Publié sur Courant Communiste International (https://fr.internationalism.org)

Accueil > Internationalisme - les années 2010 > Internationalisme - 2011 > Internationalisme no 351 - 3e trimestre 2011

Internationalisme no 351 - 3e trimestre 2011

  • 1169 lectures
[1]

Face aux conséquences de la crise mondiale, une seule classe, un même combat !

L’Organisation des Nations Unies vient de tirer la sonnette d’alarme. Son département des Affaires économiques et sociales a intitulé son dernier rapport publié fin juin “La crise sociale globale”! Les médias ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, tous y ont vu un clair avertissement pour les bourgeoisies du monde entier: face aux différents plans d’austérité et aux effets dévastateurs de la crise économique mondiale, le risque grandit de voir partout apparaître une montée de la combativité ouvrière.

 Dans tous les pays, la classe ouvrière retrouve le chemin de la lutte

Ces derniers mois ont été marqués par une actualité sociale internationale brûlante. En fait, les luttes sociales donnent l’impression de se répondre les unes aux autres, de se faire écho d’un pays à l’autre.

Durant l’automne 2010, le prolétariat vivant en France s’est mobilisé par centaines de milliers à de multiples reprises, dans d’immenses manifestations, pour protester contre une énième attaque du régime de retraite. Le fait le plus significatif de ce mouvement fut sans nul doute l’apparition, certes très minoritaire, d’assemblées spontanées et autonomes, hors de tout contrôle syndical. Qu’elles se nomment assemblées “interprofes-sionnelles”, “autonomes” ou “populaires”, elles ont chaque fois permis à quelques dizaines de travailleurs, chômeurs, étudiants, précaires et retraités de se regrouper et discuter pour se battre ensemble, collectivement. Ils ont ainsi tenté de prendre l’organisation de la lutte entre leurs propres mains. L’un des slogans les plus forts de ce mouvement et initié par la CNT-AIT à Toulouse a été?: “Libérons la parole!”.

A peine quelques semaines plus tard, c’est au tour de la jeunesse vivant en Angleterre de faire parler d’elle. Refusant une nouvelle augmentation du coût des inscriptions aux universités, ces jeunes – qui sont largement précarisés et très souvent endettés pour plusieurs années – ont rompu l’atonie sociale qui prévalait depuis les années de plomb de l’ère Thatcher. Dans les années 1980, cette “Dame de fer” de la bourgeoisie anglaise avait réussi, en effet, à briser moralement le prolétariat alors le plus combatif d’Europe, avec la défaite de la grève des mineurs. Le début du retour à la lutte de classe dans ce pays est donc un signe particu-lièrement prometteur pour le futur.

Et depuis le début de l’année 2011, les exploités ont encore fait un pas supplémentaire sur le chemin de la lutte contre le développement de la misère.

En Tunisie et en Égypte, face aux conditions de vie insupportables liées à la dégradation de la situation économique, mais aussi contre la répression et l’absence de toute liberté d’expression, de larges couches de la population se sont dressées contre les pouvoirs en place. En quelques semaines, le “Printemps arabe” et la “place Trahir” sont devenus les symboles du courage des masses face aux puissants et à la répression sanglante. Évidemment, ces “révoltes” ont été aussi marquées par d’importantes faiblesses. La lutte ne s’est pas réellement organisée collectivement au sein de ces immenses rassemble-ments sur les grandes places des villes; par exemple, à notre connaissance, il n’y a eu que très peu de réels débats collectifs en assemblées. Mais surtout, la colère s’est chaque fois focalisée sur un gouvernant, le dictateur en place (ou sur sa famille et son clan). “Ben Ali dégage!” et “Moubarak dégage!” étaient les slogans les plus populaires: il y avait là, indiscutablement, le faux espoir d’établir un nouveau régime plus humain car plus “démocratique”. Enfin, allant de pair avec cette illusion démocratique, le nationalisme a lui aussi marqué de son empreinte le “Printemps arabe”; les drapeaux nationaux ont envahi tous les lieux de rassemblement. L’ensemble de ces faiblesses est lié à la faiblesse du prolétariat dans cette région du monde; celui-ci est très combatif et courageux mais aussi très peu expérimenté. Il n’a pas été confronté, comme les travailleurs d’Europe occidentale, à des décennies de mensonges “démocratiques”, de réformes “démocratiques”, de sabotages syndicaux “démocratiques”…

Cela dit, bien plus que “la pression populaire” en général, ce sont surtout les grèves ouvrières qui ont réellement fait trembler les pouvoirs tunisien et égyptien, mais aussi américain et européen, et qui ont poussé la bourgeoisie à mettre hors circuit Moubarak et Ben Ali. Toutes les grandes bourgeoisies ont senti qu’il leur fallait éviter qu’une grève générale n’embrase totalement les grands centres industriels.

C’est d’ailleurs ce rôle, secondaire numériquement mais déterminant politiquement, que n’a pas pu jouer le prolétariat en Libye, au Yémen et en Syrie. Ici, sa quasi-inexistence n’a pu lui permettre d’empêcher le poison nationaliste de couler à flots dans les veines des “opposants” et de se répandre dans l’ensemble du mouvement, pour finalement tuer toute possibilité d’une lutte des exploités sur leur terrain de classe. Dans ces trois pays, les populations ont été enrôlées dans une guerre de cliques bourgeoises; elles n’ont là rien à y gagner et n’ont que la vie à y perdre! (1). Le “Printemps arabe” lègue donc à la classe ouvrière internationale trois leçons fondamentales:

– face au développement de la misère et à la répression sanglante, il n’y a pas d’autre choix que de relever la tête pour se battre dans la dignité. Comme le scandaient les manifestants sur la place Trahir “Maintenant, nous n’avons plus peur!”;

– la rue appartient aux exploités!;

– la force d’un mouvement de lutte contre la misère et la barbarie capitalistes dépend de la capacité de la classe ouvrière à s’organiser, à ne pas se laisser diluer dans la contestation interclassiste et à entraîner derrière ses propres mots d’ordre les autres exploités (et non le contraire).

C’est justement sur ces trois enseignements que s’est développé le “mouvement des Indignés” en Espagne.

Depuis trois ans, la crise économique frappe de plein fouet la péninsule Ibérique. Les plans d’austérité s’y succèdent les uns aux autres, engendrant une misère sans nom, et comme partout ailleurs les syndicats ne font qu’organiser des “manifestations-balades”, simulacre de lutte, pour encadrer et endiguer la colère. Mois après mois se rejoue depuis 2008 cette même scène sinistre d’un cortège de manifestants se rendant d’un point A à un point B, mobilisés pour une “journée d’action syndicale”, et rentrants chez eux démoralisés, avec un profond sentiment d’impuissance. Mais le courage et la combativité des exploités qui ont bravé la plus terrible des répressions en Tunisie et en Égypte ont allumé une flamme dans les yeux des jeunes travailleurs, chômeurs et précaires d’Espagne. Ceux que l’on appelle la “génération 600 euros” se sont inspirés des combats de leurs frères exploités de l’autre côté de la Méditerranée. Ils se sont, à leur tour, regroupés massivement sur les grandes places de plus de 70 villes du pays, notamment à Madrid et à Barcelone, pour prendre à leur tour l’organisation de la lutte entre leurs mains. “De la place Trahir à la Puerta del Sol” ou “Nous non plus, nous n’avons plus peur!”, sont autant de slogans qui témoignent de l’impact du “Printemps arabe”. Mais ces jeunes Indignés ont porté beaucoup plus loin le flambeau de la lutte.

Ils ont su organiser de grands débats collectifs à travers une multitude d’assemblées (assemblées générales ou populaires, assemblées de commissions et de quartiers…). Ils ont rejeté explicitement tous les grands partis bourgeois, de droite comme de gauche, ainsi que les centrales syndicales. Il faut dire que la présence à la tête de ce pays d’un gouvernement “socialiste” qui attaque sans relâche et férocement les conditions de vie, et la “trahison” quotidienne des syndicats pour accompagner ces attaques, ont permis une très large et profonde réflexion dans les rangs des exploités sur la véritable nature de ces officines.

Évidemment, ce mouvement a lui aussi présenté des faiblesses. En particulier, l’idéologie “alter-mondialiste”, préconisée par ATTAC et Democracia Real Ya, a désarmé en partie ce mouvement en transformant le slogan “Ni partis ni syndicats” en rejet de la “politique”. Cet “apolitisme” a permis en fait à toutes les fractions classiques de la gauche (socialistes, trotskistes, alter-mondialistes…) d’infiltrer le mouvement, de noyauter les AG et les commissions pour mieux empêcher toute possibilité d’extension massive du mouvement à l’ensemble de la classe ouvrière. Ils ont ainsi pu imposer à tous, à nouveau, leur idéologie démocratiste et réformiste (2).

Néanmoins, ce mouvement des Indignés est riche de promesses pour les luttes futures. Il est par exemple parvenu à gagner la sympathie et la solidarité des travailleurs: dans de nombreuses entreprises d’Espagne ont éclaté des grèves, des assemblées générales avec débat ont été organisées sur les places occupées par les jeunes Indignés. Et cet élan a largement dépassé les frontières. En France, en Belgique, au Mexique, au Portugal, en Chine, en Allemagne, aux États-Unis et surtout en Grèce (3), il y a eu aussi et il y a encore des assemblées régulières, bien plus minoritaires, où s’affirment la solidarité avec les Indignés et la volonté d’organiser la lutte. Au Portugal, on a pu lire des pancartes telles que “Espagne, Grèce, Irlande, Portugal?: notre lutte est internationale” (4). Mais c’est encore une fois en Espagne que la maturation de la conscience de classe a été la plus évidente. A Valence, on a pu entendre le slogan: “Ce mouvement n’a pas de frontières!”. Dans plusieurs campements ont été organisées des manifestations “pour la Révolution européenne”. Le 15 juin, il y a eu des démonstrations de soutien aux luttes en Grèce. Le 19 juin sont apparus, minoritaires, des slogans internationalistes comme “Joyeuse union mondiale” ou, en anglais, “World Revolution” (révolution mondiale). Sur la place de Catalogne à Barcelone, on a pu lire sur une pancarte le slogan: “Capitalisme, dégage!” ou encore?: “Dictature et démocratie sont les deux faces de la même médaille. Tous les États sont des assassins!”, etc. A Tarrasa (ville ouvrière de la banlieue de Barcelone), des jeunes ont affirmé, dans une assemblée générale des commissions: “Nous ne luttons pas pour la victoire immédiate, mais pour préparer le futur”.

