Les grèves, les luttes et les manifestations continuent en Afrique du Nord ! Des soulèvements de populations opprimées, d’étudiants, des manifestations ouvrières ont gagné de nombreux autres pays du continent africain, du Proche et du Moyen-Orient. Pourtant, les guerres entre fractions bourgeoises nationalistes et les politiques impérialistes des différents pays impliqués dans toutes ces régions pèsent d’un poids très lourd sur toutes ces luttes. Un danger mortel guette les couches opprimées et la classe ouvrière de tous ces pays. Au piège démocratique et nationaliste fait écho une répression de plus en plus généralisée et féroce, la mitraille pour les uns, les obus et les bombes pour les autres. Mais le besoin de se nourrir, de vivre dignement, d’avoir un avenir pousse malgré tout nos frères de classe à ne pas se résigner. Que peut et que doit faire la classe ouvrière en France, en Allemagne, en Angleterre et dans tous les pays du cœur du capitalisme mondial devant une telle situation ? La lutte des opprimés et des ouvriers dans ces pays est notre lutte ; les armées et les cliques bourgeoises qui les massacrent sont nos ennemis communs.
En Egypte, la rue, la détermination des manifestants, la volonté de la classe ouvrière ont eu raison du gouvernement de Moubarak. La bourgeoisie a cru alors la partie gagnée : la place Tahrir, haut lieu de la lutte, pouvait être à nouveau ouverte à la circulation. La population pouvait retourner “librement” crever de faim dans les taudis des villes égyptiennes. Le gouvernement provisoire, sous l’égide de l’armée et de son conseil suprême, allait reprendre les affaires de l’Etat en main avec promesse d’élections libres et démocratiques à venir. Pourtant le 23 mars dernier, le Premier ministre Essam Charaf, appuyé par l’armée, promulguait une loi criminalisant les grèves et les manifestations. Lourdes amendes et peines de prisons, voilà la réponse de la bourgeoisie égyptienne confrontée à une vague de revendications qui continuent à s’exprimer. Les interventions de la police et de l’armée, aussi bien contre les grévistes qu’à l’intérieur de l’université du Caire, ne pouvaient enrayer le mécontentement. Bien au contraire, cette loi a suscité une vague de protestations et de grèves. Le 12 avril, le quotidien Al-Masry Al-Youm soulignait “la permanence de mouvements de protestations et de grèves dans de nombreuses régions de l’Egypte. Elles portaient sur les salaires, les conditions de travail, les contrats de travail, etc. Ces mouvements touchent des secteurs très diversifiés.” A Alexandrie, par exemple, des enseignants demandent la suppression de leur statut de temporaires, réclament des contrats à durée indéterminée. Au Caire, se sont des salariés des services de l’administration fiscale qui exigent une hausse de salaire. Certes, en Egypte, il n’y a plus pour le moment de manifestations massives, mais la colère ouvrière et sa combativité restent bien présentes. Les revendications avancées par les travailleurs en Egypte au cours des derniers mois expriment parfaitement à la fois leur caractère ouvrier et les illusions démocratiques qui pèsent lourdement. Elles ont été affichées sur tous les sites en lutte et reprises dans plus de 500 plates-formes revendicatives. Elles étaient résumées en six points, les voici :
1) Transformer en contrats à durée indéterminée les contrats des travailleurs temporaires qui travaillent depuis plus de trois ans.
2) Limoger les membres des conseils d’administration des institutions et banques mêlés à des actes de corruption impliquant de l’argent public, eux qui profitent encore de leur poste.
3) L’annulation de sanctions arbitraires prononcées par les dirigeants des entreprises contre des cadres et des travailleurs qui ont dénoncé les pratiques de ces dirigeants ; sanctions allant du transfert vers une autre entreprise à des punitions diverses comme à des licenciements.
4) Déterminer un seuil minimum et un plafond pour les salaires et veiller à réduire les disparités entre les revenus ; garantir un niveau de vie digne pour les travailleurs ; assurer une relation entre les salaires et l’évolution des prix des biens et des services, ainsi que celle du montant moyen à payer pour les assurances.
5) Assurer le droit d’organisation syndicale, indépendante de l’Etat.
6) Modifier les textes du Code du travail pour assurer la stabilité des relations de travail et parvenir à la sécurité d’emploi et limiter les pouvoirs de l’employeur dans l’utilisation de licenciements arbitraires.
Tel est le cas également en Algérie. Depuis plusieurs mois, la contestation est permanente. Le 3 avril, le journal Al Watan déclarait : “Les étudiants ne décolèrent toujours pas. Les médecins résidents lancent un défi à Ould Abbès. Les gardes communaux menacent “d’encercler” la Présidence. Les paramédicaux reprennent la grève.” Dans l’enseignement, une grève nationale de trois jours sur la question des retraites était prévue à partir du 25 de ce mois, alors que des employés de l’Education avaient été réprimés deux jours auparavant lors d’une manifestation sur la question des conditions de travail.
En Tunisie, se sont les ouvriers travaillant dans le secteur du pétrole pour la société SNDP qui viennent de rentrer en grève. Ce mouvement touche l’ensemble du personnel des nombreuses sociétés de sous-traitance disséminées dans tout le pays, véritables entreprises de misère. Ils rejoignent ainsi ceux de l’enseignement qui luttent depuis de longues semaines.
Dans des pays comme le Swaziland, le Gabon, le Cameroun, Djibouti et le Burkina Faso, des manifestations estudiantines et ouvrières, influencées par ce qui s’est passé en Egypte et en Tunisie, ont été réprimées dans la plupart des cas. Dans ces pays, la classe ouvrière est peu nombreuse ce qui, malgré la détermination des populations réduites à la misère, ouvre toute grande la porte à la répression de masse.
Au Yémen, alors que le porte-parole de l’opposition avait annoncé, lundi 25 avril, avoir donné son accord au plan de sortie de crise proposé par le Conseil de coopération du Golfe qui prévoyait le départ d’ici quelques semaines du président Saleh, au pouvoir depuis trente deux ans, la réponse de la rue a été claire et sans ambages : “Nous rejetons catégoriquement toute initiative qui ne prévoit pas le départ du président Saleh et sa famille”, a affirmé dimanche dans un communiqué la Coordination des mouvements de jeunes qui encadre le sit-in de la place de l’université de Sanaa. La suite de ce communiqué en dit long sur la détermination des manifestants : “l’opposition ne représente qu’elle même” et invite “à s’abstenir de tout dialogue avec le régime, à demander le départ immédiat de Saleh et son jugement”. Là encore, la réponse fut la même. Lundi, lors de manifestation à Taêz, à Ibb et à Al-Baîdah, l’armée a fait feu sur la manifestation.
Dans le genre chien sanglant, la famille el-Assad en Syrie sait également tenir son rang. Dans ce pays, depuis le 12 mars dernier, une grande partie de la population s’est soulevée. Les raisons sont là encore les mêmes. Misère grandissante et oppression quotidienne sont le lot de toute la population opprimée. Répression, enlèvements et assassinats sont la réponse du sinistre Bachir el-Assad. Selon l’AFP, depuis que le soulèvement a eu lieu, il y aurait eu quelques 390 tués, dont environ 160 depuis la prétendue levée de l’état d’urgence le 21 avril. Lundi dernier, au moins 25 personnes ont été tuées lors du pilonnage de Deraa, où plus de 3000 soldats appuyés par les blindés et des chars étaient arrivés avant l’aube. “La mosquée Abou Bakr Assidiq est la cible de tir intensif, et un sniper est posté sur la mosquée Bilal al-Habachi. Des chars sont postés et des barrières installées aux entrées de la ville” (site Orange du 26 avril 2011). La justification est toujours la même, on croirait entendre un Kadhafi, ou n’importe quel autre dirigeant aux prise avec la révolte et la contestation, qui accuse hypocritement “des gangs criminels armés” d’être à l’origine du mouvement. L’armée serait entrée à Deraa “en réponse aux appels aux secours lancés par les habitants pour mettre fin aux actes de sabotage et d’assassinat commis par des groupes terroristes extrémistes” (idem). Ignobles et pathétiques sont ces justifications de Bachir el-Assad. Comme est ignoble et pathétique l’attitude des grandes puissances. Rome et Paris se disent préoccupés par la situation et appellent le régime à “arrêter la répression violente”, a déclaré le chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi à l’issue d’un sommet franco-italien. Quand aux Etats-Unis, ils disent réfléchir à des sanctions ciblées. Le président français Sarkozy, champion toutes catégories du bombardement de la population libyenne, a bien évidemment exclu une intervention militaire en Syrie sans une résolution préalable du Conseil de sécurité de l’ONU. Résolution que tous savent impossible à obtenir, intervention militaire que personne ne veut : la population syrienne peut bien crever, la Syrie n’est pas la Libye ! La Syrie, c’est plus de 21 millions d’habitants, une force armée bien plus conséquente que celle de la Libye ou de l’Irak d’hier et, surtout, c’est une puissance impérialiste qui compte dans la région : elle a des alliés non négligeables dans sa politique anti-américaine, tel l’Iran, et des appuis diplomatiques tels que la Chine ou la Russie. Une intervention militaire en Syrie déstabiliserait tout le monde arabo-musulman, et personne ne sait où cela conduirait. Les impérialismes vont devoir, contrairement à ce qui se passe en Libye, défendre leurs sordides intérêts autrement.
Mais un danger bien réel guette la population insurgée en Syrie. Le gouvernement de Bachir el-Assad s’appuie sur des minorités religieuses dont celle des alaouites, alors que la population est à 70 % sunnite. En l’absence d’une classe ouvrière suffisamment forte et consciente, il peut être facile d’entraîner la population opprimée et affamée derrière une fraction bourgeoise ou une autre. Malheureusement, cette situation peut déboucher sur une véritable guerre civile, à l’image de ce qui se passe à Bahreïn.
Dans cet émirat, depuis maintenant de nombreuses semaines, la population manifeste pour demander la chute du Premier ministre Khalifa ben Salman Al-Khalifa, oncle du roi Hamad ben Issa Al-Khalifa, dynastie sunnite qui règne depuis deux cents ans sur ce royaume dont la population est en majorité chiite. Dans ce pays, réclamer du pain, réclamer le droit à la parole ne peut que se transformer rapidement de la part de la population pauvre en une contestation ouverte de la dynastie sunnite corrompue au pouvoir. A la répression du gouvernement en place s’est alors ajoutée celle de l’entrée en force dans ce petit royaume de l’armée d’Arabie saoudite, venue défendre le pouvoir sunnite. Les chars pouvaient alors occuper les rues de la capitale Manama. Le décor était tristement planté et les tensions impérialistes entre l’Iran et ses voisins du conseil de coopération du Golfe (Arabie Saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Katar et Oman) ne faisaient que se tendre. A partir de la mi-mars, l’Iran n’a cessé de critiquer la répression d’un mouvement de contestation dirigé de fait par des chiites, majoritaires dans le pays. L’hypocrisie totale de la France, de l’Angleterre, des Etats-Unis qui, rappelons-le, bombardent en ce moment même la Libye au nom de l’humanitaire, éclate ici au grand jour. Pas un mot, pas une protestation de la part de ces gangsters impérialistes. Ici les massacres ne leur révulsent pas le cœur. Et pour cause, leur allié objectif se trouve dans ce pays du côté des massacreurs, le gouvernement du Bahreïn et autre Arabie saoudite. L’ennemi commun s’appelle l’Iran. Pour cette population qui se révolte avec courage et détermination, il n’y a pas d’issue favorable dans tout ce bourbier nationaliste et impérialiste.
Dans tous les pays de ce que l’on appelle le monde arabo-musulman les populations se soulèvent, la crise économique fait des ravages ; se nourrir devient une préoccupation quotidienne. Mais tous ces opprimés qui se révoltent ne sont pas tous logés à la même enseigne. Il est bien plus difficile pour les bourgeoisies locales de réprimer massivement dans des pays comme l’Egypte, la Tunisie ou l’Algérie, comme il est plus difficile pour les différentes grandes puissances impérialistes d’y défendre leurs sordides intérêts à coup de canons. La différence tient à l’existence dans ces pays d’une classe ouvrière qui, si elle ne peut pas prendre la tête du mouvement de révolte, n’en pèse pas moins dans la situation sociale.
Mais dans tous ces pays, quel que soit le prix à payer par les populations opprimées, les révoltes et les luttes ouvrières ne sont pas prêtes de cesser.
