Mi-juin, à l'annonce des résultats électoraux, des confrontations de rue violentes ont eu lieu partout en Iran (lire notre article Manifestations massives en Iran : « Tanks, balles, gardes : rien ne peut nous arrêter ». Des milliers de gens y ont montré leur raz le bol de l’actuel système politique, qui n'engendre qu'oppression et misère. Tout comme en Grèce et dans les luttes en Egypte ou en France, la grogne monte face aux manques de perspectives qu'offre le système capitaliste quelque soient les formes sous lesquelles il se présente. Mais ce dernier pour assurer sa survie ne se prive pas d’utiliser tous les moyens dont il dispose, comme nous pouvons le voir une fois de plus en Iran. La répression violente et les luttes politiques entre fractions de la bourgeoisie sont largement exploitées. Le cirque politique doit renforcer l'illusion que certaines fractions seraient plus en faveur de la défense du peuple que d'autres ; il tente ainsi d’enfermer la contestation dans le carcan de la défense d'une des fractions bourgeoises contre l'autre.
Nous publions ci-dessous deux textes que des lecteurs nous ont fait parvenir à propos de ces événements, et qui défendent clairement une position prolétarienne contre ces mystifications. Nous soutenons ces prises de position qui s’inscrivent dans l’orientation des positions défendues par le CCI.
Depuis déjà un certain nombre de jours, le monde est témoins d’une grande vague de protestations de jeunes, vieux et femmes dans les grandes villes, surtout à Téhéran. Les nouvelles techniques de communications, comme Facebook et Twitter, parfaitement exploitée par la jeune génération, ont pleinement été employées pour organiser les manifestations et permettre au monde de suivre les événements (L’Iran connaît le plus grand nombre de bloggers à l’échelle mondiale). La censure étatique n’a pas réussi à empêcher la diffusion des nouvelles.
Les
manifestants sont mécontents
des résultats des élections présidentielles et se sentent trompés
par la fraction de la bourgeoisie qui s’adjuge la victoire. Si cet
événement a créé l’occasion pour des millions de gens de
descendre dans la rue pour récupérer « leurs voix volées »,
la véritable cause se situe ailleurs.
Depuis un peu plus de trois décennies déjà, la population est réprimée pour le moindre délit, également dans sa vie privée. Et ceci concerne en particulier les femmes. Les conditions de vie des travailleurs se détériorent sans cesse. Tandis que la récession atteint son plus haut niveau, les ouvriers ne sont plus payés déjà depuis des mois. Ils ne peuvent aucunement protester ou convoquer une réunion. Ceci est sévèrement pénalisé. Le chômage touche surtout les jeunes, qui constituent 60% de la population, et il a fortement augmenté. Même s’ils travaillent dur, à la fin de leurs études de second cycle, ils trouvent souvent la porte de l’université fermée. L’université est devenue une grande mosquée surveillée par la milice de Hezballah (le Parti de Dieu). Face à cette situation générale, des protestations dans les usines, les universités et dans la rue ont eu lieu régulièrement, où aussi bien des ouvriers que des étudiants ont pris part. L’année dernière, un grand nombre d’arrestations ont été effectuées parmi les ouvriers.
En
arrière-fond de ce développement, les oppositions au sein de la
bourgeoisie s’aiguisent également. Le conflit entre les deux
fractions les plus importantes de la bourgeoisie a pris une telle
ampleur qu’un espace est apparu où les gens ont fait entendre
leurs voix. La fraction de Ahmadinejad et de Khamenei, qui est au
pouvoir, a encore essayé à l’aide d’un cirque politique et au
moyen de discussions télévisées avec son concurrent, d’attirer
les jeunes mécontents vers les urnes. Via l’emploi des médias de
masse durant les élections et la promulgation de sa victoire face à
l’autre fraction, elle a essayé de stabiliser son pouvoir et de
l’imposer aux ouvriers, de dissimuler la crise économique et le
chômage parmi les jeunes en particulier, mais aussi de réprimer
l’autre fractions (celle de
Rafsanjani, Khatami, Mousavi,…).
Mr Hossein Mousavi, leader de l’autre fraction « libérale », qui maintenant est devenu le « héros » et le centre de protestation pour une partie des manifestants, surtout les jeunes, dispose encore avec sa fraction, non seulement encore de pouvoir derrière les coulisses, mais occupe toujours une fonction importante dans les organes gouvernementaux décisifs. En outre, lorsque sa fraction était au gouvernement, ils ont été les gardiens cruels du système capitaliste et n’ont pris aucune mesure pour améliorer les conditions de vie des ouvriers. Au lieu de cela, pendant les 8 ans de guerre entre l’Iran et l’Irak, ils les ont massivement envoyés au front. Les jeunes et les enfants ont été utilisés comme chair à canon pour leurs intérêts impérialistes ou ont été assassinés aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des prisons.
Les jeunes, marqués depuis des années par toutes sortes de problèmes comme la pauvreté et l’oppression, sont tombés dans la drogue et la prostitution. Ils en ont marre que le régime se mêle de toutes sortes d’aspects de leur vie privée et ne voient aucune perspective d’une vie meilleure. C’est eux qui forment la plus grande partie des manifestants. Bien que la protestation soit devenue nationale et exprime un grand mécontentement et courage des manifestants, elle reste pour l’essentiel, en l’absence d’une perspective révolutionnaire et d’une avant-garde ouvrière, sous le contrôle et dans l’intérêt de la bourgeoisie.
Ici, il n’est pas important de savoir quelle fraction est gagnante aux élections présidentielles. Car le résultat est le même. Dans ces élections bourgeoises, la bourgeoisie est dès le début la gagnante et les ouvriers avec leurs enfants, qui y ont participé, les perdants. La voie vers les urnes signifie pour les ouvriers un témoignage de soutien à leurs propres exploiteurs et la perte de leur voix pour une vie meilleure, c’est-à-dire: une vie sans exploitation et oppression.
La
plupart des slogans avancés par les manifestants sont très
réactionnaires et superficiels (« Dieu est grand »). Ces
slogans ne contribuent en aucune manière aux intérêts des
ouvriers, qui sont toujours plus attaqués par la bourgeoisie dans
leurs conditions de vie et ne posent eux-mêmes aucune revendication
claire qui remette en question ces conditions. Les slogans et les
discussions révolutionnaires sont interdits dans beaucoup de
régions. Chaque revendication ou discussion, qui remet en question
le système ou le pouvoir de la bourgeoisie, est étouffé dans l’œuf
par les partisans des deux fractions
bourgeoises. Les partisans de l’opposition utilisent en outre
l’argument que toute discussion deviendra possible une fois que Mr
Hossein Mousavi aura gagné. C’est le même argument que celui des
groupements religieux pendant la révolte en 1979, mais à ce
moment-là, les révolutionnaires et les ouvriers conscients s’y
sont opposés et ont essayé avec grande conviction et au moyen de
discussions intensives d’élever et de développer la prise de
conscience de la population. Cela souvent au prix de leurs vies. (Le
but n’est pas ici de comparer tous les différents aspects et
fautes des deux révoltes).
Les groupements ultra-gauches et les fractions de gauche bourgeoises, qui sont excités à chaque agitation sociale, furent aussi cette fois-ci très euphoriques. Avec leur slogan connu « le mouvement est tout, le but n’est rien » , ils défendirent sans critiques les participants dans une stratégie « étape par étape » (selon eux, la victoire de Mousavi est une étape en avant). Ils stimulent la population à choisir entre le pire et le moindre mal. Ceci est une condition inhumaine et un faux argument à soumettre aux gens. Ce point de vue bourgeois, qui domine depuis des années le mouvement ouvrier, est une des causes pour laquelle la classe ouvrière est déviée de son propre terrain de classe et gênée dans sa prise de conscience et le développement de sa force et confiance en soi.
L’autre point de vue qui, tout comme le premier, joue un rôle dangereux dans le mouvement ouvrier, est le suivant : « un mouvement sans un chef puissant est impossible ». Dans ce cas-ci également, toute confiance dans sa propre force et auto-organisation est retirée aux ouvriers qui sont déviés vers le drapeau de leurs exploiteurs et oppresseurs (par exemple sous le commandement de Mousavi).
Nous ne sommes pas des spectateurs passifs et sans aucune solidarité avec les protestataires, qui sont également blessés et tués. Cela ne veut pas dire que nous oublions que la cause de ce mécontentement réside dans le système capitaliste. Nous n’oublions pas non plus que cette première protestation après trente ans est un choc pour la bourgeoisie. Le fait que l’ordre établi est toujours défié, malgré la tentative de Mousavi de calmer les masses et la répression brutale par le régime, montre clairement que les masses commencent à perdre son angoisse envers le régime et sont prêtes à le défier. Nous savons qu’un mouvement de masse peut toujours se radicaliser, mais à présent nous critiquerons fortement ces actions, précisément parce que nous sommes actifs et solidaires.
Ce qui
se passe maintenant dans les villes iraniennes n'est pas dans
l'intérêt de la classe ouvrière aussi longtemps que le mouvement
reste prisonnier d’illusions. Le soutien d’une fraction de la
bourgeoisie (ici Mousavi) ou l’emploi des conflits entre fractions
de la bourgeoisie pour engager une protestation, ne contribuent en
aucune manière à la défense des intérêts des ouvriers. Les
élections, ne sont pas le terrain de la lutte de classe. Qui que
soit le gagnant, le résultat reste le même et les ouvriers seront
encore de plus en plus exploités et opprimés. C’est pourquoi le
soutien d’une fraction de la bourgeoisie ou des actions aveugles ne
constituent qu’un entérinement du système capitaliste. Si les
ouvriers et leurs enfants, qui sont désespérés et furieux,
prennent part à un mouvement bourgeois, ils vont tout droit contre
leurs intérêts de classe. Ils doivent immédiatement quitter ce
mouvement bourgeois et s’orienter vers la
lutte contre tout le système avec des revendications claires, basées
sur leurs propres intérêts de classe.
Si
l’action reste coincée à ce stade, la lutte et la prise de
conscience de la classe ouvrière vont reculer et déboucher sur une
grande déception. Il est important que les révolutionnaires
démasquent les deux partis et insistent sur le fait que la classe
ouvrière est la classe historique et la force unique qui peut amener
une fin à l’exploitation et l’oppression et peut conduire vers
une vraie liberté pour les gens. Ce mouvement de masse doit
décider : ou chercher une solution avec l’aide d’une
fraction de la bourgeoisie, ce qui implique un entérinement de la
misère, de la pauvreté et de l’oppression ; ou chercher une
solution avec l’aide de sa propre classe, la classe ouvrière, ce
qui signifie un monde sans misère, oppression et barbarie ; le
monde du socialisme.
20 juin 2009, D.N
La révolte et la rébellion du peuple iranien a, en particulier à Téhéran, atteint une nouvelle phase. Selon la presse internationale et des sources intérieures indépendantes, plusieurs centaines de victimes seraient tombées et plus de 5000 personnes auraient été arrêtées. Les hôpitaux de Téhéran sont pleins de manifestants blessés durant ces jours de manifestation. Selon des correspondances actuelles, la milice du régime islamiste tient les hôpitaux sévèrement à l’œil, interdisant l’enregistrement de manifestants blessés. Selon les dernières nouvelles, des manifestants blessés sont enlevés dans les hôpitaux et sont retrouvés en tas dans les morgues. D’innombrables séances de torture ont lieu. L’objectif de ces séances est d’arracher de fausses confessions sur les faits et d’obtenir des noms d’opposants. A Kharizaak, un des faubourgs de Téhéran, un camp a été construit qui fait songer à un holocauste islamiste. Des manifestants sont enlevés et y sont menés pour être soumis aux pires des tortures. Les moyens de communication comme le téléphone et internet sont sévèrement contrôlés et une atmosphère d’isolement pèse sur la société.
La fraude électorale a ouvert une nouvelle phase dans les rapports entre les divers partis réactionnaires du régime capitaliste iranien. Depuis sa naissance, le régime capitaliste iranien a fréquemment connu des conflits internes : ainsi, il y a eu les tensions entre les partis ‘libéraux’ sous la direction de Bazargan et le parti politique de la république islamique de Beheshti, entre autres lors de l’évasion de Banisadr, le premier ministre choisi par Khomeiny. Cette lutte interne permanente est un instrument important de conservation du régime. La faute pour les difficultés peut toujours être rejetée sur l’autre et cela permet d’éviter des explosions de colère. La classe ouvrière n’a aucun intérêt à défendre dans ces conflits, qui ont toujours pour objectif une exploitation maximale des travailleurs et une optimalisation des profits.
Avec l’exacerbation de la crise, le gouvernement tente de tenir la tête hors de l’eau. Pour arriver à contrer la menace de soulèvement des affamés, le gouvernement est obligé de renforcer l’unité interne, pour s’engager dans une confrontation sanglante. Le conflit entre les partis gouvernementaux du régime capitaliste iranien a atteint un stade extrême. Ce conflit réactionnaire est une conséquence de la pression constante de la lutte de classe. La crise politique actuelle est directement causée et influencée par la crise du capitalisme.
Toute théorie qui essaie d’expliquer d’une autre façon les événements actuels, sème consciemment de la méfiance entre les gens. Travailleurs, combattants, soyez en alerte et ne tombez pas dans le piège des réformateurs et des réactionnaires, ceci n’est pas notre lutte et ne va surtout pas dans le sens de nos intérêts. Nous sommes en guerre contre l’ensemble de ce système capitaliste pourri et les deux partis en présence sont des défenseurs de ce système. Le clan de Mousavi tente de manière hypocrite de calmer les protestations. Mohtashamipour, un élément expérimenté, un des dirigeants des terroristes islamistes, ex-ministre de l’intérieur, un des commandants et des exécutants des massacres des révoltés de 1982 et de 1988, a proposé au conseil supérieur des gardiens de la révolution de résoudre la crise politique actuelle en désignant un « comité de recherche de la vérité ». Ce comité a vérifié les accusations de fraude électorale. Un autre candidat des réformateurs, Mehdi Karoubi, un célèbre imposteur , avait appelé les gens à participer en masse à la prière du vendredi à Téhéran. Il avançait l’argument fallacieux qu’en participant à la cérémonie, les protestataires pourraient faire entendre leur voix à Khamenei. L’emploi de ces méthodes démontre que le gouvernement est en difficulté et arrive avec peine à contrôler la situation, malgré ses tentatives désespérées. La présence constante de manifestants montre que malgré la répression systématique, la lutte augmente. La résistance s’exprime à travers la participation massive aux manifs. Les gens n’ont pas oublié que deux jours après les élections déjà, Ahmadinejad avait été proclamé vainqueur par Khamenei. Quel message les manifestants pourraient-ils donc vouloir transmettre à ce bourreau de Khamenei ?
Travailleurs, femmes et hommes, les loups se changent en agneau ou, mieux encore, ce sont des renards qui se présentent sous des dehors sympathiques. Pour tromper le peuple iranien, Khamenei avait demandé au conseil supérieur des gardiens de la révolution de « mener une enquête » sur les élections. Le conseil, qui avait déjà félicité Ahmedinejad, a convenu qu’une faute avait été commise. Les médias impérialistes, comme la BBC , les porte-parole fidèles du parti gouvernemental de Mousavi, ont tenté de limiter le mouvement de masse du peuple iranien à un faible mouvement de protestation contre la fraude électorale, alors que les slogans se radicalisaient rapidement : la foule scandait « mort au dictateur ».
Les manifestants niaient l’interdiction malgré les avertissements de la garde islamique, la police dispersait les manifestants à coup de gaz lacrymogène et en tirant dans la foule. Tout montre que le régime (c’est-à-dire les DEUX fractions) est sur ses gardes et mobilise ses troupes pour empêcher les protestations. Nous devons rester vigilants ; cette circonspection momentanée est le résultat des manifestations de masse mêmes. Il faut rejeter toute euphorie et développer une analyse révolutionnaire de la situation, en relevant après chaque pas les forces et les faiblesses du mouvement et en les évaluant de façon critique.
Les partis bourgeois existants, de l’extrême gauche à l’extrême droite, ont mis en évidence lors des derniers événements leur position politique et leur place historique. Par des discours vides et insignifiants, ils ont invité les manifestants à s’affilier à leurs partis politiques, sans la moindre analyse de classe et une réelle perspective pour engager un processus de changement. Ils ont exploité la situation pour faire de la propagande pour leur propre parti et sont incapables de donner au mouvement un caractère révolutionnaire et de l’organiser de manière adéquate.
La prise de conscience, qui est un élément crucial dans une lutte est totalement absente dans les agissements de ces partis. Or, dans le cas d’une explosion sociale, une plate-forme révolutionnaire, au sein de laquelle la prise de conscience occupe une place centrale, est de la plus haute importance. C’est là la tâche d’un parti communiste. C’est le cadre qui doit permettre aux éléments en lutte de voir une perspective, pas celui de la grandiloquence opportuniste. Les principes révolutionnaires marxistes nous apprennent que l’organisation de la révolution est un processus conscient. Une organisation qui n’agit pas selon ces principes s’oppose aux idées des marxistes révolutionnaires.
Manifestants, éléments en lutte, n’attendez pas les ordres de la bourgeoisie, qu’elle soit de gauche ou de droite, mais prenez vous-mêmes l’initiative, constituez des assemblées générales et constituez des cercles pour diffuser les informations. La situation actuelle en Iran n’est pas une lutte prolétarienne, une lutte pour et par la classe ouvrière. C’est une lutte sans perspective ni stratégie. Protestez avec un objectif clair : nous sommes en lutte contre l’ensemble du système et nos slogans doivent donc mettre en question tout le système, la prise de conscience révolutionnaire doit être favorisée. Avec des publications, la diffusion de déclarations et des discussions, il faut tendre vers une prise de conscience collective. Pendant ces discussions, l’importance d’organisations révolutionnaires internationalistes doit être soulignée. Dans les manifestations, nos slogans doivent clairement se distinguer de ceux des réformateurs.
Le conflit actuel est un conflit au sein de la bourgeoisie, n’entretenons pas d’illusions à ce propos et dénonçons la mystification. Le prolétariat, la classe révolutionnaire, doit se battre contre la bourgeoisie ensemble avec son parti révolutionnaire internationaliste. Combattants du prolétariat, notre classe n’a rien à perdre. « Les prolétaires n’ont que leurs chaînes à perdre, ils ont un monde à gagner ».
01 juillet 2009, M.F.
La vision de centaines de milliers d'êtres humains en proie à la panique et au désespoir, fuyant les villes du Nord Kivu à l'est de la République Démocratique du Congo (RDC) vient nous rappeler une guerre qui n'a jamais cessé, un conflit dévastateur plus mortel qu'aucun autre depuis la Seconde Guerre mondiale.
Entre 1998 et 2003, la RDC, avec l'aide de l'Angola, de la Namibie et du Zimbabwe, a repoussé les attaques du Rwanda et de l'Ouganda, et les hostilités ont perduré depuis, particulièrement au Kivu. Elles ont atteint un tel point qu'un accord de paix incluant un cessez-le-feu complet des groupes armés était signé en janvier de cette année.
Il ne fit pas long feu : des combats éclatèrent à nouveau en août provoqués par l'attaque de certaines villes et de camps (à la fois de militaires mais aussi de réfugiés) par le Congrès national de la défense du peuple de Laurent Nkunda, une milice forte de 5.500 hommes. Les déplacements de populations se sont alors aggravés. Il y avait déjà 850.000 personnes déplacées du fait des deux précédentes années de conflit. Depuis le mois d'août, 250.000 autres ont fui les combats, pour nombre d'entre elles pour la deuxième ou la troisième fois. Dans toute la RDC il existe 1,5 million de réfugiés et plus de 300.000 ont fui le pays.
Avec Goma, la capitale du Nord Kivu, assiégée par les forces de Nkunda, mais aussi partiellement terrorisée par les soldats congolais en pleine retraite pillant et saccageant sur leur passage, il existe de sérieux risques d'une reprise de la guerre totale. Déjà, depuis 1998, on dénombre 5,4 millions de morts, par la guerre et les violences qui y sont liées, par la famine et les maladies. Le directeur du Comité international de sauvetage considère que "le Congo est le conflit le plus mortel partout dans le monde depuis les 60 dernières années" (Reuters).
Pour masquer la responsabilité criminelle des grandes puissances, les médias bourgeois présentent systématiquement le sanglant conflit comme une "guerre ethnique" (en somme une guerre de "sauvages"). De fait, le conflit prend des allures d'affrontement revanchard entre ethnies. Laurent Nkunda crie haut et fort que ses forces armées sont au Nord et au Sud Kivu parce que la RDC aurait dû amener différentes fractions hutues devant la justice. Le rôle de groupes tel que celui des Forces démocratiques de libération du Rwanda, dont le rôle dans le génocide de 800.000 Tutsis est bien connu, est en fait le même que celui des propres forces de Nkunda qui pillent systé-matiquement, violent et assassinent sur leur chemin à travers le pays. Ce n'est pas la première fois que l'appel à "défendre le peuple" sert en réalité à terroriser les populations. Au Rwanda et en RDC, l'incitation à la haine ethnique et au désir de vengeance continue à envenimer la situation.
