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Internationalisme no.340

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1929-2008 Le capitalisme est un système en faillite. Mais un autre monde est possible: le communisme!

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Politiciens et économistes ne savent plus comment exprimer la gravité de la situation : "Au bord du gouffre", "Un Pearl Harbor économique", "Un tsunami qui approche", "Un 11-Septembre de la finance" [1] ... seule l'allusion au Titanic manque à l'appel !

Que se passe-t-il vraiment ? Face à la tempête économique qui se déchaîne, chacun se pose de nombreuses questions angoissantes. Vivons-nous un nouveau krach comme en 1929? Comment en est-on arrivé là? Que peut-on faire pour se défendre ? Et dans quelle sorte de monde vivons-nous?

Vers une brutale dégradation de nos conditions de vie

Il n'y a aucune illusion à se faire. A l'échelle de la planète, l'humanité va subir dans les mois à venir une effroyable dégradation de ses conditions de vie. Le Fonds Monétaire International (FMI) vient d'annoncer, dans son dernier rapport, que "cinquante pays" vont "d'ici début 2009" rejoindre la liste macabre des pays frappés par la famine. Parmi eux, de nombreux pays d'Afrique, d'Amérique latine, de la zone caraïbe et même d'Asie. En Éthiopie, par exemple, douze millions de personnes sont déjà officiellement en train de mourir de faim. En Inde et en Chine, ces prétendus nouveaux Eldorados capitalistes, des centaines de millions d'ouvriers vont être frappés par la plus noire des misères. Aux États-Unis et en Europe aussi, une grande partie de la population va plonger dans une misère intenable.

Tous les secteurs d'activité seront touchés. Dans les bureaux, les banques, les usines, les hôpitaux, dans les services de haute technologie comme l'électronique, dans l'automobile, le bâtiment ou la distribution, les licenciements vont se compter par millions. Le chômage va exploser ! Déjà, depuis début 2008 et uniquement aux États-Unis, presque un million de travailleurs ont été jetés à la rue. Et ce n'est qu'un début. Cette vague de licenciements signifie que se loger, se soigner et se nourrir va devenir de plus en plus difficile pour les familles ouvrières. Cela signifie aussi pour les jeunes d'aujourd'hui que ce monde capitaliste n'a plus d'avenir à leur offrir !

Ceux qui nous mentaient hier nous mentent aujourd'hui !

Cette perspective catastrophique, les dirigeants du monde capitaliste, les politiciens, les journalistes aux ordres de la classe dominante n'essaient même pas de la cacher. D'ailleurs, comment le pourraient-ils ? Les plus grandes banques du monde sont en état de faillite ; elles n'ont survécu que grâce aux centaines de milliards de dollars et d'euros injectés par les banques centrales, c'est-à-dire par les États. Pour les Bourses d'Amérique, d'Asie et d'Europe, c'est le plongeon sans fin : elles ont perdu 25 000 milliards de dollars depuis janvier 2008, soit l'équivalent de deux années de la production totale des États-Unis. Tout cela illustre la véritable panique qui s'est emparée de la classe dominante, partout dans le monde. Si aujourd'hui les Bourses s'effondrent, ce n'est pas seulement à cause de la situation catastrophique des banques, c'est aussi parce que les capitalistes s'attendent à une chute vertigineuse de leurs profits résultant d'un recul massif de l'activité économique, d'une explosion des faillites d'entreprise, d'une récession bien pire encore que toutes celles qu'on a connues au cours des quarante dernières années.

Les principaux dirigeants du monde, Bush, Merkel, Brown, Sarkozy, Hu Jintao enchaînent rencontres et "sommets" (G4, G7, G8, G16, G27, G40) pour tenter de limiter les dégâts, d'empêcher le pire. On planifie pour la mi-novembre un nouveau "sommet" destiné, d'après certains, à "refonder le capitalisme". L'agitation des dirigeants du monde n'a d'égale que celle des journalistes et des "experts" : télévisions, radios, journaux... la crise est omniprésente dans les médias.

Pourquoi un tel battage ?

En fait, si la bourgeoisie ne peut plus cacher l'état désastreux de son économie, elle tente en revanche de nous faire croire que, dans toute cette histoire, le système capitaliste n'est absolument pas à remettre en cause, qu'il s'agit simplement de lutter contre des "dérapages" et des "excès". C'est la faute aux spéculateurs ! C'est la faute à la cupidité des "patrons voyous ! C'est la faute aux paradis fiscaux ! C'est la faute au "libéralisme" !

Pour nous faire avaler cette fable, on a appelé à la rescousse tous les bonimenteurs professionnels. Les mêmes "spécialistes" qui hier encore affirmaient que l'économie était saine, que les banques étaient solides... se précipitent aujourd'hui sur les plateaux télé pour déverser leurs nouveaux gros mensonges. Les mêmes qui nous racontaient que le "libéralisme" était LA solution, que l'État devait se garder d'intervenir dans l'économie, appellent maintenant les gouvernements à intervenir encore plus.

Plus d'État et plus de "morale", et le capitalisme pourra repartir de plus belle ! Voilà le mensonge qu'on veut nous faire avaler !

Le capitalisme peut-il surmonter sa crise ?

En fait, la crise qui déferle aujourd'hui sur le capitalisme mondial ne date pas de l'été 2007, avec la crise de l'immobilier aux États-Unis. C'est depuis plus de 40 ans que les récessions se sont succédées les unes aux autres : 1967, 1974, 1981, 1991, 2001. Cela fait des décennies que le chômage est devenu une plaie permanente de la société, que les exploités subissent des attaques croissantes contre leurs conditions de vie. Pourquoi ?

Parce que le capitalisme est un système qui produit non pas en fonction des besoins humains mais pour le marché et le profit. Les besoins non satisfaits sont immenses mais ils ne sont pas solvables c'est-à-dire que la grande majorité de la population mondiale n'a pas de quoi acheter les marchandises produites. Si le capitalisme est en crise, si des centaines de millions d'êtres humains, bientôt des milliards, sont jetés dans une misère intenable et la famine, ce n'est pas parce que ce système ne produit pas assez mais parce qu'il produit plus de marchandises qu'il ne peut en vendre. Chaque fois, la bourgeoisie s'en sort temporairement par un recours massif au crédit et la création d'un marché artificiel. C'est pourquoi ces "relances" préparent toujours des lendemains plus douloureux puisque, au bout du compte, il faut bien rembourser tous ces crédits, faire face à toutes ces dettes. C'est exactement ce qui se passe aujourd'hui. Toute la "fabuleuse croissance" de ces dernières années était exclusivement basée sur l'endettement. L'économie mondiale a vécu à crédit et maintenant que vient le moment de rembourser, tout s'écroule comme un vulgaire château de cartes ! Les convulsions actuelles de l'économie capitaliste ne résultent pas d'une "mauvaise gestion" des dirigeants politiques, de la spéculation des "traders" ou du comportement irresponsable des banquiers. Tous ces personnages n'ont fait qu'appliquer les lois du capitalisme et ce sont justement ces lois qui conduisent le système à sa perte. C'est pour cela que les milliers de milliards injectés sur les marchés par tous les États et leurs banques centrales n'y changeront rien. Pire ! Ils vont rajouter de l'endettement à l'endettement, ce qui revient à vouloir éteindre un incendie avec de l'essence ! Par ces mesures désespérées et stériles, la bourgeoisie fait la preuve de son impuissance. Tous ses plans de sauvetage sont condamnés, tôt ou tard, à l'échec. Il n'y aura pas de relance véritable de l'économie capitaliste. Aucune politique, qu'elle soit de gauche ou de droite, ne pourra sauver le capitalisme car ce système est rongé par une maladie mortelle et incurable.

