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II - Ce qu'est une véritable lutte ouvrière

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Dans sa presse, le CCI a constamment eu le souci d'opposer à la manoeuvre de la bourgeoisie et de ses syndicats les besoins réels de la classe ouvrière et les moyens qu'elle devait mettre en oeuvre pour pouvoir mener une véritable lutte contre l'ennemi de classe. Même si de tels objectifs n'étaient nullement réalisables face à la vaste offensive déployée par la bourgeoisie à l'échelle internationale en décembre 1995, il était primordial qu'une organisation révolutionnaire indique clairement à l'ensemble du prolétariat quelle était la véritable direction de la lutte ouvrière et comment s'armer pour les combats futurs que la classe aurait inévitablement à mener face aux attaques de la bourgeoisie. Pour cela, au lieu de mettre en avant des mots d'ordre abstraits, le CCI s'est appuyé sur le rappel d'un certain nombre d'expériences marquantes et fondamentales de luttes dans lesquelles le prolétariat avait démontré sa capacité d'imposer un rapport de forces à la bourgeoisie.

 

Ces expériences, telles que mai 68 ou la lutte de l'hiver 86/87 à la SNCF en France mais aussi le soulèvement prolétarien d'août 1980 en Pologne, font ressortir que la force de la lutte, sa capacité à s'élargir et à faire reculer la bourgeoisie sont étroitement liées à la faiblesse de l'encadrement syndical ou à la capacité de la classe ouvrière dans ses luttes de le remettre en cause et de se dégager de l'emprise syndicale. Elles démontrent que le prolétariat ne pourra développer sa lutte, déjouer les pièges de la bourgeoisie et prendre confiance en ses propres forces qu'en se confrontant aux syndicats.

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [1]

Les réelles leçons de décembre 95

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(...) Ce que montrent également les récentes grèves en France c'est que l'extension des luttes entre les mains des syndicats est une arme de la bourgeoisie. Et plus une telle extension prend de l'ampleur, plus la défaite qu'elle permet d'infliger aux ouvriers est étendue et profonde. Là aussi il est vital que les ouvriers apprennent à déceler les pièges de la bourgeoisie. A chaque fois que les syndicats appellent à l'extension, c'est soit qu'ils sont contraints de coller à un mouvement qui se développe, pour ne pas être débordés, soit pour entraîner dans la défaite un maximum d'ouvriers, alors que la dynamique de le lutte commence à s'inverser. C'est ce qu'ils avaient fait lors de la grève des cheminots en France début 1987 quand ils ont appelé à l'"extension" et au "durcissement" du mouvement, non pas lors de la montée de la lutte (à laquelle ils s'étaient ouvertement opposés), mais lors de son déclin, dans le but d'entraîner le plus possible de secteurs de la classe ouvrière derrière la défaite des cheminots.

 

Ces deux situations mettent en évidence la nécessité impérative pour les ouvriers de contrôler leur lutte, du début à la fin. Ce sont leurs assemblées générales souveraines qui doivent prendre en charge l'extension, afin que celle-ci ne tombe pas aux mains de syndicats. Evidemment, ceux-ci ne se laisseront pas faire, mais il faut imposer que la confrontation avec eux se déroule au grand jour, dans les assemblées générales souveraines, qui élisent des délégués révocables au lieu d'être de vulgaires rassemblements manipulés à leur guise par les syndicats comme ce fut le cas dans la présente vague de grèves.

 

Mais la prise en main de leur lutte par les ouvriers passe nécessairement par la centralisation de toutes leurs assemblées qui envoient leurs délégués à une assemblée centrale. A son tour elle élit un comité central de lutte. C'est cette assemblée qui garantit en permanence l'unité de la classe et qui permet une mise en oeuvre coordonnée des modalités de la lutte : si tel jour il est opportun ou non de faire grève, quels secteurs doivent faire grève, etc. C'est elle également qui doit décider de la reprise générale du travail, du repli en bon ordre lorsque le rapport de force immédiat le nécessite.

 

Ceci n'est pas une vue de l'esprit, ni une pure abstraction, ni un rêve. Un tel organe de lutte, le Soviet, les ouvriers russes l'on fait surgir dans les grèves de masse de 1905, puis en 1917 lors de la révolution. La centralisation de la lutte par le Soviet, c'est là une des leçons essentielles de ce premier mouvement révolutionnaire du siècle et que les ouvriers dans leurs luttes futures devront se réapproprier. Voici ce qu'en disait Trotsky dans son livre 1905 : "Qu'est ce que le Soviet ? Le conseil des députés ouvriers fut formé pour répondre à un besoin pratique suscité par les conjonctures d'alors : il fallait avoir une organisation jouissant d'une autorité indiscutable, libre de toute tradition, qui grouperait du premier coup les multitudes disséminées et dépourvues de liaison ; cette organisation (...) devait être capable d'initiative et se contrôler elle-même d une manière automatique : l'essentiel, enfin, c 'était de pouvoir la faire surgir dans les vingt quatre heures (...) pour avoir de l'autorité sur les masses, le lendemain même de sa formation, elle devait être instituée sur la base d une très large représentation. Quel principe devait-on adopter ? La réponse venait toute seule. Comme le seul lien qui existât entre les masses prolétaires, dépourvues d'organisation, était le processus de la production, il ne restait plus qu'à attribuer le droit de représentation aux entreprises et aux usines."[1].