Car en réalité, ce ne sont pas les populations de cette région, misérables, surexploitées et opprimées par leurs gouvernants et les bandes armées, qui se font la guerre, mais c'est bel et bien ceux qui les instrumentalisent, à savoir les grandes puissances impérialistes qui soutiennent les régimes africains en place et leurs opposants. En clair, ce sont les grandes puissances qui téléguident (à ciel ouvert ou en sous-main) les régimes et leurs opposants criminels qui continuent encore aujourd'hui à massacrer massivement les populations.
Soulignons plus particulièrement le cynisme criminel des autorités françaises et belges. En écho à son président Sarcozy qui pousse en coulisse l'Angola à intervenir militairement en faveur du régime congolais (soutenu par Paris), Bernard Kouchner, son ministre des affaires étrangères, s'est une fois de plus distingué en se comportant en cynique politicien va-t-en-guerre. En effet, dès le lendemain du redémarrage des tueries le 29 octobre, il fut le premier à réclamer publiquement l'envoi de renforts militaires (1.500 hommes) au Kivu derrière le motif que "c'est un massacre comme il n'y en a probablement jamais eu en Afrique".
La RDC est un territoire 90 fois plus grand que le Rwanda, pour une population 6 fois plus importante, et elle n'a pourtant qu'une force militaire relativement petite, même avec l'aide des 17.000 hommes de l'ONU. Le retrait rapide de son armée devant une nouvelle offensive ne faisait aucun doute. L'état de cette armée décomposée reflète l'état de la classe dominante qui ne peut contrôler ses frontières ou ce qui les traverse. La réalité de douzaines de groupes lourdement armées, la plupart d'entre eux soutenus par des pays comme le Rwanda et l'Ouganda, certains d'entre eux plus déterminés à agir sur les conflits ethniques, d'autres cherchant plutôt à profiter de l'exploitation des ressources naturelles, est une expression de la gangstérisation de la société capitaliste. Dans un monde dominé par le "chacun pour soi", le gouvernement de la RDC ne peut avoir la situation en main, mais les gangs armés ne peuvent avoir d'autre ambition que de devenir de plus gros gangs, s'ils veulent survivre.
Sous l'égide de l'ONU depuis 1994 (date du "génocide rwandais"), les guerres et les "accords de paix" se succèdent autour des Grands Lacs, malgré les résolutions et interventions de cet organisme. Il est clair que son rôle principal consiste à masquer la vraie raison de l'intervention des grandes puissances dans cette zone et à mystifier les consciences scandalisées par leurs propres crimes. La présence des forces onusiennes en RDC se résume par : "(...) la mission de maintien de la paix la plus ambitieuse de l'ONU, qui a déployé 17.000 hommes dans le pays. D'ailleurs, les résultats obtenus par cette mission sont peut-être plus inquiétants encore. Non seulement les casques bleus se sont montrés incapables de bloquer l'avance rebelle, mais ils ne sont pas parvenus non plus à protéger les populations civiles, ce qui est pourtant leur mandat" (1).
L'ONU n'est pas seulement inutile, elle est tout simplement criminelle. En réalité, les 17.000 hommes sur place ne sont pas là pour "protéger" les populations comme le prétend cette "institution", mais pour couvrir "légalement" les crimes des différents promoteurs qui se cachent derrière "l'aide humanitaire" sous le fallacieux prétexte que les casques bleus n'ont pas mandat d'affronter les groupes armés. Tel fut le cas à la veille des monstrueuses tueries rwandaises, où les hommes de l'ONU (avec à leur tête les Casques bleus belges) se firent évacués par leurs gouvernements dès l'apparition des redoutables "machettes". Plus près de nous, en 2004, c'est au nez et à la barbe des Casques bleus que les populations se sont fait massacrer lors des combats pour le contrôle de la ville de Bukavu.
Dès lors, on comprend mieux pourquoi nombreux sont les habitants qui rejettent ouvertement leurs vrais "faux protecteurs" onusiens en leur lançant sur leur passage des pierres et d'autres projectiles en guise de protestation contre leur passivité criminelle.
Au bout du compte cependant, les populations de la RDC et, avec elles, la classe ouvrière ne sont pas, malheureusement, au bout de leur peine. En effet, bien que totalement délabrée et en totale décomposition après 12 ans de destructions massives, la RDC ne cessera pas pour autant d'attirer plus que jamais les divers vautours assoiffés de sang. D'un coté, parce qu'elle est gorgée de toutes sortes de matières premières notamment les plus recherchées sur le marché mondial (2), de l'autre, parce qu'elle constitue de fait un point stratégique de par son immense territoire (4 fois la France), le Congo Kinshasa, et avec lui toute la région, restera la cible privilégiée de toutes les puissances impérialistes qui se le disputent bec et ongles. Le capitalisme n'est pas seulement en crise économique : il est aussi le champ de mort qui ronge la face de la planète.
Caramina / 21.11.2008
1) Courrier international, 7 novembre 20082) Principalement le diamant, le cobalt, le cuivre, l'or et le coltan (un minerai métallique utilisé dans l'électronique embarquée).
Nous publions ci-dessous la traduction de la prise de position sur les massacres au Proche-Orient et dans la bande de Gaza parue sur notre site internet en anglais dès le 31/12/2008. Les événements ont évolué depuis dans le même sens que notre dénonciation : l'usage systématique d'une terreur brutale contre le population bombardée par les voies terrestres, maritimes et aériennes et l'entrée des troupes israéliennes à Gaza depuis le 3 janvier au soir. Mais nous avons vu aussi, d'un autre côté, se manifester de façon croissante l'indignation de la population mondiale devant le déchaînement de ces atrocités et face à l'hypocrisie des grandes puissances. Un sentiment de solidarité s'est également affirmé envers la population pales-tinienne qui sert d'otage dans ce conflit entre fractions de la classe exploiteuse. En tant que révolutionnaires, nous dénonçons tous ceux qui prétendent dévoyer cette solidarité de classe sur le terrain pourri du nationalisme, de la défense d'une patrie contre une autre, alors que l'unique moyen pouvant libérer l'humanité de l'impérialisme de la guerre et de la barbarie, est, au contraire, le développement de l'internationalisme révolution-naire jusqu'à l'abolition de toutes les nations, de toutes les frontières et l'édification d'une véritable communauté humaine: le communisme.
Après deux ans d'étranglement économique de Gaza - sans essence et sans médicaments, bloquant les exportations et empêchant les ouvriers de quitter Gaza pour trouver du travail de l'autre côté de la frontière israélienne-, après avoir transformé l'ensemble de la bande de Gaza en un vaste camp de prisonniers, duquel des Palestiniens désespérés ont tenté de s'enfuir en cherchant vainement à passer la frontière avec l'Egypte, la machine militaire israélienne est en train de soumettre cette région très peuplée, appauvrie, à toute la sauvagerie des ses bombardements aériens. Des centaines d'entre eux sont déjà morts et les hôpitaux déjà débordés ne peuvent faire face au flot continu et sans fin des milliers de blessés. Les déclarations d'Israël disant que l'Etat essaye de limiter les morts civils sont une farce sinistre alors que chaque cible « militaire » est située près des quartiers d'habitations ; et alors que les mosquées et l'université islamique ont été ouvertement sélectionnées comme cibles, que reste-t-il de la distinction entre civils et militaires ? Le résultat est là : des cibles civiles, la plupart des enfants, tués et estropiés, et un plus grand nombre terrifiés et traumatisés à vie par les raids incessants. Au moment où cet article a été écrit, le premier ministre israélien, Ehud Olmert décrivait cette offensive comme une première étape. Les tanks attendaient donc à la frontière et une invasion totale de la bande de Gaza n'était pas exclue.
La justification d'Israël pour cette atrocité -soutenue par l'administration Bush aux Etats-Unis - est que le Hamas ne cesse de tirer des roquettes sur les civils israéliens en violation d'un prétendu cessez-le-feu. Le même argument a été utilisé pour soutenir l'invasion du Liban il y a deux ans. Et il est vrai qu'à la fois le Hezbollah et le Hamas se cachent derrière les populations palestinienne et libanaise et les exposent cyniquement à la revanche israélienne, présentant faussement le meurtre d'une poignée de civils israéliens comme un exemple de la « résistance » à l'occupation militaire israélienne. Mais la réponse d'Israël est absolument typique de toute puissance occupante : punir la population entière pour l'activité d'une minorité de combattants armés. L'Etat israélien le fait avec le blocus économique, imposé après que le Hamas ait chassé le Fatah du contrôle de l'administration de Gaza ; il l'a fait au Liban et il le fait avec les bombardements sur Gaza. C'est la logique barbare des guerres impérialistes, dans lesquelles les civils servent pour les deux côtés de boucliers et de cibles, et finissent presque invariablement par mourir en plus grand nombre que les soldats en uniforme.
Et comme dans toutes les guerres impérialistes, les souffrances infligées à la population, la destruction des maisons, des hôpitaux et des écoles, n'ont pour résultat que de préparer le terrain à de futurs épisodes de destructions. Le but proclamé d'Israël est d'écraser le Hamas et d'ouvrir la porte à un leadership palestinien plus « modéré » à Gaza, mais même les ex-officiers des services secrets israéliens (au moins un des plus... intelligents) peuvent voir la légèreté d'un tel argument. Au sujet du blocus économique de Gaza, l'ex-officier du Mossad Yossi Alpher déclarait : « Le siège économique de Gaza n'a amené aucun des résultats politiques attendus. Il n'a pas orienté les Palestiniens vers une haine anti-Hamas, mais a été probablement contre-productif. Ce n'est qu'une punition collective inutile. » Cela est encore plus vrai des raids aériens. Comme le dit l'historien israélien Tom Segev: « Israël a toujours cru que faire souffrir les civils palestiniens les rendrait rebelles à leurs leaders nationaux. Il est démontré que cette affirmation s'avère encore et toujours fausse. » (les deux citations sont extraites du Guardian daté du 30 décembre 2008). Le Hezbollah au Liban s'est vu renforcé par les attaques israéliennes de 2006 ; l'offensive contre Gaza aura probablement le même résultat pour le Hamas. Mais qu'il soit renforcé ou affaibli il ne pourra continuer à répondre que par d'autres attaques contre la population israélienne, et si ce n'est pas avec des roquettes, ce sera avec des bombes humaines.
Les leaders mondiaux « concernés » comme le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, ou comme le pape, nous ont ressassé que de telles actions d'Israël ne servent qu'à enflammer la haine nationaliste et à alimenter la « spirale de la violence » au Moyen-Orient. Rien n'est plus vrai : le cycle du terrorisme et de la violence d'Etat en Israël/Palestine brutalise les populations et les combattants des deux côtés et crée encore de nouvelles générations de fanatiques et de « martyrs ». Mais ce que le Vatican et les Nations Unies ne nous disent pas, c'est que cette descente aux enfers dans la haine nationaliste est le produit d'un système social qui est partout en pleine décadence. L'histoire n'est pas différente en Irak où Chiites et Sunnites s'entr'égorgent, dans les Balkans où les Serbes font de même contre les Albanais et les Croates, en Inde et au Pakistan avec les conflits entre Hindous et Musulmans, ou encore en Afrique où la myriade de guerres avec les divisions ethniques les plus violentes serait trop nombreuse à énumérer. L'explosion de ces conflits à travers le monde est l'expression d'une société qui n'a plus de futur à offrir à l'humanité.
Et ce qu'on ne nous dit pas non plus, c'est l'implication des puissances mondiales démocratiques et humanitaires dans ces conflits, et c'est à peine si on entend parler de division entre elles. La presse britannique n'a pas gardé le silence sur le soutien de la France aux gangs meurtriers hutus au Rwanda en 1994. Elle est moins éloquente sur le rôle joué par la Grande-Bretagne et les services secrets américains dans les divisions Chiites/Sunnites en Irak. Au Moyen-Orient, le soutien de l'Amérique à Israël et celui de l'Iran et de la Syrie au Hezbollah et au Hamas sont évidents, mais le rôle de soutien « en sous-main » joué par la France, l'Allemagne, la Russie et d'autres puissances pour leur propre compte n'est pas moins réel.
Le conflit au Moyen-Orient a ses propres caractéristiques et ses causes historiques particulières, mais il ne peut être compris que dans le contexte global d'une machine capitaliste qui est dangereusement hors de tout contrôle. La prolifération de guerres sur toute la planète, la crise économique incontrôlable, et la catastrophe environnementale accélérée font de toute évidence partie de cette réalité. Mais alors que le capitalisme ne nous offre aucun espoir de paix et de prospérité, il existe une source d'espoir dans le monde : la révolte de la classe exploitée contre la brutalité du système, une révolte exprimée en Europe ces dernières semaines dans les mouvements de jeunes prolétaires en Italie, en France, en Allemagne et surtout en Grèce. Ce sont des mouvements qui, par leur nature même, ont mis en avant le besoin de la solidarité de classe et le dépassement de toutes les divisions ethniques et nationales. Ils ont été un exemple qui peut être suivi dans d'autres régions de la planète, celles qui sont ravagées par les divisions au sein de la classe exploitée. Ce n'est pas une utopie : déjà dans les récentes années passées, les ouvriers du secteur public de Gaza se sont mis en grève contre le non-paiement de leurs salaires presque simultanément avec ceux du secteur public en Israël en lutte contre les effets de l'austérité, elle-même produit direct de l'économie de guerre d'Israël poussée à son paroxysme. Ces mouvements n'étaient pas conscients l'un de l'autre, mais ils montrent la communauté objective d'intérêts dans les rangs ouvriers des deux côtés de la division impérialiste.
La solidarité avec les populations qui souffrent dans les zones de guerre du capitalisme ne signifie pas choisir « le moindre mal » ou soutenir la clique capitaliste « la plus faible » comme le Hezbollah ou le Hamas contre les puissances plus agressives comme les Etats-Unis ou Israël. Le Hamas a déjà montré qu'il était une force bourgeoisie d'oppression contre les ouvriers palestiniens -spécialement lorsqu'il a condamné les grèves dans le secteur public comme étant contre les « intérêts nationaux » et quand, main dans la main avec le Fatah, il a soumis la population de Gaza au combat d'une faction meurtrière contre l'autre pour le contrôle de la région. La solidarité avec ceux qui sont pris dans la guerre impérialiste signifie le rejet des deux camps belligérants et le développement de la lutte de classe contre tous les dirigeants et les exploiteurs du monde.
World Revolution, organe du CCI en Grande-Bretagne / 31.12.2008
Le début de l'année 2009 a débuté sous les mêmes funestes auspices que la seconde moitié de 2008. Octobre 2008 : «Crash boursier le plus dur depuis 1970 » titrait De Morgen (11.10.08), alors qu'en Belgique, les titres Fortis et Dexia perdaient ¾ de leur valeur boursière. Janvier 2009: «Obama hérite d'une crise aux proportions historiques et met en garde contre une récession qui durera des années» annonce le même quotidien (DM, 20.01.09), pendant que la troisième banque belge, la KBC, voit sa valeur boursière s'effondrer sous l'impact des crédits toxiques. Et l'on est sans doute encore loin de voir la fin de la crise du système bancaire, qui est pourtant au cœur du fonctionnement du mode de production capitaliste : « Il est donc parfaitement possible que les crédits, dont les banquiers affirment aujourd'hui qu'ils sont parfaitement nets, se retrouvent demain parmi les produits toxiques, et que l'ensemble du portefeuille de crédits soit classé comme portefeuille toxique (...). Soyez certains qu'il y aura encore des pertes qui seront notées sur ces portefeuilles de crédits. A cause de la crise, les entreprises parviennent encore difficilement à rembourser leurs dettes ou font faillite. Les particuliers pour leur part connaissent le chômage et ont aussi des difficultés de paiement » (I. Van de Cloot, économiste en chef de l'Institut Itinera) » (DM, 24.01.09)
Les difficultés du système bancaire provoquent de lourdes difficultés de trésorerie des entreprises et grèvent leurs capacités d'investissement. En conséquence, la crise bancaire se double de manière de plus en plus évidente d'un effondrement de la production (recul de la production industrielle dans la zone euro de 5,7% en un an) et de l'explosion du chômage (probablement 51 millions de chômeurs en plus en 2009 par rapport à 2007, d'après l'Organisation Internationale du Travail). Ainsi, rien qu'en un seul jour, des multinationales annonçaient la suppression de 62.000 emplois dans le monde (Corus, Caterpillar, Sprint Nextel, Philips, Pfizer, General Motors, Home depot, cf. DM 27.01.09).
Dans un tel contexte international, confrontée au besoin de défendre ses intérêts vitaux menacés dans la tourmente économique (cf. Fortis ou KBC par exemple), la bourgeoisie belge s'est vu obligée de mettre de côté ses déchirements politiques entre fractions régionales. Après 18 mois d'im-mobilisme politique et de crise des institutions, malgré la perspective paralysante pour elle d'un nouveau round électoral en juin (élections régionales et européennes), elle a mis en place un nouveau gouvernement sous la direction de l'ex-président de la chambre, Herman Van Rompuy. Si elle a amené ce politicien en fin de carrière à accepter « à contrecœur » le poste de premier ministre, c'est qu'elle se rend compte qu'elle ne peut attendre le résultat des manœuvres électorales pour gérer le mieux possible le tsunami économique qui saccage le capitalisme mondial : le nouveau premier ministre a d'ailleurs parlé de « la crise économique la plus grave depuis la seconde guerre mondiale ».
Que des mesures radicales s'imposent pour sauvegarder les intérêts de la bourgeoisie belge ressort clairement des dernières données économiques : produits bancaires toxiques représentant environ encore 62 milliards d'euro en Belgique (!!!) que le gouvernement devrait reprendre à travers par exemple la création d'une ‘bad bank' ; déficit budgétaire de 10 milliards en 2009 (soit 3% du Produit Intérieur Brut) et près de 15 milliards en 2010 (soit 4,3% du PIB ; DM, 20.01.09) ; recul des exportations et croissance négative du PNB de -1,9% (il y a un mois, la Banque Nationale prévoyait encore un recul de -0,2%), chômage technique massif qui risque de se transformer en 100.000 chômeurs supplémentaires en 2009 (DM, 12.01.09). Or, avec un marché intérieur limité et une économie massivement orientée vers les exportations, avec l'endettement le plus important au sein de l'UE en dehors de l'Italie, qui ne permet pas de laisser filer le déficit budgétaire, la bourgeoisie belge a peu de moyens pour mettre en place un plan de relance. La défense de ses intérêts est essentiellement orientée sur deux axes : le sauvetage de son système bancaire et l'amélioration de la position concurrentielle de l'économie nationale en baissant les charges des entreprises. Pour ce faire, elle laisse filer malgré tout l'endettement (l'effort de 10 ans d'austérité imposée à la classe ouvrière est effacé en six mois !), prépare des plans de réduction des dépenses sociales de l'Etat et veut imposer la modération salariale. Bref, que ce soit de manière directe et indirecte, ce sera une fois de plus pour l'essentiel la classe ouvrière qui paiera pour la tentative de sauvetage de la bourgeoisie belge, emportée dans les tourbillons du capitalisme en perdition.
Comment faire avaler à la population, et en particulier à la classe ouvrière, cette énième période d'austérité « incontournable » ? Comment lui faire accepter les sacrifices pour le bien de la « collectivité nationale » ? Voilà la question cruciale pour la bourgeoisie. Cela est d'autant plus délicat qu'il est difficile aujourd'hui d'encore offrir la perspective d'un renouveau du capitalisme : en effet, depuis les années '70, aussi bien le libéralisme ‘reaganien' appelant à moins d'Etat que la politique ‘néo-keynésienne prônant l'intervention de l'Etat ont montré leurs limites. La campagne des médias bourgeois a donc au contraire largement étalé l'ampleur de la catastrophe, dans le but d'effrayer les ouvriers et de leur faire accepter les « sacrifices indispensables » comme un moindre mal. Loin de cacher l'ampleur du désastre qui s'annonce, ils accumulent à longueur de pages les informations inquiétantes et les scénarios catastrophiques pour terroriser les travailleurs. L'objectif de cette politique est double : tout d'abord, le développement de la peur dans la population est un moyen traditionnel pour l'amener à rechercher une protection auprès de l'Etat et de lui accorder sa confiance. Ensuite, elle vise à convaincre les travailleurs de l'inutilité de s'opposer aux attaques et donc à orienter leur colère vers l'impuissance.
