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ICConline - mars 2012

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Face à l’escalade répressive à Valence (Espagne)

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Nous publions ci-dessous la traduction d'un article réalisé par nos camarades d'Accion Proletaria, organe de presse du CCI en Espagne.

Mercredi 15 février, la police a réprimé les lycéens et les étudiants qui avaient arrêté la circulation dans la rue de Xativa à Valence lors de leur manifestation contre les coupes budgétaires. Un jeune mineur a été arrêté. Depuis, les manifestations et les rassemblements se succèdent, l’État répondant par une véritable escalade dans la répression : 17 personnes arrêtées et, traitées de façon humiliante, en particulier les jeunes filles, insultées grossièrement, traînées par terre… Ceux qui se sont rassemblés face au bâtiment de police de Zapadores ont été victimes d’un piège et fichés un par un.

Face à de tels actes, nous voulons exprimer notre solidarité avec tous les emprisonnés, notre soutien à toutes les manifestations de solidarité qui ont eu lieu ainsi qu’à l’attitude des habitants du quartier de Zapadores qui « ont montré leur soutien à ceux qui s’étaient rassemblées en laissant glisser depuis leurs balcons des bouteilles d’eau et autres rafraîchissements, ce qui a provoqué les applaudissements des manifestants »1.

Pourquoi utiliser une répression si brutale contre des jeunes lycéens ?

Une première piste est que ces méthodes ont été employées de façon réitérée dans d’autres pays pour affronter les protestations sociales massives : on peut donc dire que les gouvernants espagnols suivent l’exemple. En France, lors des manifestations contre la réforme des retraites, la police a tendu un piège à 600 jeunes à Lyon, en les fichant un par un, comme aujourd’hui à Valence. Et c’est la même chose que le gouvernement de Cameron a faite à Trafalgar Square, à Londres, lors des mobilisations contre l’augmentation des droits d’inscription à l’université. Le but poursuivi est de prendre les jeunes comme tête de turc pour lancer un avertissement aux nombreux manifestants qui occupent les rues. Voilà ce qu’ils cherchent à faire aussi à Valence. Ils ne peuvent pas se permettre d’affronter des milliers de manifestants, ils choisissent donc quelques centaines de jeunes.

Une deuxième réponse - qui vient compléter la première - est celle de vouloir nous entraîner dans une espèce de spirale d’actions-réactions, avec des arrestations permanentes, des mobilisations, encore d’autres arrestations, de sorte que le mouvement finisse par s’épuiser, et que les buts centraux, la lutte contre les coupes et la réforme du travail, passent au second plan. En Grèce, le gouvernement "socialiste" de Papandreou a employé à foison ces méthodes, n’hésitant pas à utiliser des flics provocateurs pour mettre en place des actes de vandalisme qui, à leur tour, servaient à « justifier » les charges policières et les arrestations massives.

Un autre objectif est celui de créer un climat de tension qui nous pousse à des répliques improvisées et inconscientes. Et c’est ainsi, grâce à l’ambiance provoquée par le pouvoir et sa police, que l’occupation ouverte à tous les travailleurs, aux lycéens et aux étudiants, de TOUS LES SECTEURS, qui était prévue pour lundi 20 février, a dû être annulée.

Finalement, un des objectifs de la répression est en lien avec les traditions de la droite espagnole. Celle-ci s’est distinguée historiquement par son arrogance provocatrice et sa brutalité répressive. Le gouvernement actuel de droite se vautre sans le moindre scrupule dans cette attitude et on pourrait dire qu’il s’en délecte. Tout cela convient parfaitement à l’État et au capital espagnol pris dans leur ensemble pour nous faire dévier vers la défense de la démocratie - prétendument menacée par cette droite-là - et vers une lutte pour des alternatives « moins répressives et plus sociales », alors que la seule solution est celle de lutter contre le capitalisme sous toutes ses formes et toutes ses couleurs politiques.

Les pièges politiques qu’il faut éviter

Un jeune, devant le déchaînement répressif de Valence, criait : « C’est la Syrie ici ! ».

Et il avait raison sur un point : l’État – qu’il soit démocratique ou ouvertement dictatorial comme celui de la clique d’Al-Assad - n’hésite pas une seconde à appliquer une répression brutale quand les intérêts de la classe capitaliste sont en jeu. Cependant, il existe une différence entre l’Etat démocratique et l’État dictatorial. Le premier est capable d’employer la répression avec intelligence politique, en assenant des coups mais accompagnés de manœuvres politiques pour dévoyer, diviser et démobiliser. Ceci le rend plus cynique et dangereux, parce qu’une répression accompagnée de manœuvres de division et de pièges, politiques et idéologiques, fait beaucoup plus de mal qu’une répression pure et dure.

Le piège de montrer la répression comme si c’était une spécialité exclusive de la droite a le grand avantage de rendre présentable l’Etat et ce qui est derrière lui, le Capital et la bourgeoisie. N’y a-t-il pas une continuité entre ce que le gouvernement du PSOE a réalisé (comme coupes sociales autant qu’en répression) et ce qu’accomplit le gouvernement actuel ? En regardant le reste du monde, ne constate-t-on pas que, quel que soit le type de gouvernement, les choses ne font qu’empirer ?

Le piège qui consiste à s’acharner sur des jeunes, ce qui montre déjà une abjecte pleutrerie, a comme objectif de créer une fracture entre les générations, de les diviser, ce à quoi se sont prêtés quelques représentants politiques et syndicaux en disant sur un ton paternaliste que les jeunes « se sont laissés entraîner par la passion » ou « qu’ils n’en ont fait qu’à leur tête dans les protestations ».

Le piège se referme avec les « alternatives » de la si « loyale » opposition (le PSOE, Izquierda Unida, etc.) qui déplorent cette « répression disproportionnée », autrement dit ces messieurs proposent une répression « proportionnée », « contrôlée », une façon de bien légitimer la répression. En plus, ils ont demandé la démission de la Déléguée du Gouvernement [central] en faisant croire ainsi qu’en mettant un autre politicien à ce poste bureaucratique, il n’y aurait plus de répression ou qu’elle serait plus « douce ».

Il faut rejeter ces pièges !

On ne peut pas répondre à la répression avec des « demandes de démission » de tel ou tel représentant, ni en réclamant « plus de démocratie ». Et non plus en « modérant » les revendications pour faire des concessions. Tout cela ne fait que rendre l’Etat encore plus déterminé et plus fort.

Face à la répression, on doit répondre en rendant encore plus massives les manifestations, les rassemblements et les assemblées. Il faut aller vers une assemblée générale de travailleurs, étudiants, chômeurs, qui demande le soutien aux travailleurs du reste de l’Espagne, des autres pays, qui revendique le retrait de la Réforme du code du travail et l’annulation des coupes tout en rejetant les agissements de la police et en demandant la libération sans suite de tous les détenus.

Nous devons tous nous mobiliser, les jeunes et les moins jeunes, les chômeurs et les actifs, les employés publics et ceux du privé, toutes les générations ensemble. La seule possibilité que nous ayons de les faire reculer est celle d’une action conjointe, massive et solidaire. On sait très bien, cependant, que tout recul que nous réussirons à imposer ne sera que temporaire parce que le pouvoir reviendra à la charge avec de nouvelles têtes et de nouvelles méthodes. On a vu ainsi qu’on a changé le PSOE pour le PP qui a continué à frapper encore et encore, comme on l’a vu en Grèce où le Parti dit socialiste a été remplacé par un gouvernement d’Union nationale, qui comprend des néofascistes. Face à tout cela, nous ne pourrons avancer vers une solution des très graves problèmes qui nous assaillent que si notre lutte prend le chemin de la transformation révolutionnaire de cette société.

