acceptent de payer en échange de la stabilité qui nous fait défaut"[3].(3).En frères ennemis, les diverses fractions de la classe capitaliste mondiale se rejoignent sur les remèdes à adopter: stabiliser la situation sociale pour pouvoir se consacrer à la guerre pudiquement qualifiée d'"économique". Pour encadrer la classe ouvrière, c’est la gauche qui a le vent en poupe; pour l'embrigader derrière chaque capital national, c'est encore elle qui représente le mieux la tendance générale au renforcement de l'Etat capitaliste. Car si l'on défend l'idée de l'existence dans le monde d'une aire "socialiste", c'est avant tout chacun pour soi. Pour Marchais, les P.C.F; et P.C.U.S. doivent coopérer certes mais en "luttant dans des conditions très différentes et déterminant souverainement leur ligne"[4].

Alors on affirme que la moitié de l'humanité échapperait à l'heure actuelle aux affres de la crise. Les échanges internationaux, la saturation du marché mondial, l'exacerbation des tensions avec la montée des conflits de toutes parts, ne sont que pacotille aux yeux des sinistres rêveurs de "paradis socialiste" et d'"expansion". Pour eux, le marché des pays de l'Est échappe aux lois du capitalisme mondial: la vente et la production ne sont là-bas pas de la même nature.

Pourtant, les faits sont là: "La diminution dans la vente comme dans la production de quelques articles —postes de TV et tourne-disques en R.D.A., machines à laver, aspirateurs, réfrigérateurs en Pologne, postes de radio en Tchécoslovaquie et en Bulgarie— peut être attribuée à une saturation du marché intérieur compte tenu du prix et de la qualité et en partie à l'expansion simultanée de ces productions dans l'ensemble des pays est-européens, ce qui a réduit les exportations dans ce domaine"[5]. En fait, c'est bien plutôt la possibilité ou l'impossibilité d'exporter qui déterminent l'état du marché intérieur. La réalisation du profit contenu dans la marchandise produite ne peut se faire que par la vente à l’"extérieur". A notre époque, le capitalisme qui doit vendre à tout prix mais pas à n'importe quel prix n'a plus d'issue; à l'Est comme à l'Ouest, c'est bien à la vente qu'est destinée la production. La loi de la valeur s'impose; l'Est a du mal à vendre et se tourne vers l'Ouest, l'Ouest a du mal à vendre et se tourne vers l'Est.

Alors qu'en 1973, la récolte de blé en URSS avait été particulièrement satisfaisante, ce pays a signé le contrat du siècle avec les Etats- * Unis pour l'importation massive de blé américain.

En 1973 encore, la part des importations provenant de l"extérieur" occidental a été de 20% du revenu global de la Pologne, de 40% pour la Hongrie. Au sein même du "bloc" de l'Est, tout ne va pas au mieux. On prétend d'une part que la crise de l'énergie ne sévit pas et on expliquera nécessité de couvrir une partie de la consommation —de pétrole—par des importations des pays capitalistes à des prix qui ont quadruplé en quelques mois"[6].

Cette crise dite du "pétrole" ou de 1'"énergie", tarte à la crème de l'agonie du capitalisme en 1974, , outil de la classe capitaliste pour imposer la baisse de la consommation, touche donc déjà 1 "'oasis de stabilité" qu'est le "marché socialiste". Le prix de l'essence a doublé en Tchécoslovaquie depuis le 30 Mars 1974 et la vitesse a été limitée sur les routes. Dès la fin 1973, de distingués économistes du Frankfurter Allgemeine Zeitung signalaient que "la crise du pétrole aurait des répercussions défavorables sur l'économie de l'ensemble du bloc oriental". D'un cêté on affirme qu'il ne manque pas une goutte d'énergie dans les pays de l'Est; de l'autre on utilise encore cette mystification éculée ... et le tour est joué.

La dépendance à l'égard du marché mondial éclata au grand jour. D'ailleurs, le COMECON, cette sorte de Marché Commun est-européen suit à quelques variations près les prix du marché mondial.

LA DECOMPOSITION

Les objections à la crise sont nombreuses, à commencer par les plus plates apologies de l'URSS. Certes, dans tous ces phénomènes que l'on retrouve à l'Est semblables à ceux de l'Ouest, l'URSS • tire mieux que ses "partenaires" son épingle du jeu. La domination qu'elle exerce par les accords commerciaux qu'elle réussit à imposer moyennant une "protection" militaire qui peut n'être souvent qu'une "menace", lui permet d'être apparemment moins dépendante que les autres Etats; notamment pour ce qui est sa part d'importations. Mais en est-il autrement dans l'autre zone d'influence où les Etats-Unis bénéficient des mêmes avantages.

Les effets du marasme commencent à se faire sentir. Les difficultés, l'impossibilité d'élargir les débouchés se répercutent dans une désorganisation de la production au sein de chaque unité, de chaque région, de chaque nation, de chaque bloc. La lutte devient serrée autour du gâteau.

L'acharnement à ouvrir les portes aux hommes d'affaires, qui ont eu droit à un éloge de la part de Brejnev au cours de sa rencontre avec Nixon, va de pair avec les appels de Podgorny contre le "pillage économique". Ce dernier a "demandé à la presse un effort pour dénoncer les escrocs, les dilapideurs et autres adeptes du système D, dont les journaux, pourtant, signalent quotidiennement les activités, (et) n'a pas caché que le mal est fort répandu."[7]. C'est dans le domaine alimentaire que le problème semble le plus préoccupant pour le gouvernement. Les responsables désignés

par le régime sont les "renégats sociaux", les "houligans", les "fainéants". lorsque ce "pillage" prend la forme d'un détournement systématique de marchandises, de produits alimentaires de leur destination officielle, vers le marché noir, on peut dire que les "houligans" ont bon dos. Imagine-t-on Paris aux mains des blousons noirs ? Imagine-t-on une usine "clandestine" de textiles, comptant 200 ouvriers, installée dans les sous-sols d'un théâtre...comme à Tbilissi et vendant aux autres Etats de l'Union mais pas dans le sien bien sûr î

La règlementation étatique n'a jamais tout contrôlé et la classe exploiteuse s'est longtemps accomodée plutôt bien que mal de cet état de choses. La montée des difficultés économiques accélère la décomposition sociale et nécessite un renforcement de l'Etat, une intervention plus efficace. L'appel que lance Podgorny est clair à cet égard: "Les travailleurs honnêtes, les collectivités, les organisations, cherchent à produire davantage, prennent des engagements élevés, luttent avec abnégation pour augmenter la productivité et mettre en exploitation de nouvelles ressources". Voilà qui n'a rien d'une lutte contre de la délinquance, mais ressemble comme deux gouttes d'eau à la défense du capital national, à la préservation de la "propriété socialiste"(7).