Il s’agit là d’une avancée très importante. Évidemment, cette prise de conscience que les exploités du monde entier rament en fait dans la même galère, qu’ils sont tous marqués au fer rouge de la même exploitation capitaliste, que sans une lutte mondiale du prolétariat, nul salut… tout cela n’est pas encore partagé par tous les prolétaires et dans tous les pays. En Grèce par exemple, le mouvement est sur ce point largement en retard par rapport au mouvement des Indignés d’Espagne: les drapeaux nationaux grecs, les slogans nationalistes et anti-allemands qui jalonnent les manifestations à Athènes en témoignent. Mais de manière générale, le sentiment internationaliste avance lentement, mais sûrement, dans les têtes des exploités. Pendant des années, ce qu’on a appelé la “mondialisation de l’économie” servait à la bourgeoisie de gauche à susciter des réflexes nationalistes, ses discours consistant à revendiquer, face aux “marchés apatrides”, la “souveraineté nationale”. Autrement dit, il était proposé aux ouvriers d’être encore plus nationalistes que les bourgeois eux-mêmes! Avec le développement de la crise, mais aussi grâce à la popularisation d’Internet, des réseaux sociaux, etc., la jeunesse prolétarienne commence à renverser les choses. Il émerge un sentiment selon lequel, face à la globalisation de l’économie, il faut répondre par la “globalisation” internationale des luttes. Face à une crise économique et à une misère mondiales, la seule riposte possible est la lutte mondiale!

 La responsabilité du prolétariat des pays d’Europe occidentale (5)

 Jusqu’à présent, c’est donc le prolétariat d’Espagne qui a porté le plus loin les méthodes et les revendications qui vont nous permettre à l’avenir de nous unir dans la lutte en tant que classe, de nous organiser collectivement et de construire peu à peu un rapport de force en notre faveur. Et ce n’est pas là un hasard. L’Espagne est un pays touché brutalement par la crise économique mais, surtout, il est un pays démocratique d’Europe occidentale. Les prolétaires d’Espagne font partie des bataillons les plus expérimentés par des décennies de luttes, de victoires, de défaites et d’amères expériences. C’est dans les pays centraux d’Europe occidentale que la classe ouvrière est confrontée aux pièges démocratiques les plus sophistiqués. C’est dans cette région du monde (et notamment dans l’espace Schengen), composée d’une mosaïque d’États nationaux, que la question de l’internationalisme se pose de façon plus évidente. C’est sur le vieux continent européen, là où le capitalisme est né et où la bourgeoisie est la plus forte et la plus expérimentée sur le plan idéologique, que la classe exploitée pourra ouvrir une perspective et donner le signal de la révolution prolétarienne mondiale.

Cela ne veut pas dire que les combats prolétariens dans les autres parties du monde ne peuvent à leur tour rien apporter aux prolétaires d’Europe occidentale, loin de là! La classe ouvrière est une classe internationale, la lutte de classe existe partout où se font face prolétaires et capital. Les enseignements de toutes les luttes sont valables pour l’ensemble du prolétariat mondial quel que soit le lieu où elles éclatent. En particulier, l’expérience des luttes dans les pays de la périphérie influencera de plus en plus la lutte des pays centraux, comme on l’a vu en Tunisie et en Égypte. La détermination, le courage exemplaire et la massivité de la révolte des exploités de Tunisie et d’Égypte ont constitué un encouragement pour les luttes des exploités en Espagne comme dans tous les pays (par exemple en Grande-Bretagne).

Mais le prolétariat vivant en Europe occidentale a une responsabilité particulière. Ses 200 ans d’expérience doivent lui permettre de tracer le chemin vers la révolution pour tous les exploités du monde. Il doit parvenir, comme il commence timidement à le faire, à mettre en avant les méthodes de luttes qui, seules, peuvent permettre à toute la classe ouvrière de s’organiser collectivement, de prendre en main sa propre destinée. Et il doit surtout dévoiler à ses frères de classe des pays périphériques le vrai visage de la démocratie bourgeoise en déjouant ses pièges les plus dangereux et sophistiqués: les illusions démocratiques, réformistes, électoralistes, syndicales…

Ce n’est nullement là une vision “euro-centriste”. Le monde bourgeois s’est développé à partir de l’Europe, il y a développé le plus vieux prolétariat, qui de ce fait a été doté de l’expérience la plus grande. C’est le monde bourgeois qui a concentré sur un petit espace de terre autant de nations avancées, ce qui facilite d’autant l’épanouissement d’un internationalisme pratique, la jonction des luttes prolétariennes de différents pays…

Le cœur du monde capitaliste, l’histoire l’a situé depuis des siècles en Europe occidentale. C’est là où le capitalisme a fait ses premiers pas et c’est là que la révolution mondiale prolétarienne fera les siens.

 

Ces derniers mois de lutte, de l’Afrique du Nord à l’Europe occidentale, en passant par la Chine et les États-Unis, ont confirmé une nouvelle fois que le prolétariat est une seule et même classe sur toute la planète, qu’il mène le même combat pour l’émancipation de toute l’humanité dans tous les pays, sans distinction de race, de nationalité ou de religion. Comme l’écrivait déjà Engels en 1847 dans ses Principes du communisme: “La grande industrie, en créant le marché mondial, a déjà rapproché si étroitement les uns des autres les peuples de la terre, et notamment les plus civilisés, que chaque peuple dépend de ce qui se passe chez les autres. Elle a, en outre, uniformisé dans tous les pays civilisés le développement social à tel point que, dans tous ces pays, la bourgeoisie et le prolétariat sont devenus les deux classes décisives de la société, et que la lutte entre ces deux classes est devenue la principale lutte de notre époque. La révolution communiste, par conséquent, ne sera pas une révolution purement nationale; elle se produira en même temps dans tous les pays civilisés, c’est à dire tout au moins en Angleterre, en Amérique, en France et en Allemagne. (...) Elle exercera également sur tous les autres pays du globe une répercussion considérable et elle transformera complètement et accélérera le cours de leur développement. Elle est une révolution universelle; elle aura par conséquent, un terrain universel.” 

 Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!

Pawel /1.07.2011

 

(1) Lire notre article sur la Syrie au sein de ce même journal,

(2) Lire notre article concernant le piège de l’apolitisme, publié au sein de ce même journal,

(3) De nombreux articles au sein de ce journal ou sur notre site Internet détaillent les différentes luttes qui ont animé les exploités de ces différents pays ces derniers mois.

(4) Éléments repris du site espagnol https://www.kaosenlared.net/ [2]
(5) De très larges extraits de cette partie sont repris de notre article “Le prolétariat d’Europe occidentale au centre de la généralisation de la lutte de classe” qui date de 1982. Celui-ci, à notre sens, n’a rien perdu de sa force et de son actualité et nous en conseillons évidemment vivement sa lecture (article disponible sur notre site Internet).

Avec les mêmes mesures d'austérité qu'ailleurs, la Belgique n'a jamais été une exception

  • 1918 lectures

Enfin …… la Belgique aura son gouvernement. Huit différents partis ont pris leur responsabilité. Les "séparatistes" sont temporairement mis de côté pour pouvoir exécuter "dans l’union" un plan d’austérité solide. Après le record mondial en exercice comme premier d’un "gouvernement d’affaires courantes", Leterme pourra largement profiter d’un petit job bien payé par une institution internationale. Est-ce un retour vers une situation normale dans une Europe où les cours de la bourse oscillent? Qui peut maintenant pousser un soupir de soulagement: les politiciens ou la classe ouvrière?

Selon les nouvelles économiques, l’économie belge a connu une relative bonne période: maintenant cela ne peut que davantage s’améliorer. La situation économique était relativement stable. Au niveau social, c’était tranquille. La population s’est conduite calmement. Seuls les politiciens ont longtemps adopté une attitude irresponsable. Maintenant qu’eux aussi en sont arrivés à l’idée qu’une telle situation ne peut plus durer, la situation ne peut qu’aller mieux.

Est-ce effectivement ainsi? Ou veulent-ils simplement nous le faire croire? Bien qu’ un certain nombre d’affirmations mentionnées ci-dessus sont correctes, la situation économique belge jusqu’ici ne s’est pas détériorée seulement par le fait qu’elle pouvait parasiter l’économie d’un certain nombre de ses pays voisins.

Depuis des mois (en réalité depuis 2008 déjà), la Belgique a nouveau été confrontée à tout un "battage communautaire, nationaliste, (sous)-nationaliste, les chamailleries entre partis pour diviser les ouvriers, dévier leur attention, obstruer la conscience qu’ils font partie de la classe qu’on exploite au niveau international… " (….) "Et tout comme les gouvernements de tous les pays, l’ensemble des partis

Belges, unitaires ou régionalistes appellent les travailleurs à être "solidaires", c’est-à-dire à se serrer la ceinture, à accepter des sacrifices pour garantir le niveau concurrentiel du capital national." (Le problème n’est pas la crise de gouvernement, mais la crise du système capitaliste ; Internationalisme 349).

Mais, tandis que le système capitaliste plonge dans une crise économique mondiale de plus en plus effroyable, la Belgique a été toujours présentée comme une exception en Europe: 

- un Etat relativement épargné par la crise et l’austérité;

- un Etat où le problème essentiel n’était pas la question sociale, les luttes contre les licenciements et l’austérité, "l’indignation" des jeunes générations contre le manque de perspectives, mais la question de la scission d’un arrondissement électoral et les tensions communautaires entre Wallons "profiteurs’ et flamands "arrogants".

Mais contrairement à ce que prétendent les groupes gauchistes, ces "spécificités nationales", auxquelles font parfois aussi référence les gauchistes, sont un leurre. Plus spécifiquement en ce qui concerne la Belgique, c’est de point de vue de la classe ouvrière important á

a) dénoncer l’incroyable mystification à propos de la "spécificité belge" que la bourgeoisie a diffusée et diffuse dans la population en général et au sein de la classe ouvrière en particulier;

b) expliquer comment cette mystification a été rendue crédible ;

c) mettre en garde les travailleurs, les chômeurs et les jeunes contre la nouvelle vague d’austérité qui se prépare à court terme.