 

Si le premier exemple d'une telle centralisation vivante d'un mouvement de la classe nous vient d'une période révolutionnaire, cela ne signifie pas que ce soit uniquement dans une telle période que la classe ouvrière puisse centraliser sa lutte. La grève de masse des ouvriers en Pologne en 1980, si elle n'a pas donné naissance à des soviets qui sont des organes de prise de pouvoir, nous en a néanmoins fourni une illustration magistrale. Rapidement, dès le début de la grève, les assemblées générales ont envoyé des délégués (en général deux par entreprise) à une assemblée centrale, le MKS, pour toute une région.

 

Cette assemblée se réunissait quotidiennement dans les locaux de l'entreprise phare de la lutte, les chantiers navals Lénine de Gdansk et les délégués venaient ensuite rendre compte de ses délibérations aux assemblées de base qui les avaient élus et qui prenaient position sur ces délibérations. Dans un pays où les luttes précédentes de la classe ouvrière avaient été impitoyablement noyées dans le sang, la force du mouvement avait paralysé le bras assassin du gouvernement l'obligeant à venir négocier avec le MKS dans ses locaux mêmes. Evidemment, si d'emblée les ouvriers de Pologne, en 1980, avaient réussi à se donner une telle forme d'organisation, c'est que les syndicats officiels étaient totalement discrédités puisqu'ils étaient ouvertement les flics de l'Etat stalinien (et c'est la constitution du syndicat "indépendant" Solinarnosc qui a seule permis l'écrasement sanglant des ouvriers en décembre 1981). C'est la meilleure preuve que non seulement les syndicats ne sont pas une organisation, même imparfaite, de la lutte ouvrière, mais qu'ils constituent, au contraire, tant qu'ils peuvent semer des illusions, le plus grand obstacle à une organisation véritable de cette lutte. Ce sont eux qui, par leur présence et leur action, entravent le mouvement spontané de la classe, né des nécessités de la lutte même, vers une auto-organisation.

 

Evidemment, du fait justement de tout le poids du syndicalisme dans les pays centraux du capitalisme, ce n'est pas d'emblée la forme des MKS, encore moins des soviets, qu'y prendront les prochaines luttes de la classe. Néanmoins, celle-ci doit leur servir de référence et de guide, et les ouvriers devront se battre pour que leurs assemblées générales soient réellement souveraines et se déterminent dans le sens de l'extension, du contrôle et de la centralisation du mouvement par elles mêmes.

 

En fait, les prochaines luttes de la classe ouvrière, et pour un certain temps encore, seront marquées par le sceau du recul, exploité par toutes sortes de manoeuvres de la bourgeoisie Face à cette situation difficile de la classe ouvrière, mais qui ne remet néanmoins pas en cause la perspective d'affrontements de classe décisifs entre bourgeoisie et prolétariat, l'intervention des révolutionnaires est irremplaçable. Afin qu'elle soit le plus efficace possible, et qu'elle ne favorise pas, sans le vouloir, les plans de la bourgeoisie, les révolutionnaires ne doivent pas laisser la moindre prise, dans leurs analyses et leurs mots d'ordre, à la pression idéologique ambiante et doivent être les premiers à déceler et dénoncer les manoeuvres de l'ennemi de classe.

Extraits de la "Revue Internationale" n°84


[1] Voir notre article "Révolution de 1905 : enseignements fondamentaux pour le prolétariat", dans la Revue internationale n° 43

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [1]

Comment lutter ?

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Les syndicats, depuis des décennies, ont fait la preuve qu'il n'y a rien à attendre d'eux sinon le sabotage des luttes ouvrières. A chaque fois que les ouvriers les ont suivis ou même quand ils ont simplement toléré leur présence, ils ont subi des défaites. Par contre, à chaque fois que les ouvriers ont réussi à imposer un rapport de force à la bourgeoisie, chaque fois qu'ils ont réussi à la faire reculer, c'est en menant des luttes importantes en dehors et contre les syndicats.

 

La lutte est l'affaire des ouvriers, pas des syndicats

 

Qu'on se souvienne du mouvement des ouvriers en Pologne, durant le mois d'août 1980, qui avait eu la force de faire céder l'Etat stalinien et de faire trembler la bourgeoisie mondiale non seulement du fait de sa puissance (le mouvement avait embrasé tout le pays en quelques jours) mais aussi parce qu'il n'a pas eu à faire face à l'obstacle syndical (les seuls syndicats qui existaient, les syndicats «officiels» qui se présentaient eux-mêmes comme les rouages de l'Etat, étaient trop discrédités). C'est justement la création et la mise en place de Solidarnosc (avec le soutien actif des bourgeoisies occidentales) qui a permis à l'Etat polonais de rétablir son contrôle sur la classe ouvrière en affaiblissant sa lutte pendant plus d'un an pour finalement livrer les ouvriers à la répression du gouvernement Jaruzelski (voir article page 8).

 

Aujourd'hui, encore une fois, c'est aux syndicats, c'est-à-dire à ceux qui ont réellement initié, organisé, dirigé le «mouvement» contre le plan Juppé et négocié la reprise dans les coulisses avec le gouvernement que la classe ouvrière doit sa défaite. Elle doit donc se débarrasser de ses illusions par rapport à ces organisations de l'Etat bourgeois qu'on ne cesse de lui présenter comme les seuls capables de les défendre, comme les «spécialistes» de la lutte. Les seuls et véritables spécialistes de la lutte ce sont les ouvriers eux-mêmes. La lutte doit donc être leur affaire et surtout pas celle des syndicats. Ce n'est pas à ces derniers de décider ni des moyens ni du moment de la lutte, c'est aux ouvriers de prendre eux-mêmes, tous ensemble, l'initiative de la démarrer et de l'arrêter. Quand ils remettent leur lutte entre les mains des syndicats, ils s'en laissent déposséder et ils la remettent en fait entre les mains de l'ennemi.