Accion Proletaria (19 février)

 

1 Source : www.levante-emv.com/comunitat-valenciana/2012/02/17/seis-arrestados-nueve-heridos-dia-13003388.html [1]

 

Géographique: 

  • Espagne [2]

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  • Luttes de classe [3]

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Lutte de classe

La bourgeoisie accuse le poignard pour épargner l’assassin

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Au début du mois de février, l’Europe a subi une vague de froid de 13 jours particulièrement meurtrière. Le bilan de la catastrophe s’élève, officiellement, à plus de 600 morts. Bien que personne n’ignore que les chiffres officiels sont largement sous-evalués, une nouvelle fois, la classe dominante a fait en la circonstance la démonstration de son cynisme le plus répugnant.

Évidemment, les personnes sans-logis sont les principales « victimes du froid ». Quand les foyers d’accueils existent, les places sont bien souvent insuffisantes et à ce point répugnantes ou insécures que de nombreux sans-abris préfèrent encore dormir dehors. Dans tous les pays, les actions telles que «l es maraudes »1 sont invariablement dérisoires au vu des besoins. En France, par exemple, des mesures conséquentes étaient enfin adoptées alors que les thermomètres indiquaient déjà -20°C dans de nombreuses régions. Mais la bassesse de la classe dominante n’a pas de fond ; le défunt président Pompidou face aux manifestations de mai 1968 avait déclaré  : « passé les bornes, il n’y a plus de limites ». Mais la bourgeoisie, elle, sait toujours dépasser celles de l’indécence et nous surprendre par son ignominie illimitée. Tandis que ceux qui sont rejetés à la rue par le capitalisme crevaient, dans l’indifférence des puissants bien au chaud dans le confort de leurs riches demeures, les « pouvoirs publics » déployaient des trésors d’ingéniosité pour tenter de déneiger les routes. En Italie, où le froid a fait 45 victimes, la seule ville de Rome a distribué 10 000 pelles, et déployé 700 camions chasse-neige. Plusieurs centaines de morts dans les rangs des ouvriers « improductifs » ne préoccuperont jamais nos bourgeois, mais il fallait que les salariés soient en mesure de se déplacer jusqu’à leurs lieux de travail pour s’y faire exploiter.

Les prolétaires savent que la barrière qui les sépare de la rue est chaque jour plus mince. Il fallait donc en profiter pour souffler le froid et le chaud dans la population en « rassurant » par des « exemples » de pays comme l’Ukraine, où le froid a été le plus meurtrier. « Regardez, c’est bien pire ailleurs ! »

En même temps,, le problème des victimes était noyé au milieu des témoignages de ménagères effrayées par le verglas, des reportages sur la qualité des opérations de déneigement et de tout le battage sur les prétendues consommations « records » d’électricité, histoire de faire rentrer dans les têtes la nécessité du nucléaire. Surtout, il fallait expliquer, de mille et une façons possibles, que c’est le froid qui tue, pas le capitalisme : « Le bilan du froid s'alourdit avec plus de 600 victimes en Europe2 », « La vague de froid, qui doit se poursuivre dans les prochains jours, a fait au moins 12 morts en France3 », « La vague de froid tue encore en Europe de l'Est4 », etc.

Mais depuis quand le froid est responsable du nombre croissant d’ouvriers jeté à la rue ? Le système capitaliste agonisant n’est simplement plus en mesure d’apporter des solutions au chômage, à l’exclusion et à la misère qui se développent à un rythme infernal. Le caractère massif de la catastrophe a fait sensation, mais chaque jour, de très nombreux ouvriers sans-abris meurent de froid, de malnutrition ou de l’absence de soins médicaux au cœur des pays les plus développés, où de plus en plus de prolétaires sont plongés dans une misère et un dénuement croissants c’est-à-dire rien qui s’apparente de près ou de loin à une malheureuse fatalité..

V (16 février)

 

1 En France, une maraude est un passage en véhicule Croix-Rouge dans les rues où vivent des personnes défavorisées, dans le but de leur distribuer une soupe chaude, un petit sac de denrées alimentaire ou simplement un peu de réconfort.

2 LeMonde.fr, le 13/02/2012.

3 Reuters, le 10/02/2012.

4 L’express, le 12/02/2012

 

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Vague de froid en Europe

La lutte des électriciens en Grande-Bretagne : les illusions sur les syndicats mènent à la défaite

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Nous publions ci-dessous la traduction d'un article réalisé par nos camarades de World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne.

Depuis cinq mois, les électriciens manifestent, font des piquets pour élargir la résistance aux nouvelles conditions crées par l’accord de la Building Engineering Services National Agreement (BESNA), accord qui implique une déqualification et une réduction des salaires d’environ 30%. Des réunions de protestation, des piquets forts de plusieurs centaines d’ouvriers, se sont tenus à l’extérieur des sites de construction gérés par les 7 firmes BESNA, chaque semaine, dans tout le pays, à la recherche du soutien d’électriciens – quel que soit l’endroit où ils travaillent et pour quelle compagnie, qu’ils soient syndiqués ou non – et d'étudiants quand ils manifestaient aussi à Londres le 9 novembre, d’Occupy London devant la cathédrale Saint Paul. Là où ils ont cherché la solidarité, ils l’ont trouvée, au moins de la part d’une minorité. Le 7 décembre, ils s’attendaient à être en grève générale après que celle-ci ait été votée à 81 %, sauf que ce résultat a été contesté par les employeurs et qu’il n’y a finalement pas eu d’appel officiel à la grève. Beaucoup d’entre eux ont pris part à une grève sauvage, accompagnée de piquets composés de plusieurs centaines d’ouvriers allant de site en site.

Cependant, malgré ces efforts, les électriciens sont de plus en plus frustrés par le fait que leur lutte ne se développe pas, sachant que le niveau actuel de l’action n’est pas suffisant pour défendre leurs salaires et leurs conditions de travail actuelles – qui ne sont dans certains cas pas toujours respectées, en particulier par les agences. L’action de grève, en particulier, est toujours retardée. Pour rendre les choses pires encore, après des mois pendant lesquels le syndicalisme de base a appelé les ouvriers à ne pas signer le nouvel accord, à ne pas céder au chantage des employeurs qui menacent de supprimer leurs jobs s’ils ne le font pas, le syndicat Unite1 a maintenu son conseille de signer les accords de façon à garder leur travail. « J’ai reçu ma lettre d’Unite qui nous dit de signer le BESNA… Nous sommes vendus par le syndicat et le vote n’a même pas encore eu lieu », « Je peux comprendre ce qu’ils pensent d’un point de vue légal, mais le moment ne pouvait être pire. » (posts sur www.electriciansforums.uk [4])

Pourquoi est-il si dur de lutter aujourd’hui ?

C’est de toute évidence une période difficile, la classe ouvrière dans son ensemble voit ses salaires diminuer et même ceux qui ne subissent pas de réduction de salaire nominal gagnent moins à cause de l’inflation. Le chômage est élevé, les boulots sont rares. La lutte dans l’industrie du bâtiment, avec l’obligation de se déplacer d’un site à l’autre, la mise sur liste noire des militants, demande un réel courage.

Mais il y a plus. Les électriciens combatifs ont passé tous ces mois à faire pression sur Unite pour qu’il organise un vote et des actions de grève, et maintenant, ils attendent que cela conduise à une grève en février – après que beaucoup ont été forcés de signer le nouvel accord sous peine de perdre leur travail. Une fois que la grève aura commencé à Balfour Beatty, ils espèrent qu’elle s’étendra à d’autres sites. Les porte-paroles du syndicalisme de base aux piquets à Londres étaient très contents que Len McCluskey (secrétaire général de Unite) leur ait promis son soutien au début de l’année, y compris un budget illimité pour la lutte, et qu’il y ait un représentant élu des syndicalistes de base à toutes les réunions en vue d’empêcher toute trahison.

La frustration vis-à-vis des tactiques d’Unite pour tout retarder a engendré toutes sortes d’idées sur le forum des électriciens :

  • Il y a eu des concessions et des petits arrangements entre syndicats et patrons avant. Evidemment, c’est vrai, mais çà n’explique pas pourquoi.

  • Les bureaucrates syndicaux s’occupent de leurs petites affaires, « les permanents paresseux se servent du syndicat pour avoir un salaire et une bonne pension. » Beaucoup d’ouvriers combatifs auparavant sont devenus des officiels à plein temps du syndicat, alors qu’y a-t-il dans les syndicats qui les corrompent ? Le salaire et la pension ou la façon dont le syndicat agit en tant qu’organe de négociation ?