Voilà donc nos dirigeants démocratiques et grands défenseurs des droits de l’homme confrontés à un nouveau problème humain ! Le développement de la misère, la répression violente et massive dans les pays d’Afrique du Nord ont accéléré brutalement la migration de familles entières démunies de tout et cherchant à survivre dans la fuite vers les pays d’Europe. Il est estimé que dans les prochains mois, la vague d’émigrants devrait compter 300 000 personnes. Depuis quelques semaines ce sont quelques 20 000 Tunisiens qui sont arrivés sur les côtes italiennes, cherchant en partie à rejoindre la France. 8000 d’entre eux seraient passés par la désormais célèbre île de Lampedusa. Le problème, c’est qu’aucun gouvernement d’Europe, aucune bourgeoisie nationale ne veut de ces gens. D’ailleurs, bon nombre d’entres eux crèvent tout simplement en mer, de froid, de faim ou de noyade sans qu’un seul de ces magnifiques bateaux de guerre déployés partout dans le monde par nos grandes puissances ne daignent même faire semblant de les secourir. Mais dans l’horreur et l’inhumanité de la classe bourgeoise, il y a toujours pire à faire et à envisager. La France en tête, la bourgeoisie européenne veut jeter aux oubliettes l’espace sans frontière de Schengen. Cela veut dire concrètement que tous les pays d’Europe veulent se protéger, y compris militairement si nécessaire, contre ce qu’ils appellent l’invasion massive d’étrangers venus d’Afrique du Nord. A l’Italie de se débrouiller toute seule ou plus exactement à prendre la responsabilité de rejeter tous ces pauvres gens à la mer.
Que valent alors tous ces grandiloquents discours bourgeois qui justifient les bombardements en Libye au nom de l’humanitaire, au nom de la défense de la vie humaine ? La réponse est simple : RIEN ! Ce sont des paroles d’hypocrites, de menteurs et de gangsters qui ne font que défendre l’intérêt de leur propre impérialisme national.
Aujourd’hui, la crise ne sévit pas que dans les pays d’Afrique du Nord. En Asie, en Amérique, en Europe, partout, ses effets commencent à se faire sentir. Des luttes impliquant notamment des jeunes générations ouvrières se sont développées dans des pays tels que la Grèce, le Portugal, l’Espagne, la France, la Grande-Bretagne. Dans ces pays, la classe ouvrière s’est mobilisée contre les plans d’austérité que chaque bourgeoisie nationale essaie de leur imposer. Ces réactions sont importantes et nécessaires. Dernièrement, dans bien des manifestations, s’exprimait une sympathie certaine pour les révoltes et les luttes qui se développaient en Egypte, en Tunisie, etc. Dans les pays du cœur du capitalisme, la classe ouvrière commence à ressentir confusément que ces révoltes dans ces pays d’Afrique du Nord relèvent des mêmes raisons qui poussent les ouvriers en Chine, aux Etats-Unis et en Europe dans la rue. Mais cela ne suffit pas. Pour se défendre, pour se protéger et freiner ces attaques du capitalisme, il va falloir des luttes beaucoup plus massives et unies que celles que nous avons connues jusqu’à maintenant. Seules ces luttes impliquant la majorité de la classe ouvrière des pays développés pourra freiner le bras meurtrier de la répression dans les pays d’Afrique du Nord. Plus que jamais, les populations opprimées et les ouvriers de ces pays ont besoin de la solidarité active du prolétariat du cœur du capitalisme. Les ouvriers d’Europe peuvent voir concrètement ce qu’est la démocratie en regardant les bombes de la coalition internationale tomber sur la population libyenne et les mesures d’expulsions de ceux qui fuient les massacres et leurs conditions de vie insoutenables, renvoyés purement et simplement crever dans leurs pays, tandis que la bourgeoisie occidentale les noie sous des discours humanitaires.
Dans l’avenir, quelles que soient les difficultés, la résistance de la classe ouvrière ne peut se faire que de plus en plus massive et, au cœur historique du capitalisme, l’Europe, la confrontation à la démocratie bourgeoise de plus en plus claire et frontale.
Tino (28 avril)
Les grèves, les luttes et les manifestations continuent en Afrique du Nord ! Des soulèvements de populations opprimées, d’étudiants, des manifestations ouvrières ont gagné de nombreux autres pays du continent africain, du Proche et du Moyen-Orient. Pourtant, les guerres entre fractions bourgeoises nationalistes et les politiques impérialistes des différents pays impliqués dans toutes ces régions pèsent d’un poids très lourd sur toutes ces luttes. Un danger mortel guette les couches opprimées et la classe ouvrière de tous ces pays. Au piège démocratique et nationaliste fait écho une répression de plus en plus généralisée et féroce, la mitraille pour les uns, les obus et les bombes pour les autres. Mais le besoin de se nourrir, de vivre dignement, d’avoir un avenir pousse malgré tout nos frères de classe à ne pas se résigner. Que peut et que doit faire la classe ouvrière en France, en Allemagne, en Angleterre et dans tous les pays du cœur du capitalisme mondial devant une telle situation ? La lutte des opprimés et des ouvriers dans ces pays est notre lutte ; les armées et les cliques bourgeoises qui les massacrent sont nos ennemis communs.
En Egypte, la rue, la détermination des manifestants, la volonté de la classe ouvrière ont eu raison du gouvernement de Moubarak. La bourgeoisie a cru alors la partie gagnée : la place Tahrir, haut lieu de la lutte, pouvait être à nouveau ouverte à la circulation. La population pouvait retourner “librement” crever de faim dans les taudis des villes égyptiennes. Le gouvernement provisoire, sous l’égide de l’armée et de son conseil suprême, allait reprendre les affaires de l’Etat en main avec promesse d’élections libres et démocratiques à venir. Pourtant le 23 mars dernier, le Premier ministre Essam Charaf, appuyé par l’armée, promulguait une loi criminalisant les grèves et les manifestations. Lourdes amendes et peines de prisons, voilà la réponse de la bourgeoisie égyptienne confrontée à une vague de revendications qui continuent à s’exprimer. Les interventions de la police et de l’armée, aussi bien contre les grévistes qu’à l’intérieur de l’université du Caire, ne pouvaient enrayer le mécontentement. Bien au contraire, cette loi a suscité une vague de protestations et de grèves. Le 12 avril, le quotidien Al-Masry Al-Youm soulignait “la permanence de mouvements de protestations et de grèves dans de nombreuses régions de l’Egypte. Elles portaient sur les salaires, les conditions de travail, les contrats de travail, etc. Ces mouvements touchent des secteurs très diversifiés.” A Alexandrie, par exemple, des enseignants demandent la suppression de leur statut de temporaires, réclament des contrats à durée indéterminée. Au Caire, se sont des salariés des services de l’administration fiscale qui exigent une hausse de salaire. Certes, en Egypte, il n’y a plus pour le moment de manifestations massives, mais la colère ouvrière et sa combativité restent bien présentes. Les revendications avancées par les travailleurs en Egypte au cours des derniers mois expriment parfaitement à la fois leur caractère ouvrier et les illusions démocratiques qui pèsent lourdement. Elles ont été affichées sur tous les sites en lutte et reprises dans plus de 500 plates-formes revendicatives. Elles étaient résumées en six points, les voici :
1) Transformer en contrats à durée indéterminée les contrats des travailleurs temporaires qui travaillent depuis plus de trois ans.
2) Limoger les membres des conseils d’administration des institutions et banques mêlés à des actes de corruption impliquant de l’argent public, eux qui profitent encore de leur poste.
3) L’annulation de sanctions arbitraires prononcées par les dirigeants des entreprises contre des cadres et des travailleurs qui ont dénoncé les pratiques de ces dirigeants ; sanctions allant du transfert vers une autre entreprise à des punitions diverses comme à des licenciements.
4) Déterminer un seuil minimum et un plafond pour les salaires et veiller à réduire les disparités entre les revenus ; garantir un niveau de vie digne pour les travailleurs ; assurer une relation entre les salaires et l’évolution des prix des biens et des services, ainsi que celle du montant moyen à payer pour les assurances.
5) Assurer le droit d’organisation syndicale, indépendante de l’Etat.
6) Modifier les textes du Code du travail pour assurer la stabilité des relations de travail et parvenir à la sécurité d’emploi et limiter les pouvoirs de l’employeur dans l’utilisation de licenciements arbitraires.
Tel est le cas également en Algérie. Depuis plusieurs mois, la contestation est permanente. Le 3 avril, le journal Al Watan déclarait : “Les étudiants ne décolèrent toujours pas. Les médecins résidents lancent un défi à Ould Abbès. Les gardes communaux menacent “d’encercler” la Présidence. Les paramédicaux reprennent la grève.” Dans l’enseignement, une grève nationale de trois jours sur la question des retraites était prévue à partir du 25 de ce mois, alors que des employés de l’Education avaient été réprimés deux jours auparavant lors d’une manifestation sur la question des conditions de travail.
En Tunisie, se sont les ouvriers travaillant dans le secteur du pétrole pour la société SNDP qui viennent de rentrer en grève. Ce mouvement touche l’ensemble du personnel des nombreuses sociétés de sous-traitance disséminées dans tout le pays, véritables entreprises de misère. Ils rejoignent ainsi ceux de l’enseignement qui luttent depuis de longues semaines.
Dans des pays comme le Swaziland, le Gabon, le Cameroun, Djibouti et le Burkina Faso, des manifestations estudiantines et ouvrières, influencées par ce qui s’est passé en Egypte et en Tunisie, ont été réprimées dans la plupart des cas. Dans ces pays, la classe ouvrière est peu nombreuse ce qui, malgré la détermination des populations réduites à la misère, ouvre toute grande la porte à la répression de masse.
Au Yémen, alors que le porte-parole de l’opposition avait annoncé, lundi 25 avril, avoir donné son accord au plan de sortie de crise proposé par le Conseil de coopération du Golfe qui prévoyait le départ d’ici quelques semaines du président Saleh, au pouvoir depuis trente deux ans, la réponse de la rue a été claire et sans ambages : “Nous rejetons catégoriquement toute initiative qui ne prévoit pas le départ du président Saleh et sa famille”, a affirmé dimanche dans un communiqué la Coordination des mouvements de jeunes qui encadre le sit-in de la place de l’université de Sanaa. La suite de ce communiqué en dit long sur la détermination des manifestants : “l’opposition ne représente qu’elle même” et invite “à s’abstenir de tout dialogue avec le régime, à demander le départ immédiat de Saleh et son jugement”. Là encore, la réponse fut la même. Lundi, lors de manifestation à Taêz, à Ibb et à Al-Baîdah, l’armée a fait feu sur la manifestation.
Dans le genre chien sanglant, la famille el-Assad en Syrie sait également tenir son rang. Dans ce pays, depuis le 12 mars dernier, une grande partie de la population s’est soulevée. Les raisons sont là encore les mêmes. Misère grandissante et oppression quotidienne sont le lot de toute la population opprimée. Répression, enlèvements et assassinats sont la réponse du sinistre Bachir el-Assad. Selon l’AFP, depuis que le soulèvement a eu lieu, il y aurait eu quelques 390 tués, dont environ 160 depuis la prétendue levée de l’état d’urgence le 21 avril. Lundi dernier, au moins 25 personnes ont été tuées lors du pilonnage de Deraa, où plus de 3000 soldats appuyés par les blindés et des chars étaient arrivés avant l’aube. “La mosquée Abou Bakr Assidiq est la cible de tir intensif, et un sniper est posté sur la mosquée Bilal al-Habachi. Des chars sont postés et des barrières installées aux entrées de la ville” (site Orange du 26 avril 2011). La justification est toujours la même, on croirait entendre un Kadhafi, ou n’importe quel autre dirigeant aux prise avec la révolte et la contestation, qui accuse hypocritement “des gangs criminels armés” d’être à l’origine du mouvement. L’armée serait entrée à Deraa “en réponse aux appels aux secours lancés par les habitants pour mettre fin aux actes de sabotage et d’assassinat commis par des groupes terroristes extrémistes” (idem). Ignobles et pathétiques sont ces justifications de Bachir el-Assad. Comme est ignoble et pathétique l’attitude des grandes puissances. Rome et Paris se disent préoccupés par la situation et appellent le régime à “arrêter la répression violente”, a déclaré le chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi à l’issue d’un sommet franco-italien. Quand aux Etats-Unis, ils disent réfléchir à des sanctions ciblées. Le président français Sarkozy, champion toutes catégories du bombardement de la population libyenne, a bien évidemment exclu une intervention militaire en Syrie sans une résolution préalable du Conseil de sécurité de l’ONU. Résolution que tous savent impossible à obtenir, intervention militaire que personne ne veut : la population syrienne peut bien crever, la Syrie n’est pas la Libye ! La Syrie, c’est plus de 21 millions d’habitants, une force armée bien plus conséquente que celle de la Libye ou de l’Irak d’hier et, surtout, c’est une puissance impérialiste qui compte dans la région : elle a des alliés non négligeables dans sa politique anti-américaine, tel l’Iran, et des appuis diplomatiques tels que la Chine ou la Russie. Une intervention militaire en Syrie déstabiliserait tout le monde arabo-musulman, et personne ne sait où cela conduirait. Les impérialismes vont devoir, contrairement à ce qui se passe en Libye, défendre leurs sordides intérêts autrement.
Mais un danger bien réel guette la population insurgée en Syrie. Le gouvernement de Bachir el-Assad s’appuie sur des minorités religieuses dont celle des alaouites, alors que la population est à 70 % sunnite. En l’absence d’une classe ouvrière suffisamment forte et consciente, il peut être facile d’entraîner la population opprimée et affamée derrière une fraction bourgeoise ou une autre. Malheureusement, cette situation peut déboucher sur une véritable guerre civile, à l’image de ce qui se passe à Bahreïn.