1. La mystification sur la bonne santé de l’économie Belge a été entretenue par l’ensemble des partis politiques qui affirment que "la Belgique résiste mieux à la crise", mais aussi par le gouvernement "démissionnaire" Leterme qui affirme que "le gouvernement a tout sous contrôle" et qu’il gère le pays "en bon père de famille". Cette mystification a largement pris eau cet été: la crise de la dette souveraine des Etats et la pression sur les obligations d’Etat en Europe, la crise de l’euro, la pression sur les banques et la bourse touchent tous les Etats d’Europe, y compris la Belgique.

- La pression devient de plus en plus importante sur les banques et sociétés d’assurance Belges et sur celles liées aux banques Françaises (Dexia, Kredietbank, Ethias, BNP Paribas Fortis, ...).

- La pression croît également sur la dette de la Belgique (ampleur de la dette et coût de l’argent emprunté).

- De nouveaux soubresauts économiques menacent, avec le ralentissement de la production en Allemagne, le premier partenaire économique de la Belgique et la crise bancaire aiguë qui touche la France.

- Enfin, l’instabilité de la gouvernance en Belgique est un facteur important de déstabilisation à l’époque actuelle.

 La brouillard nationaliste et sous-nationaliste est particulièrement intense en Belgique pour cacher la réalité de la crise et les enjeux qu’elle pose et ce serait une illusion de penser que la bourgeoisie s’attachera à le dissiper dans la période actuelle. D’ailleurs, ici aussi, il est erroné de voir un tel battage (sous-)nationaliste comme une "exception Belge". Avec l’approfondissement de la crise, en particulier en Europe, ce type de campagne s’accentue partout: en Allemagne, il y a la campagne contre "les Grecs menteurs et voleurs", en Hollande, c’est un sentiment anti-Européen qui est exacerbé sous la poussée du populiste Wilders, en Italie ou en Espagne, les régions riches (l’Italie du Nord, la Catalogne) veulent larguer les parties plus pauvres, ces "gouffres à subsides".

Ainsi, au-delà de ses spécificités, l’exacerbation des campagnes (sous-)nationalistes en Belgique, elle aussi, s’inscrit dans un cadre général marqué par l’enrayement croissant des mécanismes du capitalisme mondial. En effet, l’exacerbation des tensions au sein de la bourgeoisie américaine, au début d’août, sur les mesures budgétaires à prendre (réduire les dépenses ou stimuler la consommation) souligne bien que, sans nier les spécificités de l’Etat et de la bourgeoisie Belge, cette exacerbation des tensions entre fractions bourgeoises est une réalité internationale. Et elle exprime (de manière variable bien sûr selon les pays) avant tout la pression croissante de la crise historique du capitalisme sur la cohésion de l’ensemble des bourgeoisies de la planète.

2. Qu’est-ce qui a permis cette illusion d’une "Belgique qui échappe à la crise", qu’est-ce qui a pu lui donner un semblant de vérité ? En réalité, trois facteurs l’ont favorisé:

- la forte reprise de l’économie allemande après 2008 lui a attribué pour un temps le rôle de locomotive de l’économie mondiale. Or, ce pays est le premier partenaire économique de la Belgique, et, en conséquence, cette dernière en a aussi bénéficié. Entre 2008 et 2011 l’économie Belge était pour 65% dépendante de deux pays voisins (1): La France et l’Allemagne. Elle a donc pu "parasiter’ pendant quelques années sur les mesures de ces deux pays, en profitant du plan de relance de la France et de la croissance Allemande.

- la gestion des affaires s’est poursuivie. D’une part, le gouvernement fédéral étant en "affaires courantes’ depuis en gros 2008, la bourgeoisie a pu éviter la pression sur le budget des dépenses "partisanes’ classiques imposées par les partis gouvernementaux pour satisfaire leur électorat classique. D’autre part, les gouvernements régionaux, non démissionnaires, sont responsables de larges domaines de la gestion étatique, comme l’enseignement, la santé publique, l’écologie et la culture, et ont donc pu pleinement prendre les mesures d’austérité qui s’imposent dans ces domaines.

- mais le plus important, c’est que toute une série de mesures cadres pour imposer l’austérité ont été prises en douce, d’abord un premier plan d’austérité, concocté par Van Rompuy en 2009 et engagé depuis déjà deux ans: passer d’un déficit budgétaire de 6% en 2009 à 0% en 2015, soit 22 milliards d’euros d’économies en 2011. Mais ensuite aussi d’autres mesures, telles l’imposition d’un blocage des salaires strict pour 2011 et 2012 - comme en ont fait l’expérience les travailleurs du secteur des cimenteries- ou le non remplacement des fonctionnaires par gouvernement "d’affaires courantes" de Leterme.

3. Aujourd’hui, des attaques sans merci contre les conditions de vie de la classe ouvrière se préparent, à l’instar de ce qui se fait dans les autres pays d’Europe. Les mesures prises dans des pays comme la Hollande, la France, l’Italie ou l’Espagne donnent le cadre général et annoncent les mesures supplémentaires qui seront prises en Belgique. Les attaques prendront une double forme :

a. des mesures d’attaques globales contre l’ensemble de la classe ouvrière, en dessus des mesures déjà prises dans le cadre du plan "pluriannuel" 2010-2015 de Van Rompuy, justifiées à partir de la défense de l’Europe et de l’euro contre la crise mondiale (cf. les différentes mesures proposées par le formateur E. Di Rupo):

- réduction budgétaires dans les soins de santé, menaçant la qualité des soins aux patients;

- réduction et même suppression des allocations pour les chômeurs de longue durée, y compris chefs de famille et sans cohabitant + sanctions renforcées contre les chômeurs, suppression de l’allocation d’attente pour les jeunes;

- limitation du droit au crédit d’heures et à la pause carrière;

- suppression de la prise en compte des périodes de chômage, de retraite anticipée et de crédit d’heures pour la retraite;

- la limitation de l’accès à la retraite anticipée, sans même attendre l’évaluation des résultats du Pacte des générations par les partenaires sociaux;

- la limitation du départ à la retraite à 60 ans;

-une attaque contre les retraites des fonctionnaires.?  

L’accroissement de la pression sur les banques (cfr Dexia) et sur la dette de l’Etat imposera des mesures supplémentaires (impôts nouveaux et/ ou restrictions budgétaires plus drastiques) pour renflouer les banques ou pour supporter le coût de la dette.

b. l’exacerbation de la concurrence entre les régions, au nom d’une régionalisation plus poussée.

Cette dernière dynamique mènera à l’exploitation des tensions communautaires sur le plan économique à travers l’organisation d’une concurrence interne entre régions: fiscalité différenciée entre régions pour "attirer les entreprises", financement des régions partiellement lié à l’atteinte de critères de rentabilité et d’efficacité (exemple le budget pour les allocations chômage sera lié à l’efficacité de la politique de "mise au travail" des chômeurs). La concurrence et la course à la performance entre les régions impliqueront une pression accrue sur les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière.

 4. Pour la classe ouvrière en Belgique, la situation ces dernières années a été difficile et cela va encore rester difficile pendant une certaine période: les campagnes et les divisions qu’on fait avaler restent intenses. La classe ouvrière ne sera pas seulement confrontée à une perduration des campagnes de division mais aussi dans un premier temps, par la mise en place du nouveau gouvernement, à son propre soulagement du fait que les affaires au niveau de la gestion de l’Etat belge sont enfin réglées.

Toutefois, les éléments avancés dans cet article démontrent bien que le décalage avec la situation sociale dans les autres pays d’Europe est plus une question de perception et de prise de conscience qu’une réalité objective: la réalité économique et sociale en Belgique est complètement similaire à celles de pays comme la France ou les Pays-Bas.

Aussi, la situation sociale peut évoluer très vite, comme l’ont illustré le "printemps arabe’ et les événements en Espagne ou en Angleterre. Bien qu´une hésitation dans le premier temps est plus que probable; très vite la classe ouvrière en Belgique peut retrouver le chemin de la lutte. Et une fois en mouvement, elle peut très bien réagir avec encore beaucoup plus de combativité et de détermination qu’ailleurs. Sur ce plan-là aussi, contrairement aux campagnes de la bourgeoisie, la Belgique n’est pas une exception n

Ricardo / 29.09.2011

 

(1) www.ing.be/xpedio/groups/internet/ [3]@public/@bbl/@publications/documents/portalcontent/502395_nl.pdf.

 

Situations territoriales: 

  • Situation économique en Belgique [4]

Rubrique: 

Belgique

Débat ouvert entre internationalistes sur la nature de classe de la Révolution russe

  • 1676 lectures

"Ces dernières années, les communistes de gauche du Courant Communiste International (CCI) ont beaucoup écrit sur l’anarchisme. Nous nous concentrons ici sur le courant dont fait partie aussi De Vrije Communist: l’anarchisme internationaliste.

"Il apparaît clairement que l’anarchisme constitue un lieu où s’affrontent des positions ouvertement bourgeoises et nationalistes et des positions prolétariennes internationalistes." (Les anarchistes et la guerre (4e partie), L’internationalisme, une question cruciale).

Le CCI a écrit deux séries d’articles sur l’anarchisme. La première série traitait de l’anarchisme et la guerre. La deuxième série portait sur la Gauche Communiste et l’anarchisme internationaliste. Le CCI fait une distinction entre les différents courants anarchistes.

A juste titre, le CCI pointe les convergences avec l’anarchisme internationaliste. Il s’agit essentiellement de deux terrains de convergence: le rejet des élections et celui de la guerre. En effet, les anarchistes internationalistes ne prennent pas position en faveur de l’un ou l’autre camp de la classe dominante.

Le CCI énumère aussi les différences les plus importantes entre le CCI et l’anarchisme internationaliste: le CCI est centraliste, matérialiste, pour une période de transition de l’Etat et pour la prise de pouvoir de Lénine en Russie en octobre 1917. L’anarchisme internationaliste est fédéraliste (pour une organisation partant de la base), idéaliste, pour une suppression immédiate de l’Etat et contre la prise de pouvoir de Lénine en Russie en octobre 1917.

Les anarchistes internationalistes ont une tout autre forme d’organisation que les communistes de gauche. Et les anarchistes internationalistes rejettent toute survie "momentanée" de la dictature pendant une soi-disant période de transition. Cela ne pourrait pas mener vers une autre société. On ne se défait plus d’une telle dictature "momentanée". Les nombreuses dictatures marxistes du vingtième siècle l’ont amplement démontré.