Le système en difficulté doit tenter de rationaliser’ sa production. En URSS, dans l'agriculture, le gouvernement essaye de réorganiser sovkhozes et kolkhozes, de rentabiliser au maximum, d'élaguer tout ce qui reste sans apporter une contribution suffisante. Dans la gestion des entreprises, c'est aussi partout le remue-ménage; Gvichiani [8](3), gendre de Kosygine, répond à la question d'une réintroduction de la notion de profit: "Non, pas de profit, de rentabilité.(...) C'est une question d'organisation rationnelle mais il faut aussi qu'il y ait des stimulants moraux et économiques". Toute une génération de managers à l'américaine fait son entrée sur scène, prône de nouvelles méthodes. On envisage des concentrations industrielles à l'image de celles qui se tentent en Occident, afin d'assurer une hausse sensible de productivité.

Partout on cherche des solutions capables d'éviter la dégradation soudain accélérée d'un système en faillite. Les appels sont les mêmes: décentraliser, réorganiser, etc. Tout cela bien sûr toujours au nom des ouvriers. A Cuba, le gouvernement octroie même une expérience de "pouvoir élu et révocable par les masses". S'il le faut, on fera même gérer aux ouvriers leur propre exploitation. On ne manque pas d'en appeler aux nationalistes de tout acabit pour la création d'un "front commun des patriotes". A Cuba, la devise reste plus que jamais: "Mon travail, ma famille, mon C.D.R." (Comité de Défense de la Révolution).

Les réactions nationalistes, régionalistes s'exacerbent. Le P.C.U.S. remet de l'ordre au sein du P.C. Ukrainien un peu trop turbulent à son gré. En Chine également, on normalise. Les gouvernements de tous les pays rivalisent d'appels, d'avertissements, de menaces et de palabres. Malgré toutes ces similitudes de la crise dans ses nombreuses manifestations, la gauche est là pour nous rappeler les "différences'' les "nuances" surtout bien sûr en ce qui concerne la classe ouvrière.

CHOMAGE ET INFLATION

La Vie Ouvrière du 15 Janvier 1975 consacre une quinzaine de pages à nous persuader qu'"Il y a des pays sans chômage". En Allemagne de l'Est, "si quelqu'un est menacé de chômage, c'est l'employé du bureau de placement... On ne met que trois jours pour retrouver du travail, etc.'' Tout est axé sur les problèmes de la "main d'œuvre”.

Pour illustrer l'éclat de rire de mineurs bulgares, on nous explique que la "raine est condamnée", mais que les ouvriers sont contents car ils savent qu'ils seront reclassés dans le bâtiment par exemple. On a là toute une mécanique rationalisée* de la vente de la force de travail. On y reconnaît la possibilité de licenciements" pour des "raisons d'organisation" mais ceci seulement..."avec l'autorisation du syndicat". On reconnaît aussi qu'il y a des problèmes mais que "les ouvriers français seraient heureux d'avoir ces problèmes".

Trêve de plaisanterie, malgré ce tableau idyllique, "la Tchécoslovaquie préconisait dès Juillet 1973 des mesures d'économies". Quant à la Hongrie, elle "a tenté de minimiser les effets psychologiques de la crise pétrolière"[9]. Tous les pays d'Europe de l'Est ont pris des mesures d'austérité en 1973, restreignant la consommation publique et privée d'électricité. Que sont ces effets "psychologiques"? On lit dans la "Pravda”: "L'ouvrier se plaint de ne plus pouvoir profiter des jours de repos avec sa famille: son épouse, comme les autres employées de l'usine, travaille toute la semaine, sans jour de congé et sans pour autant, toucher de primes. Il faut reconnaître que personne n'oblige les femmes à travailler le Dimanche. C'est du 'volontariat' donc une affaire personnelle. L'administration n'a jamais donné d'ordre à ce sujet. Mais il a été décrété qu'elles ne devraient pas compter sur le treizième mois ni sur le 'salaire progressif' si elles ne se portaient pas volontaires" (Janvier 1974).

Pour un salaire de 1750F. par mois pour deux (type de revendication avancée au cours de la grève des PTT en France par ceux-là mêmes qui voient quelque chose de "socialiste" à l'Est), il en coûte 5F pour une plaquette de beurre, 8F. pour un paquet de café.

La pénurie volontaire de certains produits dont les prix sont fixés à de très hauts niveaux contraint la classe ouvrière à épargner, à financer ainsi la classe qui l'exploite. En 1969, les ménages russes ont épargné 2/3 de leur revenu supplémentaire, en Tchécoslovaquie, 95%.

Officiellement, les prix n'augmentent pas. Cependant, le dernier modèle de Volga coûte 65% plus cher que le précédent alors même qu'un ingénieur pourrait difficilement y voir une différence avec l'ancien.

L'évolution qu'a suivi le capitalisme mondial depuis la deuxième guerre mondiale pendant la période de la reconstruction a touché à sa fin vers

1963-64, avec notamment la chute de Kroutchev, les luttes de fractions en Chine. Tous les pays du bloc de l'Est connurent à cette époque le même léger passage à vide de la croissance. Le 1968 tchèque fut un sévère avertissement au grand de l'Est, l'URSS. 1970 en Pologne marqua la reprise de la lutte du prolétariat.

Dès 1966, la revue polonaise Polityka affirmait: "Il est certain et nous devons en prendre conscience, que la population doit choisir entre soit une augmentation importante de l'emploi, soit une limitation de l'emploi et une amélioration des salaires réels; il n'y a pas d'autres solutions". La classe ouvrière l'apprit à ses dépens et c'est une flambée inflationniste sans précédent doublée d'une pénurie alimentaire qui la poussa à s'attaquer en 1970 directement à l'Etat et aux syndicats.

