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Revue Internationale no 21 - 2e trimestre 1980

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Révolution ou guerre.

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Dans le précédent numéro de la "Revue Internationale", nous soulignions l'importance de la décennie qui s'ouvrait et que nous appelions "Les années de vérité". Nous mettions notamment en avant le pas qualitatif que la bourgeoisie était en train d'accomplir dans ses préparatifs vers une nouvelle guerre mondiale :

"D'une certaine façon, les années 70 furent des années d'illusion. Face à la crise qui se développait, la bourgeoisie s'est cramponnée pendant des années à l'espoir qu'il y avait des solutions  Aujourd'hui, la bourgeoisie déchante. De façon sourde mais lancinante, elle découvre qu'il n'y a pas de solution à la crise... Réalisant qu'elle est dans une impasse, il ne lui reste plus que la fuite en avant. Et, pour elle, la fuite en avant, c'est la marche vers la guerre...

Aujourd'hui, avec le constat de la faillite totale de son économie, la bourgeoisie est en train de prendre une conscience plus claire de la situation et agit en conséquence. D'une part, elle renforce encore ses armements... Mais, elle n'agit pas seulement sur le terrain des armements, elle a également entrepris de créer une psychose de guerre afin de préparer l'opinion à ses projets de plus en plus bellicistes".

("Années 80, les années de vérité")

A la suite du battage provoqué autour de la prise d'otages de Téhéran, nous mettions en particulier en évidence l'intensification de la campagne idéologique du bloc occidental et notamment des USA :

"Si un des objectifs des USA dans la crise actuelle est le renforcement de son bloc sur le plan de la cohésion internationale, un autre objectif bien plus important encore réside dans la mise en place d'une psychose de guerre... Depuis longtemps, on n'avait vu se développer un tel torrent d'hystérie guerrière... Auprès d'une population rationnellement peu favorable d l'idée d'une intervention extérieure,... qui, depuis la guerre du Vietnam était échaudée de ce genre d'aventure, les agissements "barbares" de la "République islamique" sont un thème excellent pour les campagnes bellicistes de la bourgeoisie américaine. Si Khomeiny a trouvé dans le Shah un épouvantail efficace pour ressouder l'unité nationale menacée, Carter, qu'il ait voulu délibérément la crise actuelle en laissant entrer le Shah comme il semblerait, ou qu'il l'ait seulement utilisé, a trouvé

C'est en ce sens qu'on ne peut considérer cette intervention comme une simple opération de politique intérieure de l'URSS, uniquement destinée, comme l'ont prétendu certains, à remettre de l'ordre au sein de son bloc ou même au sein de ses frontières face aux désordres provoqués par l'agitation islamique. L'enjeu réel est bien plus important et motivait le prix à payer d'une résistance meurtrière de la part des guérilleros afghans. En réalité, la "pacification des rebelles féodaux" était surtout un prétexte permettant à l'URSS d'améliorer une position militaire et stratégique qui n'avait cessé de se dégrader ces dernières années : profitant de la décomposition de la situation politique en Iran qui, en d'autres temps, avait reçu du bloc US la "mission" de faire le gendarme dans la région, l'URSS a pris le risque d'une crise internationale grave afin de transformer l'Afghanistan en base militaire. C'est pour cela que le battage fait par le bloc occidental, et en premier lieu les USA autour de l'Afghanistan, n'est pas comme c'est le cas pour celui organisé autour des otages de Téhéran, du simple "vent-. Même s'il fait partie, lui aussi, de la campagne idéologique qui avait déjà débuté auparavant, il recouvre une réelle préoccupation du bloc US face à l'avancée russe et traduit donc une réelle aggravation des tensions inter-impérialistes, un pas de plus vers une nouvelle guerre mondiale.

LA CAMPAGNE BELLICISTE DES USA ET DU BLOC OCCIDENTAL

Cependant, malgré la gravité pour le bloc US de l’installation massive des troupes russes en Afghanistan, celui-ci n'a pu rien faire pour l'empêcher. Aujour­d'hui, il essaye de compenser et d'utiliser ce recul partiel de sa puissance par une intensification étourdissante de la campagne belliciste afin que, lorsque ce sera nécessaire, il puisse envoyer ses corps expéditionnaires sans craindre les remous intérieurs. Les décisions officielles de Carter de constituer une force d'intervention de 110 000 hommes et de recenser les jeunes en vue d'une éventuelle mobilisation -décisions prises au moment où la campagne était à son paroxysme- sont une expression claire de cette politique de la bourgeoisie. De fait, l'enchaînement des évènements d'Iran et d'Afghanistan permet de faire la constation suivante : tout s'est passé comme si les USA prévoyant l'intervention russe en Afghanistan (les satellites d'observation et les "experts" servent à quelque chose !) avaient sciemment provoqué la prise d'otages de Téhéran en laissant entrer le Shah alors qu'ils avaient été prévenus des réactions que cela pouvait provoquer. Cela leur permettait de laisser pourrir un peu plus la situation en Iran afin d'isoler les éléments extrémistes et d'obliger les "modérés" à reprendre les choses en main en faveur du bloc US (la tournure "antirusse" des évènements étant une garantie par l'intervention de l'URSS contre un pays "frère" en islam). C'est à cela que Bani Sadr s'emploie aujourd'hui.

Mais de plus, les évènements d'Iran permettaient de mettre sur les rails une campagne en deux temps :

-    d'abord, on "chauffe" l'hystérie guerrière au nom de la défense de citoyens américains menacés ou de la riposte aux "affronts" infligés à l'honneur de la nation";

-    ensuite, au moment où l'URSS entre en action, on relance de plus belle une campagne qui commençait à s'essouffler en désignant cette fois le véritable 'ennemi" : l'URSS (la bourgeoisie US n'avait que faire d'un Khomeiny sinon de l'utiliser comme épouvantail pour la mise en branle de sa campagne).

Même s'il faut se garder d'un trop grand machiavélisme me dans l'analyse des situations politiques, la bourgeoisie étant toujours à la merci d'éléments impondérables, même si l'ensemble de l'opération n'a pas été planifiée avec autant de précisions, il est important de mettre en évidence l'ampleur de la campagne idéologique actuelle qui n'a nullement été improvisée et qui était en préparation depuis plusieurs mois, notamment depuis la "découverte" soudaine et tapageuse à la mi-79 de troupes russes à Cuba qui s'y trouvaient depuis... des années.

Et tout montre que les bourgeoisies des USA et de son bloc ne sont pas prêtes à abandonner cette campagne, qu'elles sont décidées à utiliser au maximum la situation actuelle pour développer la plus grande emprise idéologique possible sur les populations afin de s'assurer de la précieuse "solidarité nationale" nécessaire à toutes les guerres.

C’est ainsi que l'embargo sur les céréales et le boycott des Jeux Olympiques ont une fonction non pas (ou très peu) de pression directe sur l'URSS (qui a acheté ailleurs ce qui lui manquait et qui peut se passer des Jeux Olympiques) mais bien d'entretien de la tension belliciste et de mobilisation  des esprits au sein du bloc US. Même si le rôle des révolutionnaires n'est pas de , faire un choix entre les blocs impérialistes, même s'il ne leur appartient pas, comme l'ont fait à une époque Bordiga et ses fidèles, de juger "plus dangereux" l'un que l'autre et "d'estimer préférable la défaite du plus fort" (sic !), il leur revient par contre de dénoncer les mensonges et les dangers des campagnes idéologiques de la bourgeoisie et d'insister plus particulièrement sur les thèmes les plus mystificateurs comme ils l'ont fait notamment entre les deux guerres à propos de l'"anti-fascisme".

Aujourd'hui un des chevaux de bataille du bloc US est sa prétendue "faiblesse" militaire face à une URSS de plus en plus "armée, agressive". En réalité, la "supériorité" militaire du bloc russe est un pur mensonge destiné à la propagande : le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), dont les travaux font autorité et qu'on ne peut soupçonner de sympathies pro-russes, parle à ce sujet dans son rapport pour 1979, "d'exercice de propagande particulièrement réussi" de la part des médias des pays occidentaux. C'est vrai que, ces dernières années, les dépenses d'armements de l'URSS et de son bloc n'ont cessé d'augmenter : en 1958, celles de la Russie représentaient 20,3% des dépenses mondiales, en 1978 : 25,5%. Mais, même à cette dernière date, elles étaient encore (très faiblement) inférieures à celles des USA : 25,6%. Par contre, les dépenses totales de l'OTAN représentaient n 1978 42,8% des dépenses mondiales contre 28,6% pour le Pacte de Varsovie soit la moitié plus (chiffres du SIPRI).

Bien que significatives, ces données doivent être complétées par les faits suivants :

1.          Elles ne rendent pas compte de l'accumulation d'armements au cours de la période précédente bien plus considérable pour l'OTAN que pour le Pacte de Varsovie (en 1968, les dépenses de l'OTAN représentent 56,2% du total mondial contre 25,3% pour celles du Pacte de Varsovie).

2.          Elles ne concernent que les deux alliances militaires officielles et excluent donc des pays comme la Chine (laquelle à elle seule dépense 10,5% du total mondial) qui appartiennent sans conteste au bloc américain, alors que le seul pays important du bloc russe à n'être pas affilié au Pacte de Varsovie est le Vietnam.

3.  Elles ne disent rien de la qualité des armements eux-mêmes ni de leur nombre ; or, l'énorme retard technologique de l'URSS sur les USA fait que ses armes sont beaucoup moins perfectionnées, efficaces et fiables, qu'elles coûtent à qualité égale beaucoup plus cher pour être fabriquées et qu'elles demandent à 'puissance égale un nombre bien plus grand d'hommes dans leur mise en œuvre. C'est ainsi que :

- pour un nombre de missiles (terrestres et sous-marins) moins élevé (1700 contre 2400), les USA peuvent lancer entre 2 et 3 fois plus de têtes nucléaires (7700 contre 3100) que l'URSS (une fusée américaine peut emporter jusqu'à 14 charges atomiques) ;

-                  les 415 bombardiers "stratégiques" américains peuvent larguer 5400 bombes atomiques alors que les 180 bombardiers russes ne peuvent en larguer que 1900 ;

-                  sur les 12000 ogives nucléaires américaines, 10400 sont sur support mobile (sous-marins et avions) donc pratiquement invulnérables, alors que sur les 5000 ogives russes moins de 3000 sont dans le même cas ;

-                  pour servir ces arsenaux nucléaires il faut 75000 militaires américains contre presque 400000 militaires russes alors que, contrairement à la légende, l'OTAN a toujours eu plus d'hommes sous les armes que le Pacte de Varsovie, même si l'URSS a plus de soldats que les USA.

Cette énorme supériorité du bloc américain se retrouve également dans le domaine des armements classiques : est-ce un hasard si, avec des armes américaines, Israël a toujours gagné ses guerres contre les pays arabes armés par l'URSS, si, en 1973, ce pays a stoppé au bout de 10 km les 2000 chars syriens lancés sur Haiffa, ces mêmes chars qui équipent le Pacte de Varsovie et dont on agite tellement "la menace contre l'Europe occidentale" ? Ou bien faut-il croire que Jehova est plus fort qu'Allah ?

En réalité, l'écrasante supériorité militaire du camp occidental n'est nullement d'origine mystérieuse. Comme le signalait déjà Engels, la supériorité militaire traduit toujours la supériorité économique. Et celle du bloc de l'Ouest est également écrasante. Qu'on en juge :

- Total pour 1978 des PNB des pays du Pacte de Varsovie : 1 365 milliards de dollars ;

- Total pour les pays de l'Alliance Atlantique : 4 265 milliards de dollars.

Et si on inclut le PNB des autres pays importants (plus de 20 milliards de dollars) du bloc de l'Ouest, on arrive à 6 200 milliards de dollars, alors que le bloc de l'Est se résume au Pacte de Varsovie (faut-il compter les 8,9 milliards de dollars du PNB du Vietnam ou les 3,6 de celui de l'Ethiopie ?).

Encore une donnée : parmi les douze pays économiquement les plus puissants du monde, il n'y en a que deux du bloc de l'Est : l'URSS (3ème rang) et la Pologne (12ème rang) alors que tous les autres sont entièrement intégrés dans le bloc de l'Ouest

Et c'est bien à cause de cette énorme faiblesse économique que l'URSS apparaît comme la puissance "agressive" dans la plupart des conflits locaux. Comme ce fut le cas de l'Allemagne en 1914 et

en 1939, c'est le pays qui a été le plus mal servi dans le partage d'un gâteau impérialiste déjà. trop restreint qui a tendance à vouloir remettre en cause ce partage.

C'est là une constante de la période de décadence du capitalisme qui traduit à la fois le caractère inéluctable de la guerre impérialiste et son absurdité du simple point de vue économique bourgeois (sans parler de son absurdité pour l'humanité).

En effet au siècle dernier, au moment du capitalisme ascendant, les guerres pouvaient avoir une réelle rationalité et notamment les guerres coloniales. Certains pays pouvaient se lancer dans des opérations guerrières en ayant la garantie que cela rapporterait sur le plan économique (nouveaux marchés, matières premières, etc.). Par contre, les guerres du 20ème siècle traduisent l'impasse dans laquelle se trouve le capitalisme. Le monde étant entièrement partagé entre grandes puissances impérialistes, les guerres ne peuvent signifier la conquête de nouveaux marchés, donc d'un nouveau champ d'expansion pour le capitalisme. Elles aboutissent à un simple repartage des marchés existant qui ne s'accompagne nullement d'une possibilité plus grande de développement des forces productives mais au contraire d'une destruction massive de celles-ci dans la mesure où :

- elles mettent aux prises non des pays avancés et des pays arriérés, mais les grandes puissances entre elles, ce qui suppose un niveau d'armement et de destruction bien plus élevé ;

- elles ne peuvent par ce fait être et rester localisées mais débouchent sur des boucheries et des destructions à l'échelle planétaire.

Ainsi, les guerres impérialistes apparaissent comme une pure aberration pour l'ensemble du capitalisme et ce caractère absurde se manifeste entre autres dans le fait que c'est le bloc qui, parce que le plus faible économiquement, est condamné à "perdre" la guerre (si tant est qu'il y ait un "gagnant"), qui pousse le plus vers la guerre. Cette conduite "suicidaire" du futur vaincu ne traduit, quant à elle, nullement une "folie" de ses dirigeants mais bien le caractère inévitable de la guerre impérialiste dans le capitalisme décadent, l'engrenage inéluctable qui échappe à tout contrôle de la part des classes dominantes et des gouvernements. La course au suicide des puissances dites "agressives" ne fait que résumer la course au suicide de l'ensemble du capitalisme.

Le fait que ce soit l'impérialisme le plus "belliqueux" qui, en général, soit vaincu permet, après les guerres, de donner un semblant de crédibilité aux mascarades sur les "réparations" et les procès de "criminels de guerre" et de "responsables" de l'holocauste (comme si tous les gouvernements, tous les partis bourgeois, tous les militaires n’étaient pas criminels, n'avaient pas de responsabilité dans les orgies de meurtres, dans les massacres industriels des guerres impérialistes), alors que par ces mascarades, l'impérialisme vainqueur dissimule en réalité sa tentative de "rentabiliser" ses propres dépenses militaires de même que sa tentative de mettre en place a la tête des pays vaincus un personnel politique qui soit favorable à ses intérêts.

Tout est bon pour la propagande bourgeoise : les morts d'Auschwitz servent à justifier ceux de Dresde et d'Hiroshima, ceux du Vietnam font accepter ceux de l'Afghanistan, les massacres passés servent à préparer les futurs massacres. De même, les dépenses d'armement (réelles ou exagérées) et les menées impérialistes du bloc "ennemi" servent à faire avaler, avec l'austérité qui en résulte, les dépenses de "son" propre bloc, ses menées impérialistes et à préparer la "solidarité nationale" nécessaire à un nouvel holocauste.

Autant les révolutionnaires se doivent de dénoncer (comme nous l'avons toujours fait dans nos publications) les mystifications accompagnant la politique impérialiste du bloc de l'Est, notamment le mythe des "libérations nationales", autant il leur appartient donc de démasquer l'hypocrisie des campagnes idéologiques du bloc de l'Ouest.