Une autre différence entre les communistes de gauche et les anarchistes internationalistes est peut-être aussi que les anarchistes internationalistes ont un terrain d’intérêt plus large et se consacrent plus souvent à des sujets qui ne sont pas complètement réductibles à la lutte de classe.

Les communistes de gauche veulent engager la discussion avec les anarchistes internationalistes et collaborer avec eux. Entre temps, aux Pays-Bas, on a vu un début d’une telle collaboration. Les Kritische Studenten Utrecht (KSU)[Etudiants critiques d’Utrecht], le Anarcho-Syndicalistische Bond (ASB)[La ligue Anarcho-Syndicaliste] et le Courant Communiste International (CCI) ont fait une déclaration commune sur les actions contre les coupes salariales chez le Viva ! Zorggroep [Groupe de soignants Viva]."

De Vrije Communist

 

(1)De Vrije Communist, à commander chez "Woorden van Rebellen", Amsterdam, n° du compte 87.12.25.115.

 


 

 

Nous saluons la publication de l’article ci-dessus dans le Vrije Communist. Il constitue une contribution sérieuse au développement du débat entre organisations qui se situent sur le caractère internationaliste de la lutte et qui réfutent la voie parlementaire de réforme durable, fondamentale à l’intérieur du capitalisme comme une illusion. Car au-delà de nos divergences, parfois importantes, nous partageons en effet des positions révolutionnaires essentielles: l’internationalisme, le rejet de toute collaboration et de tout compromis avec des forces politiques bourgeoises, la défense de “la prise en main des luttes par les ouvriers eux-mêmes”. Mais comme nous l’avons exprimé dans la série d’articles dans la presse, il existe aujourd’hui encore, de part et d’autre certaines craintes à débattre et à collaborer. Pour dépasser ces difficultés, il faut être persuadé d’appartenir bel et bien au même camp, celui de la révolution et du prolétariat, malgré les divergences. Mais cela ne peut suffire. Nous devons aussi faire un effort conscient pour cultiver la qualité de nos débats. Et l’article dans le Vrije Communist en est un bon exemple. (2)

L’article pose effectivement de façon claire, et selon nous c’est aujourd’hui de loin le plus important, que la Gauche communiste et l’anarchisme internationaliste aient une base commune. L’article développe également quelques points de divergence. Nous espérons que notre réaction peut contribuer au prolongement d’une discussion fructueuse entre anarchistes internationalistes et communistes de gauche où que ce soit. Ceci malgré le fait, et nous en sommes pleinement conscients, que les premiers ont une toute autre conception de l’Etat de transition, de la révolution Russe et sur d’autres points.

Avec cette courte réaction nous aimerions déjà aborder quelques points concernant les divergences mentionnées.

Est-ce que la Gauche communiste est, comme le dit le texte ci-dessus: " pour la prise de pouvoir de Lénine en Russie en octobre 1917" ? ou encore "Et les anarchistes internationalistes rejettent toute survie "momentanée" de la dictature pendant une soi-disant période de transition. Cela ne pourrait pas mener vers une autre société. On ne se défait plus d’une telle dictature "momentanée ". Les nombreuses dictatures marxistes du vingtième siècle l’ont amplement démontré."

Nous comprenons très bien que c’est le point de divergence qui est développé en premier lieu dans le texte. Si nous relisons le " jeune " Marx d’avant la Commune de Paris, le social-démocrate Kautsky ou même divers écrits de Lénine ou Trotski, alors il y a matière à douter de la validité de certaines positions marxistes. En vue d’approfondissements complémentaires de ces questions, il est justement important de savoir de quel type d’expérience il s’agit. La Révolution russe a t’elle été une révolution ouvrière? Ou bien a t’elle été un coup d’Etat, fomenté par un parti bourgeois particulièrement habile dans la manipulation des masses? Le stalinisme a t’il été le produit "naturel" de cette révolution ou bien en a t’il été le bourreau? Suivant la réponse que l’on donne à ces questions élémentaires, les enseignements que l’on tirera seront évidemment radicalement opposés.

"Les idéologies staliniennes "reconnaissent" une nature prolétarienne (ils préfèrent en général parler de "populaire"), à la révolution d’Octobre. Mais la version totalement défigurée qu’ils en donnent n’a d’autre objectif que de faire oublier l’effroyable répression à laquelle le stalinisme s’est livré contre les ouvriers et les bolcheviks qui en avaient été les protagonistes; de tenter de justifier ce qui restera comme un des plus grands mensonges de l’histoire: l’assimilation du capitalisme d’Etat comme synonyme de "commu-nisme".(…) D’autres se contentent de parler de mouvement nationaliste en vue de moderniser le capitalisme russe. (…) En somme une révolution bourgeoise (…). D’autres parlent de "révolution ouvrière" pour Octobre 1917 et s’accordent avec les staliniens pour considérer l’Union Soviétique comme un pays " communiste ", mais ce n’est que pour mieux décrire les horreurs du stalinisme en en déduisant: "c’est à cela, et seulement à cela que peuvent conduire des mouvements révolutionnaires à notre époque".

"C’est lorsque le prolétariat mondial se trouvera devant la tâche d’organiser collectivement une insurrection armée qu’ils ressentiront massivement le besoin de posséder les leçons d’octobre 1917. C’est lorsqu’ils seront confrontés à des questions telles que: savoir qui exerce le pouvoir; ou bien: quels rapports doit il y avoir entre le prolétariat en armes et l’institution étatique qui surgira au lendemain des premières insurrections victorieuses; ou bien encore: comment réagir face aux divergences entre secteurs importants du prolétariat; qu’ils comprendront les véritables erreurs commises par les bolcheviks (en particulier dans la tragédie de Kronstadt en 1921)." (De l’introduction de la brochure sur la Révolution Russe)

 

Finalement un passage d’un texte ultérieur qui traite également un des aspects que le Vrije Communist soulève: "C’est en fait de l’intérieur, (…), que surgit la contre-révolution et que se reconstitua le pouvoir de la bourgeoisie du fait du processus d’absorption du parti bolchévik par l’Etat. Gangrené (…), le parti bolchevik tendit de plus en plus à substituer la défense des intérêts de l’Etat soviétique au détriment des principes de l’internationalisme prolétarien. Après la mort de Lénine en 1924, Staline, principal représentant de cette tendance vers l’abandon de l’internationalisme, aida la contre-révolution à s’installer (…). Le bastion prolétarien russe s’effondra de l’intérieur et la chasse aux révolutionnaires internationalistes fut ouverte dans le parti. (…).. L’URSS devenait un pays capitaliste à part entière où le prolétariat était soumis, le fusil dans le dos, aux intérêts du capital national, au nom de la défense de la “patrie socialiste”. (Internationalisme n° 234, octobre 1997) n

 Wereldrevolutie/Internationalisme / 27.09.2011

 

(2)Notons aussi l’initiative prise par le AKG (Collectif Anarchiste Gand) à organiser ensemble avec le CCI, les " Lege Portemonnees " et le Catholic Workers des débats sur la perspective de la lute contre le capitalisme et sur comment unir nos forces.

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Russe [5]

S'indigner, oui ! contre l'exploitation capitaliste ! (à propos des livres de Stéphane Hessel "Indignez-vous !" et "Engagez vous !")

  • 1537 lectures

Indignez-vous! et Engagez-vous! de l’écrivain, poète et diplomate français Stéphane Hessel, sont de véritables “best-sellers”. Ils constituent déjà une référence pour tous ceux qui réfléchissent sur l’injustice de ce monde. Le mouvement de grogne sociale qui vient de parcourir l’Espagne (et dans une bien moindre mesure d’autres États d’Europe) s’est même donné pour nom los Indignados en référence explicite à son premier livre (1)

 Indignez-vous! est un fascicule d’une trentaine de pages. Il a été traduit en plusieurs langues, vendu à des millions d’exemplaires sur l’ensemble de la planète, à un prix dérisoire pour qu’il soit le plus largement diffusé. Cette publication a rencontré immédiatement un immense succès. Et pour cause, son titre est à lui seul un cri de révolte contre la barbarie de ce monde. Il correspond parfaitement au sentiment général qui grandit dans les rangs des opprimés : les horreurs qui ravagent la planète, de la misère à la guerre, sont ressenties comme de plus en plus insoutenables et révoltantes. Le “Printemps arabe”, en Tunisie et en Égypte, et le mouvement des Indignés en sont une claire manifestation.

 De quelle société rêve Stéphane Hessel? (2)

 Stéphane Hessel est un homme de 93 ans qui a encore la force de clamer son indignation face à ce monde inique. En tant que tel, cela ne peut que forcer l’admiration et provoquer la sympathie. Mais au final, pour quel monde nous propose-t-il de nous battre ?