La décadence du système impose à la classe capitaliste un gonflement démesuré des dépenses improductives; le secteur dit des "services" s'accroît sans cesse, la bureaucratie est pléthorique. Marx analysait lors des crises périodiques le phénomène du chômage; le mécanisme reste le même à l'époque de la crise permanente. "Marx déclare: "il y a périodiquement trop de capital et par conséquent trop d'ouvriers'.' Il pose en outre la question: "par rapport à quoi y-a-t-il trop de capital et trop d'ouvriers?" et il répond: "par rapport aux possibilités d'écoulement dans des conditions" normales" assurant le profit nécessaire. C'est parce que le marché se trouve périodiquement trop étroit pour les marchandises capitalistes, qu'une partie du capital doit être mise en sommeil, et du même fait, une partie de la main d'œuvre mise à pied". (R Luxembourg, L'Accumulation du Capital).

La Revue des Pays de l'Est (N°3, Janv.73) signale que "le chômage réapparaît de nouveau en tant que problème sérieux vers la moitié des années soixante". Dans la revue Kultura, (N°12/291, Déc.71), il est dit qu'"au lieu de croître, le niveau de vie des travailleurs a diminué de 2,5% par an". Evidemment pour le catéchisme de propagande qu'est Etudes Soviétiques, la vie est rose: "La plupart des denrées alimentaires depuis des années et même des décennies sont les mêmes en URSS"(sic). Pour étayer "scientifiquement" ce phénomène, un économiste soviétique déclarait en Août 1974: "Nous n'avons pas d'inflation, nous n'avons que des prix élevés". Etudes Soviétiques ajoute avec "humour": "...à la librairie, les livres sont relativement pas chers" alors que récemment une mesure préconisait de remettre à l'Etat 15Kg de vieux papiers pour l'achat d'un livre...

La tendance générale du système capitaliste mondial à l'étatisation est une nécessité pour la classe exploiteuse. La concurrence que se livrent les différents capitaux exige la mise en place de tout un appareil de domination politique et militaire pour faire face à deux obstacles fondamentaux et définitifs à la perpétuation du capitalisme: la saturation du marché mondial, la montée de la lutte de classe. La solution pour la bourgeoisie serait la guerre mondiale; la perspective est à la lutte du prolétariat. Les fractions de gauche de la bourgeoisie sont les plus aptes à diviser le prolétariat mondial sur les différences, les nuances qui peuvent exister entre les diverses variantes apparentes de l'exploitation capitaliste. Ultimes mystificateurs, les gauchistes apportent par leurs théories "critiques" un soutien non négligeable pour la déviation de la lutte de classe sur des objectifs capitalistes.

LES CONTORSIONS THEORIQUES

Les staliniens, peu nuancés, martèlent avec la carotte —on promet à la classe une exploitation sans douleur— ou avec le bâton —on envoie l'armée contre les ouvriers—, que le socialisme est en place et qu'à l'Ouest, seule une "caste étroite" de grands financiers et de méchants patrons est responsable du marasme dans lequel nous sommes plongés.

Les trotskystes quant à eux se proposent de ravaler la façade de la contre-révolution stalinienne, de corriger les déviations, les erreurs, les manœuvres contre-révolutionnaires d'une poignée de bureaucrates qui font "dégénérer", qui "déforment" les Etats...ouvriers. Le soubassement et les fondements matériels de la lutte de classe sont balayés pour faire place à un problème de direction de la société sans toucher ou si peu aux rapports de production. Selon les sectes et les chapelles on n'applique pas exactement les mêmes critères pour juger du degré "ouvrier" ou "petit- bourgeois"(?) de tel ou tel Etat. Pour évincer la "caste parasitaire", point n'est besoin de révolution prolétarienne mondiale mais d'une simple "révolution politique", un changement des mauvais dirigeants par les bons.

Ces mêmes trotskystes, à l'heure où le prolétariat polonais s'affrontait à l'Etat capitaliste en 1970, bénissaient la nouvelle "révolution politique" de façon expéditive pour se consacrer et applaudir à tout rompre aux réactions nationalistes et terroristes d'une fraction de la bourgeoisie espagnole aux abois (Procès de Burgos). Aujourd'hui, on quête en milieu gauchiste pour Eva Forest, soupçonnée de complicité dans l'assassinat de Carrero Blanco; on parle peu ou pas des affrontements avec la police d'un prolétariat exaspéré qui a généralisé sa lutte au Nord de l'Espagne. ,

On justifiera toute cette confusion entretenue par des contorsions théoriques, des aberrations du genre : "Les principaux moyens de production, dépouillés de leur forme marchandise, sont directement produits comme valeur d'usage. (...) Tant qu'il y a pénurie, les biens de consommation demeurent des marchandises"(D. Bensaîd, Revue Critique de l'Economie Politique, La Nature des Pays de l'Est). Comme par hasard, les marchandises aux mains des bureaucrates sont "socialistes", celles destinées aux ouvriers ne le sont pas ! Et les implications politiques sont clairement développées longuement: dans les pays de l'Est, "les racines sociales de ces mobilisations (ouvrières) sont bien différentes de celles des mobilisations anti-capitalistes que nous connaissons" car elles ne "remettent pas en cause les rapports sociaux fondés sur l'appropriation collective des moyens de production!...) et portent tous leurs- efforts sur la confiscation du pouvoir politique". Pour que les pays de l'Est soient véritablement socialistes, il suffira alors à l'ouvrier d'aller vendre sa force de travail à l'Etat trotskyste aprî:3 qu'ait été confisqué le pouvoir politique des mains de la "caste parasitaire"... L’appropriation collective des moyens de production n'est ici que la capitalisme concentré dans les mains de l'Etat, cc capitaliste idéal dont parlait Engels, forme la plus achevée de la tendance générale depuis 1914.

L'histoire l'a prouvé, la pire des mystifications est celle qui s'orne des défaites de la classe ouvrière, embaume les révolutionnaires et les idéalise. Pour la défense de l'URSS, la pierre de touche, l'ultime argument c'est : "il y a eu 1917". Trouver dans un coin du monde un acquis matériel de la vague révolutionnaire mondiale des années 1917-20, c'est nier le caractère global du capitalisme à notre époque, c'est morceler la classe ouvrière en des tâches différentes selon le lieu, le moment, le sexe, la couleur, la langue, le climat... Et tel est le but de la bourgeoisie pour avoir les mains libres de gérer le capital.

Le degré de "socialisme", d'"ouvrier" se mesure également différemment selon la sophistication du thermomètre utilisé. Dans les rangs des "marxistes" aveuglés par l'attachement à une lueur d'espoir, par le goût de la nouveauté, on observe qu'"il existe une espèce de second marché mondial dans lequel l'exploitation des pays sous-développés par les pays les plus avancés est restreinte ou absente"(international Socialist Journal. Mattick).