 

Comment lutter efficacement ?

 

Dans son combat contre les attaques capitalistes, la classe ouvrière ne peut et ne doit compter que sur ses propres forces, son unité, sa solidarité, sa conscience, son organisation dans la lutte.

 

Pour lutter efficacement :

 
  • les ouvriers ne doivent pas attendre les consignes syndicales pour engager la lutte. Dès le début, ils ne doivent pas hésiter à disputer le contrôle de la lutte aux syndicats. La preuve que les syndicats sont des ennemis de la classe ouvrière, c'est qu'à chaque fois que les ouvriers ont engagé spontanément une lutte, les syndicats les ont combattus, voire même dénoncés (comme, par exemple lors de la grève spontanée des la RAPT en décembre 85, et celle de la SNCF en 86). Le combat de la classe ouvrière passe nécessairement par un affrontement à ces forces d'encadrement capitalistes;
  • lorsque les ouvriers décident d'engager le combat, ils doivent immédiatement se donner comme perspective d'étendre la lutte sur une base géographique (et non corporatistes ou sectorielle) en envoyant des délégations massives aux différentes entreprises voisines. C'est uniquement en prenant eux-mêmes très rapidement cette décision qu'ils pourront empêcher les syndicats (ou leur base gauchistes) de leur couper l'herbe sous le pied en s'emparant du mot d'ordre d'»extension» pour mieux dénaturer et saboter cette nécessité de la lutte, comme ce fut le cas ces dernières semaines;
  • si les ouvriers en lutte ne parviennent pas à convaincre ceux des autres entreprises pour les entraîner dans le combat, il ne sert à rien de poursuivre la lutte, seuls, car l'isolement ne peut les mener qu'à la défaite. Mieux vaut arrêter la lutte et repartir un peu plus tard lorsque les conditions de l'extension seront plus mûres. En aucune façon, les ouvriers ne doivent utiliser les méthodes des syndicats consistant, comme ce fut le cas dans les grèves contre le plan Juppé, à faire le forcing en culpabilisant les non grévistes, voire en les dénonçant comme des ennemis, pour les obliger à suivre un mouvement (notamment une grève longue) dans lequel ils ne sont pas prêts à s'engager;
  • c'est en premier lieu dans la tenue et la participation de tous les ouvriers aux assemblées générales massives et SOUVERAINES qu'ils peuvent réellement maîtriser leur lutte, l'étendre, déjouer les manoeuvres de sabotage syndical, imposer leurs propres décisions dans la discussion la plus large possible. Aujourd'hui, les syndicats prétendent que les AG qu'ils ont organisées étaient réellement souveraines avec l'argument que les décisions (c'est-à-dire les leurs) étaient votées «démocratiquement» par les grévistes. Ce n'est certainement pas le vote des propositions syndicales qui fait le caractère souverain de ces AG. Pour être de véritables lieux de décision où s'exprime la vie réelle de la classe ouvrière, ces AG doivent être ouvertes à tous les ouvriers de toutes les entreprises, tous les secteurs, qu'ils soient salariés ou au chômage. Or, dans le mouvement contre le pan Juppé, les syndicats ont tout fait pour verrouiller ces AG en empêchant les ouvriers des autres secteurs et entreprises d'y participer (sauf lorsqu'il s'agissait d'envoyer des délégations de cheminots pour «étendre» la grève sous le contrôle des syndicats);
  • c'est dans les AG souveraines que les ouvriers peuvent prendre réellement leurs luttes en mains, la contrôler en élisant des délégués et des comités de grève responsables devant l'ensemble des travailleurs en lutte, et donc révocables à tout moment. C'est dans ces AG souveraines qu'ils doivent se donner des organes de centralisation de la lutte, comme ce fut le cas en Pologne en 80 avec les MKS. Quand la lutte se généralise, les ouvriers doivent se doter d'un comité central de grève, chargé de centraliser la lutte à l'échelle géographique. Cet organe de centralisation du mouvement doit être formé de délégués de toutes les entreprises, secteurs et régions. Cette centralisation est l'expression de l'unité de la classe ouvrière en lutte;
  • seule cette centralisation peut permettre aux ouvriers de réellement maîtriser, contrôler, diriger leur combat du début à la fin. Et lorsque les ouvriers décident d'arrêter le mouvement, cette décision ne peut être prise que de façon collective et centralisée afin d'éviter la reprise du travail dans la dispersion, l'éclatement, la division où chacun se retrouve du jour au lendemain, isolé dans son entreprise, son atelier, coupé des autres ouvriers avec lesquels il a mené le combat. Une telle situation ne peut être que source de démoralisation. C'est justement ce que recherchent aujourd'hui les syndicats lorsqu'ils font voter la reprise paquets par paquets dans la plus grande confusion afin de créer un clivage entre ceux qui veulent poursuivre la lutte et ceux qui veulent reprendre le travail;
  • lorsque les ouvriers décident collectivement d'arrêter le combat, ils doivent préserver leur unité de classe en de donnant les moyens d'éviter à tout prix l'isolement, l'atomisation. Ils doivent chercher à se regrouper sur les lieux de travail pour discuter ensemble des forces et des faiblesses de la lutte qu'ils viennent de mener. Pour pouvoir repartir au combat dans les meilleures conditions, ils doivent tirer les principaux enseignements non seulement de leur dernière expérience mais de toutes leurs luttes passées (notamment en formant des comités de lutte lorsque les conditions le permettent).
 
