Nous publions ici la prise de position contre la guerre en Libye écrit par le KRAS, la section de l’AIT en Russie. Le CCI veut d`abord saluer fortement l’internationalisme qui anime clairement cette prise de position. Cela ne nous surprend pas, parce que le KRAS a dans le passé constamment défendu une position clairement internationaliste : en 2008 contre la guerre en Géorgie, et auparavant encore face aux guerres en Tchétchénie dans les années 1990, rejetant tout soutien politique aux différents camps bourgeois en guerre.
Ce que nous avons en commun, et ce qui compte vraiment pour nous, c’est le fait qu’une organisation comme le KRAS se situe sur la question la plus significative pour le prolétariat, la guerre impérialiste, sans aucun doute dans le camp de la classe ouvrière internationale.
Alors que la guerre entre les Etats russe et géorgien, une grande puissance et un micro-Etat, manifestait ouvertement sa nature impérialiste de confrontation entre gangs bourgeois, le caractère impérialiste de la guerre en Libye se voile du mensonge d’une intervention « humanitaire ». La bourgeoisie des états qui interviennent depuis des semaines par des bombardements massifs contre le régime brutal et irrationnel de Kadhafi, utilise et dévoie les sympathies existantes dans la classe ouvrière pour les révoltes en Afrique du Nord en faveur de sa guerre prétendument de « défense du souffle démocratique contre les dictateurs capitalistes » existant dans la masse de la jeune génération et les ouvrières au Maghreb. Rien n’est effectivement plus mensonger comme le dénonce clairement la prise de position du KRAS !
Néanmoins nous voulons faire deux courts commentaires, essentiellement pour stimuler le débat au sein de notre classe :
- Nous partageons avec le KRAS la position qu’effectivement dans les pays d’Afrique du Nord comme en Tunisie ou en Egypte il n’y a pas eu de « révolution prolétarienne » comme celle qui a eu lieu au sortir de la Première Guerre mondiale, lorsque la classe ouvrière a pu se constituer comme classe et prendre le pouvoir, comme en Russie. La situation en Egypte, par exemple, présentée dans la presse bourgeoise comme une grande « révolution pour la démocratie », montre clairement que la bourgeoisie a maintenu son pouvoir à l’aide d’une adroite stratégie d’abandon du clan Moubarak pour se doter d’un gouvernement au visage plus démocratique.
Mais par contre, nous pensons que même si la classe ouvrière dans ces pays est encore enchaînée à des illusions envers la démocratie, le nationalisme ou même la religion, elle a fait dans cette période passée une expérience de lutte qui possède une grande valeur historique sur la voie qui conduit à la conscience révolutionnaire. Les méthodes de luttes de la classe ouvrière ont eu un impact sur les révoltes sociales dans le monde arabe : tendances à l’auto-organisation, occupation de lieux centraux pour se rassembler et s’organiser massivement, organisation de la défense contre les voyous et la police, rejet de la violence gratuite et des pillages efforts délibérés pour surmonter les divisions religieuses, etc., tentatives de fraternisations avec les soldats du rang… « Ce n'est pas un hasard si ces tendances se sont le plus fortement développées en Egypte, là où la classe ouvrière a une longue tradition de luttes et où, à une étape cruciale du mouvement, elle a émergé comme une force distincte, pour se livrer à une vague de luttes qui, comme celles de 2006-2007, peuvent être considérées comme des 'germes' de la grève de masse à venir, contenant un certain nombre de ses caractéristiques parmi les plus importantes : l'extension spontanée des grèves et des exigences d'un secteur à l'autre, le rejet intransigeant des syndicats d'Etat, certaines tendances à l'auto-organisation, le développement de revendications à la fois économiques et politiques. Ici, nous voyons, dans ses grandes lignes, la capacité de la classe ouvrière à se présenter comme le porte-parole de tous les opprimés et exploités et la seule classe qui offre la perspective d'une société nouvelle. »1
Sur la base des faiblesses politiques, les illusions démocratiques et nationalistes, la situation particulière en Libye a évolué d’un soulèvement de la population contre le régime de Kadhafi au départ vers une guerre entre plusieurs cliques bourgeoises pour le contrôle de l’Etat libyen, sur laquelle vient ensuite se greffer l’action impérialiste sanglante des grandes puissances. Cette transformation en une guerre entre différentes fractions bourgeoises a d’autant plus été aisée que la classe ouvrière en Libye est très faible. Essentiellement constituée d’une main d’œuvre immigrée, celle-ci a fini par fuir les massacres, notamment à cause de la difficulté à se reconnaître dans un mouvement aux accents nationalistes. L’exemple de la Libye illustre tragiquement a contrario la nécessité que la classe ouvrière occupe une place centrale au sein des révoltes populaires : son effacement explique en grande partie l’évolution de la situation.
2- La prise de position du KRAS appelle les ouvriers des pays de d’Europe de l’Ouest et des Etats-Unis à manifester contre cette guerre soi-disant « humanitaire ». Cet appel est fondamentalement tout à fait juste parce que seule la classe ouvrière dans les pays qui participent à la guerre en Libye peut arrêter la boucherie sanglante. Pour le moment, il faut constater que cette option n’existe (malheureusement !) pas immédiatement. Même s’il y a des manifestations de protestation contre l’intervention de l’OTAN, elles sont très minoritaires. En France par exemple, l’impérialisme le plus offensif dans cette guerre, les bombardements sont très peu mis en question. La guerre est aussi fortement défendue par les partis de la gauche du capital. Pour le moment il est facile pour la bourgeoisie de faire accepter leur guerre grâce à la justification de la solidarité avec les populations opprimés par le régime de Kadhafi.
CCI
A bas la nouvelle guerre en Afrique du Nord !
L'intervention « humanitaire » des Etats au sein de l'OTAN en Libye, essentiellement dans le but d'apporter un soutien militaire à l'une des parties d'une guerre civile locale, a démontré une fois de plus qu'il n'existe pas de « révolutions » en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Il s'y déroule seulement une féroce lutte sans merci pour le pouvoir, les bénéfices, l'influence et le contrôle sur les ressources pétrolières et les zones stratégiques.
Le mécontentement profond et les revendications socio-économiques des masses travailleuses de la région, engendrés par la crise économique globale (attaques contre les conditions de vie des travailleurs, augmentation du chômage et de la misère, prolifération des emplois précaires) sont utilisés par les groupes politiques d'opposition pour faire un coup d'Etat, détrôner la tyrannie de dictateurs corrompus et séniles et occuper leur place. En mobilisant les chômeurs, les travailleurs et les populations miséreuses comme chair à canon, les fractions mécontentes de la classe dirigeante les détournent ainsi du terrain de leurs revendications économiques et sociales en leur promettant « la démocratie » et « le changement ». En fait, l'arrivée au pouvoir de ce bloc hétéroclite composé de « la fine fleur » de la classe dominante, de libéraux et de religieux fondamentalistes, n'apportera aucune amélioration au sort des travailleurs. Nous connaissons bien les conséquences de la victoire des fractions libérales : privatisations nouvelles, renforcement du chaos de la libre-concurrence sur les marchés, émergence de nouveaux milliardaires et nouvelle aggravation de la pauvreté, de la souffrance et de la misère pour les opprimés et les pauvres. Le triomphe des religieux fondamentalistes signifiera la croissance de la réaction cléricale, la suppression des droits des femmes et des minorités et le délitement inévitable provoquera une nouvelle guerre arabo-israélienne qui sera à nouveau un fardeau sur les épaules des masses laborieuses. Mais dans le paquet-cadeau « idéal » de l'institution d' un régime de démocratie parlementaire dans les pays d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, la population ouvrière ne gagnera rien. Le travailleur prêt à risquer sa vie pour l'avènement de la démocratie est comme un esclave prêt à mourir pour conquérir le droit de « choisir » son esclavagiste. La démocratie parlementaire ne mérite pas de lui sacrifier une seule goutte de sang humain !
Dans la lutte pour le pouvoir qui se mène dans la région, les Etats européens membres de l’OTAN et les Etats-Unis ont pris encore plus ouvertement position pour les groupes politiques d’opposition dans l’espoir que la victoire de ces forces et du modèle de « démocratisation » de leur domination politique leur rapportera davantage de bénéfices et de privilèges. En soutenant « la démocratie » en Tunisie et en Egypte, elles espèrent renforcer leur influence, libérer leurs « investissements » capitalistes de la corruption des dictateurs et prendre leur part lors de la prochaine privatisation par les riches des clans tribaux dominants. En aidant l’opposition libérale, monarchiste et religieuse fondamentaliste, qui s’est alliée avec une bandes d’anciens caciques officiels du régime de Kadhafi, elles espèrent prendre le contrôle des riches réserves pétrolifères. Liés à eux, d’autres Etats arabes sont entrés en lutte pour défendre leur influence et leurs propres ambitions dans la région.