  • Unite est trop gros, « si seulement nous avions notre propre syndicat et n’étions pas regroupés avec la moitié du pays », « tout ce qui les intéresse, ce sont ‘les malheurs’ des employés du secteur public. » En fait, les syndicats traitent les travailleurs du secteur public aussi mal que ceux du privé. Par exemple, lors de la grève d’Unison en 2006, les syndicats ont demandé aux enseignants de traverser le piquet du personnel de l'éducation non enseignant et, par la suite, ils ont préconisé la même manœuvre mais en sens inverse (les non-enseignants traversant le piquet des enseignants). Il a pu y avoir de la publicité pour les grèves d’un jour, les manifestations organisées pour les travailleurs du secteur public, mais cela n’a pas fait avancer la lutte du tout.

  • « La plupart des gars sont à blâmer eux-mêmes » pour ne pas vouloir lutter. De façon assez étrange, ce qui rend difficile l’entrée dans la lutte aussi bien que sa dynamique elle-même (pour les ouvriers combatifs faire des piquets de grève tôt le matin autant que pour ceux qui attendent que Unite les appellent à l’action ou même que ceux qui ne croient pas qu’on puisse vraiment faire quelque chose), c’est la vision commune que même si « passer par le syndicat Unite n’est pas une proposition très enthousiasmante et n’a que très peu de crédibilité auprès de l’électricien moyen », même si «beaucoup d’électriciens n’y adhérent plus », ils sentent aussi « que la triste réalité est que c’est tout ce que nous avons sous la main et nous devons l’utiliser du mieux que nous pouvons. » 

Le syndicat n’est pas "tout ce que nous avons sous la main"

Ce que les électriciens ont déjà fait montre qu’il y a une alternative aux méthodes syndicales de lutte. Comme il a été dit lors d’un des rassemblements à Blackfriars en janvier, c’était tout un symbole que le 9 novembre Unite ait voulu que la manifestation se dirige vers le Parlement pour faire pression sur les députés, alors que les travailleurs voulaient aller rejoindre le rassemblement étudiant. Le syndicat et la base voulaient aller dans des directions totalement différentes.

Pour les travailleurs, « nous ne pouvons réussir qu’avec d’autres secteurs et d’autres professions venant renforcer nos rangs et se tenir à nos côtés, en solidarité avec la classe ouvrière industrielle, dans un syndicat ou pas, pour une cause et un but communs » (Siteworker), complètement à l’opposé de la « lutte » syndicale limitée à ses membres, et ensuite avec ceux dont l’employeur est celui avec qui le syndicat négocie. Les ouvriers doivent lutter avec toute leur solidarité, avec des piquets de grève forts, pour empêcher les attaques contre leurs salaires, leurs conditions de vie et leur qualification. Pour les syndicats, la lutte n’est qu’un moyen pour aller négocier, et ils acceptent chaque fois l’austérité et les licenciements tant qu’ils peuvent se mettre autour de la table avec les employeurs et souvent le gouvernement.

Les électriciens ont manifesté, ils ont fait des délégations, ils sont partis en grève sauvage, ils ont essayé de construire une lutte – ce qui est la seule voie qui puisse donner confiance à ceux qui peuvent hésiter à lutter. Le syndicat a freiné en usant de toutes sortes d’excuses sur le fait qu’il fallait recruter, voter, tout faire légalement… Il ne faut pas s’étonner du fait que les organisateurs à temps plein aient été en grande partie absents – qu’est-ce que les revendications ouvrières ont à voir avec cela ?

Si nous regardons un peu plus loin, nous voyons que souvent la lutte, et quelquefois des luttes payantes, se déroulent sans les syndicats : les ouvriers du textile au Bengladesh il y a quelques années, les ouvriers de Honda en Chine (qui ont été physiquement attaqués par les syndicats sponsorisés par l’Etat) ; et, bien sûr, les mouvements des Occupy, des Indignés, à travers toute l’Europe et les Etats-Unis, montrent aussi que les gens peuvent se rassembler et organiser une lutte même sans les syndicats.

Les syndicats ne sont pas tout ce que nous avons sous la main ; en fait, ils ne plus du tout de notre côté. Tout ce que nous avons, c’est ce que nous-mêmes, la classe ouvrière, nous faisons.

La lutte est sur le fil du rasoir

Malgré des discours optimistes lors des manifestations en janvier, il y a un sentiment général que la dynamique de résistance des électriciens aux attaques de le BESNA s’épuise. Le résultat du nouveau vote demandé par Unite pour les travailleurs de Balfour Beatty sera annoncé début février – le dernier donnait 81 % en faveur de l’action – avec l’attente d’une grève une semaine plus tard. Mais ce vote intervient dans un moment critique – après qu’Unite ait ordonné à ses membres de signer l’accord, quand les patrons de BESNA pensent qu’ils ont gagné et que beaucoup d’électriciens craignent qu’ils n’aient raison. Les syndicats appellent de nouveau à une grève ou une grande manifestation juste quand la volonté de lutter a été contrariée et s’est épuisée, quand on s’achemine vers la défaite, laissant les ouvriers impuissants et démoralisés. Si c’est ce qu’on laisse arriver, la leçon négative ne va pas que frapper les électriciens mais tous les employés de la construction, donnant aux employeurs du BTP un air (non mérité) d’invincibilité. La défaite d’une section combative de la classe ouvrière aura aussi des conséquences négatives pour la lutte en général.

Les électriciens combatifs sont déterminés à continuer à résister au BESNA organisant « des bus pour faciliter la mobilité des piquets » et déclarent faire passer la grève à un niveau supérieur « sans aucun doute, d’autres sites vont soutenir la grève BBES » (Balfour Beatty Engineering Services)2. Mais cela sera insuffisant si les travailleurs ne peuvent pas prendre en main tout le contrôle de leur lutte pour élargir le mouvement. Prendre le contrôle ne veut pas dire élire des syndicalistes de base pour « contrôler » le syndicat Unite, aussi combatifs soient-il ; cela veut dire organiser des meetings massifs pour discuter de la lutte, prendre des décisions et les appliquer collectivement. Elargir le combat ne veut pas dire en appeler simplement aux électriciens des autres firmes ; cela veut dire aller chercher les ouvriers des autres entreprises de construction et des autres industries, qu’elles soient publiques ou privées. C’est la seule façon de gagner.

Alex (27 janvier)

 

1 Unite est désormais le premier syndicat du Royaume-Uni, né en mai 2007 d'une fusion entre le deuxième et le troisième syndicat du pays à l'époque, Amicus et T&G. Il accueille 1 557 900 membres (janvier 2009), qui travaillent dans pratiquement tous les secteurs, dont la construction automobile, l'imprimerie, la finance, les transports routiers et les services de santé. Il est plus implanté dans le secteur privé que dans le secteur public, où il compte tout de même 200 000 affiliés.

2 Source : https://siteworkers.wordpress.com/ [5]

 

Géographique: 

  • Grande-Bretagne [6]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [3]

Rubrique: 

Lutte de classe

Réflexions sur les émeutes d'août 2011 au Royaume-Uni (1ère partie)

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Nous publions ci-dessous la traduction de larges extraits de la première partie d'un article réalisé par nos camarades de World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne.
 
Aujourd'hui, ceux qui ont été impliqués dans les émeutes qui ont surgi dans plusieurs villes à travers l'Angleterre entre le 6 et le 9 août derniers, continuent de comparaître devant les tribunaux. Nombre d'entre eux sont condamnés à des peines pour l'exemple qui dépassent de loin celles qui sont habituellement prononcées pour ce genre d'infraction. Ils sont punis pour leur participation à une émeute autant, sinon plus, que pour tout autre acte criminel qu'ils auraient commis.