Au développement de la misère, opposons nos luttes et notre solidarité !

Partout, nous voyons fleurir des comparaisons avec le krach de 1929 et la Grande Dépression des années 1930. Les images de cette époque sont encore dans les mémoires : les interminables files d'attente de travailleurs au chômage, les pauvres faisant la queue pour obtenir simplement de quoi manger, les usines désespérément fermées... Mais la situation actuelle est-elle vraiment identique ? La réponse est clairement NON. Elle est en fait beaucoup plus grave, même si le capitalisme, instruit par son expérience, a réussi à s'éviter un effondrement brutal grâce à l'intervention des états et à une meilleure coordination internationale !

Mais il y a une autre différence encore. La terrible dépression des années 1930 avait débouché sur la Seconde Guerre mondiale. La crise actuelle va-t-elle déboucher sur une 3e guerre mondiale ? La fuite en avant dans la guerre est la seule réponse que la bourgeoisie soit capable d'apporter à la crise insurmontable du capitalisme. Et la seule force qui peut s'y opposer est son ennemi irréductible, la classe ouvrière mondiale. Celle des années 1930 avait subi une terrible défaite suite à l'isolement de la révolution de 1917 en Russie et elle s'était laissé embrigader dans le massacre impérialiste. Mais le prolétariat d'aujourd'hui a fait la preuve, depuis les grands combats commencés en 1968, qu'il n'était pas disposé à verser son sang une nouvelle fois pour ses exploiteurs. Depuis 40 ans, il a pu subir des défaites souvent douloureuses mais il est encore debout et partout dans le monde, surtout depuis 2003, il se bat de plus en plus. Le déchaînement de la crise du capitalisme va provoquer pour des centaines de millions de travailleurs, non seulement dans les pays sous-développés mais aussi dans les plus développés, de terribles souffrances, le chômage, la misère, voire la famine, mais il va provoquer aussi, nécessairement, des luttes de résistance de la part des exploités.

Ces luttes sont indispensables pour limiter les attaques économiques de la bourgeoisie, pour l'empêcher de plonger les exploités dans une misère absolue. Mais il est clair qu'elles ne pourront empêcher le capitalisme de s'enfoncer toujours plus dans sa crise. C'est pourquoi les luttes de résistance de la classe ouvrière répondent à une autre nécessité, bien plus importante encore. Elles permettent aux exploités de développer leur force collective, leur unité, leur solidarité, leur conscience en vue de la seule alternative qui puisse donner un avenir à l'humanité : le renversement du système capitaliste et son remplacement par une société fonctionnant sur des bases entièrement différentes. Une société non plus basée sur l'exploitation et le profit, sur la production pour un marché, mais basée sur la production pour les besoins humains ; une société dirigée par les travailleurs eux-mêmes et non par une minorité privilégiée : la société communiste.

Pendant huit décennies, tous les secteurs de la bourgeoisie, de droite comme de gauche, se sont entendus pour présenter comme "communistes" les régimes qui dominaient l'Europe de l'Est et la Chine et qui n'étaient qu'une forme particulièrement barbare de capitalisme d'État. Il fallait convaincre les exploités qu'il était vain de rêver à un autre monde, qu'il n'y avait d'autre horizon que le capitalisme. Aujourd'hui que le capitalisme fait la preuve de sa faillite historique, c'est la perspective de la société communiste qui doit animer de plus en plus les luttes du prolétariat.

Face aux attaques d'un capitalisme aux abois ; pour mettre fin à l'exploitation, à la misère, à la barbarie guerrière du capitalisme :

Vivent les luttes de la classe ouvrière mondiale !

Prolétaires de tous pays, unissez-vous !

Courant Communiste International / 25.10.2008

1. Respectivement : Paul Krugman (dernier prix Nobel d'économie), Warren Buffet (investisseur américain, surnommé «l'oracle d'Omaha» tellement l'opinion du milliardaire de la petite ville américaine du Nebraska est respectée par le monde financier), Jacques Attali (économiste et conseiller des présidents français Mitterrand et  Sarkozy) et Laurence Parisot (présidente de l'association des patrons français).

Vie du CCI: 

  • Interventions [1]

Belgique: Les coups de massue de la crise internationale

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La situation financière des ménages mise sous pression

La Belgique est l'un des pays où la crise actuelle se fait déjà cruellement ressentir. D'abord, l'inflation a explosé : la Belgique a réalisé de nouveaux records en Europe avec une inflation de 5,2% (contre 3,6% pour la zone euro) et une progression des prix alimentaires de 6,1% (De Morgen, 03.06.2008). Malgré les promesses optimistes que l'inflation est à présent sous contrôle, les prix des denrées alimentaires, des vêtements et d'autres biens vitaux continuent à augmenter (lire De Standaard, 01.11). La conséquence de ceci est une montée sensible du coût de la vie, un recul des salaires et des allocations, une croissance des dettes.

Ensuite, le pays a subi la tornade financière avec rien que chez Fortis plus de 500.000 petits porteurs qui ont vu leur argent fondre comme neige au soleil. En particulier chez Fortis, Dexia et Ethias, traditionnellement les institutions les plus populaires dans la mesure où ils ont absorbé les institutions publiques CGER, le Crédit Communal et la SMAB, ce sont surtout de petits épargnants qui ont écopé. Les institutions publiques ont déjà avancé 42,6 milliards d'euro rien qu'aux 4 plus grandes banques et assurances (Fortis, Dexia, KBC et Ethias), mais les épargnants ne sauront que plus tard ce qu'il subsistera de leur argent. Et n'oublions pas que ce soutien public n'est pas un cadeau : ce qui est avancé aujourd'hui devra être récupéré quelque part. Pire encore : ceux qui ont déposé leur épargne auprès de la banque islandaise Haupting voient leur argent bloqué et pour qui a acquis des produits avec garantie sur le capital auprès de la banque Lehman Brothers, la faillite a fait disparaître leur épargne en fumée, tout comme les 20.000 euros que le premier ministre Leterme avait placés à la Citybank. Par l'avalanche de faillites, les fonds de pension sont également sous forte pression. Cette année, les fonds de pension belge ont perdu en moyenne 15,5% (De Standaard, 01.11). Pour beaucoup de gens, cette perte combinée a signifié l'effondrement de leurs rêves, c'est l'espoir d'une retraite sans soucis qui est parti en fumée.