Dès le début de son livre, Stéphane Hessel fait l’apologie des principes et des valeurs qui ont amené le Conseil national de la Résistance (CNR) (3) à élaborer un programme économique à la fin de la Seconde Guerre mondiale. A la question “est ce que ces mesures sont toujours d’actualité?”, Hessel répond “Bien entendu, les choses ont changé en soixante-cinq ans. Les défis ne sont pas les mêmes que ceux que nous avons connus à l’époque de la Résistance. Le programme que nous proposions à l’époque ne peut donc plus s’appliquer intégralement aujourd’hui, et il ne faut pas faire de suivisme aveugle. Par contre, les valeurs que nous affirmions sont constantes, et il faut s’y attacher. Ce sont les valeurs de la République et de la démocratie. Je pense que l’on peut juger les gouvernements successifs à l’aune de ces valeurs. Il y avait dans le programme du Conseil de la Résistance l’affirmation d’une vision, et cette vision est toujours valable aujourd’hui. Refuser le diktat du profit et de l’argent, s’indigner contre la coexistence d’une extrême pauvreté et d’une richesse arrogante, refuser les féodalités économiques, réaffirmer le besoin d’une presse vraiment indépendante, assurer la sécurité sociale sous toutes ses formes… nombre de ces valeurs et acquis que nous défendions hier sont aujourd’hui en difficulté ou même en danger. Beaucoup des mesures qui ont été récemment adoptées choquent mes camarades résistants – car elles vont à l’encontre de ces valeurs fondamentales. Je pense qu’il faut s’en indigner, notamment chez les jeunes. Et résister!” (4). Mais alors qui est responsable de cette situation? “…le pouvoir de l’argent, tellement combattu par la Résistance, n’a jamais été aussi grand, insolent, égoïste, avec ses propres serviteurs jusque dans les plus hautes sphères de l’État. Les banques, désormais privatisées se montrent d’abord soucieuses de leurs dividendes, et des très hauts salaires de leurs dirigeants, pas de l’intérêt général. L’écart entre les plus pauvres et les plus riches n’a jamais été aussi important; et la course à l’argent, la compétition autant encouragée” (). Pour Hessel, la démocratie doit guider l’action des dirigeants, cette démocratie plus soucieuse de l’intérêt général en opposition à l’égoïsme des financiers et autres banquiers: “les responsables politiques, économiques, intellectuels et l’ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l’actuelle dictature des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie” (). Voici donc le sacro-saint intérêt général qui réunit les politiciens, les patrons de l’industrie côte à côte avec les travailleurs, les chômeurs, les étudiants, les retraités, les précaires... Autrement dit, la démocratie de Stéphane Hessel, c’est ce mythe, cette escroquerie, où exploiteurs et exploités sont mis comme par magie sur un pied d’égalité, où ils sont censés avoir les mêmes “droits et devoirs”, et les mêmes intérêts démocratiques en tant que citoyens contre la dictature des financiers. Et pour aboutir à quoi? “Aujourd’hui, c’est en réfléchissant, en écrivant, en participant démocratiquement à l’élection des gouvernants que l’on peut espérer faire évoluer intelligemment les choses… bref, par une action de très long terme” (). Et quel camp Hessel nous propose-t-il de défendre? “Je me considère toujours comme socialiste – c’est-à-dire selon le sens que je donne à ce terme, conscient de l’injustice sociale. Mais les socialistes doivent être stimulés. J’ai l’espoir de voir émerger une gauche courageuse, impertinente s’il le faut, qui puisse peser et défendre une vision et une conception des libertés des citoyens. De plus, il me semble important qu’il y ait des Verts dans les institutions, pour que la notion de préservation de la planète progresse” (). Finalement, pour Hessel, notre indignation doit déboucher sur un slogan que nous connaissons déjà, le fameux “il faut aller voter”… pour un nouveau programme alternatif (qui fera l’objet d’une nouvelle publication), inspiré du CNR, regroupant toutes sortes d’éléments, de la gauche radicale aux altermondialistes, en passant par des syndicalistes, en fait des partis et des organisations qui ont le sens de l’intérêt général… capitaliste. Heureusement que ces millions de jeunes, à qui Hessel s’adresse tout particulièrement, au Portugal et en Espagne, n’ont pas écouté tous ces discours citoyens de gauche et ont boudé les urnes. Il faut dire qu’ils ont eu l’occasion de voir les gouvernements socialistes de leur pays respectif à l’œuvre ; ils ont vu quelles mesures d’austérité draconiennes les partis socialistes étaient capables d’adopter de façon toute démocratique (ce qui est aussi vrai pour la Grèce d’ailleurs); ils ont tâté de la matraque de la très démocratique police du très démocratique gouvernement socialiste de Zapatero!

Malgré tout, Hessel persiste dans son soutien à ces partis en déclarant: “Qu’est-ce que cela impose comme tâche aux membres de la jeune génération? C’est de prendre au sérieux les valeurs sur lesquelles ils fondent leur confiance ou méfiance dans ceux qui les gouvernent – c’est le principe de la démocratie, par lequel on peut avoir de l’influence sur ceux qui prennent des décisions” (9). Quelle influence cette jeune génération peut-elle avoir sur ces États démocratiques qui lui imposent tant de misère? Peut être, remplacer un ministre devenu impopulaire… et alors? Quel véritable changement? Aucun! Dans tous les pays, que les gouvernants soient de droite ou de gauche (ou d’extrême-gauche comme en Amérique latine), le fossé devient de plus en plus profond entre l’immense majorité de la population en proie à une dégradation généralisée de ses conditions de vie et un pouvoir étatique démocratique bourgeois prônant une politique d’austérité afin d’éviter la banqueroute économique. Il ne peut en être autrement! Derrière le masque démocratique de l’État se cache toujours la dictature du Capital.

Pas touche au capitalisme!

 “Ma génération a contracté une véritable allergie à l’idée de révolution mondiale. Un peu parce que nous sommes nés avec elle. Moi qui suis né en 1917, année de la Révolution russe, c’est une caractéristique de ma personnalité. J’ai acquis le sentiment, peut être injuste, que ce n’est pas par des actions violentes, révolutionnaires, renversant les institutions existantes, que l’on peut faire progresser l’histoire”(10). Et plus loin Hessel continue encore: “Dans toutes les sociétés existe une violence latente qui est capable de s’exprimer sans retenue. Nous avons connu cela avec les luttes de libération coloniale. Il faut avoir conscience que des révoltes, ouvrières par exemple, sont encore possibles. Mais c’est peu probable étant donné la façon dont l’économie s’est développée et globalisée. Le genre Germinal, c’est un peu dépassé” (). Voilà l’appel que lance Hessel à la jeune génération: ôtez-vous de la tête toute idée de révolution mondiale, toute idée de lutte de classe! C’est du passé! Essayez plutôt d’améliorer le fonctionnement de ce système. Comment? C’est là que Hessel a une idée “géniale et innovante”… avancée mille fois par toute la gauche depuis un siècle: la création d’un Conseil de sécurité économique et social, réunissant les États les plus puissants de la planète, une sorte de gouvernance mondiale. Cet organisme mondial aurait comme objectif de réguler l’économie, ce qui éviterait les crises en exerçant un contrôle efficace sur toutes ces grandes institutions financières, avides de profits et de pouvoir. Rappelons simplement que la Société des Nations (SDN), qui est devenue ensuite l’Organisation des Nations Unies (ONU), a été créée à la suite de la Première Guerre mondiale en suivant officiellement un raisonnement presque identique: empêcher le retour de la guerre par un organisme international conciliant l’intérêt des nations. Résultat? La Seconde Guerre mondiale et… 14 jours de paix dans le monde depuis 1950! En fait, ce monde est divisé en nations capitalistes concurrentes les unes des autres: elles se livrent une guerre économique sans merci et, quand nécessaire, l’arme au poing. Toutes les “gouvernances mondiales” qui existent (OMC, FMI, ONU, OTAN…) ne sont que des repères de brigands où les États poursuivent leur lutte impitoyable. Mais avouer cela, ce serait reconnaître ce que veut absolument évacuer à tout prix Stéphane Hessel: la nécessité d’un nouveau système mondial et donc d’une révolution internationale!

Il préfère envoyer les jeunes dans des impasses plutôt que de leur indiquer un chemin qui les mènerait vers une remise en cause trop radicale à ses yeux de ce système d’exploitation. Il les encourage donc à faire pression sur leurs États pour que ceux-ci mènent une nouvelle politique au sein de son nouveau Conseil de sécurité économique et social. Pour lui, il suffirait d’une intervention massive de la société civile, d’une mobilisation citoyenne d’ampleur, pour influer sur les décisions des États. Cet engagement devrait aussi se conjuguer avec une implication plus grande dans les ONG et autres réseaux associatifs car les défis, et donc les combats, sont multiples: écologiques, sociaux, antiracistes, pacifiques, pour une économie solidaire...

En fait, fondamentalement, Hessel nous ressert la vieille soupe réformiste: avec quelques ingrédients bien choisis (une implication citoyenne de la population, un vote intelligent..), le capitalisme pourrait cesser d’être ce qu’il est, un système d’exploitation, et pourrait devenir plus humain, plus social.

Réforme ou révolution?

“L’histoire est faite de chocs successifs, c’est la prise en compte de défis. L’histoire des sociétés progresse, et au bout, l’homme ayant atteint sa liberté complète, nous avons l’État démocratique dans sa forme idéale” nous dit Hessel dans Indignez-vous!. C’est vrai, l’humanité est face à un défi: trouver la solution à tous ses maux ou disparaître. Au cœur de cet enjeu: la nécessité de transformer la société. Mais quelle transformation? Peut-on réformer le capitalisme ou doit-on le détruire pour construire une autre société?

Réformer le capitalisme est un leurre, c’est se soumettre à ses lois, à ses contradictions qui mènent l’humanité à la misère, à la guerre, au chaos, à la barbarie. Le système capitaliste est un système d’exploitation, peut-on rendre humaine une exploitation? Peut-on rendre humain un système dont le seul objectif est de permettre à une classe d’accumuler des richesses en faisant du profit sur le dos de millions de travailleurs? Et quand la concurrence entre capitalistes devient plus aiguë, que la crise économique mondiale fait rage, alors c’est la classe ouvrière qui en paie durement le prix: chômage de masse, précarité généralisée, surexploitation sur les lieux de travail, baisse des salaires… Pourtant, tout est là pour que les être humains puissent subvenir à leurs besoins élémentaires et construire une société sans classes, donc sans injustices, sans barbarie guerrière, en abolissant les frontières. Seule la classe ouvrière peut porter la perspective d’un tel monde. C’est d’ailleurs ce qui est déjà en germe dans le mouvement des Indignés: l’entraide, le partage, la solidarité, le dévouement, la joie d’être ensemble… Ce formidable mouvement social que nous avons vécu en Espagne n’est pas un feu de paille, il annonce les futures luttes qui vont se développer un peu partout dans le monde, des luttes qui verront la classe ouvrière se mobiliser de plus en plus massivement, entraînant derrière elle toutes les couches opprimées par ce système; des luttes qui vont de plus en plus s’affirmer contre l’inhumanité du capitalisme, et d’où émergera une conscience plus aiguë d’un nécessaire changement de société pour construire une nouvelle humanité n

Antoine/02.07.2011

 

(1) Stéphane Hessel est très connu en Espagne, au moins autant qu’en France. Il y vit et a pour ami Jose Luis Sampedro, écrivain et économiste espagnol et, surtout, initiateur de Democracia Real Ya. Jose Luis Sampedro a d’ailleurs publié un pamphlet inspiré de son alter ego et a écrit la préface d’Indignez-vous ! pour l’édition de son pays.

(2) Le CNR est pour Stéphane Hessel la référence historique, l’exemple à suivre. Nous reviendrons prochainement de façon plus détaillée sur cette question précise.

(3) Indignez-Vous!, p. 15.

(4) Idem, p. 11.

(5) Idem, p. 12.

(6) Engagez-vous!, p. 16.

(7) Idem, p. 43 et 44.

(8) Engagez vous !, p. 22.

(9) Idem, p. 20.

(10) Idem, p. 21.

(11) Idem, p. 21.