Dans cet émirat, depuis maintenant de nombreuses semaines, la population manifeste pour demander la chute du Premier ministre Khalifa ben Salman Al-Khalifa, oncle du roi Hamad ben Issa Al-Khalifa, dynastie sunnite qui règne depuis deux cents ans sur ce royaume dont la population est en majorité chiite. Dans ce pays, réclamer du pain, réclamer le droit à la parole ne peut que se transformer rapidement de la part de la population pauvre en une contestation ouverte de la dynastie sunnite corrompue au pouvoir. A la répression du gouvernement en place s’est alors ajoutée celle de l’entrée en force dans ce petit royaume de l’armée d’Arabie saoudite, venue défendre le pouvoir sunnite. Les chars pouvaient alors occuper les rues de la capitale Manama. Le décor était tristement planté et les tensions impérialistes entre l’Iran et ses voisins du conseil de coopération du Golfe (Arabie Saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Katar et Oman) ne faisaient que se tendre. A partir de la mi-mars, l’Iran n’a cessé de critiquer la répression d’un mouvement de contestation dirigé de fait par des chiites, majoritaires dans le pays. L’hypocrisie totale de la France, de l’Angleterre, des Etats-Unis qui, rappelons-le, bombardent en ce moment même la Libye au nom de l’humanitaire, éclate ici au grand jour. Pas un mot, pas une protestation de la part de ces gangsters impérialistes. Ici les massacres ne leur révulsent pas le cœur. Et pour cause, leur allié objectif se trouve dans ce pays du côté des massacreurs, le gouvernement du Bahreïn et autre Arabie saoudite. L’ennemi commun s’appelle l’Iran. Pour cette population qui se révolte avec courage et détermination, il n’y a pas d’issue favorable dans tout ce bourbier nationaliste et impérialiste.
Dans tous les pays de ce que l’on appelle le monde arabo-musulman les populations se soulèvent, la crise économique fait des ravages ; se nourrir devient une préoccupation quotidienne. Mais tous ces opprimés qui se révoltent ne sont pas tous logés à la même enseigne. Il est bien plus difficile pour les bourgeoisies locales de réprimer massivement dans des pays comme l’Egypte, la Tunisie ou l’Algérie, comme il est plus difficile pour les différentes grandes puissances impérialistes d’y défendre leurs sordides intérêts à coup de canons. La différence tient à l’existence dans ces pays d’une classe ouvrière qui, si elle ne peut pas prendre la tête du mouvement de révolte, n’en pèse pas moins dans la situation sociale.
Mais dans tous ces pays, quel que soit le prix à payer par les populations opprimées, les révoltes et les luttes ouvrières ne sont pas prêtes de cesser.
Voilà donc nos dirigeants démocratiques et grands défenseurs des droits de l’homme confrontés à un nouveau problème humain ! Le développement de la misère, la répression violente et massive dans les pays d’Afrique du Nord ont accéléré brutalement la migration de familles entières démunies de tout et cherchant à survivre dans la fuite vers les pays d’Europe. Il est estimé que dans les prochains mois, la vague d’émigrants devrait compter 300 000 personnes. Depuis quelques semaines ce sont quelques 20 000 Tunisiens qui sont arrivés sur les côtes italiennes, cherchant en partie à rejoindre la France. 8000 d’entre eux seraient passés par la désormais célèbre île de Lampedusa. Le problème, c’est qu’aucun gouvernement d’Europe, aucune bourgeoisie nationale ne veut de ces gens. D’ailleurs, bon nombre d’entres eux crèvent tout simplement en mer, de froid, de faim ou de noyade sans qu’un seul de ces magnifiques bateaux de guerre déployés partout dans le monde par nos grandes puissances ne daignent même faire semblant de les secourir. Mais dans l’horreur et l’inhumanité de la classe bourgeoise, il y a toujours pire à faire et à envisager. La France en tête, la bourgeoisie européenne veut jeter aux oubliettes l’espace sans frontière de Schengen. Cela veut dire concrètement que tous les pays d’Europe veulent se protéger, y compris militairement si nécessaire, contre ce qu’ils appellent l’invasion massive d’étrangers venus d’Afrique du Nord. A l’Italie de se débrouiller toute seule ou plus exactement à prendre la responsabilité de rejeter tous ces pauvres gens à la mer.
Que valent alors tous ces grandiloquents discours bourgeois qui justifient les bombardements en Libye au nom de l’humanitaire, au nom de la défense de la vie humaine ? La réponse est simple : RIEN ! Ce sont des paroles d’hypocrites, de menteurs et de gangsters qui ne font que défendre l’intérêt de leur propre impérialisme national.
Aujourd’hui, la crise ne sévit pas que dans les pays d’Afrique du Nord. En Asie, en Amérique, en Europe, partout, ses effets commencent à se faire sentir. Des luttes impliquant notamment des jeunes générations ouvrières se sont développées dans des pays tels que la Grèce, le Portugal, l’Espagne, la France, la Grande-Bretagne. Dans ces pays, la classe ouvrière s’est mobilisée contre les plans d’austérité que chaque bourgeoisie nationale essaie de leur imposer. Ces réactions sont importantes et nécessaires. Dernièrement, dans bien des manifestations, s’exprimait une sympathie certaine pour les révoltes et les luttes qui se développaient en Egypte, en Tunisie, etc. Dans les pays du cœur du capitalisme, la classe ouvrière commence à ressentir confusément que ces révoltes dans ces pays d’Afrique du Nord relèvent des mêmes raisons qui poussent les ouvriers en Chine, aux Etats-Unis et en Europe dans la rue. Mais cela ne suffit pas. Pour se défendre, pour se protéger et freiner ces attaques du capitalisme, il va falloir des luttes beaucoup plus massives et unies que celles que nous avons connues jusqu’à maintenant. Seules ces luttes impliquant la majorité de la classe ouvrière des pays développés pourra freiner le bras meurtrier de la répression dans les pays d’Afrique du Nord. Plus que jamais, les populations opprimées et les ouvriers de ces pays ont besoin de la solidarité active du prolétariat du cœur du capitalisme. Les ouvriers d’Europe peuvent voir concrètement ce qu’est la démocratie en regardant les bombes de la coalition internationale tomber sur la population libyenne et les mesures d’expulsions de ceux qui fuient les massacres et leurs conditions de vie insoutenables, renvoyés purement et simplement crever dans leurs pays, tandis que la bourgeoisie occidentale les noie sous des discours humanitaires.
Dans l’avenir, quelles que soient les difficultés, la résistance de la classe ouvrière ne peut se faire que de plus en plus massive et, au cœur historique du capitalisme, l’Europe, la confrontation à la démocratie bourgeoise de plus en plus claire et frontale.
Tino (28 avril)
Si mentir était un péché mortel, la bourgeoisie serait une classe en voie de disparition.
Il faut la voir crier partout, sur les plateaux télé, à la radio, dans ses journaux et ses revues : “Ca y est, regardez bien, là-bas, tout au fond, ce petit point blanc lumineux, c’est la sortie du tunnel !” La preuve : le chômage baisse partout… paraît-il. Aux Etats-Unis et en France, le taux de chômage a enregistré ces derniers mois son plus fort recul depuis l’éclatement de la crise de 2007. En Allemagne, il est tombé au plus bas depuis 1992 ! Et les grandes institutions internationales se font fort, elles aussi, d’afficher leur plus bel optimisme. Selon le FMI, en 2011, la croissance mondiale sera de 4,4 %. La Banque asiatique de développement prévoit une croissance de 9,6 % pour la Chine et de 8,2 % pour l’Inde. L’Allemagne, la France et les Etats-Unis devraient respectivement atteindre des taux de 2,5 %, 1,6 % et 2,8 %. Le FMI ose même pronostiquer, malgré le séisme et la catastrophe nucléaire, une croissance de 1,7 % cette année pour le Japon !
Argument décisif en faveur du retour à venir de l’embellie, les bourses s’envolent, s’envolent…
Alors ? Cette fameuse lumière au bout du tunnel annonce-t-elle réellement une résurrection imminente ? N’est-elle pas plutôt l’hallucination classique d’un être agonisant ?
Aux Etats-Unis, cela irait donc en s’améliorant. Evanoui le spectre du krach de 1929. Aucune chance de croiser d’interminables files d’attente devant les bureaux d’embauche comme au temps cauchemardesque de la Grande dépression des années 1930 ! Quoique… Fin mars, les restaurants McDonald’s annoncent un recrutement exceptionnel de “50 000 jobs en une journée”. Le 19 avril, date fatidique, trois millions de personnes se retrouvent à attendre devant les portes des restaurants !
La réalité de la crise actuelle se révèle là, dans les souffrances infligées à la classe ouvrière. Le chômage américain peut bien être officiellement en baisse, les statistiques étatiques ne sont de toute façon qu’une immense supercherie. Par exemple, est exclue de ces savants calculs toute la population nommée NLF (“Not in the Labor Force” ou population non active). Par ce sigle sont désignés les personnes âgées licenciées, les chômeurs découragés, les étudiants et les jeunes, les chômeurs qui se relancent dans la recherche d’un emploi… soit, en janvier 2011, 85,2 millions de personnes. L’Etat lui-même est obligé de reconnaître que le nombre de pauvres, constituant 15 % de la population américaine, est en constante augmentation.
L’explosion de la misère sur le sol de la première puissance mondiale révèle l’état de déliquescence de l’économie internationale. Aux quatre coins du globe, les conditions de vie sont toujours plus inhumaines. Selon les estimations de la Banque mondiale, environ 1,2 milliard d’individus vivent déjà en dessous du seuil de pauvreté (1,25 dollar par jour). Mais l’avenir est encore plus sombre. Pour une partie toujours plus large de l’humanité, le retour de l’inflation va signifier une difficulté croissante à trouver un toit ou simplement se nourrir. Les prix mondiaux des produits alimentaires ont augmenté de 36 % par rapport à leurs niveaux d’il y a un an. Or, selon la dernière édition du Food Price Watch de la Banque mondiale, chaque hausse de 10 % des prix mondiaux précipite, au minimum, 10 millions de personnes supplémentaires sous le seuil d’extrême pauvreté. 44 millions de personnes sont ainsi officiellement tombées dans la misère depuis juin 2010. Concrètement, les prix des produits de premières nécessité, voire essentiels à la survie, sont en passe de devenir inabordables : en un an, le maïs a augmenté de 74 %, le blé de 69 %, le soja de 36 %, le sucre de 21 %, etc.
Depuis l’été 2007 et l’éclatement de la bulle dite des “subprimes” aux Etats-Unis, la crise mondiale s’aggrave irrémédiablement, à un rythme de plus en plus élevé, sans que la bourgeoise ne trouve l’ombre d’un début de solution. Pire, ses tentatives désespérées pour endiguer le mal qui ronge son système ne font chaque fois que préparer de nouvelles secousses. L’histoire économique de ses dernières années ressemble à une sorte de spirale infernale, à un tourbillon aspirant tout vers le fond. Et ce sont ces quarante dernières années qui ont préparé ce drame.
De la fin des années 1960 à ce fameux été 2007, l’économie mondiale n’a en effet dû sa survie qu’au recours systématique et grandissant à l’endettement. Pourquoi ? Ici un petit détour théorique s’impose.
Le capitalisme produit plus de marchandises que son marché ne peut en absorber. C’est presque là une tautologie :
Le Capital exploite ses ouvriers (autrement dit leurs salaires sont moins importants que la valeur réelle qu’ils créent par leur travail).
Le Capital peut ainsi vendre ses marchandises avec profit. Mais la question est : à qui ?
Evidemment, les ouvriers achètent ces marchandises… à la hauteur de leurs salaires. Il en reste donc une bonne partie encore à vendre, celle-là justement qui n’a pas été payée aux ouvriers lors de sa production, qui contient une valeur en plus (une plus-value) et qui seule a ce pouvoir magique pour le Capital de générer du profit.
Les capitalistes eux aussi consomment… et ils ne sont d’ailleurs en général pas trop malheureux. Mais ils ne peuvent pas à eux seuls acheter toutes les marchandises porteuses de plus-value. Cela n’aurait aucun sens. Le Capital ne peut s’acheter, pour faire du profit, ses propres marchandises ; ce serait comme s’il prenait l’argent de sa poche gauche pour le mettre dans sa poche droite. Personne ne s’enrichit ainsi, les pauvres vous le diront.
Pour accumuler, se développer, le Capital doit donc trouver des acheteurs autres que les ouvriers et les capitalistes. Autrement dit, il doit impérativement trouver des débouchés en-dehors de son système, sinon il se retrouve avec des marchandises invendables sur les bras qui engorgent le marché : c’est alors la célèbre “crise de surproduction” !