Les attaques du gouvernement et des patrons s'accumulent comme les nuages de tempête à l'horizon : réductions des budgets sociaux, chômage technique massif qui menace de devenir permanent, endettement de plus en plus pesant. Face à l'ampleur des menaces, une hésitation, un certain désarroi se manifeste parmi les travailleurs sur la manière d'organiser la résistance. C'est le moment que choisissent les syndicats pour se faire en décembre les principaux avocats d'un accord interprofessionnel garantissant deux années de ‘paix sociale' contre une aumône d'environ 10 euros d'augmentation des salaires au moyen de chèques repas (DM, 09.12.08). Mais surtout, ils appellent l'ensemble des interlocuteurs à « assumer leurs responsabilités pour la sauvegarde du modèle de concertation sociale à la Belge ». Pour le sauvetage de la position concurrentielle de l'économie belge et des profits du capitalisme national, les syndicats sont prêts à collaborer à l'imposition d'une austérité drastique à la classe ouvrière.
D'un point de vue historique, ce n'est pas la première fois qu'ils se positionnent à la tête de la sainte alliance pour la défense du capitalisme. Déjà au moment de l'éclatement de la première guerre mondiale il y a près d'un siècle, ils n'ont pas hésité à se placer du côté des capitalistes pour défendre la « patrie » et à briser toute opposition contre la guerre dans les usines comme de la « haute trahison ». Et il n'en alla pas autrement lors de la dépression des années '30, de la seconde guerre mondiale ou de la période de reconstruction qui s'en suivit. Ils n'agissent pas autrement aujourd'hui : en décembre 2007, tous les syndicats fraternellement unis avaient organisé à Bruxelles une manifestation nationale pour la sauvegarde du"pouvoir d'achat et pour la solidarité (« sauvons le pouvoir d'achat et la solidarité ») ; à l'automne encore, ils roulaient des mécaniques et annonçaient de larges mobilisations contre les attaques. Et aujourd'hui, ils soutiennent la nécessité de sacrifices quand les temps sont durs, saluant par exemple l'extension massive du chômage technique comme un moindre mal, et étouffent dans l'œuf les tentatives de résistance dans les entreprises. Ainsi, ils ont refusé de reconnaître la grève sauvage de plusieurs dépôts des transports communaux bruxellois. Et lorsqu'ils ont remarqué qu'un comité de solidarité ‘interentreprises' avait été constitué par des travailleurs de divers secteurs autour de l'usine Beckaert Hemiksem, menacée de fermeture, qu'ont-ils fait ? Ils l'ont transformé en un comité de protection des droits des délégués syndicaux dans les entreprises menacées ! Bref, cette manifestation de la volonté de com-bativité et de recherche de la solidarité au-delà de l'usine et du secteur et en dehors des canaux syndicaux a été transformée en un instrument de la lutte syndicale. Viser à étouffer toute expression de combativité dans l'œuf et à la transformer en instrument de solidarité avec la démocratie bourgeoise, voilà comment les syndicats complètent à merveille l'ensemble du dispositif bourgeois pour dés-amorcer la combativité ouvrière, la rendre impuissante et ne laisser d'autre choix que de se ranger docilement derrière l'Etat bourgeois.
La crainte de la récession économique peut être inhibitrice, provoquer dans un premier temps un certain désarroi parmi les travailleurs et renforcer le sentiment d'atomisation et d'impuissance face aux ravages de la crise. Mais à terme, elle amènera aussi à se poser les questions sur le mode et les objectifs de la lutte contre les attaques de leurs conditions de vie. Dans ce sens, pour développer un combat massif et uni de l'ensemble des travailleurs, indispensable face à la poursuite inévitable des attaques, il faut tirer les leçons du sabotage syndical. Et une des leçons centrales, c'est que, pour pouvoir se battre efficacement, opposer une riposte unie et solidaire en recherchant toujours plus l'extension de leur lutte, les travailleurs ne peuvent compter que sur leurs propres forces. Ils n'auront pas d'autre choix que de prendre eux-mêmes leurs luttes en mains et de déjouer tous les pièges, toutes les manœuvres de division et de sabotage des syndicats.
Jos / 30.01.09
On commémore cette année le 200e anniversaire de la naissance de Charles Darwin (et les 150 ans de la publication de son livre L'Origine des espèces). Depuis toujours, l'aile marxiste du mouvement ouvrier a salué la contribution remarquable apportée par Darwin à la compréhension par l'humanité d'elle-même et de la nature.
Darwin était, à plusieurs égards, un représentant typique de son époque, intéressé par l'observation de la nature et heureux d'entreprendre des expériences sur la vie de la faune et de la flore. Son étude empirique, notamment des abeilles, des coléoptères, des vers, des pigeons et des bernacles, était scrupuleuse et détaillée. L'attention que portait Darwin à ces dernières était si tenace que ses jeunes enfants «se mirent à penser que tous les adultes devaient avoir la même préoccupation ; l'un d'entre eux demanda même, à propos d'un voisin : où est-ce qu'il s'occupe de ses bernacles ? ' » (Darwin, Desmond & Moore).
Ce qui distinguait Darwin, c'était sa capacité à aller au-delà des détails, à théoriser et à chercher des processus historiques, pendant que d'autres se contentaient de classer les phénomènes par catégories ou se rangeaient aux explications existantes. Un exemple typique de cette attitude est la réponse qu'il a apportée à la découverte de fossiles dans les Andes, à des milliers de mètres d'altitude. Grâce à l'expérience d'un tremblement de terre et aux Principes de la Géologie de Lyell, sa réflexion porta sur l'échelle des mouvements terrestres qui avaient amené des fonds marins dans les montagnes, sans avoir recours au récit biblique sur le Déluge. «Je crois fermement que, sans réflexion spéculative, il ne peut y avoir d'observation qui soit juste et originale» (comme il l'a écrit dans une lettre à AR Wallace, le 22/12/1857).
Il n'avait pas peur non plus d'utiliser des observations faites dans un domaine et de les appliquer à d'autres. Bien que Marx ait fait peu de cas de la plupart des écrits de Thomas Malthus, Darwin a utilisé les idées de ce dernier sur la croissance démographique de la population humaine pour développer sa théorie de l'évolution. «En octobre 1838, il s'est trouvé que j'ai lu pour me distraire le livre de Malthus sur la population et, étant bien préparé à apprécier la lutte pour l'existence qui a lieu partout, grâce à une observation prolongée et ininterrompue des habitudes des animaux et des plantes, j'ai été immédiatement frappé par le fait que, dans ces circonstances, des variations favorables tendraient à être préservées et des variations défavorables à être détruites. Le résultat en serait la formation de nouvelles espèces. A partir de là, je disposai finalement d'une théorie pour mon travail » (Darwin, Souvenirs sur le développement de mon esprit et de ma personnalité). C'était 20 ans avant que cette théorie apparaisse publiquement avec L'Origine des Espèces, mais les bases étaient déjà là. Dans L'Origine des espèces, Darwin explique qu'il emploie «l'expression de Lutte pour l'Existence dans un sens large et métaphorique » et «par commodité » et que, par Sélection Naturelle, il veut dire la «préservation des variations favorables et le rejet des variations nuisibles.» L'idée de l'évolution n'était pas nouvelle mais, en 1838, Darwin développait déjà une explication sur comment les espèces ont évolué. Il compara les techniques des éleveurs de lévriers et des colombophiles (sélection artificielle) à la sélection naturelle qu'il considérait être «la plus belle partie de [sa] théorie » (Darwin, cité par Desmond & Moore).
Trois semaines seulement après la publication de L'Origine des Espèces, Engels écrivait à Marx : «Darwin, que je viens juste de lire, est magnifique. Il y avait un point sur lequel la téléologie n'avait pas été démolie ; maintenant c' est fait. En outre, il n'y a jamais eu, jusqu'ici, d' aussi splendide tentative pour démontrer le développement historique dans la nature, au moins avec autant de succès.» La "démolition de la téléologie" fait référence au coup que L'Origine des espèces a porté à toutes les idées religieuses, idéalistes ou métaphysiques qui cherchent à expliquer les phénomènes par leurs effets plutôt que par leur cause. Ceci est fondamental dans une vision matérialiste du monde. Comme Engels l'a écrit dans L'Anti-Dürhing (chapitre 1), Darwin «a porté le coup le plus rude à la conception métaphysique de la nature en démontrant que toute la nature organique actuelle, les plantes, les animaux et, par conséquent l'homme aussi, est le produit d'un processus d'évolution qui s'est poursuivi pendant des millions d'années».
Dans les documents de préparation à son ouvrage, La Dialectique de la Nature, Engels souligne la signification de L'Origine des Espèces. «Darwin, dans son ouvrage qui a fait époque, est parti de la base la plus large existante du hasard. Précisément, des différences infinies et accidentelles entre les individus d'une même espèce, différences qui s'accentuent jusqu'à ce qu'elles transforment les caractéristiques de l'espèce ,(...) l'ont obligé à mettre en question les bases précédentes de la régularité en biologie, à savoir le concept d'espèce dans sa rigidité et son invariabilité métaphysiques passées.»
Marx lut L'Origine des espèces un an après sa publication et a immédiatement écrit à Engels (19/12/1860) «Voilà le livre qui contient la base, en histoire naturelle, pour nos idées». Plus tard, il écrivit que le livre avait servi «de base naturelle-scientifique à la lutte de classe dans l'histoire» (lettre à Lassalle, 16/1/1862).
En dépit de leur enthousiasme pour Darwin, Marx et Engels n'étaient pas sans critique à son égard. Ils se rendaient bien compte de l'influence de Malthus et, aussi, que la perspicacité de Darwin était utilisée dans le "Darwinisme social" pour justifier le statu quo de la société victorienne, la grande richesse pour quelques-uns et, pour les pauvres, la prison, les foyers de travail, la maladie, la famine ou à l'émigration. Dans son introduction à La Dialectique de la Nature, Engels dégage certaines implications : «Darwin ne savait pas quelle amère satire de l'humanité il écrivait (...) quand il montrait que la libre concurrence, la lutte pour l'existence, célébrée par les économistes comme la plus haute réalisation historique, est l'état normal du règne animal.» C'est seulement «l'organisation consciente de la production sociale» qui peut conduire l'humanité, de la lutte pour la survie à l'extension des moyens de production comme base de la vie, du plaisir et du développement ; et cette "organisation consciente" exige une révolution par les producteurs, la classe ouvrière.
Engels voyait également comment les luttes de l'humanité (et la compréhension marxiste de celles-ci) dépassaient le cadre de Darwin : «la conception de l'histoire comme une série de luttes de classe est déjà bien plus riche dans son contenu et sa profondeur que celle qui se contente de la réduire à des phases de lutte pour l'existence» (La Dialectique de la Nature, notes et fragments).
Cependant, de telles critiques ne remettent pas en cause la place de Darwin dans l'histoire de la pensée scientifique. Dans un discours sur la tombe de Marx, Engels soulignait que «de même que Darwin a découvert la loi du développement de la nature organique, Marx a découvert la loi du développement de l'histoire de l'humanité».
Alors que Darwin a été, tour à tour, à la mode ou démodé dans la pensée bourgeoise (mais pas chez les scientifiques sérieux), l'aile marxiste du mouvement ouvrier ne l'a jamais abandonné.
Plekhanov, dans une note de son livre La Conception moniste de l'histoire (chapitre 5), décrit le rapport entre la pensée de Darwin et celle de Marx : «Darwin a réussi à résoudre le problème de comment se sont créées les espèces végétales et animales dans la lutte pour l'existence. Marx a réussi à résoudre le problème de comment ont surgi différents types d'organisation sociale dans la lutte des hommes pour leur existence. Logiquement, l'investigation de Marx commence précisément là où finit celle de Darwin [...] L'esprit de recherche est absolument le même chez les deux penseurs. C'est pourquoi on peut dire que le marxisme est le darwinisme appliqué à la science sociale.»
Un exemple de l'interdépendance entre le marxisme et les contributions de Darwin se trouve dans le livre Ethique et Conception Matérialiste de l'Histoire de Kautsky. Bien que Kautsky surestime l'importance de Darwin, il s'inspire de son livre La Filiation de l'Homme pour décrire l'importance des sentiments altruistes, des instincts sociaux dans le développement de la morale. Dans le chapitre 5 de La Filiation, Darwin décrit comment « l'homme primitif » s'est socialisé et comment « [les hommes] se seraient mutuellement avertis du danger, et se seraient apportés une aide mutuelle lors des attaques. Tout ceci implique un certain degré de sympathie, de fidélité et de courage ». Il décrit : «quand deux tribus d'hommes primitifs... entraient en compétition, si l'une comprenait (...) un plus grand nombre de membres courageux, bien disposés, et fidèles, toujours prêts à s'avertir du danger, à s'aider et à se défendre mutuellement, nul doute que cette tribu réussirait mieux et vaincrait l'autre. Il faut garder à l'esprit que la fidélité et le courage devaient être de la plus haute importance, dans les guerres incessantes entre sauvages. L'avantage qu'ont des soldats disciplinés sur des hordes indisciplinées provient principalement de la confiance que chaque homme ressent dans ses camarades. (...) Les personnes égoïstes et querelleuses ne s'uniront pas et, sans union, rien ne peut être réalisé.» Sans doute Darwin exagère à quel point les sociétés primitives étaient engagées en guerre permanente les unes contre les autres, mais la nécessité de la coopération comme fondement de la survie n'était pas moins importante dans les activités telles que la chasse et dans la distribution du produit social. C'est l'autre face de la "lutte de pour l'existence", où nous voyons le triomphe de la solidarité et de la confiance mutuelles sur la division et l'égoïsme.
Anton Pannekoek était non seulement un grand marxiste, mais aussi un astronome de renom (un cratère de la face cachée de la lune et un astéroïde portent son nom). Aucune discussion sur "marxisme et darwinisme" ne serait complète sans faire référence à son texte de 1909 du même nom (que nous allons republier dans la Revue internationale).
En premier lieu, Pannekoek affine notre compréhension du rapport entre le marxisme et le darwinisme. «La lutte pour l'existence, formulée par Darwin et soulignée par Spencer, exerce un effet différent sur les hommes et sur les animaux. Le principe selon lequel la lutte conduit au perfectionnement des armes utilisées dans les conflits, mène à des résultats différents chez les hommes et chez les animaux. Chez l'animal, il mène à un développement continu des organes naturels ; c'est la base de la théorie de la filiation, l'essence du darwinisme. Chez les hommes, il mène à un développement continu des outils, des moyens de production. Ceci est, cependant, le fondement du marxisme. Ici nous voyons que le marxisme et le darwinisme ne sont pas deux théories indépendantes, chacune s'appliquant à son domaine spécifique, sans rien avoir en commun avec l'autre. En réalité, le même principe est à la base des deux théories. Elles forment une unité. La nouvelle direction prise par les hommes, la substitution des outils aux organes naturels, fait se manifester ce principe fondamental différemment dans les deux domaines ; celui du monde animal se développe selon les principes darwiniens, alors que pour l'humanité le principe marxiste s'applique.»
Pannekoek a également développé l'idée de l'instinct social sur la base des contributions de Kautsky et de Darwin :
«Le groupe chez qui l'instinct social est le mieux développé pourra se maintenir sur son territoire, alors que le groupe chez qui l'instinct social est peu développé, soit deviendra une proie facile pour ses ennemis, soit ne sera pas en mesure de trouver les endroits favorables à son alimentation. Ces instincts sociaux deviennent donc les facteurs les plus importants et les plus décisifs qui déterminent qui survivra dans la lutte pour l'existence. C'est à cause de cela que les instincts sociaux ont été élevés à la position de facteurs prédominants.»
«Les animaux sociaux sont en mesure de battre ceux qui mènent la lutte individuellement.»
La distinction entre les animaux et l'homo sapiens réside, entre autres, dans la conscience.
«Tout ce qui s'applique aux animaux sociaux s'applique également à l'homme. Nos ancêtres simiesques et les hommes primitifs qui se sont développés à partir d'eux étaient tous sans défense, de faibles animaux qui, comme presque tous les singes, vivaient dans des tribus. Ici, ce sont les mêmes motivations sociales, les mêmes instincts sociaux qui ont dû apparaître, qui, plus tard, se sont transformés en sentiments moraux. Que nos coutumes et notre morale ne soient rien d'autre que des sentiments sociaux, des sentiments que nous rencontrons chez les animaux, est connu de tous ; même Darwin a parlé des " habitudes des animaux qu'on appellerait morale chez les hommes". La différence se trouve seulement dans le niveau de conscience ; dès que ces sentiments sociaux deviennent clairs pour les hommes, ils prennent le caractère de sentiments moraux.»
Pannekoek critique aussi le "Darwinisme Social" quand il montre comment les "darwinistes bourgeois" sont tombés dans un cercle vicieux - le monde décrit par Malthus et Hobbes est, sans surprise, semblable au monde décrit par Hobbes et Malthus ! : «Sous le capitalisme, l'humanité ressemble la plupart du temps au monde des animaux rapaces et c'est pour cette raison même que les darwinistes bourgeois ont recherché le prototype humain chez les animaux qui vivent en solitaires. Ils y étaient conduits par leur expérience. Leur erreur, cependant, a consisté dans le fait qu'ils considéraient les conditions capitalistes comme éternelles. Le rapport qui existe entre notre système capitaliste concurrentiel et les animaux solitaires a été exprimé par Engels dans son livre, L'Anti-Dühring, comme suit :
'En fin de compte, l'industrie moderne et l'ouverture du marché mondial ont rendu la lutte universelle et, en même temps, lui ont imprimé un violence inconnue jusqu'ici. Maintenant ce sont les avantages des conditions, naturelles ou artificielles, qui décident de l'existence ou non des capitalistes individuels ainsi que de toute une série d'industries et de pays. Celui qui échoue, est rejeté sans merci. C'est la lutte darwinienne pour l'existence de l'individu, transposée de la nature dans la société avec une rage décuplée. La condition de l'animal dans la nature apparaît comme l'apogée du développement humain'».
Mais les conditions capitalistes ne sont pas éternelles, et la classe ouvrière a la capacité de les renverser et d'en finir avec la division de la société en classes aux intérêts antagoniques. «Avec l'abolition des classes, l'ensemble du monde civilisé deviendra une grande communauté productive. Au sein de cette communauté, la lutte qui opposait ses membres cessera et se transformera en lutte avec le monde extérieur. Ce ne sera plus une lutte contre notre propre espèce, mais une lutte pour la subsistance, une lutte contre la nature. Mais, grâce au développement de la technique et de la science, on ne pourra pas vraiment appeler cela une lutte. La nature est subordonnée à l'homme et, avec très peu d'efforts de la part de celui-ci, elle le pourvoira en abondance. Ici, une nouvelle vie s'ouvre à l'humanité : le dégagement de l'homme du monde animal et son combat pour l'existence au moyen d'outils arrivent à leur terme, et un nouveau chapitre de l'histoire de l'humanité commence.»
Car
La vague de grèves non-officielles initiée par la lutte des ouvriers de la construction et de l'entretien à la raffinerie du groupe Total de Lindsey a été une des luttes les plus importantes de ces vingt dernières années.
Des milliers d'ouvriers du bâtiment d'autres raffineries et de centrales électriques ont cessé le travail en solidarité. Des meetings de masse ont été organisés et tenus de façon régulière. D'autres ouvriers du bâtiment, de l'acier, des docks ou au chômage, ont rejoint les piquets de grève et les manifestations qui ont eu lieu devant différents sites. Les ouvriers n'étaient pas le moins du monde troublés par la nature illégale de leurs actions car ils exprimaient leur solidarité envers leurs camarades en lutte, leur colère devant la vague grandissante de licenciements et l'incapacité du gouvernement à y remédier. Lorsque 200 ouvriers polonais du bâtiment ont rejoint la lutte, celle-ci a atteint son plus haut point par la remise en cause du nationalisme qui avait marqué le mouvement depuis le début.
Le licenciement de 300 ouvriers sous-traités à la raffinerie de Lindsey, le projet d'engager un autre sous-traitant employant 300 ouvriers italiens et portugais (dont le salaire est inférieur car indexé sur le salaire de leur pays d'origine), et l'annonce qu'aucun ouvrier britannique ne serait inclus dans ce nouveau contrat a propagé la colère comme un traînée de poudre parmi les ouvriers du bâtiment. Depuis des années, on assiste à un recours croissant à l'exploitation d'ouvriers étrangers sous contrat, généralement avec des salaires beaucoup plus bas et des conditions de travail bien pires, avec pour résultat direct l'accentuation de la concurrence entre ouvriers pour avoir du travail, et une pression exercée sur tous les ouvriers vers des baisses de salaires et une détérioration plus forte des conditions de travail. Tout cela, combiné avec la vague de licenciements dans l'industrie du bâtiment et ailleurs du fait de la récession, a généré la profonde combativité qui a trouvé son expression dans ces luttes récentes.