Personnages: 

  • Hessel [6]

Avec la terreur, le risque d'une aggravation du chaos en Syrie

  • 1358 lectures

Dans la lignée des révoltes du printemps dans les pays arabes, la population syrienne a commencé à la mi-mars à manifester pour réclamer le départ de son dirigeant suprême et un régime “démocratique”. Devant ce mouvement populaire exprimant le ras-le-bol des conditions de vie de plus en plus intolérables imposées par la junte de la clique issue du régime d’Hafez-al-Assad, le “renard du désert” et père de l’actuel dictateur, c’est une violente répression qui s’est abattue et n’a cessé de s’accentuer: 1.600 morts, on ne sait combien de blessés, et 12.000 réfugiés, principalement en Turquie mais aussi au Liban où plusieurs centaines de personnes ont fui. Cette répression s’abat tous azimuts pour semer la terreur et brandir à la face du monde la volonté de Bachar al-Assad de rester en place, contre vents et marées. Des villages, des bourgs, sont privés d’eau, d’électricité, d’approvisionnement, “pour l’exemple”, c’est-à-dire pour rien, tandis que les habitants sont abattus pendant leur fuite devant les exactions de la soldatesque syrienne aux ordres. Les villes “rebelles” sont bombardées. Le recours à la torture, déjà quotidienne auparavant connaît des sommets d’horreur. Souvenons-nous que c’est celle infligée à cinq enfants qui avait été un des éléments déclencheurs de la révolte populaire, à la mi-mars. Les forces de l’ordre ouvrent systématiquement le feu dans les manifestations et les faubourgs de Damas sont livrés avec une intensité grandissante à la vindicte de l’armée ou aux tirs de snipers recrutés pour l’occasion. La situation est même devenue tellement odieuse que des désertions de militaires sont apparues, désertions réprimées dans le sang, comme celle de Jisr Al-Chouhour le 5 juin où il semblerait que 120 soldats déserteurs aient été abattus par l’armée elle-même. Le gouvernement s’est bien sûr empressé de mettre ces meurtres sur le compte des “terroristes armés qui sèment le chaos”. C’est d’ailleurs le prétexte mis en avant par le régime syrien dans sa fuite en avant dans la répression, qui n’est pas sans rappeler celui des États-Unis et de ses alliés pour justifier la guerre en Irak et en Afghanistan, ou celui de la Russie en Tchétchénie, etc.

Pour l’heure, l’État syrien joue la carte de la confusion. Ainsi, tout en élargissant inexorablement la répression à tout le pays, Bachar al-Assad promet un programme de réformes pour le 10 juillet, programme dont aucune ligne n’a encore été officiellement tracée. Avec une situation économique catastrophique, on se demande ce qu’il va bien pouvoir tenir sinon davantage de balles pour les manifestants. De plus, pour essayer de mieux clouer le bec à toute opposition, il s’efforce d’organiser des manifestations en sa faveur, dont on ne sait pas trop si les participants y sont vraiment volontaires, comme à l’époque des manifestations massives à la “gloire” du stalinisme et le fusil dans le dos, stalinisme avec lequel son père avait connu une longue lune de miel durant la “Guerre Froide” opposant les États-Unis et l’URSS. Un simulacre de réunion “d’opposants” au régime a même été organisé à Damas le 26 juin, sous l’œil complaisant de forces de l’ordre qui n’en ont pas moins continué de tabasser et assassiner toute une population “opposante”. Tout cela ne leurre personne, mais permet de gagner du temps.

Et c’est aussi et surtout la carte de l’extension du chaos à toute la région que brandit la Syrie. L’installation massive de l’armée à la frontière turque, ses incursions militaires brutales dans des villages de plus en plus proches de la frontière avec la Turquie, alors que cette zone est loin d’être l’épicentre de la révolte, sont un message clair d’al-Assad à toute la “communauté internationale": pas touche où je sème le désordre. Alors que la Turquie a déjà fort à faire avec ses régions limitrophes du Kurdistan irakien et iranien, alors que le chef d’État turc, Erdogan, s’inquiète d’un embrasement de ses frontières avec la Syrie et de la survenue d’une réelle catastrophe humanitaire qui en serait la conséquence, Damas menace de mettre le feu aux poudres et d’ouvrir un nouveau front de tensions militaires. Dans ce jeu de “je te tiens, tu me tiens, par la barbichette”, la Syrie est en position de force car il est hors de question pour l’État turc de se permettre le moindre dérapage, obligé pour assurer la défense de ses propres intérêts, de maintenir l’ordre impérialiste au nord du Moyen-Orient. C’est dans le même sens que la pression est mise sur le Liban, à travers les attaques sur Kseir, limitrophe de la Syrie avec le Golan, que Damas revendique historiquement, et qui a été la cause depuis les années 1970 de dizaines d’années de guerre et de massacres. Cependant, derrière le Liban, il y a un énorme problème, c’est celui d’Israël, qui a tout récemment durci sa position sur les questions palestinienne et du Liban. En venant exciter les tensions au sud de son territoire, la Syrie vient là aussi agiter la menace d’une aggravation des tensions guerrières, avec des résultats certainement plus risqués, ne serait-ce que du fait que le chef d’État israélien, Netanyahou, mène résolument une politique anti-arabe et anti-palestinienne provocatrice.

Les pays développés, dont certains au sein de l’ONU ont produit un “projet” de résolution il y a déjà un mois (Allemagne, Grande-Bretagne, France et Portugal), ont bien compris qu’il fallait prendre la situation avec des pincettes, car au-delà du chaos potentiel que représente un changement de régime en Syrie, c’est toute la région qui peut connaître en effet un basculement brutal dans une barbarie aggravée et incontrôlable. Il ne s’agit évidemment pas pour eux de penser aux populations ni à leur bien-être, mais de s’efforcer de contenir une situation pleine de dangers… pour leurs différents intérêts impérialistes dans la région. C’est pour cela que tous ces “humanitaires” patentés roulent des mécaniques dans les salons (1) mais sans aller trop loin car ils savent qu’une intervention militaire en Syrie signifierait l’ouverture d’une boîte de Pandore dont l’issue serait plus qu’incertaine, avec face à eux une armée syrienne solide et entraînée.

Nul ne peut prévoir la perspective qui attend la population de Syrie, et si les États occidentaux, comme l’Amérique qui soutient “l’opposition” depuis des années, vont intervenir. Il est cependant évident que l’évolution actuelle de la situation dans ce pays, qu’elle soit ou non directement le produit de l’action des États-Unis comme certains commentateurs l’avancent, va être le centre d’une foire d’empoigne entre grands et petits impérialistes dont la population ne pourra que faire les frais. L’opposition formelle à toute intervention de la part de la Russie et de la Chine au sein de l’ONU en est une préfiguration. Et, quel que soit le camp que défendent les uns et les autres, ce n’est que pour avancer leurs pions et préserver leurs propres intérêts, pas pour améliorer le sort de tous ceux qui subissent la misère et la violence de la répression étatique n

Wilma/28.06.2011

 

(1) On peut ici signaler la lettre au Conseil de Sécurité de l’ONU signée entre autres par Woody Allen, Umberto Eco, David Grossman, Bernard-Henry Levy, Amos Oz, Orhan Pamuk, Salman Rushdie et Wole Soyinka. De tous ces signataires, dont on ne peut pas douter de la volonté de bien faire, il faut mettre en valeur celle de Bernard-Henry Levy, dont le travail “philosophique” consiste depuis bientôt 20 ans à exhorter (sur les plateaux télé) l’occident à faire rendre gorge aux méchants de tous poils?: Serbes, Albanais, Irakiens, Afghans (al-qaïdistes et talibans), etc., et maintenant Syriens.

Géographique: 

  • Moyen Orient [7]

Misère et colère explosent en Grèce

  • 1384 lectures

En Grèce, la misère et l’injustice sont en passe de devenir tout simplement insupportables aux yeux des exploités. Les plans d’austérité, tous d’une incroyable brutalité, se succèdent les uns aux autres à un rythme infernal. Chaque nouvelle mesure prise par le gouvernement pour écarter temporairement le pays de la faillite se traduit par de nouveaux sacrifices pour toute la population. Et malgré tout, l’économie nationale n’en finit pas de plonger. Résultat, la misère et la colère explosent!

 Un pays symbole de la faillite historique du capitalisme

 Le pays croule sous les dettes. L’Etat, les banques et les entreprises sont au bord de l’asphyxie. Et toutes les mesures prises par le gouvernement socialiste de Papandréou pour éviter le défaut de paiement ne font qu’empirer la situation et préparer des lendemains encore plus douloureux. Pour obtenir de l’argent frais de l’Union européenne, sans lequel l’Etat ne pourrait tout simplement plus fonctionner, les conditions de travail et de vie de la population sont littéralement sacrifiées. Le nombre de fonctionnaires ne cesse de se réduire, tout comme les salaires. Les pensions de retraite, les allocations chômage et sociales, les aides pour les soins sont en train de disparaître. Mais cette explosion de la misère ne fait que plonger le pays un peu plus profondément dans la récession, ce qui aggrave… l’endettement! Il s’agit d’un cercle vicieux duquel la Grèce ne pourra pas sortir.

La bourgeoisie grecque pointe d’un doigt accusateur le FMI, l’Union européenne, les agences de notation, l’Allemagne… Elle veut faire croire que ce sont eux et eux seuls les responsables de cette situation économique désastreuse. Dans le reste du monde, le discours tenu est l’exact opposé: la Grèce serait dans une situation “exceptionnelle” et “particulière” du fait du laxisme de ses dirigeants, de la corruption généralisée de la société hellénique (la triche fiscale est présentée comme un sport national) et de la fainéantise des salariés grecs (selon les propos à la mi-juin de la chancelière allemande Angela Merkel). Cette propagande mensongère et nauséabonde a un certain succès puisque dans les manifestations à Athènes, le nationalisme est souvent exacerbé (les drapeaux grecs flottent sur les cortèges, des slogans comme “FMI go home!” ou “Allemagne go home!” sont scandés…), et dans certains pays comme l’Allemagne l’idée “nous ne voyons pas pourquoi nous paierions pour les Grecs” se répand dans la population. Autrement dit, la classe dominante dresse les exploités les uns contre les autres!

En réalité, la Grèce est le symbole de la faillite historique du capitalisme; d’un point de vue économique, elle indique la direction que vont prendre une à une toutes les autres économies nationales. L’Espagne ne va d’ailleurs pas tarder à suivre.