A la suite des émeutes, une discussion s'est développée au sein du mouvement révolutionnaire sur la nature de classe et la dynamique des émeutes. Des organisations de la Gauche communiste et des groupes anarchistes, comme Solfed, ont vu les émeutes comme résultant de la nature et des contradictions de la société capitaliste, mais elles ont critiqué les attaques contre d'autres ouvriers, qu'il s'agisse d'attaques directes ou de mettre le feu à des magasins au-dessus desquels des ouvriers vivent. D'autres ont vu les émeutes comme une attaque contre la marchandise et contre les rapports de production capitalistes. Certains ont établi une distinction entre ces émeutes et celles des années 1980, faisant valoir que celles-ci sont plus clairement dirigées contre les forces qui oppriment et attaquent la classe ouvrière, en particulier la police.

Cet article tente de contribuer à ce débat en examinant le rapport entre les émeutes et la lutte des classes. La première partie, publiée ici, considère la question dans le contexte de l'histoire du mouvement ouvrier et de la nature générale de la lutte. La seconde partie se penchera plus spécifiquement sur les émeutes de cet été au Royaume-Uni.

Le rapport entre les émeutes et la lutte des classes

Ceux qui sont du côté de la classe ouvrière ne peuvent pas accepter le langage et le cadre donnés par la bourgeoisie. La confrontation entre le prolétariat et la bourgeoisie implique inévitablement que la classe ouvrière s'approprie les biens et la propriété de la bourgeoisie et qu’elle se confronte à ses forces de contrôle, dans des périodes de violence, comme on a pu le voir lors des émeutes de la faim du 18ème siècle, dans les luttes pour organiser et obtenir des augmentations de salaire au 19ème siècle, ou pour renverser le capitalisme au début du 20ème siècle. Pour la bourgeoisie, tout ce qui menace sa domination et qui s'oppose à l'inviolabilité de la propriété est émeute, pillage, acte criminel et immoral, et suscite de ce fait un désir de vengeance qui conduit à la répression, à l'incarcération et souvent à des massacres. Ainsi, toutes les fois que la classe dirigeante parle « d'émeutes », nous ne devons pas la croire sur parole.

De même, il ne faut pas être trop hâtif à rejeter toute action comme étant celle du « lumpen prolétariat ». Sur cette question, le Manifeste Communiste de 1848 écrit : « Le lumpenprolétariat, ce produit passif de la pourriture des couches inférieures de la vieille société, peut se trouver, çà et là, entraîné dans le mouvement par une révolution prolétarienne » et que ses conditions de vie « disposeront plutôt à se vendre à la réaction ». Est ici décrit un processus qui a existé tout au long du capitalisme et qui peut s'accroître dans les circonstances actuelles, mais il est également clair qu'il ne représente pas une catégorie immuable.

Ceux qui sont du côté de la classe ouvrière doivent juger tout événement en fonction du fait qu'il accélère ou retarde la lutte de la classe ouvrière pour mettre fin à son exploitation. C'est avant tout une perspective historique ; des gains immédiats ne vont pas nécessairement se traduire par des acquis à long terme. Ainsi évaluer un événement particulier, c'est comprendre son impact sur les armes de la lutte de la classe ouvrière : son organisation et sa conscience.

Marx et Engels soulignent l'unité et la dynamique de ces deux aspects dans le Manifeste du Parti Communiste. D'un côté, ils décrivent le développement des syndicats (la forme que les organisations de masse de la classe ouvrière ont pris à cette époque) et les luttes dans lesquelles les ouvriers se sont engagés et ils commentent : « Parfois, les ouvriers triomphent ; mais c'est un triomphe éphémère. Le résultat véritable de leurs luttes est moins le succès immédiat que l'union grandissante des travailleurs. » De l'autre, ils décrivent comment « la bourgeoisie fournit aux prolétaires les éléments de sa propre éducation, c'est-à-dire des armes contre elle-même », avant de faire valoir que les communistes sont « pratiquement,... la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui stimule toutes les autres ; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l'avantage d'une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien. »

Organisation et conscience, conscience et organisation, telles sont les qualités de la classe ouvrière qui se renforcent mutuellement, le fruit de son être et de sa lutte au niveau historique et international. Elles ne sont pas identiques et se présentent et se manifestent sous des rythmes différents, mais connexes. Des éléments des autres classes peuvent rejoindre le prolétariat et contribuer à son développement, mais l'origine, la dynamique et la force de ce développement viennent du sein de la classe ouvrière.

Quand on examine la question générale de savoir comment la classe ouvrière lutte et la question spécifique de la place que les émeutes ont dans cette lutte, le mouvement ouvrier en fait une analyse critique à la fois théorique et pratique.

L'analyse théorique

Dans La Situation de la Classe Laborieuse en Angleterre, publié en allemand en 1845, Engels expose la position dans laquelle le capitalisme met chaque travailleur (sans distinction de sexe, malgré le langage des citations suivantes) : « le travailleur est fait pour sentir à chaque instant que la bourgeoisie le traite comme un bien mobilier, comme sa propriété, et pour cette raison, si ce n'est pour d'autres, il doit se présenter comme son ennemi ... dans notre société actuelle, il ne peut sauver sa virilité que dans la haine et la rébellion contre la bourgeoisie. » Il a ensuite esquissé les grandes lignes du développement de la révolte de la classe ouvrière : « La première forme, la plus brutale et la plus stérile, que revêtit cette révolte fut le crime. L'ouvrier vivait dans la misère et l'indigence et il voyait que d'autres jouissaient d'un meilleur sort. Sa raison ne parvenait pas à comprendre pourquoi, précisément lui, devait souffrir dans ces conditions, alors qu'il faisait bien davantage pour la société que le riche oisif. Le besoin vainquit en outre le respect inné de la propriété - il se mit à voler... Mais les ouvriers eurent tôt fait de constater l'inanité de cette méthode. Les délinquants ne pouvaient par leurs vols, protester contre la société qu'isolément, qu'individuellement ; toute la puissance de la société s'abattait sur chaque individu et l'écrasait de son énorme supériorité. » La classe ouvrière s'est mobilisée pour s'opposer aux machines qui excluaient les uns et dominaient les autres puis, pour développer les syndicats, d'abord de façon secrète, puis ouvertement, pour défendre leurs intérêts en maintenant les salaires les plus élevés possibles et pour empêcher la bourgeoisie de diviser la classe avec des taux de rémunérations différents pour le même travail.

Dans cette analyse, Engels avance clairement que la classe ouvrière devait à la fois contester la bourgeoisie de façon légale et être prête à utiliser la force, si nécessaire. Il donne l'exemple d'une grève dans une usine de tuiles à Manchester en 1843, lorsque la dimension des tuiles produites avait été agrandie, sans augmentation des salaires. Lorsque les propriétaires eurent posté des gardes armés, « une bande d'ouvriers tuiliers assaillit la cour, un soir à dix heures, avançant en ordre de combat, les premiers rangs armés de fusils... » et les travailleurs réussirent dans leur objectif à détruire les tuiles nouvellement produites. Plus généralement, il remarque que « les ouvriers ne respectent pas la loi, se contentant au contraire de laisser s'exercer sa force quand eux-mêmes n'ont pas le pouvoir de la changer » et il donne l'exemple des attaques contre la police, chaque semaine à Manchester.
Cependant, ni Marx, ni Engels n'ont vu la violence et l'infraction à la loi comme révolutionnaire en soi et ils étaient prêts à critiquer les actions qui vont contre le développement de la lutte de la classe ouvrière, même quand elles apparaissaient comme spectaculaires et provocatrices. Ainsi en 1886, Engels a vivement attaqué l'activité de la Fédération social-démocrate par rapport à son organisation d'une manifestation de chômeurs qui, tout en passant par Pall Mall et d'autres quartiers riches de Londres sur le chemin de Hyde Park, a attaqué des magasins et pillé des boutiques de vin. Engels a fait valoir que peu de travailleurs y avaient pris part, que la plupart des personnes impliquées « étaient sorties pour rigoler et dans certains cas, étaient déjà à moitié bourrées » et que les chômeurs qui y avaient participé « étaient pour la plupart de ce genre qui ne souhaitent pas travailler – des marchands de quatre saisons, des oisifs, des espions de la police et des voyous. » L'absence de la police était « tellement visible que ce n'était pas seulement nous qui croyions qu'elle était intentionnelle ». Quoi qu'on puisse penser de certaines expressions d'Engels, sa critique essentielle suivant laquelle « ces messieurs socialistes [c'est-à-dire les dirigeants de la FSD] sont déterminés à faire apparaître de façon immédiate un mouvement qui, ici comme ailleurs, réclame nécessairement des années de travail » est valable. La révolution n'est pas le produit du spectacle, de la manipulation ou du pillage.