Depuis le début, le mouvement s'est trouvé face à une question fondamentale, non seulement pour les grévistes impliqués aujourd'hui mais pour toute la classe ouvrière maintenant et pour demain : est-il possible de se battre contre le chômage et toutes les autres attaques en s'identifiant comme "ouvriers britanniques" et s'en prendre aux "ouvriers étrangers", ou devons-nous nous considérer comme des ouvriers, avec des intérêts communs avec tous les autres ouvriers, d'où qu'ils viennent ? C'est une question profondément politique, que ce mouvement devait prendre à bras-le-corps.
Dès le début, la lutte est apparue dominée par le nationalisme. On pouvait voir aux actualités des images d'ouvriers avec des pancartes faites-maison réclamant "des emplois britanniques pour les ouvriers britanniques" ("British job for British workers") et les bannières syndicales de chaque corporation déployaient le même slogan. Les syndicats officiels défendaient et reprenaient plus ou moins le mot d'ordre ; les médias parlaient d'une lutte contre les ouvriers étrangers et ont trouvé des ouvriers qui partageaient cette opinion.. Ce mouvement de grèves sauvages aurait potentiellement pu s'engluer dans le poison du nationalisme et s'orienter en défaite cuisante pour la classe ouvrière, les ouvriers s'opposant les uns aux autres, avec des ouvriers défendant en masse les cris de ralliement nationalistes et appelant à ce que le travail soit donné aux ouvriers "britanniques", tandis que les ouvriers portugais et italiens perdaient le leur. La capacité de toute la classe ouvrière à se battre aurait alors été affaiblie et la capacité de la classe dominante d'attaquer et diviser les ouvriers aurait été renforcée.
La couverture médiatique (et ce que certains ouvriers pouvaient dire) a permis de faire croire que les revendications des ouvriers de Lindsey étaient "Des boulots britanniques pour les ouvriers britanniques". Mais ce n'était pas le cas. Ainsi, la BBC a trafiqué et tronqué sans vergogne par exemple l'interview d'un gréviste, ensuite largement diffusée en boucle à l'appui de la thèse de la « xénophobie du mouvement » en lui faisant dire : « On ne peut pas travailler avec des Portugais et des Italiens » alors que sur une autre chaîne de moindre audience, l'interview réelle prenait un tout autre sens : « On ne peut pas travailler avec des Portugais et des Italiens ; on est complètement séparés d'eux, ils viennent avec leur propre compagnie », ce qui signifie qu'il était impossible de les côtoyer parce qu'ils étaient tenus volontairement à l'écart de la main-d'oeuvre locale. En l'occurrence, la BBC a servi de porte-parole servile à un gouvernement et à une bourgeoisie effayés face au renouveau de la combativité et de la solidarité ouvrières et face au danger d'extension de la lutte. Les revendications discutées et votées dans les meetings de masse n'ont pas repris le mot d'ordre ni manifesté d'hostilité envers les ouvriers étrangers, contrairement aux images de propagande largement diffusées et relayées dans les médias à l'échelle internationale..! Ces revendications ont plutôt exprimé des illusions sur la capacité des syndicats à empêcher les patrons de monter les ouvriers les uns contre les autres, mais sans nationalisme manifeste.
Le nationalisme fait partie intégrante de l'idéologie capitaliste. Chaque bourgeoisie nationale ne peut survivre qu'en entrant en compétition avec ses rivales économiquement et militairement. La culture, les médias, l'éducation, l'industrie du sport, toute cette idéologie bourgeoise répand son poison sans cesse de façon à lier la classe ouvrière à la nation. Les ouvriers ne peuvent échapper à l'infestation de cette idéologie. Mais ce qui est crucial dans ce mouvement est que ce poids du nationalisme s'est trouvé remis en question alors que les ouvriers s'attaquaient dans la lutte à la question de de la défense élémentaire de leurs conditions de vie et de travail, de leurs intérêts matériels de classe.
Le mot d'ordre nationaliste " Du boulot britannique pour les ouvriers ritanniques", volé au Parti National Britannique (British National Party, équivalent du FN en France) par le « travailliste » Gordon Brown, a au contraire suscité beaucoup de malaise et de réflexion chez les ouvriers et dans la classe ouvrière. De nombreux grévistes ont déclaré qu'ils n'étaient pas racistes, que leur lutte n'avait rien à voir avec la question de l'immigration ou qu'ils ne soutenaient pas le BNP, qui a même été chassé par les ouvriers, alors qu'il tentait de s'infiltrer dans leur grève.
Tout en rejetant le BNP, beaucoup d'ouvriers interviewés à la télé essayaient de toute évidence de réfléchir à la signification de leur combat. Ils n'étaient pas contre les ouvriers étrangers, ils devaient travailler à l'étranger eux aussi, mais ils se trouvaient au chômage ou voulaient que leurs enfants puissent travailler aussi et donc ressentaient la nécessité que le boulot aille d'abord aux ouvriers "britanniques". Ces mots empoisonnés ont été relancés au visage de Gordon Brown en voulant souligner ironiquement et dénoncer le caractère purement démagogique et mensonger de ses promesses. Mais de telles visions finissent toujours par se retourner contre les ouvriers eux-mêmes en les enfermant dans une division en tant que "britanniques" ou "étrangers", niant leur intérêt commun de classe, et les ligotent dans le piège du nationalisme.
Cependant, des ouvriers ont clairement souligné à cette occasion les intérêts communs à tous les prolétaires, signe qu'un processus de réflexion est en train de naître et ils ont dit qu'ils voulaient que tous les ouvriers, de quelque origine qu'ils soient aient du travail. "J'ai été licencié de mon emploi de docker il y a deux semaines. J'ai travaillé à Cardiff and Barry Docks pendant 11 ans et je suis venu aujourd'hui ici dans l'espoir de secouer le gouvernement. Je pense que tout le pays devrait être en grève alors que nous perdons toute l'industrie britannique. Mais je n'ai rien contre les ouvriers étrangers. Je ne peux les blâmer de venir chercher du travail ici." (Guardian On-line du 20 janvier 2009) Il y a également eu des ouvriers qui défendaient le fait que le nationalisme constituait un réel danger. Un ouvrier travaillant à l'étranger est intervenu sur un forum Internet des ouvriers du bâtiment sur les divisions nationales utilisées par les patrons : "Les médias qui ont attisé les éléments nationalistes se retournent à présent sur vous, montrant les manifestants sous la pire lumière possible. Le jeu est fini. La dernière chose que les patrons et le gouvernement veulent, c'est que les ouvriers britanniques s'unissent avec les ouvriers d'au-delà des mers. Ils pensent qu'ils peuvent nous rendre idiots et nous pousser à nous battre les uns contre les autres. Cela leur donnera froid dans le dos que nous ne le fassions pas." Dans un autre mail, il reliait la lutte avec celles de France et de Grèce et la nécessité de liens internationaux : "Les manifestations massives en France et en Grèce ne sont que des signes précurseurs de ce qui va venir. A-t-on jamais pensé à contacter et construire des liens avec ces ouvriers et renforcer un large mouvement de protestation en Europe contre le fait que des ouvriers se font entuber ? Cela résonne comme une meilleure option que d'avoir les parties réellement coupables, cette cabale de patrons, de vendus de leaders syndicaux, et du New Labour, qui profitent de la classe ouvrière." (Thebearfacts.org). D'autres ouvriers d'autres secteurs sont aussi intervenus sur ce forum pour s'opposer aux mots d'ordre nationalistes.
La discussion parmi les ouvriers engagés dans la grève, et dans la classe en général, sur la question des mots d'ordre nationalistes atteignit une nouvelle phase le 3 février lorsque 200 ouvriers polonais rejoignirent 400 autres ouvriers dans une grève sauvage en soutien aux ouvriers de Lindsey, à la centrale en construction de Langage à Plymouth. Les médias firent leur possible pour cacher cet acte de solidarité internationale : la station télévisée locale de la BBC n'en faisait aucune mention et au niveau national encore moins. Le black-out a été total.
La solidarité des ouvriers polonais a été particulièrement importante car l'année dernière, ils avaient été impliqués dans une grève similaire. 18 ouvriers avaient été licenciés et d'autres ouvriers avaient cessé le travail en solidarité, y compris les ouvriers polonais. Le syndicat avait essayé d'en faire une grève contre la présence de travailleurs étrangers, mais la détermination des ouvriers polonais avait complètement fait avorter cette tentative. Les ouvriers de Langage ont ainsi lancé cette nouvelle lutte en étant avertis de comment les syndicats s'étaient servis du nationalisme pour essayer de diviser la classe ouvrière. Le lendemain du jour où ils avaient participé à un meeting de masse à Lindsey avec une banderole proclamant : "Centrale électrique de Langage - Les ouvriers polonais ont rejoint la grève : Solidarité", ce qui impliquait que quelques ouvriers polonais avaient fait le voyage de 7 heures pour être là, ou qu'au moins un ouvrier de Lindsey voulait mettre en lumière leur action.
Dans le même temps, on put voir une banderole du piquet de grève de Lindsey appelant les ouvriers italiens à se joindre au mouvement de grève - elle était écrite en anglais et en italien - et on sait que certains ouvriers portaient des pancartes où était inscrit : "Ouvriers du monde entier, unissez-vous !" (The Guardian du 5 février 2009). En bref, on a pu voir les débuts d'un effort conscient de certains ouvriers, à l'opposé des réactions nationalistes, racistes et xénophobes qu'on leur prêtait, pour développer et mettre en avant un véritable internationalisme ouvrier, un pas qui ne peut conduire qu'à plus de réflexion et de discussion dans la classe ouvrière.
Tout ceci a posé la question de porter la lutte à un autre niveau, qui devait remettre directement en cause la campagne pour la présenter comme une réaction nationaliste. L'exemple des ouvriers polonais a fait apparaître la perspective de milliers d'autres ouvriers étrangers rejoignant la lutte sur les plus grands sites en construction de Grande-Bretagne, tels ceux de l'Est de Londres pour les Jeux olympiques. Il y avait aussi le danger que les médias ne puissent cacher les slogans internationalistes. Ce qui aurait brisé la barrière nationaliste que la bourgeoisie s'est efforcée de dresser entre les ouvriers en grève et le reste de la classe. Il n'est pas surprenant que la lutte ait été aussi rapidement résolue. En 24 heures, les syndicats, les patrons et le gouvernement se sont mis d'accord alors qu'ils avaient annoncé précédemment que la résolution de ce conflit prendrait des jours, voire des semaines et ont promis non seulement l'embauche de 102 « ouvriers britanniques » mais l'annulation de leur décision précédente du renvoi des travailleurs portugais et italiens vers leur pays d'origine. Comme un gréviste le rapportait, "pourquoi devrions-nous nous battre seulement pour avoir du travail ?".
En une semaine, nous avons vu les grèves sauvages les plus importantes depuis des décennies, les ouvriers tenant des meetings de masse et engageant des actions de solidarité illégales sans un moment d'hésitation. Une lutte qui aurait pu plonger dans le nationalisme a commencé à remettre en question ce poison. Cela ne veut pas dire que le danger soit écarté : c'est un danger permanent, mais ce mouvement a donné aux luttes futures la possibilité de tirer d'importantes leçons. Le fait de voir des banderoles proclamant "Ouvriers de tous les pays, unissez-vous!" devant un piquet de grève supposé nationaliste ne peut qu'inquiéter la classe dominante sur ce qui l'attend dans l'avenir.
Phil / 07.02.2009
"Les économistes n'y comprennent plus rien, ils sont perdus" titrent les médias, à la recherche de réponses et de solutions à la crise économique actuelle qui déferle sur le monde comme un tsunami. Seules des injections massives de crédits sur les marchés financiers et des déficits tout aussi colossaux ont permis à la bourgeoisie de provisoirement éviter une implosion totale du système financier dans la plupart des pays centraux. Mais ceci ne résout pas en fin de compte la crise historique sous-jacente de son système.
Internationalement, elle ne peut plus cacher que le monde est confronté à l'effondrement le plus brutal depuis la Dépression des années 1930. Le Japon et l'Allemagne connaissent des baisses inouïes de leurs exportations et de leur production industrielle. Une grande partie de l'Europe occidentale frise une catastrophe «à l'islandaise»: la Grèce, l'Irlande, l'Italie, l'Espagne, l'Autriche et la Belgique font la queue. Les "marchés émergents" montrent également des signes de tension -rien qu'en Chine, les licenciements se chiffrent en dizaines de millions-, ces économies étant atteintes par le même Tsunami. L'OCDE et le FMI prévoient que l'économie mondiale comme un tout va se contracter cette année; du jamais vu aujourd'hui depuis la seconde guerre mondiale.
Quarante ans après la fin du boom économique d'après-guerre, il s'avère que toutes les formes de politique menées par la bourgeoisie ont échoué. Des décennies d'intervention étatique (le capitalisme d'État) ont eu pour seul résultat de mener la bourgeoisie au gouffre. Le mécanisme le plus important pour maintenir la demande -toujours plus de crédit- face à la surproduction massive a mené l'économie à un état qu'on pourrait comparer à celui d'un patient qui aurait pris trop d'antibiotiques: l'efficacité du traitement est réduit à zéro. Plus grave encore, le crédit est devenu une partie du problème: l'ensemble du système est maintenant littéralement en faillite.
Tous prétendent en chœur qu'il ne s'agit que d'une crise "temporaire", "cyclique". Tous tablent sur une reprise qui devrait arriver dans quelques mois ou quelques années, dépendant de "l'effort" que nous devons consentir «tous ensemble». Le sommet du G20, qui s'est tenu le 2 avril à Londres, a également été présenté comme une étape intermédiaire vers la reprise. "Le jour où le monde s'est réuni pour riposter contre la récession globale, non avec des discours, mais avec un plan pour une reprise globale" (déclaration du premier ministre britannique Gordon Brown). Mais la crise de surproduction actuelle a ses racines, non comme le prétendent les érudits de l'économie dans une sorte de "déséquilibre" temporaire de l'économie mondiale, mais dans les relations sociales fondamentales du capitalisme, où par définition la grande masse de la population est productrice de la "plus-value", qui ne peut se réaliser que par un élargissement constant du marché. Devenu incapable de s'étendre et de conquérir de nouveaux marchés, le capitalisme a contourné le problème pendant des décennies en remplaçant le véritable marché par le marché artificiel du crédit.
Le monde est basé sur la concurrence pour les marchés. Aujourd'hui, un capitaliste ne peut prospérer qu'aux dépens d'un autre, et c'est vrai aussi à l'échelle des nations capitalistes. Bien entendu, elles ont des intérêts communs en tant que classe exploiteuse: elles travaillent ensemble quand il s'agit de maintenir les esclaves salariés dans le rang, et reculent aussi quand des États entiers vont dans le mur, même s'il s'agit de concurrents, surtout parce qu'ils représentent des marchés pour leurs marchandises ou sont leurs débiteurs. Mais elles ne peuvent pas indéfiniment en vase clos continuer à réaliser des profits dans un cercle de ventes réciproques, et c'est pour cela qu'elles sont touchées par le fléau de la surproduction; le marché se grippe et mène à une vague de faillites, d'effondrement de pans industriels, et à une pandémie de chômage. Pour la classe ouvrière, ceci signifie clairement: une attaque inédite sur l'emploi, les salaires et les conditions de vie, auprès de laquelle les quarante dernières années ressemblent à une oasis de bien-être.
Depuis le début de cette récession, chaque jour un nombre croissant de travailleurs perdent leur emploi, et dans beaucoup de cas, tout moyen de subsistance. Les chiffres officiels du chômage sont trafiqués depuis longtemps et ne donnent plus du tout aujourd'hui une image fiable de la réalité. C'est ainsi que le nombre de temps partiels involontaires s'est envolé (y compris suite à des décisions collectives de faire travailler tout le monde à temps partiel). Un quart des travailleurs en Belgique est au chômage temporaire ou économique. De plus en plus de familles s'enfoncent dans l'endettement et s'en sortent de plus en plus difficilement. Le nombre des allocataires du CPAS a augmenté de 10% en cinq mois. De toute évidence, l'augmentation du chômage est liée à l'augmentation du nombre de sans abri et de la fréquentation des soupes populaires dans tous les centres industriels du monde. Et ceux qui ont encore un emploi vivent dans la crainte permanente d'être victimes des prochaines vagues de "restructurations".
Même le mythe des prospères baby-boomers d'après guerre, arrivés à l'âge de la retraite, est de plus en plus une fiction. Les fonds de retraite de beaucoup de travailleurs ont disparu et leurs rêves de vieux jours sans souci partis en fumée. La Belgique connaît déjà les retraites les moins élevées d'Europe, et jusqu'à présent c'était grâce aux taux d'épargne très élevés que subsistait une certaine prospérité, bien que la limite de la misère avait déjà été franchie pour une nombre croissant de seniors. Avec la crise financière, ces taux d'épargne fondent maintenant comme neige au soleil.
Entre-temps, les demandes d'approbation des mesures de restrictions se suivent. Le Haut Conseil des Finances, la Banque Nationale, la coalition gouvernementale, et tant d'autres ténors de la bourgeoisie nationale sont tous d'accord: "une apogée de plans d'austérité va se déferler sur nous de façon ininterrompue et cela pour cinq à dix ans". Les salaires et avantages doivent baisser, la charge de travail doit augmenter. Les retraites, allocations sociales, frais d'études et de soins de santé seront de plus en plus sous pression. Les vacances et autres types d'«absentéismes» rémunérés doivent diminuer ou être remplacés par des absences non payées, tout est dans le collimateur. Et on essaye de vendre tout ça à la classe ouvrière comme une "nécessaire solidarité", où il faudrait partager la misère. Au fond, il s'agit d'une solidarité avec le système capitaliste, et non d'une solidarité réciproque de la classe ouvrière contre les mesures de la bourgeoisie qui veut faire payer sa crise au prolétariat.
Naturellement, nous dit-on, on ne peut pas laisser aller les choses comme c'était le cas dans les dernières décennies. Le "libre marché" va conduire à un effondrement dévastateur comme dans les années 1930. Ce dont nous avons besoin, c'est plus d'intervention étatique: l'avidité des spéculateurs et des banquiers doit être mis sous contrôle, et les banques et d'autres secteurs économiques très importants doivent être nationalisés lorsque les autres moyens échouent. C'est le nouveau "Keynésianisme", présenté comme la solution aux échecs du "néolibéralisme" (voir l'article dans ce journal: L'État est toujours l'ennemi des ouvriers).
Mais croire que le capitalisme peut devenir plus démocratique, plus humain, plus vert grâce à l'intervention de l'État est une illusion. Les relations sociales capitalistes sont par nature inhumaines. Elles sont indissociablement liées à la soif d'accumuler des profits, et là, "les gens ne viennent jamais d'abord". C'est la leçon la plus claire de la crise actuelle: quarante ans d'interventionnisme étatique n'ont pas réussi à résoudre les problèmes inhérents à ce système. La guerre, le chômage massif, la misère et la destruction de l'environnement ne sont pas le résultat de "mauvais gouvernements". Ils sont le produit direct d'un système sénile, un ordre social qui survit depuis longtemps à son utilité pour l'humanité.
"Travailler plus longtemps et plus dur pour moins. Plus vite nous accepterons cela, mieux ce sera" (De Standaard, 15.3.09). Voilà le message que tous les médias adressent à la classe ouvrière en Belgique.
Non! La résistance n'est pas futile! Résister aux attaques économiques et à la répression politique du capitalisme, résister à ses campagnes idéologiques empoisonnées est l'unique point de départ d'un mouvement pour véritablement changer le monde.
Et cette résistance est possible: - la récente vague de mouvements parmi les étudiants, les instituteurs et professeurs, les chômeurs et d'autres parties de la classe ouvrière, qui a vu le jour en Europe ces derniers mois, et qui a culminé en Grèce en décembre; - les grèves sauvages dans les raffineries de pétrole en Grande-Bretagne (voir dans ce journal); - les occupations d'usines contre les licenciements en France, Grande-Bretagne et Irlande; - les grèves massives en Égypte, au Bangladesh, dans les Antilles; - les émeutes de la faim dans de nombreux pays. Autant de signes de mécontentement social réel et massif, à une échelle internationale toujours plus large. Les mêmes signes se retrouvent dans le nombre croissant de jeunes qui discutent des idées révolutionnaires via Internet, forment des cercles de discussion, remettent en question les fausses solutions offertes par les médias dominants et les gauchistes.