 La lutte s’inspire du mouvement des “Indignés” d’Espagne

 Si le nationalisme est un poison qui touche aujourd’hui de façon assez importante les ouvriers en Grèce, il y a aussi des lignes de force qui apparaissent peu à peu dans le mouvement de contestation.

En particulier, la jeunesse précarisée a su regarder au-delà des frontières nationales pour s’inspirer du mouvement des Indignés d’Espagne. Dès la fin du mois de mai, sur la place Syntagma d’Athènes, des milliers d’Aganaktismeni (ce mot grec signifie autant l’indignation que la colère (1)) ont commencé à se réunir pour discuter et construire collectivement la lutte. Comme en Espagne, la marque de ce mouvement est, là aussi, l’immense méfiance envers les partis (en particulier le Parti socialiste qui est au pouvoir) et les syndicats (le GSEE, principal syndicat national, est même dénoncé par beaucoup comme un agent de la bourgeoisie). La similitude de la réflexion qui traverse la jeunesse précarisée vivant en Espagne et en Grèce est frappante. Le 25 mai, sur la place Syntagma, par exemple, il y a eu trois bonnes heures de discussion où 83 personnes se sont exprimées. Certains intervenants ont mis en avant l’importance de l’auto-organisation de la classe ouvrière et la nécessité d’une lutte révolutionnaire. Cette réflexion, même si elle est encore exprimée par une toute petite minorité, est très significative. Le simple fait que certains osent tenir ainsi publiquement des propos en faveur de la révolution révèle que le climat est en train de changer. Ils trouvent le courage d’exprimer tout haut, certainement de façon diffuse, ce que bon nombre pensent. D’ailleurs, dans toutes les assemblées des Indignés d’Europe, en Grèce comme en Espagne, en France ou en Angleterre, ces interventions pour l’auto-organisation des masses et pour l’abolition du capitalisme sont souvent parmi les plus applaudies.

Alors, non, la Grèce n’est pas un cas à part! La crise qui y fait rage est celle qui secoue tout le système capitaliste mondial. Et la lutte qui est en train de se développer est l’un des multiples maillons de la chaîne du combat de la classe ouvrière à l’échelle internationale n

 

Laurence /1.07.2011

 

(1) Et la colère est d’autant plus grande qu’à la pauvreté s’ajoute une répression féroce et meurtrière.

 

Géographique: 

  • Grèce [8]

La Commune de Paris, premier assaut révolutionnaire du prolétariat

  • 3034 lectures

Il y a 140 ans, avec le massacre de plus de 20.000 ouvriers lors de la Semaine sanglante, la bourgeoisie mettait fin à la première grande expérience révolutionnaire du prolétariat. Avec la Commune de Paris, c’était la première fois que la classe ouvrière se manifestait avec une telle force sur la scène de l’histoire. Pour la première fois, elle avait montré sa capacité à s’affirmer, comme étant désormais la seule classe révolutionnaire de la société. Cette formidable expérience de la Commune de Paris est là pour témoigner que, malgré l’immaturité des conditions historiques de la révolution mondiale, le prolétariat se montrait déjà en 1871 comme la seule force capable de remettre en cause l’ordre capitaliste. Aujourd’hui, la bourgeoisie cherche encore à convaincre les prolétaires (et notamment les jeunes générations) qu’on peut construire un avenir meilleur pour l’humanité sans renverser l’État capitaliste. Face à la misère et à la barbarie du monde actuel, il importe que la classe ouvrière se penche sur son propre passé, pour en tirer les leçons, reprendre confiance en elle-même et en l’avenir que portent ses combats.

La Commune de Paris a constitué, pour de nombreuses générations de prolétaires, un point de référence dans l’histoire du mouvement ouvrier. En particulier, les révolutionnaires russes de 1905 et d’Octobre 1917 étaient fortement imprégnées de son exemple et de ses enseignements avant que cette dernière ne vienne prendre le relais comme phare pour la lutte du prolétariat mondial.

Aujourd’hui, les campagnes de la bourgeoisie essaient d’enterrer définitivement aux yeux des prolétaires du monde entier l’expérience révolutionnaire d’Octobre 1917, de les détourner de leur propre perspective en continuant à identifier le communisme avec le stalinisme. Ne pouvant utiliser la Commune de Paris pour inoculer ce même mensonge, la classe dominante a toujours essayé de récupérer cette expérience pour en masquer la véritable signification, pour la dénaturer en l’assimilant soit à un mouvement patriotique, soit à une lutte pour les libertés républicaines.

 Un combat contre le capital et non une lutte patriotique

C’est suite à la guerre de 1870 entre la Prusse et la France que se constitue la Commune de Paris, sept mois après la défaite de Louis Napoléon Bonaparte à Sedan. Le 4 septembre 1870, le prolétariat parisien se soulève contre les conditions de misère qui lui sont imposées par l’aventure militaire de Bonaparte. La République est proclamée alors même que les troupes de Bismarck sont aux portes de Paris. La Garde nationale, à l’origine composée de troupes petite-bourgeoises, va désormais assurer la défense de la capitale contre l’ennemi prussien. Les ouvriers, qui commencent à souffrir de la famine, s’y engagent en masse et vont bientôt constituer l’essentiel de ses troupes. Mais, contrairement aux mensonges de la bourgeoisie qui veut ne nous faire voir dans cet épisode que la résistance du “peuple” de Paris contre l’envahisseur prussien, très vite, cette lutte pour la défense de Paris assiégé va céder la place à l’explosion des antagonismes irréconciliables entre les deux classes fondamentales de la société, le prolétariat et la bourgeoisie. En effet, après 131 jours de siège de la capitale, le gouvernement capitule et signe un armistice avec l’armée prussienne. Dès la fin des hostilités avec Bismarck, Thiers, nouveau chef du gouvernement républicain, comprend qu’il faut immédiatement désarmer le prolétariat parisien car celui-ci constitue une menace pour la classe dominante. Le 18 mars 1871, Thiers va essayer d’utiliser la ruse pour parvenir à ses fins: prétextant que les armes sont la propriété de l’État, il envoie des troupes dérober l’artillerie de la Garde nationale, composée de plus de 200 canons, que les ouvriers avaient cachée à Montmartre et Belleville (1). Mais cette tentative échoue grâce à la résistance farouche des ouvriers, et au mouvement de fraternisation entre les soldats et la population parisienne. C’est l’échec de cette tentative de désarmement de la capitale qui va mettre le feu aux poudres et déchaîner la guerre civile entre les ouvriers parisiens et le gouvernement bourgeois réfugié à Versailles. Le 18 mars, le Comité central de la Garde nationale, qui assurait provisoirement le pouvoir, déclare: “Les prolétaires de la capitale, au milieu des défaillances et des trahisons des classes gouvernantes, ont compris que l’heure est arrivée pour eux de sauver la situation en prenant en main la direction des affaires publiques. (...) Le prolétariat a compris qu’il était de son devoir impérieux et de son droit absolu de prendre en main ses destinées, et d’en assurer le triomphe en s’emparant du pouvoir.” Le même jour, il annonce la tenue immédiate d’élections au suffrage universel. La Commune, élue le 26 mars et composée de délégués des différents arrondissements, sera proclamée deux jours plus tard. Plusieurs tendances seront représentées en son sein: la majorité, où dominent les blanquistes, et la minorité, dont les membres seront surtout des socialistes proudhoniens rattachés à l’Association Internationale des Travailleurs (la Première Internationale).

Immédiatement, le gouvernement de Versailles va riposter pour reprendre Paris tombé aux mains de la classe ouvrière, cette “vile canaille”, selon les termes de Thiers: les bombardements de la capitale que dénonçait la bourgeoisie française lorsqu’ils étaient l’œuvre de l’armée prussienne ne cesseront pas pendant les deux mois que durera la Commune.

Ainsi, loin d’avoir été un mouvement pour la défense de la patrie contre l’ennemi extérieur, c’est bien pour se défendre contre l’ennemi intérieur, contre “sa” propre bourgeoisie représentée par le gouvernement de Versailles, que le prolétariat parisien refusa de remettre les armes à ses exploiteurs et instaura la Commune.

 Un combat pour la destruction de l’état bourgeois et non pour les libertés républicaines

 La bourgeoisie a toujours eu besoin, en travestissant l’histoire, de s’appuyer sur les apparences pour distiller les pires mensonges. Ainsi, c’est en se fondant sur le fait que la Commune se revendiquait effectivement des principes de la révolution bourgeoise de 1789 qu’elle a toujours cherché à rabaisser cette première expérience révolutionnaire du prolétariat au niveau d’une vulgaire lutte pour les libertés républicaines, pour la démocratie bourgeoise contre les troupes monarchistes derrière lesquelles s’était ralliée la bourgeoisie française. Mais ce n’était pas dans les habits que le jeune prolétariat de 1871 avait revêtus que se trouvait l’esprit véritable de la Commune. C’est ce qu’il portait déjà comme perspective d’avenir qui fait de ce mouvement une étape de première importance dans la lutte du prolétariat mondial pour son émancipation. C’était la première fois dans l’histoire que, dans une capitale, le pouvoir officiel de la bourgeoisie avait été renversé. Et ce gigantesque combat était bien l’œuvre du prolétariat, d’un prolétariat certes encore très peu développé, à peine sorti de l’artisanat, traînant encore derrière lui le poids de la petite-bourgeoisie et de multiples illusions issues de la révolution bourgeoise de 1789. Mais c’était bien cette classe, et aucune autre, qui avait constitué le moteur et l’élément dynamique de la Commune. Ainsi, alors que la révolution prolétarienne mondiale n’ était pas encore à l’ordre du jour (tant du fait de l’immaturité de la classe ouvrière que d’une situation où le capitalisme n’avait pas encore épuisé toutes ses capacités à développer les forces productives à l’échelle de la planète), la Commune annonçait déjà avec fracas la direction dans laquelle allaient s’engager les futurs combats prolétariens.