Enfin, 90.000 ménages n'arrivent plus à sortir de la spirale infernale de l'endettement et sont soumis à une médiation de dette ; des milliers d'autres sont sur les listes d'attente (Métro, 20.10). Les conséquences de la crise sur le marché du crédit et l'effondrement des valeurs hypothécaires aggraveront encore fortement la situation. 20% de la population peut déjà être considérée comme faisant partie des pauvres, 8% sont à situer dans l'extrême pauvreté. Près de 19% des enfants en Belgique vit dans une famille ayant des problèmes financiers. Un enfant sur sept vit dans une famille qui se situe en dessous du seuil de pauvreté. Quels chiffres révoltants !

Il est clair qu'en Belgique, toutes les générations sont touchées par l'uppercut de la crise financière mondiale actuelle : tous ceux qui ont essayé de mettre « quelque chose de côté » se retrouvent Gros-Jean comme devant et se voient confrontés avec la réalité implacable de la pire récession économique depuis les années 1930. Seuls les gens de quatre-vingt-dix et plus se remémorent encore une telle situation.

L'impact sur l'emploi

L'accélération et l'approfondissement de la crise ont des conséquences encore plus importantes pour l'emploi et les conditions de travail. A l'heure actuelle, il n'y a que 62% de la population active qui a du travail. Les investissements extérieurs ont reculé ces derrières années et cela a eu un impact sur le marché du travail. Si en 2006, la création d'emplois s'élevait à 10.000 unités, en 2007, cela n'en représentait plus que 7.800 (Métro, 23.10). Le chômage n'a pas augmenté jusqu'en 2008 mais il faut souligner que le type d'emplois créés représente un recul constant des conditions de vie et de travail de la classe ouvrière.

De nombreuses mesures ont été déguisées comme des solutions au problème du chômage et ont fait baisser fortement les chiffres officiels du chômage: le contrat d'embauche plein temps de durée illimitée cède de plus en plus la place à des emplois aléatoires, sous-payés et à temps partiel. Ils représenteraient aujourd'hui 30% des emplois. Dans les pays périphériques et du tiers-monde, ce phénomène prend de plus en plus la forme de travailleurs journaliers, sans contrats, salaire minimum ou sécurité sociale.

Aujourd'hui, même Frank Vanden Broucke, ministre flamand de l'emploi, reconnaît « que les chiffres du chômage ne continueront pas à baisser ». C'est un euphémisme pour dire : les perspectives pour 2009 annoncent une perte de 200 emplois par jour ! Des sources officielles attendent en effet 70.000 licenciements pour 2009. Fin octobre 2008, on relevait déjà le chiffre record de 6.953 faillites dont quelques entreprises importantes (+7,6% par rapport à 2007). En dix mois, 16.957 emplois se sont envolés en fumée, soit une augmentation de 25% par rapport à l'année précédente ! Rien que depuis août il y en a eu 5.290, ce qui a produit dans les médias des titres du genre ; « La vague de licenciements menace de devenir un tsunami » (De Morgen, 23.10). A côté des nombreux licenciements dans des entreprises importantes il y a aussi les pertes d'emplois dans les entreprises sous-traitantes. Et les contrats temporaires et intérimaires ont connu une chute record de plus de 8%, tandis que le recrutement de nouveaux employés est suspendu. Des licenciements dans le secteur bancaire sont inéluctables, on parle déjà de 15.000 suppressions d'emploi, mais ce n'est sans doute qu'un début. A cela s'ajoute une extension massive du chômage économique parmi les ouvriers, ce qui a justifié une dérogation à la norme légale qui fixe le maximum à 4 semaines de suite. Le phénomène s'est massivement développé en Belgique et ceci dans de nombreux cas sans compensation salariale.

Les conséquences sur les salaires et les conditions de travail 

L'approfondissement de la crise fait irrémédiablement sentir ses effets sur les salaires et les conditions de travail.

Le battage autour des primes de licenciements élevées pour les cadres dirigeants dans le secteur bancaire est révélateur. Ces sommes astronomiques provoquent de manière compréhensible la colère des travailleurs mais la bourgeoisie tente par ce battage de mobiliser les travailleurs derrière des propositions pour « mettre le holà à ces excès », elle tente d'exploiter l'occasion pour « déterminer une réglementation des délais et des conditions de préavis » (Pieter Timmerman de l'organisation patronale FEB), d'après l'exemple de l'Autriche, des Pays-Bas ou d'autres pays européens. « La réglementation sur les licenciements et l'ancienneté est la cause d'une mobilité limitée sur le marché du travail » répondent en écho les sociaux-chrétiens du CD&V et le syndicat chrétien CSC. La mobilité, la polyvalence et la flexibilité sont des prétextes pour justifier l'insécurité d'emploi et le recul des salaires et des conditions de travail.

Ces orientations se confirment pleinement dans la réalité, aussi bien dans le secteur public que dans le privé :

- Dans le secteur public, 5.000 emplois sont supprimés au niveau des fonctionnaires fédéraux ; au niveau régional et local, la nouvelle réglementation statutaire est loin d'être favorable aux employés : baisse des primes, flexibilité accrue, allongement de la semaine de travail, réduction des jours de congé. Et ces mesures ne tiennent pas encore compte des pertes de rentrées causées par la crise financière, en particulier chez Dexia et Ethias, dont les communes sont des actionnaires importants. Dès à présent, les communes wallonnes annoncent une perte de 90 millions d'euros (Métro, 24.10). Par ailleurs, le gouvernement fédéral compte transférer le paiement des retraites pour le personnel statutaire vers les pouvoirs régionaux et locaux, ce qui implique aussi que « chaque région ou commune pourrait revoir les réglementations concernant ces retraites » ;

- Dans le secteur privé, la pression sur les salaires est constante : divers exemples démontrent combien la bourgeoisie s'évertue à faire baisser significativement les salaires. Chez Carrefour, une épreuve de force se déroule avec le personnel car dans le nouvel hypermarché de Bruges, les salaires et normes de travail sont en baisse de 25 à 30%, tandis que les groupes les plus vulnérables et désespérés de chômeurs sont utilisés de manière cynique pour remettre en question l'ensemble des conditions salariales et de travail des travailleurs du groupe Carrefour et de tout le secteur de la distribution.