 
 
 
 
 
 

Pour développer ses luttes, opposer un front massif et uni à la bourgeoisie, la classe ouvrière ne peut compter que sur elle-même. Elle a les moyens de mener un tel combat. Mais pour cela, elle doit retrouver la confiance en ses propres forces. C'est cette force que la classe dominante et son Etat redoute pas dessus tout.

 

"Révolution Internationale" n°252 Janvier 1996

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [1]

SNCF décembre 86 : les ouvriers peuvent se battre sans les syndicats

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Aujourd'hui, les syndicats occupent massivement le terrain social et l'on assiste à un retour en force du syndicalisme dans les rangs ouvriers. Après s'être laissée manipuler par les syndicats en novembre-décembre 95, la classe ouvrière se retrouve désemparée, hésitante à reprendre le chemin de ses luttes, sans perspective claire, face aux attaques de la bourgeoisie.

 

Il y a juste 10 ans, à travers la lutte à la SNCF de l'hiver 1986, la classe ouvrière démontrait pleinement à l'inverse que les prolétaires n'avaient pas besoin des syndicats pour développer et étendre leurs luttes et qu'ils étaient capables de créer une dynamique de lutte et d'inquiéter la bourgeoisie en se dégageant de l'emprise syndicale.

 

Contrairement à la formidable publicité nationale et internationale dont a "bénéficié" novembre-décembre 95 pour piéger les ouvriers, la bourgeoisie fait tout pour étouffer la mémoire de cette lutte en la décriant comme une "grève purement corporatiste", afin d'en dénaturer le sens et la portée.

 

Les ouvriers prennent l'initiative de la lutte en dehors et contre les syndicats

 

Cette grève à la SNCF de la fin 1986 s'intégrait dans une vague de luttes et de mobilisation ouvrière en Europe occidentale, vague dans laquelle s'exprimait une forte volonté d'unité, comme par exemple chez les mineurs du Limbourg, en grève au printemps 1986, qui avaient envoyé des délégations massives vers d'autres secteurs de la classe ouvrière. Cependant, malgré cette pression, les syndicats étaient parvenus à organiser et à prendre la tête des manifestations massives, empêchant ainsi la jonction des luttes en Belgique entre secteur public et secteur privé.

 

La lutte à la SNCF en France, démarrait quant à elle dans la nuit du 18 au 19 décembre 1986, lorsqu'un groupe de conducteurs de trains de Paris-Gare du Nord cessait le travail hors de toute consigne syndicale contre à la "nouvelle grille de travail" et les suppressions d'emploi prévues par la direction. Avant même les négociations qui devaient avoir lieu le 6 janvier suivant, les ouvriers prenaient l'initiative et appelaient les autres cheminots à une assemblée générale. L'assemblée décidait immédiatement la grève, sans aucun préavis. Les grévistes bloquaient tout le trafic ferroviaire de Paris région-Nord et lançaient des appels aux roulants des autres zones à les rejoindre dans la lutte. Avec une rapidité foudroyante, 48 heures après le premier arrêt de travail, la grève des conducteurs était pratiquement générale, impliquant 98% des agents de conduite. Les rares trains qui circulaient étaient conduits par le personnel d'encadrement ou des élèves-conducteurs non qualifiés pour cette tâche et le mouvement s'étendait à la quasi-totalité des dépôts, sans qu'aucun syndicat n'ait appelé au moindre débrayage.

 

En plusieurs endroits, la grève entraînait derrière elle les autres catégories et les autres secteurs de la SNCF. Partout, le mouvement s'était étendu à l'initiative des seuls ouvriers. Partout s'affirmait la claire et manifeste volonté des grévistes de prendre en charge la lutte par eux-mêmes et de la conserver entre leurs mains, sans laisser les syndicats négocier à leur place. A large échelle, s'instaurait la pratique générale d'assemblées, de permanences, de regroupements où l'on discutait de la conduite, de la reconduction, de l'organisation de la grève, où l'on décidait ensemble des actions à mener. Non seulement le mouvement échappait au contrôle des syndicats mais il exprimait au grand jour l'accumulation d'une défiance profonde et massive vis-à-vis d'eux et de leur travail de sabotage des luttes ouvrières.

 

Les syndicats n'avaient pas organisé moins de 14 "journées d'action" en cours d'année dans ce secteur pour tenter d'épuiser les ouvriers. Les centrales syndicales dénonçaient tout d'abord la grève et tentaient de la saboter. En particulier, la CGT, minoritaire chez les agents de conduite mais majoritaire au niveau de l'ensemble du personnel SNCF, allait s'opposer ouvertement à la grève depuis les premières heures du conflit jusqu'au 21 décembre à 18 heures, à la veille de l'ouverture de négociations entre syndicats et direction. Dans certains dépôts de la région parisienne, elle appelait à la reprise du travail, dans d'autres (Paris-Austerlitz ou Miramas sur le réseau Sud-Est), elle allait jusqu'à organiser des "piquets de travail", face à un mouvement qui se situait non seulement en dehors des syndicats mais aussi contre eux. Pour la bourgeoisie, il devenait rapidement évident que les syndicats étaient totalement débordés, impuissants, en dehors du coup. Elle savait aussi qu'il existait un risque d'extension de la lutte ouvrière, tant dans la Fonction publique et les entreprises nationalisées que dans le secteur privé. Des signes de colère et d'une méfiance généralisée envers les syndicats s'étaient déjà manifestés à l'EDF, dans les PTT, à la RATP où d'autres "journées d'action" syndicales étaient programmées au cours des semaines suivantes et alors qu'un mouvement de marins, rejoints en solidarité par des ouvriers et des dockers, paralysait les ports du pays depuis près d'un mois.