Cette “contradiction interne” (cette tendance naturelle à la surproduction et cette obligation à trouver sans cesse des débouchés extérieurs) est aussi l’une des racines de l’incroyable dynamisme de ce système. Le capitalisme a dû lier commerce avec toutes les sphères économiques sans exception : les anciennes classes dominantes, les paysans et les artisans du monde entier. L’histoire de la fin du xviiie siècle et de tout le xixe est celle de la colonisation, de la conquête du globe par le capitalisme ! La bourgeoise était alors assoiffée de nouveaux territoires sur lesquels elle forçait, par de multiples moyens, la population à acheter ses marchandises. Mais, en agissant ainsi, elle transformait aussi ces économies archaïques ; elle les intégrait peu à peu à son système. Les colonies devenaient lentement, elles aussi, des terres capitalistes, produisant selon les lois de ce système. Non seulement leurs économies étaient donc de moins en moins susceptibles de représenter des débouchés aux marchandises d’Europe et des Etats-Unis mais elles généraient même à leur tour une surproduction. Pour se développer, le Capital était donc condamné à découvrir de nouvelles terres, encore et encore.
Cela aurait pu être une histoire sans fin mais notre planète n’est qu’une petite boule ronde ; à son grand malheur, le Capital en fait le tour en à peine 150 ans. Au début du xxe siècle, tous les territoires sont conquis, les grandes nations historiques du capitalisme se sont partagé le monde. Dès lors, il n’est plus question pour elles de nouvelles découvertes mais de prendre, par la force armée, aux nations concurrentes les territoires dominés. L’Allemagne, la moins riche en colonies, se montrera ainsi la plus agressive en déclenchant les hostilités de la Première Guerre mondiale en raison de cette nécessité que formulera explicitement plus tard Hitler dans la marche vers la Seconde Guerre mondiale : “Exporter ou mourir”.
Dès lors, le capitalisme, après 150 ans d’expansion, devient un système décadent. L’horreur des deux guerres mondiales et la Grande dépression des années 1930 en seront des preuves dramatiques irréfutables.
Pourtant, même après avoir détruit dans les années 1950 les marchés extra-capitalistes qui subsistaient encore (telle la paysannerie française), le capitalisme n’a pas sombré dans une crise de surproduction mortelle. Pourquoi ? Nous revenons là à notre idée initiale qu’il nous fallait démontrer : si “le capitalisme produit plus de marchandises que son marché ne peut en absorber”, il a su créer un marché artificiel ; “de la fin des années 1960 à ce fameux été 2007, l’économie mondiale n’a en effet dû sa survie qu’au recours systématique et grandissant à l’endettement.”
Ces quarante dernières années se résument à une série de récessions et de relances financées à coups de crédit. A chaque crise ouverte, le Capital a dû recourir de plus en plus massivement à l’endettement. Et il ne s’agit pas là de soutenir seulement la “consommation des ménages” par le biais d’aides étatiques… non, les Etats se sont aussi endettés pour maintenir artificiellement la compétitivité de leur économie face aux autres nations (en finançant directement un investissement infra-structurel, en prêtant aux banques à des taux le plus bas possible pour qu’elles puissent à leur tour prêter aux entreprises et aux ménages…). Bref, en ouvrant toutes grandes les vannes du crédit, l’argent a coulé à flot et, peu à peu, tous les secteurs de l’économie se sont retrouvés en situation classique de surendettement : chaque jour de plus en plus de nouvelles dettes ont dû être contractées pour… rembourser les dettes d’hier. Cette dynamique menait forcément à une impasse.
En cela, l’été 2007 a ouvert un nouveau chapitre au sein de l’histoire de la décadence. La capacité de la bourgeoisie mondiale à ralentir le développement de la crise par un recours de plus en plus massif au crédit a pris fin. Aujourd’hui, les secousses succèdent aux secousses sans qu’il n’y ait entre elles ni répit ni véritable relance. L’impuissance de la bourgeoisie face à la nouvelle situation est patente. En 2007, avec l’éclatement de la bulle des “subprimes” et en 2008 avec la faillite du géant bancaire Lehman Brothers, tous les Etats du monde n’ont su faire qu’une seule chose : renflouer le secteur de la finance en laissant littéralement exploser la dette publique. Problème, il ne s’agissait pas là d’un “coup de pouce” ponctuel : depuis 2007, l’économie mondiale, les banques et les bourses ne survivent que par la transfusion permanente d’argent public issu de nouvelles dettes ou directement de la planche à billets. Un seul exemple : les Etats-Unis. En 2008, pour sauver son secteur financier de la banqueroute généralisée, la banque centrale américaine (la Fed) lance un premier plan de rachats d’actifs (le QE1 – “Quantitative Easing 1”) de plus de 1400 milliards de dollars. Deux ans plus tard seulement, en janvier 2010, elle doit renouveler l’opération de soutien en lançant un QE2 : 600 milliards de dollars sont alors injectés grâce à la planche à billets. Mais cela ne suffit toujours pas. A peine 6 mois plus tard, dès l’été 2010, la Fed doit renouveler l’achat de créances arrivées à échéance pour 35 milliards de dollars par mois. En tout, depuis la crise, c’est donc plus de 2300 milliards de dollars qui sont sortis de la poche de la Banque centrale américaine. C’est tout simplement l’équivalent du PIB d’un pays comme l’Italie ou le Brésil ! Mais évidemment, l’histoire ne s’arrête pas là. A l’été 2011, la Fed sera contrainte de lancer un QE3, puis un QE4 (1)…
L’économie mondiale est devenue un puits sans fond ou plutôt une sorte de trou noir : elle absorbe des quantités d’argent-dette toujours plus astronomiques.
Il serait pourtant faux d’affirmer que les immenses sommes d’argent injectées aujourd’hui par tous les Etats de la planète n’ont aucun effet. A double titre. Sans elles, le système s’effondrerait, littéralement. Mais il y a une seconde conséquence : l’augmentation sans précédent de la masse monétaire mondiale, en particulier en dollars, est en train de ronger le système, d’agir sur lui comme un poison. Le capitalisme est devenu un malade agonisant dépendant de sa pompe à morphine ; sans elle, il meurt, mais chaque nouvelle injection le ronge un peu plus : si les injections de dettes des années 1967-2007 ont permis à l’économie de tenir, aujourd’hui les doses nécessaires précipitent au contraire sa perte.
Concrètement, en faisant tourner la planche à billets, les différentes banques centrales produisent consciemment ce que les économistes appellent de “la monnaie de singe”. Quand la masse monétaire croît plus vite que l’activité réelle, elle perd de sa valeur. Par conséquent, les prix montent, c’est l’inflation… (2). Evidemment, en ce domaine, les champions toute catégorie sont les Etats-Unis. Ils savent que leur monnaie est le pilier de la stabilité économique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui encore, personne ne peut se passer du dollar. C’est pourquoi ce sont eux qui ont pu depuis 2007 créer la plus grande quantité de monnaie pour soutenir leur économie. Si le dollar n’a pas encore décroché, c’est parce que la Chine, le Japon… ont été obligés, malgré eux, d’acheter du dollar. Mais cet équilibre précaire aussi commence à toucher à sa fin. Les acheteurs en Bons du trésor américain (T-Bonds) se font de plus en plus rares car tout le monde sait qu’ils ne valent rien en réalité. Depuis 2010, c’est en fait la Fed elle-même qui achète ses propres T-Bonds pour soutenir leur valeur ! Surtout, l’inflation commence à se développer de manière importante aux Etats-Unis (entre 2 et 10 % selon les sources, la fourchette haute étant en fait la plus vraisemblable, celle en tout cas ressentie par les ouvriers qui font leurs courses…). Le Président de la Fed de Dallas, Richard Fisher, qui siège cette année au comité de politique monétaire, a ainsi récemment brandi le risque croissant d’une “hyper-inflation”, comparable à celle de la République de Weimar en 1923.
Il s’agit là d’une tendance fondamentale, l’inflation gagne progressivement tous les pays. Il y a d’ailleurs une méfiance grandissante des capitalistes à l’égard de toutes les monnaies. Les convulsions à venir, les probables faillites de grandes entreprises, de banques, voire d’Etats, posent un immense point d’interrogation sur le comportement du marché monétaire international. La conséquence en est visible : l’or s’envole. Après une hausse de 29 % en 2010, les cours de l’or battent record sur record et viennent de franchir pour la première fois la barre des 1500 dollars. Soit cinq fois plus qu’il y a dix ans. Même phénomène avec l’argent, au plus haut depuis trente et un ans. L’université du Texas, qui forme des économistes, a dernièrement placé toute sa trésorerie (soit 1 milliard de dollars) en or. Nous voyons ici quelle confiance accorde la grande bourgeoisie américaine à sa propre monnaie ! Et il ne s’agit pas là d’un épiphénomène. Les banques centrales elles-mêmes ont acheté plus de métal jaune en 2010 qu’elles n’en ont vendu, une première depuis 1988. Il ne s’agit là de rien d’autre que du dernier paraphe de l’acte d’enterrement des accords de Breton Woods (non officiellement mais dans les faits) qui avaient établi après la Seconde Guerre mondiale un système monétaire international adossé à la stabilité du dollar.
La bourgeoisie est évidemment consciente du danger. Incapable de fermer les vannes du crédit et de stopper les rotatives de la planche à billets, elle essaye de limiter les dégâts et de réduire l’endettement en mettant en place des plans de rigueur draconiens à l’encontre de la classe ouvrière. Presque partout, les salaires du privé et du public sont soit gelés soit amputés, les aides sociales et de santé s’effondrent… en un mot, la misère se développe. Aux Etats-Unis, Obama a annoncé vouloir réduire ainsi le déficit américain de 4000 milliards en douze ans. Les sacrifices qui vont être imposés à la population sont inimaginables ! Mais cette solution aussi n’en est évidemment pas une. En Grèce, au Portugal, en Irlande, en Espagne…, les plans de rigueur se succèdent les uns aux autres et les déficits continuent de se creuser. Le seul effet de cette politique est de faire plonger encore un peu plus l’économie dans la récession. Il n’y a qu’une seule issue à cette dynamique : après la faillite des ménages américains en 2007, des banques en 2008, c’est au tour des Etats de se diriger inévitablement vers la banqueroute. Il n’y a aucune illusion à avoir, les défauts de paiement de pays comme la Grèce sont inévitables à l’avenir. Même des Etats américains comme la Californie ne sont pas à l’abri.
Il est impossible de fixer des échéances, de savoir avec précision par où et quand l’économie mondiale va de nouveau craquer. Est-ce la catastrophe qui a touché le Japon (qui a fait plonger la production de la troisième puissance économique mondiale de plus de 15 % en mars) qui va être le détonateur ? Ou est-ce la déstabilisation du Moyen-Orient ? Est-ce l’effondrement du dollar ou la faillite de la Grèce ou de l’Espagne ? Personne ne peut le prévoir. Une seule chose est certaine : se dresse devant nous une succession de récessions d’une extrême brutalité. Après le lent développement de la crise économique mondial de 1967 à 2007, nous entrons aujourd’hui dans un nouveau chapitre de la décadence du capitalisme caractérisé par des convulsions incessantes du système et l’explosion de la misère.
Pawel (30 avril 2011)
1) Néanmoins, elle le fera ces fois-ci certainement sans le dire officiellement pour ne pas avouer l’échec patent de toutes les mesures précédentes !
2) Les lecteurs pointilleux diront : “mais cette masse monétaire a augmenté démesurément dans les années 1990-2000 sans qu’il n’y ait eu une poussée inflationniste”. C’est vrai et la raison en est simple : la saturation du marché réel a poussé les capitaux à fuir vers l’économie virtuelle (les bourses). Autrement dit, la masse monétaire augmentant considérablement avant tout dans la sphère financière, ce ne sont pas les prix des marchandises mais ceux des actions qui sont montés. Mais cette spéculation, aussi folle et déconnectée de la réalité soit-elle, repose tout de même, in fine, sur des entreprises qui produisent de la valeur. Quand celles-ci sont massivement menacées par la faillite (en particulier les banques), ce petit jeu de casino sent le roussi. C’est ce qui s’est produit en 2008, le krach, et ce qui se reproduira encore dans un avenir proche. C’est d’ailleurs pour cela que les investisseurs se rabattent actuellement sur l’or et les denrées alimentaires, à la recherche de “valeurs refuges”. Nous y revenons plus loin dans l’article.
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article réalisé par Revolución Mundial, organe de presse du CCI au Mexique.
Ce qui en Libye semblait avoir commencé comme une révolte de “ceux d’en bas” a dégénéré en sanglante guerre civile entre factions de la bourgeoisie et, immédiatement, en dispute impérialiste avec participation directe des grandes puissances : les protestations initiales de la mi-février ont été complètement dévoyées. Ces fractions de la bourgeoisie s’affrontent depuis lors à feu et à sang et les masses leur servent de chair à canon. La répression brutale et l’intervention militaire ont freiné le développement des mouvements sociaux dans la région : tous les gouvernements de la région pratiquent maintenant la répression ouverte et impitoyable contre les manifestants, à Bahreïn, au Yémen, en Arabie Saoudite, en Syrie, etc., avec la complicité des mêmes puissances qui dirigent l’intervention prétendument “humanitaire”.