LE PARTAGE DES TACHES ENTRE SECTEURS DE LA BOURGEOISIE

Nous avons amplement mis en évidence dans la Revue Internationale (n°20) des facettes essentielles de' l'offensive idéologique présente des bourgeoisies du bloc américain en vue de la guerre impérialiste la création d'une psychose de guerre destinée à démoraliser les populations, à leur faire accepter avec fatalisme et résignation la perspective d'une nouvelles guerre mondiale. De même, nous venons d'examiner une autre facette de cette offensive : le développement d'un sentiment "antirusse" pour lequel les mensonges sur les niveaux d'armement se combinent aux campagnes sur les "droits de l'homme" et autre boycott des Jeux Olympiques. Ce n'est encore là qu'un tableau incomplet des moyens que met en œuvre la bourgeoisie des pays occidentaux pour préparer les populations et notamment les classes exploitées au "sacrifice suprême". Il faut y ajouter une campagne moins tapageuse mais cependant plus insidieuse et dangereuse : celle qui vise plus spécifiquement la classe ouvrière.

Derrière le premier type de campagnes de la bourgeoise, on trouve essentiellement les partis de droite et du centre dont le langage consiste à en appeler l'ensemble des citoyens "pour qu'ils réalisent "l'unité nationale" en vue des dangers qui "menacent la patrie" ou "la civilisation". Derrière la création d'une phobie "antirusse" qui complète le premier type de campagnes, on trouve les mêmes partis auxquels viennent se joindre les partis sociaux-démocrates aux arguments plus nuancés et moins hystériques mais qui ne perdent pas une occasion de dénoncer le stalinisme et les violations des droits de l'homme en Europe de l'Est. Bien entendis les partis "communistes", quant à eux, ne participent pas, directement à ce volet de la campagne idéologique malgré les con damnations de certains agissements de l'URSS qu'ils sont obligés de faire pour se dédouaner auprès de la bourgeoisie et de "l'opinion" de leurs pays respectifs.

Par contre, il est un aspect de l'offensive idéologique de la bourgeoisie qui met côte à côte les partis dont la fonction spécifique est l'encadrement de la classe ouvrière : les PC et les PS. Le langage tenu par la gauche du capital se présente comme l'opposé de celui tenu par la droite et en constitue en fait le-complément. Ce langage consiste à dénoncer les campagnes alarmistes de la droite et à affirmer qu'il n'y a pas de véritable danger de guerre dans la période actuelle. On peut même voir dans certains pays (comme la France) la gauche unanime dire clairement que la campagne alarmiste de la droite a pour fonction de détourner l'attention des travailleurs et imposer un surcroît d'austérité.

Ce langage des partis de gauche est évidemment lié au fait que, à l'heure actuelle, ils sont conduits à assumer dans l'opposition leur fonction capita-   liste afin de mieux pouvoir saboter de l'intérieur les luttes ouvrières qui tendent à se développer. N'ayant pas ou plus de responsabilités gouvernementales, ils n'ont plus la charge de créer "l'unité nationale" autour des dirigeants du pays ([1] [1]) mais bien de radicaliser leur langage afin de tenter de gagner la confiance des prolétaires pour être en mesure de les orienter vers des impasses et épuiser leur combativité.

Cependant ce n'est pas seulement pour cette seule raison que les partis de gauche tiennent aujour­d'hui des discours apaisants. En réalité, ce langage a pour fonction de combler les lacunes contenues dans la campagne idéologique de la droite. Celle-ci, en effet, tente d'asséner avec beaucoup de force une vérité partielle : la guerre est inévitable (sans préciser évidemment que c'est dans le cadre du capitalisme qu'existe une telle fatalité) dans le but de démoraliser et pousser à la résignation l'ensemble de la population, de lui faire accepter les sacrifices présents au nom de la préparation des sacrifices encore plus durs qui s'imposeront dans le futur. Mais cette demi-vérité comporte l'inconvénient de reconnaître avec clarté l'impasse totale dans laquelle se trouve aujour­d'hui la société capitaliste. Dans certaines parties de la population, et notamment le prolétariat, classe naturellement la plus portée à remettre en cause le système, cette propagande risque de contribuer à un but contraire à celui qu'elle se fixe : la compréhension de la nécessité d'affronter massivement le capitalisme pour arrêter sa main criminelle et le détruire. La campagne d'apaisement promue par la gauche a pour fonction de permettre au capitalisme de couvrir tout le champ de la mystification, de ne pas laisser de failles dans lesquelles pourrait s'engouffrer la prise de conscience de la classe ouvrière.

Déjà la gauche et la droite s'étaient ainsi partagé le travail à propos de la crise économique : la droite affirmant qu'elle était de nature internationale, qu'il n'y avait rien à faire et qu'il fallait se résoudre à l'austérité, la gauche rétorquant qu'elle était le résultat d'une mauvaise politique, des menées cupides des monopoles et des multinationales et qu'il y avait moyen de la résoudre en mettant en place une autre politique réellement conforme à "l'intérêt national et des travailleurs". Ainsi, la droite appelait déjà à la résignation, à l'acceptation sans résistance de l'austérité alors que la gauche se donnait comme tâche de dévoyer le mécontentement ouvrier vers les impasses électorales de "l'alternative de gauche" (gouvernement travailliste en Grande-Bretagne, gouvernement d'Union de la gauche en France, compromis historique en Italie, etc.).

Cette division du travail entre droite et gauche en  vue de soumettre l'ensemble de la société, et en premier lieu la classe ouvrière aux exigences du capitalisme n'est pas nouvelle. Elle a été appliquée dès avant la première guerre mondiale dans la campagne de préparation idéologique de celle-ci. Alors que la droite du capital agitait le plus fort le grelot du "patriotisme" et appelait ouvertement à la guerre contre "l'ennemi héréditaire", les secteurs opportunistes et réformistes des partis de la 2ème Internationale qui impulsaient leur passage dans le camp du capitalisme, n'avaient de cesse, tout en dénonçant les campagnes d'hystérie chauvine, de minimiser les dangers de guerre. Alors que la gauche de l'Internationale (notamment Lénine et Rosa Luxemburg) insistait sur le caractère inévitable de la guerre impérialiste dans la logique même du capitalisme, sur la nécessité d'une mobilisation massive des ouvriers pour ne pas lui laisser les mains libres et pour préparer sa destruction, les secteurs de droite, dont l'influence allait grandissante, développaient des théories sur la possibilité d'un capitalisme "pacifique", qui serait capable de résoudre les conflits entre nations par "l'arbitrage". Tant que la classe ouvrière s'est mobilisée, notamment sous la forme de manifestations de masse lors des divers conflits qui ont éclaté au début du siècle (heurts franco-allemands à propos du Maroc, conflits dans les Balkans, invasion de la Tripolitaine par l'Italie, etc...), tant que l'influence de la gauche de L'Internationale a été déterminante en son sein (motions spéciales contre la guerre aux Congrès de 1907 et 1910, Congrès Extraordinaire en 1912 sur cette même question), la bourgeoisie n'a pas pu laisser dégénérer ces conflits en guerre généralisée. Ce n'est qu'au moment où la classe ouvrière, endormie par les discours des opportunistes, cesse de se mobiliser face à la menace de guerre (entre 1912 et 1914) que le capitalisme peut déchaîner la guerre impérialiste à partir d'un incident (l'attentat de Sarajevo) en apparence bénin par rapport aux précédents.

Ainsi la préparation idéologique à la guerre mondiale n'est pas seulement le fait du développement de l'hystérie chauvine et belliciste. Elle comporte également des discours pacifistes et lénifiants plus spécifiquement tenus par les forces politiques qui ont le plus d'impact au sein de la classe ouvrière afin de démobiliser celle-ci, de lui faire perdre de vue le véritable enjeu de la situation, de la livrer pieds et poings liés, impuissante, aux gouvernements bourgeois et à cette hystérie belliciste, en bref, de l'empêcher de jouer son rôle de seule force en mesure d'empêcher la guerre mondiale. La mobilisation pour la guerre impérialiste passe par la démobilisation du prolétariat de son terrain de classe.

QUELLE PERSPECTIVE : GUERRE OU REVOLUTION ?

On peut donc constater que l'invasion de l'Afghanistan par l'URSS et ses prolongements expriment et accentuent l'accélération de la marche vers la guerre impérialiste généralisée, seule réponse que le capital puisse donner à sa crise. Faut-il déduire de cette constatation la nécessité de remettre en cause l'analyse que le CCI depuis sa constitution a développée sur le cours historique, sur le fait que la perspective présente n'est pas celle d'un affrontement impérialiste généralisé mais celle d'affrontements massifs entre classe ouvrière et bourgeoisie ?

La réponse est non. En fait, la détermination avec la- quelle la bourgeoisie s'est attelée à la préparation idéologique en vue de la guerre mondiale indique à elle seule qu'aujourd'hui, les conditions subjectives d'un tel aboutissement de la crise capitaliste ne sont pas réunies. Pour certains, si la guerre mondiale n'a pas encore eu lieu, c'est que les conditions objectives -situation économique, préparatifs militaires, etc - n'existeraient pas encore. Telle est la thèse défendue, par exemple, par le Parti communiste International (Programme Communiste). En réalité, si on compare la situation présente, à celle existant en 1939 ou en 1914, on peut constater que, tant du point de vue de la gravité de la crise, que du niveau des armements, que du renforcement des alliances militaires au sein de chaque bloc, les conditions sont aujourd'hui beaucoup plus mûres pour une nouvelle guerre mondiale. La seule donnée manquante, mais décisive est l'adhésion de la classe ouvrière aux idéaux bourgeois, sa discipline à l'égard du capital national, sa soumission aux intérêts de celui-ci. Ce sont cette adhésion, cette discipline, cette soumission qui existent en 1939 à la suite de la plus terrible défaite subie par sa classe ouvrière au cours de l'histoire; défaite d'autant plus terrible que jamais comme à la fin de la première guerre mondiale, le prolétariat ne s'était élevé aussi haut; défaite à la fois physique et idéologique avec son cortège de massacres mais aussi de mystifications, notamment sur la nature soi-disant socialiste de la Russie, son cortège de défaites présentées comme des victoires. Ce sont des conditions similaires qui existent en 1914 bien que la défaite de la classe soit moins profonde qu'en 1939, ce qui permet le resurgissement de 1917-18. Cette défaite est essentiellement idéologique. Elle se manifeste par la gangrène opportuniste qui gagne peu à peu la 2ème Internationale jusqu'à aboutir, en 1914 à la trahison de la plupart des partis qui la composent. En passant à l'ennemi, ces partis, ainsi que les organisations syndicales, parce qu'ils ont encore l'oreille et le cœur du prolétariat, jettent celui-ci pieds et poings liés en pâture aux appétits impérialistes de la bourgeoisie, l'entraînant dans la "défense nationale" et la "défense de la civilisation". Et cet embrigadement du prolétariat derrière son capital national est d'autant plus facile que ne se développent pas avant 1914 (à l'exception de la Russie) des luttes de classe importantes, du fait que la crise économique aiguë n'a pas le temps de s'approfondir vraiment avant son issue guerrière.

Toute autre est la situation présente où les mystifications qui ont permis la 2ème guerre mondiale, notamment l'antifascisme et le mythe du socialisme en URSS ont fait long feu, où la croyance en un progrès incessant de la "civilisation" et de la "démocratie" telle qu'elle existait en 1914 à fait place, après plus d'un demi-siècle de décadence du système à un dégoût généralisé, où les partis de gauche, pour avoir trahi depuis trop longtemps, n'ont plus sur la classe ouvrière l'impact qui était le leur en 1914 ou dans les années 30, où l'enfoncement progressif du capitalisme dans la crise à partir du milieu des années 60 a provoqué une reprise historique des luttes de classe. Ainsi, au lieu d'annoncer au sont faits", que, quoi qu'il fasse le déclenchement d'un nouvel holocauste, il importe que les révolutionnaires lui indique clairement que la situation historique est encore entre ses mains que de lui dépend, et de ses luttes que l’humanité soit écrasée ou non sous un déluge de bombes thermonucléaires ou même qu'elle périsse.

Cependant, il n'existe pas de situation acquise de façon définitive. Si aujourd'hui, la voie n'est pas libre pour la réponse bourgeoise à la crise, il ne faudrait pas croire que rien ne peut remettre en cause une telle situation, que le cours historique ne peut pas être renversé. En réalité, le cours qu'on pourrait appeler "normal" de la société capitaliste est vers la guerre. La résistance de la classe ouvrière qui peut éventuellement remettre en cause ce cours apparaît comme une sorte "d'anomalie", comme allant à "contre-courant" d'un processus organique du monde capitaliste. C'est pour cela, que, si on examine les 8 décennies de notre siècle, on en trouvera à peine un peu plus de deux, au cours desquelles le rapport de forces aura été suffisamment en faveur du prolétariat, pour qu'il puisse barrer le chemin à la guerre impérialiste (1905-12, 1917-23, 1968-80).

Pour l'heure, le potentiel de combativité de la classe, qui s'est révélé à partir de 1968, n'a pas été détruit. Mais il est nécessaire d'être vigilant (et les évènements d'Afghanistan nous rappellent cette nécessité) car :

-                plus la réponse du prolétariat sera lente face à la crise et moins il sera expérimenté et préparé au moment des affrontements décisifs avec le capitalisme

-                alors que le chemin de la victoire est unique pour le prolétariat : l'affrontement armé et généralisé contre la bourgeoisie, celle-ci dispose de divers moyens pour défaire son ennemi : soit en épuisant la combativité dans des impasses (c'est la tactique présente de la gauche), soit en l'écrasant paquet par paquet (comme en Allemagne entre 1918 et 1923), soit en l'écrasant physiquement lors d'un choc frontal (qui est toutefois le type d'affrontement le plus favorable au prolétariat).

Cette vigilance que la classe ouvrière doit conserver et auxquels les révolutionnaires doivent contribuer de leur mieux, passe par la compréhension la plus claire possible du véritable enjeu de la situation présente, des luttes qu'elle mène aujourd'hui. Cette contribution ne saurait donc consister, ni dans l'affirmation qu'il n'y a rien à faire face à la menace de guerre impérialiste (les révolutionnaires se faisant alors les auxiliaires de la campagne - de démoralisation menée par la droite), ni qu'il n'y a aucun danger réel de guerre impérialiste, de renversement du rapport de forces entre bourgeoisie et prolétariat (leur "contribution" apportant alors de l'eau au moulin de la gauche). Si les révolutionnaires se doivent donc de dénoncer aussi bien les campagnes de la droite que celles de la gauche, ce n'est donc nullement pour prendre leur simple contrepied mais bien pour retourner les divers arguments contre leurs promoteurs :

-      c'est vrai qu'il n'y a pas d'issue à la crise et que la guerre menace comme dit la droite...

-                c'est vrai, comme dit la gauche que la campagne alarmiste est utilisée pour imposer plus d'austérité... dans un cas comme dans l'autre, c'est une bonne raison, non pour s'y résigner, mais au contraire pour engager le combat de résistance contre l'austérité, prélude à la lutte pour la destruction de ce système. Dans les combats à venir de la classe ouvrière, une compréhension claire de leur enjeu véritable, du fait qu'ils ne constituent pas une simple résistance au coup par coup contre les agressions croissantes du capital mais qu'ils sont le seul rempart contre la menace de guerre impérialiste, qu'ils sont les préparatifs indispensables en vue de la seule issue pour l'humanité : la révolution communiste, une telle compréhension de l'enjeu sera la condition tant de leur efficacité immédiate que de leur aptitude à servir réellement de préparatifs pour les affrontements décisifs.

Par contre, toute lutte qui se cantonne sur le terrain strictement économique, défensif contre l'austérité sera plus facilement défaite, tant au niveau immédiat que comme partie d'une lutte beaucoup plus vaste. En effet, elle se sera privée du ressort de cette arme, aujourd'hui si importante pour les travailleurs qu'est la généralisation et qui s'appuie sur la conscience du caractère social et non pas professionnel du combat de la classe. De même, par manque de perspectives, les défaites immédiates seront surtout un facteur de démoralisation au lieu d'agir comme éléments d'une expérience et d'une prise de conscience.