Les pouvoirs – qui une fois de plus ne viennent avec des bombes et des missiles que pour « sauver » la vie du peuple et les « libérer » des dictatures- sont en train de tuer les populations. Les gouvernements des pays d’Europe occidentale et des Etats-Unis sont des menteurs et des hypocrites. Hier, ils soutenaient les dictateurs, leur donnaient l’accolade et leur vendaient des armes. Aujourd’hui, ils demandent que les dictateurs s’en aillent, en se prétendant « à l’écoute » des vœux du peuple mais ils n’hésitent pas à éliminer les protestations de la population dans leur propre pays, ignorant totalement leurs revendications. Quand la grande majorité des habitants de France ou de Grande-Bretagne, de Grèce ou d’Espagne, du Portugal ou d’Irlande disent qu’ils ne veulent pas payer de leurs poches l’aide des Etats aux banques et aux entreprises, tout en réclamant l’abrogation des mesures d’austérité, des réformes des retraites et des conditions de travail anti-sociales, les autorités leur répondent que la démocratie, ce n’est pas “la rue qui gouverne”. L’intervention “humanitaire” donne aux dirigeants d’Europe occidentale et des Etats-Unis un grand prétexte à leur pouvoir pour détourner l’attention des populations de ces pays des conséquences de la crise actuelle. La guerre “courte et victorieuse” pour “sauver le peuple et la démocratie” vise à faire oublier aux ouvriers européens et nord-américains les politiques anti-sociales des gouvernements et des capitalistes et à refaire l'expérience de l'arrogance de leurs dirigeants “humains” et “justes” à travers une prochaine “joyeuse union sacrée” entre les oppresseurs et les opprimés.
Nous appelons les travailleurs du monde entier à ne pas soutenir cette fraude “démocratique” et “humanitaire” et à s’opposer fermement à cette nouvelle escalade dans la barbarie capitaliste en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
Si nous pouvions apporter notre message aux masses pauvres opprimées et exploitées de la région, par delà les distances de milliers de kilomètres et par delà les barrières de la langue, nous les encouragerions à revenir à leurs motivations sociales et économiques de départ et aux thèmes de leurs revendications, à se rebeller, à partir en grève ou en manifestations contre leurs bas salaires, la hausse des prix et le chômage, pour leurs revendications sociales, mais en aucun cas à s’impliquer dans les jeux politiciens dans les luttes pour le pouvoir entre les différentes factions des classes dominantes.
Nous appelons les ouvriers d’Europe et d’Amérique à gagner la rue pour protester contre cette nouvelle guerre “humanitaire” qui sert les seuls intérêts des Etats et des capitalistes. Nous appelons les sections de l’Association Internationale des travailleurs (AIT) à développer leur agitation internationaliste et anti-militariste et à prendre l’initiative de manifestations et de grèves anti-guerre.
A BAS LA GUERRE !
A BAS TOUS LES ETATS ET TOUTES LES ARMEES !
PAS UNE SEULE GOUTTE DE SANG POUR LA DICTATURE OU LA DEMOCRATIE !
NON A TOUS LES GOUVERNEMENTS ET A TOUTES LES “OPPOSITIONS” !
SOLIDARITE AVEC LA LUTTE DES TRAVAILLEURS POUR POUR L’EMANCIPATION SOCIALE !
VIVE L’AUTO-ORGANISATION GENERALISEE DES TRAVAILLEURS !
Confédération des anarcho-syndicalistes révolutionnaires, section de l’AIT en Russie.
1 Voir notre article « Que se passe-t-il au Moyen-Orient ? [1] », Revue Internationale n°145
Il va y avoir 100 ans, en août 1911, la classe dominante britannique était forcée de déployer des troupes et des bateaux de guerre à Liverpool pour écraser un grève générale presque insurrectionnelle. Le maire de la ville mettait en garde la gouvernement contre « une révolution en marche ».1
Ces événements extraordinaires représentaient le point culminant de toute une série de luttes en Grande-Bretagne et en Irlande avant la Première Guerre mondiale, passées à la popularité sous le nom de « grande fièvre ouvrière ». Comme le montre l’article qui suit, ces luttes étaient en fait une expression spectaculaire de la grève de masse, et faisaient intégralement partie d’une vague internationale qui allait finalement culminer dans la révolution de 1917 en Russie. Même si aujourd’hui, elles ne sont pas largement connues, elle restent riches en leçons pour les luttes d’aujourd’hui et de demain.
Le contexte international
Entre 1910 et 1914, la classe ouvrière en Grande-Bretagne et en Irlande déclencha des vagues successives de grèves massives avec un souffle et une hargne sans précédent contre tous les secteurs-clefs du capital, grèves qui balayèrent tous les mythes soigneusement fabriqués sur la passivité de la classe ouvrière anglaise qui avaient fleuri pendant la précédente époque de prospérité capitaliste.
Les mots utilisés pour décrire ces luttes dans l’histoire officielle vont de « unique », « sans précédent », à « explosion », « tremblement de terre »… En opposition aux grèves organisées par les syndicats largement pacifiques de la dernière moitié du XIXe siècle, les grèves d’avant la guerre s’étendirent rapidement et sauvagement aux différents secteurs – mines, chemins de fer, docks et transports, ingénierie, construction – et menacèrent de déborder tout l'appareil syndical et de s’affronter directement à l’Etat capitaliste.
C’était la grève de masse que Rosa Luxembourg a analysé si brillamment, dont le développement marquait la fin de la phase progressiste du capitalisme et l’apparition d’une nouvelle période révolutionnaire. Bien que l’expression la plus achevée de la grève de masse ait été celle de 1905 en Russie, Rosa Luxembourg montra que ce n’était pas un produit spécifiquement russe mais comme « une forme universelle de la lutte de classe prolétarienne déterminée par le stade actuel du capitalisme et des rapports de classe » (Grève de masse, Parti et Syndicats, Petite Collection Maspero, p. 154). Sa description des caractéristiques générales de ce nouveau phénomène décrit de façon très vivante « la grande fièvre ouvrière » :
« La grève de masse …voit tantôt la vague du mouvement envahir tout l'Empire, tantôt se diviser en un réseau infini de minces ruisseaux; tantôt elle jaillit du sol comme une source vive, tantôt elle se perd dans la terre. Grèves économiques et politiques, grèves de masse et grèves partielles, grèves de démonstration ou de combat, grèves générales touchant des secteurs particuliers ou des villes entières, luttes revendicatives pacifiques ou batailles de rue, combats de barricades - toutes ces formes de lutte se croisent ou se côtoient, se traversent ou débordent l'une sur l'autre c'est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants. » (Id., p.127)
Loin d’être le produit de conditions particulières à la Grande-Bretagne, la grève de masse en Angleterre et en Irlande faisait partie intégrante de la vague internationale de luttes qui se sont développées dans toute l’Europe de l’Ouest et en Amérique après 1900 : la grève générale de 1902 à Barcelone, les grèves de 1903 des cheminots en Hollande, la grève massive des mineurs de 1905 dans la Ruhr…
Les révolutionnaires ont encore à tirer toutes les leçons des grèves massives en Grande-Bretagne – en partie à cause de l’aspect abrupt et de la complexité des événements eux-mêmes, mais aussi parce que la bourgeoisie a rapidement essayé de les enterrer tranquillement comme étant un épisode oublié2. Ce n’est pas par hasard si aujourd’hui, c’est la grève générale de 1926, et pas la vague de grèves d'avant-guerre, qui a l’honneur d’avoir une place dans l’histoire officielle du « mouvement ouvrier » anglais : 1926 représentait une véritable défaite, alors que 1910-1914 a vu la classe ouvrière anglaise à l’offensive contre le capital.
Le détonateur des grèves massives en Angleterre et en Irlande peut être attribué à la dépression de 1908-1909. L’année précédente, la classe ouvrière s’était unie au-delà des divisions corporatistes pour déclencher une grève générale qui devait être défaite par l'armée et des forces de police spéciales3. Dans le Nord-Est de l’Angleterre, il y eut des grèves des ouvriers du coton, des métallurgistes et dans les chantiers navals. Une grève des chemins de fer fut évitée de justesse. Quand la dépression diminua, arriva l’explosion.
La première phase de grèves massives eut comme centre d’activité les mines de charbon auparavant peu combatives au Sud du Pays de Galles. Une grève illégale toucha nombre de puits entre septembre 1910 et août 1911, impliquant environ 30 000 mineurs à son point culminant. Les revendications initiales portaient sur les salaires et les conditions d’emploi. Les mineurs étendirent la grève grâce à des piquets de grève massifs. Il y eut aussi des grèves non officielles dans les mines de charbon normalement conservatrices au début de 1910 et des grèves spontanées dans les chantiers navals du Nord-Est.
Dans la seconde phase, le coeur du mouvement se déplaça dans le secteur des transports. Entre juin et septembre 1911, il y eut une vague d’actions combatives, non-officielles, dans les principaux ports et dans les chemins de fer qui faisaient là leur première expérience de grève nationale. Dans les ports, les syndicats locaux furent pris par surprise quand des piquets de grève massifs étendirent la grève de Southampton à Hull, Goole, Manchester et Liverpool et entraînèrent les ouvriers des autres industries portuaires qui mettaient en avant leurs propres revendications. Dès que les syndicats eurent négocié la fin de ces grèves, une autre vague de luttes éclata dans ce secteur, cette fois à Londres qui n’avait pas été encore touché. Des actions non-officielles s’étendirent à tout le système des docks contre un compromis sur les salaires négocié par les syndicats, les obligeant à appeler officiellement à une grève générale du port. Les grèves sauvages continuèrent pendant le mois d’août, malgré d’autres accords sur les salaires.
Alors que la grève sur les docks londoniens retombait, l’action de masse reprit dans les chemins de fer de façon sauvage en commençant au Merseyside où 8000 dockers et cheminots se rejoignirent au bout de 5 jours par solidarité. Vers le 15 août, 70 000 travailleurs étaient en grève au Merseyside. Un comité de grève se mit en place alors que la grève des gens de mer reprenait. Après le lock-out imposé par les employeurs, le comité déclencha une grève générale qui ne s’arrêta qu’après deux semaines de violents affrontements avec la police et l’armée.