C’est dans ce scénario que se déroule l’opération militaire de l’alliance de la Grande-Bretagne, de la France et des Etats-Unis, sous la couverture idéologique de la “défense humanitaire du peuple libyen” massacré par le gouvernement de ce “fou” de Kadhafi.
Il y a aussi eu des réactions moins meurtrières, mais pour le moins tout aussi abjectes. Nous voulons parler du soutien émis par “les amis de Kadhafi” en Amérique Latine. Les gouvernements de Cuba, du Venezuela, de la Bolivie et de l’Équateur, principalement, ont déclaré haut et fort leur soutien à leur congénère libyen, en arborant comme d’habitude la défense de la souveraineté nationale, autrement dit la libre détermination de chaque bourgeoisie à pratiquer à sa guise l’exploitation dans son propre pays. Bien évidemment, peu importe à ces personnages de “gauche” que les masses de “leur” pays ou de celui de leurs congénères soient massacrées comme des mouches, contrairement à ce qu’ils prétendent dans leurs tonitruants discours.
En particulier, Fidel Castro, Hugo Chavez et Daniel Ortega ont réagi de façon très véhémente à la situation de leur copain Kadhafi, lequel leur avait octroyé il y a quelques années le “Prix des droits de l’homme Mouammar Kadhafi” qu’il avait créé en 1988. Une reconnaissance, sans doute, à l’efficacité de ce genre de gouvernement bourgeois à l’heure de mener à bien une exploitation et une répression dans leurs pays respectifs, une espèce de réponse cynique à la réticence vis-à-vis d’autres gouvernements qui octroient des prix similaires, mais qui feraient la fine bouche dégoûtée vis-à-vis de ces gouvernants qui ne sauvent pas les apparences démocratiques. Hugo Chavez, en retour et avec tout le tintamarre dont il sait s’entourer, a offert à Kadhafi une copie conforme de l’épée du libertador Simon Bolivar. “Je ne vais pas condamner Kadhafi... rien ne me dit que ce soit un assassin” a-t-il dit en haussant les épaules.
Fidel Castro, de son côté, a refusé en faisant les gros yeux de se prononcer sur les massacres perpétrés par le Guide autoproclamé du peuple libyen, préférant encenser les succès de son ami dans l’économie nationale de son pays, c’est-à-dire dans la bonne gestion de l’économie capitaliste libyenne, ce qui revient à dire dans l’exploitation efficace des masses laborieuses et opprimées.
Ce soutien au régime kadhafiste par ses frères de classe en Amérique Latine ne fait que mettre en évidence, si besoin était, la nature bourgeoise de leurs propres gouvernements.
Il ne s’agit pas bien sûr de se mettre à soutenir le conseil des “rebelles” et la coalition des Nations Unies. D’un côté comme de l’autre, ils agissent en fonction de leurs propres intérêts, en tant que fraction de la bourgeoisie, et règlent leurs comptes sur les cadavres des masses opprimées.
Il nous faut leur opposer l’internationalisme prolétarien, tant aux uns comme aux autres, sans la moindre hésitation, en nous solidarisant avec les milliers de gens qui se révoltent dans cette région et luttent contre la bourgeoisie qui nous opprime et nous exploite, en assumant consciemment le fait que la lutte prolétarienne est une seule et même lutte partout dans le monde. Pour qu’elle puisse un jour triompher, elle doit se généraliser internationalement, par dessus toutes les divisions nationales, de langue, de religion, etc. Ce n’est qu’ainsi que la puissance de la lutte ouvrière pourra arrêter la répression des Etats capitalistes. Quand ceci deviendra une réalité en Amérique Latine, les amis de Kadhafi seront les premiers à essayer de massacrer leurs peuples, qu’ils ont toujours prétendu défendre.
RR (avril 2011)
Alors que la catastrophe de Fukushima ne cesse d’évoluer vers une situation toujours plus incertaine, l’histoire est venue nous rappeler l’épisode de Tchernobyl, il y a 25 ans, le 26 avril 1986.
Cet “anniversaire” de l’explosion d’un réacteur nucléaire, qui a fait entre 1986 et 2004 (dernier “pointage” de l’OMS) un million de morts “reconnus”, est par la même occasion venu aussi nous rappeler à quel point la classe dominante nous prend pour des imbéciles, elle qui a cette incroyable capacité à se lancer dans des projets dont elle ne maîtrise en rien les conséquences et les risques les plus destructeurs. En 1986, on nous avait seriné que c’était évidemment de la faute à l’incurie du système “soviétique”, et la propagande occidentale ne s’était pas gênée pour fustiger l’arriération des dirigeants russes proportionnellement égale à la vétusté de leurs centrales nucléaires, et inversement. Il est vrai que l’Etat russe avait entourloupé sans état d’âme les 500 000 liquidateurs du fameux réacteur no 4 en leur répétant qu’ils ne craignaient rien, ainsi que le monde entier !
Mais ici, dans l’Hexagone, relayant en quelque sorte les mensonges du Kremlin, on nous avait également copieusement arrosé, au milieu de la masse d’atomes de césium 137 ou encore d’iode 135 équivalente à 400 fois la radioactivité de la bombe d’Hiroshima, de nombreuses certitudes comme celle répétée à plusieurs reprises selon laquelle “l’anticyclone des Açores” (1) avait “bloqué” l’arrivée du panache atomique en provenance de Tchernobyl, alors que des doses radioactives largement supérieures à la normale étaient décelées le jour-même et le lendemain de la Suède (2) jusqu’au midi de la France. Ce que savait pertinemment le gouvernement qui ne se gênait pas de déclarer que “du point de vue de la santé publique, il n’y a aucun risque” (3). Au ministère de l’Intérieur, tenu par un dénommé Pasqua, on savait qu’en Corse par exemple la contamination par l’iode 131 était de 10 000 becquerels par litre de lait (ce qui est une dose hautement dangereuse), le gouvernement ne prenait aucune mesure particulière, à part répéter la même litanie, celle que servaient au peuple les éteigneurs de lanternes du Moyen-Age : “Tout va bien, bonnes gens, dormez tranquilles !”
Et si l’effet de la pollution atomique a été largement sous-évalué, en particulier en France dont le lobby nucléaire est d’une importance cruciale pour son indépendance énergétique et militaire, la dangerosité de la centrale n’a quant à elle pas cessé. Les risques d’effondrement du sarcophage existant et de fusion du réacteur sont toujours imminents, tandis que les émanations radioactives continuent de pourrir l’environnement à des dizaines de kilomètres alentour. Pourtant la bourgeoisie et nombre de ses prostitués qui manient le verbiage de ceux qui savent se sont efforcés de “positiver” une prétendue nouvelle “norme” de vie initiée par la catastrophe de Tchernobyl. Une sorte de mode a ainsi pris son essor il y a quelques années consistant à se faire une balade, sous escorte d’un guide et d’un compteur Geiger, dans la zone interdite de Tchernobyl. Après Dysneyland, Tchernoland ! Non seulement des touristes en mal de sensations mais aussi des journalistes en mal de scoops y font donc de fréquentes incursions. Certains prétendus “scientifiques” prétendent même que la vie sauvage y a repris ses droits avec des chevaux sauvages et des loups en pleine santé, développant diverses théories sur les potentialités des cellules à “se réparer” devant les attaques des atomes ionisants, ce qui est en effet une véritable capacité du monde vivant, confronté à une radioactivité naturelle permanente. Mais on sent dans ces théorisations le souffle frelaté du bourgeois qui voudrait à la fois minimiser le danger monstrueux du nucléaire et même répéter que la présence de taux élevés de radioactivité, dans la mesure où ils sont “stables”, fait que la région est devenue “habitable”. Tchernobyl serait en passe de devenir avec le temps un milieu original, celui de la “genèse” d’une nouvelle norme “propice à la vie”.
Voilà qui devrait rasséréner les victimes de Tchernobyl, mortes ou en passe de la devenir, ainsi que les enfants nés de malformations et de handicaps profonds, physiques et mentaux. Voilà aussi qui devrait rassurer les victimes d’Hiroshima et de Nagasaki et dont les enfants et petits-enfants subissent encore jusqu’à aujourd’hui les séquelles de ces bombardements atomiques.
L’accident de la centrale de Fukushima, en totale perdition, est passé en niveau 7, égalant le triste record de… Tchernobyl ! Joyeux anniversaire !
Les taux de radioactivité ne cessent de monter, le gouvernement nippon a repoussé à 30 km la zone de “sécurité” autour de la centrale (recommandation qui sous-estime celle des Etats-Unis qui l’ont repoussée pour leurs ressortissants à 80 km), ce qui ne l’empêche pas de continuer à mentir et trafiquer les chiffres devant une situation qu’il est incapable de maîtriser. Ainsi, vingt établissements scolaires, écoles maternelles, primaires et collèges autour de la ville de Fukushima ont été réouverts. Des mesures plus approfondies dans la région, comme à Tsushima, un village à l’extérieur de la zone d’évacuation volontaire de 30 km, laissent aussi paraître des niveaux de contamination jusqu’à 47 microSieverts par heure. L’exposition humaine à un tel degré de radioactivité signifie que la dose maximale admissible pour une année est atteinte en 24 heures. Toutes les cultures de la région sont contaminées, tandis que le gouvernement ne donne aucune consigne claire quant à leur utilisation. L’eau déversée dans la mer est environ 100 fois plus radioactive que les seuils autorisés, a précisé Tokyo Electric Power (Tepco), l’opérateur de la centrale mais, selon le gouvernement japonais, “il n’y a pas d’autre solution”, car Tepco n’a plus de place pour stocker une eau encore plus radioactive ayant servi à refroidir les réacteurs.
Comme à Tchernobyl, il n’y aura aucune autre option que de recouvrir les réacteurs d’un sarcophage de béton, mais, selon un reportage de Reuters, cela serait beaucoup plus difficile qu’à Tchernobyl, ne serait-ce que du fait qu’il s’agit d’une zone hautement sismique. Et même, une telle mesure n’empêchera pas la formation d’un “désert nucléaire” à long-terme autour de la centrale, alors que des milliers de tonnes de dérivés hautement radioactifs resteront sur le site et que la contamination s’est répandue dans toute la zone d’exclusion. Selon de nombreux experts, le “nettoyage” de la zone autour de Fukushima prendra plusieurs décennies.
Le Premier ministre japonais, Naoto Kan, a fini par déclarer “l’état d’alerte maximale”, laissant entendre que trois des réacteurs nucléaires situés à Fukushima sont présentement en fusion. Le réacteur no 3, qui fonctionnait depuis peu avec du MOX, un mélange d’uranium et de plutonium, est fissuré [5] et donc des fuites y sont présentes. D’ailleurs, des échantillons prélevés à l’intérieur et à l’extérieur des bâtiments ont décelé du plutonium [6], l’élément chimique le plus toxique connu de la science. Tepco, qui est évidemment de la plus grande opacité, a été contraint de reconnaître que des taux de radiation 100 000 plus élevés que la norme ont été mesurés dans de l’eau contaminée sous le réacteur no 2, dans des tunnels, et qui se déversent maintenant dans l’océan adjacent [7]. La nappe phréatique sous la centrale a des taux de radioactivité 10 000 fois supérieurs à la “normale”.
Pourtant, l’horreur qui est en train de se produire au Japon, avec toutes ses conséquences, était annoncée. De nombreux scientifiques, dont le professeur Katsuhiko, avaient dénoncé dès 2006 la “vulnérabilité fondamentale” aux séismes de cette centrale. Mais, dans le capitalisme, la science ne doit servir qu’aux intérêts capitalistes, et advienne que pourra !
Barack Obama déclarait le 29 avril à Tusaloosa en Alabama, après la série de tornades qui a fait des centaines de morts et des milliers de blessés, du jamais vu depuis 1925 : “Nous ne pouvons pas contrôler où et quand une terrible tempête va frapper, mais nous pouvons contrôler la façon dont nous y répondons.”
Voilà la logique bourgeoise, on voudrait bien, on sait que c’est dangereux, mais on s’en fout.
Mulan (30 avril)
1) Déclaration imposée aux services météorologiques et reprise au JT d’Antenne 2 le 30 avril au soir.
2) Au soir même du 26 avril, le Service central de protection contre les rayonnements ionisants avait équipé en catimini les avions d’Air France de filtres permettant d’analyser l’atmosphère vers le nord et l’est de l’Europe.
3) JT d’Antenne 2 du 29 avril à 13 h.