Chez IKEA aussi, les salaires sont attaqués et le système de bonus est remplacé par un système liant les primes aux frais et aux résultats de l'entreprise. De même, chez les entreprises énergétiques on oppose les ‘vieux' et les ‘nouveaux' employés au moyen de barèmes salariaux très différents. Et puis, il y a les secteurs du nettoyage et de l'alimentation où ce type d'opposition est déjà pleinement développé. Dans les hôpitaux ‘autonomisés' du CPAS d'Anvers, le nouveau personnel ne reçoit plus de chèque repas, d'assurance hospitalisation et il aura moins de jours de congé, à travers un engagement en sous-traitance.

Ces exemples ne sont encore que le sommet de l'iceberg.

 De nombreuses protestations, mais aussi beaucoup de doutes et de déceptions

Gouvernements, patronat et partis politiques de la gauche à la droite crient en cœur depuis septembre qu'il faut arrêter ce pillage. Ils proclament l'innocence du système capitaliste, diffusent une image fataliste et appellent au sens des responsabilités, à resserrer les rangs derrière ‘leurs' mesures qui présentent la note de la débâcle économique à la classe ouvrière. A court terme, il y a de la panique et de l'inquiétude : chacun songe à ses économies, ses traites, les frais de scolarité de ses enfants, son emploi, sa retraite à venir. Mais chacun dans son coin, on ne peut que ressentir un sentiment d'impuissance. Beaucoup se sentent coincés entre un patronat agressif et un syndicat conciliant qui ‘comprend le sérieux de la situation'.

Mais les mouvements de protestation face à une telle situation doivent forcément voir le jour.

Ainsi, il y a eu des mouvements de grève massivement suivis auprès du personnel communal d'Anvers avec des AG largement fréquentées et des discussions houleuses sur la manière de mener la lutte, avec des manifs spontanées. A La Louvière, Willebroek et Bruxelles, le personnel communal et du CPAS est descendu dans la rue. Les services privatisés d'éboueurs ont obtenu des succès dans le Centre et le Borinage, surtout grâce à la solidarité du personnel communal qui a refusé de prendre en charge des tâches impliquées (Solidair n°40). Egalement à Anvers, près de 1.000 employés des hôpitaux ‘autonomisés' du CPAS sont sortis dans la rue pour protester contre les attaques visant le personnel d'entretien. Dans l'entreprise textile Beaulieu ainsi que dans les entreprises énergétiques et les divers sièges de la chaîne IKEA il y a eu de nombreuses actions de grève dans pratiquement tous les sites. Pendant des semaines, il y avait dans tout le pays les actions du personnel des hypermarchés Carrefour contre les conditions salariales scandaleuses au nouvel hypermarché de Bruges.

Beaucoup de mouvements donc et ici ou là aussi des actions de solidarité, dont quelques grèves spontanées en Wallonie. Mais la résistance doit être plus forte et plus unie. Dans ce cadre, il est important de dénoncer les manœuvres syndicales qui freinent et détruisent la lutte. Les syndicats sont conscients du mécontentement au sein de la classe ouvrière et de la nécessité d'y apporter une réponse mais celle-ci ne vise qu'à assurer le contrôle sur ces mouvements, pas à les stimuler.

Il faut reprendre le fil de la dynamique enclenchée avant les vacances et qui est momentanément brisée. Ce qui avait commencé spontanément à la mi-janvier 2008 comme un conflit social local  pour ‘un euro de plus' s'est vite transformé en une véritable vague de grèves pour l'augmentation du pouvoir d'achat. Un lien y était établi entre les licenciements, l'attaque contre les conditions de travail et les atteintes au pouvoir d'achat.

Tous les travailleurs ont les mêmes intérêts à défendre face aux attaques contre les conditions de vie et de travail. Mais face à l'agression généralisée que nous subissons aujourd'hui, cette résistance est illusoire si nous restons divisés (lire l'encadré p.5: « comment répondre aux attaques? »).

KS & LAC / 15.11.2008

Situations territoriales: 

  • Situation économique en Belgique [2]

Comment répondre aux attaques?

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Pour voir comment répondre aux attaques, il est important d'observer d'abord des mouvements qui ont été capables de repousser de telles attaques. Certes, il faut être conscient qu'au sein du système capitaliste, chaque victoire est temporaire et ne restera valable qu'aussi longtemps que les travailleurs sont vigilants et réagissent lorsque le patronat remet en question les promesses faites. Celui-ci est mû par l'appât du profit et par le besoin d'exclure les concurrents et pour ce faire, il doit comprimer les dépenses sur le dos des travailleurs. Cela, c'est sa logique.

Notre logique est basée sur les expériences qui renforcent notre solidarité. Ainsi, la ‘victoire' (80€ net, payés en chèques-repas) des éboueurs du Centre et de Mons-Borinage n'a été possible que parce qu'ils ont pu compter sur la solidarité de travailleurs d'autres secteurs :  les travailleurs communaux ont refusé d'assumer des tâches des grévistes et la tentative de faire assumer la récolte des déchets par une entreprise privée a également échoué. Malgré la menace d'opérer une retenue de 50% sur le salaire des grévistes, il faut constater que le mouvement de grève a réussi grâce à la solidarité des autres travailleurs.

Il est étonnant de relever avec quelle rapidité patrons et syndicats peuvent arriver à un accord lorsque les travailleurs organisent leur lutte d'une telle manière: cela a également été le cas lors du dernier mouvement de grève en Grande-Bretagne. Lorsque les chauffeurs de camion de Shell ont refusé de forcer les piquets des postiers, que des chauffeurs d'autres entreprises leur ont emboîté le pas en refusant de forcer les piquets de Shell, que des employés communaux exprimaient lors d'assemblées générales leur solidarité avec la grève des enseignants du 24 avril, patrons et syndicats se sont tellement inquiétés de cette solidarité qu'ils ont conclu en toute hâte un accord.