Pendant ce temps, le mouvement sauvage dans les chemins de fer s’étendait rapidement de Liverpool à Manchester, Hull, Bristol et Swansea, obligeant les leaders syndicaux à appeler à la grève générale dans les chemins de fer, la première grève nationale du rail. Il y avait un soutien actif de la part des mineurs et d’autres ouvriers (y compris des grèves d’écoliers dans les villes où il y avait beaucoup de cheminots). Quand les leaders syndicaux appelèrent soudainement à arrêter la grève après des négociations avec le gouvernement, des milliers de travailleurs laissèrent éclater leur colère et la combativité persista.
Pendant l’hiver 1911-1912, le principal centre de la grève de masse passa à l’industrie minière, dans laquelle une action non-officielle directe conduisit à une grève nationale de 4 semaines impliquant 1 million d’ouvriers – la plus grande grève que la Grande-Bretagne ait jamais enregistrée. L’agitation à la base grandit lorsque les leaders syndicaux appelèrent au retour au travail et des grèves éclatèrent de nouveau dans le secteur des transports à Londres en juin-juillet. Le mouvement retomba en partie à cause du manque de soutien en dehors de Londres, mais pendant l’été 1912, il y eut d’autres grèves de dockers, dans le Meyerside par exemple.
A la différence de la précédente vague de grèves relativement pacifique de 1887-1893, les travailleurs se montraient plus que déterminés à utilisés la force pour étendre leur grève, et les grèves de masse d’avant-guerre ont vu des actes de sabotage largement répandus, des attaques dans le charbonnage, les docks, et les installations des chemins de fer, des affrontements violents avec les employeurs, les briseurs de grève, la police et l’armée, dans lesquels au moins 5 ouvriers furent tués et beaucoup d'autres blessés .
La bourgeoisie, comprenant la signification de ces luttes, prit des mesures sans précédent pour y mettre un terme. Le cas le plus fameux : 5000 soldats et des centaines de policiers furent envoyés à Liverpool en août 1911, tandis que deux bateaux de guerre dirigeaient leurs canons vers la ville. Le point culminant fut le « dimanche sanglant » : la dispersion violente d’une manifestation massive et pacifique d’ouvriers par la police et l’armée. En réponse, les ouvriers surmontèrent leur divisions sectorielles traditionnelles pour défendre leurs communautés pendant plusieurs jours se livrant à une espèce de « guérilla » en dressant des barricades et des protections en barbelés.
En 1912, l’Etat fut forcé de prendre des précautions encore plus élaborées, en déployant des troupes contre la menace d’une agitation généralisée et en instituant la loi martiale dans des zones entières du pays. De façon alarmante pour la bourgeoisie, il y eut des petits mais significatifs efforts de militants pour faire de la propagande antimilitariste dans l’armée, en particulier avec le fameux tract « Ne tirez pas ! », ce qui entraîna une répression rapide.
La classe ouvrière était alors confrontée à une contre-attaque de la classe capitaliste, qui était déterminée à infliger une défaite pour donner une leçon au prolétariat dans son ensemble. En 1913, plus de 11 millions de journées de grève accumulées furent perdus pour la classe dominante et il y eut plus de grèves individuelles que pendant toutes les autres années de « la fièvre », dans des secteurs jusque là non touchés comme ceux des ouvriers d’industrie semi et non qualifiés, du bâtiment, des travailleurs agricoles et des employés municipaux ; mais cette année fut celle d’un tournant définitif, marqué entre autre, par la défaite des ouvriers irlandais pendant le lock-out de Dublin.
La bureaucratie syndicale commença aussi à reprendre son contrôle sur les luttes ouvrières. La formation de « la triple alliance » en 1914, soi-disant conçue pour coordonner l’action des mineurs, des cheminots et des ouvriers du transport, était en réalité une mesure bureaucratique pour récupérer l’action spontanée et non officielle des grèves massives, et empêcher d’autres explosions incontrôlables de combativité à la base. De la même façon, la formation d’un Syndicat National des Cheminots en tant que seul « syndicat industriel reconnu » dans ce secteur, n’était pas tant une victoire des travailleurs qu’une manœuvre de la bureaucratie syndicale contre la combativité spontanée.
Néanmoins, le mécontentement persistait sans aucune défaite décisive, et à la veille de la Première Guerre mondiale, le ministre du gouvernement Libéral, Llyod George, faisait finement remarquer qu’avec l’agitation menaçante dans les chemins de fer, les mines, les industries et la construction, « l’automne serait témoin d’une série de troubles sans précédent » 4. Le déclenchement de la guerre en 1914 est certainement tombé au bon moment pour la bourgeoisie anglaise, freinant effectivement le développement des grèves massives et jetant la classe ouvrière dans une confusion profonde, bien que temporaire. Mais cette défaite s’avéra provisoire, et dès février 1915, les luttes ouvrières en Grande-Bretagne ressurgirent, sous l’impact de l’austérité due à la guerre, et se développèrent en tant que partie intégrante d’une vague internationale qui allait culminer dans la Révolution russe de 1917.
Fondamentalement, les grèves d’avant-guerre étaient une réponse de la classe ouvrière à l’entrée en décadence du capitalisme, qui révélait toutes les plus importantes caractéristiques de la lutte de classe dans la nouvelle période :
- un caractère spontané, explosif ;
- une tendance à l’auto-organisation ;
- une extension rapide au-delà des différents secteurs ;
- une tendance à passer par-dessus tout l'appareil syndical et à s’affronter directement à l’Etat capitaliste.
Plus spécifiquement, les grèves massives étaient une réponse au développement du capitalisme d’Etat, et à l’intégration du Parti travailliste et des syndicats dans l'appareil d’Etat en vue de contrôler plus efficacement la lutte de classe. Parmi les militants combatifs, la perte d’illusion sur le socialisme parlementaire était largement répandue, du fait du soutien loyal du Labour aux programmes des Libéraux qui restreignaient la protection sociale et du rôle actif des syndicats dans l’administration de ces programmes.
De façon plus significative, pour la première fois dans son histoire, la classe ouvrière britannique déclenchait des luttes massives qui allaient au-delà des organisations syndicales existantes, et dans qcertains cas, directement contre elles. Les leaders syndicaux nationaux et locaux perdirent très souvent le contrôle du mouvement, en particulier pendant la grève des dockers et dans les transports (selon les rapports de police eux-mêmes, à Hull, les syndicats perdirent le contrôle sur la grève des dockers).
L’emprise des syndicats avait décliné, en partie à cause du mécontentement de la base vis-à-vis des dirigeants syndicaux. Certes, les grèves massives eurent comme résultat une augmentation de 50 % du nombre des adhésions aux syndicats entre 1910 et 1914, mais, contrairement à ce qui s’était passé dans les luttes de 1887-1893, la reconnaissance des syndicat n’était pas un thème majeur dans ces luttes, qui voyaient au contraire, des grèves sauvages et des actions directes contre les directions syndicales qui soutenaient « la conciliation » avec le gouvernement et étaient ouvertement hostiles à l’action de grève : par exemple, le dirigeant syndical des cheminots, Jimmy Thomas, fut hué pour sa son attitude conciliatrice et au cours d'un meeting de masse à Trafalgar Square en juillet 191, des ouvriers combatifs du bâtiment s’emparèrent du podium et refusèrent de donner la parole aux porte-paroles officiels des syndicats.
L’énorme pression de la base s’exerçait même sur des leaders syndicalistes plus combatifs : dans le Meyerside, par exemple, même le dirigeant syndicaliste Tom Mann fut chahuté et hué par les animateurs du mouvement et par les grévistes, et il fallut une semaine aux syndicats dans les assemblées générales pour saper la résistance des ouvriers et les contraindre à retourner au travail.
Les grèves massives virent aussi le développement de comités de grève sauvages, quelques uns continuant après la défaite des grèves en tant que groupes politiques exigeant de réformer les syndicats existant : par exemple, le Unofficial Reform Committee en Galles du Sud qui se battait pour la réforme du syndicat local des mineurs sur « des axes de combat ». Un groupe analogue surgit dans le syndicat d’usine en 1910 qui engagea une violente bataille avec les leaders de l’époque. Des groupes informels de militants apparurent aussi chez les dockers en lutte de Liverpool, proches de Jim Larkin, qui défendaient les idées syndicalistes, alors qu’à Londres, un « Comité Provisoire pour la formation d’un syndicat national des ouvriers des transports », syndicaliste, se formait sur la base du mécontentement à l’égard de la direction syndicale.
Nous pouvons voir dans ces épisodes un réel approfondissement de la conscience de classe et la diffusion de leçons importantes sur la nouvelle période au sein des masses de travailleurs entrés en lutte, par exemple :
- la perception d’un changement dans les conditions économiques et politiques de la lutte de classe ;
- le besoin d’une action directe des travailleurs pour défendre les conditions de vie de la classe ouvrière ;
- l’incapacité des syndicats, tels qu’ils sont organisés actuellement, de défendre les intérêts de la classe ouvrière et le besoin de se battre pour contrôler l’action des syndicats ;
- le besoin de nouvelles formes d’organisations plus adaptées aux nouvelles conditions.