Pour que la nouvelle vague de luttes qui s'annonce aujourd'hui ne soit pas épuisée par les manœuvres de la gauche et des syndicats -ce qui laisserait le champ libre à l'issue" guerrière de la crise- mais, au contraire, constitue une étape vers l'assaut révolutionnaire pour le renversement du capitalisme, elle devra comporter les trois caractéristiques suivantes absolument liées entre elles :

-                un rejet du carcan syndical et une prise en main directe par la classe de ses intérêts et de son combat

-                l'utilisation de façon croissante de l'arme de la généralisation, de l'extension au delà des catégories, des entreprises, des branches industrielles, des villes et des régions, et finalement, au delà des frontières nationales

-                une prise de conscience des liens indissolubles qui existent entre les luttes contre les mesures d'austérité, la lutte contre la menace de guerre et la lutte pour la destruction de cette société moribonde et barbare en vue de l'instauration de la société communiste.

F.M



[1] [2] Là où la gauche est encore au gouvernement, son attitude n'est évidemment pas aussi claire. On peut même voir en Belgique le ministre socialiste des Affaires étrangères tenir un langage alarmiste alors que son collègue, également socialiste, des affaires Sociales tient le langage contraire.

 

Questions théoriques: 

  • Décadence [3]
  • Le cours historique [4]

Le gauchisme en France depuis 10 ans

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Depuis mai 68, en France, le mouvement gauchiste a subi de nombreuses transformations. Si 1969 a été l'année de pointe de son renforcement, les années qui vont suivre vont voir un relatif recul de l'influence de certains groupes gauchistes et le développement d'une certaine crise qui va se manifester de façon différente suivant les courants.

LE MOUVEMENT MAOISTE (DIT MARXISTE LENINISTE)

Contrairement au courant trotskyste qui est issu d'une tradition prolétarienne passée dans le camp bourgeois lors de la seconde guerre mondiale, le courant maoïste est directement un avorton de la con­tre-révolution. Issu du PCF au milieu des années 60, sur la base de la détérioration des rapports entre le capitalisme russe et le capitalisme chinois, le mouvement "pro-chinois" n'a jamais rompu avec une seule des positions contre-révolutionnaires du PCF; il prôna même un retour aux enseignements de Staline et un alignement derrière l'Etat bourgeois de Mao.

En 1969, deux groupes maoïstes principaux existaient : la Gauche Prolétarienne qui se dissoudra trois ans plus tard et le P.C.M.L.F. (Parti Communiste marxiste léniniste de France). Depuis une dizaine de ruptures ont ponctué la vie du mouvement maoïste en France et aujourd'hui (début 80), quatre groupes importants existent encore : le P.C.M.L. (Parti Communiste Marxiste Léniniste), le P.C.R. ml (Parti Communiste Révolutionnaire marxiste léniniste), l'UCFML. (Union Communiste de France marxiste léniniste) et l'O.C.F.ml (Organisation Communiste de France marxiste léniniste. Drapeau Rouge). Il faut ajouter à ces groupes une dizaine de petits cercles locaux dont certains "pro-albanais" comme le P.C.O.F. (Parti Communiste des Ouvriers de France) qui publie le jour­nal "la Forge". Mais, en fait le courant maoïste a subi depuis dix ans un important déclin numérique et une crise quasi-permanente qui sont le produit d'un certain nombre de contradictions politiques propres à un courant bourgeois sans grande expérience et lié à l'évolution de la politique de l'Etat chinois. Cette crise a été le produit de la réduction croissante du champ d'intervention et de mystification des groupes maoïstes coincés entre un fort mouvement trotskyste, un puissant parti stalinien et une Social-Démocratie en pleine expansion depuis l'après-mai 68.

Plus précisément, les facteurs d'affaiblissement des groupes maoïstes relevant de l'évolution de la lutte de classe et de la situation internationale ont été :

1. Le développement de la mystification du "Programme Commun du PC et du PS" que les maoïstes n'ont pas soutenu. Ils conciliaient ouvertement avec la droite et même l'extrême droite sur les questions de la défense nationale (propagande antirusse, soutien à la force de frappe atomique, dénonciation du mouvement antimilitariste, soutien de l'impérialisme français). On pouvait ainsi lire dans "L'Humanité Rouge" (journal du P.C.M.L.F.) :

"Le gouvernement actuel, tout en maintenant le principe de la défense nationale est incapable de mobiliser les masses populaires en raison du caractère oppresseur et réactionnaire de sa politique intérieure.

Quant au "Programme Commun" qui représente la tendance montante de la bourgeoisie, il est extrêmement dangereux car tout en prétendant renforcer la défense nationale, il passe complètement sous silence le danger soviétique". (Humanité Rouge n°240, sept.74).

Et aussi :

"Quant d nous aujourd'hui plus que jamais, nous appelons les travailleurs, la jeunesse d agir pour le renforcement de la défense nationale..."  (Humanité Rouge n°309, juil.75)

Le maoïsme sapa ainsi les bases de son influence en se dévoilant trop rapidement et trop ouvertement comme une officine nationaliste directement au service de la bourgeoisie et du bloc américain.

2.L'abandon d'un anti-syndicalisme verbal par la plupart des groupes maoïstes va contribuer à effacer complètement le mythe maoïste : en effet, le verbiage antisyndical a été un des principaux facteurs de l'influence des groupes maoïstes. En mai 68 et puis après, de nombreux ouvriers conscients du sabotage syndical se sont ainsi tournés vers des groupes comme la GP qui appelait à "pendre les bureaucrates syndicaux", ou comme le P.C.M.L.F. qui appelait à la constitution de "syndicats de base" et dénonçait la C.G.T. comme "social-fasciste". Cette démagogie utile pour dévoyer les ouvriers dans une période de lutte devenait inutile au moment du reflux des luttes à partir du début des années 70. Les maoïstes n'avaient alors pas de politique de rechange.

3.L'intégration de plus en plus ouverte de la Chine dans le bloc américain (rappelons que les groupes maoïstes en France ont surgi essentiellement sur la base du soutien au Vietnam contre les USA et d'une critique des capitulations de la Russie face aux USA).

4.Les remaniements politiques au sein de l'Etat chinois survenus notamment après la mort de Mao. (liquidation de la "Bande des quatre", ré émergence de Teng Hsiao Ping que tous les groupes maoïstes avaient traîné dans la boue).

Tous ces facteurs ont ainsi contribué à une dispersion des maoïstes dans des voies aussi diverses qu'impénétrables : de l'abandon du militantisme pour entrer dans la voie du marginalisme mais aussi _du journalisme (Libération), de la philosophie( la "nouvelle philosophie", aujourd'hui ouvertement de droite), du semi-terrorisme (NAPAP), de l'autonomie spontanéiste ("Camarades") et même de quelques tentatives de rejoindre le terrain prolétarien comme l'a exprimé la constitution de l'Organisation Communiste "Le Bolchevik" qui donnera naissance à L'Eveil Internationaliste et à la Gauche Internationaliste à travers une série de ruptures.

Depuis l'échec du "Programme Commun" et la reprise de la lutte prolétarienne, les principaux groupes maoïstes (P.C.M.L.F. et P.C.R.ml.) ont accéléré le changement de cap qu'ils avaient opéré dans le milieu des années 70 en abandonnant les aspects un peu trop "radicaux" de leurs interventions. Ils ont maintenant opté pour une attitude plus conciliante avec les syndicats et les partis de gauche. Ces derniers ont assoupli eux aussi leur attitude à l'égard des gauchistes en général.

Ce tournant du courant maoïste a été clairement exprimé au début de 1978 par le P.C.M.L.F. à l'occasion du 40ème Congrès de. la C.G.T. dont "l'ouverture démocratique" fut saluée. Par ailleurs la décision du P.C.M.L.F. et du P.C.R.ml de présenter une liste commune aux élections de mars 78 fut une façon de revaloriser un électoralisme qu'ils n'avaient cessé de dénoncer auparavant chez les partis de gauche et les trotskystes. Enfin, au lendemain de ces élections le P.C.M.L.F, développait la perspective d'un travail d'"explication en direction des électeurs, des militants de base, ouvriers, employés, petits paysans du P.S. et du P.C.F. en liaison avec, une poursuite des indispensables luttes de classe pour la défense des revendications les plus immédiates" (HR n°851,mars 78).

Fin 1978, le P.C.M.L.F. opèrera même une autocritique de ses positions trop chauvines de soutien à l'impérialisme français notamment leur soutien à l'intervention française au Zaïre.

Par rapport à la montée des luttes ouvrières il n'est pas inintéressant de relever dans la presse maoïste le renforcement d'une perspective d'unité à la base" dans les luttes sur le terrain de l'encadrement syndical. Cette perspective confirme le rapprochement de plus en plus prononcé des groupes maoïstes vers les vieilles tactiques trotskystes de sabotage des luttes. Sous le titre "Qu'est-ce donc que l'unité à la base ?", le P.C.M.L.F. expliquait fin 1979 : "la réalisation de l'unité à la base exige des compromis...aussi en .tant qu'individu ou représentant d'une force politique organisée ou d'une section syndicale, chaque contractant doit renoncer d agir unilatéralement. Dans l'action unie, il ne doit pas populariser ses seules idées, le seul programme de son seul parti ou de son seul syndicat... De la même façon, je n'accepte pas que des militants d'autres forces politiques 'récupèrent' notre action commune en essayant de la dévier sur leur propre programme de parti..." (HR n°1133). On ne peut être plus explicite. Au même titre que les staliniens du P.C.F. et que les trotskystes, les maoïstes se préparent ouvertement à briser toute tentative d'organisation autonome de la classe dans les luttes.

Plus précisément, les groupes maoïstes, à part le petit groupe de l'U.C.F.M.L., ont réintégré pleinement les appareils syndicaux et notamment la C.F.D.T. Pourtant, aujourd'hui que la gauche divisée assume un rôle d'opposition plus marqué, une hésitation semble traverser le mouvement maoïste dont la logique consiste à se retrouver avec la Social-Démocratie contre le P.C.F., et plus particulièrement derrière le tandem Maire-Rocard (le dirigeant de la C.F.D.T. et le "nouvel homme" de la Social-Démocratie). C'est cette perspective qu'énonce très clairement le petit groupe O.C.F.ml.: "En vérité, l'échec politique et économique de la droite, mais surtout la faillite profonde en quelque sorte idéologique aussi bien des partis de la vieille droite que des partis de la fausse gauche exigent une alternative neuve et nette : une force révolutionnaire antitotalitaire. Les prémisses de l'émergence de cette force apparaissent aussi bien dans les conditions même de la bonne tenue de la C.F.D.T. lors des élections prudhommales que dans le succès d'estime de Michel Rocard dans l'opinion" (Drapeau Rouge n°72, déc.79). Dans le même journal, l'O.C.F.ml. dans un article intitulé "Les gauchistes rejoindront-ils le P.C.F. ?" exprime ses craintes de voir les gauchistes se mettre à la remorque d'un P.C.F. qui se lance aujourd'hui dans une activité "radicale" liée à la nécessité de contrôler et d'encadrer la remontée des luttes ouvrières ; elle cite en exemple un extrait d'une lettre d'un militant syndical publiée dans l'Humanité Rouge et qui explique : "il y a même des camarades, qui pensent que le P.C.F. est mieux que notre parti (le P.C.M.L.F.) et qui nous quittent sur cette base. Faute d'analyse sérieuse, j'ai bien peur que le parti se cantonne à être simplement une force d'appoint au service de la ligne actuelle P.C.F./C.G.T.".

Et l'O.C.F.ml. de rappeler à cette occasion l'alignement du P.C.F. derrière le bloc russe et la nécessité de renforcer le camp du "socialisme démocratique", en clair le camp Social-Démocrate et l'alignement derrière le bloc américain.

Sur le plan international en effet, la plupart des groupes maoïstes tente de suivre de façon plus ou moins cohérente l'évolution de la Chine et de se mettre au diapason de la propagande antirusse du bloc occidental. A plusieurs reprises, les groupes maoïstes français ont soutenu ouvertement les manœuvres du bloc américain. Pour eux, l'impérialisme russe est l'ennemi principal et cela explique leur propagande belliciste. Ainsi, le n°65 de Drapeau Rouge de 'septembre 79 reproduisait une publicité du journal Le Monde sur le livre du Général Hackett "La Troisième Guerre Mondiale" et expliquait dans un article intitulé "Défense : armer le peuple" : "En Europe et en France, la conscience des périls et des réalités semble mieux perçue (qu'aux USA) dans les cercles bourgeois, et même si le doute et l'indécision y règnent, il s'y manifeste également la volonté de faire face et de s'opposer au danger de guerre russe". Quelques moïs auparavant, ce même groupe reprochait au bloc américain sa faiblesse lors du conflit sino-vietnamien : "Carter en arrive même à céder à cette pression militaire et politique. Il vient de déclarer à un moment où tout le monde parle des préparatifs de guerre de l'URSS contre la Chine : "il n'y a pas de doute dans mon esprit que les soviétiques veulent la paix'" (DR n°54, mars 79). Dans ce même article, l'O.C.F.ml. soutenait en ces termes l'attaque de la Chine contre le Vietnam :

"La Chine est dans son bon droit ! Elle vient simplement de rappeler qu'elle ne cède pas aux menaces du petit hégémonisme soutenu par l'URSS. Munich en 1938 a défia prouvé que toute politique de faiblesse était en fait un encouragement à l'agression".

D'une façon plus large, lorsque les groupes ne soutiennent pas explicitement l'impérialisme occidental, le soutien implicite aux options européennes bénies par Washington montre clairement l'optique pro-occidentale de tous les groupes maoïstes. L’U.C.F.M.L., petit groupe "marginal", n'a pas soutenu l'agression chinoise au Vietnam : "L'entrée, des troupes chinoises sur le territoire vietnamien n'est justifiée ni par les provocations vietnamiennes à la frontière, ni par l'invasion du Cambodge par les Vietnamiens, ni par l'inféodation du Vietnam au social-impérialisme russe". Ce groupe a consacré dans le n°36 de son journal (Le Marxiste-Léniniste) un long article défendant l'idée d'une Europe réunifiée Est-Ouest, contre les deux "superpuissances", une "Europe des peuples". Très vite, le groupe admet que l'alliance Chine-USA est "inévitable" et il expliquait fin 78 à propos des menaces de guerre impérialiste : "Sur la question de la guerre, le prolétariat ne peut se contenter d'une attitude passive. En la matière, le pacifisme est la garantie du désastre. Quand le P.C.F. au tout début de la guerre de 39-45 a refusé de prendre la tète de la résistance d l'envahisseur nazi, il a commis une faute dramatique, chèrement payée par la suite, malgré l'héroïsme des F.T.P. Laisser à De Gaulle le soin d'incarner la résistance, c'était laisser une chance à la bourgeoisie, massivement capitularde, de se reconstituer" (Le Marxiste-Léniniste n°31).

C'est de la même tradition patriotarde que se réclame le groupe "pro-albanais" P.C.O.F.. Il dénonce les préparatifs de guerre en renvoyant dos à dos le P.S. et le P.C.F., "complices de la fascisation du régime". Cette pseudo-dénonciation s’inscrit dans la logique "antifasciste" et le P.C.O.F. en fait tente à son échelle minuscule de ressortir les vieux mythes qui servirent au P.C.F. pour préparer et embrigader le prolétariat dans la 2e Guerre Mondiale. En assimilant guerre et fascisme, le P.C.O.F. complète à sa façon la panoplie mensongère du maoïsme. Ainsi, c'est de A à Z, avec une constance imperturbable, que le maoïsme défend les positions bourgeoises.

Mais faute d'une réelle influence dans la classe ouvrière, le courant maoïste a peu de perspectives propres d'un nouveau développement par rapport au courant trotskyste qui reste le "fer de lance" du gauchisme en France.

LE MOUVEMENT TROTSKYSTE

Il est la force centrale de l'extrême-gauche du capital en France. La LIGUE COMMUNISTE REVOLUTIONNAIRE (LCR), LUTTE OUVRIERE (LO) et l'ORGANISATION COMMU­NISTE INTERNATIONALISTE (OCI) se partagent depuis mai 68 la plus grande part du travail mystificateur réservé au gauchisme.

Les groupes trotskystes, contrairement aux maoïstes, ont été moins affectés par les crises et les scissions dans la période de recul de la lutte prolétarienne. Il y a pourtant eu un net phénomène de crise larvée qui s'est traduit par une "crise" de militantisme dans un groupe comme la LCR, par un net recul organisationnel de l'OCI et par un affaiblissement de la phraséologie politique de LO qui avait fait figure à une époque de groupe "pur" et "radical". En fait, la cause profonde de ces phénomènes a été l'alignement de ces trois groupes derrière l'Union de la Gauche (PC, PS, Radicaux de Gauche) et leur intégration rapide dans le jeu électoral.