La période de reconstruction pendant laquelle l'économie d'armements n'a pas cessé de s'accroître a été essentiellement marquée par la persistance et l'exacerbation des conflits inter-impérialistes où les plus puissants se sont affrontés par fractions des bourgeoisies nationales interposées; Indochine, Moyen-Orient, Bengale, Corée, Biafra, Kurdistan, Chypre, etc. par philanthropie peut-être?

Les bordiguistes y ont trouvé quelque chose de "progressiste", de positif dans la soi-disant apparition de capitalismes "juvéniles", dans des "révolutions par en-haut". Pourquoi pas par derrière?

Brejnev, toujours aussi peu nuancé, disait récemment à Schmidt : "Ni vous, ni nous ne sommes des institutions de bienfaisance”.

Le système économique mondial n'a pas de solution à la crise. La prolifération de conflits encore localisés, où chaque bloc y va de son soutien à l'un ou à l'autre est significative du seul cours que pourrait prendre le capitalisme à l'heure actuelle : la généralisation de la guerre. La résistance opiniâtre aux assauts du capital de la part d'une classe ouvrière mondiale qui, à l'Est comme à l'Ouest, émerge de 50 ans de contre-révolution ouvre la possibilité de la révolution mondiale comme première perspective. Aux tentatives de division et de mystification de la classe ouvrière par la bourgeoisie et notamment dans son acharnement à prouver l'existence du "socialisme" en "un seul pays", "ouvrier", le prolétariat répondra comme il l'a déjà ébauché en Pologne en 19/0, en Egypte en 1975.

M. G.



[1] L’Express du 13-19/1/75

[2] Le Monde du 14/1/75

[3] Décembre 1973

[4] L'Humanité du 7/12/74

[5] Notes et Etudes Documentaires d'Avril 1974

[6] Déclaration du Président de l'Office des Prix Tchécoslovaque dans Le Monde du 2/4/74

[7] Le Monde du 8/3/74

[8] Interviewé par L'Express en Juillet 1974

[9] L'Europe de l'Est en 1973, La Documentation Fr.

 

Sous les plis du drapeau versaillais

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Il y a trente ans dans l'été 44, du gros bourdon de Notre-Dame dominée par un immense drapeau tricolore, aux églises des banlieues ouvrières, Paris sonnait de toutes ses cloches la résurrection de la patrie outragée. Les ultimes combats des francs-tireurs lavaient dans le sang impur des derniers occupants hitlériens et des collaborateurs vichyssois l'honneur national, conformément aux mêles accents de la "Marseillaise".

Une fois les mitraillettes Sten rangées aux râteliers la foule envahissait la rue, prenait possession des fenêtres et des toits donnant sur les Champs Elysées. C’était fait de façon si spontanée que De Gaulle, qui avait transporté la légitimité à la semelle de ses souliers, pouvait s'écrier, ravi comme le gosse d'Aubervilliers en colo: "Ah! C’est la mer!".

Champs Elysées des cocottes et des cannibales versaillais. Champs Elysées où, pour se compter après leur grande trouille du printemps 68, défila la marée des bien-pensants à Croix de Lorraine. Champs Elysées que Giscard remonta "crânement" à pieds aux lendemains de son élection présidentielle victorieuse. "Marseillaise" qui rythme les razzias coloniales en Algérie et au Tonkin. "Marseillaise" pour saouler les soldats de la première guerre impérialiste. "Marseillaise" de la lutte contre le "fascisme" et, le "sale boche". "Marseillaise" que défend, en ces jours de crise, le P.C.F. contre l'"atteinte instrumentale" que lui fait subir G. d'Estaing.

Il y a trente ans du nord au sud, d'est en ouest la France se couvre de nouvelles prisons, et de camps d'internement. Le parti "communiste" a donné le signal d'une bacchanale d'"épuration qui doit être brutale et prompte, car on a oublié qu’après des années d'abjection, un pays ne se retrouve que dans la virilité" comme le déclare son plumitif de service Y. Farge.

A Poitiers, des prisonniers allemands d'origine russe et géorgienne sont massacrés sur la Place d'Armes par une foule en délire. A l'autre bout de la France, à Marseille, 500 suppliciés sont jetés dans un ruisseau, à la ville servant d'égout industriel.

Comme le programme de la Résistance a laissé croire aux travailleurs que la chute du IIIe Reich amènerait la fin des privations et de l'interdiction du droit de grève, la paix et le bien-être, c'est dans la liesse populaire que sont accueillis les "libérateurs: De Gaulle, Leclerc, Koenig De Lattre... A des milliers de kilomètres, au Liban -pour peu de temps encore sous mandat français- les travailleurs de la base militaire de Rayack pavoisent à leur tour aux couleurs de Paris et de Moscou. L'ivresse du moment leur fait oublier ce que la présence de l'impérialisme français, sous couvert de garantir les droits des minorités chrétiennes, avait signifié journellement pour eux: une féroce administration de satrapes levant corvées et amendes collectives, pillant et dévastant l'économie naturelle des tribus et villages pastoraux.

LA RECONSTRUCTION CAPITALISTE

Alors, pour faire rejaillir la responsabilité de la mort de 50 millions d'êtres humains, dont 6 millions de juifs et 1 million de Tziganes, sur l'idéologie nazie, on offre le spectacle pitoyable de ceux qui ont réchappés aux camps d'extermination Auschwitz efface Dresde, les stalags blanchissent les deux bombes atomiques sur Nagasaki et Hiroshima.

Or, cette euphorie germanophobe générale dans la métropole et les colonies, gravement hypothéquées par les anglo-américains, ne peut cacher l'ampleur du désastre subi par l'économie nationale. De 12 000 locomotives, il n'en reste plus que le ¼; 1/10 du parc auto est en état de rouler; 3 000 ponts autoroutiers ont sauté; les grands ports maritimes, les canaux, les écluses, sont encombrés d'épaves.

Tout était à réorganiser dans de très courts délais: de l'appareil de production en partie démantelé par les forces d'occupation, en partie détruit par les bombardements alliés sur les concentrations industrielles, à la machine étatique. A l'armistice de juin 40, celle-ci s'était scindée en deux fractions rivales, pétainistes et résistants. C'est la détérioration de la situation économique, aggravée par l'envoi de nombreux ouvriers qualifiés au Service du Travail Obligatoire"[1] (S.T.O.) en Allemagne, qui convainc nombre d'industriels français des dangers économiques croissants que comporte cette politique. Soucieux de sauvegarder leurs intérêts de classe, ces patriotes rejoignent la Résistance, tout en appliquant les ordonnances du gauleiter Sauckel sur le blocage des salaires.