La solidarité ne peut se faire via les syndicats

Comment expliquer que des succès peuvent être obtenus au moyen de grèves de solidarité spontanées et pas via les actions et grèves syndicales? C'est une question que se posent aujourd'hui de nombreux grévistes. Pourquoi les ‘actions de solidarité' des syndicats contre les conditions d'embauche pour le nouvel hypermarché de Bruges ne payent pas? Pour répondre à cette question, il faut examiner de quelle manière les syndicats ‘(dés)organisent la lutte': tout d'abord, ces organisations agissent au sein du cadre national et légal (des lois capitalistes); ils siègent dans les comités paritaires qui doivent veiller à la ‘position concurrentielle' de l'économie nationale (une fois de plus selon les normes capitalistes). Lorsque la pression de la base devient trop forte et que le mécontentement des militants ne peut plus être contenu dans ce cadre de cette gestion paritaire, ils organisent des ‘actions' qu'ils maintiennent soigneusement dans les limites de l'atelier ou du secteur. Ils argumentent toujours dans le sens de conditions ‘spécifiques' à l'entreprise en question qui n'auraient rien en commun avec ce qui se passe dans d'autres entreprises. C'est un mensonge! Les syndicats sont parfaitement conscients du ras-le-bol  au sein de la classe ouvrière et ils font tout pour garder la lutte sous contrôle. Les travailleurs en ont souvent conscience mais ont des difficultés à prendre en main la direction des luttes parce que les syndicats occupent le terrain social et avancent des actions pour canaliser la lutte et pour la désamorcer.

Les travailleurs ne peuvent développer leur force pour échapper à cette logique qu'en se réunissant avec d'autres travailleurs, qu'en s'unissant au-delà de toute division sectorielle ou syndicale afin de discuter de la meilleure manière de s'opposer aux attaques. Il faudra donc prendre en main les luttes et ne pas abandonner leur organisation à des ‘spécialistes', de sorte que tous les travailleurs puissent participer aux décisions sur la manière de développer le mouvement. Il est donc fondamental de s'unir avec d'autres travailleurs qui luttent contre les mêmes attaques dans d'autres entreprises ou secteurs industriels en envoyant des délégations massives vers d'autres assemblées, piquets ou manifs. C'est la seule façon de renforcer le mouvement et de faire avancer la lutte. La solidarité est notre oxygène!

Voilà la seule perspective qui peut nous permettre de défendre nos conditions de vie et de développer notre confiance pour remettre en question ce système capitaliste qui n'a rien d'autre à nous proposer que des crises économiques, des guerres et des catastrophes écologiques et certainement pas un futur digne. Seule la classe ouvrière en se basant sur ses propres forces peut  assurer un futur à l'humanité.

KS / 11.11.08

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en Belgique [3]

Crise du "néolibéralisme" ou crise du capitalisme?

  • 1986 lectures

Après avoir célébré la défaite du « communisme » lors de l'effondrement du bloc de l'Est au début des années 1990, la bourgeoisie, gauchistes en tête, célèbre aujourd'hui la défaite du libéralisme. « Place au capitalisme équitable ! », semble nous dire la classe dominante : le capitalisme pour la prospérité, l'intervention de l'État pour la justice sociale. Mensonge ! L'État n'a jamais été absent de l'économie, bien au contraire ! Son intervention massive aujourd'hui n'est que la manifestation de la panique de la bourgeoisie face à la débâcle de son système. Ce qui attend la classe ouvrière, c'est encore plus d'attaques et de misère, plus de chômage et de coupes dans les budgets sociaux, au nom de la crise du capitalisme, qu'aucun sauvetage, aussi massif soit-il, ne pourra sortir de sa spirale mortelle. Ce n'est pas en confiant son sort à l'État que le prolétariat pourra répondre aux assauts de la crise, mais bien en développant ses luttes de façon la plus large possible. Il n'est pas d'autre réponse à l'accélération de la crise et à la gravité de la situation mondiale.

Sarkozy proclame aujourd'hui que « le capitalisme doit se refondre sur des bases éthiques ». Madame Merkel insulte les spéculateurs. Zapatero pointe d'un doigt accusateur les "fondamentalistes du marché" qui prétendent que celui-ci se régule tout seul sans intervention de l'État. Tous nous disent que cette crise implique la mort du capitalisme « néolibéral » et que l'espoir aujourd'hui se tourne vers un « autre capitalisme », débarrassé des requins financiers et spéculateurs qui auraient poussé comme des champignons sous prétexte de « dérégulation », « d'inhibition de l'État », de primauté de l'intérêt privé sur « l'intérêt public », etc. À les entendre, ce n'est pas le capitalisme qui s'effondrerait, mais une forme particulière de capitalisme. Les groupes de la gauche du capital (staliniens, trotskistes, altermondialistes...) exultent en proclamant : « Les faits nous donnent raison. Les dérives néolibérales ont provoqué ces désastres ! » Ils proclament que la solution passe par « le socialisme », un socialisme qui consisterait en ce que l'État remette à leur place « les capitalistes » au bénéfice du « peuple » et des « petites gens ».

Ces explications sont-elles valables ? Un « autre capitalisme » est-il possible ? L'intervention bienfaitrice de l'État pourrait-elle porter remède au capitalisme en crise ? Nous allons tenter d'apporter des éléments de réponse à ces questions d'une actualité brûlante. Il faut cependant au préalable éclaircir une question fondamentale : le socialisme est-il l'État?

Socialisme = état ?

Le socialisme véritable défendu par le marxisme et les révolutionnaires tout au long de l'histoire du mouvement ouvrier n'a rien à voir avec l'État. Le socialisme est même la négation de l'État. L'édification d'une société socialiste exige en premier lieu la destruction de l'État dans tous les pays.

L'intervention de l'État pour réguler l'économie, pour la mettre au « service des citoyens », etc., n'a donc rien à voir avec le socialisme. L'État ne sera jamais « au service de tous les citoyens ». L'État est un organe de la classe dominante et est structuré, organisé et configuré pour défendre la, classe dominante et maintenir son système de production. L'État le « plus démocratique du monde » n'en sera pas moins un État au service de la bourgeoisie, qui défendra, bec et ongles, le système de production capitaliste. En outre, l'intervention spécifique de l'État sur le terrain économique n'a pas d'autre objectif que celui de préserver les intérêts généraux de la reproduction du capitalisme et de la classe capitaliste.

Tout au long du XXe siècle, avec l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, l'État a été son principal rempart face à l'exacerbation de ses contradictions sociales, guerrières et économiques. Les XXe et XXIe siècles se caractérisent par la tendance universelle au capitalisme d'État. Cette tendance existe dans tous les pays, quels que soient leurs régimes politiques. On trouve essentiellement deux voies de réalisation du capitalisme d'État :

L'étatisation plus ou moins complète de l'économie  (c'est celle qui existait en Russie et existe encore en Chine, à Cuba, en Corée du Nord...) ;

La combinaison entre la bureaucratie étatique et la grande bourgeoisie privée (comme aux États-Unis ou en Espagne, par exemple).

Dans les deux cas, c'est toujours l'État qui contrôle l'économie. Le premier affiche ouvertement sa propriété d'une grande partie des moyens de production et services. Le second intervient dans l'économie à travers une série de mécanismes indirects : impôts, fiscalité, achats aux entreprises , fixation des taux d'intérêt interbancaires, régulation des prix, normes de comptabilité, agences étatiques de concertation, d'inspection, d'investissements , etc.