Cette orientation du mouvement trotskyste va provoquer une série de petites scissions "de gauche" qui vont réagir contre une politique trop suiviste et trop ouvertement anti-prolétarienne. Ainsi, le petit groupe de la LIRQUI (aujourd'hui Ligue Ouvrière Révolutionnaire - LOR), après avoir scissionné de l'OCI expliquait lors des élections du printemps 74 : "Le récent ralliement 'sans ambigüité pour la victoire de Mitterrand de la part de l'OCI est l'un des faite politiques les plus importants actuellement. Ce ralliement signifie un reniement complet de toute la lutte passée de la 4ème Internationale en France. Parce que c'est ni plus ni moins dans les faits que le ralliement au Front Populaire. Il s'agit là d'une capitulation éhontée et sans conditions" (Bulletin n°4). Quant à la Ligue Trotskyste de France (LTF), issue d'un groupe exclu de la LCR, elle avançait la même accusation : "L'accusation majeure que la LTF porte contre les pseudo-trotskystes est leur incapacité à tracer la ligne de classe face au Front Populaire-Union de la Gauche, tant dans leur intervention générale que dans leur travail syndical. L'axe stratégique d'intervention des trotskystes est celui de l'indépendance de la classe ouvrière par rapport à la bourgeoisie, indépendance oblitérée quand les partis ouvriers et les syndicats entrent dans le front populaire. L'axe central de tout travail syndical pour des révolutionnaires conséquents devrait porter sur le problème du front populaire de trahison et la nécessité de la rupture des syndicats d'avec le front populaire. Les pseudo-trotskystes ont, soit appelé l'arrivée au pouvoir du front populaire (LCR et LO), soit appelé à voter Mitterrand contre...le front populaire (OCI) !" (Bulletin en français de la  Spartacist League n°10, octobre 75).

Enfin, Combat Communiste, petit groupe dit "capitaliste d'Etat" pour la reconnaissance de la nature capitaliste de l'URSS, exclu de LO après la scission d'un autre groupe (Union Ouvrière), tapait lui aussi sur le même clou : "LO soutint donc la coalition camouflée entre la bourgeoisie et les leaders ouvriers contre-révolutionnaires sans même qu'ils se soient engagés sur quoi que ce soit de positif pour la classe ouvrière" (Critique du Programme de Transition, Brochure de CC).

Tous ces groupes, y compris Combat Communiste, conservaient la logique du trotskysme sur la question du soutien à la gauche capitaliste. Ils divergeaient seulement sur l'opportunité d'un tel soutien dans une période "non révolutionnaire". Ainsi Combat Communiste, dénonçant l'application caricaturale du mot d'ordre de gouvernement ouvrier par les grands groupes trotskystes ajoutait : "Nous venons de voir que le mot d'ordre de 'gouvernement ouvrier' n'a de sens que dans une période prérévolutionnaire. Dans une situation où par exemple - à l'image de ce qui s'est passé dans la révolution russe - des dirigeant bourgeois de la classe ouvrière seraient majoritaire dans les conseils ouvriers, on ne peut exclure la possibilité de les inviter à prendre le pouvoir" (idem). Cette position que CC n'a jamais critiquée publiquement depuis, permet de comprendre la difficulté voire l'impossibilité pour un tel groupe de rompre avec la contre-révolution malgré la reconnaissance de la nature capitaliste de l'URSS.

Quant à la LTF, section sympathisante de la Tendance Spartakiste Internationale qui préconise le retour aux sources du trotskysme, elle n'exprimait pas plus une rupture de classe avec le trotskysme officiel. Le radicalisme d'un tel groupe n'est qu'artifice et verbiage autour d'une défense des mêmes positions contre-révolutionnaires que les autres trotskystes : le frontisme, la défense du démocratisme bourgeois, du syndicalisme et du bloc impérialiste russe (encore que ce dernier point est la source d'un certain nombre de contradictions dans le mouvement trotskyste actuel comme, nous allons le voir plus loin). En fait ces scissions n'ont eu quasiment aucun impact sur les trois grands groupes trotskystes français.

Dans le redéveloppement de la lutte prolétarienne de l'hiver 79, ces groupes n'ont pas été capables de suppléer aux difficultés du mouvement trotskyste à redéfinir une politique nouvelle après l'échec électoral de l'Union de la Gauche. La volonté de maintenir un trotskysme "pur" ne peut que se heurter à la réalité même de la lutte de classe : en ce sens, des groupes comme la LTF, la LOR ou même CC (qui ne semble pas capable d'être conséquent dans sa volonté de rupture avec le trotskysme) n'ont guère de perspectives propres en France.

Un autre aspect du mouvement trotskyste français consiste en son poids relatif au niveau international. La LCR, rattachée au Secrétariat Unifié (SU) de la 4ème Internationale (plus ou moins dirigé par E.Mandel), et l'OCI qui a créé le Comité d'Organisation pour la Reconstruction de la Quatrième Internationale (CORQUI) rivalisent d'habileté dans leurs manœuvres pour constituer un organisme international capable de faire illusion, susceptible d'être confondu avec une véritable organisation prolétarienne internationale. Depuis que le trotskysme est passé dans le camp bourgeois lors de la 2ème Guerre Mondiale en soutenant l'impérialisme russe et l'alliance avec le bloc impérialiste des alliés contre le bloc impérialiste fasciste, il n'a cessé de maintenir le mythe de l'existence d'une 4ème Internationale véritablement révolutionnaire. Il serait trop long de faire l'historique des scissions et des regroupements éphémères, qui se sont succédés depuis les années 50, mais dans tous ces paniers de crabes concurrents, il n'y a rien qui se rapproche de près ou, de loin d'un véritable travail internationaliste prolétarien.

En ce qui concerne l'OCI, ce groupe a vu s'effondrer le Comité International pour la Reconstruction de la 4ème Internationale auquel il participait, en 1971 d'abord par la rupture du groupe anglais de Healy, la S.L.L. (aujourd'hui W.R.P.), puis en 1973 par le départ de la LIRQUI de Varga, dénoncé pour la circonstance d'agent double au service de la C.I.A. et de la Guepeou ! Depuis, l'OCI a tenté, non sans un certain succès de débaucher le S.W.P. américain qui appartient au SU et qui est l'organisation rivale de la LCR...

En fait, derrière toutes ces manœuvres sordides, il y a une crise du mouvement trotskiste liée en partie à la période qui voit le renforcement des blocs impérialistes et le resurgissement de la lutte prolétarienne. Cette crise s'exprime par une recomposition de toute une partie du mouvement trotskyste de plus en plus tenté par un alignement derrière la Social-Démocratie. Déjà lors des évènements au Portugal en 1974, on avait vu au sein du SU un écartèlement entre une tendance "classique" encore attachée à la défense des intérêts russes et par là même plus liée au parti stalinien, et une tendance "pro-Social-Démocrate" de plus en plus déterminée par les besoins du bloc américain. L'OCI a été dans ce sens le précurseur de cette tendance et à cette époque elle rejoignait la vision du SWP américain en soutenant quasiment ouvertement le P.S. Portugais:

"Constater que la radicalisation des masses utilise le canal du Parti Socialiste ne signifie pas adopter le programme ou la politique de la direction. du PS portugais. Mais aveugle serait celui qui refuserait de voir que sur les problèmes brûlants de la révolution, aujourd'hui, le PS portugais a engagé un combat qui rejoint les intérêts fondamentaux du prolétariat (démocratie ouvrière dans les syndicats, élections municipales, respect de la Constituante, liberté de la presse, etc.)" (Informations Ouvrières n°717, septembre 75).

Sur d'autres points et notamment sur celui du soutien aux "dissidents" des pays de l'Est, l'OCI s'est alignée derrière le bloc occidental et bien plus a contribué à donner un vernis "révolutionnaire" aux cliques nationalistes et démocratiques qui agissent dans les Etats capitalistes de l'Est et qui seront des mystificateurs dangereux pour le prolétariat en lutte : "Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est aujourd'hui un puissant levier entre les mains du prolétariat qui lutte contre l'impérialisme et la bureaucratie du Kremlin il disloque l'ordre contre-révolutionnaire européen que l'impérialisme et la bureaucratie du Kremlin ont imposé, après accords d Yalta et d Postdam„ aux peuples et aux prolétariats d'Europe, et qu'ils veulent maintenir ; il donne toute leur puissance aux contradictions sociales ; il participe de la lutte pour la révolution politique en Europe de l'Est et de la lutte pour la révolution sociale à l'Ouest" (La Vérité n°565, janvier 75). Comme quoi les trotskystes seront encore au premier rang pour châtrer le mouvement prolétarien dans les pays de l'Est en le dévoyant sur l'utopique "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" qui ne sert que les intérêts impérialistes et dans le cas présent l'impérialisme occidental.

Face à l'approfondissement des contradictions inter-impérialistes dont l'Europe sera de plus en plus le centre, une partie du mouvement trotskyste tend à s'adapter de plus en plus aux besoins de la Social-Démocratie. Cette dernière a d'ailleurs habilement orchestré en France une campagne de réhabilitation de Trotski lui-même comme homme politique opposant à Staline. Plus concrètement, à l'occasion de la prise du pouvoir au Nicaragua par le Front Sandiniste, cette convergence entre une partie du mouvement trotskyste et le Parti Socialiste s'est encore confirmée notamment à l'occasion de campagnes de soutien au "nouveau" Nicaragua. Cet abandon plus ou moins rapide d'une défense intransigeante du bloc russe ne va pas sans frictions étant donné le caractère particulièrement pourrissant du milieu trotskyste rongé par les rivalités et les querelles de personnes. Par ailleurs il ne peut manquer d'y avoir une exacerbation des contradictions entre les groupes trotskystes qui ont concentré leurs énergies en direction des partis staliniens, comme LO notamment et même la LCR dans une moindre mesure, et ceux qui suivent la Social-Démocratie comme l'OCI, ou qui occupent déjà une place de petit parti Social-Démocrate comme le SWP américain. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la rupture de la Ligue Communiste Internationaliste qui a été quasiment exclue de la LCR lors de son dernier Congrès à cause de ses liens avec l'OCI, alors qu'au même moment se déroulaient des négociations officiel les entre OCI et LCR !

            Dans toutes ces péripéties se joue en fait la question du rôle de mystification des groupes trotskystes au sein de la lutte prolétarienne. Si, dans un premier temps, l'ensemble des groupes trotskystes français a soutenu l'illusion électoraliste de l'Union de la Gauche, aujourd'hui que cette gauche se redivise dans l'opposition pour mieux jouer son rôle de sabotage des luttes, le mouvement trotskyste se. retrouve ébranlé et momentanément incapable de déterminer une politique cohérente, ce qui explique l'absence d'une forte intervention des trotskystes lors de la grève des sidérurgistes du début 79. Ainsi à propos de la marche du 23 mars 79, la LTF est amenée à sermonner ses "grands frères" pour leur carence militante : "La CGT et le PC ont tous deux saboté leur propre marche, mortellement effrayés qu'elle puisse échapper à leur contrôle. Face à cette situation potentiellement explosive, les pseudo-trotskystes de tous bords se sont montrés lamentablement incapables d'avancer une perspective de lutte pour les travailleurs" (Le Bolchevik n°13, octobre 79).

Si les révolutionnaires ne peuvent que se réjouir de ces moments d'impuissance du trotskysme, il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Si le suivisme vis-à-vis de la Social-Démocra­tie d'une partie du mouvement trotskyste est incontestablement en France un affaiblissement de ses capacités mystificatrices liées à son soutien au bloc russe, soutien qui lui permettait de développer un "anti-impérialisme", un internationalisme de façade et surtout une influence auprès des militants staliniens, un groupe comme LO sera plus difficilement entrainé dans cette voie. Ainsi, à l'époque de l'Union de la Gauche, ce groupe traçait nettement une divergence avec les autres trotskystes : "Pourtant, s'il y a dans les partis qui composent l'union de la gauche un parti dont les révolutionnaires doivent se préoccuper, ce n'est pas le Parti Socialiste, mais le Parti Communiste Français. Parce que le PCF a gardé, lui, une base ouvrière, et qu'il organise encore dans ses rangs nombre de militants dévoués à la classe ouvrière, et aspirant vraiment à changer le monde, au socialisme... C'est donc au sein de ce qui se passe au sein  du PCF, de ce que pensent les militants de ce parti, de leurs aspirations, de leurs espoirs, et de leurs doutes, que nous devons nous préoccuper." (Lutte de Classe n°22, oct.74).

On voit qu'aujourd'hui un groupe comme LO est un auxiliaire précieux pour le PCF qui dans les faits est le seul parti de gauche à pouvoir véritablement casser la pression prolétarienne, briser, grâce à son contrôle sur la CGT, la combativité et la tendance à l'autonomie chez les prolétaires. En revalorisant les tâches des staliniens et leur travail militant, LO rend évidemment des services plus "radicaux" à la contre-révolution que l'OCI qui de son côté tente de revaloriser Bergeron, le dirigeant du syndicat Force Ouvrière, ou que la LCR qui tendrait plutôt à encenser la CFDT.

Mais finalement, qu'ils soient plutôt "pro-staliniens" ou plutôt "pro-Sociaux-démocrates", plutôt "prorusses" ou tendanciellement "pro-occidentaux", les groupes trotskystes accomplissent fondamentalement la même tâche de chiens de garde du capital, la même tâche de dévoiement de la conscience de classe et de sabotage des luttes ouvrières. Les exemples ne manquent pas au niveau international dé ce travail de sape des premiers combats de classe accompli par le trotskysme. Même si en France, les groupes trotskystes n'ont pas encore eu l'occasion d'avoir un strapontin gouvernemental comme le groupe trotskyste ceylanais (LSSP) ou bien de soutenir un coup d'Etat militaire comme les trotskystes argentins du PST qui, après avoir soutenu le retour de Perón en 1973 ont applaudi la prise du pouvoir du Général Videla début 76, ils ont tous soutenu à un moment ou à un autre au niveau international la mise en œuvre des défaites ouvrières.

Ainsi, à propos du Chili gouverné par Allende, la LCF soutint ouvertement le gouvernement d'Unité Populaire, le présentant comme autre chose qu'un gouvernement bourgeois, et présentant le Chili comme autre chose qu'un Etat capitaliste. Face aux menaces de l'armée, la LCR appela la classe ouvrière à défendre une fraction de la bourgeoisie contre une autre :

"Les révolutionnaires, chiliens du MIR ont clairement analysé cette situation : ils appellent à la constitution de comités pour le socialisme soutenant Allende tant qu'il se situe sur une ligne de classe et prêts à passer à l'action dès qu'il s'en éloignera" (Rouge n°86, nov.7 ). Rappelons que le MIR avait constitué une garde personnelle pour Allende et n'a cessé d'être une force d'appoint à la gauche bourgeoise au pouvoir.

Nous avons déjà mentionné plus haut le soutien de l'OCI au PS portugais. LO prétendait pour sa part que le Mouvement des Forces Armées (MFA), c'est-à-dire la clique militaire chargée de la répression des grèves pouvait aller dans le sens des aspirations des masses travailleuses : "Dans une période où de larges masses faisaient confiance au MFA, précisément parce que celui-ci se proposait de réaliser des objectifs correspondant à leurs aspirations, cela aurait été se couper des masses que de s'opposer en bloc à la politique du MFA. il fallait au contraire soutenir ceux des objectifs du MFA qui étaient justes : la réforme agraire par exemple. Il fallait au contraire, affirmer hautement que, chaque fois que le MFA fait un pas en avant dans le sens de la satisfaction des revendications démocratiques, il a le soutien des travailleurs contre la réaction" (Lutte de Classe n°31, oct.75).