La pratique de la classe ouvrière

Pour l'ensemble de la critique théorique développée par les grandes figures du mouvement ouvrier, la critique la plus éloquente est celle qui découle de la pratique réelle de la classe ouvrière. Dans l'histoire de la lutte des classes, la question par rapport à la classe ouvrière n'était pas simplement de savoir si un moment particulier avait été violent et « séditieux » ou non, mais dans quelle mesure il aurait eu lieu sur le terrain de la classe ouvrière et contrôlé par celle-ci. Parmi les nombreux cas de troubles, d'émeutes et d'insurrections qui ont eu lieu dans les dernières décennies du 18ème siècle et dans la première du 19ème, il est possible de distinguer entre ceux où la « foule » a été manipulée par la bourgeoisie et ceux où la classe ouvrière naissante a lutté pour se défendre et pour survivre.

Parmi les premiers, il y a eu divers incidents pour attiser l'antipathie religieuse, que ce soit contre les catholiques ou contre des dissidents et aussi des mouvements politiques « populaires », comme ceux menée par Wilkes, à la fin du 18ème siècle. Un exemple est donné par les émeutes de Gordon en 1780 qui ont commencé avec une marche sur la Chambre des Communes pour protester contre les concessions données aux catholiques et dirigées pour attaquer les églises catholiques et la propriété des riches catholiques, et ne fut arrêtée que lorsque la foule a tourné son attention vers la Banque d'Angleterre. Cette perte de contrôle met en évidence l'un des dangers qui menacent la bourgeoisie dans ses efforts visant à utiliser la foule : le mouvement peut glisser hors de son contrôle. Ceci est illustré par le mouvement dirigé par Wilkes, qui était essentiellement une lutte entre différentes factions de la classe dirigeante, alors que le mouvement créé pour soutenir sa campagne a commencé à fusionner avec un mouvement social, et que des slogans révolutionnaires ont été lancés.

Parmi les derniers, on peut voir les émeutes de la faim qui ont eu lieu dans de nombreuses parties de la Grande-Bretagne, qui se sont souvent caractérisées par des saisies de nourriture auprès des commerçants et sa vente forcée à un prix inférieur. Ces mouvements pouvaient être très organisés, durant plusieurs jours sans violence, avec les marchands à qui ont donnait l'argent que les gens estimaient être le « juste prix ». Ces derniers ont également inclus le mouvement Luddiste qui a eu lieu à différents moments dans les Midlands et le Nord de l'Angleterre et qui a cherché à protéger les salaires et les conditions de travail de la classe ouvrière, face à l'industrialisation rapide et à la réorganisation des modes de vie et de travail. Le mouvement s'est caractérisé tant par son organisation et le soutien populaire que par le sabotage de machines qui lui est souvent associé. La bourgeoisie a réagi en alternant usage de la force et concessions. À son apogée, en 1812, plus de 12 000 soldats ont été déployés entre Leicester et York, et la valeur totale des biens détruits a été estimée à 100 000 £ d’aujourd’hui.

Dans La Situation de la Classe Ouvrière en Angleterre, Engels a retracé le développement des syndicats et surtout du chartisme qui découlait de ces premiers efforts de la classe ouvrière. Pour Engels, le chartisme était « la forme condensée de l'opposition à la bourgeoisie », « Dans les unions et les grèves, cette opposition restait toujours isolée, c'étaient des ouvriers ou des sections ouvrières qui, isolément, luttaient contre des bourgeois isolés ; si le combat devenait général, ce n'était guère l'intention des ouvriers... Mais dans le chartisme, c'est toute la classe ouvrière qui se dresse contre la bourgeoisie. » Le chartisme peut se prévaloir d’avoir été la première organisation politique de la classe ouvrière et il peut aussi se targuer d’avoir lutté pour des objectifs tels que le suffrage universel qui ont ensuite été concédés à titre de réformes destinées à contenir la lutte, mais en son temps cette lutte était révolutionnaire et les ouvriers étaient prêts à recourir à la violence si nécessaire. La grève générale et l'insurrection armée y ont été discutées et elles ont trouvé leur expression dans le soulèvement de Newport en 1839 et dans la grève générale de 1842.

Tout au long de leur histoire, les luttes de la classe ouvrière ont été confrontées à la nécessité de recourir à la violence à certains moments. Les libéraux et les pacifistes qui dénoncent la violence ne voient jamais que la vie « ordinaire », « pacifique », sous le capitalisme, est un acte de violence continuel contre les exploités. Il ne s'agit pas de faire l'éloge de la violence en soi, mais de reconnaître qu'elle est une partie inévitable de la lutte des classes. Dans son histoire de la lutte des classes aux Etats-Unis, Louis Adamic montre comment l'exploitation particulièrement brutale et la répression infligée par les patrons aux Etats-Unis ont parfois suscité une réaction tout aussi vigoureuse.

Nous pouvons revenir à la Grande-Bretagne pour examiner l'exemple particulier de l'émeute de Tonypandy, en novembre 1910. Celle-ci a fait partie du conflit plus large de Cambrien Combine, après que les mineurs ont été victimes d’un lock-out par les propriétaires des mines qui déclaraient qu'ils travaillaient de façon délibérément lente. D'autres mines ont apporté leur soutien et 12 000 mineurs ont pris part à la fermeture de presque toutes les mines de la région. La bourgeoisie a réagi en envoyant la police et la troupe, ce qui a provoqué des affrontements violents entre la police et les travailleurs. Les émeutes ont éclaté lorsque des travailleurs ont tenté d'arrêter des briseurs de grève qui entraient dans une des mines pour maintenir les pompes en fonctionnement, ce qui a conduit à un combat au corps à corps entre les ouvriers et la police. Vers minuit, après des assauts répétés à la matraque de la part de la police, les travailleurs ont dû retourner dans le centre de Tonypandy où ils ont affronté d'autres attaques de la police. Au cours des premières heures de la matinée, les magasins ont été brisés et certains pillés. La police n'était pas présente pendant le pillage et celui-ci a été utilisé par la bourgeoisie comme prétexte pour appeler à une intervention militaire. Beaucoup de travailleurs ont été blessés et un d’entre eux a été tué à la suite des affrontements. Cette grande confrontation a suscité une réflexion dans la Fédération des Mineurs du Sud du Pays de Galles et a contribué à l'élaboration d'un courant qui a contesté la direction de la Fédération et avancé des idées syndicalistes dans la brochure La Prochaine Etape des Mineurs, publiée à Tonypandy en 1912.

Encore une fois, la question essentielle n'est pas celle de la violence d'une lutte qui serait le baromètre de nature prolétarienne ou non prolétarienne de celle-ci, le contexte dans lequel elle a eu lieu et sa dynamique. Ainsi, à côté de l'histoire des luttes qui ont fait avancer les intérêts de la classe ouvrière, il existe un autre volet d'actions qui ont fait le contraire et ont poussé la classe ouvrière hors de son terrain de classe. Pour donner quelques exemples :

- Au cours de l'été de 1919, des « émeutes raciales » ont éclaté à Liverpool et à Cardiff après le débarquement de marins noirs et blancs. Les syndicats, qui sont plus tard devenus l'Union Nationale des Marins, se sont plaints que des marins noirs se voyaient attribuer un emploi, alors que des blancs étaient au chômage et, en mai 1919, cinq mille chômeurs blancs, anciens militaires, se sont plaints auprès du maire de Liverpool sur le fait que les travailleurs noirs étaient en concurrence avec les blancs pour les emplois. En juin, des anciens militaires noirs et leurs familles furent attaqués à leur domicile. A Liverpool, une foule de deux à dix mille personnes a attaqué les Noirs dans les rues et, à Cardiff, les quartiers arabes et noirs ont été pris pour cibles. Au cours de ces affrontements, trois personnes ont été tuées et de nombreuses autres blessées.