Le « néolibéralisme » a-t-il échoué ?

Après une relative période de prospérité de 1945 à 1967, le capitalisme mondial est retombé dans des crises récurrentes, les épisodes convulsifs se sont succédés comme des séismes qui mettaient l'économie mondiale au bord de l'abîme.  Les différentes étapes de la crise qui se sont succédées tout au long des dernières quarante années sont le produit d'une surproduction chronique et de la concurrence exacerbée. Les États ont tenté de combattre ses effets en usant de palliatifs, le principal d'entre eux étant bien sûr l'endettement. Les États les plus forts ont aussi repoussé les conséquences les plus néfastes en "exportant" les pires effets sur les pays les plus faibles .

Il ne faut pas nous raconter d'histoires sur « l'initiative privée » qu'encouragerait le « néolibéralisme » : ses mécanismes ne sont pas nés spontanément du marché mais ont été le fruit et la conséquence d'une politique économique étatique dans le but de juguler l'inflation. Elle n'a fait que la reporter mais en payant le prix fort : par d'obscurs mécanismes financiers, les dettes se sont transformées en créances spéculatives à haut niveau d'intérêt, rapportant dans un premier temps de juteux bénéfices mais dont il fallait se débarrasser le plus tôt possible car, tôt ou tard, personne ne pourrait plus les payer...

... ou est-ce le capitalisme ?

La crise actuelle peut être assimilée à un gigantesque champ de mines. La première à exploser fut la crise des subprimes durant l'été 2007 et on aurait pu croire à première vue que les choses allaient rentrer dans l'ordre, moyennant le versement de quelques milliards. N'en avait-il pas toujours été ainsi ? Mais l'effondrement des institutions bancaires depuis fin décembre a été la nouvelle mine qui a fait exploser toutes ces illusions. L'été 2008 a été vertigineux avec une succession de faillites de banques aux États-Unis et en Grande- Bretagne. Nous en arrivons au mois d'octobre 2008 et une autre des illusions avec lesquelles les bourgeoisies comptaient apaiser nos préoccupations vient de partir en fumée : ils disaient que les problèmes étaient immenses aux États-Unis mais que l'économie européenne n'avait rien à craindre. Soit. Mais les mines commencent à présent à exploser aussi dans l'économie européenne en commençant par son État le plus puissant, l'Allemagne, qui contemple sans réagir l'effondrement de sa principale banque hypothécaire.

Le capitalisme s'en sortira-t-il « comme il s'en est toujours sorti » ?

Cet aphorisme est une fausse consolation. Les épisodes précédents de la crise avaient pu être « résolus » par les banques centrales en déboursant quelques milliards de dollars (une centaine lors de la crise des "Tigres" asiatiques en 1998). Les États ont aujourd'hui investi 3 000 milliards de dollars depuis un an et demi et ils ne voient toujours pas d'issue.

Par ailleurs, les pires effets de la crise avaient jusqu'ici été circonscrits à quelques pays (Sud-Est asiatique, Mexique et Argentine, Russie), alors qu'aujourd'hui l'épicentre où se concentrent les pires effets se trouve précisément dans les pays centraux : États-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne... et irradient forcément le reste du monde.

Ensuite, les épisodes précédents, en général et à l'exception de celui de la fin des années 1970, étaient de courte durée et il suffisait de 6 mois à un an pour apercevoir le « bout du tunnel ». Cela fait un an et demi que nous sommes dans cette crise et on n'aperçoit pas la moindre lueur. Au contraire, chaque jour, la crise est plus grave et la débâcle plus profonde !

Enfin, cette crise va laisser le système bancaire mondial très affaibli. Le mécanisme du crédit se retrouve paralysé à cause de la méfiance généralisée, personne ne sachant vraiment si les « actifs » présentés par les banques (et les entreprises) dans leurs bilans ne sont pas de l'esbroufe.  Le capitalisme d'État « libéral » ne peut fonctionner s'il n'a pas des banques fortes et solides, l'économie capitaliste s'est à présent tellement accrochée à la drogue de l'endettement que si le système du crédit s'avère incapable d'apporter un flux d'argent abondant, la production sera paralysée. Le robinet du crédit est fermé malgré les sommes énormes allouées aux banques centrales par les gouvernements. Personne ne voit clairement comment va pouvoir se rétablir un système percé de toutes parts et qui perd ces organes vitaux - les banques - les uns après les autres. La course folle entre les États européens pour voir lequel pouvait donner le plus de garanties aux dépôts bancaires est une sinistre augure qui ne révèle que la recherche désespérée de fonds. Cette surenchère de « garanties » révèle précisément que rien n'est garanti !

Les choses sont donc claires : le capitalisme connaît aujourd'hui sa crise économique la plus grave. L'histoire vient de s'accélérer brutalement. Après 40 années d'un développement de la crise lent et heurté, ce système est en train de plonger dans une récession épouvantable et extrêmement profonde dont il ne se relèvera pas indemne. Mais surtout, dès maintenant, les conditions de vie de milliards de personnes se trouvent durement et durablement affectées. Le chômage frappe de nombreux foyers, 600 000 en moins d'un an en Espagne, 180 000 au mois d'août 2008 aux États-Unis. L'inflation frappe les produits alimentaires de base et la famine ravage les pays les plus pauvres à une vitesse vertigineuse depuis un an. Les coupes salariales, les arrêts partiels de production avec les attaques qui en découlent, les risques qui pèsent sur les pensions de retraite... Il ne fait pas le moindre doute que cette crise va avoir des répercussions d'une brutalité inouïe.

Seule la lutte du prolétariat peut permettre à l'humanité de sortir de l'impasse

Le capitalisme ne va pas jeter l'éponge. Jamais une classe exploiteuse n'a reconnu la réalité de son échec et n'a cédé son pouvoir de son plein gré. Mais nous constatons qu'après plus de cent ans de catastrophes et de convulsions, toutes les politiques économiques avec lesquelles l'État capitaliste a tenté de résoudre ses problèmes non seulement ont échoué, mais elles ont en plus aggravé les problèmes. Nous n'avons rien à attendre des prétendues « nouvelles solutions » que va trouver le capitalisme pour « sortir de la crise ». Nous pouvons être certains qu'elles nous coûteront surtout toujours davantage de souffrances, de misère et nous devons nous préparer à connaître de nouvelles convulsions encore plus violentes.

C'est pourquoi il est utopique de se fier à ce qu'on nous présentera comme une « sortie » de la crise du capitalisme. Il n'y en a pas. Et c'est le système entier qui est incapable de masquer sa faillite. Être réaliste, c'est participer à ce que le prolétariat reprenne confiance en lui, reprenne confiance en la force que peut lui donner sa lutte comme classe et construise patiemment par ses luttes, par ses débats, par son effort d'auto-organisation, la force sociale qui lui permettra de s'ériger en alternative révolutionnaire face à la société actuelle afin de renverser ce système pourrissant.