Dans les colonies la situation générale n'est pas meilleure, loin s'en faut. A deux doigts de perdre Madagascar, sur laquelle lorgne dangereusement l'allié britannique, l'impérialisme français affronte les premières vagues du mouvement "anticolonialiste" qu'il réprimera avec la dernière énergie. La France libre, fille de la lutte contre le fascisme, exterminera, en avril 47, 90 000 malgaches soulevés contre les réquisitions de l'économie de guerre métropolitaine qui les affamaient. Commence aussi la guerre du Viêt-Nam, avec pour premiers soldats des volontaires maquisards.

Derrière son homme providentiel, la bourgeoisie résistante a besoin pour reconstruire un capitalisme décrépit de toutes parts:

  • primo: de desserrer l'emprise américaine à qui la j France doit 720 millions de dollars au titre de prêt- bail;
  • les E.U. hésitent à reconnaître de jure le G.P. secundo: de s'imposer à l’intérieur comme gouvernement de salut public.

Où peut-elle puiser si ce n'est à gauche, plus précisément vers l'élément stalinien représentatif de la légalité républicaine, malgré les groupes fractionnels qui surgissent en son sein pour essayer d'instaurer une "démocratie populaire" à l'instar des pays de l'Est.

Au sortir de quatre années d'occupation, la bourgeoisie est obligée de réclamer la collaboration de tous les patriotes sans exclusive, jacobins ou royalistes, thoréziens ou libertaires. Ces cohortes formeront le vaste rassemblement national pour mener à termes un effort immense, difficile, le pressant appel lancé aux "communistes" qui ont fait de la résistance le devoir sacré par excellence trouve l'écho attendu. Le premier, De Gaulle savait ce parti authentiquement français, intégré par toutes ses fibres à la nation, qu'il ne constituait pas une 5°colonne, mais un parti totalement subordonné à la défense de l'impérialisme français.

C’est donc avec la collaboration d'un parti entièrement réhabilité par sa participation au second massacre impérialiste que la bourgeoisie a pu gouverner. De son internement dans les prisons algériennes, le P.C. était passé à la coopération franche et loyale. C'est ce que sa propagande apocryphe appellera "Le chemin de l'honneur". Lorsque De Gaulle fait entrer dans son gouvernement ces subversifs, sortis grands vainqueurs de la consultation électorale de novembre 46 avec 5.498.000 voix, il n'est pas sans savoir quel profit il va en tirer.

A cette époque, ni les soi-disant communistes, ni la C.G.T. sortie de son illégalité ne parlaient de pouvoir personnel, trop heureux d'aller à la soupe. Tous deux ont pendant les années d'occupation su faire preuve de leur attachement à la cause nationale pour embrigader dans les maquis une partie des travailleurs réfractaires à la déportation en Allemagne.

Certes, jusqu'à ce que la Russie lâche Hitler, en conséquence des premières brouilles russo-allemandes qui éclatent à propos du contrôle des champs pétrolifères des Balkans, pour entrer en guerre aux côtés des démocraties occidentales, les staliniens français ont fait de l'esbroufe pacifiste à sens unique. Il faut, coûte que coûte, faire passer le pacte de non-agression germano-soviétique, signé le 23/0Û/39, par Molotov et Von Ribbentrop à Moscou, pour un inestimable service rendu par les soviétiques à la cause de ...l'antifascisme. Certes, pendant les neuf premiers mois de "la drôle de guerre", les principaux dirigeants ne se sont pas rendus dans les casernes à l'appel sous les drapeaux. Certes, le "meilleur stalinien de France", M. Thorez, a-t-il déserté le 6/10/39, parce qu’expliquera-t-il dans son interview au journal frère "Daily Worker":

  • "Les communistes luttent de toutes leurs forces contre la guerre impérialiste. Nous agissons comme les vrais défenseurs du peuple français en ne voulant pas que les jeunes gens de notre pays soient victimes du massacre causé par les capitalistes anglais dans la guerre d'intérêts qu'ils sont en train de faire contre les capitalistes allemands" (20/11/39)

Certes, aux débuts des hostilités une fraction notable de syndicalistes de la C.G.T. se sont ralliés à la "Révolution nationale" du sénile maréchal Pétain. Tel fut le cas pour H. Lagar- delle, vétéran du* syndicalisme apolitique inspiré de la Charte d'Amiens (1906), qui conquis par le corporatisme calqué sur le modèle italien et rédacteur en chef de la revue fasciste "Prélude”, remplacera Belin au secrétariat de la Confédération d'Etat au Travail.

Sous la houlette de ces mandarins du syndicalisme devait, sous le couvert de "Relève", s'effectuer un fantastique trafic de viande humaine. De quoi était-il question? La réponse est celle-ci: I prisonnier français en Allemagne réintégré son foyer quand 3 ouvriers français partent le remplacer en "volontaires".

Par la suite, la vapeur a été complètement renversée. Le P.C.F. rangé résolument du côté allié a tant et tant orchestré le concert d'excitations chauvines, se terminant par la note finale "A chacun son boche!", "Plus forts les coups sur le boche chancelant !''; il s'est montré d'une telle intransigeance en matière de défense nationale et de défense des intérêts impérialistes français -coïncidant alors avec ceux des Russes-; il a su si bien mener l'intox pour l'ouverture d'un "deuxième front" en Europe, réclamé à cor et à cris par Staline, que la bourgeoisie se rend compte d'une réalité éclatante. Elle a affaire à un parti de gouvernement; un parti qui a fait sien "Tout ce qui sert la guerre est bien, tout ce qui la dessert est mal" ne peut pas rester sur la touche. Il est irremplaçable. Les raisons qui l'amènent à l'associer au pouvoir ne sont à chercher nulle part ailleurs.

Une première fois, le 3/04/43, le P.C.F. participe directement au gouvernement formé à Alger par les généraux De Gaulle et Giraud. Les "camarades ministres" F. Billoux et P. Grenier siègent aux côtés des Queuille, Pleven et consorts sur un programme comprenant les points suivants:

  • 1) mise en œuvre de tous les moyens pour la guerre par la formation d'une puissante armée anti-hitlérienne.
  • 2) châtiment des traîtres et saboteurs de la grande lutte libératrice.
  • 3) union totale de la France et des territoires d'outre-mer.
  • 4) accroissement du rôle de la France dans le concert des Nations-Unies.