A l’heure où les spécialistes de l’environnement tirent la sonnette d’alarme, où les océans, pollués par toute sorte de produits chimiques, sont de plus en plus saturés de déchets plastiques, où boire l’eau du robinet prend une allure de roulette russe, la classe capitaliste et ses spécialistes à la solde des compagnies gazières nous annoncent fièrement qu’ils vont développer une nouvelle méthode de production gazière très rentable : l’extraction du gaz de schiste. Cette “alternative” énergétique permettrait entre autres à la France d’être autonome pour ses besoins en gaz pendant des décennies et ainsi de réduire le coût de ses dépenses en énergie. Bien des Etats se penchent donc sur cette nouvelle recette miracle. En France, le 21 avril dernier, une mission d’inspection des ministères de l’Industrie et de l’Ecologie a rendu un rapport très attendu au gouvernement pour présenter les enjeux des huiles et gaz de schiste dont les sous-sols semblent regorger. En vue de la grande mascarade démocratique de 2012, il faut reconnaître que tous les partis politiques semblent unanimes pour dénoncer le manque de recul et de réflexion pour accorder des permis d’exploration et d’exploitation. “En clair, le gouvernement n’est pas prêt à décider quoi que ce soit avant l’élection présidentielle de 2012, et d’ici là, la loi Jacob aura peut-être été adoptée” (le Monde du 23 avril 2011). Toutefois, il est à noter que ce rapport ne ferme pas la porte à une possible exploration des gaz de schiste : “Il serait dommageable pour l’économie nationale et pour l’emploi que notre pays aille jusqu’à s’interdire, sans pour autant préjuger des suites qu’il entend y donner, de disposer d’une évaluation approfondie de la richesse potentielle.”
Pour ainsi dire, il n’y a rien de véritablement “révolutionnaire” dans cette production de gaz. Il s’agit de forer le sol à une certaine profondeur jusqu’à atteindre une couche de schiste ou plus précisément de roche sédimentaire argileuse (appelée “shale” par les géologues canadiens) et d’en extraire les hydrocarbures par pompage. Rien de bien nouveau depuis le premier puits de gaz foré en 1821 à Fredonia aux Etats-Unis, dans une formation de schiste du dévonien. Rapidement abandonnée au profit de l’exploitation des réservoirs de gaz conventionnel, cette méthode fait aujourd’hui son retour “en grandes pompes” avec quelques modifications tout à fait stupéfiantes !
La méthode traditionnelle d’extraction de gaz conventionnel consiste en un forage vertical au dessus de la poche de gaz à exploiter. Le nouveau procédé s’appuie sur le forage directionnel (souvent horizontal), associé à la fracturation hydraulique. Le forage directionnel consiste à forer non pas verticalement, mais à une profondeur et un angle qui permettent au puits de rester confiné dans une zones potentiellement productrices (1). La fracturation hydraulique consiste à provoquer un grand nombre de micro-fractures dans la roche contenant du gaz, permettant à celui-ci de se déplacer jusqu’au puits afin d’être récupéré en surface. La fracturation est obtenue par l’injection d’eau à haute pression dans la formation géologique. On injecte également du sable de granulométrie adapté qui va s’insinuer dans les micro-fractures et empêcher qu’elles ne se referment. Du point de vue technique, il faut reconnaître que ce procédé est très astucieux. Mais en y regardant de plus près… il s’avère être une menace immédiate sur le plan écologie et sanitaire. Outre la consommation en eau particulièrement vorace de ce procédé (2), on ajoute des additifs dans l’eau pour améliorer l’efficacité de la fracturation, parmi lesquels figurent :
– des lubrifiants, qui favorisent la pénétration du sable dans les micro-fractures ;
– des biocides destinés à réduire la prolifération bactérienne dans le fluide et dans le puits ;
– des détergents qui augmentent la déportation du gaz et donc la productivité des puits ;
– des produits pour gélifier l’eau et autres anti-corrosions…
La liste est encore longue. Selon le Centre Tyndall (université de Manchester), certains de ces additifs seraient toxiques et cancérigènes.
Pour le forage des douze puits d’une plate-forme, c’est au total jusqu’à 7000 tonnes d’additifs toxiques qui peuvent être déversés dans les sous-sols, risquant ainsi de contaminer l’eau contenue dans les nappes phréatiques environnantes. Si, pour certains spécialistes comme Didier Bonijoly, chef du bureau des recherches géologiques et minières, ce risque serait minime du fait qu’“en général, les couches de schiste visées par les explorations en France sont bien trop profondes pour que les fissures puissent atteindre les nappes phréatiques proches de la surface”, son homologue Bernard Collot, un géologue ancien d’Exxon, a la lucidité de reconnaître : “dans nos régions géologiquement agitées, les couches de schistes sont plissées et fracturées, si bien qu’on peut imaginer une migration verticale des additifs par les failles de schiste”. En France, le risque de pollution à grande échelle est bien réel.
Le film documentaire de Josh Fox intitulé “Gasland”, diffusé sur Canal + en avril dernier, est très explicite et démonstratif. On y voit des familles américaines, vivant à proximité des fameuses plate-formes de forage, condamnées à souffrir des conséquences de cette exploitation sauvage. Par les robinets des maisons, de l’eau pétillante contaminée par les hydrocarbures se déverse devant les yeux pleins de colère des habitants impuissants. Un homme approche une flammèche du filet d’eau trouble… et tout l’évier est envahi de flammes ! Plus tard, on apprend qu’une famille aura bu cette eau contaminée pendant plusieurs années avant de se rendre compte de sa toxicité. Il faut également remarquer que le procédé de fracturation peut entraîner la migration de certains éléments radioactifs contenus dans les sous-sols vers, entre autres, des nappes phréatiques !
Et ce n’est là qu’un début. La société norvégienne Statoil [11], impliquée dans une coentreprise [12] avec Chesapeake Energy [13] pour produire le gaz de schiste du Marcellus Shale dans le nord-est des Etats-Unis, veut profiter de son “expérience” pour développer le gaz de schiste en Europe. La société russe Gazprom [14] a annoncé en octobre 2009 qu’elle envisageait l’achat d’un producteur américain de gaz de schiste afin d’acquérir une expertise qu’elle pourrait utiliser pour développer le potentiel de la Russie. Dans le Barnett Shale au Texas [15], la compagnie pétrolière française Total SA [16] participe à une coentreprise [12] avec Chesapeake Energy, alors que la société italienne ENI [17] a acquis une participation dans Quicksilver Resources. En Autriche, l’exploration est en cours. OMV [18] travaille sur un bassin prometteur, près de Vienne [19]. En Allemagne, Exxon Mobil [20] détient des baux sur 750 000 hectares dans le bassin inférieur de la Saxe [21], où elle projetait de forer dix puits de gaz de schiste en 2009. Cette [20] même compagnie a foré le premier puits de gaz de schiste en Hongrie [22] dans la fosse Mako, en 2009. En Angleterre, Eurenergy Resource Corporation a annoncé son intention de forer pour du gaz de schiste dans le bassin Weald [23], situé dans le sud du pays. La Royal Dutch Shell [24] évalue la viabilité des schistes d’Alum, dans le sud de la Suède, comme source de gaz de schiste. Beach Petroleum Limited a annoncé son intention de forer pour du gaz de schiste dans le bassin de Cooper, en Australie-Méridionale [25]. La Chine s’est fixé un objectif de production de 30 milliards de mètres cubes par an à partir des schistes…
Voilà se dessiner une fois encore l’avenir glorieux que nous annonce cette société décadente, pourrie jusqu’à la moelle ! Les contraintes économiques qui poussent ces grandes compagnies à développer des méthodes d’extraction toujours plus complexes, profondes et… risquées, rappellent étrangement la catastrophe de la plate-forme Deapwater survenue dans le golfe du Mexique il y a tout juste un an.
Le capitalisme ne s’arrêtera jamais de détruire la planète.
Maxime (26 avril)
1) “Selon Total, dix à quinze puits peuvent être installés sur une même plate-forme de forage, afin de rayonner dans toutes les directions. Le forage horizontal peut aller jusqu’à trois kilomètres” (le Point, 11.04.2011).
2) “Compte tenu du recyclage possible d’une partie de cette eau (entre 20 et 80 %), il faut prévoir 200 000 mètres cubes pour forer les douze puits d’une plate-forme” (idem).
Depuis le début des révoltes sociales dans les pays arabes, la presse chinoise est extrêmement discrète sur les événements. Tout au plus sont-ils présentés comme l’œuvre de l’impérialisme américain, sans écho envisageable en Chine.
Mais au-delà du discours de façade des autorités chinoises, c’est bien une contagion à laquelle s’attend la bourgeoisie mondiale dans ce pays, comme le montre cet article de presse de janvier 2011 : “Une étude du CNRS dans le Sud de la Chine montre une combativité nouvelle qui pourrait déboucher sur une grève générale. […] Depuis un an, on voit se multiplier les conflits du travail. De ce fait, les salaires montent. Les journaux ont même fait état de plusieurs conflits, dans des entreprises taïwanaises ou japonaises, lesquels se sont soldés par de très conséquentes hausses de salaires. Le mouvement est tellement fort que de plus en plus d’observateurs parlent de la possibilité d’une grève générale en Chine du Sud. [...] les conditions sont réunies pour un printemps ouvrier en Chine du Sud, explosif ou rampant, mouvement qui a déjà commencé ; tout porte à penser qu’il va se développer dans les mois qui viennent” (1).
Et le sud de la Chine n’est pas la seule région à connaître des conflits sociaux. Après les grèves massives de mai à juillet 2010 (2), qui se sont principalement soldées par des augmentations de salaire allant de 20 à 70 % selon l’endroit (3), des mouvements sporadiques de moindre ampleur continuent à toucher la moitié est du pays, là où la classe ouvrière est la plus concentrée, et concernent un grand nombre de secteurs : usines de batteries (Huizhou), d’électronique (Longhua, Foshan, Shenzhen), de textiles (Wuhan), chantiers de construction (Shanghai, Zunhua, Wuzhou, Canton), transports en commun (Shenzhen), éducation (Shenzhen), assainissement (Canton), chômeurs (Emeishan). Et ce qui caractérise ces mouvements, qui mobilisent parfois plusieurs centaines voire plusieurs milliers d’ouvriers, c’est à la fois leur caractère spontané et leurs principales revendications, dans lesquelles chaque prolétaire peut se reconnaître au-delà de son lieu de travail ou de son secteur : hausse des salaires, paiement des heures supplémentaires et des arriérés de salaire, paiement des indemnités de licenciement et de maladie professionnelle, meilleures conditions de travail, lutte contre les licenciements et le chômage, protestation contre la répression patronale et étatique…
Même si les revendications ouvrières sont parfois en grande partie satisfaites, notamment dans les entreprises étrangères, c’est loin d’être une généralité et cela ne se passe pas sans heurts : une répression féroce est à l’œuvre.
D’un côté, il y a la répression de l’État stalinien. Si habituellement il s’agit de matraquages suivis d’arrestations, en janvier la police n’a pas hésité à tirer à balle réelle sur une manifestation d’une centaine d’ouvriers protestant contre leur salaire misérable, faisant plusieurs blessés (4).
De l’autre, il y a la répression patronale. Outre les classiques menaces de licenciement envers les grévistes, il est aussi fait usage de nervis issus des couches déclassées, du lumpenprolétariat, transportés par dizaines voire par centaines au devant des ouvriers, parfois armés de couteaux et de tubes métalliques, et se vantant pour certains d’être payés 50 $ par jour pour casser du gréviste ; bien évidemment, la police n’est jamais présente sur les lieux au moment même de ces exactions, qui font à chaque fois de nombreux blessés (5).
Mais la répression brutale est insuffisante pour venir à bout du mécontentement ouvrier ; il est nécessaire pour la bourgeoisie d’avoir également recours à son principal outil de sabotage des luttes : le syndicalisme.
Le syndicat unique lié au Parti “communiste” chinois au pouvoir, la Fédération des Syndicats de toute la Chine (ACFTU) (6), est aujourd’hui fortement discrédité. “En effet, en cas de grève, le syndicat n’hésite pas à prendre l’initiative pour renvoyer des salariés grévistes, ou embaucher des non-grévistes. [...] Il n’est pas rare que le syndicat envoie des milices pour taper sur les grévistes” (7). De plus, “les leaders syndicaux sont désignés par le Parti communiste, payés par les entreprises dans lesquelles ils officient, et pour beaucoup sont des membres du Parti communiste, voire des comités de direction des entreprises dont ils sont censés défendre les travailleurs. Par exemple, à l’usine Honda de Foshan, touchée par un mouvement de grève en mai, les représentants syndicaux étaient le directeur de l’usine et d’autres cadres dirigeants.” Cette situation rend indispensable de redorer le blason syndical et d’accroître son influence, en profitant des illusions sur le syndicalisme toujours présentes chez les ouvriers. D’une part, “il est prévu de changer le mode de rémunération des leaders syndicaux, et de permettre leur élection par la base des travailleurs. Les leaders syndicaux pourraient donc bientôt être payés directement par l’ACFTU, et choisis par les travailleurs dans un processus de “gestion démocratique” des syndicats au niveau local” (8). D’autre part, l’ACFTU était jusque l’année dernière très peu implantée dans les entreprises privées, chinoises ou étrangères, et ne syndiquait quasiment pas d’ouvriers migrants, pour la plupart de jeunes prolétaires arrivés des campagnes chinoises, subissant les salaires les plus bas et les conditions de travail les plus difficiles, et qui font preuve d’une grande combativité dans les luttes ; l’extension de la présence de l’ACFTU dans ces directions est ainsi devenue une priorité pour la bourgeoisie chinoise (9).