 

La contre-offensive de la bourgeoisie et de ses syndicats

 

La bourgeoisie utilisait alors son principal atout : jouer sur la période des fêtes de fin d'année qui s'ouvrait pour prévenir ce risque d'extension du conflit, notamment dans le secteur public, et pour asphyxier et isoler la lutte des cheminots. Pour cela, il lui fallait favoriser la réintégration des syndicats dans le mouvement. La CGT et les autres syndicats cessaient de s'opposer à la grève, donnant désormais ordre à leurs troupes de rattraper le mouvement, se faisant notamment les champions de l'élargissement de la lutte aux autres catégories de personnel de la SNCF où elle disposait d'une plus grande influence. Les négociations s'ouvraient dès le lendemain entre une direction et des syndicats seuls reconnus habilités à représenter les grévistes. Au cours de celles-ci, l'intransigeance affichée par la direction permettait aux syndicats de se radicaliser en se présentant à nouveau comme des "défenseurs des ouvriers" et solidaires d'eux. Mais cela ne pouvait suffire. Et c'est justement parce que les syndicats étaient totalement débordés que la bourgeoisie n'avait pas d'autre choix, pour combler le vide laissé par ses organes traditionnels d'encadrement des luttes ouvrières, que de recourir à des structures para-syndicales et «syndicalistes de base», animées par des gauchistes : les fameuses "coordinations" (l'une plus particulièrement dirigées par les trotskistes de LO, l'autre par ceux de la LCR). Ces «coordinations» ont alors accompli exactement le même sale boulot que les syndicats en enfermant les cheminots dans le piège du corporatisme et en constituant un service d'ordre musclé pour filtrer et interdire l'accès des AG aux «éléments extérieurs à la SNCF». C'est ainsi par exemple que des postiers venus apporter leur solidarité ont été vidés manu militari de l'AG par les «coordinations» pour la simple raison qu'ils n'étaient pas cheminots.

 

Parallèlement, un mouvement de grève engagé dans le métro se durcit et commence à gagner les dépôts de bus de la RATP : le trafic se retrouve quasiment bloqué à la veille de Noël. La CGT et la CFDT étaient contraintes de s'y joindre, sous peine de perdre tout crédit. Mais dans les heures qui suivent, les syndicats, chacun tirant de son côté, parviennent à faire cesser la grève à la RATP en présentant l'ouverture immédiate de négociations dans cette entreprise comme un succès et en faisant de vagues promesses sur la "défense" de certaines revendications spécifiques. Cela a pour effet de démoraliser nombre d'ouvriers et de casser la dynamique d'extension de la lutte. Malgré la détermination apparemment intacte des grévistes à la SNCF, la réapparition progressive des syndicalistes au premier rang accompagne un repli sur une "solidarité" purement corporatiste, un enfermement dans la SNCF et des "actions" de blocage de voies ferrées. Dès qu'ils ont pu remettre le pied à l'étrier, les syndicats ont organisé le sabotage de la lutte et l'ont entraînée vers la défaite la plus cuisante, pleinement épaulés par le travail des "coordinations". C'est après que toute la bourgeoisie se soit bien assurée que les ouvriers de la SNCF étaient enfermés dans le piège du corporatisme et de l'isolement, que leur combativité ait été épuisée dans un conflit long et jusqu'au-boutiste par les "coordinations", autant d'ingrédients ayant fait pourrir la grève sur pied, que les syndicats ont organisé, début 1987, une pseudo-extension de la lutte dans les autres secteurs, en particulier dans le service public. Cette contre-offensive avait pour objectif essentiel d'amplifier et d'élargir la défaite des ouvriers sous la houlette syndicale. La bourgeoisie cherche à persuader les prolétaires qu'ils n'ont pas d'autre alternative aujourd'hui que de lutter derrière les syndicats. L'expérience de 1986 illustre tout le travail de sabotage des syndicats contre la dynamique des luttes ouvrières. Mais elle démontre surtout que les ouvriers ont les moyens d'étendre la lutte et de la prendre en mains en dehors des structures syndicales. La classe ouvrière doit se réapproprier cette expérience pour reprendre confiance en ses propres forces et retrouver sans hésiter le chemin de ses combats de classe.