Et si la Commune a pu reprendre à son propre compte les principes de la révolution bourgeoise de 1789, ce n’est certainement pas pour leur donner le même contenu. Pour la bourgeoisie, la “liberté” veut dire liberté du commerce et d’exploiter le travail salarié; l’“égalité” n’est rien d’autre que l’égalité juridique entre capitalistes et contre les privilèges de la noblesse; la “fraternité” est interprétée comme l’harmonie entre le capital et le travail, c’est-à-dire la soumission des exploités aux exploiteurs. Pour les ouvriers de la Commune, “Liberté, Égalité, Fraternité” signifiait l’abolition de l’esclavage salarié, de l’exploitation de l’homme par l’homme, de la société divisée en classes. Cette perspective d’un autre monde qu’annonçait déjà la Commune, on la retrouve justement dans le mode d’organisation de la vie sociale que la classe ouvrière a été capable d’instaurer pendant deux mois. Car ce sont bien les mesures économiques et politiques impulsées par le prolétariat parisien qui confèrent à ce mouvement sa véritable nature de classe, et non les mots d’ordre du passé dont il se réclamait.

Ainsi, deux jours après sa proclamation, la Commune affirme son pouvoir en s’attaquant immédiatement à l’appareil d’État à travers l’adoption de toute une série de mesures politiques: suppression de la police des mœurs, de l’armée permanente et de la conscription (la seule force armée reconnue étant la Garde nationale), suppression de toutes les administrations d’État, confiscation des biens du clergé, déclarés propriété publique, destruction de la guillotine, école gratuite et obligatoire, etc., sans compter les différentes mesures symboliques telle la démolition de la colonne Vendôme, emblème du chauvinisme de la classe dominante érigé par Napoléon premier. Le même jour, la Commune affirme encore son caractère prolétarien en déclarant que “le drapeau de la Commune (2) est celui de la République universelle”. Ce principe de l’interna-tionalisme prolétarien est notamment affiché clairement par le fait que les étrangers élus à la Commune (tels le polonais Dombrowski, responsable de la Défense, et le hongrois Frankel, chargé du Travail) seront confirmés dans leurs fonctions.

Et parmi toutes ces mesures politiques, il en est une qui vient particulièrement démentir l’idée selon laquelle le prolétariat parisien se serait insurgé pour la défense de la République démocratique: la révocabilité permanente des membres de la Commune, responsables devant l’ensemble de ceux qui les avaient élus. Ainsi, bien avant que ne surgissent, avec la Révolution russe de 1905, les conseils ouvriers, cette “forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat”, comme le disait Lénine, ce principe de la révocabilité des charges que se donnait le prolétariat pour la prise du pouvoir vient encore confirmer la nature prolétarienne de la Commune. En effet, alors que la dictature bourgeoise, dont le gouvernement “démocratique” n’est que la variante la plus pernicieuse, concentre tout le pouvoir d’État de la classe exploiteuse entre les mains d’une minorité pour opprimer et exploiter l’immense majorité des producteurs, le principe de la révocabilité permanente est la condition pour qu’aucune instance de pouvoir ne s’impose au-dessus de la société. Seule une classe qui vise à l’abolition de toute domination d’une minorité d’oppresseurs sur l’ensemble de la société peut prendre en charge cette forme d’exercice du pouvoir.

Et c’est justement parce que les mesures politiques prises par la Commune traduisaient clairement le caractère prolétarien de ce mouvement que les mesures économiques, bien que limitées, ne pouvaient aller que dans le sens de la défense des intérêts de la classe ouvrière: gratuité des loyers, suppression du travail de nuit pour certaines corporations telle celle des boulangers, abolition des amendes patronales et retraits sur salaires, réouverture et gestion par les ouvriers eux-mêmes des ateliers fermés, rétribution des membres de la Commune équivalant au salaire ouvrier, etc.

Ainsi, il est clair que ce mode d’organisation de la vie sociale allait dans le sens non de la “démocratisation” de l’État bourgeois, mais de sa destruction. Et c’est bien cet enseignement fondamental que légua l’expérience de la Commune pour tout le mouvement ouvrier futur. C’est cette leçon que le prolétariat en Russie allait, sous l’impulsion de Lénine et des bolcheviks, mettre en pratique de façon beaucoup plus claire en octobre 1917. Comme Marx le signalait déjà en 1852 dans le 18 Brumaire de Louis Bonaparte: “Toutes les révolutions politiques jusqu’à présent n’ont fait que perfectionner la machine d’État au lieu de la briser.” Bien que les conditions du renversement du capitalisme ne fussent pas encore réunies, cette dernière révolution du xixe siècle que fut la Commune de Paris, annonçait déjà les mouvements révolutionnaires du xxe siècle: elle montrait dans la pratique que “la classe ouvrière ne peut se contenter de prendre telle quelle la machine d’État et la faire fonctionner pour son propre compte. Car l’instrument politique de son asservissement ne peut servir d’instrument politique de son émancipation.” (Marx, La Guerre civile en France.)

Face à la menace prolétarienne, la bourgeoisie déchaîne sa furie sanguinaire

La classe dominante ne pouvait accepter que le prolétariat ait osé se dresser contre son ordre. C’est pour cela qu’en reprenant Paris par les armes, la bourgeoisie s’était donné comme objectif non seulement de rétablir son pouvoir dans la capitale, mais surtout d’infliger une saignée mémorable dans les rangs ouvriers afin de donner au prolétariat une leçon définitive. Et la fureur qu’elle déchaîna dans la répression de la Commune était à la mesure de la peur que lui inspirait déjà la classe ouvrière. Dès les premiers jours d’avril s’organise, pour écraser la Commune, la sainte alliance entre Thiers et Bismarck, dont les troupes occupaient les forts du nord et de l’est de Paris. Ainsi, déjà à cette époque, la bourgeoisie montrait sa capacité à reléguer au second plan ses antagonismes nationaux pour affronter son ennemi de classe. Cette collaboration étroite entre les armées française et prussienne a permis d’abord la mise en place d’un double cordon sanitaire autour de la capitale. Le 7 avril, les Versaillais s’emparent des forts de l’ouest de Paris. Devant la résistance acharnée de la Garde nationale, Thiers obtient de Bismarck la libération de 60.000 soldats français faits prisonniers à Sedan, ce qui va donner au gouvernement de Versailles une supériorité décisive à partir du début mai. Dans la première quinzaine de mai, c’est le front sud qui est enfoncé. Le 21, les Versaillais, dirigés par le général Galliffet, entrent dans Paris par le nord et l’est grâce à une brèche ouverte par l’armée prussienne. C’est alors que va se déchaîner toute la furie sanguinaire de la bourgeoisie. Pendant huit jours, les combats font rage dans les quartiers ouvriers; les derniers combattants de la Commune vont tomber comme des mouches sur les hauteurs de Belleville et de Ménilmontant. Mais la répression sanglante des communards ne pouvait s’arrêter là. Il fallait encore que la classe dominante puisse savourer son triomphe en débridant sa haine vengeresse contre un prolétariat désarmé et battu, contre cette “vile canaille” qui avait eu l’audace de se rebeller contre sa domination de classe: tandis que les troupes de Bismarck recevaient l’ordre de ne laisser passer aucun fugitif, les hordes de Galliffet perpétraient des massacres massifs d’hommes, de femmes et d’enfants sans défense: c’est par centaines qu’ils furent froidement assassinés à la mitrailleuse et même à bout portant.

La Semaine sanglante se termina ainsi sur une innommable boucherie qui fit plus de 20.000 morts. Puis sont venues les arrestations en masse, les exécutions de prisonniers “pour l’exemple”, les déportations au bagne et les placements de plusieurs centaines d’enfants dans des maisons de correction.

Voilà comment la bourgeoisie a pu rétablir son ordre. Voilà comment elle réagit lorsque sa dictature de classe est menacée. Et ceux qui ont noyé la Commune dans un bain de sang, ce ne sont pas les seuls secteurs les plus réactionnaires de la classe dominante. C’est sa fraction républicaine et “démocratique”, avec son Assemblée nationale et ses parlementaires libéraux, qui, en confiant cette sale besogne aux troupes monarchistes, porte l’entière responsabilité du massacre et de la terreur. Ce premier haut fait de la démocratie bourgeoise, le prolétariat ne doit jamais l’oublier.

Avec l’écrasement de la Commune, qui a conduit à la disparition de la Première Internationale après 1872, la bourgeoisie est parvenue à infliger une défaite aux ouvriers du monde entier. Et cette défaite fut particulièrement cuisante pour la classe ouvrière en France, puisqu’elle a cessé, après cette tragédie, d’être aux avant-postes de la lutte du prolétariat mondial comme cela avait été le cas depuis 1830. Cette position d’avant-garde, le prolétariat de France ne la retrouvera que lors de la grève massive de mai 1968, qui ouvrira une nouvelle perspective en signant la reprise historique des combats de classe après quarante ans de contre-révolution. Et ce n’est pas le fait du hasard: en reprenant, même de façon momentanée, son rôle de phare qu’il avait abandonné depuis près d’un siècle, il annonçait toute la vitalité, la force et la profondeur de cette nouvelle étape de la lutte historique de la classe ouvrière mondiale vers le renversement du capitalisme.

Mais cette nouvelle période historique ouverte par mai 1968 se situe, contrairement à la Commune, à un moment où la révolution prolétarienne est devenue non seulement une possibilité mais aussi une nécessité. C’est justement cette vitalité et cette force du prolétariat, ainsi que les enjeux de ses combats actuels, que la bourgeoisie cherche à tout prix à lui masquer à travers toutes ses campagnes mensongères, ses falsifications et tentatives de dénaturer les expériences révolutionnaires du passé n

 

Avril/15.05.91, d’après RI n°202, juin 1991

 

(1) fait, ces canons avaient été achetés avec l’argent des membres de la Garde nationale.

(2) fait que dès sa proclamation, la Commune fit flotter sur Paris le drapeau rouge au détriment du drapeau tricolore, emblème de l’idéologie nationaliste de la bourgeoisie, révèle encore le caractère prolétarien et non patriotique de ce mouvement. Il faudra attendre les années 1930 pour que, avec la trahison des partis communistes, les staliniens (et notamment le PCF) avilissent le drapeau de l’internationalisme prolétarien en le croisant avec le drapeau national de la bourgeoisie.

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Commune de Paris - 1871 [9]

URL source:https://fr.internationalism.org/content/internationalisme-no-351-3e-trimestre-2011

Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/pdf/f_isme351.pdf [2] https://www.kaosenlared.net/ [3] http://www.ing.be/xpedio/groups/internet/ [4] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/situation-economique-belgique [5] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/revolution-russe [6] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/hessel [7] https://fr.internationalism.org/tag/5/56/moyen-orient [8] https://fr.internationalism.org/tag/5/295/grece [9] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/commune-paris-1871