CCI / 8.10.08

Questions théoriques: 

  • L'économie [4]

Rencontre et discussion avec le CCI: L'art peut-il changer le monde, peut-il exercer une influence sur des mouvements sociaux?

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Nous publions ci-dessous l'exposé à propos de l'art, qui avait été présenté par un contact de notre organisation durant la journée de rencontre et de discussion avec le CCI, en août 2008. La discussion qui a suivi était très vivante et riche. Nous invitons vivement nos lecteurs à donner des commentaires. Un compte-rendu de cette journée a été publié dans le numéro précédent d'Internationalisme (n° 339).

La définition habituelle de l'art ne désigne que les beaux-arts, c'est à dire, la réalisation d'une forme libérée de toute exigence. Comme l'artiste qui donne forme à des couleurs sur une toile en suivant sa propre vision, ou le musicien qui organise des sons dans des concerts selon ses sentiments, ou le poète qui enrichit la page de ses mots, au gré de sa fantaisie. La réalisation dans les beaux-arts exige du travail et recherche une valeur artistique, c'est donc une activité productive. Cette définition des beaux-arts n'existe que comme contrepoids d'un art vil, c'est-à-dire la production qui n'aurait qu'un objectif, la recherche du profit. On peut en effet dire que si l'homme est libéré de toute oppression, comme l'emploi salarié ou les besoins physiques, il poursuit une activité créative et amusante, tous ses produits deviennent des "beaux-arts". Mais cette liberté n'est pas admise par la bourgeoisie; en tant que classe dominante dans le capitalisme, elle impose son mode de production, et avec l'extension de la production de masse, la créativité humaine est de plus en plus réduite et isolée.

Cette introduction a été principalement limitée à l'étude de l'art dans le capitalisme, où son influence dans la société est, suite à la division inégale du travail, complètement différente que dans une société sans classe comme le communisme, dans laquelle toute production peut être artistique et humaine. Comme Trotski le dit dans Littérature et Révolution:

"Il est fondamentalement faux d'opposer la culture bourgeoise et l'art bourgeois à la culture prolétarienne, à l'art prolétarien. Ces derniers n'existeront en fait jamais, parce que le régime prolétarien est temporaire et transitoire. La signification historique et la grandeur morale de la révolution prolétarienne résident dans le fait que celle-ci pose les fondations d'une culture qui ne sera pas une culture de classe mais la première culture vraiment humaine." [https://www.marxistsfr.org/francais/trotsky/livres/litterature/litteratu... [5]

L'art et la société

Commençons par poser la question inversée et simplifiée: quelle est l'influence de la société sur l'art? Celle-ci est dominante et existera toujours, elle est une conséquence directe du fait que l'esthétique est fonction des rapports de production et du mode de production. Prenons l'exemple de l'architecture: la pyramide est une glorification du pharaon conquérant, et sa forme simple et monotone reflète le dégoût de son constructeur, l'esclave. Cette influence est si énorme que l'histoire de l'art n'est compréhensible qu'à la lumière de l'histoire des sociétés. Beaucoup de livres sont déjà dédiés à ce sujet, aussi bien dans la littérature prolétarienne que dans celle de la bourgeoisie.

Retournons maintenant le microscope et regardons l'influence, à première vue minuscule, que l'art peut avoir sur la société. Cette influence est en effet plus discrète et indirecte: le constat est évident, un objet d'art ne peut changer la structure d'une société, mais comment ce même objet peut-il influencer le spectateur, c'est un sujet plus compliqué. En tout cas, on peut déjà partiellement répondre à la question: dans une société où la création artistique n'est pas permise dans le mode de production, où elle est réduite à un rôle marginal, son influence est limitée à la conscience, elle ne peut en rien modifier les rapports de production ni le mode de production de la société. Il faut remarquer que cette influence est souvent sous-estimée; le questionnement contient ce préjugé: la question n'est pas comment l'art a de l'influence, mais si il peut en avoir.

La production sous le joug de la vile logique du profit mène naturellement à un travail gris et monotone, à des produits non créatifs. Il y a eu des tentatives dans l'histoire pour contrer cette division du travail, comme l'Arts and Crafts en Angleterre ou la Sécession en Autriche, toutes ont échoué. Le capitalisme a dû isoler sa production artistique parmi un nombre assez réduit de personnes, les artistes. Il serait naïf de penser que comme individus ou comme entité, ceux-ci pourraient changer directement la structure sociale du capitalisme; quelques artistes décident aussi de réduire leur activité à une sphère personnelle, leur capacité d'influencer le monde est donc minime, d'autres artistes décident d'exclure tout contenu social de leur travail (l'art pour l'art), d'autres encore sont persuadés que leurs performances ou objets ont une influence et s'engagent dans un but social; c'est ce dernier groupe qui s'associe aux mouvements sociaux et qui sera étudié ici.

L'art et les mouvements sociaux

L'objectif social d'une personne dépend évidemment beaucoup de sa position sociale, d'où la question, quelle est la position sociale de l'artiste? Les artistes qui vivent de la vente de leur production ont une position de petit-bourgeois dans la société, ils doivent concurrencer leurs confrères artistes pour améliorer leur position, et cette attitude asociale les rend incapables de défendre un intérêt commun en tant que groupe. La qualité de leur vie est dépendante de la qualité et de la quantité de leur production; ainsi ils doivent - avec ou sans envie - s'exploiter eux-mêmes. Par contre, ceci ne veut pas dire que leur production même a un caractère petit-bourgeois, ce serait une insulte à tous les artistes qui ont dénoncé virulemment l'injustice sociale, mais il est sûr que leur dépendance du marché a une influence sur la nature de leur production. Cette position sociale rend difficile la tâche de viser un but social commun, en effet, c'est un groupe hétérogène uni seulement par l'activité créative de ses membres: chaque individu, de sa propre manière donne une forme à ses émotions, expériences, environnements et espoirs. Il s'agit d'un réseau d'individus, chaotique, et c'est dans cette forme anarchique que l'art se développe le mieux. Chaque mode de vie, chaque forme de contrôle, comme le socialisme réel en ex-URSS ou la révolution culturelle de la Chine maoïste, l'ampute de son caractère libre et la condamne à mourir.

L'artiste engagé socialement ne peut avoir aucune influence sans spectateurs, et donc son influence est totalement liée à la situation sociale de la société. Cependant, les artistes n'attendent pas de bouleversements sociaux pour travailler sur certains sentiments ou certains événements. Comme minorité qui essaie d'influencer la conscience, les artistes ont des points communs avec les minorités politiques, qui analysent et interprètent des événements politiques, en espérant de cette façon renforcer la conscience politique. En fait leur influence est très similaire.