Quant aux conflits inter-impérialistes, ils ont été l'occasion des positions les plus cyniques notamment de la part des groupes trotskystes apparemment les plus "radicaux" : "Les révolutionnaires sont pour le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Même si dans certains cas, soutenir le droit de certains peuples à disposer d'eux-mêmes, c'est soutenir les intérêts de l'impérialisme" (Lutte de Classe n°34, fév.76). Dans le même article, LO se garde bien de dire un mot sur le rôle de l'URSS dans les dites luttes de libération nationale. Quant à la Spartacist Tendency, elle est moins hypocrite et se détermine crument en fonction des intérêts militaires russes. Lors de la guerre en Angola, ce groupe avançait cette position : "Alors que les staliniens de tout poil chantent les louanges de leurs mouvements nationalistes préférés, la Tendance Spartakiste appelle, depuis début novembre, au soutien militaire pour le MPLA contre la coalition impérialiste...Nous avons toujours refusé de donner un soutien politique à ces forces qui se proposent de construire un Angola capitaliste" (Spartacist n°11). Ce groupe pense certainement se dédouaner en distinguant subtilement entre soutien militaire et soutien politique, ce qui est le comble de la duperie chauviniste qui consiste à être internationaliste sur le papier et à être farouchement nationaliste sur le terrain, les armes à la main. Dans le cas de la Tendance Spartaciste, c'est d'autant plus ignoble que ce groupe se garde bien de mettre en pratique ses idées tout en demandant simplement aux prolétaires africains ou asiatiques d'aller se faire trouer la peau pour le capital russe avec la bénédiction du trotskysme et du tiers-mondisme international. C'est ce qu'il a fait une nouvelle fois avec l'Afghanistan. La LTF, qui défend en France les positions de la Tendance Spartaciste, n'est pas en reste et a montré à propos de la situation en Iran ce que cachait son "intransigeance" face aux trotskystes qui ont soutenu Khomeiny : dans une polémique contre Combat Communiste, la LTF accuse CC de voir dans les luttes en Iran une situation plus importante pour le prolétariat que "les guérillas paysannes et nationalistes" car cela signifierait préférer Khomeiny à Ho Chi Minh et finalement nier les "acquis ouvriers" du Vietnam. Il n'est pas étonnant que la LTF préfère les stigmates de la barbarie capitaliste des zones dominées par l'impérialisme russe aux premiers pas du prolétariat iranien. Dénoncer Khomeiny pour la LTF n'est en rien une défense des positions de classe, mais simplement un appel aux forces pro-russes en Iran pour liquider la clique islamique. C'est dans cette perspective que la LTF continue à développer une défense des perspectives "démocratiques" et de "droit à l'autodétermination" qui sont justement les impasses sanglantes dont doit se débarrasser le prolétariat iranien.

En conclusion, le mouvement trotskyste en France a confirmé au cours de ces dernières années sa nature bourgeoise, notamment par une présence dans le jeu électoral de plus en plus marquée et massive (aux élections législatives de 1978, LO a présenté plus de 500 candidats I), par une présence dans les trois centrales syndicales les plus importantes (CGT, CFDT et F0) et même par le contrôle du syndicat étudiant UNEF-Unité Syndicale par l'OCI et les Etudiants Socialistes, concurrençant ainsi l'UNEF-Renouveau contrôlé par les staliniens. On peut noter aussi le rôle de plus en plus "responsable" des services d'ordre trotskystes lors des manifestations qui n'hésitent pas à attaquer les groupes "autonomes" qualifiés de "provocateurs" pour la circonstance. Enfin, dans les luttes ouvrières, soit en luttant pour l'unité syndicale, soit en défendant le frontisme et le démocratisme à l'égard des staliniens et des sociaux-démocrates, le mouvement trotskyste assume son rôle anti-prolétarien avec constance et abnégation.

C'est aussi à un autre niveau que le courant trotskyste joue pleinement son rôle anti-prolétarien : en caricaturant, en défigurant ce que doit être le fonctionnement et le rôle d'une véritable organisation prolétarienne internationaliste, en faisant passer leurs querelles de cliques bureaucratiques pour un débat politique prolétarien, les divers groupes trotskystes contribuent, largement à écœurer de nombreux travailleurs voulant renouer avec la tradition communiste révolutionnaire. Devant ce spectacle misérable qu'offre le courant trotskyste, nombreux sont ceux qui tendent à rejeter toute forme d'organisation révolutionnaire, tout militantisme, et sombrent dans l'anarchisme, le modernisme et l'individualisme qui sont souvent des écueils fatals.

Mais bien plus, le trotskysme exerce une pression sur le milieu révolutionnaire lui-même. Le Parti Communiste International (PCI) bordiguiste par exemple, pour des mobiles tactiques douteux et par incompréhension politique a largement liquidé le travail accompli par la Gauche Italienne regroupée autour de la revue "Bilan" avant-guerre dans la critique des erreurs de Trotski (sur l'analyse de la période, sur la question des tactiques frontistes et entristes, sur la question nationale, etc.). Aujourd’hui, le PCI est tombé dans des polémiques superficielles où la nature de classe du trotskysme est soigneusement cachée, où celui-ci est dénoncé comme "centriste" ou "opportuniste", jamais comme bourgeois. De plus, pour mener ses critiques, le PCI utilise l'œuvre de Trotski lui-même pour s'en revendiquer contre les "renégats" d'aujourd'hui, reniant la tradition de la Gauche Communiste qui dénonça unanimement les capitulations de Trotski face au stalinisme qui menèrent le trotskysme dans le camp bourgeois lors de la 2ème Guerre Mondiale.

Pour toutes ces raisons il est nécessaire de comprendre et d'insister sur le rôle et la nature contre-révolutionnaires des groupes trotskystes actuels.

Loin d'être une expression de la petite-bourgeoisie ou bien un courant prolétarien "activiste", "centriste ou "opportuniste", ou autre, le mouvement gauchiste actuel a bien sa place dans le front de la gauche du capital. Ni le trotskysme, ni le maoïsme n'ont quelque chose de prolétarien et de révolutionnaire. Par contre avec les orientations sociale-démocrates ou staliniennes, ils n'ont que des terrains d'entente même s'ils divergent sur des points secondaires ou tactiques. Ainsi, en ce qui concerne la question de la révolution "armée" et la dictature du prolétariat qui semblerait placer "quand même" le gauchisme dans le camp révolutionnaire, l'ensemble des courants gauchistes, non seulement présente cette alternative comme une tactique parmi d'autres mais en plus il présente les prises de pouvoir des Castro, Mao, Ho Chi Minh comme des modèles pour les prolétaires.

Ce que le gauchisme tente de préparer, c'est la défaite de la classe ouvrière, ce qu'il met en œuvre ce sont des méthodes politiques pour battre le prolétariat. Le courant gauchiste ne fait que préparer le terrain de la contre-révolution étatique déjà expérimentée par le stalinisme qui consiste à faire passer le capitalisme d'Etat ou l'autogestion pour du socialisme ou même du communisme.

Chénier

Liste des sigles :

Groupes maoistes :

PCMLF : Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France (aujourd'hui PCML), "L'Humanité Rouge".

PCRml : Parti Communiste Révolutionnaire marxiste-léniniste, "Quotidien du Peuple"

OCFml : Organisation Communiste de France marxiste-léniniste, "Drapeau Rouge".

UCFML: Union des Communistes de France Marxistes-Léninistes, "Le Marxiste-Léniniste".

PCOF : Parti Communiste des Ouvriers de France, "La Forge".

Groupes trotskystes et apparentés :

OCI : Organisation Communiste Internationaliste, "Informations ouvrières", "La Vérité".

LCR : Ligue Communiste Révolutionnaire, "Rouge", "Inprecor".

LO : Lutte Ouvrière, "Lutte Ouvrière", "Lutte de Classe".

LCI : Ligue Communiste Internationaliste, "Tribune Ouvrière".

LTF : Ligue Trotskyste de France, "Le Bolchevik". LOR : Ligue Ouvrière Révolutionnaire, "La Vérité des Travailleurs".

CC : Combat Communiste, "Combat Communiste", "Contre le Courant".

Courants politiques: 

  • Gauchisme [5]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Les soi-disant partis "ouvriers" [6]

L’organisation du prolétariat en dehors des périodes de luttes ouvertes (groupes, noyaux, cercles. etc.)

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TEXTE D ORIENTATION

Ce texte a été proposé pour le Congrès d'Internationalisme (janvier 1980).

"Que faire en dehors des luttes ouvertes? Comment s'organiser lorsque la grève est terminée? Comment préparer la lutte à venir?"

Voilà quelques unes des questions auxquelles la maturation actuelle de la lutte de classe impose de répondre.

Face à cette question, face aux problèmes que posent les comités, cercles, groupes, noyaux, etc., regroupant de petites minorités d'ouvriers, nous n'avons aucune recette à fournir. Entre les leçons morales ("organisez vous comme ceci ou cela", "dissolvez-vous", rejoignez-nous") et les flatteries démagogiques, nous n'avons pas à choisir. Notre souci est bien plutôt celui-ci : comprendre ces expressions minoritaires du prolétariat comme une partie d'un tout. Les insérer dans le mouvement général de la lutte de classes, de cette manière nous pourrons comprendre à quelles nécessités générales ces organes répondent. De cette manière nous pourrons également, en ne restant ni dans le flou politique ni emprisonnés dans des schémas rigides, cerner les aspects positifs de ces démarches et souligner les dangers qui les guettent.

CARACTERISTIQUES DE LA LUTTE OUVRIERE DANS LE CAPITALISME DECADENT

Notre première préoccupation dans l'appréhension de ce problème doit être de rappeler le contexte historique général dans lequel nous nous trouvons. Nous devons nous remettre en mémoire la nature de cette période historique (l'ère des révolutions sociales) et les caractéristiques de la  lutte de classe en période décadence. Cette analyse est fondamentale car elle nous permet de comprendre le type d'organisation de classe qui peut exister dans une telle période.

Sans entrer dans les détails, rappelons simplement que le prolétariat au 19ème siècle existe comme un une force organisée de manière permanente. Le prolétariat s'unifie comme classe au travers d'une lutte économique et politique pour des réformes.

Le caractère progressif du système capitaliste permet au prolétariat de faire pression sur la bourgeoisie pour obtenir des réformes et pour ce faire regrouper de larges masses d'ouvriers au sein des syndicats et des partis.

Dans la période de sénilité du capitalisme les caractères et les formes d'organisation de la lutte changent. Une mobilisation quasi permanente du prolétariat sur des intérêts immédiats et politiques n'est plus possible ni viable. Les organes  unitaires permanents de la classe ne peuvent plus  désormais exister qu'au cours de la lutte elle-même. La fonction de ces organes ne se limite plus désormais à simplement "négocier" une amélioration des conditions de vie du prolétariat (car cette amélioration n'est plus possible à long terme et parce que la seule issue réaliste est celle de la révolution) mais à se préparer, à mesure que les luttes de développent, à la prise du pouvoir.

Ces organes unitaires de la dictature du prolétariat ce sont les conseils ouvriers. Ces organes possèdent un certain nombre de caractéristiques que nous devons mettre en évidence si nous voulons bien cerner tout le processus qui mène à l'auto-organisation du prolétariat.

Ainsi nous devons mettre en évidence que les conseils sont une expression directe de la lutte ouvrière. Ils surgissent de manière spontanée (mais non mécanique) de cette lutte. C'est pourquoi ils sont intimement liés au développement et à la maturité de cette lutte, ils puisent en elle leur substance et leur vitalité. Ils ne constituent donc pas une simple "délégation" des pouvoirs, une parodie de Parlement, mais bien l'expression organisée de l'ensemble du prolétariat et de son pouvoir. Leur tâche n'est pas d'organiser une représentativité proportionnelle des groupes sociaux ou des partis politiques mais de permettre à la volonté du prolétariat de se réaliser pratiquement. C'est à travers eux que se prennent toutes les décisions. C'est pour cette raison que les ouvriers doivent constamment en garder le contrôle (révocabilité des délégués) par le biais des Assemblées Générales.

Seuls les conseils ouvriers sont capables de réaliser l'identification vivante entre la lutte immédiate et le but final des luttes. Par cette liaison entre la lutte pour des intérêts immédiats et la lutte pour le pouvoir politique, les conseils posent la base objective et subjective de la révolution. Ils constituent le creuset par excellence de la conscience de classe. La constitution du prolétariat en conseils n'est pas une simple question de forme d'organisation mais bien le produit d'un développement de la lutte elle-même et de la conscience de classe. Le surgissement des conseils  n'est pas le fruit de recettes organisationnelles, de structures préfabriquées, d'organes intermédiaires.

L'extension et la centralisation de plus en plus consciente des luttes, au delà des usines et des frontières, ne peut 'être un fait artificiel et volontariste. Pour se convaincre de cette idée, il suffit de se rappeler l'expérience des ANU ([1] [7]) et cette tentative artificielle de relier et de centraliser les "organisations d'usines" dans une période où la lutte refluait.

Les conseils ne peuvent subsister que tant que subsiste une lutte permanente, ouverte, signifiant la participation d'un nombre toujours plus important d'ouvriers dans le combat. Leur surgissement est essentiellement fonction d'un développement de la lutte elle-même et de la conscience de classe.

TENTER DE COMBLER UN VIDE

Mais nous ne nous trouvons pas encore dans une période de lutte permanente, dans un contexte révolutionnaire qui permettrait au prolétariat de s'organiser en conseils ouvriers. La constitution du prolétariat en conseils est fonction de conditions objectives (degré de la crise, cours historique) et subjectives (maturité de la lutte et de la conscience). Elle est le résultat de tout un apprentissage, de toute une maturation tant organisationnelle que politique.

Nous devons être conscients que cette maturation, cette fermentation politique ne se déroule pas suivant une ligne bien dessinée et bien droite. Elle s'exprime bien plutôt à travers un processus bouillonnant et confus, à travers un mouvement heurté et saccadé. Elle exige en outre une participation active de minorités révolutionnaires. Incapable d'agir mécaniquement selon des principes abstraits, selon des plans préconçus, selon un volontarisme détaché de la réalité, le prolétariat mûrit son unité et sa conscience au cours d'un apprentissage douloureux. Incapable de regrouper toutes ses forces à un jour "J", il concentre ses rangs au cours de la bataille elle-même, son "armée", il la forme dans le conflit lui-même. Mais au cours de la lutte, il forme dans ses rangs des éléments plus combatifs, des avant-gardes plus décidées. Celles-ci ne se regroupent pas forcément au sein d'une organisation de révolutionnaires (car celle-ci dans certaines périodes est peu connue). L'apparition de ces minorités combatives au sein du prolétariat, que ce soit avant, après ou pendant les luttes ouvertes, n'est pas un phénomène incompréhensible ou nouveau. Elle exprime bien ce caractère irrégulier de la lutte, ce développement inégal et hétérogène de la conscience de classe. Ainsi depuis la fin des années 60 nous assistons à la fois à un développement de la lutte dans le sens d'une plus grande auto-organisation, à un renforcement des minorités révolutionnaires, à l'apparition de comités, noyaux, cercles, etc. où tente de se regrouper une avant-garde ouvrière. Le développement d'un pôle politique cohérent, la tendance du prolétariat à s'organiser en dehors des syndicats, procèdent d'une même maturation de la lutte.

L'apparition de ces comités cercles etc, répond donc bien à une nécessité de la lutte elle-même. Si des éléments combatifs sentent la nécessité de rester groupés après qu'ils aient lutté ensemble, c'est à la fois dans le but de continuer à "agir ensemble" (éventuellement préparer une nouvelle grève) et à la fois dans le but de tirer des le­çons de la lutte (à travers une discussion politique). Le problème qui se pose à ces ouvriers est autant celui de leur regroupement en vue d'une action future que celui de leur regroupement en vue  d'éclaircir les questions posées par la lutte  passée et à venir. Cette attitude est compréhensible dans la mesure où l'absence de luttes permanentes, la "faillite" des syndicats et une très grande faiblesse des organisations révolutionnaires créent un vide tant organisationnel que politique. La classe ouvrière lorsqu’elle reprend le chemin de son combat historique a horreur du vide. Elle cherche donc à répondre à un besoin posé par ce vide organisationnel et politique. Ces comités, noyaux, ces minorités d'ouvriers qui ne comprennent pas encore clairement leur fonction répondent à ce besoin. Ils sont à la fois une expression de la faiblesse générale de la lutte de classe actuelle et l'expression d'une maturation de l'organisation et  de la conscience de classe. Ils cristallisent tout un travail souterrain qui s'opère au sein du prolétariat.

LE REFLUX DE 1973-77

C'est pour cette raison que nous devons faire attention à ne pas enfermer ces organes dans des tiroirs hermétiques, dans des classifications rigides. Nous ne pouvons pas prévoir l'apparition et le développement de ceux-ci de manière tout à fait précise. De plus nous devons être attentifs à ne pas séparer artificiellement différents moments dans la vie de ces comités et ne pas poser a un faux dilemme dans le style :"l'action ou la discussion."