"Révolution Internationale" n°264 Janvier 1997

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [1]

Récent et en cours: 

  • SNCF [2]

MAI 68 : Un véritable combat de la classe ouvrière ouvrant une perspective pour le prolétariat mondial

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Lors des grèves de décembre contre le plan Juppé, toute la bourgeoisie et ses médias ont orchestré un gigantesque battage idéologique visant à faire croire que, grâce aux syndicats, la classe ouvrière était en train de développer un combat comparable à celui qu'elle avait mené en mai 68. Une telle campagne, basée sur une falsification éhontée de l'histoire, n'avait qu'un seul but : dénaturer la signification et la dynamique du mouvement de mai 68 pour attaquer la conscience et la mémoire du prolétariat. En faisant une comparaison entre mai 68 et le mouvement contre te plan Juppé, il s'agissait pour la bourgeoisie d'inoculer le mensonge suivant lequel les syndicats auraient été à l'initiative du formidable mouvement de mai 68. Le but de la manoeuvre visait ainsi à mystifier les ouvriers afin de les pousser à s'engager dans un combat prématuré, téléguidé de bout en bout par les forces d'encadrement capitaliste.

 

Face à une telle campagne mensongère, l'article que nous republions ci-dessous rappelle ce que fut réellement Mai 68 : au delà de sa signification historique pour le prolétariat mondial, ce mouvement a révélé la véritable nature de classe des syndicats : des organes de l'Etat capitaliste dont la seule fonction consiste à saboter la reprise des combats ouvriers.

 

 

 

Après avoir massacré physiquement la classe ouvrière pendant les années 20 à la suite de la vague révolutionnaire du premier après-guerre, après l'avoir démoralisée et complètement déboussolée au nom de la "défense de la patrie socialiste russe" et de "l'anti-fascisme" dans les années 30, après l'avoir précipitée dans les charniers de la seconde Guerre mondiale, la bourgeoisie confondait l'épuisement du prolétariat avec son asservissement. Ivre de la "prospérité" de l'après-guerre fondée sur des millions de cadavres, elle se croyait devenue immortelle et se moquait ouvertement de la classe porteuse du communisme et de sa conception du monde, le marxisme.

 

Dans cette illusion, elle était confortée par les écrits de l'intelligentsia universitaire, les "autorités" en matière de pensée "révolutionnaire", les Castoriadis, les Marcuse et leurs héritiers, petits fils de la canaillerie stalinienne qui, forts de leur prestige, prononcèrent le requiem du marxisme, pour le plus grand plaisir de leurs maîtres. Ces intelligences avaient "découvert" que désormais le capitalisme pouvait se développer sans crise. Pour elles, le prolétariat avait été "récupéré", intégré au système, il s'était "embourgeoisé". Dans le même cercueil, elles rangèrent la lutte de classe et la nature révolutionnaire du prolétariat. Car tel est le rêve illusoire de la bourgeoisie.

 

Mai 68 : la fin des mystifications sur la disparition du prolétariat.

 

Le mouvement de Mai 68 allait sonner le glas de ces illusions. Le repas de funérailles n'était pas encore desservi que le défunt, bien vivant, mettait fin au banquet. Et de quelle façon ! Pour son premier réveil après plusieurs décennies de torpeur, le prolétariat mondial allait mener en France la plus grande grève de son histoire : 9 millions d'ouvriers, la presque totalité de la classe ouvrière du pays, bloquant la production pendant près d'un mois. Pour la première fois de l'histoire, le vieux mythe du syndicalisme révolutionnaire du début du siècle, la "grève générale", semblait prendre corps. Comment en étions-nous arrivés là ?

 

Nous ne pouvons évidemment pas, dans le cadre de cet article, faire un historique, même résumé, de ces événements[1]. Nous nous contenterons d'indiquer quelques uns des faits les plus importants permettant aux lecteurs qui ne les ont pas vécus de s'en faire une idée. Même si la grève de mai 68 a surpris presque tout le monde et notamment la plupart de ses protagonistes, on ne peut dire qu'elle a éclaté comme un éclair dans un ciel bleu. En fait, depuis plus d'un an, il s'était développé en France toute une série de conflits sociaux, tels que grèves, occupations, manifestations, heurts avec la police (Dassault-Bordeaux début 67 ; Renault-Le Mans, Rhodia, Berliet-Venissieux en automne 67, Caen, Fougères, Quimper, Redon, début 68) qui révélaient un profond mécontentement ouvrier. Mais l'événement qui agit comme détonateur en mai 68, c'est la répression qui s'abat au début du mois sur les étudiants. Parmi ces derniers, l'agitation s'était développée à partir de fin mars, notamment à l'université de Nanterre. Le 2 mai, cette université est occupée par les CRS et fermée. En protestation quelques centaines d'étudiants occupent la cour de la Sorbonne le lendemain : ils en sont chassés par les CRS qui procèdent à des arrestations. Le mot d'ordre : "Libérez nos camarades" mobilise des dizaines de milliers d'entre eux toute la semaine suivante jusqu'aux barricades du 10 mai qui donnent lieu à une répression policière sauvage. Face à la colère qui s'empare de la grande majorité de la population et particulièrement de la classe ouvrière, les centrales syndicales appellent à des manifestations pour le 13 mai. Malgré la libération précipitée des détenus, ces manifestations revêtent une ampleur sans précédent : presque 1 million de personnes à Paris.

 

Ainsi, une agitation étudiante, dans l'ensemble moins importante que celle qui s'est déroulée auparavant dans beaucoup d'autres pays a abouti, par la grâce d'une série de maladresses d'un gouvernement dépassé par la situation, et d'une répression aussi brutale que stupide, à la mobilisation de millions d'ouvriers. Mais l'incompétence et la surprise des autorités n'expliquent pas tout. Derrière cette énorme mobilisation se trouve un mécontentement beaucoup plus profond qui ne tarde pas à s'exprimer.