- En mai 1974, l'Ulster Workers Council organise une grève générale des travailleurs protestants en opposition aux concessions supposées aux travailleurs catholiques. La grève était contrôlée par des organisations politiques et loyalistes paramilitaires et, bien qu'il y ait des preuves que les travailleurs aient été réticents à y participer, elles avaient cependant réussi à diviser la classe ouvrière.

A l'assaut du ciel

La condamnation du système faite par la classe ouvrière est à son apogée quand elle remet en question le pouvoir de la bourgeoisie et commence à affirmer qu'elle porte en elle l'avenir de la société humaine contre le régime inhumain de la bourgeoisie, comme dans la Commune de Paris en 1871, dans le révolution de 1905 en Russie et dans la vague révolutionnaire lancée en Russie.

La question fondamentale de ces mouvements n'était pas tant l'appropriation directe de la propriété, mais la question du pouvoir, exprimée dans la lutte contre la bourgeoisie et pour la réorganisation de la société.

Cela se trouve au cœur de l'analyse de la Commune de Paris faite par Marx dans La Guerre Civile en France, publiée par l'Association Internationale des Travailleurs en 1871. Elle met l'accent sur l'opposition de la Commune à l'organisation de l'Etat, exprimée dans ses premières mesures qui suppriment l'armée permanente et la remplacent par la Garde Nationale. Dans les conditions de siège dans lesquelles elle vivait, la Commune ne pouvait qu'indiquer la direction de la reconstruction sociale à laquelle elle aspirait : « La grande mesure sociale de la Commune, ce fut sa propre existence et son action. Ses mesures particulières ne pouvaient qu'indiquer la tendance d'un gouvernement du peuple par le peuple. Telles furent l'abolition du travail de nuit pour les compagnons boulangers ; l'interdiction, sous peine d'amende, de la pratique en usage chez les employeurs, qui consistait à réduire les salaires en prélevant des amendes sur leurs ouvriers sous de multiples prétextes ... Une autre mesure de cet ordre fut la remise aux associations d'ouvriers ...de tous les ateliers et fabriques qui avaient fermé. » Les membres élus de la Commune, dont la majorité était des travailleurs, et de ses administrateurs ont tous reçu un salaire équivalent à celui d'un simple ouvrier. L'église a été dissoute et l'éducation rendue accessible à tous : «Les prêtres furent renvoyés à la calme retraite de leur église... La totalité des établissements d'instruction furent ouverts au peuple gratuitement, et, en même temps, débarrassés de toute ingérence de l'Église et de l'État. Ainsi, non seulement l'instruction était rendue accessible à tous, mais la science elle-même était libérée des fers dont les préjugés de classe et le pouvoir gouvernemental l'avaient chargée. » Les tentatives faites par le gouvernement français pour affamer la Commune échouèrent et un approvisionnement régulier en nourriture fut maintenu.

La révolution de 1905 a vu l'apparition de comités de grève, dans de larges parties de la Russie, pour contrôler la lutte dans les usines et leur développement ; ceux-ci se réunissaient et ils sont devenus des organes élus et révocables en permanence : les Soviets. Bref, c’était une dynamique constante allant et venant de la lutte économique immédiate à la lutte plus générale fusionnant avec la lutte politique pour le pouvoir. Des questions de survie immédiate ont été abordées dans ce contexte plus large : ainsi, pour les travailleurs licenciés pour fait de grève à l'usine Poutilov, « des mesures de secours furent prises, parmi lesquelles se trouvaient quatre soupes populaires. » Le coeur de la révolution, le Soviet de Saint-Pétersbourg, s'est impliqué dans l'organisation de la vie quotidienne, y compris dans la prévention de la censure de la presse par l'Etat et pour donner des instructions aux chemins de fer et à la poste. A Moscou, le Soviet émit des directives « réglementant la fourniture en eau, pour maintenir ouverts les magasins essentiels [et] pour le report des paiements de loyer pour les travailleurs...»

En 1917, cette situation s'est répétée puis est allée plus loin, la classe ouvrière ayant pris le pouvoir à la bourgeoisie : « … dans de nombreux cas, l'effondrement du gouvernement central et des bureaucraties locales ont fait de ces instruments de la révolution des instances gouvernementales qui sont intervenues et se sont arrogées des fonctions administratives. » Lorsque la perturbation de la révolution a conduit à des pénuries alimentaires dans les zones urbaines, « les soviets locaux ont indépendamment adopté des mesures strictes de lutte contre celles-ci. A Nijni-Novgorod, par exemple, l'exportation de pain a été réduite ; à Krasnoïarsk, le soviet a introduit des cartes de rationnement ; dans d'autres lieux 'bourgeois' , des maisons ont été fouillées et des biens confisqués » Dans l'Histoire de la Révolution Russe, Trotsky écrit : « Dans l'Oural , où le bolchevisme prévalait depuis 1905, les soviets ont fréquemment administré le droits civil et pénal; créé leur propre milice dans de nombreuses usines, en les payant au moyen de fonds d'usine, organisé le contrôle par les ouvriers de matières premières et du carburant pour les usines, supervisé la distribution, et déterminé les échelles de salaires. Dans certaines régions de l'Oural, les soviets ont exproprié des terres pour la culture commune. »

Même dans des luttes moins spectaculaires que celles déjà mentionnées, les méthodes de la classe ouvrière viennent au premier plan. Ainsi, durant les premiers jours de la grève de masse en Pologne, en 1980, des représentants des usines en grève se sont réunis pour former le Comité Inter-Usines (MKS en polonais), qui «contrôlait toute la région et résolvait les problèmes de distribution et de transport de la nourriture. »

Ainsi, nous pouvons tirer un certain nombre de conclusions des luttes qui se déroulent sur un terrain de classe, qu'il s'agisse d'une simple grève ou d'un mouvement révolutionnaire. Tout d'abord, la violence n'est pas une fin en soi, ni une simple expression de la frustration, mais un moyen par lequel la classe ouvrière prend et défend le pouvoir pour changer le monde. Deuxièmement, lorsqu'il y a appropriation des marchandises, cela se fait avant tout comme un moyen de maintenir la lutte collective et c'est la valeur d'usage de la marchandise qui domine plutôt que sa valeur d'échange. Troisièmement, elles sont marquées par l'action collective et la solidarité et elles les renforcent. De telles luttes sont toujours orientées vers l'avenir, vers la transformation de la société.

North (25 janvier)

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La lutte Proletarienne [7]

Rubrique: 

Violence de classe

Réflexions sur les émeutes d'août 2011 au Royaume-Uni (2ème partie)

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Nous publions ci-dessous la traduction de larges extraits de la seconde partie d'un article réalisé par nos camarades de World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne.
 

Cet article est une contribution à la discussion au sein du mouvement révolutionnaire sur la nature des émeutes qui ont eu lieu en août dernier Grande-Bretagne. Dans la première partie [8] de cet article, nous avons replacé la question des « émeutes » dans le contexte de la lutte historique de la classe ouvrière et développé l’idée que la réponse des révolutionnaires à des événements particuliers n’est pas déterminée par ce qu’en raconte la classe dominante ou par l’analyse qu’elle en fait, mais par la portée qu’ils ont sur la défense des intérêts de la classe ouvrière, en faisant avancer ou reculer celle-ci. Ce ne peut être essentiellement déterminé que par l’impact que ces événements ont sur l’organisation et la conscience de la classe ouvrière. Nous avons brièvement analysé comment ceci a été élaboré en théorie et en pratique dans l’histoire de la classe ouvrière. Dans cette seconde partie, nous revenons sur les événements de l’été dernier et essayons de leur appliquer le cadre développé dans la première partie.