L'entrée au gouvernement de ce parti qui, en 1920 à la scission de Tours s'était juré de ne jamais répéter la trahison social-démocrate d'août-14, est venue couronner l'ensemble de ses actes d'Union Sacrée. En retour, sa .propagande allait forger une auréole de héros des droits démocratiques à De-Gaulle, le laver des anciennes accusations d'"agent de la City", de "persécuteur acharné du prolétariat", tout cela en fonction de la morale solvable bourgeoise donnant-donnant.

A la classe qui a subi la défaite sous sa forme démocratique, donnant à fond dans la mystification du Front Populaire puis du bloc de résistance, le tripartisme des associés communistes-socialistes-démo-chrétiens du H.R.P., imposera un plan de famine et la politique du "Retroussez-vos manches". Sous la poigne d'acier du P.C./C.G.T. le retour à l’ordre républicain, après la parenthèse de Vichy, s'est effectué avec un minimum de bavures.

Paix, cette politique menée tambour battant par les staliniens pour poursuivre l'hitlérisme dans ses derniers retranchements, cette mobilisation de masse pour l'accomplissement maximum de l'effort de guerre[2] (1)? Pain, cette existence de la classe ouvrière plus que jamais aux prises avec la faim et la maladie: 4 tuberculeux pour 100 000 habitants au lieu de 3 en 1936. Bien-être ces semaines de travail où pour reconstituer ses forces, l'ouvrier doit travailler 47 heures (légalement).

Le contrat fixant la création d'une puissance industrielle lourde rempli, avec une volonté inébranlable de la part des staliniens, ces derniers furent remerciés du jour au lendemain par la bourgeoisie se tournant davantage vers les USA sous la pression des socialistes et du M.R.P. Après avoir remis le pays affaibli au travail sur un rythme d'accumulation forcené qui étonnera les ingénieurs, les valets sont rentrés dans l'opposition. Eux qui avaient espéré par leur entrisme faire pencher la balance française du côté russe reprocheront à la bourgeoisie son ingratitude, de se laisser économiquement marshaliser par le Yankee, une poche bourrée de dollars, l'autre de chewing-gums pour les petits enfants du "peuple français".

Dans les usines, la mine, les chantiers et les bureaux, la vie syndicale a repris son cours; encore unifiée la C.G.T. compte 6 millions d'adhérents; la démocratie est rétablie dans sa souveraineté. Le capitalisme français qui a eu besoin de passer par une phase d'étatisation prononcée de son appareil productif peut à nouveau disposer de "sa" classe ouvrière en toute liberté. Ont été expropriés les gros actionnaires des usines Renault, SNECMA, du gaz et de l'électricité, de la Banque d'émission, comme traîtres à la nation.

La résistance, en exigeant de l'ouvrier un appui aux bons patrons patriocistes et en lui imposant pour toute grève celle qui bloque l'appareil de guerre nazi, a fait du bon ouvrage. Ce ne sont pas les successeurs de Churchill, Roosevelt, De Gaulle ou Staline qui nous démentiront. Peut-être bien les trotskystes,…

LES RESISTANTS TROTSKISTES

Tout comme G.V Plekhanov lors de la première guerre impérialiste, la "IVe Internationale" se mit en 1940 à énoncer les canons de la morale défensiste, à cette différence près d'avec le vieux lutteur marxiste qu'à aucun moment de son histoire, le trotskysme n'a appartenu au prolétariat —l'Opposition trotskyste trouve son origine dans une certaine manière de concevoir l'application du plan d'Etat à l'économie soviétique.

Rude école cette guerre, réactionnaire des deux côtés, par son feu impitoyable n'a laissé pierre sur pierre de l'édifice bancal des formules trotskystes. Comme porte-parole des intérêts du capitalisme d'Etat russe, Trotski a modifié la caractérisation de la guerre telle que le marxisme l'avait formulée bien avant août 14. On sait qu'il ne devait point faire mystère de ses profondes convictions "défensistes" au cours de la guerre de 39/45. Pour lui, "la défense de l'U.R.S.S." coïncide en principe avec la préparation de la révolution prolétarienne mondiale" si l'on en croit le "Manifeste" rédigé de sa main, et qu'adopta une conférence de sections de la IVe à New-York en mai 40. Des plus brèves interviews accordées aux journaux "radicaux" américains à son dernier ouvrage "théorique", "Défense de l'U.R.S.S.", Trotski n'a pas cessé d'avoir pour conduite de donner à Staline et aux démocraties, conseils, directives pour bien faire, la guerre; d'accuser le régime "bonapartiste" d'avoir affaibli les capacités militaires de l'Armée Rouge, d'avoir capitulé devant les exigences japonaises. Du fait que "la dictature bonapartiste de Staline s'appuie sur la propriété d'Etat, et non sur la propriété privée", cette guerre devenait l'affaire du prolétariat mondial pour aligner chaque pouce de territoire occupé par l'Armée Rouge sur le régime de la propriété étatique.

Nonobstant leurs querelles idéologiques, toutes les sections de la IV° se sont retrouvées au coude à coude avec les staliniens et les gaullistes pour "la lutte pour l'indépendance et pour la sauvegarde des libertés démocratiques" (I.K.D., section allemande), contre l'asservissement de l'Europe par les nazis redonnant actualité aux mots d'ordre démocratiques d'indépendance nationale" (P.O.I. section française).

Trop faibles pour constituer d'eux-mêmes leurs propres maquis, ces valeureux "bolcheviks" rejoignirent ceux des F.F.I. ou des F.T.P., car "la lutte pour la démocratie" primait tout. Au nom des grands principes du défaitisme-révolutionnaire, les révolutionnaires ne doivent pas heurter le sentiment patriotique des masses laborieuses écrivaient les uns et les autres.