Pour les révolutionnaires, il n'existe qu'une solution à la crise, c'est de jeter une fois pour toutes le capitalisme aux poubelles de l'histoire. Mais cela ne se passera pas automatiquement. Une révolution sociale destinée à surmonter l'exploitation de l'homme par l'homme, la division de la société en classes, l'existence de nations... ne peut qu'être le produit d'un effort conscient et collectivement organisé du prolétariat mondial. Confrontés à des attaques impitoyables, les ouvriers doivent répondre en conséquence, au coup par coup en refusant la logique du capitalisme et en développant la lutte de classes jusqu'au bout de ses limites. Ils doivent forger un rapport de forces basé sur l'unité et la véritable solidarité de classe, sous leur propre contrôle.
Lac / 13.4.09
Ces dernières semaines, les annonces successives de parachutes dorés, de stock-options, de primes, bonus ou de salaires versés aux grands patrons ont fait scandale. Il n'y a ici rien de nouveau sous le soleil. Le capitalisme est un système où une minorité exploite la majorité.
Mais il est vrai que, par ces temps de crise, voir d'un côté les ouvriers se serrer la ceinture, être licenciés et jetés comme des kleenex et, de l'autre, des grands patrons se remplir les poches est encore plus révoltant qu'à l'accoutumée. Ces annonces de millions d'euros attribués aux grands patrons ont provoqué, légitimement, un profond sentiment de dégoût.
Une situation aussi révoltante et provocatrice peut très bien pousser les travailleurs à la lutte. La bourgeoisie ne pouvait donc rester sans réagir. Ainsi elle s'est drapé de sa plus belle hypocrisie pour taper du poing sur la table, dénoncer ces "patrons-voyous" et à l'aide du code Lippens, elle veut restreindre les parachutes dorés et brider les indemnités des top managers. "L'indignation sur les bonus n'est pas du populisme mais un tant soit peu une décence sociale élémentaire et un sens de la norme moral"dit-elle.
Bref, l'État vient au secours de la classe ouvrière!
" Plusieurs pays ont déjà pris des mesures pour mettre un frein aux primes et aux bonus élevés que les cadres des firmes financières indigentes s'approprient encore toujours" (edito dans De Standaard, 31/3/09). Cette ritournelle en effet est reprise en chœur par tous les hauts dirigeants de la planète. D'Obama à Merkel, de Zapatero à Brown, tous promettent que les Etats vont intervenir pour "moraliser" l'économie. C'est même l'un des principaux buts affichés par le G20.
Il est donc nécessaire de rappeler une vérité toute simple : pour les prolétaires, l'Etat est depuis toujours le pire des patrons ! Qui mène sans cesse des attaques générales contre les conditions de vie de la classe ouvrière ? Qui a réduit l'accès aux soins, augmenté l'âge de départ à la retraite et diminué les pensions? Qui a rendu impossible la vie aux chômeurs en les culpabilisant, en les radiant massivement des statistiques officielles et en restreignant leurs droits ? Qui a, de plus en plus instauré des contrats"poubelle" précaire? L'Etat, toujours l'Etat et encore l'Etat !
Pourtant, il existe encore aujourd'hui dans les rangs ouvriers beaucoup d'illusions sur la nature de cet organe bourgeois. La raison en est la croyance, inculquée et entretenue par la gauche, les syndicats et tous les gauchistes. Et l'intérêt soudain de la bourgeoisie pour Marx ne sert qu'à entretenir cette illusion : « Karl Marx le disait déjà: L'État est entièrement de retour. Même les néolibéraux les plus acharnés plaident maintenant pour la nationalisation »." (De Standaard 1/3/09). Ainsi après la Seconde Guerre mondiale, l'État aurait pris des mesures pour le bien-être de la classe ouvrière (la création de la Sécurité sociale par exemple). Ainsi s'entretient l'illusion que des nationalisations massives pourraient permettre une amélioration des conditions ouvrières, et c'est d'ailleurs le programme actuel de toute l'extrême-gauche. En voici une poignée d'exemples :"Une banque d'Etat est un premier acte faisable pour contrer la crise à court terme. Tu ne peux pas tout de suite nationaliser l'entièreté du secteur financier- bien que ce soit à terme sûrement une option." (De Standaard, 1/3/09, E. DeBruyn, président Sp.a Rood). "C'est pourquoi nous disons qu'il faut une nationalisation totale du secteur financier. » (Alternative Socialiste, avril 09 PSL), « Le PTB veut une banque publique » (Solidaire, 26 mars 09 PTB). Contrairement à ces mensonges traditionnels de la gauche et de l'extrême-gauche, les nationalisations n'ont jamais été une bonne mesure économique pour le prolétariat. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l'importante vague de nationalisations avait pour objectif de remettre sur pied l'appareil productif détruit en augmentant les cadences de travail. Il ne faut pas oublier les paroles de Thorez, secrétaire général du Parti "communiste" français et alors vice-président du gouvernement dirigé par De Gaulle, qui lança à la face de la classe ouvrière, et tout particulièrement à celle des travailleurs des entreprises publiques : "Si des mineurs doivent mourir à la tâche, leurs femmes les remplaceront", ou : "Retroussez vos manches pour la reconstruction nationale !" ou encore : "La grève est l'arme des trusts". Bienvenue dans le monde merveilleux des entreprises nationalisées !
Les révolutionnaires communistes ont toujours mis en évidence, depuis l'expérience de la Commune de Paris de 1871, le rôle viscéralement anti-prolétarien de l'État : "L'État moderne, quelle qu'en soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste : l'État des capitalistes, le capitaliste collectif idéal. Plus il fait passer de forces productives dans sa propriété, et plus il devient capitaliste collectif en fait, plus il exploite de citoyens. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste n'est pas supprimé, il est au contraire poussé à son comble" (F. Engels en 1878) (1).
La nouvelle vague de nationalisations, qui a effectivement commencé dans le secteur bancaire et dans l'automobile aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, n'apportera donc rien de bon à la classe ouvrière. Elle ne permettra pas non plus à la bourgeoisie de renouer avec une véritable croissance durable. Au contraire ! Ces nationalisations annoncent des bourrasques économiques à venir encore plus violentes.
En effet, en 1929, les banques américaines qui ont fait faillite ont sombré avec les dépôts d'une grande partie de la population américaine, plongeant dans la misère des millions d'ouvriers. Dès lors, pour éviter qu'une telle débâcle ne se reproduise, le système bancaire avait été séparé en deux : d'un côté, les banques d'affaires qui financent les entreprises et qui travaillent sur les opérations financières en tout genre, de l'autre, les banques de dépôt qui reçoivent l'argent des déposants et qui s'en servent pour des placements relativement sécurisés. Or, emportées par la vague de faillites de l'année 2008, ces banques d'affaires américaines n'existent plus. Le système financier américain s'est recomposé tel qu'il était avant le 24 octobre 1929 ! A la prochaine bourrasque, toutes les banques "rescapées" grâce aux nationalisations partielles ou totales risquent à leur tour de disparaître mais en emportant cette fois-ci les maigres économies et les salaires des familles ouvrières. Aujourd'hui, si la bourgeoise nationalise, ce n'est pas pour suivre un quelconque nouveau plan de relance économique mais pour éviter l'insolvabilité immédiate des mastodontes de la finance ou de l'industrie. Il s'agit d'éviter le pire, de sauver les meubles (2).
Mais, si ce n'est à travers ses plans de relance, l'État peut-il tout de même être LE sauveur en relançant l'économie à coup de milliards de dollars ? Eh bien, non ! Cette espérance se base sur l'idée qu'un Etat ne peut pas faire faillite, qu'il peut donc sortir indéfiniment de l'argent de sa poche (ou plutôt de ses planches à billets). Ben Bernanke, l'actuel président de la Fed (la Banque centrale américaine), avait ainsi prononcé un discours le 21 novembre 2002 qui est resté célèbre : il affirmait qu'en cas de crise aux Etats-Unis, il suffisait d'"imprimer de l'argent à l'infini et le déverser par hélicoptère" .
Quand un particulier fait faillite, il perd tout et il est jeté à la rue. L'entreprise, elle, met la clef sous la porte. Mais un État ? Un État peut-il faire faillite ? Après tout, nous n'avons jamais vu d'État "fermer boutique". Pas exactement, en effet. Mais être en cessation de paiement, oui ! En 1982, quatorze pays africains sur-endettés ont été contraints de se déclarer officiellement en cessation de paiement. Dans les années 1990, des pays d'Amérique du Sud et la Russie ont fait eux aussi défaut. Plus récemment, en 2001, l'Argentine s'est à son tour écroulée. Concrètement, ces États n'ont pas cessé d'exister, l'économie nationale ne s'est pas arrêtée non plus. Par contre, chaque fois, il y eu une sorte de séisme économique : la valeur de la monnaie nationale a chuté, les prêteurs (en général d'autres États) ont perdu tout ou partie de leur investissement et, surtout, l'État a réduit drastiquement ses dépenses en licenciant une bonne partie des fonctionnaires et en cessant de payer pour un temps ceux qui restaient.
Aujourd'hui, de nombreux pays sont au bord d'un tel gouffre : l'Equateur, l'Islande, l'Ukraine, la Serbie, l'Estonie, etc. Plus proche encore l'UE a récemment développé un plan de secours par rapport à la profonde crise finacière de quatre de ses pays-menbre: l'Irlande, la Grèce, l'Autriche et... la Belgique. J. L. Dehaene confirme que « Si on n'y [l'union monétaire européenne] était pas, nous serions comme l'Islande, aujourd'hui, un pays en faillite. » (La Vif/L'Express 27/3/09) Mais qu'en est-il des grandes puissances ? Le gouverneur de Californie, A. Schwarzenegger, a déclaré fin décembre que son État se trouvait en "état d'urgence fiscale". Ainsi, le plus riche des Etats américains, le "Golden State", s'apprête à licencier une bonne partie de ses 235 000 fonctionnaires! En présentant ce nouveau budget, l'ex-star d'Hollywood a averti que "chacun devra consentir des sacrifices". C'est ici un symbole éloquent des difficultés économiques profondes de la première puissance mondiale. Nous sommes encore loin d'une cessation de paiement de l'État américain, mais cet exemple montre clairement que les marges de manœuvre financières sont actuellement très limitées. L'endettement mondial semble arriver à saturation (il était de 60 000 milliards de dollars en 2007 et a encore gonflé de plusieurs milliers de milliards depuis) ; contrainte de poursuivre dans cette voie, la bourgeoisie va donc provoquer des secousses économiques dévastatrices. Tous les économistes de la planète en appellent à un new New Deal, rêvant de voir en Obama le nouveau Roosevelt, capable de relancer l'économie, comme en 1933, par un immense plan de grands travaux publics financé... à crédit. Mais le plan d'Obama annoncé début 2009 est, aux dires mêmes des économistes, "bien décevant" : 775 milliards vont être débloqués pour à la fois permettre un "cadeau fiscal" de 1000 dollars aux foyers américains (95 % de ces foyers sont concernés), afin de les inciter à "se remettre à dépenser" et lancer un programme de grands travaux dans le domaine de l'énergie, des infrastructures et de l'école. Ce plan devrait, promet Obama, créer trois millions d'emplois "au cours des prochaines années". L'économie américaine détruisant en ce moment plus de 500 000 emplois par mois, ce nouveau New Deal (même s'il fonctionne au mieux des prévisions, ce qui est très peu probable) est donc encore vraiment loin du compte.
Des plans d'endettement étatique équivalents au New Deal, la bourgeoisie en lance régulièrement depuis 1967, sans véritable succès. L'endettement des ménages, des entreprises ou des États, n'est qu'un palliatif, il ne guérit pas le capitalisme de la maladie de la surproduction (3) ; il permet tout au plus de sortir momentanément l'économie de l'ornière mais toujours en préparant des crises à venir plus violentes. Et pourtant, la bourgeoisie va poursuivre cette politique désespérée car elle n'a pas d'autre alternative, comme le montre, une énième fois, la déclaration du 8 novembre 2008 d'Angela Merkel à la Conférence internationale de Paris : "Il n'existe aucune autre possibilité de lutter contre la crise que d'accumuler des montagnes de dettes" ; ou encore la dernière intervention du chef économiste du FMI, Olivier Blanchard : "Nous sommes en présence d'une crise d'une amplitude exceptionnelle, dont la principale composante est un effondrement de la demande [...] Il est impératif de relancer [...] la demande privée, si l'on veut éviter que la récession ne se transforme en Grande dépression". Comment ? "par l'augmentation des dépenses publiques".
La montagne de dettes accumulées durant quatre décennies s'est transformée en véritable Everest et rien ne peut aujourd'hui empêcher le capital d'en dévaler la pente. L'état de l'économie est réellement désastreux. Cela dit, il ne faut pas croire que le capitalisme va s'effondrer tout seul d'un coup. La bourgeoisie ne laissera pas SON système disparaître; elle tentera désespérément, et par tous les moyens, de prolonger l'agonie de son système, sans se soucier des maux infligés à l'humanité. Mais ce qui est certain, c'est que la crise historique du capitalisme vient de changer de rythme. Après quarante années d'une lente descente aux enfers, l'avenir est aux soubresauts violents, aux spasmes économiques récurrents frappant non plus les seuls pays du tiers-monde ou de l'ex bloc de l'est mais aussi les États-Unis, l'Europe, et les économies émergentes en Asie...Alors, la bourgeoisie peut bien aujourd'hui tenter de nous bercer de douces illusions en nous faisant croire que les Etats ont l'économie en main et qu'ils vont dorénavant s'attacher à "moraliser" le capitalisme. La réalité, c'est que dans tous les pays, les Etats, de droite comme de gauche, seront les fers de lance des attaques anti-ouvrières à venir
Jennifer&Lac /13.04
1) In l'Anti-Duhring, Ed. Sociales 1963, p.318.
2) Ce faisant, elle crée un terrain plus propice au développement des luttes. En effet, en devenant leur patron officiel, les ouvriers auront tous face à eux dans leur lutte directement l'Etat. Dans les années 1980 et 1990, la vague importante de privatisation des grandes entreprises avait constitué une difficulté supplémentaire pour dévoyer la lutte de classe. Non seulement les ouvriers étaient appelés par les syndicats à se battre pour sauver les entreprises publiques ou, autrement dit, pour être exploités par un patron (l'Etat) plutôt qu'un autre (privé), mais en plus ils se confrontaient non plus au même patron (l'Etat) mais à une série de patrons privés différents. Leurs luttes étaient souvent éparpillées et donc impuissantes. A l'avenir, au contraire, le terreau sera plus fertile aux luttes d'ouvriers unis contre l'Etat.
3) Pour comprendre plus en profondeur la crise économique, lire notre article "La plus grave crise économique de l'histoire du capitalisme".
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Les prévisions économiques de la rentrée se veulent rassurantes: la reprise de l’économie et du commerce pointerait à l’horizon. Concernant la fiabilité des prévisions des experts bourgeois, les deux dernières années nous ont appris combien on pouvait s’y fier. Quant à la réalité de la situation économique et sociale après le tsunami de la récession de 2008-2009, les chiffres sont par contre implacables. Ainsi, la Belgique est confrontée à un déficit budgétaire de 25 milliards d’euros, soit plus de 6% du Produit National Brut (et le bureau du plan prévoit une croissance vers 7,1 % en 2010 et 7,3 du PNB en 2011), à un chômage en hausse de 21% et des dizaines de milliers de travailleurs en chômage temporaire économique (en Flandre, 25% des travailleurs). Alors qu’une dizaine d’années d’austérité sous le gouvernement Dehaene avaient ramené la dette publique de 130% du Produit Intérieur Brut au début des années 1990 à environ 80% en 2007, cette dette frôle à nouveau les 100% et passerait à 110% du PIB en 2010. Les conséquences de cette situation ne laissent planer, selon les dires du Premier ministre Van Rompuy lui-même, aucune équivoque :
“Pour le 20 septembre on doit rendre le plan de stabilisation à la Commission européenne, et puis on passera au budget 2010-2011. (…) Pour soutenir nos acquis sociaux, il faut absolument une infrastructure économique plus solide et plus dynamique qu’aujourd’hui. L’Europe doit travailler et la Belgique aussi. (…) On est à nouveau parti pour une longue période d’adaptation. Tout cela est surmontable hein! [sic, merci pour l’encouragement] … en 1992 le plan Dehaene représentait un effort équivalant à la moitié de celui d’aujourd’hui …Donc aujourd’hui c’est …le double de ce qu’on devait faire en 1992. On va devoir s’adapter. Surtout la population [sic] va devoir s’adapter. On va devoir changer de discours.” (Le Soir, 1.8.2009).
En pleine trêve estivale, voici un discours particulièrement direct. Le sauvetage des banques et le soutien de l’économie chancelante ont en premier lieu annulé 15 années de restrictions budgétaires et de modération salariale ; de plus, le trou à combler est deux fois plus profond et les réductions des dépenses seront deux fois plus fortes que dans les 15 dernières années. Par la bouche du Premier ministre, le gouvernement nous promet donc encore plus de sang et de larmes que pendant les années ’80 et ’90 et cela au moins pendant 10 ans.
Confrontée à l’avalanche de menaces contre ses conditions de vie, la classe ouvrière belge reste pour le moment timide dans sa riposte, ce qui peut paraître surprenant. La majorité des travailleurs choisit une attitude d’expectative et de désarroi, comme nous le voyons chez Opel Anvers ou à la Sonaca à Charleroi. Une petite minorité de travailleurs réagit violemment, parce qu’ils se sentent obligés de «faire quelque chose avant qu’il ne soit trop tard» face à la pression des licenciements qu’ils subissent dans leur entreprise ou région, mais se retrouvent alors souvent isolés (l’exemple de l’occupation chez Brigdestone). Comment expliquer cette relative passivité d’une classe ouvrière, qui, en d’autres occasions (comme encore lors de la rafale de grèves début 2008), a su exprimer sa combativité face aux attaques qu’elle subissait?
- D’abord, par la prudence de la bourgeoisie elle-même dans la mise en oeuvre de ses plans d’attaques. Contrairement aux années ’70 ou ’80, la bourgeoisie ne dispose plus de soi-disant politiques alternatives pour contrer la crise. Elles ont toutes été appliquées et ont toutes fait long feu: la promesse de dizaines de milliers de nouveaux emplois dans le secteur public, la réduction du temps de travail (les 36h), la réduction du joug de l’Etat, la limitation de l’afflux d’étrangers, ... Dès lors, consciente de sa marche de manoeuvre réduite dans un contexte de ras-le-bol généralisé, elle agit avec circonspection, essaie d’éviter toute provocation. C’est pourquoi elle évite pour le moment des mesures frontales contre les salaires, misant plutôt sur l’augmentation de taxes ‘écologiques’ ou la réduction des dépenses de la sécurité sociale, sur la réduction des avantages fiscaux octroyés à l’épargne pension complémentaire, des mesures qui constituent tout autant des attaques contre essentiellement les salariés, mais de manière indirecte. De même, elle tente de justifier l’équité et la légitimité des attaques annoncées en suscitant elle-même un battage sur la nécessité de «faire payer également ceux qui ont provoqué les problèmes»: les projets d’impôt de crise pour les banques, de limitation des bonus pour les cadres supérieurs ou même de taxe sur la spéculation financière (‘taxe Tobin’) doivent convaincre la population, et surtout les salariés, que les sacrifices sont équitablement répartis.
- Ensuite et surtout évidemment par l’ampleur et la brutalité de la crise elle-même, amplement étalée dans les médias au service de la bourgeoisie. Dans un premier temps, il est normal que les travailleurs reculent face à l’ampleur des attaques et au niveau de réponse que celles-ci requièrent: comment à Opel Anvers faire face à la faillite planétaire menaçant GM et au combat de chiffonniers que se livrent direction de GM, gouvernement US et gouvernement allemand? Comment combattre les licenciements à la Sonaca, alors que les commandes d’avions s’effondrent dans le monde? Certes, la nécessité de défendre ses conditions de vie menacées, d’avancer une alternative à un capitalisme qui se révèle incapable d’assurer une perspective décente à l’humanité, s’impose chaque jour plus. Mais pour que la possibilité de le faire soit à son tour largement reconnue par la classe ouvrière, des obstacles importants restent encore à franchir.
Un de ces pas importants que les travailleurs ont à réaliser est sans nul doute le développement de leur capacité à désamorcer les pièges et les mystifications que la bourgeoisie met en place pour entraver leur marche vers l’unité et le développement de leur conscience. De fait, si la bourgeoisie n’a pas caché l’importance de la crise, elle a intensifié ses campagnes en vue de brouiller la réflexion parmi les travailleurs sur le type de riposte à mettre en oeuvre et l’alternative à avancer. Au centre de ces campagnes se trouve le maintien de la crédibilité de la démocratie bourgeoise. Sur le plan international, le battage autour de l’élection d’Obama visait déjà à recrédibiliser l’alternative démocratique. En Belgique, le cirque électoral de juin a été exploité pour le même objectif avec une grande maestria par la bourgeoisie.