Ceci dit cela ne doit pas nous empêcher d'avoir une intervention par rapport à ces organes. Nous devons également être capables d'apprécier l'évolution de ces organes en fonction de la période, suivant que nous nous trouvons dans une  période de reprise des luttes ou de reflux. En effet, dans la mesure où ils sont un produit immédiat et spontané des luttes, qu'ils surgissent plus sur la base de problèmes conjoncturels (à la différence de l'organisation des révolutionnaires qui surgit sur la base des nécessités historiques du prolétariat), ces organes restent très fortement dépendants du milieu ambiant de la lutte de classe. Ils restent plus fortement prisonniers des faiblesses générales du mouvement et ont tendance à suivre les hauts et les bas de la lutte.

C'est ainsi que nous devons opérer une distinction dans le développement de ces comités etc. au moment du reflux de la lutte entre 1973 et 77, et dans la période actuelle de reprise internationale des luttes.

Tout en soulignant les dangers qui restent identiques pour ces deux périodes, nous devons être capables de cerner les différences d'évolution.

C'est ainsi qu'avec la fin de la première vague de luttes à la fin des années 60 nous avons pu assister à l'apparition de toute une série de confusions au sein de la classe ouvrière. Ces confusions nous pouvons les mesurer surtout en fonction de l'attitude des quelques éléments combatifs de la classe qui tentent de rester groupés.

Nous voyons ainsi se développer :

- L'illusion du syndicalisme de combat  et la méfiance de tout ce qui-est politique (OHK, AAH, Komiteewerking ([2] [8]). Dans la plupart des cas, les comités issus des luttes se transforment carrément en para-syndicats. C'est le cas des Commissions Ouvrières en Espagne et des "Conseils d'Usines" en Italie. Plus souvent encore, ils disparaissent carrément.

- Un très fort corporatisme (ce qui constitue la base même du syndicalisme "de combat").

- Lorsque des tentatives sont faites pour dépasser le cadre de l'usine, une confusion et un éclectisme politique très grand.

- Une très grande confusion politique ce qui rend ces organes très fragiles aux menées des gauchistes et les font tomber aussi dans des illusions du style de celles entretenues par le PIC (voir le "bluff" des groupes ouvriers. ([3] [9])

C'est également au cours de cette période que se développe l'idéologie de "l'autonomie ouvrière" avec tout ce qu'elle comporte comme apologie de l'immédiatise, de l'usinisme et de l'économisme.

Toutes ces faiblesses sont essentiellement fonction des faiblesses de la première vague de luttes de la fin des années 60. C'est ainsi que ces mouvements se caractérisent par une disproportion entre la force et l'extension des grèves et une faiblesse dans le contenu des revendications. Ce qui marque surtout cette disproportion c'est une absence de perspectives politiques claires dans le mouvement. Le repli ouvrier de 73-77 est le produit de cette faiblesse utilisée par la bourgeoisie pour opérer un travail de démobilisation et d'encadrement idéologique des luttes. Chacun des points faibles de la première vague de grèves est "récupéré" par la bourgeoisie à son profit :

"Ainsi l'idée d'une organisation permanente de la classe à la fois politique et économique s'est transformée ensuite en celle des "nouveaux syndicats" pour finalement en revenir aux syndicats classiques. La vision de l'A.G. comme une forme indépendante du contenu a aboutie - via les légendes sur la démocratie directe et le pouvoir populaire- au rétablissement de la confiance dans la démocratie bourgeoise classique. Les idées d'autogestion et de contrôle ouvrier de la production, confusions explicables dans un premier temps, furent théorisées par le mythe de "l'autogestion généralisée", les "Îlots du communisme" ou la "nationalisation sous contrôle ouvrier". Tout ceci a préparé les ouvriers à faire confiance au plan de restructuration "qui évite les licenciements" ou aux pactes de solidarité nationale pour "sortir de la crise".

(Rapport sur la lutte de classe présenté au 3ème Congrès international du CCI)

LA REPRISE DES LUTTES DEPUIS 1977

Avec la reprise des luttes depuis 1977, nous voyons se dessiner d'autres tendances. Le prolétariat a mûri par la "défaite", il a tiré même très confusément les leçons de ce reflux et même si les dangers restent toujours présents de "syndicalisme de combat", de corporatisme, etc, ils s'inscrivent dans une évolution générale différente.

C'est ainsi que depuis 77 nous voyons se développer timidement :

Une volonté plus ou moins marquée de développer  une discussion politique de la part d'une avant-garde combative des ouvriers (rappelons l'AG des coordinamenti à Turin, le débat mené à Anvers avec des ouvriers de Rotterdam, d'Anvers, etc., la conférence des dockers à Barcelone,...([4] [10]).

La volonté d'élargir le champ de la lutte, de dépasser le ghetto de l'usinisme, de donner un cadre politique plus global à la lutte. Cette volonté s'exprime par l'apparition de "coordinamenti" et plus spécifiquement dans le manifeste politique d'un des coordinamenti du nord de l'Italie. Ce manifeste réclame une unification de l'avant-garde combative des usines, la nécessité d'une lutte politique indépendante des ouvriers et insiste sur la nécessité de dépasser le cadre de l'usine pour lutter;

Le souci d'établir une liaison entre l'aspect immédiat de la lutte et le but final. Ce souci s'exprime particulièrement dans des groupes de travailleur: en Italie (FIAT) et en Espagne FEYCU, FORD). Les premiers sont intervenus par voie de tract pour dénoncer les menaces de licenciements faits au nom de "l'anti-terrorisme", les seconds pour dénoncer l'illusion du parlementarisme;

-Le souci de mieux préparer et organiser les luttes à venir (cf.. action des "porte-parole" de Rotterdam appelant à la formation d'AG).

Bien entendu, répétons le, les dangers de corporatisme, de syndicalisme de combat, d'enfermement de la lutte sur un terrain strictement économique subsistent même au cours de cette période,

Mais ce dont nous devons tenir compte c'est l'influence importante de la période sur l'évolution de comités, noyaux, etc. surgissant avant ou après les luttes ouvertes. Lorsque la période est à la combativité et à la remontée des luttes, l'intervention de telles minorités ouvrières prend un autre sens et notre attitude également. C'est ainsi que dans une période de recul généralisé des luttes, nous insisterons plus sur les dangers pour de tels organes de se transformer en para-syndicats, de tomber dans les bras des gauchistes et des illusions du terrorisme, etc. Dans une période de remontée, nous insisterons plus sur les dangers du volontarisme et de l'activisme (cf. les illusions exprimées à cet égard dans le manifeste du coordina­mento de Sesto Seovanni), sur les illusions que pourraient avoir ces ouvriers combatifs de former les embryons des comités de grève futurs, etc. Dans une période de reprise des luttes, nous serons également plus ouverts face à l'apparition de minorités combatives se regroupant en vue d'appeler à la lutte et à la formation de comités de grève, d' d'A.G., etc.

LES POSSIBILITES DE CES ORGANES

Ce souci de replacer ces comités, noyaux, etc. dans le bain de la lutte de classe, de les comprendre en fonction de la période dans laquelle ils se meuvent, n'implique pas pourtant que nous changions nos analyses du tout au tout, suivant ces différentes étapes de la lutte de classe.

Quel que soit le moment où naissent ces comités ou noyaux, nous savons qu'ils ne constituent qu'UNE ETAPE D'UN-PROCESSUS DYNAMIQUE GENERAL, un moment dans la maturation de l'organisation et de la conscience de classe. Ils ne peuvent avoir un rôle po­sitif que s'ils se donnent un cadre large et souple pour ne pas figer ce processus. C'est pourquoi ils doivent être vigilante et ne pas tomber dans les pièges suivants :

-                      s'imaginer constituer la structure qui prépare le surgissement des comités de grève ou des conseils.

-                      s'imaginer être investis d'une sorte de "potentialité" en vue de développer la lutte future (ce ne sont pas des minorités qui créent artificiellement une grève ou font surgir une A.G. ou un comité même si elles ont une intervention active dans ce processus).

-                      se doter d'Une plate-forme ou de statuts ou de tout élément risquant de figer leur évolution et les condamnant à la confusion politique.

-                      se présenter comme des organes intermédiaires entre la classe et une organisation politique, comme une organisation à la fois unitaire et politique.

C'est pourquoi, quelle que soit la période dans laquelle nous nous trouvons, notre attitude envers ces organes minoritaires, si elle reste, ouverte, vise cependant à influencer l'évolution de la réflexion politique en leur sein. Nous devons essayer de faire en sorte que ces comités, noyaux, ne se figent ni dans un sens (une structure qui s'imagine préfigurer les conseils), ni dans l'autre (fixation politique). Ce qui doit nous guider avant tout, ce ne sont pas les intérêts et les préoccupations conjoncturelles de ces organes (car nous ne pouvons pas leur suggérer une recette organisationnelle et une réponse toute faite), mais les intérêts généraux de l'ensemble de la classe. Notre souci est de toujours homogénéiser et développer la conscience de classe de telle sorte que le développement de la lutte se fasse avec une participation toujours plus massive des ouvriers à celle-ci et une prise en main de la lutte par les ouvriers eux-mêmes et non par une minorité, quelle qu'elle soit. C'est pour cette raison que nous insistons tant sur la dynamique du mouvement et que nous mettons les éléments combatifs du prolétariat en garde contre les tentatives de substitutionnisme ou contre tout ce qui risque de bloquer le développement ultérieur de la lutte et de la conscience. En orientant l'évolution de ces organes dans une direction (réflexion et discussions politiques), plutôt que dans une autre, nous répondons à ce souci de favoriser la dynamique du mouvement. Bien entendu, cela ne signifie pas que nous condamnions toute forme d'Intervention" ou d'action" ponctuelle de la part de ces organes. Il est évident que dès l'instant où un groupe d'ouvriers combatifs comprend que sa tâche n'est pas d'agir en vue de se constituer en para-syndicats mais plutôt en vue de tirer des leçons politiques des luttes passées, cela n'implique pas le fait que cette réflexion politique se fasse dans le vide éthéré, dans l'abstrait et sans aucune conséquence pratique. La clarification politique menée par ces ouvriers combatifs va également les pousser à agir ensemble à l'intérieur de leur usine (et dans des cas plus positifs même au delà de l'usine). Ils vont sentir la nécessité de donner une expression politique matérielle à leur réflexion politique (tracts, journaux, etc.), ils vont sentir la nécessité de prendre position par rapport à des faits concrets qui touchent la classe ouvrière. En vue de diffuser cette prise de position et de la défendre, ils vont donc avoir une intervention concrète. Dans certaines circonstances ils vont proposer des moyens d'action concrets (formation d'A.G., de comités de grève,...) en vue de riposter ou de lutter. Au cours de la lutte elle-même, ils ressentent la nécessité de se concerter pour développer une certaine orientation de la lutte, pour appuyer des revendications permettant d'élargir la lutte, pour insister sur l'élargissement de celle-ci, etc.

Mais, par rapport à cela, même si nous restons attentifs à ne pas plaquer des schémas rigides, il est clair que nous continuons à insister sur le fait que ce qui compte avant tout, c'est la participation active de tous les ouvriers à la lutte, et qu'en aucun cas ces éléments combatifs ne doivent se substituer à cette participation et mener l'organisation et la coordination de la grève à la place de leurs camarades. De plus, il est également clair que plus l'organisation des révolutionnaires augmentera son influence au sein des luttes, plus ces éléments combatifs se tourneront vers elle. Ceci, non pas parce que l'organisation aura mené une politique de recrutement forcé envers ces éléments, mais tout simplement parce que ces éléments prendront conscience qu'une intervention politique réellement active et efficace ne peut se faire que dans le cadre d'une telle organisation internationale.

L'INTERVENTION DES REVOLUTIONNAIRES

Tout ce qui brille n'est pas or. Mettre en évidence que la classe ouvrière fait surgir dans sa lutte des minorités plus combatives ne signifie pas affirmer que l'impact de ces minorités est décisif pour le déroulement ultérieur de la conscience de classe. Nous ne devons pas faire une identification absolue entre expression d'une maturation de la conscience et facteur actif dans le développement de celle-ci.

En réalité, l'influence que peuvent avoir ces comités, cercles, etc. dans le déroulement ultérieur de la lutte est très limitée. Elle est entièrement fonction de la combativité générale du prolétariat et de la capacité de ces comités ou cercles à poursuivre sans cesse un travail de clarification politique. Or, à long terme, ce travail ne peut se poursuivre que dans le cadre d'une organisation révolutionnaire.

Mais là encore aucun mécanisme ne peut avoir cours. Ce n'est pas d'une manière artificielle que l'organisation révolutionnaire gagnera ces éléments. Contrairement à des organisations comme Battaglia

Comunista ou le PIC, le CCI ne cherche pas à combler d'une manière artificielle et volontariste un "fossé" qui existerait entre le parti et la classe. Notre compréhension de la classe ouvrière comme force historique et de notre rôle nous empêche de vouloir figer ces comités dans des structures intermédiaires ou de chercher à créer des "groupes d'usine", courroies de transmission entre la classe et le parti.

Se pose alors la question de savoir quelle est notre attitude par rapport à de tels comités, cercles etc. Tout en leur reconnaissant une influente limitée, des faiblesses, nous restons ouverts et attentifs au surgissement de tels organes. Nous leur proposons avant tout une très grande ouverture dans la discussion et nous n'adoptons en aucun cas une attitude de mépris, de condamnation sous prétexte de l'impureté" politique de ces organes. Ceci est une chose. Une autre chose serait de flatter ces organes ou même de concentrer notre énergie uniquement sur eux. Nous n'avons pas à faire une psychose des "groupes ouvriers", comme nous n'avons pas à les ignorer. Tout en reconnaissant le processus " de maturation de la lutte et de la conscience de classe et ses tentatives à se "hisser" vers le terrain politique, tout en ayant conscience que le prolétariat dans ce processus fait surgir en son sein des minorités plus combatives qui ne s'organisent pas nécessairement en organisation politique, nous devons faire attention à ne pas identifier ce processus de maturation avec celui qui caractérisait le développement de la lutte au siècle dernier. Cette compréhension est très importante car elle nous permet d'apprécier en quoi ces comités, cercles, etc. sont véritablement des expressions de la maturation de la conscience de classe, mais des expressions avant tout temporaires et éphémères  et non pas des jalons fixes et structurés, des échelons organisationnels dans le développement de la lutte de classe. Car la lutte de classe en période' de décadence se fait par explosions, par surgissements brusques qui surprennent même les éléments les plus combatifs d'une lutte précédente et peuvent les dépasser tout à fait en conscience et en maturité. Le prolétariat ne peut s'organiser réellement au niveau unitaire qu'au sein de la lutte elle-même et au fur et à mesure que la lutte devient permanente il grossit et renforce ses organisations unitaires.

C'est cette compréhension qui nous permet de mieux cerner en quoi, même si dans certaines circonstances il peut être très positif de mener une discussion suivie et systématique avec ces cercles et de participer à leurs réunions, nous n'avons pas de politique spécifique, de "tactique" spéciale à l'égard de ces comités ouvriers. Nous reconnaissons la possibilité et une plus grande facilité de discuter avec ces éléments combatifs (particulièrement quand la lutte n'est pas encore ouverte) ; nous avons conscience que certains de ces éléments peuvent nous rejoindre, mais nous ne focalisons pas toute notre attention à leur égard. Car ce qui reste avant tout essentiel pour nous, c'est la dynamique générale de la lutte à l'intérieur de la laquelle nous n'opérons aucune classification rigide, aucune hiérarchisation. Nous nous adressons avant tout à la classe ouvrière dans son ensemble. Contrairement aux autres groupes politiques qui essaient de combler l'absence d'influence de minorités révolutionnaires par des procédés artificiels en s'illusionnant sur ces "groupes ouvriers': le CCI reconnaît son peu d'impact dans la période présente. Nous ne cherchons pas à développer, pour augmenter cette influence, une confiance artificielle des ouvriers à notre égard. Nous ne sommes pas ouvriéristes, comme nous ne sommes pas des mégalomanes. L'influence que nous développerons progressivement au sein des luttes, viendra essentiellement de notre PRATIQUE POLITIQUE en leur sein, et non d'un quelconque rôle de "porteurs d'eau" ou d'une politique de flagorneries. De plus, cette intervention politique, nous l'adressons aux ouvriers dans leur ensemble, au prolétariat pris comme un tout et comme une classe. Nous existons non pas pour nous satisfaire de la "confiance" que nous accorderaient deux, trois ouvriers aux mains calleuses, mais pour homogénéiser accélérer l'épanouissement de la conscience de classe. Et soyons conscients que ce n'est qu'au cours du processus révolutionnaire lui-même que le prolétariat nous accordera sa "confiance" politique, dans la mesure où il reconnaîtra alors que le parti révolutionnaire fait réellement PARTIE de son combat historique.