Il y a trente ans aussi, le P.C.I. (IV°) dé- fendait son honneur de résistant rappelant à l’opinion publique que LUI aussi a servi dans la lutte contre le nazisme, et dressait la liste de ses martyrs tombés au champ d'honneur. Pour le "Groupe Communiste", aujourd'hui popularisé et massifié sous le sigle "Lutte Ouvrière", les travailleurs embrigadés dans les maquis auraient pu "fournir des cadres précieux et expérimentés à la classe ouvrière" pour peu qu'on y introduise, dans ces maquis, les sacro-saints principes de la démocratie ouvrière. Six mois avant la reddition du général Von Choltitz, un appel de cette organisation disait aux jeunes gens:

  • "Dans les groupes de Résistance, dans les maquis exigez votre armement et l'élection démocratique des chefs!" (Lutte de Classe", n°24 du 8.2.44.)

Qu'importe donc si je tue mon frère de classe du moment que je le fais avec les armes bénies par les prêtres de la démocratie ouvrière! Mon honneur d'internationaliste est sauf, de plus j’affirme ma dignité nationale contre le désarroi du pacifisme petit-bourgeois! Mon maître a dit:

  • ''Je ne saboterai pas la guerre. Je serai le meilleur soldat, tout comme j'étais l'ouvrier le meilleur et le plus qualifié de l'usine" - Débat entre J. Cannon et Trotski. "Socialist Worker Party" -juin 40- "Je lui obéirai alors au doigt et à l'œil" !

Il suffit d'un simple grattage de la mince couche de vernis internationaliste qui recouvre l'organisation "Lutte Ouvrière" pour faire apparaître en pleine lumière le garde-chiourme de l'impérialisme:

  • "L'armée de Tchang Kaï-Chek, qui compte plusieurs millions d'hommes et qui, bien équipée pourrait balayer l'impérialisme japonais, manque complètement d'armes" -"Lutte de Classe" n°25.

Faute de direction révolutionnaire décembre 27 à Canton, où 4 000 prolétaires communistes furent abattus à la mitrailleuse par l'anti-impérialiste Tchang Kaï-Chek, ou jetés vivants dans les chaudières des locomotives; 1934 dans les Asturies et en Autriche; 1936 en Espagne et en France; 1944, encore, en France sont pour les trotskystes de toute obédience des occasions manquées. Faire prendre des vessies pour des lanternes a toujours caractérisé le travail du charlatanisme trotskyste.

En août 44, son antienne a été "Tout est possible et à toute vitesse!". Peut-on avoir de révolution plus exemplaire à revendiquer que 1944, révolution préparée par le Commandement Allié, dirigée par le C.N.R. de De Gaulle et Bidault, accouchée par les colonnes de blindés américains, canadiens, britanniques et français, révolution ralliée par la quasi-majorité de la Préfecture de Police de Paris?

Ne sont-ils pas sublimes les titres de noblesse du trotskysme ?

UTILITE ET LIMITE DES REMINESCENCES DE LA "LIBERATION" DANS LA CRISE ACTUELLE

C'est une bourgeoisie assaillie par la recrudescence des difficultés économiques qui commémorait, au grand complet, ce 30° anniversaire de la renaissance laborieuse du capitalisme français. Durant une semaine, pendant laquelle les ondes ont rengainé du "Chant des Partisans", toutes les cérémonies rituelles de la sorcellerie rationaliste y sont passées. Ici, c'étaient des dépôts de gerbes; là des inaugurations de mausolées; il y eut de savants colloques pour les lettrés et des feux d'artifice pour les pékins; quelques grands compagnons de route ranimèrent la flamme à l'Arc de Triomphe; des légions d'honneur distribuées à discrétion.

Des messages de félicitation rappelant la "fraternité d'armes entre la France et l'Union soviétique durant les années de la seconde guerre mondiale et leur lutte commune contre la tyrannie fasciste" lui sont parvenus, dans cet été 74, du camp socialiste. Bien entendu, ces cérémonies, qui se voulaient grandioses, ne pouvaient pas passer sans une déclaration de la meilleure veine nationaliste, par la voix du sénateur "communiste" Duclos. La voici dans toute sa nudité capitaliste:

  • "La maturité politique manifestée par le peuple français il y a trente ans se traduit aujourd'hui dans l'aspiration des Françaises et des Français à porter haut le drapeau de l'indépendance nationale"

Qu'est-ce à dire sinon que si de nouveau éclatait une troisième guerre impérialiste pour le repartage du monde et, dans laquelle chaque peuple comme s'est son rôle, est appelé par la classe dominante à se battre sur le terrain du capital, ce parti est tout disposé à se lancer dans une nouvelle Union Sacrée, un nouveau bloc de résistance autour d'un homme providentiel. Et, c'est bien ce que la bourgeoisie qui a une conscience aiguisée de ses intérêts a enregistré sur ses tablettes.

A plusieurs reprises, elle a exprimé ces derniers temps sa confiance au parti "communiste" La récente polémique Duclos-Poniatowski, dans les austères décors du Sénat, aura rappelé à qui sait lire que dans sa tournée des popotes le 27/8/47 De Gaulle s'exprimait dans les termes suivants:

  • " Oui, à la libération j'avais avec la Résistance tout entière, jugé qu'il fallait offrir à ces séparatistes l'occasion de s'intégrer à la communauté nationale. (...). J'ai donc joué le jeu. Je l'ai joué carrément. J'ai introduit des hommes de cette sorte dans le gouvernement qui réunissait alors des hommes de toutes opinions. Pour ce que j'en attendais momentanément dans la période difficile qui a suivi la Libération, cette décision a atteint son but" (Le Monde" I5/II/74.)

Tout aussi bien des gaullistes de "progrès", actuellement placés dans l'opposition, que des hommes liés aux grands "monopoles" se déclarent favorables à une participation de la gauche stalinienne aux affaires de l'Etat.

On a vu, entre deux algarades sénatoriales, Poniatowski en personne tendre la perche:
"Il faudra encore de nombreuses années et des preuves tangibles pour que nous vous admettions dans les rangs des hommes libres. C'est ce que je souhaite pour l'unité de la France".

Le prince-ministre, qui ne craint nullement de réchauffer un serpent dans son sein, a tout à fait raison en ce qui concerne les souhaits de sa classe. Toutefois, nous estimons qu'il se trompe en ce qui concerne l'appréciation de l'intervalle de temps qui sépare le P.C. de son entrée au gouvernement comme gérant loyal de la crise. Réussir à vaincre la sotte méfiance qui subsiste à son égard dans certaines couches gouvernementales, certains chefs d'entreprises, est la tâche impérieuse qui, derechef, s'impose à lui.