A propos des récentes élections de juin 2009, le constat le plus remarquable, largement mis en évidence dans la presse, était que les vainqueurs et les perdants au nord et au sud du pays n’étaient pas les mêmes. Du côté francophone, c’était surtout les verts (Ecolo) qui sortaient gagnants des urnes, tandis qu’en Flandre, c’était les nationalistes flamands ‘modérés’ et ‘fréquentables’ de la NVA qui avançaient fortement au détriment de l’extrême-droite nationaliste flamande xénophobe du Vlaams Belang, qui perd un tiers de ses voix. Ces résultats étaient salués par le monde politique bourgeois comme une grande victoire de la démocratie. De fait, ces résultats ont permis à la bourgeoisie d’exploiter la mystification démocratique contre le développement de la résistance ouvrière sur deux plans:
- en pointant les orientations opposées des élections dans les deux régions («les résultats montrent que nous vivons dans deux pays différents») et la composition différente des gouvernements régionaux («olivier» de ‘gauche’ du côté francophone, centre droit du côté flamand), elle renforce les divisions régionalistes et donc aussi les obstacles au développement de luttes unifiées;
- en soulignant la consolidation du ‘consensus démocratique’ à travers la lourde défaite de l’extrême-droite, elle consolide les illusions démocratiques et entrave la réflexion à propos d’alternatives au capitalisme moribond.
La bourgeoisie belge a une énorme expérience dans l’encadrement du mécontentement de la classe ouvrière et elle dispose d’un instrument syndical particulièrement performant pour éviter que le ras-le-bol débouche sur une remise en question du système. D’un côté, ces syndicats soutiennent des luttes parfois dures (comme les actions des métallos wallons ou la longue occupation de l’usine Brigdestone) mais toujours aussi isolées que possible à l’entreprise, au secteur ou à la région, qui se révèlent généralement inefficaces et mènent au découragement. D’autre part, ils sont en pointe dans la campagne pour une austérité équitable: en effet c’est le syndicat socialiste qui a mis en avant la nécessité d’imposer aux banques une cotisation de crise, non pas pour défendre les travailleurs, mais afin de crédibiliser le discours sur «les sacrifices collectifs» et d’éviter toute explosion sociale incontrôlée: «Nous voulons vraiment aider les entreprises mais d’une manière cohérente et de préférence efficace. ( ...). Le sentiment de ras-le-bol ne doit pas être sous-estimé. Nous ne vivons heureusement pas encore des situations comme en France où des salariés en colère menacent même de faire sauter leur entreprise, mais ne sous-estimez pas la colère qui monte. Je ne dis pas cela en tant que menace mais à partir d’une préoccupation sincère » (R. De Leeuw, président du syndicat socialiste, De Morgen, 02.09.2009).
La classe ouvrière en Belgique est pleinement confrontée au sabotage syndical de sa résistance. Elle est partie prenante de ce long combat de la classe ouvrière internationale, qui devra lui permettre, en tirant les leçons de ses expériences avec les méthodes syndicales d’encadrement des luttes et de conciliation sociale au sein du système démocratique bourgeois, de prendre en main elle-même l’organisation des luttes, de développer l’extension et l’unification de ses luttes et d’avancer ses alternatives. C’est aussi à l’échelle mondiale que s’expriment les premières manifestations des avancées sur ce chemin. Malgré le black-out médiatique, la presse bourgeoise a bien dû signaler ces derniers mois les luttes massives en Afrique du Sud, au Bangladesh et surtout en Egypte, où les syndicats officiels ont été débordés et où les travailleurs ont cherché des formes de lutte alternatives. En Chine il y a quasi quotidiennement des confrontations violentes entre les ouvriers et les forces de l’ordre suite à des licenciements ou des réductions de salaire. En Europe même, des mouvements importants ont souligné la prise de conscience croissante au sein de parties de la classe exploitée des enjeux. Cela s’est exprimé début 2009 dans les émeutes de la jeunesse étudiante en Grèce contre l’absence de perspective et la violence de la répression étatique, soutenue par une large partie de la population ouvrière. De même, en Espagne et en Grande-Bretagne apparaissent les premières expressions de prise en main des luttes, de recherche de solidarité et d’extension de la lutte. Ainsi, dans la raffinerie Lindsey, une campagne infâme propageant des ‘British jobs for British workers’ a été contrée par les ouvriers eux-mêmes, ce qui a permis de reprendre la lutte quelques mois plus tard à un niveau supérieur d’unité des manifestations de solidarité entre ouvriers britanniques et ouvriers immigrés, polonais et italiens (voir article dans ce numéro).
L’aggravation considérable que connaît actuellement la crise du capitalisme constitue un élément de premier ordre dans le développement des luttes ouvrières. Il ne suffit pas à la classe ouvrière de percevoir que le système capitaliste est dans une impasse, qu’il devrait céder la place à une autre société, pour qu’elle soit en mesure de se tourner vers une perspective révolutionnaire. Le chemin qui conduit aux affrontements révolutionnaires et à la remise en question du capitalisme sera encore long et difficile. Seule l’appréhension de la situation de la classe ouvrière en Belgique dans ce cadre mondial des tentatives de la classe ouvrière internationale de contrer les campagnes de la bourgeoisie et de développer ses luttes et sa conscience permet d’éviter de tomber périodiquement dans le scepticisme ou l’euphorie. C’est aussi la seule démarche qui peut permettre, aux éléments conscients des enjeux, de contribuer politiquement à l’accroissement de la capacité de la classe ouvrière à désamorcer les pièges et les mystifications démocratiques que la bourgeoisie met en place, à rompre le carcan syndical et à prendre ses luttes en main, ces pas fondamentaux vers une lutte unifiée contre les horreurs du capitalisme en crise.
J / 05.09.09
Aux quatre coins de la planète, la classe ouvrière subit des conditions d’exploitation et de misère de plus en plus insoutenables. Et dans les pays que la bourgeoise nomme hypocritement “émergents”, les ouvriers sont traités comme du simple bétail.
Mais depuis quelques années, ces esclaves-salariés tendent à résister de façon croissante. En Egypte, à Dubaï, ou au Vietnam, des révoltes grondent et explosent sporadiquement, rassemblant chaque fois des dizaines de milliers d’ouvriers.
L’existence de ces luttes est méconnue dans le reste du monde, voire totalement ignorée. Les médias, aux ordres de la bourgeoisie, opèrent tous un véritable black-out : rien ne filtre, ou presque, ni de ces immenses grèves, ni des terribles répressions qui s’abattent systématiquement sur les ouvriers combatifs.
Ainsi, les journaux ont fait régner un silence de plomb sur les luttes massives qui ont frappé récemment le Bangladesh et la Chine.
Les ouvriers du textile de ce pays détiennent un triste record mondial, celui des plus bas salaires : 0,22 $ de l’heure ! En Inde, où la population vit dans le plus complet dénuement, les salaires sont deux fois plus élevés (soit 0,44 $ de l’heure). Et pourtant, dernièrement, la situation s’est encore dégradée : dans certaines usines, même ces salaires de misère ne sont plus versés !
Alors, après des mois de souffrances et de privations, la massivité et la violence de la réaction ouvrière ont été à la hauteur de ce traitement inhumain. Le 10 mai dernier, dans une usine de fabrication de pulls Rupashi, à Narayanganj (cité portuaire et centre des industries textiles du pays), des ouvriers ont laissé exploser leur colère en s’en prenant physiquement à leur patron. “Le lendemain, les ouvriers de Rupashi se rendant au travail se retrouvèrent face à une usine fermée et cadenassée. Les travailleurs décidèrent alors de se rendre en cortège aux autres usines de la ville en entonnant des slogans contre l’exploitation. Des milliers d’autres travailleurs quittèrent leur poste de travail pour les rejoindre. Des heurts se produisirent avec les agents de sécurité des usines. La violence se répandit comme une traînée de poudre : 20 000 travailleurs se mirent à saccager et à mettre le feu à des dizaines d’usines de textile et de filature de coton.” (1)
Déjà en 2006, des milliers d’ouvriers révoltés avaient ravagé certains sites industriels. Mais cette fois, les grévistes ont agi plus massivement et plus violemment encore. Ils n’ont pas hésité à franchir toutes les barrières de sécurité qui entourent leurs usines pour se regrouper et affronter l’armée, ce qui a donné lieu a des batailles de rue très sanglantes.
Ces sites sont de véritables bagnes industriels, des sortes de camps entourés de barbelés et protégés en permanence par des vigiles en arme. En s’en prenant aux usines et à l’armée, ces 20 000 ouvriers ont voulu à la fois détruire les machines, véritables objets de torture sur lesquelles ils suent sang et eau, jour et nuit, et à la fois affronter leurs geôliers au péril de leur vie.
La Chine est présentée depuis quinze ans comme le nouvel Eldorado capitaliste. à en croire tous les boni-menteurs diplômés en économie, l’Empire du milieu est aujourd’hui censé être épargné par la crise économique. Mieux encore, la Chine permettrait demain à l’économie mondiale de sortir de la récession ! Evidemment, la vérité est tout autre. Ce pays est lui aussi frappé de plein fouet et brutalement par la crise, et là-bas comme ailleurs la classe ouvrière en est la première victime. Par exemple, “rien qu’à Daqing (2), ce sont 88 000 employés dont on a annoncé le licenciement depuis deux ans” (3). Dans tout le pays, environ 30 millions de travailleurs migrants ont perdu leur travail depuis l’été dernier.
Mais peu à peu, la combativité se développe. Malgré la répression impitoyable du Parti communiste chinois, les ouvriers acceptent de moins en moins d’être traités comme des bêtes de somme. Ainsi, depuis le début mars, “des milliers d’ouvriers du nord-est de la Chine manifestent leur mécontentement dans la rue, pour réclamer le versement de leurs allocations et la libération de leurs représentants (4). Les manifestations ont lieu dans les villes de Daqing et de Liaoyang, au cœur du bassin industriel de Mandchourie, frappé par la crise économique. Autour de ces villes, les industries d’Etat font vivre, directement ou indirectement, neuf personnes sur dix. Mais les rendements de ces industries lourdes sont en baisse et les plans sociaux se sont multipliés. Depuis qu’on leur a annoncé qu’ils ne recevraient plus d’allocations pour le chauffage et qu’ils se verraient supprimer leur sécurité sociale après licenciement, les ouvriers de Daqing, par milliers, jusqu’à 30 000 personnes, descendent tous les jours dans la rue depuis le premier mars. Réunis sur la place de l’Homme-de-Fer, du nom d’un héros légendaire du prolétariat dans les années soixante, ils font le pied de grue devant le siège local de Petro China, la compagnie publique qui les emploie. “Les Hommes de fer, ce sont nous”, ont-ils lancé sous les fenêtres de leur employeur. A Liaoyang, des raisons similaires ont poussé les ouvriers à braver le froid et les vents de sable, pour protester par dizaines de milliers devant le siège du gouvernement local” (5).
Cette vague de lutte est représentative de la montée générale de la combativité du prolétariat vivant en Chine face aux ravages de la crise économique. “Au cours des trois premiers mois de cette année, alors que le rythme des pertes d’emploi et le retour des migrants dans leur région d’origine a monté en flèche, la Chine a connu 58 000 “incidents de masse”. C’est le gouvernement lui-même qui parle de grèves, de manifestations de rue, de barrages de route et d’autres formes de lutte populaire. Ces chiffres proviennent des agences de surveillance de la stabilité politique en Chine continentale, situées à Hong Kong. Si cette tendance continue toute l’année, 2009 battrait tous les records précédents avec plus de 230 000 de ces dits “incidents de masse”, comparés aux 120 000 en 2008 et aux 90 000 de 2006” (6).
Du Vietnam à Dubaï, de la Chine au Bangladesh, des grèves de plus en plus importantes et violentes explosent. La question qui se pose alors est : quel est l’avenir de ces luttes ? Pour y répondre, il faut les concevoir comme faisant partie d’un processus international, celui du retour progressif du prolétariat sur le terrain de la lutte de classe, partout dans le monde.
Dans les pays “émergents”, la combativité ouvrière, la massivité des grèves, ainsi que le courage face aux répressions féroces, sont une force qui peut et doit inspirer les prolétaires de tous les pays.
Mais le désespoir qui les pousse, comme au Bangladesh, à saccager les usines tel un exutoire ou à s’affronter aux forces de répression sans nulle autre perspective que de mourir dans un bain de sang, révèle aussi à quel point ces prolétaires ont besoin de la lutte des ouvriers dans les pays centraux, en Europe ou aux Etats-Unis, pour s’approprier la longue expérience des plus vieux bataillons du prolétariat mondial.
Pour que toutes ces luttes se fassent écho, que la combativité des uns encourage les autres et que l’expérience des autres profitent aux uns, il faut briser la chape de plomb médiatique orchestrée par la bourgeoisie, casser le black-out en diffusant et en débattant le plus largement possible, à l’échelle internationale, de chaque nouvelle lutte importante.
Map (1er juillet)
1) Source : “Des nouvelles du front”.
2) Ville d’un million d’habitants située dans la province du Heilongjiang.
3) Source :“Des nouvelles du front [14]”.
4) Ces “représentants” sont a priori les éléments que l’Etat chinois a repérés comme les ouvriers les plus combatifs dès le début du mouvement et sur lesquels elle a concentré ses foudres en les jetant en prison. Néanmoins, compte tenu du peu d’informations dont nous disposons, nous ne savons pas dans quelles conditions et jusqu’à quel point ces “représentants” sont reconnus par l’ensemble des ouvriers en lutte.
5) Source : «Des nouvelles du front”.
6) Source : “Des nouvelles du front [15]”.
Fin
août, une «journée de rencontre et de discussion organisée par le
CCI», se déroulant pour la troisième fois en Belgique à Anvers, a
eu lieu autour de deux thèmes de discussion choisis par les
participants; une première session a traité, à l’occasion de
l’année Darwin, du thème «Darwinisme et marxisme» et une
seconde de «Comment et pourquoi la classe ouvrière
s’organise-t-elle?».
Cette
journée regroupant des participants de tous âges fut
particulièrement marquée par une participation active de tous, par
des discussions animées exprimant la volonté de chacun de vouloir
comprendre et approfondir ce dont il était question. Et ceci dans
une ambiance cordiale et chaleureuse qui a été présente non
seulement lors des discussions mais aussi pendant les pauses,
particulièrement pendant le barbecue qui a clôturé cette journée
et qui a été l’occasion pour beaucoup de poursuivre la
discussion, d’apprendre à se connaître et d’échanger des
idées.
Cette journée est loin d’être un évènement isolé. Elle s’inscrit pleinement dans une dynamique internationale:
-déroulement de rencontres similaires en France (Marseille, Paris), Italie (Naples), Grande-Bretagne (Londres), Etats-Unis (New York), ....;
- apparition de cercles de discussion et de groupes en recherche de clarification politique de part le monde (de l’Allemagne au Brésil, du Nicaragua à la Corée ou au Japon);
- conférence de groupes internationalistes en Amérique Latine.
Comment expliquer une telle dynamique internationale? Elle est née principalement de deux besoins fondamentaux:
- un besoin de comprendre : l’évolution du monde amène à réfléchir aux causes de sa détérioration (catastrophes écologiques, crise économique, chômage, misère, de perspective économique et sociale, guerres, , famines,…), car sans diagnostic précis, pas de remède efficace…;
-
un besoin de faire quelque chose : comment faire pour empêcher
la catastrophe qui s’annonce, pour avancer une alternative à cette
société agonisante? Quelles sont les forces qui peuvent réaliser
cette alternative? Comment s’organiser et établir un rapport de
force en notre faveur? Questions difficiles mais qu’il est capital
d’aborder pour éviter les actions stériles, qui ne mènent qu’à
l’épuisement et au découragement.
Les réponses à ces questions, nous ne pouvons les trouver qu’ensemble et pas chacun dans notre coin, dans l’isolement, l’individualisme, le «chacun pour soi» que cette société veut nous imposer. Réfléchir collectivement, apprendre à tirer les leçons des expériences du passé, des nombreuses réflexions et des contributions théoriques produites car nous ne sommes pas les premiers, loin de là, à chercher ces réponses: ceci n’est possible qu’en créant un espace pour ce processus de réflexion politique. Créer un tel espace signifie:
- aller le plus possible à la rencontre des questionnements existants en abordant un large éventail de sujets;
- que chacun peut, sans obligation, participer et contribuer selon ses capacités et ses intérêts;
- que les participants doivent avoir pleinement l'occasion de discuter librement ensemble, dans un climat ouvert, fraternel où chacun peut sans crainte mettre en avant ses questions, ses réflexions mais aussi ses doutes, et ainsi contribuer au débat de façon consciente et collective;
-
aussi que l’espace en question n’est qu’un maillon d’une
chaîne, qu'un moment de tout un processus de réflexion, et doit
être compris ou conçu dans une continuité à la fois historique et
internationale.
C’est
pourquoi le CCI prend l’initiative d’organiser et de participer
activement à des journées de rencontre et de discussion, comme il
l’a fait dernièrement à Anvers. Dans les numéros
d’Internationalisme, nous aurons l’occasion de revenir sur les
apports de cette journée.
Bien évidemment, une seule journée de discussion ne suffit pas pour traiter et éclaircir toutes les questions posées. Parce que bien d’autres thèmes mis en avant par les invités n’ont pas pu être mis à l’ordre du jour, parce que la situation mondiale pose la question de l’avenir de la société capitaliste, il est nécessaire que le débat se poursuive.
A
cette fin, en plus de nos permanences et réunions publiques
régulières, un autre moment de rencontre et de discussion organisé
par le CCI se déroulera en France, à Lille, au mois d’octobre,
dans la continuité de la journée du mois d’août à Anvers.
DM /8.09.09
On nous dit tous les jours que nous devons nous serrer la ceinture, accepter les suppressions de poste, les diminutions de salaire et de pension de retraite, pour le bien de l’économie nationale, pour l’aider à faire face à la récession qui s’approfondit. L’idée de lutter contre ces attaques incessantes se heurte à la peur terrible du chômage et à la campagne médiatique sans fin qui nous dit que la lutte ne peut empêcher nos conditions de vie et de travail d’empirer.
Mais, dans les premières semaines de juin, un événement est venu clairement démontrer que le poids de la passivité et de la peur n’était pas une fatalité. Les travailleurs du métro londonien ont fait grève pour défendre 1.000 emplois menacés. Les ouvriers de la Poste à Londres et en Ecosse ont lancé des luttes contre les licenciements, les contrats rompus et les suppressions de postes. Et surtout, au même moment, 900 travailleurs du bâtiment de la raffinerie de Lindsey arrêtaient le travail par solidarité avec 51 de leurs camarades qui étaient licenciés. Cette lutte a explosé dans une série de grèves sauvages par solidarité dans les plus grands sites de construction du secteur énergétique en Grande-Bretagne, quand Total a jeté 640 grévistes le 19 juin. Ces luttes montrent que nous ne devons pas accepter notre «destin».
Au début de l’année, les ouvriers de la raffinerie de Lindsey avaient été au coeur d’une vague semblable de grèves sauvages, à propos de licenciements d’ouvriers sur le site. Cette lutte, à ses débuts, était freinée par le poids du nationalisme, symbolisé par le slogan: «Des jobs anglais pour les ouvriers anglais!» et par l’apparition de drapeaux de l’Union Jack dans les piquets de grève. Quelques-uns des ouvriers en grève disaient qu’on ne devait pas employer d’ouvriers étrangers alors que les ouvriers anglais étaient licenciés. La classe dominante a utilisé ces idées nationalistes à plein, exagérant leur impact et en présentant cette grève comme étant dirigée contre les ouvriers italiens et polonais employés sur le site. Cependant, soudainement et de façon imprévisible, il a été mis fin à cette grève quand ont commencé à apparaître des banderoles appelant les ouvriers portugais et italiens à rejoindre la lutte, affirmant: «Ouvriers du monde entier, unissez-vous!» et que les ouvriers polonais du bâtiment ont rejoint les grèves sauvages à Plymouth. Au lieu d’une défaite ouvrière longuement préparée, avec des tensions croissantes entre ouvriers de différents pays, les ouvriers de Lindsey ont obtenu 101 emplois de plus, les ouvriers portugais et italiens gardant leur emploi, gagné l’assurance qu’aucun ouvrier ne serait licencié et sont rentrés unis au travail.