Pour réussir dans cette entreprise de renforcement de l’appareil d’encadrement, quoi de mieux que de s’adresser aux champions toutes catégories du sabotage syndical : les bourgeoisies des pays centraux du capitalisme. En témoigne cette tournée aux États-Unis d’une délégation de dirigeants de l’ACFTU partis rencontrer leurs homologues américains afin “d’améliorer leurs relations” (10), ou encore ces “séances d’échanges entre syndicalistes chinois et français” (11).
La bourgeoisie mondiale n’a en effet aucun intérêt au développement de la lutte de classe dans quelque partie du monde que ce soit, et pour contrer celle-ci elle est toujours capable de passer outre ses rivalités économiques et impérialistes. Pour la combattre, le prolétariat devra lui opposer sa solidarité de classe internationale.
DM (21 avril)
1) http ://dndf.org/ ?p=8835 [27]
2) Voir notre article : “Une vague de grèves parcourt la Chine [28]”, Révolution internationale no 415.
3) www.clb.org.hk/en/node/100813 [29].
4) http ://dndf.org/ ?p=8843 [30]
5) http ://chinastrikes.crowdmap.com/reports/view/59 [31] et http ://chinastrikes.crowdmap.com/reports/view/57 [32]
6) “All-China Federation of Trade Unions” en anglais de Hong-Kong.
7) http ://dndf.org/ ?p=8835 [27]
8) http ://dndf.org/ ?p=7498 [33]
9) www.clb.org.hk/en/node/101029 [34].
10) www.clb.org.hk/en/node/100837 [35].
11) http ://dndf.org/ ?p=8835 [27]. Ainsi, après avoir envisagé d’apporter le concours de sa police pour venir à bout des révoltes sociales en Tunisie, la France envoie ses syndicats en Chine afin de prévenir de telles révoltes. Décidément, le savoir-faire français en la matière s’exporte bien.
Comme on s’y attendait depuis quelque temps, l’armée française est intervenue massivement en Côte-d’Ivoire en utilisant chars, missiles et autres armements lourds pour déloger Gbagbo de son bunker et installer Ouattara au pouvoir, en bombardant au passage résidences et autres édifices, provoquant sans doute nombre des victimes. Cependant, plusieurs jours après cette pluie de bombes et tirs de missiles, on ne sait rien du nombre de ces victimes. En effet, on a beau faire le tour d’une dizaine de médias (presse écrite et audiovisuels français), pas un seul chiffre n’a été avancé ; comme si on voulait nous faire croire qu’il s’agissait d’opérations ultra-“chirurgicales” évitant sciemment tout être humain. Tout au plus, certains projecteurs continuent de montrer des cadavres sauvagement exposés autour et au milieu des passages empruntés par les chars français au cours de leurs actions. Duplicité suprême, les autorités françaises justifient sans honte leur entreprise criminelle au nom de la “protection” des civils et à la demande de l’ONU. Gros mensonge et hypocrisie sans borne, car cela fait des mois que la population et les civils en Côte-d’Ivoire se font massacrer quotidiennement par les bandes et troupes armées sous les regards complices des forces de l’ONU et de la “Licorne”. Cette attitude de l’ONU et de la France relève du cynisme des grands charognards capitalistes.
En effet, comme toutes ses interventions passées, cette fois-ci encore l’impérialisme français s’est mis en première ligne, mais hypocritement “sous couvert” de l’ONU, dont le rôle habituel consiste justement à accompagner les tueurs. La vérité dans cette histoire est celle que décrit si bien cet éminent connaisseur de la “Françafrique” : “Ainsi, donc loin des discours sans cesse martelés depuis 2007 sur sa volonté de rompre avec les turpitudes interventionnistes, auxquelles se sont livrés tous ses prédécesseurs de la Ve République, Nicolas Sarkozy a remis au goût du jour les propos de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Louis de Guiringaud, qui, en 1978, déclarait sans ambages que “l’Afrique est la seule région du monde où la France peut se prendre pour une grande puissance capable de changer le cours de l’histoire avec 500 hommes”. […] Les bombardements aériens quotidiens, dont celui du 10 avril visant directement la résidence de Laurent Gbagbo, et le soutien logistique, stratégique et militaire apporté aux forces d’Alassane Ouattara n’entrent assurément pas dans le mandat donné par la résolution 1975 du Conseil de sécurité, en date du 30 mars.[…] Dans pratiquement tous les cas où l’armée française a agi pour voler au secours d’un président ami menacé par des troubles intérieurs, ou installer un chef d’Etat en lieu et place de celui qui est au pouvoir, les dirigeants français ne se sont jamais embarrassés de savoir si le droit, comme par exemple l’existence d’un accord international, les y autorisait. Pire, la protection ou l’évacuation des nationaux français a parfois été le prétexte pour une opération de maintien de l’ordre destiné à garder au pouvoir un président, comme ce fut le cas au Gabon, en 1990, où l’armée française, après avoir sécurisé les nationaux à Port-Gentil, a été surtout assignée à des tâches de maintien de l’ordre à Libreville qui ont permis d’asseoir le pouvoir d’Omar Bongo” (Albert Bourgi, le Monde du 16 mars 2011).
En réalité, la France préparait son intervention armée dès le lendemain de la proclamation des résultats de l’élection présidentielle de novembre/décembre 2010. C’est dans ce cadre qu’elle a préparé et armé le camp Ouattara en guidant celui-ci dans ses opérations, y compris les plus monstrueuses comme celles ayant abouti aux massacres de Duékoué.
“Massacres à dimension politico-ethnique, immolations, viols, exécutions sommaires, pillage : une série d’atrocités ont été commises dans l’extrême ouest de la Côte-d’Ivoire au mois de mars au moment où, à Abidjan, l’affrontement militaire entre le président sortant, Laurent Gbagbo, et le président élu, Alassane Ouattara, focalisait l’attention des observateurs. Si les soldats de M.Gbagbo ont alors tué plus d’une centaine de partisans de son rival, les massacres commis par les forces républicaines de Côte-d’Ivoire (FRCI) de M.Outtara semblent revêtir une autre dimension : elles ont tué des centaines de civils, ciblés comme étant prétendument pro-Gbagbo, violé au moins 23 femmes et brûlé au moins 10 villages pendant leur offensive du mois de mars, selon un rapport de l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW) publié vendredi 8 avril au soir” (le Monde du 11 avril 2011).
Et, au bout du compte, on dénombre au moins 800 morts selon la Croix-Rouge, un millier selon l’ONG catholique Caritas. Ce sont là les nouvelles autorités ivoiriennes que l’armée française vient d’installer au pouvoir, c’est-à-dire un gouvernement Ouattara “démocratiquement élu” qui entame son mandat en sanguinaire ordinaire.
Ce terrible récit se passe de commentaires sur le degré de barbarie et de monstruosité dont ont fait (et font encore) preuve les deux camps sanguinaires.
“Au repli identitaire ivoirien dont il se faisait le champion, Laurent Gbagbo avait greffé une semelle nationaliste. Celle-ci préconisait à terme “l’indigénisation” partielle de l’économie ivoirienne et la diversification des investissements étrangers en Côte-d’Ivoire. Il s’agissait alors pour M. Gbagbo d’affranchir son pays de sa dépendance systématique historique envers la France. Il s’est alors tourné vers la Chine. En moins d’une décennie, le volume des échanges entre la Côte-d’Ivoire et la Chine explose. D’une cinquantaine de millions d’euros en 2002, il oscille autour du demi-milliard d’euros en 2009. Favorisée par la crise économique en Occident et regorgeant de surplus commerciaux et de devises, la Chine a supplanté la France et les Etats-Unis en Afrique. Le triomphe de la diplomatie économique chinoise en Afrique de l’Ouest notamment confirme la proximité géopolitique entre M.Gbagbo et la gérontocratie pékinoise. L’éviction de la France par la Chine en Côte-d’Ivoire et en Afrique est perçue par le Quai d’Orsay comme une gifle géopolitique inacceptable. Dès lors, la destitution de M.Gbagbo faisait partie des priorités stratégiques de la France” (Willson Saintelmy, le Monde du 16 mars 2011).
Contrairement à la propagande véhiculée par les médias nationaux, cette intervention armée de Sarkozy n’a aucun objectif humanitaire mais elle a pour seul but de défendre les sordides intérêts du capital national. Et ce n’est pas par hasard que les principales forces politiques françaises, de droite comme de gauche, soutiennent cette sale intervention.
Amina (20 avril)
Carlo Rovelli (1) a écrit un ouvrage paru en 2009 intitulé Anaximandre de Milet ou la naissance de la pensée scientifique (2).
Parmi la somme d’ouvrages qui abordent la méthode scientifique, ce livre doit retenir l’attention car son auteur fait preuve d’un esprit d’ouverture à saluer. Dans l’introduction de son livre, C. Rovelli montre d’emblée ce qui apparaît clairement comme étant la motivation première qui a présidé à l’écriture de son ouvrage : “En ouvrant, pour reprendre les mots de Pline (3), “les portes de la nature”, Anaximandre (4) a en effet ouvert un conflit titanesque : le conflit entre deux formes de savoirs profondément différents. D’un côté, un nouveau savoir sur le monde fondé sur la curiosité, sur la révolte contre les certitudes et donc sur le changement. De l’autre, la pensée alors dominante, principalement mystico-religieuse, et fondée, dans une large mesure, sur des certitudes qui, par nature, ne peuvent être mises en discussion. Ce conflit a traversé l’histoire de notre civilisation, siècle après siècle, avec victoires et défaites de part et d’autres. Aujourd’hui, après une période où les deux formes de pensées rivales semblaient avoir trouvé une forme de coexistence pacifique, ce conflit semble s’ouvrir à nouveau. De nombreuses voix, d’origines politiques et culturelles assez différentes chantent à nouveau l’irrationalisme et le primat de la pensée religieuse” (p. 7).
Nous ne pouvons que souscrire à cette triste constatation de l’auteur. Celui-ci continue en affirmant : “L’issue incertaine de ce conflit détermine notre vie de tous les jours, et le sort de l’humanité” (page 8).
Anaximandre vécut dans la cité de Milet (5) au vie siècle avant J.-C. Mais bien avant lui et depuis fort longtemps, le savoir avait été développé par la civilisation humaine. L’écriture est utilisée depuis trois millénaires. Les lois sont écrites depuis au moins douze siècles sur de splendides blocs de basalte (visibles au Louvre). Les mathématiques correspondent déjà au savoir actuel d’un enfant de CE2 : “Retenons qu’il a été tout sauf facile pour l’humanité de rassembler des connaissances qu’un enfant de huit ans d’aujourd’hui assimile sans difficultés” (p. 15).
C. Rovelli développe d’emblée, tout au long de son ouvrage, une réflexion faisant le lien entre l’évolution du savoir scientifique et le type de société et d’organisation politique dans laquelle elle s’inscrit.
Pour lui, la forme fondamentale de l’organisation politique des grandes civilisations est la monarchie : “C’est cette structure monarchique qui permet le développement de la civilisation. Elle constitue la garantie de stabilité et de sécurité nécessaire à la complexification des relations sociales” (p. 15). Mais ce type de société monarchique a aussi ses limites, notamment sous l’angle de l’immobilisme qui y règne et des représentations sociales et religieuses qui y sont associées et qui déterminent une “image du monde”. Il nous donne ainsi l’exemple de la civilisation chinoise, capable d’amasser pendant des millénaires une somme de connaissances extraordinaires sur l’astronomie, mais incapable d’en dégager une réalité correcte en lien rationnel avec ses observations. Elle devra ainsi attendre le xvie siècle et la venue du jésuite Matteo Ricci pour accéder aux connaissances développées depuis bien longtemps par l’astronomie grecque et européenne et ainsi comprendre que la terre n’était pas carrée mais ronde.
C’est avec cette même démarche que l’auteur nous montre ce qu’a été Milet pour la naissance de la pensée scientifique : “C’est ici que naît le libre esprit d’investigation qui deviendra la marque distinctive de la pensée grecque et plus tard du monde moderne” (p. 29).
Il décrit Milet comme une ville marchande, un endroit où de nombreuses cultures différentes et formes de pensées se sont réunies : “Une florissante petite cité portuaire ionienne, d’où partent et où arrivent sans cesse des navires de commerce. Où chaque citoyen se sent sans doute plus maître de son destin et de celui de sa cité qu’un anonyme sujet du pharaon ! […] L’Ionie est le pivot entre l’occident et l’orient. Enfin au sud, d’où arrivent les navires phéniciens par lesquels les Grecs ont appris à écrire […] Milet est donc la scène d’un processus politique complexe, qui rappelle celui d’Athènes et celui plus tardif et bien connu de Rome” (p. 28 à 31).