Par-dessus tout, les luttes en Grande-Bretagne et en Irlande faisaient partie intégrante de la grève de masse internationale, et étaient donc importantes pour la classe ouvrière dans son ensemble. Les ouvriers britanniques n’étaient pas les premiers à entrer en lutte mais leur arrivée sur la scène en tant que fraction la plus ancienne et la plus expérimentée du prolétariat mondial était d’un grand poids pour le mouvement, donnant un exemple inestimable de lutte contre une bourgeoisie très sophistiquée et ses mystifications démocratiques. Ces luttes ont inévitablement montré aussi toutes les difficultés auxquelles se confrontent la classe ouvrière dans le développement et la transformation de ses luttes immédiates en mouvement révolutionnaire, surtout quand le changement de période et l’impossibilité de lutter pour des réformes au sein du capitalisme n’étaient pas encore clairement établis. Mais elles montraient la route à suivre.
MH (31/01/2011)
1 www.btinternet.com/~m.royden/mrlhp/students/transportstrike/transportstr... [4].
2 Un très bon compte-rendu de ces grèves d’avant-guerre peut être lu dans Le Syndicalisme britannique (1900-1914) de Bob Holton (Pluto Press, 1976) dont on s’est servi pour cet article.
3 https://en.internationalism.org/icconline/2007/sept/belfast-1907 [5]
4 Cité par Walter Kendall, The Revolutionary Movement in Britain (1900-1921), 1969, p.28.
Suite aux émeutes qui ont éclaté à travers le pays cette semaine, les porte-paroles de la classe dominante- le gouvernement, les politiciens, les médias, etc.- nous demandent de participer à la défense d'une campagne ayant pour but de soutenir leur « programme » : accroissement de l'austérité et répression accrue contre quiconque s'y opposerait.
Une austérité accrue parce qu'ils n'ont aucune solution à apporter pour remédier à la crise économique de leur système en phase terminale. La seule chose qu'ils puissent faire, c'est de supprimer des emplois, de baisser les salaires, de sabrer les aides sociales, d'amputer les dépenses sur les retraites, dans la santé, l'éducation. Tout cela ne peut signifier qu'une aggravation considérable des conditions sociales mêmes qui ont précisément poussé à ces émeutes, conditions entraînant la conviction chez une partie importante de toute une génération qu'ils n'ont plus d'avenir devant eux. C'est pourquoi toute discussion sérieuse sur les causes économiques et sociales des émeutes a été dénoncée comme voulant trouver « une excuse » aux émeutiers. On nous a raconté que c'étaient des criminels et qu'ils seraient traités comme tels. Point final. Ce qui est très pratique parce que l'Etat n'a aucune intention de donner de l'argent pour les centres urbains, comme elle l'avait fait après les émeutes des années 1980.
Une répression accentuée parce que c'est la seule chose que la classe dominante puisse nous offrir. Elle tire au maximum avantage de l'inquiétude des populations concernant les destructions causées par les émeutes pour accroître les dépenses de la police, pour l'équiper de balles en caoutchouc, de canons à eau et même pour mettre en avant l'idée d'imposer des couvre-feu et l'armée dans la rue. Ces armes, en même temps que la surveillance accrue des réseaux sociaux sur Internet et la « justice » expéditive qui s'est abattue sur ceux qui ont été arrêtés après les émeutes, ne seront pas seulement utilisées contre les pillages et les saccages. Nos dirigeants savent très bien que la crise ne peut que déboucher sur un torrent de révoltes sociales et de luttes ouvrières qui s'est déjà répandu de l'Afrique du Nord à l'Espagne et de la Grèce jusqu'en Israël. Ils sont parfaitement conscients qu'ils seront confrontés à l'avenir à des mouvements massifs et que toutes leurs prétentions démocratiques servent uniquement à justifier le recours à la violence contre ces mouvements, de la même manière que l'ont fait les régimes ouvertement dictatoriaux, comme en Egypte, au Bahreïn ou en Syrie. Il l'ont déjà démontré lors de la lutte des étudiants en Grande-Bretagne l'an dernier.
La « haute moralité » de la classe dominante
La campagne sur les émeutes est basée sur la proclamation de nos dirigeants qu'ils défendent ainsi la moralité de la société. Cela vaut la peine de considérer le contenu de ces déclarations.
Les porte-paroles de l'Etat condamnent la violence des émeutes. Mais c'est l'Etat lui-même qui exerce aujourd'hui la violence, à une bien plus large échelle, contre les populations en Afghanistan et en Libye. Une violence qui chaque jour est présentée comme héroïque et altruiste alors qu'elle sert uniquement les intérêts de nos dirigeants.
Le gouvernement et les médias condamnent les hors-la-loi et la criminalité. Mais c'est la brutalité de leurs propres forces de répression au nom du maintien de la loi et de l'ordre, la police, qui, dès le début, a mis le feu aux poudres, avec l'assassinat de Mark Duggan et le comportement méprisant envers sa famille et ses amis qui manifestaient autour du poste de police de Tottenham afin de savoir ce qui s'était réellement passé. Et cela fait suite à toute une longue série de gens morts dans des commissariats situés dans des quartiers similaires à celui de Tottenham ou subissant quotidiennement le harcèlement policier dans les rues.
Le gouvernement et les médias condamnent l'avidité et l'égoïsme des émeutiers. Mais ce sont eux les gardiens et les propagandistes d'une société qui fonctionne sur la base de l'avidité organisée, de l'accumulation de richesses entre les mains d'une petite minorité. Alors que nous sommes sans cesse encouragés à consommer davantage pour réaliser leurs profits, à identifier notre valeur sociale à la quantité de biens que l'on peut s'acheter. Puisque non seulement ce système repose sur l'inégalité, et que celle-ci devient de pire en pire, il n'est pas surprenant que ceux qui sont au bas de l'échelle sociale, qui ne peuvent pas s'offrir les « belles choses » dont on leur vante le besoin, pensent que la réponse à leur problème est de piquer tout ce qu'ils peuvent, quand ils le peuvent.
Les dirigeants condamnent ce pillage « à la petite semaine » alors qu'eux mêmes participent à une vaste opération de pillage à l'échelle planétaire : les compagnies pétrolières ou forestières qui détruisent la nature pour leur profit, les spéculateurs qui s'engraissent en faisant grimper le cours des produits alimentaires, les trafiquants d'armes qui vivent de la mort et des destructions, les respectables institutions financières qui blanchissent des milliards du trafic de drogue. Une contrepartie essentielle de ce pillage est qu'une partie croissante de la classe exploitée est jetée dans la pauvreté, dans le désespoir et la délinquance. La différence, c'est que les petits délinquants sont habituellement punis alors que les grands criminels ne le sont pas.
En résumé : la moralité de la classe dominante ? Elle n'existe pas.
La question réelle à laquelle est confrontée l'immense majorité qui ne profite pas de cette gigantesque entreprise criminelle appelée capitalisme, est celle-ci : comment pouvons-nous nous défendre réellement alors que ce système, maintenant en train de crouler sous les dettes, est contraint de tout nous prendre ?
Est-ce que les émeutes que nous avons vues début août 2011 en Grande-Bretagne nous donnent une méthode pour lutter, pour prendre le contrôle de ces luttes, pour unir nos forces, pour créer un futur différent pour nous-mêmes ?
Beaucoup de ceux qui ont pris part aux émeutes ont clairement exprimé leur colère contre la police et contre les possesseurs de richesses qui sont ressentis comme la cause essentielle de leur misère. Mais, presque immédiatement, les émeutiers ont sécrété les aspects les plus négatifs, les comportements les plus troubles, alimentés par des décennies de désintégration sociale dans les quartiers urbains les plus pauvres, par des moeurs propres aux gangs, allant puiser dans la philosophie dominante du « chacun pour soi » et du « sois riche ou crève en essayant de le devenir ! » C'est ainsi qu'au début une manifestation contre la répression policière a dégénéré dans un chaos franchement anti-social et dans des actions anti-prolétariennes : intimidation et agression vis-à-vis d'individus, mise à sac de boutiques dans le voisinage, attaques contre les ambulanciers et les pompiers, incendies d'immeubles sans discrimination, alors que souvent les occupants se trouvaient encore à l'intérieur.
De telles actions n'offrent absolument aucune perspective permettant de se dresser contre ce système de rapine dans lequel nous vivons. Au contraire, elles servent uniquement à élargir les divisions parmi ceux qui souffrent de ce système. Face aux attaques contre les boutiques et les immeubles, des habitants se sont armés eux-mêmes de battes de base-ball et ont formé des « unités d'auto-défense ». D'autres se sont portés volontaires pour des opérations de nettoyage au lendemain des émeutes. Beaucoup se sont plaints du manque de présence policière et ont demandé des mesures plus fortes.
Qui profitera le plus de ces divisions ? La classe dominante et son Etat. Comme nous l'avons dit, ceux qui sont au pouvoir se revendiqueront maintenant d'un mandat populaire pour renforcer l'appareil répressif policier et militaire, pour criminaliser toute forme de manifestations et de désaccords politiques. Déjà les émeutes ont été imputées à « des anarchistes » et, il y a une semaine ou deux, la police londonienne (le MET) a fait l'erreur de publier des enquêtes sur des personnes militant pour une société sans Etat.