La nouvelle vague de luttes, s’appuyant sur cette bonne dynamique, a pu éclater sur une base d’emblée beaucoup plus claire: solidarité avec les 51 ouvriers licenciés. Au même moment, un autre employeur embauchait des ouvriers. Les ouvriers licenciés ont été avertis qu’on n’avait plus besoin d’eux par des post-it sur leur carte de pointage! Cela a suscité une réponse immédiate de la part de centaines d’ouvriers, arrêtant le travail par solidarité. Il y avait le sentiment que ces ouvriers étaient attaqués à cause du rôle qu’ils avaient joué dans la grève précédente. Le 19 juin, Total, le propriétaire du site, prenait la mesure inattendue de licencier 640 grévistes. Il y avait déjà eu des grèves de solidarité dans d’autres usines, mais avec ces annonces de nouveaux licenciements, des grèves ont éclaté dans tout le pays. «Environ 1.200 ouvriers en colère se rassemblaient aux principales entrées hier, agitant des panneaux qui fustigeaient... les patrons cupides. Des ouvriers des centrales électriques, des raffineries, des usines dans le Cheshire, le Yorkshire, le Nottinghamshire, l’Oxfordshire, en Galles du Sud et Teesside arrêtaient le travail pour montrer leur solidarité” (The Independent du 20 juin). Le Times rapportait «qu’il y avait aussi des signes que la grève s’étendait à l’industrie nucléaire, puisque EDF Energy disait que les ouvriers contractuels du réacteur de Hickley Point dans le Somerset avaient arrêté le travail».
Les journaux de droite tels que le Times et le Daily Telegraph qui, d’habitude, utilisent à plein ce genre de sentiments, n’en faisaient aucune mention et se concentraient plutôt sur l’action engagée par Total et le danger que ces luttes ne s’étendent. La classe dominante est extrêmement préoccupée par cette lutte, justement parce qu’elle ne peut pas la dévoyer si facilement dans une campagne nationaliste. Elle a peur qu’elle puisse s’étendre à tout le secteur de la construction en général et peut-être même au-delà. Les ouvriers peuvent voir que si Total arrive à licencier des ouvriers en grève, d’autres patrons prendront la suite. La question de la grève est clairement posée comme une question de classe, qui concerne tous les travailleurs.
La vision de la solidarité avec les travailleurs étrangers confirme la nature de classe évidente de cette lutte. Comme le dit clairement un ouvrier licencié: «Total réalisera bientôt qu’ils ont libéré un monstre. C’est honteux que cela soit arrivé sans aucune consultation. C’est aussi illégal et ça me rend malade. S’ils (Total) s’en tirent, le reste de l’industrie s’écroulera et fera du dégraissage. Les travailleurs seront décimés et les ouvriers non qualifiés étrangers seront embauchés au moindre coût, traités comme de la merde et renvoyés quand le travail sera fini. Il y a une sérieuse possibilité que l’électricité soit coupée à cause de cela. Nous ne pouvons pas rester passifs et voir des ouvriers jetés comme des habits sales» (The Independent du 20.06.09).
Cette indignation des ouvriers est celle de toute la classe ouvrière. Pas seulement à cause de ce que fait Total, mais de toutes les autres attaques qu’ils subissent ou voient. Des millions d’ouvriers sont en train d’être jetés comme des déchets par la classe dominante. Les patrons s’attendent à ce que les ouvriers acceptent des réductions de salaire ou même travaillent gratis et qu’ils en soient contents! Le mépris de Total est celui de toute la bourgeoisie.
Quoiqu’il arrive dans les prochains jours, cette lutte a démontré que les ouvriers n’ont pas à accepter les attaques, qu’ils peuvent résister. Plus que cela, ils ont vu que la seule façon de nous défendre nous-mêmes est de nous défendre les uns les autres. Pour la deuxième fois cette année, nous avons vu des grèves sauvages de solidarité. Il y a des rapports qui disent que les grèves de Lindsey ont envoyé des piquets volants au Pays de Galles et en Ecosse. Il y a des sites de construction dans tout le pays, en particulier dans la capitale, où les sites olympiques regroupent un grand nombre d’ouvriers de plusieurs nationalités. Envoyer des délégations sur ces sites, appelant à l’action solidaire, serait le message le plus clair que c’est une question qui concerne le futur de tous les travailleurs, quelles que soient leurs origines. Les ouvriers de la poste et du métro de Londres essaient aussi de se défendre contre des attaques similaires et ont tout intérêt à former un front commun.
Le vieux slogan du mouvement ouvrier –travailleurs du monde entier, unissez-vous!–, est souvent tourné en ridicule par les patrons qui ne peuvent pas voir plus loin que leurs intérêts nationaux. Mais la crise mondiale de leur système rend de plus en plus évident le fait que les ouvriers ont les mêmes intérêts partout: chercher à s’unir pour défendre leurs conditions de vie et mettre en avant la perspective d’une autre forme de société, basée sur la solidarité à l’échelle mondiale et la coopération.
Phil / 21.06.2009
Nous publions ci-dessous la Prise de position adoptée en commun par 7 groupes ou organisations présents dans 8 pays d’Amérique latine (1) qui rend compte des travaux d’une rencontre internationaliste qui s’est tenue récemment (2).
Cette rencontre, dont le projet avait été formulé il y a un an, a été rendue possible en premier lieu par l’émergence de ces groupes qui, pour la majorité d’entre eux (tous à part OPOP et le CCI), n’existaient pas encore il y a 3 ans de cela. Ensuite, cet événement n’aurait jamais vu le jour sans la volonté commune des groupes en question de rompre l’isolement et de développer un travail politique en commun (3).
La base d’un tel travail a été l’acceptation par les participants de critères qu’ils considèrent comme constituant une délimitation du camp du prolétariat par rapport à celui de la bourgeoisie et qui sont exposés dans la Prise de position publiée ci-après.
L’activité première de cette rencontre était nécessairement la discussion politique permettant de faire la clarté sur les convergences et les divergences existant entre les participants, afin que soit élaboré un cadre de discussion en vue de la clarification des désaccords.
Nous saluons chaleureusement le fait que cette rencontre ait pu avoir lieu et qu’elle ait été capable d’assumer des discussions importantes comme celles sur la situation actuelle de la lutte de classe internationale ainsi que sur la nature de la crise qui ébranle le capitalisme aujourd’hui. Nous avons pleinement confiance dans la poursuite fructueuse de ce débat (4).
Nous sommes bien conscients que cette rencontre n’a constitué qu’un tout petit pas sur le chemin qui mène à la constitution d’un pôle de référence international dont l’existence, les débats publics et l’intervention soient à même d’orienter les éléments, les collectifs et les groupes qui surgissent dans le monde entier à la recherche d’une réponse prolétarienne internationaliste à la situation toujours plus grave dans laquelle le capitalisme entraîne l’humanité.
Néanmoins, si l’on se réfère aux expériences passées – par exemple aux Conférences internationales de la Gauche communiste qui s’étaient tenues il y a trente ans (5) – cette rencontre a accompli le dépassement de certaines faiblesses qui s’étaient manifestées à l’époque. Alors que les Conférences n’étaient pas parvenues à adopter une déclaration commune face à la guerre en Afghanistan, qui représentait alors une grave menace, aujourd’hui la Prise de position adoptée unanimement par les participants défend de façon très claire des positions prolétariennes face à la crise du capitalisme.
En particulier, nous voulons souligner la ferme dénonciation que fait la Prise de position des alternatives capitalistes de “gauche” actuellement en vogue sur tout le continent américain et qui suscitent, dans le monde entier, des illusions loin d’être négligeables. Depuis les Etats-Unis, avec le phénomène Obama, jusqu’à la Patagonie argentine, le continent est “secoué” par l’arrivée de gouvernements qui prétendent défendre les pauvres, les travailleurs, les exclus et qui se présentent comme les porteurs d’un capitalisme “social”, “humain”, ou qui encore, dans une version plus “radicale” (comme Chavez au Venezuela, Morales en Bolivie et Correa en Equateur), prétendent incarner rien de moins que “le socialisme du xxie siècle”.
Nous pensons qu’il est de la plus haute importance que, face à ces mystifications, se dresse un pôle unitaire, fraternel et collectif de minorités internationalistes, ouvrant la voie à la discussion et à la formulation de positions de solidarité internationale, de lutte de classe intransigeante, de combat pour la révolution mondiale, face au capitalisme d’Etat, au nationalisme, à l’exploitation dont ces “nouveaux” prophètes cherchent à assurer la perpétuation.
CCI (26-04-09)
Prise de position commune
La lutte pour le communisme authentique, c’est à dire pour une société sans classes, sans misère et sans guerres, suscite à nouveau un intérêt croissant de la part de minorités dans le monde entier. En mars 2009, à l’initiative du Courant Communiste International (CCI) et de Oposição Operaria (OPOP), s’est tenue en Amérique latine une Rencontre de discussion internationaliste à laquelle ont participé différents groupes, cercles et camarades individuels de ce continent se situant clairement sur des positions internationalistes et prolétariennes.
Outre le CCI et OPOP, les groupes suivants étaient présents :
• Grupo de Lucha Proletaria (Pérou),
• Anarres (Brésil)
• Liga por la Emancipación de la Clase Obrera (Costa Rica et Nicaragua)
• Núcleo de Discusión Internacionalista de la República Dominicana
• Grupo de Discusión Internacionalista de Ecuador
En outre, des camarades du Pérou et du Brésil ont également participé aux travaux de cette rencontre. D'autres camarades d'autres pays avaient également manifesté leur intention de participer mais n'ont pu le faire pour des raisons matérielles ou administratives.
L'ensemble des participants se reconnaissait dans les principes exprimés par les critères ci-dessous, qui avaient également servi globalement à la tenue des Conférences des groupes de la Gauche communiste à la fin des années 1970 et en 1980 :
1. Se réclamer du caractère prolétarien de la révolution d’Octobre 1917 et de l’IC tout en soumettant ces expériences à un bilan critique permettant d’orienter les nouvelles tentatives révolutionnaires du prolétariat.
2. Rejeter sans réserve toute idée selon laquelle il existe dans le monde des pays à régime socialiste ou avec des gouvernements ouvriers, même qualifiés de “dégénérés” ; de même, rejeter toute forme de gouvernement capitaliste d’Etat, comme ceux basés sur l’idéologie du “socialisme du XXIe siècle”
3. Dénoncer les partis socialistes et communistes, de même que leurs acolytes, comme des partis du capital ;
4. Rejeter catégoriquement la démocratie bourgeoise, le parlementarisme et les élections, armes à travers lesquelles la bourgeoisie a réussi de nombreuses fois à encadrer et dévoyer les luttes ouvrières en mettant la classe ouvrière devant le faux choix : démocratie ou dictature, fascisme ou antifascisme.
5. Défendre la nécessité que les révolutionnaires internationalistes oeuvrent à la constitution d’une organisation internationale de l’avant-garde prolétarienne, arme indispensable de la révolution prolétarienne.
6. Défendre le rôle des conseils ouvriers comme organes du pouvoir prolétarien, de même que l’autonomie de la classe ouvrière par rapport aux autres classes et couches de la société.
L’ordre du jour des discussions était le suivant :
1. Le rôle du prolétariat et sa situation actuelle, le rapport de forces entre les classes ;
2. La situation du capitalisme (au sein de laquelle se déroulent les luttes actuelles) et, comme réflexion plus globale, le concept de décadence et/ou de crise structurelle du capitalisme ;
3. La crise écologique croissante dans laquelle nous plonge le système. Bien que, par manque de temps, ce point n’ait pu être discuté, il fut convenu de mener à bien cette discussion par Internet.
Sur le point 1, des exemples relatifs à l’Amérique latine ont été utilisés pour illustrer les analyses sur l’état actuel de la lutte de classe, mais le souci de la plupart des interventions était de concevoir ceux-ci comme une partie de la situation générale du combat prolétarien à l’échelle internationale. Cela dit, la rencontre a décidé de porter une insistance toute particulière sur la dénonciation des différents gouvernements de gauche qui dirigent la plupart des pays d’Amérique latine en ce moment, comme ennemis mortels du prolétariat et de son combat ; sont également concernés par cette dénonciation ceux qui apportent un soutien, même de façon critique, à ces gouvernement. La rencontre a également dénoncé la criminalisation des luttes ouvrières de la part de ces gouvernements avec une insistance sur le fait que la classe ouvrière ne peut pas se faire d’illusions sur les méthodes légalistes et démocratiques mais qu’elle ne peut compter que sur sa propre lutte autonome. Cette dénonciation s’applique notamment aux gouvernements suivants :
• Kirchner en Argentine,
• Morales en Bolivie,
• Lula au Brésil,
• Correa en Equateur,
• Et, tout particulièrement, à celui dirigé par Chavez au Venezuela dont le prétendu "Socialisme du xxie siècle" n'est pas autre chose qu'un vaste mensonge destiné à prévenir et réprimer les luttes du prolétariat dans ce pays et à mystifier les ouvriers dans les autres pays.
Sur le point 2, les participants sont tombés d'accord sur la gravité de la crise actuelle du capitalisme, de même que sur la nécessité de la comprendre plus en profondeur à partir d'une perspective théorique et historique.
En conclusion des discussions, les participants se sont accordés sur les points suivants :
• la tenue de la rencontre constitue une manifestation de la tendance actuelle au développement du combat et de la prise de conscience du prolétariat à l'échelle internationale ;
• l'aggravation considérable de la crise du capitalisme aujourd'hui ne peut, à terme, que renforcer cette tendance au développement des luttes ouvrières, rendant de plus en plus nécessaire la défense des positions révolutionnaires au sein du prolétariat ;
• en ce sens, l'ensemble des participants estime nécessaire la poursuite de l'effort qui a été engagé avec la tenue de la rencontre afin d'être partie prenante du combat prolétarien international.
Plus concrètement, comme premier pas de cet effort, il a été décidé ce qui suit :
1. l’ouverture d’un site Internet en langue espagnole (éventuellement portugaise) sous la responsabilité collective des groupes participant à la rencontre. De même, est envisagée la possibilité de publier un bulletin en langue espagnole basé sur le contenu du Site internet.
2. la publication sur ce site :
• de la présente prise de position (qui sera également publiée sur les sites des groupes participants) ;
• des contributions qui ont été préparées pour la rencontre ;
• du procès verbal synthétique des différentes discussions qui se sont tenues lors de celle-ci ;
• de toute autre contribution des groupes et éléments présents ainsi que de tout autre groupe ou camarade qui se reconnaît dans les principes et les préoccupations qui ont animé la rencontre.
Parmi ces préoccupations, la rencontre souligne tout particulièrement la nécessité d'un débat ouvert et fraternel entre révolutionnaires et le rejet de tout sectarisme et esprit de chapelle.
1) Mexique, République dominicaine, Costa Rica, Nicaragua, Equateur, Pérou, Venezuela, Brésil.
2) Les participants ont été les suivants : Oposição Operária –OPOP (Brésil), CCI, LECO (Liga por la Emancipación de la Clase Obrera, Costa Rica-Nicaragua), Anarres (Brésil), GLP (Grupo de Lucha Proletaria, Pérou), Grupo de Discusión Internacionalista de Ecuador, Núcleo de Discusión Internacionalista de la República Dominicana, de même que des camarades de ces pays ayant participé à titre individuel.
3) Nous avons rendu compte de cette effervescence en Amérique latine dans notre article Deux nouvelles sections du CCI [20]
4) Une des décisions de la rencontre a concerné la création d'un site Internet où seront publiés la prise de position commune et les débats.
5) Lire par exemple dans la Revue internationale n° 16, l'article 2eme conférence internationale des groupes de la Gauche communiste [21].
Les faits et causes qui ont permis à l'espèce humaine de parvenir à la civilisation constituent un des sujets qui ont le plus préoccupé les philosophes et penseurs au cours des siècles. Il ne s'agit rien de moins que de découvrir le moteur de l'histoire. En 1848, la parution du Manifeste communiste offre une vision révolutionnaire de la question, qui place l'homme et son activité, sur un plan social, au cœur du progrès historique. Cette vision ne peut évidemment satisfaire la nouvelle classe dominante, la bourgeoisie, qui vit avec enthousiasme la pleine ascension du système capitaliste. D'une part, cette ascension se fonde sur une idéologie particulièrement axée sur l'individualisme, et d'autre part, il est bien trop tôt pour la bourgeoisie de concevoir, même sur un plan strictement intellectuel, la possibilité d'un dépassement du capitalisme.
Quand onze ans plus tard, Charles Darwin publie le résultat de ses travaux sur l'évolution des organismes comme résultant de la sélection naturelle, il est dès lors tentant pour la bourgeoisie d'y trouver une piste d'exploration du développement des sociétés humaines qui serait basé justement sur des mécanismes de sélection des individus les plus adaptés. Cette tendance, que l'on regroupe sous le terme « darwinisme social » est toujours active aujourd'hui même si ses hypothèses restent largement encore à démontrer et si son postulat de départ, la lutte compétitive pour l'existence, , sera rapidement écarté par Darwin lui-même pour ce qui concerne l'évolution de l'homme. 1
"Le darwinisme social est une forme de sociologie dont les postulats sont :
a) que, l'Homme faisant partie de la nature, les lois des sociétés humaines sont, directement ou presque directement, celles des lois de la nature;
b) que ses lois de la nature sont la survivance du plus apte, la lutte pour la vie et les lois de l'hérédité;
c) qu'il est nécessaire pour le bien-être de l'humanité de veiller au bon fonctionnement de ces lois dans la société.
Ainsi entendu, le darwinisme social peut être historiquement défini comme la branche de l'évolutionnisme qui postule un écart minimal, ou nul, entre lois de la nature et lois sociales, toutes deux soumises à la survivance du plus apte, et considère que ces lois de la nature fournissent directement une morale et une politique.
On distinguera deux formes différentes du darwinisme social. L'une d'inspiration individualiste, considère que l'organisme social de base est l'individu et que, sur modèle d'une lutte entre individus d'une même espèce, les lois fondamentales de la société sont la lutte entre individus d'un même groupe, dont la lutte entre groupes ethniques (ou races) n'est que l'extension. L'autre, au contraire, d'inspiration holiste, considère que l'organisme social de base est la société, que le moteur de l'histoire est la lutte entre races, et que la lute entre individus d'un même groupe est une loi secondaire, voire un fait préjudiciable à la survie de la race. (…)
Le darwinisme social individualiste se développe dès les années 1850 (donc avant même la parution de L'origine des espèces) et constitue une idéologie importante jusqu'aux années 1880(…) Il est la plupart du temps lié au laissez-faire économique, prône la non intervention de l'État (…) Le darwinisme social holiste, souvent ouvertement raciste, se développe surtout après 1880. il prône la plupart du temps une intervention de l'État dans la société et une pratique protectionniste (protection économique, mais aussi protection de la race (…) La pureté de la race est en danger)" 2
Le représentant le plus connu de cette idéologie est un contemporain anglais de Darwin, Herbert Spencer. Ingénieur, philosophe et sociologue, Spencer voit dans L'origine des espèces la clé qui permettrait de comprendre le développement de la civilisation, en partant du postulat selon lequel la société humaine évoluerait selon le même principe que les organismes vivants.l. Partant de cela, le mécanisme de la sélection naturelle décrit par Darwin serait totalement applicable au corps social. Spencer est un idéologue bourgeois bien ancré dans son époque. Fortement marqué par l'individualisme et l'optimisme propre à la classe dominante à l'époque où le capitalisme est en pleine expansion, il se laissera grandement influencer par les théories « à la mode », comme l'utilitarisme de Bentham. Plekhanov dira de lui que c'est un « anarchiste conservateur, un philosophe bourgeois. » 3 Pour Spencer, la société produit et forme des éléments brillants qui seront sélectionnés pour permettre à cette société de continuer à progresser. Décliné à partir de la théorie de Darwin, le concept de Spencer devient, appliqué à la société, la « sélection des plus aptes ».
Le darwinisme social, tel qu'il sera appelé bien après son exposé par Spencer, pose en principe la supériorité de l'hérédité sur l'éducation, c'est-à-dire la prépondérance des caractères innés sur les caractères acquis. Si les principes de la sélection naturelle sont effectivement à l'œuvre dans la société, il convient simplement de ne pas les entraver pour assurer le progrès social et la disparition à terme des « anomalies » comme la pauvreté ou les différentes inaptitudes.
Dans ses évolutions futures, le darwinisme social sera repris comme fondement de bien des positions et justifications politiques dictées par les nécessités du développement capitaliste.
Aujourd'hui encore, la théorie d’Herbert Spencer continue à servir de caution pseudo scientifique à l'idéologie réactionnaire du winner et de la loi du plus fort.
Du strict point de vue scientifique, les travaux de Spencer inspireront des études plus ou moins variées, comme la crâniologie (l'étude de la forme et la taille du crâne, dont les résultats s'avèreront finalement arrangés), les tentatives de mesure de l'intelligence ou encore l'anthropologie criminelle avec la théorie du « criminel né » de Lambroso, dont les échos se font encore entendre aujourd'hui dans les sphères politiques bourgeoises quand il s'agit de détecter au plus tôt le futur criminel.