Les émeutes de l’été dernier ne peuvent se comprendre en dehors du contexte historique de l’approfondissement de la crise économique qui est en train de détruire à la fois le monde naturel et celui des hommes et qui prive d’espoir pour le futur tous les travailleurs, en particulier chez la plupart des jeunes, et va même jusqu’à occulter la connaissance de ce qui leur est enlevé. Internationalement et nationalement, la classe ouvrière est confrontée à une misère croissante et au chômage, allant de pair avec le harcèlement des différentes forces de l’ordre telles la police, les organismes sociaux et les contrôles à la frontière. Les travailleurs vivent dans un climat de surveillance et de contrôle social croissant d’un côté, et de l’autre dans l’exclusion de toute possibilité de vie meilleure, quand les conditions d’existence se détériorent à un point tel que, pour beaucoup, c’est même leur survie qui devient incertaine. Les travailleurs sont précipités dans une lutte immédiate pour leur survie, où l’espoir dans l’avenir est étouffé par la vie quotidienne. Beaucoup de jeunes, en particulier, se retrouvent exclus d’emplois décents, sont dans l'impossibilité de participer à la ruée sur les biens de consommation qu'ils croient être un des fondements de la société, ne peuvent réaliser leurs espérances et leurs aspirations, et font face à un avenir sur lequel ils n’ont aucun contrôle. La survie immédiate domine et beaucoup prennent ce qu’ils peuvent, quand ils le peuvent, d’un monde dont ils ne font pas réellement partie.

Cela fait écho à l’analyse faite par Engels en 1840 de la réponse à sa situation de la classe ouvrière qui était en train d’apparaître : « Somme toute, les défauts des ouvriers se ramènent tous au dérèglement dans la recherche du plaisir, au manque de prévoyance et au refus de se soumettre à l'ordre social, et d'une façon générale, à l'incapacité de sacrifier le plaisir du moment à un avantage plus lointain. Mais qu'y a-t-il là de surprenant ? Une classe qui par son labeur acharné, ne peut se procurer que peu de chose et que les plaisirs les plus matériels, ne doit-elle pas se précipiter aveuglément, à corps perdu sur ces plaisirs ? Une classe que personne ne se soucie de former, soumise à tous les hasards, qui ignore toute sécurité de l'existence, quelles raisons, quel intérêt a-t-elle d'être prévoyante, de mener une vie sérieuse et au lieu de profiter de la faveur de l'instant, de songer à un plaisir éloigné qui est encore très incertain, surtout pour elle, dans sa situation dont la stabilité est toujours précaire et qui peut changer du tout au tout ? On exige d'une classe qui doit supporter tous les inconvénients de l'ordre social, sans pouvoir profiter de ses avantages, d'une classe à qui cet ordre social ne peut apparaître qu'hostile, on exige d'elle qu'elle le respecte ? C'est vraiment trop demander. Mais la classe ouvrière ne saurait échapper à cet ordre social tant qu'il existera et si l'ouvrier isolé se dresse contre lui, c'est lui qui subit le plus grand dommage. »

Aujourd’hui, la partie de la classe ouvrière que la bourgeoisie décrit sous des vocables variés : « sous-classe » ; « les éléments criminels », ou quand elle est vraiment déchaînée, « profiteurs », « vermine » et « la jeunesse barbare », vit d’une façon qui renvoie aux premières décennies de la classe ouvrière. La société bourgeoise, dans sa sénilité, retombe donc dans les faiblesses de son enfance.

La nature limitée des émeutes

Les émeutes elles-mêmes ont été de courte durée, éparpillées dans de nombreuses grandes villes d’Angleterre1 et, à quelques notables exceptions près, n’ont relativement causé que peu de dégâts durables. 2 En tout, on a rapporté qu’environ 15 000 personnes y ont pris part, mais quelques incidents particuliers semblent en avoir impliqué un très grand nombre. L’ensemble des personnes arrêtées donne une image de ceux qui étaient impliqués comme étant en majorité de jeunes hommes, venant des zones les plus défavorisées des villes concernées, et souvent ayant déjà eu des histoires avec la police3. Cependant, comme le fait remarquer Aufheben, avec sa manière habituelle d’examiner les choses de façon empirique, cela reflète en partie le fait qu’il est plus facile d’arrêter ceux qui sont déjà connus par la police quand ils laissent leurs visages à découvert.4

Le but premier semble avoir été de s’emparer de marchandises, en général en cassant les vitrines, principalement celles des chaînes de grands magasins, mais aussi, de petites boutiques « de quartier ». La destruction de maisons particulières semble avoir été le produit d’une insouciance et d’une indifférence plutôt qu’un but délibéré. La police et les autres symboles de l’Etat étaient aussi des cibles, ce sur quoi les émeutiers interviewés ont largement insisté. Dans une moindre mesure « les riches » ont aussi été visés, bien qu’on ne sache pas clairement si c’était réellement intentionnel ou si c’était une conséquence de la ruée vers les marchandises les plus coûteuses dans de telles zones5.

Les interviews de jeunes gens impliqués, soit dans les émeutes, soit vivant dans les zones où se sont déroulées celles-ci, donnaient tout un mélange d’explications, mais il y a une insistance sur le manque d’espérance dans le futur et la colère que cela provoque : « Les gens sont en colère, quelques uns voulaient que le gouvernement nous écoute, d’autres sont en colère mais ne savent pas vraiment pourquoi…de toutes façons, les plus jeunes vont être dans la même merde que nous, nulle part où aller et ce sera encore pire quand ils auront 17-18 ans ».6 « Je ne dis pas que je sais pourquoi les gens ont commencé mais je pense que la plupart des gens… et les jeunes sont en colère, en colère pour le travail, pas de maison, pas d’éducation…justement parce qu’il n’y a aucune aide, aucun moyen de faire mieux »7. « (le pillage) était une occasion de faire un bras d’honneur à la police… Les gens ne respectent pas (la police) parce que la police n’a aucun respect… elle abuse de son badge »8. Cela fait écho à la recherche entreprise par le gouvernement : « le document dit qu’ils (les participants aux émeutes) étaient motivés par ‘le plaisir d’avoir des trucs gratuits – des choses qu’ils n’auraient pas été en mesure d’avoir autrement’ – et par l’antipathie à l’égard de la police ». La mort de Mark Duggan, dont l’assassinat par balle avait déclenché au début des protestations à Tottenham le 6 août qui furent suivies par les émeutes, ont conduit certains à Londres à ‘prendre leur revanche’ sur la police, dit le rapport. Celui-ci ajoute « en dehors de Londres, les émeutes n’étaient en général pas attribuées au cas de Mark Duggan. Cependant, l’attitude et le comportement de la police localement était très souvent cités comme déclencheurs, que ce soit à Londres ou en dehors ».9

Ce n’est pas pour déprécier les dommages physiques subis par ceux qui ont été innocemment pris dans les événements ou qui ont été la cible de ceux qui étaient impliqués dedans, ni la détresse de ceux qui ont perdu leur maison et leurs moyens d’existence. Pour certains de ces individus, l’impact a été dévastateur, et se fera ressentir tout le reste de leur vie. Cependant, chaque jour maintenant, des travailleurs perdent leurs moyens d’existence et leurs maisons, du fait des attaques de la classe dominante, et beaucoup ne les récupèreront jamais. La bourgeoisie ne dit pas un mot de tout çà, ou simplement que c’est le prix que « nous » avons à payer pour les extravagances d’hier et les promesses pour demain.

Les émeutes font du mal à la classe ouvrière pas au capitalisme

Comment s’inscrivent les émeutes de cet été dans le cadre que nous avons établi ?