[1] [11] AAU, Allgemeine Arbeiter Union : Union Générale des Travailleurs. Les 'unions" ont été des tentatives de créer des formes d'organisation permanentes regroupant l'ensemble des ouvriers en dehors des syndicats et contre eux, en Allemagne, dans les années qui suivirent l'écrasement de l'insurrection de Berlin en 1919. Elles exprimaient un une nostalgie des conseils ouvriers, mais ne parvinrent jamais à en remplir la fonction.

[2] [12] Groupes d'ouvriers en Belgique.

[3] [13] Le groupe français PIC (Pour une Intervention Communiste) vécut pendant quelques mois convaincu et cherchant à convaincre tout le monde, qu'il participait au développement d'un réseau de "groupes ouvriers", qui constitueraient une puissante avant garde du mouvement révolutionnaire. Il fondait et entretenait cette illusion sur la réalité squelettique de deux ou trois groupes constitués pour l'essentiel d'éléments "ex-gauchistes". Il ne reste plus grand chose de tout ce bluff.

[4] [14] Il s'agit de rencontres organisées regroupant des délégations de différents groupes, collectifs, comités ouvriers...

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [15]

Questions théoriques: 

  • Décadence [3]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La lutte Proletarienne [16]

L’évolution du capitalisme et la nouvelle perspective - 1952 INTERNATIONALISME

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Le texte que nous reproduisons ci-dessous est paru, dans le n°46 d'Internationalisme  en été 1952. Ce fut le dernier numéro de cette revue, et à ce titre, ce texte constitue en quelque sorte un résumé condensé des positions et de l'orientation politique de ce groupe. L'intérêt qu'il présente est donc certain.

Ce qui devrait être tout particulièrement mis en évidence, est la différence de la perspective telle qu'elle se dégage du texte et telle que nous la percevons aujour­d'hui. Internationalisme avait raison d'analyser la période qui a suivi la 2ème guerre mondiale comme une continuation de la période de réaction et de reflux de la lutte de classe du prolétariat, et en conséquence, de condamner comme artificielle et aventuriste la proclamation bordiguiste de la constitution du Parti. elle avait encore raison d'affirmer qu'avec la fin de la guerre le capitalisme ne sort pas de sa période de décadence, que toutes les contradictions qui ont amené le capitalisme à la guerre subsistaient et poussaient inexorablement le monde vers de nouvelles guerres. Mais Internationalisme n'a pas perçu ou pas suffisamment mis en évidence la phase de reconstruction possible dans le cycle : crise-guerre-reconstruction-crise.

C'est pour cette raison et dans le contexte de la lourde atmosphère de la guerre froide USA-URSS de l'époque qu'Internationalisme ne voyait la possibilité d'un resurgissement du prolétariat que dans et à la suite d'une 3ème guerre. On doit noter qu'aujourd'hui encore il y a des militants révolutionnaires qui partagent cette vision. Cependant, la crise qui a suivi nécessairement la phase de reconstruction, durant laquelle se sont en partie épuisées bien des mystifications, a permis une reprise de la lutte de la classe ouvrière et obligé le capitalisme mondial, malgré l'aggravation de ses antagonismes internes, à faire face d'abord son ennemi de classe.

Si la perspective d'inévitabilité de la 3ème guerre peut se comprendre dans le contexte des années 50, car elle reposait sur une possibilité réelle, nous n'avons aucune raison de la maintenir aujourd'hui. Le capitalisme peut trouver dans des guerres localisées un exutoire momentané à ses contradictions et antagonismes, mais il ne peut aller à la guerre généralisée tant qu'il n'a pas réussi à immobiliser le prolétariat. Cette immobilisation, il ne peut l'obtenir que par l'affrontement ouvert et l'écrasement par la force du prolétariat. C'est cet affrontement qui est notre perspective aujourd'hui et auquel nous devons nous préparer. Rien ne nous autorise à présager une issue défavorable à cet affrontement. De toutes leurs forces, les révolutionnaires ne peuvent que miser et espérer la victoire de leur classe  (extraits de l'introduction à la republication du texte parue dans le Bulletin d'études et de discussion t  n°8, de Révolution Internationale, juillet 1974)

Nous publions ici une série d'exposés, faits au cours de réunions communes avec des camarades de l'Union Ouvrière Internationaliste. Afin d'en permettre, au plus rapidement, la discussion, nous les donnons sous la forme de compte-rendu analytique. Il s'ensuit que le lecteur n'y trouvera pas les nécessaires-indications statistiques ni certains développements importants. Ce sont des schémas d'un travail de fond, plutôt que ce travail de fond. Le camarade M. qui portait la responsabilité de ces exposés, se réserve de les élargir et de leur adjoindre la documentation utile.

Nous souhaitons vivement qu'une discussion la plus large possible, s'engage cependant à leur propos. Il est superflu d'insister sur la nécessité d'une telle discussion et de la publication de tous documents s'y rapportant. Il va sans dire que nous sommes prêts à assumer ces publications.

L'ÉVOLUTION DU CAPITALISME ET LA NOUVELLE PERSPECTIVE

Avant de dégager les caractères généraux du capitalisme à son présent stade du capitalisme d'Etat, il est nécessaire de rappeler et préciser les caractères fondamentaux du capitalisme en tant que système.

Tout système économique, au sein de la société divisée en classes, a pour but l'extraction de surtravail aux classes  laborieuses et au profit des classes exploiteuses. Ce qui distingue, entre eux, ces différents systèmes et partant ces différentes sociétés, c'est le mode d'appropriation du surtravail par les exploiteurs, de son évolution à laquelle le développement des forces productives confère un caractère de nécessité.

L'on se bornera ici à rappeler les caractères essentiels de l'exploitation capitaliste de la force de travail.

SEPARATION DES MOYENS DE PRODUCTION D'AVEC LES PRODUCTEURS

Le travail passé et accumulé-le travail mort- domine et exploite le travail présent -le travail vivant-. C'est en tant que contrôlant le travail mort, c'est à dire les moyens de production, que les capitalistes -non pris individuellement mais comme classe sociale exploitent le travail des ouvriers.

La vie économique est toute entière suspendue à cet objectif de recherche du profit par le capitaliste. Ce profit lui-même est en partie consommé par le capitaliste, et en partie, la plus grande, destiné à la reproduction et à l'élargissement du capital.

LA PRODUCTION COMME PRODUCTION DE MARCHANDISES

Les rapports entre les membres de la société prennent la forme de rapports entre marchandises. La force de travail est elle-même une marchandise qui est payée à sa valeur : celle des produits nécessaires à sa reproduction totale se mesure par la valeur de la force de travail comparée à la valeur du produit.  Ainsi, l'accroissement de la productivité du travail, en faisant baisser la valeur des marchandises consommées par la classe salariée, et partant la valeur de la force de travail, aboutit à la diminution du salaire par rapport à la plus-value. Plus la production augmente, et plus baisse la part des ouvriers dans cette production, plus baisse le salaire relatif à cette production 'accrue.

(L'échange des marchandises s'opère sur la base de la loi de la valeur. Cet échange est mesuré par la quantité de travail social nécessaire dépensé dans la production des marchandises.

Les caractères, que l'on vient de dire, se retrouvent à tous les stades de l'évolution du capitalisme. Cette évolution les modifie, sans doute; mais ces modifications, qui s'effectuent à l'intérieur du système, demeurent secondaires, elles n'altèrent pas fondamentalement la nature du système.

LE MODE DE L'APPROPRIATION

On ne peut analyser le capitalisme qu'en le saisissant dans son essence qui est le rapport capital-travail; il faut examiner le capital dans ses rapports avec le travail, et non ceux du capitaliste et de l'ouvrier.

Dans les sociétés antérieures au capitalisme, la propriété des moyens de production était fondée sur le travail personnel, l'usage de la force étant considérée comme une expression de ce travail personnel. La propriété était réellement propriété privée des moyens de production, étant considéré que l'esclave, par exemple, était lui-même moyen de production. Le propriétaire était souverain, cette souveraineté n'étant limitée que par des biens d'allégeance au plus fort (tribut, vassalité,  etc...).

Avec le capitalisme, la propriété se fonde sur le travail social. Le capitaliste est assujetti aux lois du marché. Sa liberté est limitée aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur de son entreprise..: il ne peut produire "à perte", en enfreignant la loi du marché. En ce dernier cas, la sanction serait immédiate : ce serait la faillite: cependant, il faut noter que cette faillite est celle du capitaliste, mais non celle de la classe capitaliste. Tout se passe comme si la classe capitaliste était le propriétaire collectif, social, des moyens de production. La situation du capitaliste est instable, chaque instant le remet en question. Ainsi Marx pouvait-il affirmer que "le système d'appropriation découlant du mode de production capitaliste et, par suite, la propriété capitaliste constituent la première négation de la propriété privée individuelle fondée sur le travail personnel." Car cette propriété capitaliste est essentiellement celle de la classe comme telle. Et c'est très justement que Marx peut désigner, dans la préface à sa "Contribution à la critique de l'économie politique", les rapports de propriété comme "l'expression juridique des rapports de production".

La propriété du capitaliste, la propriété de son entreprise privée, correspond aux stades du capitalisme où elle est rendue nécessaire par le faible niveau des forces productives et par le fait que le champ d'expansion du système est encore vaste et n'oblige pas à recourir à un mode supérieur de concentration de la propriété. Dans ces conditions, l'intervention de l'Etat dans l'économie demeure accidentelle, l'Etat demeure un organisme politique, chargé d'administrer la société en fonction des intérêts des capitalistes.

Toutefois, si le faible niveau de développement des forces productives entrainait l'existence d'une propriété privée capitaliste sur une fraction du capital social global (... celle constituée par son entreprise), il ne suit pas de là que le haut niveau atteint par ces forces exigent le recours au capitalisme d'Etat, Le haut niveau provoque certes une concentration de la propriété ainsi qu'on le vit avec la société anonyme ou le monopole, mais il ne suffit pas de l'invoquer pour expliquer le recours à la concentration-de la propriété dans les mains de l'Etat. En effet, sur le plan strict de la propriété, la concentration aurait pu s'effectuer et s'effectue en partie selon la modalité différente d'une concentration monopoliste de la propriété à l'échelle internationale-(cartels par exemple) et non pas à l'échelle nationale qu'implique toute forme étatique de la propriété.

LE CAPITALISME COMME ETAPE HISTORIQUE NECESSAIRE A L'INSTAURATION DU SOCIALISME

L'un des fondements essentiels de l'exploitation de l'homme par l'homme tient en ce que l'ensemble de la production ne parvient pas à satisfaire l'ensemble des besoins sociaux humains. Il y a lutte pour répartir les biens, en d'autres termes pour exploiter le travail. Aussi la possibilité historique d'une émancipation des travailleurs ne peut-elle surgir qu'à partir d'un certain degré d'expansion des forces productives et suffisant à couvrir l'ensemble des besoins sociaux.

Le socialisme, comme société sans classe ne peut se concevoir qu'à partir de ce degré atteint, le­quel permet de liquider les anciennes contradictions de classe. Le capitalisme, le développement de la production qu'il a su provoquer, apparait  ainsi comme la condition nécessaire du socialisme.

Ce n'est que sur son acquis que peut s'instaurer le socialisme.

On ne peut donc soutenir, comme le font les anarchistes par exemple, qu'une perspective socialiste resterait ouverte quand bien même les forces productives seraient en régression, en écartant toute considération relative à leur niveau. Le capitalisme représente une étape indispensable et nécessaire à l'instauration du socialisme dans la mesure où il parvient à en développer suffisamment les conditions objectives. Mais, de même qu'au stade actuel, -et c'est l'objet de la présente étude-, Il devient un frein par rapport au développement des forces productives, de même la prolongation du capitalisme, au-delà de ce stade, doit entraîner la disparition des conditions du socialisme. C'est en ce sens que se pose aujourd'hui l'alternative historique : le socialisme ou la barbarie.

LES THÉORIES DE L'EVOLUTION DU CAPITALISME

Si Marx analyse les conditions de développement de la production capitaliste, il ne put cependant, pour d'évidentes raisons de chronologie, examiner dans lé concret les formes suprêmes de son évolution. Cette tâche devait incomber à ses continuateurs. Aussi, différentes théories ont-elles surgi dans le mouvement marxiste, lesquelles prétendaient mettre à jour la théorie de l'évolution du capital. Nous nous proposons, pour la clarté de l'exposition de rappeler très cursivement trois axes essentiels de ces  théories.

LA THEORIE DE LA CONCENTRATION

Proposée par Hilferding, puis reprise par Lénine,

- cette théorie est plutôt une description qu'une interprétation de l'évolution du capitalisme. Elle part de la constatation générale que le haut degré de concentration de la production et de centralisation du capital donne aux monopoles le rôle directeur dans l'économie. La tendance de ces monopoles à s'aménager des superprofits géants les conduit au partage impérialiste du monde.

Cette théorie peut s'appliquer au passage du capitalisme concurrentiel à celui des monopoles, elle ne saurait s'appliquer au capitalisme d'Etat, lequel apparaît comme une négation du monopole international. Une concentration plus poussée n'implique pas nécessairement le recours à des formes étatiques de concentration. La concentration capitaliste résulte de la concurrence entre capitalistes au travers de laquelle le moins bien placé techniquement finit par être absorbé par le plus gros. Suit de là un élargissement du capitaliste victorieux. Ce développement continu de quelques 'entreprises tend à interdire l'apparition de nouvelles entreprises du fait de l'importance des capitaux nécessaires aux investissements en capitaux fixes et circulants. Si ce procès explique la formation de trusts monopolistiques à capitaux hautement centralisés, rien ne prouve que, du point de vue du montant des capitaux à investir, le monopole était incapable de faire face aux exigences d'une concentration supérieure à celle déjà atteinte. L'étatisation ne représente nullement une concentration supérieure à celle déjà atteinte par le monopole. Bien plus, certaines ententes monopolistiques internationales représentaient une tendance vers une concentration supérieure, en tout état de cause, à celle qui s'opérerait à l'intérieur d'un seul Etat.

D'autre part, en reprenant le point de vue réformiste d'Hilferding, Lénine en arrivait à cette conclusion, au moins logique et implicite, que le capitalisme n'avait pas de terme à son développement. Aussi la barbarie ne représentait pas pour lui une éventualité historique, mais une image : expression de la stagnation des forces productives et du caractère "parasitaire" du capitalisme dans ces conditions. Pour Lénine, comme pour les sociaux-démocrates -mais selon, des voies et moyens différents et opposés-, la question des conditions objectives de la révolution ne se posait plus en termes de progression ou de régression des forces productives-il n'importait- mais uniquement en fonction de la nécessité historique pour le prolétariat de faire culminer la révolution bourgeoise en révolution prolétarienne. Ce dernier aspect sera touché plus loin.

LA THEORIE DE LA BAISSE TENDANCIELLE DU TAUX DE PROFIT

Cette théorie fut présentée par Henryk Grossman. Partant d'une formulation nouvelle des schémas marxiens de la reproduction élargie, Grossman insista sur ce que la hausse continue de la composition organique du capital amenait une chute de la valorisation de ce capital (baisse du taux de profit entraînant celle de la masse de ce profit) : l'insuffisance relative de la plus-value s'oppose aux besoins de l'accumulation. Pour y remédier, les capitalistes s'essaient à diminuer le coût de production du capital et des transports, le niveau des salaires, etc... Le développement technique suit un rythme accéléré, tandis que la lutte de classe se poursuit avec une vigueur accrue par la surexploitation du travail.

Cette théorie assigne nettement une fin objective au développement de l'accumulation capitaliste : son effondrement. Les capitaux ne trouvent plus à s'employer dans des conditions de rentabilité suffisante. C'est une série de guerres -entraînant le maintien provisoire de la rentabilité- et au delà l'effondrement du capitalisme. Le point de vue de Grossman , cependant, ne paraît guère convaincant en ce qu'il établit un lien absolu entre la baisse du taux et la diminution relative de la masse du profit.