La prépondérance de l'inné conduit également Spencer à dessiner les contours d'une politique éducative dont les répercussions sont encore visibles dans le système scolaire primaire britannique, qui cherche à fournir à l'enfant un environnement propre à son épanouissement personnel, à ses propres recherches et découvertes, plutôt que de fournir un enseignement magistral susceptible de développer de nouvelles aptitudes. C'est également le fondement théorique qui sous-tend le concept d' « égalité des chances ».
Mais la descendance la plus réputée du darwinisme social réside avant tout dans l'eugénisme. C'est Francis Galton, cousin de Charles Darwin, qui pose les premiers concepts de l'éugénisme en suivant l'intuition sous-jacente de Spencer selon laquelle si la sélection naturelle doit conduire de façon mécanique au progrès social, tout ce qui l'entrave ne peut que retarder l'accession de l'humanité au bonheur. Plus simplement, Galton craint que les mesures d'ordre social que la bourgeoisie est amenée à prendre, la plupart du temps sous la pression de la lutte de classe, induisent à terme une dégénérescence globale de la civilisation.
Alors même que Spencer serait plutôt adepte du « laisser-faire », de la non intervention de l'État (un de ses ouvrages, paru en 1850, porte le titre Le droit d'ignorer l'État) Galton va préconiser des mesures actives pour faciliter la marche de la sélection naturelle. Il inspirera ainsi longtemps et plus ou moins directement des politiques de stérilisation des malades mentaux, la pratique de la peine de mort pour les criminels, etc. L'eugénisme est également toujours considéré comme caution scientifique centrale dans les idéologies fascistes et nazies, même si déjà chez Spencer, les éléments sont présents pour élaborer des visions racistes conduisant à la hiérarchisation des races. Dès le 19e siècle, les travaux de Spencer sont utilisés pour démontrer les fondements biologiques du retard technologique et culturel de populations dites « sauvages », justifiant scientifiquement les politiques coloniales en leur donnant une caractéristique morale de civilisation, alors même qu'elles sont fondamentalement rendues nécessaires par la contraction des marchés locaux.
Cependant, l'eugénisme permet de franchir un pas supplémentaire en envisageant la suppression de masses d'individus jugés inaptes et donc en mesure potentiellement de retarder le progrès de la société. Alexis Carrel, en 1935, ira même jusqu'à préconiser, et même décrire avec force détails, la création d'établissements où se pratiquerait l'euthanasie généralisée.
Pour autant, il ne faudrait pas voir le darwinisme social que sous l'angle théorique et scientifique. Cette pensée s'inscrit d'abord dans un contexte historique qu'il convient d'apprécier et qu'elle tente d'accompagner et de justifier. L'influence de la période est fondamentale pour comprendre comment ce courant s'est développé, de même qu'il est important de retenir que si les réponses qu'il y apporte sont globalement fausses, les questions qu'il pose constituent toujours le cœur de la compréhension que l'homme doit avoir de son propre développement social.
Quand Darwin publie L’'origine des espèces, l'Angleterre est en pleine période victorienne, et la bourgeoisie européenne s'est installée au pouvoir, prête à conquérir le monde. La société fourmille d'exemples de « self-made men », des hommes partis de rien et qui, portés par l'essor industriel capitaliste, se retrouvèrent à la tête d'entreprises prospères. A l'époque, la classe dominante est toujours traversée de courants radicaux qui remettent en cause les privilèges héréditaires, qui constituent des freins aux nouvelles formes de développement offertes par le capitalisme. Spencer fréquente ce milieu des « dissidents », fortement ancré dans l'anti-socialisme. 4 Il ne voit dans la misère noire de la classe ouvrière anglaise, que les stigmates provisoires d'une société en adaptation et qui, sous l'effet de l'explosion démographique, finira par se réorganiser, constituant ainsi un facteur de progrès. Pour lui, le progrès est inévitable, puisque les hommes s'adapteront à l'évolution de la société, si tant est qu'on les en laisse libres.
Cette euphorie est à peu près partagée par l'ensemble de la bourgeoisie. S'y ajoute un fort sentiment d'appartenance à la nation qui achève sa construction et qui peut être renforcé par les événements guerriers comme en France suite à la défaite contre la Prusse. Le développement de la lutte de classe, qui accompagne le développement du capitalisme, pousse la bourgeoisie à développer une autre conception de la solidarité sociale, fondée sur des données qu'elle espère indéniables.
Tout ceci constitue le terreau d'une théorisation de l'ascendance capitaliste et de ses effets immédiats : la prolétarisation dans la sueur, la colonisation dans le sang, la concurrence dans la boue.
Il s'agit là du caractère fondamental du darwinisme social car du point de vue scientifique, il n'apporte aucune réponse correcte aux questions fondamentales qui traite.
Jamais la science, même parfois avec la meilleure des volontés, n'est parvenue à démontrer les hypothèses de base du "darwinisme social".
Déjà le nom de ce courant de pensée est incorrect : Darwin n'est pas le père de l'eugénisme, ni du libéralisme économique, ni de l'expansion coloniale, ni du racisme scientifique. Darwin n'est pas malthusien non plus. Bien plus encore, c'est lui qui, parmi les premiers, apporte la contradiction la plus développée aux théories de Spencer et de Galton.
Après avoir exposé sa vision du développement et de l'évolution des organismes dansL'origine des espèces , Darwin se penche, douze ans plus tard, sur les mécanismes à l'oeuvre au sein de sa propre espèce, l'homme. En publiant La filiation de l'homme en 1871, il va contredire tout ce que parallèlement, le darwinisme social est en train de construire. Pour Darwin, l'homme est bien le produit de l'évolution et se place donc bien au sein du processus de sélection naturelle. Mais chez l'homme, le processus de lutte pour la survie ne va pas passer par l'élimination des faibles : « Nous autres hommes civilisés, au contraire, faisons tout notre possible pour mettre un frein au processus de l'élimination ; nous construisons des asiles pour les idiots, les estropiés et les malades ; nous instituons des lois sur les pauvres ; et nos médecins déploient toute leur habileté pour conserver la vie de chacun jusqu'au dernier moment. Il y a tout lieu de croire que la vaccination a préservé des milliers d'individus qui, à cause d'une faible constitution, auraient autrefois succombé à la variole. Ainsi, les membres faibles des sociétés civilisées propagent leur nature. » 5
Ainsi, par le principe de l'évolution, l'homme s'extrait du mécanisme de la sélection naturelle en plaçant au-dessus de la lutte compétitive pour l'existence, tout ce qui contribue à favoriser le processus de civilisation, à savoir les qualités morales, l'éducation, la culture, la religion... ce que Darwin nomme les "instincts sociaux". De cette façon il remet en cause la vision de Spencer de la prépondérance de l'inné sur l'acquis, de la nature sur la culture. Par la civilisation, donc sur le plan social, la sélection naturelle n'agit plus comme au niveau des organismes. Elle est au contraire conduite à sélectionner des comportements sociaux qui s'opposent aux lois de la sélection naturelle. C'est ce quemet clairement en évidence Patrick Tort dans sa théorie sur "l'effet réversif de l'évolution" 6.
Alors que le "darwinisme social" ne voit dans l'évolution des sociétés humaines que le résultat d'une sélection des individus les plus aptes, Darwin au contraire y voit la reproduction croissante des instincts sociaux comme l'altruisme, la solidarité, la sympathie, etc. La première conception pose le capitalisme comme cadre le plus approprié au "progrès social" alors que la seconde démontre avec force que les lois économiques du capitalisme, basées sur la concurrence, interdisent à l'espèce humaine de développer pleinement ses instincts sociaux. C'est en éliminant cette dernière entrave historique, en abolissant le capitalisme, que l'humanité pourra construire une société où ces instincts sociaux prendront leur totale mesure et conduiront à leur tour la civilisation humaine à son accomplissement.
GD.
1Cet article emprunte des citations et des cheminements à plusieurs articles et textes, qu'il serait fastidieux de référencer systématiquement. Les voici donc dans le désordre :
Wikipedia (notamment les articles consacrés au darwinisme social, à Herbert Spencer et à Francis Galton)
Dictionnaire de Sociologie, Le Robert / Seuil, 1999 (article « darwinisme social »)
Brian Holmes, Herbert Spencer, « Perspectives » vol. XXIV, n° ¾, 1994
Patrick Tort, Darwin et le darwinisme, Que Sais-je ?, PUF.
Pierre-Henri Gouyon, Jacques Arnould, Jean-Pierre Henry, Les avatars du gène, la théorie néo-darwinienne de l'évolution, Belin, 1997 (partiellement disponible au téléchargement en anglais sur cette page [25]).
2 Dictionnaire du darwinisme et de l'évolution, PUF, pages 1008-1009.
3Dans « Anarchisme et socialisme ».
4« si fort que je haïsse la guerre, je hais tout autant le socialisme, sous toutes ses formes », cité par Duncan, « The Life and letters of Herbert Spencer », 1908.
5Charles Darwin, La filiation de l'homme, 1871.
6Lire notre article [26] sur le dernier livre de Patrick Tort : L'effet Darwin.
La montagne a accouché d’une souris! Voilà la teneur des commentaires de presse après les annonces des plans et des mesures d’austérité budgétaires pour 2010 pris par le gouvernement fédéral et les exécutifs régionaux durant le mois d’octobre. A écouter les communications gouvernementales, la prime d’assurance réclamée aux banques, la contribution d’Electrabel pour le maintien prolongé en activité de centrales nucléaires, combinées avec quelques coupes budgétaires dans la santé, l’enseignement, les transports publics et la radio-télévision publique, devraient permettre de combler un trou de 1,6 milliards d’euros dans le budget prévu. Quant au reste du déficit public, le gouvernement nous assure qu’il sera progressivement comblé dans les années à venir par les revenus découlant de la reprise de l’économie. A croire que les affres de crise économique mondiale ont largement épargné la Belgique!
Le recul de l’économie belge en 2009 est de 3%, le plus mauvais résultat depuis ... 1939! Et l’impact à long terme de l’actuelle récession sur celle-ci, tout comme sur l’ensemble des économies des pays industrialisés, est loin d’avoir montré tous ses effets : « Je crains que le pire est encore à venir » reconnaît le ministre-président flamand Peeters (De Morgen, 03.11.09). Par ailleurs, l’engagement financier de l’Etat pour maintenir à flot l’économie chancelante a été gigantesque. Pour combler le trou financier global de 25 milliards d’euros, on annonce pendant de nombreuses années une austérité pire que dans les années 1990. La confection des budgets n’a d’ailleurs pas été œuvre de dilettante, non pas parce que la bourgeoisie était confrontée au choix d’imposer ou non l’austérité – cette dernière est tout simplement incontournable du point de vue de la logique du capitalisme – mais parce qu’elle a planifié avec soin cette imposition. De fait, la bourgeoisie belge s’est longuement concertée sur les mesures, s’accordant entre gouvernements fédéral et communautaires pour les répartir et les rendre complémentaires, organisant une austérité croissante dans la durée, jusqu’en ... 2015!
C’est donc plutôt la gravité de la récession actuelle et l’impact inévitable qu’elle aura sur l’économie belge qui explique l’extrême circonspection du gouvernement. Tout d’abord, malgré l’effondrement des exportations et la crise financière, l’économie belge a dans un premier temps moins reculé que ses voisins et concurrents européens, grâce à la meilleure résistance de la consommation intérieure (dixit la Commission européenne, DM, 04.11.09). D’autre part, les secousses dans les secteurs des banques et des assurances sont loin d’être terminées (ING, KBC en Belgique, restructuration de RBS et Lloyds Banking Group en Angleterre, faillite de la banque DSB en Hollande et de CIT aux USA). Voilà des premières raisons pour ne pas secouer trop brutalement la consommation intérieure. Mais c’est surtout sur le plan social que l’incendie menace : après la solution provisoire du chômage technique, les entreprises en difficulté par l’effondrement du commerce mondial ont de plus en plus recours à des restructurations (Picanol, UCB, HP, Deroeck, Brussels Airport, Janssens Pharma, la SNCB, etc.). La bourgeoisie sait que l’impact de la récession sur l’augmentation du chômage commence à peine à se faire sentir, soit 200.000 nouveaux chômeurs d’après le bureau du Plan et la Banque Nationale (de 7% de la population active en 2008 à 10,3% en 2011), dont la majorité doit encore tomber dans les mois qui viennent.
S’attaquer aujourd’hui par des mesures gouvernementales directes et massives à la population risquerait sans doute d’accentuer la récession en faisant chuter la consommation intérieure. Par rapport à la classe ouvrière en particulier, qui serait bien évidemment la première touchée par de tels plans, il s’agirait d’une provocation malhabile, alors qu’elle est frappée de plein fouet par les restructurations et le chômage. C’est cette crainte de la classe ouvrière qui explique pourquoi la bourgeoisie met en avant en premier lieu des mesures indirectes, en les présentant de plus comme des mesures « justes », qui visent à faire payer « ceux qui ont provoqué la crise » (les banques) ou qui « bénéficient des temps de crise » (Electrabel qui exploitera au moins 10 ans de plus ses vieilles centrales nucléaires).
La reprise annoncée n’est due qu’aux injections financières des pouvoirs publics et à la reconstitution des stocks. Les travailleurs n’ont donc aucune illusion à se faire: dans le combat à mort pour produire à des prix concurrentiels afin d’être compétitif sur le marché mondial, la bourgeoisie est contrainte de mettre la pression sur le coût de la force de travail. Et si la bourgeoisie belge a jugé nécessaire de mener une telle concertation sur la manière de planifier et de maquiller ses mesures, ce n’est sûrement pas parce que leur impact sera insignifiant!
Les mesures indirectes n’agressent peut-être pas de front, mais vont de plus en plus lourdement peser sur les conditions de vie des salariés: ainsi, Electrabel et les banques tout comme les assurances (+10%) ont d’ores et déjà prévenu qu’elles comptaient facturer le prix de la contribution que l’Etat leur requiert aux ‘citoyens’, donc essentiellement aux salariés. Ce sont eux aussi qui subiront les inconvénients des restrictions dans l’assurance santé, l’enseignement et dans d’autres services publics. Déjà, le recours aux soupes populaires et aux bons alimentaires, les appels à l’aide auprès des CPAS s’accroissent, car plus de 15% de la population vit actuellement sous le seuil de pauvreté. Parmi les travailleurs, on relève la multiplication des dépressions, des cas de ‘burn out’.
Pendant ce temps, la détérioration des finances publiques belges continue à s’accentuer : selon la Commission européenne, le déficit des finances publiques se chiffrerait à 5,8% en 2010 et 2011 et la dette publique passerait de 85% en 2007 à 104% du PNB en 2011 (DM, 04.11.09).
De toute évidence, ces premières mesures ne sont donc que l’avant-garde, préparant le terrain pour des mesures plus radicales. L’austérité « sera plus dure que lors du Plan Global de Dehaene dans les années ’90; l’effort correspondait alors à moins de 1% du produit intérieur brut, alors que la nouvelle austérité comportera plus de 1% du PIB, et ceci dans un contexte moins favorable » (L. Coene, vice-gouverneur de la banque nationale, DM 29.09.09). Il s’agirait de plus de 3 milliards d’économies en 2011 et de plus encore de 2012 à 2015. L’accentuation progressive de l’austérité est donc clairement programmée et diverses idées de mise en pratique ont été lancées ces dernières semaines. Si, pour une part, elles constituent des provocations permettant de faire passer les mesures actuelles comme un « moindre mal », elle sont, pour une autre part, néanmoins révélatrices des pistes que la bourgeoisie prospecte pour le moment.
a) La diminution linéaire des salaires a été évoquée à plusieurs reprises: l’idée d’une diminution de 1% des salaires des enseignants a été lancée par le ministre flamand de l’enseignement. Une mesure identique pour l’ensemble des fonctionnaires belges a été suggérée par un ancien recteur de l’université de Louvain, Oosterlinck (DM, 28.09.09) ;
b) La réduction drastique du nombre de fonctionnaires constitue une autre piste prospectée. Plusieurs rapports récents ont pointé qu’avec 2% du Produit Intérieur Brut et 18,5% du nombre total des emplois nationaux, la Belgique est de loin « l’Etat le plus cher d’Europe » (DM 30.10.09) ;
c) La précarisation accélérée des emplois publics est déjà mise en pratique : ainsi la Poste veut remplacer un certain nombre de ses facteurs par des retraités ou des ménagères, engagés à temps partiel avec des contrats précaires.
d) Enfin, à côté de la restriction de certaines allocations, la suppression de la possibilité de retraite anticipée est de plus en plus ouvertement évoquée et recommandée par les « panels d’experts» de la bourgeoisie;
L’orientation vers la précarisation des emplois, la baisse des salaires et une remise en question générale des conditions et des régimes de retraite, est une tendance générale dans les pays d’Europe (cf. les plans pour le report de l’âge de la retraite aux Pays-Bas et en Allemagne). Cette dernière mesure en particulier constitue un choc pour une génération qui a accepté une augmentation de la flexibilité et des cadences dans la perspective d’une retraite dont elle pourra jouir. En témoigne dernièrement les protestations massives d’auditeurs d’une émission radiophonique discutant de la nécessité de supprimer les retraites anticipées !
Que la bourgeoisie s’est soigneusement préparée se vérifie donc à la manière dont les attaques sont planifiées et organisées en les saucissonnant entreprise par entreprise, secteur par secteur, région par région. Cela se vérifie aussi à la manière dont elle a positionné les syndicats, ses organisations de contrôle du terrain social. Leurs agissements constituent sans nul doute un obstacle majeur au développement de la riposte ouvrière.
Dès l’été, une campagne syndicale était lancée pour exiger que les banques paie un « impôt de crise » pour redresser les finances de l’Etat. En reprenant l’idée dans le budget 2010 sous la forme d’une prime d’assurance imposée aux banques, cela permettait à la bourgeoisie de faire d’une pierre deux coups: d’une part, elle accentue l’illusion que l’Etat est un arbitre au-dessus des groupes sociaux et que donc les travailleurs peuvent avoir confiance en lui. D’autre part, elle instille l’idée, qu’après les banques, tout le monde doit mettre du sien pour surmonter l’impact de la récession. Ces deux idées sont capitales pour renforcer le contrôle syndical quotidien sur le terrain social.
Lorsqu’un point de tension sociale apparaît, ceux-ci prennent une position radicale pour occuper le devant de la scène et éviter que la colère ouvrière ne s’exprime sous des formes qui mettraient en question le cadre de référence de la logique économique bourgeoise. Ensuite, ils amènent les travailleurs, pris dans la nasse de la logique de concertation, au « compromis indispensable ». L’exemple d’Opel Anvers est une tragique illustration de cette tactique : Quand GM est déclaré en faillite et qu’une restructuration drastique s’annonce pour Opel Europe, les syndicats prennent le devant de la lutte en déclarant vouloir lutter jusqu’au bout pour le maintien de l’usine. Leur action consiste en fait en du lobbying avec les patrons la région flamande et l’Etat fédéral auprès de GM et l’Etat allemand pour démontrer que l’usine anversoise est « au moins aussi performante que ses concurrentes allemandes », pour faire respecter les « règles de la concurrence européenne ». Ils n’hésitent pas à opposer la qualité de leur combat aux mouvements « incontrôlés » chez Ford l’année passée: « on est respectable et avec une vision à long terme », « en Belgique, on n’en est pas à séquestrer les patrons comme en France ». En réalité, ce combat « exemplaire » n’est qu’un enfermement dans une voie sans issue corporatiste: « Wir sind Opel ». Il n’est rien d’autre qu’un méprisable marchandage pour répartir équitablement les sacrifices, les victimes, les licenciements, tout en acceptant la logique de la rationalisation capitaliste ; il conduit à l’étouffement de la combativité et au découragement des travailleurs: pas étonnant que, lors de l’action internationale de solidarité avec Opel Anvers le 24 septembre, il y avait bien peu d’ouvriers d’Anvers!
Dans la situation présente, il est clair que le contexte pour développer la riposte est difficile. Face aux attaques, pour retrouver une identité de classe contre le battage sur la « solidarité de tous les citoyens face à la crise », les travailleurs doivent réagir. Et de fait, de multiples réactions s’expriment, confirmant le mécontentement réel et la volonté de faire face: à la Sonaca et la Poste, dans la sidérurgie et la métallurgie liégeoise, à la SNCB. A Charleroi, 10.000 ouvriers ont manifesté contre la crise. En même temps les travailleurs éprouvent de grandes difficultés à trouver une réponse adéquate à la situation, qui se base sur leur identité de classe, la solidarité et qui prenne en compte la dimension intersectorielle et internationale des problèmes. Ce n’est qu’en recherchant l’extension des luttes et en assurant leur prise en main par les assemblées générales que les travailleurs prendront conscience de leur force et qu’ils déjoueront de plus en plus les manœuvres syndicales, écartant ainsi que les frustrations et le découragement qui en découlent.
Jos / 05.11.09
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