En premier, les émeutes reflétaient la domination de la culture marchande plutôt qu’être un défi à celle-ci. Le pillage qui a eu lieu était une fin en lui-même, une répétition sous une forme altérée du message de la bourgeoisie selon lequel ce qui définit un individu, c’est une accumulation de marchandises. Voler une télévision sans avoir les moyens de s’en servir – pour prendre l’exemple donné par les situationnistes en 1965 et repris par un des commentaires sur les émeutes10- ne remet pas en question le spectacle marchand du capitalisme mais y succombe (quoique la véritable explication soit probablement beaucoup plus prosaïque, la télé étant vendue pour acquérir les moyens d’acheter des marchandises que ‘l’appropriateur’ puisse utiliser – ce qu’on peut comprendre mais ne représente guère une menace pour « la marchandise spectaculaire »). La notion de ‘shopping prolétarien », élaborée par certains peut sembler opposée aux lois et à la morale bourgeoises, mais est étrangère au cadre prolétarien de l’action collective pour défendre des intérêts communs ; l’acquisition individuelle de marchandises n’échappe jamais réellement aux prémisses les plus basiques de la propriété capitaliste Au mieux, une telle appropriation individuelle peut permettre à l’individu et à ses proches de survivre un peu mieux qu’avant. C’est compréhensible, on l’a déjà dit, mais pas une menace pour la culture de la marchandise.11

En second lieu, et beaucoup plus destructeur, les émeutes ont divisé la classe ouvrière et ont donné à la bourgeoisie une opportunité de saper les tentatives d’exprimer la combativité et l’unité au sein de la classe ouvrière qui s’étaient vues dans des luttes éparpillées ces dernières années et qui font part du développement international de la lutte de classe et de la prise de conscience que c’est une possibilité aujourd’hui. La réponse d’un très grand nombre de gens, y compris des membres de la classe ouvrière, qui a été de chercher à défendre leurs familles et leurs maisons contre les émeutes, bien que tout à fait compréhensible, n’était pas sur un terrain prolétarien, comme quelques anarchistes semblent le suggérer12, mais sur celui de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie. On pouvait le voir clairement dans la participation à la campagne de nettoyage qui a vu les émules de Boris Johnson, la maire de Londres, agitant un balai de façon ostentatoire devant les caméras.

Les émeutes ont renvoyé sa propre idéologie à la figure de la bourgeoisie. Ceux qui étaient dedans ne sont pas plus immoraux que la bourgeoisie « responsable » dont la morale maintient cette société d’exploitation et de désespoir. Cependant, la principale victime a été la classe ouvrière, en partie physiquement, mais surtout au niveau idéologique. La bourgeoisie n’en est pas seulement sortie indemne, mais plus forte et a poursuivi une campagne idéologique incessante depuis lors. La classe ouvrière n’a rien gagné en expérience d’auto organisation, tout au contraire, et sa conscience a été attaquée par le renforcement du chacun pour soi qui en a résulté et le réflexe de s’en remettre à l’Etat pour la sécurité. La façon dont les émeutes ont été utilisées par la bourgeoisie pour renforcer ses armes idéologiques et matérielles de contrôle est beaucoup plus significative que les émeutes elles mêmes.

Nous devons donc nous demander dans quelle mesure la bourgeoisie a permis aux émeutes de se produire ? La réponse de la police à la protestation de la famille Duggan était une provocation, mais probablement pas plus que celle dont sont souvent l’objet ceux qui ont été victimes de violence policière. On a beaucoup parlé des défaillances de la police au début, du manque de policiers, de leur abandon de la rue, et de leur incapacité à protéger les maisons et les boutiques. Est-ce que la police a simplement été prise par surprise ? C’est possible. Mais il est aussi possible qu’une fois la flamme allumée, ils aient battu en retraite. Dans ce scénario, « le scandale » qu’ont fait la presse et les politiciens à propos de la police qui abandonne la rue et les commentaires des familles et des « communautés » laissées à elles-mêmes pour se défendre, tout cela allait dans le même sens de monter une partie de la classe ouvrière contre une autre et de noyer toute reconnaissance de ses intérêts de classe communs dans un bourbier de peur et de colère.

La lutte de la classe ouvrière doit aller au-delà des limites imposées par la bourgeoisie, que ce soit la passivité ou les émeutes. Toutes deux expriment la domination de l’idéologie bourgeoise que la lutte de classe doit défier avec la solidarité, l’action collective et en lui opposant sa perspective de libération de l’humanité de la domination de la marchandise et de toute la société de classe qui englobe celle de la bourgeoisie. Au 19e siècle, elle le faisait avec ses syndicats comme organes de masses, et avec les organisations politiques de la classe ouvrière. Dans la période actuelle, face au changement historique de situation dans laquelle le capitalisme est incapable de sortir de façon décisive de sa crise, et aux trahisons des syndicats et de beaucoup d’organisations qui avaient été avant ouvrières mais ont entraîné les travailleurs dans la guerre et les ont marchandés dans les négociations avec les patrons, la forme, mais pas le contenu, de ces luttes, doit changer. Aujourd’hui, les organisations de masse de la classe ouvrière tendent à se former et à disparaître au rythme des luttes, leur expression étant les assemblées de masse ouvertes, alors que les organisations politiques sont réduites à de petites minorités, très isolées de la classe ouvrière, et bien souvent hostiles les unes aux autres. Néanmoins, elles expriment la dynamique historique de la classe ouvrière, et à l’avenir, les confrontations à plus grande échelle et plus décisives avec la classe dominante ; le potentiel existe pour que la clase ouvrière passe des assemblées de masse aux conseils ouvriers qui unissent et organisent le pouvoir collectif de la classe ouvrière internationalement13 et au sein desquels les organisations politiques qui défendent les intérêts de la classe ouvrière ont l’obligation de travailler ensemble pour développer la dynamique de classe en fournissant une analyse basée sur les expériences historiques de la classe ouvrière et en développant une intervention construite sur cette analyse qui permette à la classe ouvrière de faire son chemin contre la bourgeoisie jusqu’à la victoire.

North (25 janvier)


1 Un tableau réalisé par The Guardian liste tous les lieux identifiés. En incluant des faubourgs de Londres séparément, le total serait de 42 lieux et 245 incidents. Certains d’entre eux, comme un incendie de poubelle à Oxford, sont difficilement qualifiables comme un acte « émeutier ». La plupart des émeutes ont eu lieu à Londres, Birmingham, Bristol, Coventry, Liverpool et Manchester.

2 Il a été estimé que le coût total des émeutes pour l’Etat serait de 133 millions de Livres, (The Guardian, 06/09/11) : « Les émeutes coûtent au moins 133 millions de Livres à ceux qui paient des impôts, disent les membres du parlement ». Les pertes individuelles et des magasins ne sont pas inclues dans ce total.

3 Des données émanant du ministère de la Justice en octobre montrent que parmi les 1400 personnes arrêtées et attendant la décision finale, plus de la moitié étaient âgés de 18 à 24 ans, et seulement 64 avaient plus de 40 ans. Voir aussi The Guardian, du 18 août, « Les émeutiers anglais : jeunes , pauvres et chômeurs ».

4Source : Communities, commodities and class in the august 2011 riots

5La catégorisation générale des cibles des émeutes est tirée des informations collectées par la recherche sponsorisée par le Guardian et de l’analyse faite par Aufheben.

6 Guardian du 5 septembre : « Derrière les émeutes à Salford : les jeunes sont en colère ».

7 Ibid.

8 Guardian : « Derrière les émeutes à Wood Green : une opportunité de faire avec les doigts le signe V (aussi injurieux dans certains pays anglo-saxons) en direction de la police

9 Guardian du 3 novembre : « Opportunism and dissatisfaction with police drove study finds”

10 « Lettre ouverte à ceux qui condamnent le pillage » par Socialisme et/ou Barbarie

11 Ce n’est pas une idée nouvelle. Dans une lettre à August Bebel (15 février 1886), Engels commente la casse de vitrines et le pillage de magasins de vin : « c’est le mieux pour installer un club impromptu de consommateurs dans la rue ».Cependant, Engels, peut-être, ne voyait pas cela comme une menace à l’ordre bourgeois.

12 Voir « Alarm on the riots », 13/08/11

13 Ici, l’intelligence et l’énergie déployées par quelques uns des émeutiers dans l’utilisation des media sociaux pour organiser et répondre aux événements et pour déjouer les forces de l’ordre et de la loi trouverons un débouché créatif.

 

Rubrique: 

Violence de classe

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Liens
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