Tout aussi déterminante fut la structure politique et sociale de cette cité où, pour la première fois, quelle que soit sa complexité et les différentes formes qu’elle peut prendre, “on assiste à une remise en question continuelle de la gestion de la chose publique” (p. 95). De cette “désacralisation et cette laïcisation de la vie publique, qui passe des mains des rois à celle des citadins, s’ouvre un processus de désacralisation et de laïcisation du savoir” (p. 95). “Au moment où les cités grecques chassent les rois, quand elles découvrent qu’une collectivité humaine hautement civilisée n’a pas besoin d’un roi-dieu pour exister, qu’au contraire elle fleurit mieux sans roi-dieu, à ce moment la lecture de l’ordre du monde se libère de la sujétion aux dieux créateurs et ordonnateurs, et de nouvelles voies s’ouvrent pour comprendre et ordonner le monde” (p. 95). “La loi que cherche Anaximandre pour comprendre le cosmos est sœur de la loi que les citoyens de la Polis cherchent pour s’organiser” (p. 95). Ce sont ces conditions qui ont présidé à la naissance de la pensée scientifique d’Anaximandre dans la ville de Milet.
Un siècle avant Anaximandre, au sein de la Grèce archaïque, un autre penseur marque son temps : l’historien Hésiode. Son monde et sa pensée sont très humains. Il s’interroge sur le sens de l’humanité et la peine de la vie dans les Travaux et les Jours et sur la naissance et l’histoire de l’univers dans sa théogonie (6). Autant de travaux qui s’inscriront dans les recherches futures et notamment à Milet. Pourtant, comme le dit C. Rovelli : “Les réponses qu’offre Hésiode, quoique sans doute un peu plus complexes, sont taillées dans la même étoffe que celle que nous trouvons partout autour du monde, et en particulier dans la vallée du Tigre et de l’Euphrate : une étoffe faite exclusivement de dieux et de mythes” (p. 23). Lorsque Hésiode se pose les questions “comment le monde est-il né et de quoi est-il fait ?”, il ne peut répondre dans sa théogonie que par ce que nous pourrions résumer ainsi, la force et le désir des dieux. “De tous les textes qui sont arrivés jusqu’à nous, c’est exclusivement par ces mythes que la pensée confère un ordre au monde. Et c’est au pouvoir des dieux, ou en tout cas d’entités surnaturelles, que l’homme attribue les responsabilités des événements du monde” (p. 25). “Selon certains, l’activité religieuse humaine ou en tout cas “rituelle”, remonte au moins à 200 000 ans, sinon à l’origine du langage. C’est aujourd’hui une opinion consensuelle que la pensée religieuse était la pensée universellement dominante, dans toutes les cultures antiques dont nous avons la trace” (p. 152). C’est à ce moment-là de son analyse sur la pensée pré-scientifique que l’auteur choisit d’introduire l’importance de la naissance de la pensée d’Anaximandre pour la pensée scientifique : “Anaximandre invente quelque chose de nouveau : une lecture du monde où la pluie n’est pas décidée par Zeus mais causée par la chaleur du soleil et par le vent, et où le cosmos ne naît pas d’une décision divine mais d’une boule de feu. Il propose d’expliquer le monde de l’origine du cosmos jusqu’à l’origine des gouttes de pluie, sans faire référence aux dieux” (p. 139).
Anaximandre va tirer les premières conséquences scientifiques d’observations déjà millénaires. La liberté de pensée d’Anaximandre va lui permettre de remettre en cause de manière constructive les enseignements de son maître Thalès et des sages ou autres savants chinois. “A mi-chemin entre la révérence absolue des pythagoriciens envers Pythagore, de Mencius envers Confusisus, de Paul envers le Christ, et le rejet brutal de celui qui pense différemment de soi, Anaximandre ouvre une troisième voie. Le respect d’Anaximandre à l’égard de Thalès est clair, et il est évident qu’il s’appuie complètement sur ses conquêtes intellectuelles. Et pourtant, il n’hésite pas à dire que Thalès s’est trompé, en ceci et en cela, et qu’il est possible de faire mieux. Ni Mencius, ni Paul de Tarse, ni les pythagoriciens n’ont compris que cette troisième voie, étroite, est le chemin de la connaissance” (p. 82).
Ici, c’est la nature même de la démarche scientifique qui est mise en lumière : “La science est avant tout une exploration passionnée d’une nouvelle façon de penser le monde. Sa force ne tient pas aux certitudes qu’elle fournit, mais au contraire à une conscience aiguë de l’étendue de notre ignorance. C’est cette conscience qui nous pousse à sans cesse douter de ce que nous croyons savoir et ainsi nous permet d’apprendre toujours. La recherche de la connaissance ne se nourrit pas de certitudes : elle se nourrit d’une absence radicale de certitudes” (p. 2). Ce que nous dit ici C. Rovelli, c’est qu’il n’existe pas de vérité absolue, vraie de tout temps et pour toujours. La matière, la vie, la pensée, la science sont mouvement.
Malgré cela, la science est source de sécurité. La théorie scientifique est indispensable à la construction de la civilisation humaine. En ce sens, comme le dit l’auteur : “La théorie de Newton ne perd pas sa valeur après Einstein” (p. 107). Comme l’idée de lois naturelles d’Anaximandre et de Pythagore ne perdent pas de leur importance pour le développement de la science avec Platon ! “S’il serait candide de prétendre savoir comment est fait le monde sur la base du peu que nous en connaissons, il serait franchement idiot de mépriser ce que nous savons, seulement parce que demain nous pourrions en savoir un peu plus. […] L’humanité parcourt une voie vers la connaissance qui sait se tenir loin des certitudes de ceux qui se croient dépositaire de la vérité, sans pour autant être incapable de reconnaître qui a raison et qui a tort […]” (p. 6).
Plus profondément encore, comme Anaximandre l’écrit lui-même dans le seul texte qu’il nous reste de lui rapporté par Simplicius (7) : “Toutes choses ont racines l’une dans l’autre et périssent l’une dans l’autre selon la nécessité. Elles se rendent justice l’une à l’autre et se récompensent à l’injustice conformément à l’ordre du temps” (p. 74).
C. Rovelli rend justice à Anaximandre et à ses intuitions. Avant Anaximandre, on se représentait la Terre avec le ciel au-dessus d’elle, celle-ci devant nécessairement reposer sur quelque chose. Anaximandre fait cette découverte “qui a elle seule suffirait à faire de lui un géant de la pensée” (p. 1) : la terre flotte dans le ciel. Il n’y a plus de haut ni de bas. Ces notions n’ont de sens que par rapport à la Terre elle-même.
Ce qui semble aujourd’hui une évidence, l’espèce humaine a mis 200 000 ans à le découvrir. Pourquoi ? “La difficulté est que la Terre flotte dans l’espace contredit violemment l’image que nous avons du monde. C’est une idée absurde, ridicule et incompréhensible. La difficulté principale est d’accepter que le monde puisse ne pas être comme nous croyions qu’il était. Que les choses puissent ne pas être comme elles apparaissent. La vraie difficulté est d’abandonner une image qui nous est familière. Pour franchir ce pas, il faut une civilisation dans laquelle les hommes sont prêts à mettre en doute ce que tout le monde croit vrai”… et tel était le cas à Milet ! (p. 59).
“Mais son héritage est plus vaste. Anaximandre ouvrit la voie à la physique, à la géographie, à l’étude des phénomènes météorologiques et à la biologie” (p. 1). Entre autres contributions d’Anaximandre, il faut noter celle de l’origine de l’homme : “Tous les animaux vivaient originellement dans la mer ou dans l’eau qui recouvrait la terre dans le passé. Les premiers animaux étaient donc des poissons ou des sortes de poissons. Ils ont ensuite conquis la terre ferme quand celle-ci s’est asséchée et se sont adaptés à ce nouveau milieu. Les hommes en particulier ne peuvent être apparus dans leur forme actuelle parce que les nourrissons ne sont pas autosuffisants, ce qui implique que quelqu’un d’autre devait les nourrir. Ils sont donc dérivés d’autres animaux à la forme de poisson” (p. 40). Nous assistons ici à la naissance d’une ébauche de théorie sur l’évolution des espèces.
Carlo Rovelli insiste sur la nécessité de la discussion la plus large et la plus ouverte : “Dans le domaine du savoir, la découverte est que laisser libre cours à la critique, permettre la remise en question, donner le droit à la parole à tous et prendre au sérieux toute proposition, ne mène pas à une cacophonie stérile. Au contraire, cela permet d’écarter les hypothèses qui ne fonctionnent pas, et de faire émerger les meilleures idées” (p. 97). Il s’élève de ce fait contre cette vision du xixe siècle selon laquelle “les bonnes théories scientifiques sont définitives, exactement valides pour l’éternité” (p. 105). Mais aussi contre celle de la théorie scientifique consistant à accumuler et mesurer des faits : “L’objectif déclaré de la recherche scientifique n’est pas de faire des prédictions quantitatives correctes. Qu’est ce que cela signifie ? Construire et développer une image du monde. C’est-à-dire une structure conceptuelle pour penser le monde efficace et compatible avec ce que nous en savons” (p. 111).
Notre quête du savoir est ainsi en permanente évolution : “Nous pensions que la Terre était plate puis qu‘elle était au centre du monde. Nous pensions que les bactéries étaient spontanément générées par la matière inanimée. Nous pensions que les lois de Newton étaient exactes… A chaque nouvelle découverte, le monde se redessine et change sous nos yeux. Nous le connaissons différemment et mieux. La science est une recherche continuelle de la meilleure façon de penser le monde, de regarder le monde. C’est avant tout une exploration de nouvelles formes de penser… Cette aventure s’appuie sur toute la connaissance accumulée mais son âme est le changement perpétuel. La clé du savoir scientifique est la capacité à ne pas rester agrippé à nos certitudes, à nos images, à être prêt à les changer, et le changer encore en fonction d’observations, de discussions, de nouvelles idées, de nouvelles critiques” (p. 111).
Cependant, “s’il ne cesse de se transformer, pourquoi le savoir scientifique est-il digne de foi ?” Pour Carlo Rovelli, “l’aspect évolutif de la science est précisément la raison de sa fiabilité. Les réponses scientifiques ne sont pas définitives mais ce sont, presque par définition, les meilleures réponses dont nous disposons aujourd’hui” (p. 121). “La science offre les meilleures réponses justement parce qu’elle ne considère pas ses réponses comme certainement vraies ; c’est pourquoi elle est toujours capable d’apprendre, de recevoir de nouvelles idées” (p. 122).
C. Rovelli nous présente Anaximandre comme un géant de la pensée. Pour lui : “Il est l’homme qui a donné naissance à ce que les Grecs ont appelé “l’investigation de la nature” jetant les bases y compris littéraires de toute la tradition scientifique ultérieure. Il ouvre sur le monde naturel une perspective rationnelle pour la première fois, le monde des choses est perçu comme directement accessible à la pensée” (p. 169). C’est à notre sens au cœur de cette citation que l’on trouve la raison fondamentale à partir de laquelle l’auteur affirme que nous assistons avec Anaximandre à la naissance de la pensée scientifique.
Pour ce qui nous concerne, le livre de C. Rovelli sur Anaximandre nous semble important à un double titre. Dans l’opposition qu’il introduit entre la pensée mystique et la pensée rationnelle et enfin dans la démonstration qu’il fait tout au long de son ouvrage de l’importance vitale pour l’espèce humaine de ce que l’on doit appeler la méthode scientifique. Méthode d’investigation de la nature que C. Rovelli utilise dans l’étude des travaux d’Anaximandre et de l’exposé qu’il nous fait de l’histoire des sciences. L’auteur utilise ainsi la même méthode qu’ont utilisée depuis bientôt deux siècles Marx et Engels dans leur étude des phénomènes de la nature et de l’histoire.
C’est l’utilisation de cette méthode qui permet par exemple au lecteur de tirer un fil de continuité d’Anaximandre à Copernic, Galilée, Newton et Einstein, ou encore à Darwin.
Pour citer une dernière fois C. Rovelli : “La science est l’aventure humaine qui consiste à explorer les modes de pensée du monde, prête à subvertir certaines de certitudes que nous avions jusqu’ici. C’est l’une des plus belles aventures” (p. 126).
T et P (avril 2011)
1) Carlo Rovelli est professeur à l’université de la Méditerranée (Marseille), membre de l’Institut Universitaire de France, chercheur en physique théorique et co-inventeur avec Lee Smolin et Abbay Ashtekar, de la théorie de la gravitation quantique en boucles
2) Editions Dunod-La Recherche.
3) Pline, naturaliste et écrivain né à Côme en Italie (23-79). Il a laissé une histoire naturelle en 37 volumes.
4) Anaximandre, philosophe grec de l’école ionienne (610-547 av. J.-C.).
5) Milet, située sur la côte occidentale de l’actuelle Turquie.
6) Généalogie et filiation des dieux.
7) Simplicius, mort en 483, pape de 463 à 483.
Liens
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[18] https://fr.wikipedia.org/wiki/OMV
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[23] https://fr.wikipedia.org/wiki/Weald
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