Les émeutes sont le reflet de l'impasse atteint par le système capitaliste; Elles ne sont pas une forme de la lutte de la classe ouvrière ; elles sont plutôt une expression de rage et de désespoir dans une situation où la classe ouvrière est absente en tant que classe. Les pillages ne sont pas un pas vers une forme de lutte supérieure, mais un obstacle sur ce chemin. D'où la frustration justifiée d 'une femme du quartier londonien d'Hackney qui a été regardée par des milliers de gens sur Youtube [1], dénonçant les pillages parce que cela empêchait les gens de se regrouper et de réfléchir ensemble sur comment mener la lutte. « Vous me faites chier... nous ne sommes pas rassemblés pour nous battre autour de la défense d' une cause. Nous sommes en train de piller Footlocker... » (NDT : un magasin de chaussures à Londres ).
Se rassembler et lutter pour une cause : ce sont là les méthodes de la classe ouvrière ; c'est la morale de la lutte de classe prolétarienne mais ces méthodes courent le danger d'être happées par l'atomisation et le nihilisme au point que des pans entiers de la classe ouvrière oublient qui ils sont.
Mais il existe une alternative. On peut la percevoir dans les mouvements massifs qui se déroulent en Tunisie, en Egypte, en Espagne, en Grèce ou en Israël avec la re-émergence d'une identité de classe, avec la résurgence de la lutte de classe. Ces mouvements, avec toutes leurs faiblesses, nous donnent un aperçu sur une manière toute différente de mener le combat prolétarien : à travers des assemblées de rues où chacun peut prendre la parole ; à travers un intense débat politique où chaque décision peut être discutée ; à travers une défense organisée contre les attaques de la police et des voyous ; à travers les manifestations et les grèves des travailleurs ; à travers la montée de la question de la révolution, de l'interrogation sur une forme de société totalement différente, non pas basée sur la vision que l'homme est un loup pour l'homme mais sur la solidarité entre les êtres humains, basée non sur une production en vue de la vente de marchandises et du profit mais sur une production qui corresponde à nos réels besoins.
A court terme, à cause des divisions créées par les émeutes, parce que l'Etat a réussi son coup en matraquant le message selon lequel toute lutte contre le système actuel est vouée à finir dans des destructions gratuites, il est probable que le développement d'un réel mouvement de classe au Royaume-Uni se confrontera à des difficultés encore plus grandes qu'auparavant. Mais à l'échelle mondiale, la perspective reste la même : l'enfoncement dans la crise de cette société vraiment malade, la résistance de plus en plus consciente et organisée des exploités. La classe dominante en Grande-Bretagne ne pourra être épargnée ni par l'un ni par l'autre.
CCI (14/08/2011)
(World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne - mai 2011)
Ce texte ne prétend pas reprendre de manière exhaustive, d’un point de vue marxiste, l’histoire du mouvement anarchiste en Grande-Bretagne écrite d’un point de vue marxiste, ni ses relations avec les traditions marxistes. Une telle tâche est nécessaire mais elle prendra du temps, de la réflexion et de la discussion. Le but de ces notes est beaucoup plus modeste : servir de base à une reconnaissance et une compréhension que l’anarchisme en Grande-Bretagne, comme ailleurs, a son aile révolutionnaire internationaliste, donc capable de nous permettre alors de corriger certaines erreurs significatives que nous avons faites à l’égard de plusieurs de ses expressions organisées. Centrer son attention sur ces expressions organisées ne pourra jamais donner une complète image de l’anarchisme, qui, presque par définition, contient un grand nombre d’individus « inorganisés »1, mais c’est une voie nécessaire pour comprendre les principaux courants historiques du mouvement anarchiste du Royaume-Uni.
1) L’anarchisme en Grande-Bretagne se réclame de ses prédécesseurs spécifiques : Winstanley pendant la Guerre civile anglaise, William Goldwin et William Blake à la fin du 18e siècle, le poète Shelley. Mais il n’y a pas d’équivalents aux figures majeures de l’anarchisme dans la période ascendante, comme Proudhon, dont la vision d’artisan avait déjà été dépassée par le développement de l’industrie capitaliste et celui d’un mouvement ouvrier organisé en Grande-Bretagne. De même, le bakouninisme a eu peu d’impact dans les sections britanniques de l’Internationale des années 1869 et 1870. Cependant, une variante du bakouninisme – avec sa mise en avant d’une organisation conspirative et d’un insurrectionisme violent se fondant dans le terrorisme – s’est implantée au Royaume-Uni dans le mouvement des années 1880, via des « immigrants » comme Johann Most. Ce type d’anarchisme était très fort dans les clubs d’exilés qui surgirent dans l’East End de Londres en particulier, et devait avoir un impact largement négatif sur le développement de l’anarchisme en Grande-Bretagne. Ce milieu était un sol fertile pour les flics et les informateurs de tout poil, comme on voit par exemple dans le rôle joué par Auguste Coulon dans le procès et l’emprisonnement des anarchistes de Walsall, qu'il avait attirés dans un complot ridicule avec des bombes artisanales .
2) Mais chez de nombreux anarchistes qui tentèrent de se relier au mouvement ouvrier, à la fois dans ses dimensions économiques et historiques, dans les années 1880, en Grande-Bretagne et partout en Europe, il n’y avait pas de ligne de démarcation rigide entre anarchistes et socialistes. Des éléments comme Joseph Lane et Frantz Kitz étaient plus ou moins des communistes libertaires, et étaient depuis le début opposés à toute forme de parlementarisme. Ils rejoignirent néanmoins la Fédération social-démocrate et s’en séparèrent ensuite en compagnie de William Morris, d’Eléanor Marx et d’autres pour former la Ligue Socialiste (Socialist League – SL) en 1885. La SL était elle-même déjà déchirée par des désaccords entre le courant autour de Marx et Aveling – soutenue par Engels – et le courant anti-parlementaire qui était conduit au début par Morris mais qui s’orientait de plus en plus dans une direction anarchiste. Le Manifeste Communiste anti-étatique (Anti-statist Communist Manifesto) fut la position la plus représentative de cette tendance. Le fossé grandissant entre ces deux tendances fut une manifestation classique des difficultés à élaborer une orientation révolutionnaire claire dans cette période de croissance capitaliste triomphante. D’un côté, Engels, Eléanor Marx et Aveling insistaient justement sur le besoin des groupes socialistes de rompre avec l’isolement sectaire et de s’impliquer dans l’évolution réelle du mouvement ouvrier, qui dans les années 1880 se développait sous la forme de grèves et de formation de nouveau « trade-unions » qui recrutaient sur une base plus large. Le côté négatif de cette insistance se solda par une difficulté à résister à la poussée du réformisme et de l’opportunisme, qui étaient un danger particulièrement fort dans les sphères parlementaires et municipales, comme on le vit à travers le développement de courants purement réformistes comme celui des Fabiens. En retour, cela renforça la tentation de Morris et d’autres de retomber dans une sorte de purisme abstrait qui – comme le SPGB2 d’aujourd’hui – voyait dans son principal champ d’action comme étant de “faire concurrence aux socialistes » ; parallèlement à cela, nombre d’éléments anarchistes au sein de la Ligue étaient tirés vers les pires sortes d’aventurisme et de positions violentes, ce qui conduisit Morris à quitter la Ligue en 1890.
3) Aux côtés de ces développements, l’anarchisme en Grande-Bretagne vers la fin du 19e siècle trouva d’autres expressions. Il y avait le communisme anarchiste plus sobre, plus théorique de Kropotkine, dont les réflexions sur l’évolution dans L’entraide mutuelle et sur la société future dans ses travaux comme Champs, Usines et Ateliers (Fields, Factories and Workshops) sont toujours à prendre en considération. En contraste avec le « mutualisme » de Proudhon, qui envisageait une société future explicitement fondée sur des relations d’échange, et au « collectivisme » de Bakounine, qui était une sorte de moyen terme entre Proudhon et le communisme, Kropotkine défendait explicitement un mode communiste de production fondé sur l’abolition du travail salarié et de la production marchande. Kroptkine et Morris étaient certainement d'accord sur la nature de la société qu’ils voulaient atteindre et le “Prince anarchiste” (Kropotkine) était un orateur occasionnel dans les meetings de la Société Socialiste d’Hammersmith dans laquelle Morris maintînt son activité militante après s’être séparé de la Ligue. Aussi importante fut la contribution de l’anarchiste allemand Rudolf Rocker dont le domaine principal d’activité se déroulait dans le milieu des anarchistes juifs de l’East End et sa publication Arbeter Fraint. Comme cela est relaté dans le livre de William Fishmann, East End Jewish Radicals 1875-1914, le groupe Arbeter Fraint était directement relié à de réelles luttes ouvrières, spécialement dans les grandes grèves de l’industrie textile des années 1900. Rocker prit une position internationaliste face à la Première Guerre mondiale, s’opposant ouvertement aux positions de Kropotkine. Une autre catégorie de l’anarchisme au Royaume-Uni est celle représentée par les formes plus artistiques et utopistes de figures telles qu’Edward Carpenter.
4) L’approche d’une nouvelle époque de la vie du capitalisme et de la lutte des classes a amené des développements significatifs pour le mouvement anarchiste. Les années 1900 ont vu un surgissement majeur dans la lutte des classes et la recherche de nouvelles formes d’organisation qui pouvaient aller au-delà à la fois de la bureaucratie et du réformisme des syndicats établis, et de strict parlementarisme de groupes comme le SDF.3 La réponse de nombreux militants ouvriers a été de se tourner vers le syndicalisme ou l’unionisme industriel, bien qu’il n’existât pas d’équivalent soit comme la CNT en Espagne, la CGT en France ou les IWW aux Etats-Unis, qui auraient pu remplir la fonction de réels organes de lutte. Des groupes comme la Ligue d’Education Industrielle Syndicaliste (Industrial Syndicalist Education League), formée en 1910, ne furent jamais réellement plus que des groupes de propagande pour les syndicats révolutionnaires. Malgré cela, ce syndicalisme a développé une réelle présence dans certaines dans l’apparition du mouvement des shop-stewards pendant la guerre. La majorité des éléments impliqués dans ce mouvement étaient de vrais internationalistes, participant activement dans les grèves de l’industrie d’armement et ailleurs, et vinrent soutenir la révolution d’Octobre et la Troisième Internationale dans sa phase initiale.