 

Dès le lendemain, la grève est déclenchée spontanément à Sud-Aviation Nantes, puis à Renault-Cléon. Le 16 mai, c'est au tour de Renault-Billancourt, l'usine phare de la classe ouvrière, d'entrer dans la lutte, ce qui constitue un signal attendu par des millions d'ouvriers pour se lancer.

 

Prise au dépourvu par cette grève qui s'étend comme une traînée de poudre dans tout le pays, la CGT lance le même jour un "appel à la lutte". Comme on le dit alors : "elle prend le train en marche". Les autres centrales l'imitent. Toutes n'ont plus qu'une préoccupation : reprendre le contrôle d'un mouvement qui s'est déclenché indépendamment, quand ce n'était pas contre, leur volonté. Elles s'y emploient avec ardeur notamment en prenant en charge systématiquement les occupations des usines qui, derrière les piquets syndicaux, deviennent de véritables prisons pour les ouvriers. Pour les syndicats et le PCF, il s'agit, au nom de la "protection de l'outil de travail" contre "les provocateurs" qui auraient "infiltré" les étudiants, d'éviter que les groupes "gauchistes" (maoïstes et trotskistes) dont ils craignent la concurrence, et surtout les révolutionnaires, ne viennent "contaminer" les ouvriers. Il s'agit surtout de diviser, d'isoler les différents secteurs de la classe ouvrière, chacun dans son coin, pour empêcher celle-ci de se constituer eh une force unie qui représenterait un danger bien plus important pour la bourgeoisie et serait bien plus difficile à vaincre par cette dernière.

 

Ces manoeuvres ne suffisent pas à empêcher l'extension du mouvement -laquelle se poursuit jusqu'à la fin du mois- ni le déroulement, souvent dans les facultés occupées, de nombreuses discussions impliquant des dizaines de milliers d'ouvriers et abordant toutes sortes de sujets intéressant la classe ouvrière : le rôle des syndicats, les conseils ouvriers, la révolution, comment lutter aujourd'hui etc..

 

Avec un certain retard sur le PCF et les syndicats, les autres secteurs de l'appareil politique bourgeois reprennent leurs esprits. Le 24 mai, le gouvernement, en même temps qu'il provoque une nouvelle fois les étudiants en expulsant Cohn-Bendit, le leader des étudiants de Nanterre, propose l'ouverture de négociations réclamées à cor et à cris par les syndicats. Les 25 et 26 mai, tous les dirigeants des centrales syndicales et des organisations patronales élaborent, sous la présidence de Pompidou, premier ministre, les accords dits de "Grenelle" destinés à brader la grève ouvrière. Ces accords, s'ils comportent une augmentation de 35% du salaire minimum (ce qui ne concerne que 7% de la classe ouvrière) ne proposent que 10% d'augmentation ce qui équivaut, compte tenu d'une perte moyenne de 4% du salaire due à la grève et aux hausses de prix qui s'annoncent, une élévation du pouvoir d'achat bien moindre que celle des années précédentes (qui déjà n'étaient pas fameuses).

 

Les ouvriers ressentent ces accords comme une gifle. Venu les présenter à Renault-Billancourt le matin du 27 mai, Séguy, secrétaire général de la CGT, se fait abondamment siffler. Il ne réussit à sauver sa mise qu'en se désolidarisant d'un texte qu'il a élaboré pendant deux jours avec ses comparses du patronat et du gouvernement et alors qu'il a déclaré aux journalistes quelques heures auparavant : "La reprise ne saurait tarder". Pour ne pas perdre le contrôle de la situation, la CGT reprend à son compte le mot d'ordre : "Le combat continue ! " pendant que d'autres forces bourgeoises "de gauche" viennent compléter son travail de sabotage. C'est ainsi que le même jour se tient au stade Charléty, à Paris, un grand rassemblement destiné à récupérer derrière une "alternative de gauche" les ouvriers écoeurés par les manoeuvres de la CGT. On y retrouve côte à côte la CFDT (syndicat proche du parti socialiste mais qui, durant les grèves s'est donné des airs de "radicalisme" vis-à-vis de la CGT), les groupes gauchistes (maos, trotskistes et anarchistes), Cohn-Bendit (rentré illégalement en France) et Mendès-France (ancien Président du Conseil). La CGT n'est pas en reste : le 29 elle organise une grande manifestation à Paris où elle fait acclamer le slogan "Gouvernement populaire".

 

Le 30 mai c'est aux autorités officielles de repasser à l'offensive. De Gaulle fait un discours où il annonce la dissolution de l'assemblée nationale et la tenue d'élections fin juin. En même temps ses troupes sont rameutées et participent à une grande manifestation sur les Champs Elysées. Le gouvernement appelle à ouvrir des négociations branche par branche. Les syndicats et en particulier la CGT se précipitent sur cette opportunité permettant de faire reprendre les secteurs (tel EDF-GDF) où les propositions patronales vont au delà des accords de Grenelle. Ils renforcent cette pression en faveur de la reprise par toutes sortes de manoeuvres comme la falsification des votes, les mensonges sur de prétendues "reprises", l'intimidation au nom de la lutte contre les "provocateurs gauchistes". Un de leurs grands arguments est qu'il faut reprendre le travail afin que les élections, sensées "compléter la victoire ouvrière", puissent se dérouler normalement. "L'Humanité" titre : "Forts de leur victoire, des millions de grévistes reprennent le travail". Malgré cela, de nombreuses poches de résistance se maintiennent, comme à Renault-Flins, Peugeot-Sochaux, où la répression fait plusieurs morts, ainsi qu'à Citroën-Javel, où le travail ne reprend qu'après le 1er tour des élections le 23 juin.