Il y arrivera à force de déclarer son intention bien arrêtée de permettre à la France de jouer dans le monde un rôle à sa mesure, de l’arracher à son état de dépendance économique vis à vis des Etats-Unis. La bourgeoisie, loin de lui en faire reproche, s'est reconnue dans ces objectifs exprimés dans le Programme Commun, visant à agrandir la place économique de la France, à consolider sa position diplomatique dans le monde. Elle n'oublie pas, non plus, qu'au soir même des élections présidentielles de mai 74, le parti "communiste" se montrait on ne peut plus rassurant pour la suite de sa politique:
"Qu'on ne compte pas sur nous pour venir troubler l'ordre social. Dès demain matin les travailleurs, conscients de leur poids grandissant dans la société et la Nation, vont reprendre le travail dans l'ordre et la dignité", devait déclarer, en substance, son secrétaire général aux micros des différentes radios périphériques.

Ensuite, commençait une campagne de "main tendue" et d'alliance en direction des gaullistes, ceci pour trouver une issue à la crise dont souffre le pays par la faute des "monopoleurs" apatrides. Un des premiers résultats de ce rapprochement qui nous renvoyait 38 ans en arrière ("Je te tends la main, camarade catholique" M. Thorez), aura été l'élection d'un nouveau délégué gaulliste au conseil régional Rhône-Alpes, en application, scrupuleuse des accords de l'automne 73 pour déléguer à ladite assemblée autant de représentants de la majorité que de l'opposition. Comme Paris vaut bien une messe, il ne serait pas étonnant que pour se gagner les faveurs de toute la bourgeoisie et quelques strapontins ministériels nos communistes épurent leur fameux Programme Commun.

Les cérémonies marquant la fin d'un massacre qui a fait des dizaines de millions de morts et d'estropiés dans le monde entier sont passées. Elles n'ont pas été marquées par l'enthousiasme délirant des travailleurs. Que la bourgeoisie et ses valets pleurent à chaudes larmes la Résistance n'est pas notre affaire à nous qui savons que désormais le prolétariat se dirige, malgré les innombrables obstacles dressés sous ses pas et sous les coups de la crise, vers l'affrontement de classe.

La bourgeoisie peut ressortir ses lampions pour pavoiser aux couleurs de Versailles; elle peut essayer de saouler la classe ouvrière avec ses petits airs de bal musette bon enfant et ses chants patriotiques. Le parti respectueux de constitution républicaine peut répondre "aux calomnies déversées sur son honneur de Français" en allant fleurir les tombes des héros de la Résistance: au même moment a lieu la grève de six semaines des 300.000 postiers qu’il s'emploie à liquider aux moindres frais pour l’Etat-patron. Le parti "communiste" est bien un parti du capital.

Depuis 1968 l'inévitable affrontement révolutionnaire est apparu comme un fait, une nécessité inéluctable pour la société. Et ce jour-là, ce ne seront plus les immondes usines à bénir les armes qui sonneront avec fracas, mais les trompettes de la Révolution Mondiale:

"J'étais, je suis, je serai!".

R.C.


- Extraits d'archives -

Le Secrétaire du Parti Communiste Internationaliste (Région du Sud-Ouest) à Monsieur le Commandant Louis, Commissaire Régional à l'Information (1944, IV° Internationale).

"En date du 6 Novembre 1944, je vous ai adressé une demande d'autorisation de paraître pour notre journal "Octobre". Vous nous l’avez promis, nous l’attendons toujours.

Vous savez pourtant que nous y avons droit. En effet, une circulaire de IVe République déclare que: "seront autorisés à paraître dès le jour de la libération, les organes patriotiques clandestins qui paraissaient illégalement avant le 1er Janvier 1944.

"Octobre" répond bien à cette définition.

Depuis 1942, "Octobre” a paru illégalement. Nous avons édité et diffusé 12 Numéros qui tous appelaient les travailleurs à la lutte contre l'occupant nazi et ses collaborateurs.

Bien plus, notre parti a été l'un des premiers à dénoncer le danger que faisait courir l'hitlérisme à la classe ouvrière, puisque dès 1928, nous lancions l'alarme et préconisions l'unité d'action de la classe ouvrière allemande contre Hitler. A partir de 1932, nous n'avons jamais cessé de souligner l’incapacité de nos gouvernants à préparer la lutte contre les nazis. Dès cette époque, nous préconisions la formation en France, d'un gouvernement ouvrier fort, qui pourrait épauler et susciter en Allemagne, un mouvement ouvrier contre Hitler. Nul doute que si on nous avait suivis, l'hitlérisme aurait pu être liquidé sans cet amoncellement de ruines sur l'Europe. Est-ce parce qu'aujourd'hui ce sont les mêmes gouvernants (ou leurs frères) qui reviennent au pouvoir, est-ce pour cela que ces gouvernants refusent de nous donner l'autorisation à laquelle nous avons droit. Ils feront en tous cas la preuve que la démocratie est un vain mot en IV° République.

Peut-être est-ce que notre patriotisme n'est pas le même que le vôtre. C'est exact sur ce point, nous ne partageons pas votre position. Nous pensons que pour nos maîtres, les capitalistes, la patrie n'est pas autre chose que leurs usines, leurs chantiers, leurs coffres forts. Les travailleurs, eux, n'ont que leurs intérêts de classe ouvrière à défendre. C'est pourquoi nous les faisons passer avant tout. Mais que nous soyons en désaccord n'est pas une raison suffisante pour nous refuser une autorisation à laquelle nous avons droit à moins que nous ne revenions aux méthodes de Pétain. En tout cas, nous pouvons vous affirmer que ce n'est pas pour ce résultat que le prolétariat aura mené la lutte pendant quatre années d'occupation."

 


[1] Promulgué le 1/9/42 en zone nord, le 6/4/42 aux Pays-Bas, le 6/l0/'42 en Belgique. Les Allemands invoquent l'article 52 de l'annexe à la 4e Convention de la Haye, qui prévoit des prestations de service pour les besoins de l’armée d'occupation. –Favard, "Déportation des travailleurs français dans le lIIe Reich".

[2] "Je travaille honnêtement à redonner à la France une armée de l’Air qui soit digne du rôle que la France doit conserver en tant que grande nation industrielle, et c'est parce que le peuple de France aime son armée qu'il entend aussi voir la France demeurer une nation industrielle et exige que tout soit mis en œuvre pour la reprise économique du pays.” C. Tillon, Ministre de l’Air en 44 et parrain du "Secours Rouge" en 1970.

 


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