5) La Première Guerre mondiale divisa le mouvement anarchiste comme elle le fit pour les marxistes. Le plus connu, Kropotkine, abandonna ouvertement l’internationalisme, soutenant la France « démocratique » contre le militarisme allemand, et d’autres suivirent inévitablement ce sillon. La majorité des anarchistes s’y opposèrent, bien que certains d’un point de vue essentiellement pacifiste. Les pages de Freedom, le journal que Kropotkine avait aidé à fonder, donnaient lieu à de violentes polémiques sur la question de la guerre. Il est notable, cependant, qu’il semblait y avoir eu peu de choses dans la voie d’une d'opposition organisée à la guerre, sur des bases spécifiquement anarchistes. La période de la guerre est mise en valeur dans le livre de Woodcock, et son chapitre traitant de l’anarchisme en Grande-Bretagne4 passe rapidement sur la période de la guerre, vue comme une période de déclin de cette mouvance, du fait de la répression d’Etat, et l’histoire tout à fait détaillée de l’anarcho-communisme publiée par la Fédération Anarchiste en Grande-Bretagne5 parle principalement du travail que les anarchistes firent dans des groupes comme la North London Herald League aux côtés des socialistes, ou du groupe animé par Guy Aldred. L’histoire du syndicalisme publiée par de la Fédération de la Solidarité ( Solidarity Federation) en Grande-Bretagne6 est encore moins explicite quand elle traite de cette période cruciale. Ceci met en valeur l’importance du groupe d’Adred basé à Glasgow qui publiait L’Eperon (The Spur) (et plus tard la Commune Rouge-Red Commune). Au sein du mouvement anarchiste de Grande-Bretagne, le groupe d’Aldred prit la position la plus claire sur la guerre et essaya de jeter un pont au dessus du fossé creusé entre l’anarchisme et le marxisme, travaillant avec des éléments du Parti Socialiste Travailliste (Socialist Labour Party) et soutenant ardemment les Bolcheviks dans la première phase de la Révolution russe. Aldred peut être considéré comme l’équivalent britannique de la tendance « anarchiste soviétique » pendant la vague révolutionnaire et comme un élément-clé de la tradition « communiste anti-parlementaire » qui unifia des éléments de l’anarchisme internationaliste et du communisme de conseils. La Fédération Communiste Anti-Parlementaire (Anti-Parliamentary Communist Federation – APCF) fut formée en 1921 et maintînt son activité pendant plus de 20 ans, malgré le fait qu’Aldred s’en soit séparé en 1934 et qu’il en vint à rechercher une unité plus large via le Mouvement Socialiste unifié (United Socialist Movement), s'égarant parfois dans des directions plutôt douteuses. L’APCF, qui changea son nom en Ligue des Ouvriers Révolutionnaires (Workers' Revolutionary League) en 1941, prit une position rigoureusement internationaliste contre la Seconde Guerre mondiale, la définissant comme impérialiste des deux côtés : cela est rapporté par le livre de Mark Shipway, Communisme anti-parlementaire, Le mouvement des conseils ouvriers en Grande-Bretagne 1917-1945, Anti-Parliamentary Communism, The Movement for Workers Councils in Britain 1917-1945, publié en 1988, tout comme dans notre propre livre sur La Gauche communiste britannique. Cette tradition communiste de conseils disparaîtra essentiellement autour de 1945, mais elle renaquit brièvement dans les années 1980 avec la publication Etoile noire (Black Star).
6) Le mouvement anarchiste, comme les communistes de gauche autour du Workers’ Dreadnought, semble être entrés dans une période de déclin du milieu des années 1920 au milieu des années 1930, ce qui correspond à la victoire de la contre-révolution. La guerre d’Espagne conduisit à un renouveau des idées anarchistes mais il est remaquable de constater que le mouvement en Grande-Bretagne abritait une aile gauche autour de Marie-Louise Berneri et de Vernon Richards, qui étaient très critiques envers les compromissions et les trahisons de droite des plus hauts responsables de la CNT au sein de l’Etat républicain, et ce fut la même tendance, à travers le magazine Commentaire de guerre (War Commentary), qui maintint une attitude internationaliste pendant la Seconde Guerre mondiale (cela est également relaté dans notre livre sur La Gauche communiste britannique)7. En 1944, les éditeurs de War Commentary furent envoyés devant les tribunaux pour sédition. Après 1945, War Commentary fut remplacé par une nouvelle série, Freedom, qui a continué depuis lors, bien que pas nécessairement avec la même politique de classe. Parallèlement à cela, une Fédération Anarchiste de Grande-Bretagne (Anarchist Federation of Britain – AFB), organisation clandestine, était mise sur pied au début de la guerre ; en 1944, l’AFB était fortement influencée par un groupe d’anarcho-syndicalistes qui forma en 1954 la Fédération Ouvrière Syndicaliste (Syndicalist Workers' Federation, qui publiait l’Association Internationale Ouvrière (International Workers’ Association), publiant Action Directe (Direct Action) et s’alignait sur l’Association Internationale Ouvrière des Travailleurs. Ce groupe prit une position claire sur le programme de nationalisation d’après-guerre du Labour Party et publia un des rares compte-rendus contemporains sur l’insurrection ouvrière en Hongrie écrit d'un point de vue prolétarien. Les difficultés de l’engagement politique des années 1950 conduisirent aussi au rétrécissement du SWF en un seul groupe à Manchester, mais il se joignit plus tard à d’autres éléments pour former le Mouvement d’Action Directe (Direct Action Movement) en 1979, qui se transforma en Fédération de Solidarité (Solidarity Federation - Solfed) en 1994. Aussi, contrairement à l’article publié dans WR n° 109 de novembre 1987, qui argumentait le fait que le DAM était à la racine une variété gauchiste du syndicalisme de base, Solfed est de fait l’héritage d’une tradition ouvrière qui –malgré toutes ses ambiguïtés sur les syndicats et d’autres questions – plonge ses racines dans l’internationalisme.
7) Les années 1950 ont été décrites comme une “période de somnolence” pour l’anarchisme en Grande-Bretagne8. Mais les bouleversements des années 1960 apportèrent une renaissance des idées libertaires sur différents fronts, par exemple comme aile radicale des manifestations du CND9 ou comme élément dans l’émergence des « mouvements » autour de la politique sur les questions sexuelles, de l’environnement, et de la vie quotidienne en général. L’anarchisme britannique dans les années 1960 et au début des années 1970 a aussi connu un bref flirt avec la Propagande par le Fait sous la forme de la "Angry Brigade" ("Brigade de la Colère"). Tout aussi important fut le travail du groupe Solidarity émanant de Socialisme ou Barbarie, et initié par des gens qui avaient rompu tardivement avec le trotskisme. Plus proches du conseillisme que de l’anarchisme, les publications de Solidarity ont connu un impact important avec une audience anarchiste/libertaire plus large10. En 1963, une nouvelle Fédération Anarchiste de Grande-Bretagne (Anarchist Federation of Britain) fut créée pour regrouper toutes les différentes variétés de l’activité anarchiste, mais comme Nick Heath (membre fondateur de l’actuelle AF) le rappelle dans son essai sur le mouvement anarchiste depuis les années 196011, ce n’était même pas une fédération mais un patchwork de tendances contradictoires allant des anarcho-syndicalistes aux communistes-anarchistes, des individualistes aux pacifistes et aux défenseurs de « la vie quotidienne». Heath utilise même le terme « marais » pour décrire le poids de l’anarcho-libéralisme et de la théorisation de « lubies » de toutes sortes dans l’AFB.
8) Sous l’impact du réveil international des luttes ouvrières après Mai 1968, il y eut une réaction contre ce marais et différentes tentatives pour développer une tendance anarchiste de lutte de classe avec une forme plus effective d’organisation. L’Organisation des Anarchistes Révolutionnaires (Organisation of Revolutionary Anarchists), formée autour de 1970, fut une tentative de mettre cet effort en pratique, en se reliant principalement à La Plateforme Organisationnelle des Communistes Libertaires (The Organizational Platform of the Libertarian Communists [10] [2]) produite en 1926 par Archinov, Ida Mett, Makhno et d’autres réfugiés de la défaite en Russie. La Plateforme avait, tout à fait correctement, argumenté qu’une des raisons à l’écrasement de la résistance à la contre-révolution en Russie s’était trouvée dans le fait que ceux qui avaient résisté, et en particulier les anarchistes, avaient totalement manqué de cohérence organisationnelle et politique. Cela était fondamentalement une saine réponse de classe au problème de s’opposer à la dégénérescence de la révolution. Hélas, l’histoire du « plateformisme » semble avoir été que la recherche d’une telle cohérence avait conduit à la constitution d'un gauchisme sur un terrain bourgeois, généralement sous sa forme trotskiste. La faillite de l’ORA a souligné la force de cette difficulté, une grande part de ses éléments glissant vers différentes formes de gauchisme – certains vers le trotskisme pur et simple, d’autres vers une forme plus libertaire de la même approche, comme l’exprime l’exemple du Libertarian Communist Group (Groupe Libertaire Communiste) des années 1970, dont une partie fusionna avec les néo-maoïstes de « Grande Flamme » (Big Flame). Des formes plus récentes de cette sorte « d’anarcho-trotskisme » incluent le Groupe Anarchiste Ouvrier (Anarchist Workers Group [11] [3]), qui a soutenu le régime de Saddam Hussein contre « l’impérialisme » dans la Guerre du Golfe, et l’actuel Mouvement de Solidarité Ouvrière (Workers’ Solidarity Movement [12] [4]) en Irlande qui n’hésite pas à appeler à la nationalisation des matières premières irlandaises et plaide le soutien à « l’anti-impérialisme » (c’est-à-dire au nationalisme) en Irlande.