 

Finalement, la formidable grève de mai-juin 68 devait aboutir à une défaite pour la classe ouvrière. Mais ce fut une expérience incomparable où des millions d'ouvriers ont été confrontés aux problèmes qui se posent à leur classe, où en particulier ils ont dû affronter le sabotage des syndicats (de nombreuses cartes syndicales furent déchirées en juin 68). Mais surtout, Mai 68, par son ampleur, révélait qu'il ne s'agissait pas d'une simple péripétie "française" de l'agitation estudiantine des années 60, la révolte contre la "société de consommation" ou la "société du spectacle". C'était bien une nouvelle période qui s'ouvrait dans l'histoire du prolétariat mondial.

 

La reprise historique du prolétariat mondial

 

Cette nouvelle période, seuls pouvaient en prévoir et reconnaître la venue ceux, les révolutionnaires marxistes, qui savaient que le capitalisme décadent est totalement incapable de surmonter ses contradictions économiques. C'est ainsi qu'en janvier 68, nos camarades d"'Internacionalismo" au Venezuela (groupe précurseur du CCI) pouvaient écrire dans le n°9 de leur revue :

 
  • "L'année 67 nous a laissé la chute de la Livre Sterling et 68 nous apporte les mesures de Johnson (...) voici que se dévoile la décomposition du système capitaliste, qui, durant quelques années, était restée cachée derrière l'ivresse du "progrès" qui avait succédé à la seconde guerre mondiale."
 

Sur cette base, nos camarades saluaient l'année 68 car elle devait se signaler par un surgissement mondial des luttes ouvrières stimulées par l'aggravation de la crise.

 

Pour sa part, évidemment, l'intelligentsia tentait encore de pérorer. En particulier, en s'appuyant sur le rôle de détonateur joué par l'agitation des étudiants et sur le succès du verbiage révolutionnaire en leur sein, elle surévaluait complètement leur rôle dans les événements de mai afin de rabaisser celui de la classe ouvrière. Ainsi, Castoriadis éructait péniblement : "Il est de première importance de dire bien haut et avec calme qu'en Mai 68, le prolétariat n'était pas l'avant-garde révolutionnaire de la société, qu'il n'était que l'arrière-garde muette ".

 

L'insistance avec laquelle cet idéologue patenté s'efforce d'appeler la bourgeoisie à garder son calme est touchante : le prolétariat n'existait pas puisque lui-même l'avait enterré !

 

La bourgeoisie ne manquait pourtant pas de raisons pour s'affoler. Car la vague de luttes qui commença en France en mai 1968 allait secouer le monde jusqu'en 1974 : d'Italie en Argentine (1969), d'Espagne en Pologne ( 1971 ) en passant par la Belgique et la Grande-Bretagne (1972), en Scandinavie et en Allemagne, la classe ouvrière allait démontrer dans la réalité sociale cette vérité que permet de prévoir la vision marxiste et qui avait tant fait rire la bourgeoisie : "Mai 68 est la première riposte importante de la classe ouvrière à un processus de crise aiguë du système capitaliste dont l'approfondissement inévitable verra se radicaliser les luttes prolétariennes jusqu'à déboucher sur la Révolution mondiale." (Révolution Internationale Ancienne série, n° 3, p. 48).

 

Le marxisme avait permis de prévoir l'inévitable crise économique qui allait permettre de poser la question de la destruction du système capitaliste.

 

Il avait aussi permis de prévoir le retour fracassant du prolétariat sur la scène de l'histoire, pour mener à bien cette destruction et construire la société communiste.

 

Mais alors que ceux qui l'avaient enterré parlaient de révolution en mai 68 -dans le but de souligner son échec et par là rendre illusoire et utopique l'idée-même de révolution-, le marxisme ne permettait pas cette impatience : si le prolétariat s'était affirmé à nouveau après cinquante années de contre-révolution, il n'avait cependant pas atteint, ni en France en 68, ni mondialement, la maturité nécessaire pour s'imposer à la bourgeoisie et lui livrer les combats décisifs qui décideront du destin de l'humanité : socialisme ou barbarie généralisée.

 

La révolution sera nécessairement l'oeuvre consciente de l'immense majorité des travailleurs et cette conscience ne peut se forger qu'à travers une longue série de luttes de plus en plus radicales, répondant à une dégradation de plus en plus profonde des conditions d'existence de la classe ouvrière (...)

 

La méthode marxiste est vivante, ses fossoyeurs sont mal en point. C'est elle qui a permis aux révolutionnaires de ne pas céder aux chants de sirène des visions modernistes, c'est elle qui leur a permis de comprendre et d'intervenir dans les luttes du prolétariat. Par le cadre international et historique qu'elle exige, elle seule peut permettre aux révolutionnaires de participer concrètement, théoriquement, à l'achèvement de ce processus réenclenché en 68 par la classe ouvrière, et rendre ainsi possible le triomphe de la Révolution mondiale.

 

"Révolution Internationale" n°254 Mars 1996

 

 

[1] Nous recommandons tout particulièrement à nos lecteurs le livre de Pierre Hempel : "Mai 68 et la question de la révolution"

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [1]

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Mai 1968 [3]

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Liens
[1] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france [2] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/sncf [3] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/mai-1968