D'abord il y a les périodes de calme social, où l'influence de l'artiste (ou du révolutionnaire) ne se sent pas de manière directe et massive, mais plutôt à un niveau souterrain, dans la conscience de beaucoup de personnes isolées, elle est comme une petite rivière qui coule goutte à goutte dans la conscience et y fait son chemin. Dans les périodes de calme social, il n'y a pas de croissance quantitative importante de l'activité, et cela empêche un saut qualitatif. Jusqu'au moment soudain où, si d'autres conditions sont remplies, un effet multiplicateur fait éclater un mouvement social qui met l'art dans une relation intime avec le mouvement: les fondements sociaux établis sont remis en question et bousculés, les canaux endigués par la censure et les murs du musée sont dépassés, ils laissent passer de plus en plus de courants qui viennent alimenter la conscience. Ainsi surgit la créativité chez de plus en plus de personnes, la petite rivière gonfle et accélère, ce qui en soi tire encore plus de personnes dans son courant. Quantitativement l'activité artistique monte et tire le niveau qualitatif vers le haut.

Intimement impliqué dans ce mouvement social, l'art porte les traces de ce mouvement, cet art se donne alors pour fonction d'habiller le mouvement d'une image qui lui convienne: la musique psychédélique et sexuelle de The Doors plaisait aux hippies et les incitait à ne pas accepter la répression et à critiquer la guerre du Vietnam, un slogan de mai 68 spontané et direct comme la nouvelle génération, il devait ouvrir les yeux et impliquer les personnes immédiatement. Chaque artiste a de sa manière contribué à la prise de conscience en saisissant l'air du temps, en donnant aux émotions une forme appropriée qui encourage le mouvement. Cette interaction, présente lors des grands mouvements sociaux, touche les spectateurs aussi bien que l'artiste: les développements dans l'art ne sont pas par hasard les plus importants autour des mouvements sociaux massifs de 1905, 1917 et 1968. Une fois le caractère massif du mouvement social retombé, il laisse un esprit rafraîchi et passionné qui continue à faire vivre et développer chez chaque participant la créativité artistique; les périodes après 1905, 1917 et 1968 le confirment.

L'art et la politique

Ce processus est en effet très similaire au développement de la conscience politique, mais il y a une différence fondamentale, comme Trotski le dit:

"Le marxisme offre diverses possibilités : évaluer le développement de l'art nouveau, en suivre toutes les variations, encourager les courants progressistes au moyen de la critique ; on ne peut guère lui demander davantage. L'art doit se frayer sa propre route par lui-même. Ses méthodes ne sont pas celles du marxisme." [La Politique Du Parti en Art, www.marxist.org [6]]

Tandis que l'artiste représente une expression individuelle et artistique, le révolutionnaire défend le point de vue de la classe ouvrière. Les mouvements sociaux dans le capitalisme ont inévitablement une dimension politique, ainsi les mouvements sociaux mettent en contact ces deux minorités et il existe souvent une envie de mélanger l'art et la politique. On essaye souvent de présenter un message politique de façon artistique, ou de mettre son art au service de la révolution prolétarienne, comme par exemple chez Maïakovski, le Proletkult ou les Situationnistes. A mon avis, ce mélange affaiblit les efforts visant à influencer le mouvement social d'une manière positive, car par leur incompatibilité, leur démarche conduit à des compromis honteux. Combien de fois n'est-il pas arrivé qu'une belle oeuvre d'art soit gâchée par un discours politique, ou qu'un texte politique perde en clarté et en force de conviction parce qu'on y a cherché à tout prix un effet artistique.

Quelques exemples: 1) Gorter et d'autres écrivains politiques ont utilisé des effets artistiques dans leurs textes politiques, qui en ont perdu de la clarté et du pouvoir de persuasion. La beauté d'un texte politique - tels que ceux de Marx, Luxembourg et Pannekoek - a été atteinte précisément par la fidélité à leur conception: la formation d'une conscience politique tranchante et claire comme du cristal. 2) Le Guernica de Picasso essaye de résumer la misère du peuple Espagnol en 1936 dans une peinture. Si l'on compare ce tableau avec sa période bleue, la Guernica ne réussit pas à générer la même profondeur d'indignation ni à expliquer la situation politique. Toutefois, la période bleue peut politiser, il est difficile de ne pas être ému par la représentation géniale de la misère autour de lui et en lui. 3) Beaucoup de groupes de musique américains montrent leur mépris envers l'administration Bush pendant leurs tournées européennes, mais les arguments politiques pour ceci ne sont jamais formulés. Personnellement, je pense qu'il y a même des raisons commerciales qui se cachent derrière ce dégoût, car en Amérique ces sentiments ne sont généralement pas exprimés. La musique de Patti Smith est très inspiratrice et stimulante, mais son appel à voter pour Obama est un douloureux affaiblissement de ses textes. 4) A Anvers et à Bruxelles, des concerts pour la tolérance ont été organisés par de nombreux groupes, comme dEUS et Arno, mais je ne vois pas clairement comment cet unique concert, où chaque individu écoute de la musique sans discuter de la tolérance réelle avec d'autres, peut faire avancer la tolérance. Cela me semble plutôt être un coup de la bourgeoisie belge pour faire voter les jeunes pour des partis "tolérants" et "démocratiques".

Dans les milieux gauchistes, ces événements sont vus comme des moments tactiques, il pourrait se passer des choses. Trotski a pris la peine d'analyser dans son livre les grands mouvements artistiques présents pendant la Révolution russe; il montre page après page que tout courant qui essaye de contribuer à la révolution prolétarienne en introduisant un point de vue politique dans l'art, et pense parfois même inventer une sorte d'art prolétarien, affaiblit la valeur artistique de sa production ou échoue dans la défense de l'esprit de la révolution. Parce que la révolution prolétarienne est une révolution prin-cipalement économique et politique, l'art ne peut pas vraiment l'aider sur ce plan. Pour Trotski, l'anarchie propre à la création artistique doit être défendue par les révolutionnaires, et ceux-ci ne peuvent aider l'art qu'en lui offrant une analyse historique, de façon à ce qu'il puisse suivre "sa propre voie" de manière critique.

Il est étrange que les artistes doivent être mis en garde contre l'ingérence politique, qu'on doive protéger l'art d'une démarche politique, pour qu'il ne s'y perde pas. Mais c'est justement de cette manière là que l'art est vraiment libéré de sa longue imbrication dans des sociétés de classes. Dans une telle structure, l'art est toujours contraint de choisir le camp de la classe dominante, alors qu'en fait, l'art est finalement l'expression la plus intime et profonde de chaque individu.

23.08.08


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Liens
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