9) Au milieu de la fin des années 1980, nous avons assisté à deux principaux développements du mouvement anarchiste organisé : la montée spectaculaire de Guerre de Classe (Class War), et le plus modeste mais beaucoup plus substantiel développement de la Fédération Communiste Anarchiste (Anarchist Communist Federation), aujourd’hui l’AF. A propos de Class War, la partie du livre de Nick Heath concernant ce groupe peut être citée entièrement : « Class War, qui a émergé en tant que groupe autour du journal du même nom au milieu des années 1980, s’est transformé en Fédération de Guerre de Classe (Class War Federation) en 1986. Le groupe ultérieur était fait d’activistes qui rejetaient le pacifisme, l'ancrage à la vie quotidienne et le mouvement hippy qui étaient les tendances dominantes au sein de l’anarchisme britannique. En cela, il représentait un salutaire coup de pied au cul à ces mouvements. De plus, comme dans les actions de « Stop the War ! », il rejetait l’apathie comme la routine. Il poussait vers l'apport de solutions organisationnelles dans sa recherche de développement d'une Fédération. Mais il s'englua dans un populisme qui fut parfois crasse, dans sa recherche de « trucs spectaculaires » pour attirer l’attention des médias. Dans sa quête de publicité, il alla assez loin pour s’immerger dans un électoralisme populiste comme par exemple à travers son engagement dans les primaires électorales de Kensington. Ces contradictions devaient bien sûr conduire à la rupture avec la vieille CWF, avec une critique parfois tranchante. Cependant, aucune alternative organisationnelle ne fut proposée au-delà d’une conférence à Bradford qui tenta d’atteindre d’autres anarchistes et d’offrir une approche non-sectaire vers l’unité de ceux qui étaient sérieusement intéressés à faire avancer le mouvement. Hélas, ces mouvements étaient morts-nés et la plupart de ceux qui avaient avancé des critiques sur l’ancienne façon d’opérer sortirent ensemble et abandonnèrent toute activité. Un groupe croupion survécut, qui a été soutenu par le maintien de Class War à la fois comme groupe et comme journal dans la même vieille veine. »
La citation qui suit est de “ACF- Les premières dix années” (ACF- The first ten years) : “Le naufrage du communisme anarchiste de la fin des années 1970 a signifié qu’il n’y avait pas d’organisation communiste anarchiste, pas même à l'état de squelette, qui aurait pu se relier aux émeutes de 1981 et à la grève des mineurs de 1984-85 aux mobilisations comme les actions de Stop the City de 1984. Mais à l’automne 1984, deux camarades, dont un vétéran de l’ORA/AWA/LCG, sont revenus de France où ils avaient vécu et travaillé et où ils avaient été impliqués dans le mouvement communiste libertaire. La décision fut prise de mettre sur pied le Groupe de Discussion Libertaire Communiste [Libertarian Communist Discussion Group, LCDG] avec l’objectif de créer une organisation spécifique. Des copies de la Plateforme Organisationnelle des Communistes Libertaires [Organisational Platform of the Libertarian Communists] furent distribuées dans les librairies, avec une adresse de contact pour le Groupe de Discussion Anarchiste-Communiste (Anarchist-Communist Discussion Group, ACDG). Les progrès étaient lents, jusqu’à un contact avec le camarade qui produisait un magazine dupliqué qui se définissait comme “anarcho-socialiste”. Ce camarade avait rompu avec la politique du SWP12 et s’engageait rapidement dans une direction anarchiste. Mis à part son sens de l’humour, Virus se signalait par ses critiques du léninisme et du marxisme – rien d’étonnant étant données les expériences passées du camarade. A partir du numéro 5, Virus devint la pièce maîtresse du LCDG, et publia une série d’articles sur l’organisation libertaire. D’autres personnes étaient attirées par le groupe, et il se transforma en ACDG, qui proclamait que son but à long terme était de mettre en place une organisation anarchiste-communiste. Cela arriva plus tôt que prévu, avec la croissance du groupe, et une partie du Mouvement d’Action Directe (Direct Action Movement), Syndicalist Fight (Combat Syndicaliste) fusionnant avec le groupe. En mars 1986, la Fédération Anarchiste Communiste était officiellement fondée, avec accord d’ensemble sur les buts et les principes et la structure constitutionnelle qui avait été développé dans les six mois précédents13. »
10) Etant donné que certains des éléments impliqués dans la formation de l’AF se sont trouvés dans la mouvance qui conduisit de l’ORA au Groupe Libertaire Communiste néo-gauchiste (Libertarian Communist Group), il n’est pas surprenant que le CCI vit à l’origine la Fédération Communiste Anarchiste (Anarchist Communist Federation) comme une autre expression de ce type gauchiste de l’anarchisme14, spécialement parce que, depuis le début, nombre de ses activités paraissait offrir peu de choses d’autre qu’un vernis anarchiste recouvrant la participation à une pléthore de campagnes gauchistes, dont l'implication dans l’anti-fascisme n'était pas le moindre. Cependant, ce que cette position a raté s’est trouvé dans le fait que l’ACF contenait certains éléments qui indiquaient une tentative d’éviter de sombrer complètement dans le gauchisme. La désertion vers le trotskisme de membres fondateurs de l’ORA n’allait pas à l’époque sans une certaine opposition et donna lieu à des ruptures qui donnèrent naissance à différents groupes à la vie éphémère, telle l’Association des Ouvriers Anarchistes (Anarchist Workers’ Association) ; mais peut-être plus important, ceux qui formèrent l’ACF essayèrent de tirer des leçons-clé de toute cette expérience, au moins sur les questions des syndicats et des libérations nationales : « Ce qui est surtout remarquable, c’est la saut qualitatif que l’ACF a fait dans sa critique des syndicats. Une critique de l’anarcho-syndicalisme était approfondie et renforcée. En meme temps, l’ACF rompait avec les idées du syndicalisme de base qui avaient caractérisé la période ORA/AWA/LCG, tout comme avec des notions sur la libération nationale et l’auto-détermination des peuples. (ACF – the first ten years) De même, plutôt que d’adhérer dogmatiquement à la tradition “plateformiste”, l’ACF vit nombre de ses différents courants comme faisant partie de son héritage historique, comme on peut le voir dans la série d’articles « Dans la Tradition » qui commence dans Organise 52. Ces derniers incluaient la « plateforme 26 », Les Amis de Durruti, Socialisme ou Barbarie et les communistes de Gauche allemands, hollandais et anglais. Mais, manquant d’une réelle compréhension des tendances internationalistes dans l’anarchisme, et convaincus que l’ACF était issue du gauchisme sans nous questionner réellement sur ses origines, nous avons répondu à ces développements en interprétant l’intérêt de l’ACF envers la Gauche communiste comme une forme de parasitisme, alors même que l’ACF était loin de correspondre à notre définition d’une organisation parasitaire15. Ces fausses assertions ont été renforcées par la décision de l’ACF de retirer “communiste” de son nom à la fin des années 1990.
11) A Londres en 1886, lors d’un congrès houleux de l’Internationale Socialiste, la tentative des délégations anarchistes de rejoindre l’organisation fut rejetée, marquant l’exclusion définitive des anarchistes de l’Internationale. Le vote pour les exclure était mené sur une base qui avait été discutée dans certaines sections que certains trouvaient douteuses, et nombre des socialistes présents, soit physiquement soit en suivant ce qui s'y passait (y compris Keir Hardie et William Morris) s’opposèrent à cette décision. Nous n’évaluerons pas ici ces évènements ; mais ils illustrent la difficile et souvent traumatique relation entre les ailes anarchistes et marxistes du mouvement ouvrier, qui était encore actuelle à travers la rupture entre Marx et Bakounine à la fin de la Première Internationale. Des moments d’attraction et de répulsion continuèrent à perdurer à travers l’histoire du mouvement. Les énormes perspectives ouvertes par la vague révolutionnaire qui débuta en 1917 donna naissance à des espoirs que la rupture traditionnelle entre les révolutionnaires marxistes et anarchistes soient remise en cause, avec les anarcho-syndicalistes assistant au premier congrès de la Troisième Internationale et les anarchistes combattant aux côtés des bolcheviks pour le renversement du pouvoir bourgeois en Russie. Ces espoirs furent très rapidement déçus, d’abord parce que les bolcheviks, pris dans le carcan du nouvel Etat soviétique, commencèrent à supprimer les autres expressions du mouvement révolutionnaire en Russie, principalement chez les anarchistes. Il est certainement vrai que certains anarchistes – comme ceux qui avaient tenté de faire sauter le quartier général bolchevique de Moscou en 1918 – manquèrent d’un certain sens des responsabilités révolutionnaires, mais la répression mise en œuvre par les bolcheviks attaquait les tendances clairement prolétariennes comme celle des anarcho-syndicalistes autour de Maximoff. Le triomphe mondial de la contre-révolution renforça ensuite l’isolement et la séparation des minorités révolutionnaires qui restaient, bien qu’il y eut des moments de convergence, par exemple entre les communistes de conseils et des expressions de l’anarchisme, entre la Gauche italienne et le groupe autour de Camillo Berneri en Espagne (Camillo était le père de Marie-Louise Berneri, qui avait été active dans le groupe War Commentary en Grande-Bretagne, comme nous le mentionnons au début de cet article). Mais le rôle de la CNT en Espagne et la participation ouverte de certaines tendances anarchistes dans la Résistance et même dans les armées officielles de la « Libération », accentua la division entre l’anarchisme et les marxistes, particulièrement ceux qui venaient de la Gauche communiste italienne, enclins à conclure que l’anarchisme dans son ensemble avait pris le chemin du trotskisme en abandonnant définitivement l’internationalisme, et donc le mouvement ouvrier, pendant la guerre16.
12) Les batailles de Mai 68 se firent souvent sous les drapeaux rouges et noirs – exprimant symboliquement une tentative de retrouver ce qui était à l’origine révolutionnaire dans les traditions anarchiste et marxiste. Un certain nombre des groupes qui formèrent le CCI avaient commencé leur existence dans l’anarchisme d’une façon ou d’une autre, aussi depuis le début de notre organisation, il y a eu une compréhension que l’anarchisme était tout sauf un bloc monolithique et que beaucoup de la nouvelle génération, dans leur rejet ardent de la social-démocratie et du stalinisme, avaient été initialement attirés par les idéaux de l’anarchisme. En même temps, cette attitude plus ouverte était accompagnée d’un besoin de se démarquer en tant que tendance distincte avec des positions cohérentes ; et, sous l’influence de l’immaturité politique et d’un manque de connaissance historique, cette réponse nécessaire allait souvent de pair avec une attitude quelque peu sectaire. Le débat du CCI sur les groupes prolétariens dans les années 1970 fut la première tentative consciente de dépasser ces réactions sectaires. Mais le milieu politique prolétarien traversa une phase de crise au début des années 1980 et celle-ci inclut l’affaire « Chénier » dans le CCI. Dans une large mesure, la crise qui affecta le CCI avait son épicentre en Grande-Bretagne, et ses conséquences furent de créer un mur de suspicion autour du CCI, plus particulièrement parmi les courants libertaires qui tendirent à voir nos efforts pour défendre l’organisation comme des expressions d’un stalinisme congénital. Ce mur n’a jamais été réellement brisé. Malgré des moments de dialogue17, les relations entre le CCI et le milieu anarchiste/libertaire en Grande-Bretagne ont été particulièrement difficiles : à la fin des années 1990, le CCI avait été exclu du groupe Not War but the Class War formé en réponse à la guerre des Balkans et banni des réunions de AF à Londres. Il faut aussi admettre que les propres erreurs du CCI contribuèrent à ce piteux état des relations : en particulier, une caractérisation erronée comme groupes gauchistes du Mouvement d’Action Directe et d’AF , basée sur l’ignorance de leur fondement historique, et une application schématique et un peu lourde de la notion de parasitisme politique dans le contexte du groupe « Not War but the Class War ». En même temps, l’attitude suspicieuse et parfois non-fraternelle des anarchistes envers le CCI a des racines plus profondes dans l’histoire et la théorie, surtout en relation avec la question de l’organisation des révolutionnaires, et ces racines ont aussi besoin d’être soigneusement réexaminées. Malgré tous ces obstacles, l’apparition depuis le début des années 2000 d’une nouvelle génération de révolutionnaires a attiré vers les idées révolutionnaires, largement médiatisée à travers le communisme libertaire, a fourni la possibilité d’un air frais nouveau. Par notre participation dans les forums de discussion en ligne, comme libcom, il est devenu évident pour nous qu’il y a de nombreux camarades s’appelant anarchistes ou libertaires qui défendent des positions prolétariennes sur les syndicats, le nationalisme et la guerre impérialiste, et que cela inclut des membres de groupes ou de traditions que nous avions considéré par le passé comme gauchistes, tels AF ou Solfed. Ceci a conduit à une réévaluation de notre part, renforcé par nos discussions internationales, et même un travail commun, avec des groupes en Amérique latine. Cette réévaluation a été bien saluée par certains anarchistes, bien que beaucoup la voient comme une tactique opportuniste de « recrutement » de notre part, et nos relations avec ce milieu connaissent toujours des hauts et des bas. Mais pour nous, le maintien d’un dialogue avec les éléments prolétariens dans l’anarchisme est la seule base de dépassement possible des méfiances qui existent entre les ailes marxiste et anarchiste du mouvement révolutionnaire, et pour parvenir à une clarification permettant d'exercer une activité commune en dépit de nos différences.
Amos (Avril 2011)
1Un exemple premier étant l’extraordinaire Dan Chatterton, qui a écrit de sa propre main et publié Le Brulôt Communiste athée (Atheistic Communist Scorcher) de 1884 jusqu’à sa mort en 1895.
2Socialist Party of Great Britain
3Social Democratic Federation
4 George Woodcock, L’anarchisme : une histoire des idées et des mouvements libertaires (Anarchism: A history of libertarian ideas and movements), publié pour la première fois en 1962, édition revue en 1986.
5 www.afed.org.uk/org/issue42/acbrit.html [13] [1]
6 www.solfed.org.uk/?q=a-short-history-of-british-anarcho-syndicalism [14] [2]
7 Un recueil d’articles de War Commentary a été publiée dans un ouvrage intitulé Ni Est ni Ouest, sélection des écrits de Marie-Louise Berneri (Neither East nor West, selected writings of Marie Louise Berneri aux éditions Freedom Press, 1952.
8 George Woodcock, Anarchism, A history of libertarian ideas and movements, 1986 edition, p 386. Décrivant la même période en France, il utilise le terme “d’anarchisme officiel” pour décrire les restes fossilisés du mouvement.
9Campaign for Nuclear Disarmament
10 Un phénomène similaire peut être vu dans l’influence du groupe Wildcat et son heir Subversion dans les années 1980 et 1990 : ils ont aussi développé un mélange de conseillisme et d’anarchisme qui eut une résonnance fairly large sur la scène libertaire en général. Une histoire plus développée de l’anarchisme au Royaume-Uni devrait inclure une évaluation de ces groupes, dont les origines se trouvent plus comme branche du communisme de gauche que dans l’anarchisme en soi.
11 https://libcom.org/article/uk-anarchist-movement-looking-back-and-forward [15] [6]
12Socialist Workers' Party – trotskyste, de la tendance Tony Cliff
13 www.afed.org.uk/org/issue42/acbrit.html [13] [1]
14 https://en.internationalism.org/wr/238_leftcom.htm [16] [7]
15 Nous avons ainsi défini un groupe parasitaire comme un groupe qui a la même plateforme qu’une organisation communiste existante et existe principalement pour l’attaquer et la saper. Mais la plateforme de l’ACF n’était nulle part proche de celle des groupes de la Gauche communiste et montrait un manque d’intérêt consistent à l’égard de ces organisations. D’un autre côté, il y a eu des groupes gauchistes qui ont agi comme des parasites destructeurs sur la Gauche communiste, tels l’UCM iranienne ou le groupe Hilo Rojo, et nous basions notre position de l’ACF sur notre expérience vis-à-vis de ces groupes. En d’autres termes, la notion de l’ACF comme parasitaire était une conséquence du fait que nous la voyions comme étant gauchiste.
16 Il y eut des exceptions. Par exemple, Marc Chirik de la Gauche communiste en France a maintenu une relation très fraternelle avec Voline pendant la guerre : le groupe de Voline était certainement internationaliste. De même, bien que la Gauche communiste de France se soit vigoureusement opposée à l’invitation des principales organisations anarchistes à la conférence d’après-guerre des internationalistes en Hollande, ils n’eurent pas d’objection à ce qu’un vieux militant anarchiste, contemporain d’Engels, dirige la réunion.
17 Par exemple la participation du CCI dans des reunions du London Worker’s Group dans les années 1980 et la “troisième” incarnation de « No War but the Class War » au sujet de la guerre en Afghanistan en 2001.
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/rint145/que_se_passe_t_il_au_moyen_orient.html
[2] https://fr.internationalism.org/tag/5/230/libye
[3] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/lanarchisme-internationaliste
[4] http://www.btinternet.com/~m.royden/mrlhp/students/transportstrike/transportstrike.htm
[5] https://en.internationalism.org/icconline/2007/sept/belfast-1907
[6] https://fr.internationalism.org/tag/5/37/grande-bretagne
[7] https://www.youtube.com/watch?v=G18EmYGGpYI
[8] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/emeutes
[9] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/grande-bretagne
[10] https://www.nestormakhno.info/english/platform/org_plat.htm
[11] https://www.anarkismo.net/article/8452
[12] http://www.wsm.ie/
[13] http://www.afed.org.uk/org/issue42/acbrit.html
[14] http://solfed.org.uk/solfed/a-short-history-of-british-anarcho-syndicalism
[15] https://libcom.org/article/uk-anarchist-movement-looking-back-and-forward
[16] https://en.internationalism.org/wr/238_leftcom.htm