Dans son "Anticritique" Rosa Luxembourg eut l'occasion de noter :

"On dit que le capitalisme s'écroulera par suite de la baisse du taux de profit. Cet espoir sera malheureusement réduit en fumée par une seule thèse de Marx, là où il montre que, pour de grands capitaux, la chute du taux de profit est compensée par la masse de ce profit. Si on attend de la chute du taux de profit l'écroulement du capitalisme, on pourrait attendre aussi bien jusqu'à ce que le soleil s'éteigne."

Comment le capitalisme réagit-il à la baisse du taux de profit ? Marx a déjà montré que face à la tendance à la baisse du taux, le capitalisme a certains moyens de réagir et de rendre rentable l'exploitation du travail additionnel. L'accentuation de l'exploitation de la force de travail est un de ces moyens. Un autre est l'élargissement de la production, bien que dans chaque produit la-baisse du taux entraîne une diminution de la part du profit, la somme totale du profit augmente par la somme supérieure de produits ainsi obtenus. Enfin le capitalisme réagit par l'élimination d'éléments "parasitaires" émargeant antérieurement sur la totalité du profit. Ainsi le passage du capitalisme concurrentiel à celui du monopole entraîna l'élimination partielle de petits producteurs retardataires. Rien ne permet d'affirmer que le passage au capitalisme d'Etat s'accompagne de ce processus. Bien au contraire, peut-on soutenir, avec plus de motifs, que la concentration étatique fait surgir une couche sociale -improductive de valeurs et donc parasitaire- qui est la bureaucratie.

Pour que cette théorie puisse passer pour interprétative de la crise du système, il faudrait qu'elle démontrât que l'augmentation de la masse de profit ne parvient plus à compenser la baisse du taux ou, en d'autres termes, que la somme du profit social global diminue malgré une augmentation de la production.

            Le théorème que la théorie de Grossman devrait démontrer serait alors le suivant : à la fin du nouveau cycle de production, le profit global (entant que    produit d'une masse augmentée de la production multipliée par un taux inférieur) est inférieur au profit social global issu du cycle antécédent (en tant que, produit d'une masse inférieure de la production multipliée par un taux de profit supérieur antérieur à la baisse). Une telle démonstration peut être donnée dans l'infini de des schémas, elle ne se retrouve pas dans les conditions réelles de la production. Il faut donc conclure que la solution véritable est ailleurs. L'impossibilité d'élargir la production vient aujourd’hui, non de la non-rentabilité de cette production élargie, mais uniquement de l'impossibilité de son écoulement.

LA THEORIE DE L'ACCUMULATION DE ROSA LUXEMBOURG

Pas plus que pour les précédentes théories nous ne donnerons ici qu'un résumé, un tant soit peu complet ([1] [17]), de la thèse de Rosa Luxembourg. On sait que Rosa, après une étude approfondie des schémas marxiens de la reproduction élargie, concluait à l'incapacité pour les capitalistes de réaliser toute leur plus-value sur leur propre marché. Afin de poursuivre l'accumulation, les capitalistes sont contraints d'écouler une partie de leurs marchandises dans des milieux extra-capitalistes : producteurs possédant en propre leurs moyens de production (artisans, paysans, colonies ou semi-colonies). C'est l'existence de ces milieux extra-capitalistes qui conditionne le rythme de l'accumulation capitaliste. Cette frange extra-capitaliste vient-elle à se rétrécir et le capitalisme est plongé dans la crise. Les luttes se développent entre les différents secteurs du capitalisme mondial afin de se réserver l'exploitation de ces pays extra-capitalistes.

La disparition des marchés extra-capitalistes entraîne donc une crise permanente du capitalisme. Rosa Luxemburg démontre par ailleurs que le point d'ouverture de cette crise s'amorce bien avant que cette disparition soit devenue absolue. Afin de pallier à cette disparition, le capitalisme développe une production parasitaire, improductive de par sa nature : celle des moyens de destruction. Le caractère décadent du capitalisme s'affirme par cela qu'il devient incapable de maintenir la production dés valeurs sociales (objets de consommation). La guerre devient le mode de vie du capitalisme : guerres entre Etats ou coalition d'Etats où chacun tente de se survivre par le pillage ou l'assujettissement du vaincu. Alors qu'aux stades antérieurs, la guerre provoquait une expansion de la production chez l'un ou l'autre des antagonistes, elle amène aujourd'hui la ruine, à des degrés divers, de l'un et de l'autre. Cette ruine se traduit aussi bien par la baisse du niveau de vie de la population que par le caractère toujours plus improductif de valeurs que prend la production. L'aggravation des luttes entre Etats et leur caractère décadent depuis 1914, mène chaque Etat à vivre sur lui-même, en cycle fermé, et à recourir à la concentration étatique. Nous n'insisterons pas plus ici, ce sera l'objet des développements suivants que d'ajuster la théorie à la réalité historique.

QUELQUES CARACTERES FONDAMENTAUX DU CAPITALISME D’ETAT

Le capitalisme d'Etat n'est pas une tentative de résoudre les contradictions essentielles du capitalisme en tant que système d'exploitation de la force de travail, mais la manifestation de ces contradictions. Chaque groupe d'intérêts capitalistes essaie de rejeter les effets de la crise du système sur un groupe voisin, concurrent, en se l'appropriant comme marché et champ d'exploitation. Le capitalisme d'Etat est né de la nécessité pour ce groupe d'opérer sa concentration et de mettre sous sa coupe les marchés extérieurs à lui. L'économie se transforme donc en une économie de guerre.

LE PROBLÈME DE LA PRODUCTION ET DE L'ECHANGE

Dans les stades Capitalistes antérieurs au capitalisme d'Etat, l'échange précédait la production : la production suit le marché. Lorsque l'indice de la production approche l'indice du volume du commerce mondial, la crise s'ouvre. Cette crise manifeste la saturation du marché. A la sortie de la crise, la reprise de l'expansion économique s'effectue d'abord dans la sphère de l'échange et non dans celui de la production, lequel suit la demande.

A partir de 1914, le phénomène se renverse : la production précède l'échange. Il apparût, tout d'abord, que ce phénomène était imputable aux destructions causées par la guerre. Mais en 1929, l'indice de l'échange rejoint celui de la production et c'est la crise. Les stocks s'accumulent, le capitaliste est dans l'incapacité de réaliser la plus-value sur le marché.

Auparavant les crises se résorbaient par l'ouverture de nouveaux débouchés, laquelle entraînait une reprise du commerce mondial et, à sa suite, celle de la production. Entre 29 et 35, la crise ne peut trouver d'exutoire dans un élargissement des marchés dont les limites tendancielles sont atteintes. La crise fait déboucher le capitalisme sur une économie de guerre.

Le monde capitaliste est entré dans sa crise permanente : il ne peut plus élargir sa production. On verra là l'éclatante confirmation de la théorie de Rosa.: le rétrécissement des marchés extra-capitalistes entraîne une saturation du marché proprement capitaliste.

LE PROBLEME DES CRISES

Le caractère essentiel des crises depuis 1929 est qu'elles sont plus profondes que les précédentes. Il ne s'agit plus de crises cycliques, mais d'une crise permanente. La crise cyclique, celle que connut le capitalisme classique, affectait l'ensemble des pays capitalistes. La reprise s'effectuait, elle aussi, de façon globale. La crise permanente, celle que nous connaissons aujourd'hui, se caractérise par la chute continue des échanges et de la production dans l'ensemble des pays capitalistes (ainsi des années 1929 à 1934). Mais on n'assiste plus à une reprise généralisée. Cette reprise ne se manifeste que dans un compartiment de la production et dans ce secteur aux dépens des autres. De plus, la crise se déplace d'un pays à l'autre, maintenant en permanence l'économie mondiale en état de crise.

Devant l'impossibilité de s'ouvrir de nouveaux marchés, chaque pays se ferme et tend désormais à vivre sur lui-même. L'universalisation de l'économie capitaliste, atteinte au travers du marché mondial, se rompt : c'est l'autarcie. Chaque pays tente de se suffire à lui-même; on y crée un secteur non rentable de production, lequel a pour objet de pallier aux conséquences de la rupture du marché. Ce palliatif même aggrave encore la dislocation du marché mondial.

La rentabilité, par la médiation du marché, constituait avant 1914 l'étalon, mesure et stimulant, de la production capitaliste. La période actuelle enfreint cette loi de la rentabilité : celle-ci s'effectue désormais non plus au niveau de l'entreprise mais à celui, global, de l'Etat. La péréquation se fait sur un plan comptable, à l'échelle nationale; non plus par l'entremise du marché mondial Ou bien, l'Etat subventionne la partie déficitaire de l'économie, ou bien, l'Etat prend en mains l'ensemble de l'économie.

De ce qui précède, on ne peut conclure à une "négation" de la loi de la valeur. Ce à quoi nous assistons tient en ce que la production d'une unité de la production semble détachée de la loi de la valeur cette production s'effectuant sans considération apparente de sa rentabilité.

Le surprofit monopolistique se réalisait au travers de prix "artificiels", cependant sur le plan global de la production, celle-ci demeurait liée à la loi de la valeur. La somme des prix, pour l'ensemble des produits n'exprimait rien d'autre que la globale valeur des produits. Seule la répartition des profits entre divers groupes capitalistes se trouvait transformée : les monopoles s'arrogeaient un surprofit aux dépens des capitalistes moins bien armés. De même peut-on dire que la loi de la valeur joue au niveau de la production nationale. La loi de la valeur n'agit plus sur un produit pris individuellement, mais sur l'ensemble des produits. On assiste à une restriction du champ d'application de la loi de la valeur. La masse totale du profit tend à diminuer du fait de la charge que fait peser l'entretien des branches déficitaires sur les autres branches de l'économie.

LE CHAMP D'APPLICATION DE LA LOI DE LA VALEUR

1)                                   Le capital

De ce qui précède, ressort que si le rigoureux mécanisme de la loi de la valeur ne joue plus toujours à l'échelon de l'entreprise, d'une branche entière de l'économie, la loi se manifeste au ni veau de l'échange. Ainsi qu'aux stades antérieurs le marché reste, en dernière instance, le souverain régulateur de la valeur capitaliste des marchandises ou, si l'on préfère, des produits.- La loi de la valeur semble niée dans ces pays où plusieurs secteurs industriels cohabitent à l'intérieur même du secteur étatique. Cependant en cas d'échange avec les autres secteurs, cet échange s'opère sur la loi de la valeur.

En Russie, la disparition de la propriété privée a entraîné une très grande restriction dans le mode capitaliste d'application de la loi de la valeur. Cette loi peut ne pas jouer dans les échanges entre deux secteurs étatisés -de même qu'elle ne joue pas à l'intérieur de l'usine, entre ses divers ateliers- mais elle joue dés lors qu'il s'agit d'échanger un produit fini contre un autre produit. C'est toujours le temps de travail socialement nécessaire à sa production qui fixe le prix du produit, et non l'omnipotent caprice d'un "bureaucrate". Les produits s'échangent, se déplacent d'après les besoins de la production et si "dirigés" soient-ils, selon ceux aussi du marché. Les prix demeurent l'expression marchande de la loi de la valeur.

2)                                   La force de travail

Mais l'échange fondamental dans l'économie capitaliste est celui qui se fait entre les produits et  la force de travail....En Russie comme ailleurs, l'achat de la force de travail se fait à sa valeur capitaliste. Le prix payé est celui nécessaire à sa reproduction.

La plus ou moins grande valorisation de la force de travail, la plus ou moins grande hauteur du niveau des salaires ne change rien à la question. La valeur de la force de travail est fixée en partie par la façon dont les ouvriers réagissent 'à leur exploitation. Leur lutte, ou leur absence de lutte, peut augmenter ou diminuer ainsi la part de la production qui leur échoit sous forme de salaire. Les ouvriers cependant ne peuvent agir, au sein même du capitalisme, que sur la grandeur du volume des produits qui leur sont attribués en échange de leur force de travail et non sur le sens capitaliste -ce qu'il implique- de cette répartition.

La présence, en Russie ou ailleurs, d'une force de travail "concentrationnaire" ne change rien à ces observations. Non seulement, elle ne représente qu'une fraction minime de la force de travail dépensée sur l'ensemble du territoire, mais encore ce phénomène demeure dans le cadre des caractéristiques fondamentales des rapports entre la force de travail et le capital.

La signification de ce phénomène doit être recherchée dans la nécessité pour un pays capitaliste arriéré de maintenir un bas niveau de salaires. C'est une pression exercée, dans le cadre de l'accumulation, afin d'agir sur la grandeur de la valeur sociale globale des produits affectés à la reproduction de la force de travail, telle l'armée industrielle de réserve, des chômeurs du capitalisme classique. Le caractère passager de ce phénomène s'affirme plus encore si l'on considère que, le plus généralement, la main d'œuvre "concentrationnaire" est dirigée vers des travaux de colonisation intérieure. Il s'agit de travaux qui ne sont rentables qu'à une échéance lointaine exécutés par une main d'œuvre bon-marché et non spécialisée et qu'il serait impossible dans les conditions générales d'un état arriéré de l'économie, de compter les salaires de cette main-d’œuvre à leur valeur capitaliste. Il faut ajouter qu'à cet investissement de force de travail s'ajoute, en Russie, la nécessité pour le capitalisme de se créer un efficace moyen de coercition politique.

D'aucuns s'efforcent à voir dans cette forme d'exploitation du travail l'amorce d'un retour à l'esclavagisme. Il faudrait, pour persuader, démontrer auparavant la disparition absolue de la loi capitaliste de la valeur. Signalons encore que l'esclave antique pénalisé était soumis à une punition corporelle (verges, marque au fer, jeux du cirque). Pour l'ouvrier russe "saboteur", la punition est une pénalité de valeur. Cet ouvrier sera contraint de fournir un certain nombre d'heures de travail supplémentaires et non-payées. En revanche, le "bon" ouvrier stakhanoviste jouira davantage de salaires et surtout de logement et de loisirs. Politiquement ce système a pour mission de diviser 1a classe des exploités (formation d'une aristocratie ouvrière dévouée au régime).

D'une façon générale, l'on doit reconnaitre que, pour pallier la baisse du taux moyen et de la masse du profit, on doit utiliser au maximum la force de travail disponible. Le nombre des ouvriers est accru : la prolétarisation des masses paysannes ou petites bourgeoises s'accentue; les mutilés de guerre, les fous sont soignés et récupérés dans le cycle de production; la procréation et l'éducation des enfants est encouragée et soutenue. L'intensité du travail est accrue : les temps sont sévèrement contrôlés, on revient au travail aux pièces sous la forme du "boni" et autres primes, etc... Les crapuleux théoriciens de l'accroissement de la productivité ou du plein emploi ne font que rationaliser cette tendance à l'exploitation maximum du travail humain.

LA DESTINATION DE LA PRODUCTION.

La production se développe alors que le commerce diminue. Où donc va cette production que l'absence de possibilité d'échanges condamne à demeurer sans emploi social ? Elle est orientée vers la production de moyens de destruction. Si le capitalisme d'état accroit la production industrielle, il ne crée pas pour autant de valeurs nouvelles, mais des bombes ou des uniformes.

Le financement de cette production s'opère essentiellement de trois façons :

1)     - Dans un cycle de production donné, une partie de plus en plus grande de cette production va dans les produits qui ne se retrouvent plus au cycle suivant. Le produit quitte la sphère de la production et n'y revient plus. Un tracteur revient à la production sous forme de gerbes de blé, un tank non.

Le temps de travail social incorporé dans cette production lui confère une valeur. Mais ce temps de travail est dépensé sans contrepartie sociale: ni consommé, ni réinvesti, il ne servira pas à la reproduction. Il demeure rentable sur un plan privé, par rapport au capitaliste, mais non sur un plan global.

La production s'élargit en volume, non en valeur sociale réelle. Ainsi une première part de la production des moyens de destruction est prélevée sur la production courante.

2)     - Une deuxième part est payée par le drainage des capitaux improductifs (rentiers, boutiquiers, et paysannerie du bas de laine) et par celui aussi des capitaux accumulés productifs, mais non indispensables au fonctionnement d'une production qui n'est plus orientée vers la consommation productive. L'épargne finit par disparaître. Certainement contestables, les indications suivantes donnent cependant une idée de la tendance dans un pays comme la France où l'évolution est typique à cet égard : "Evalué en pouvoir d'achat, le capital de 1950, soit 19 500 milliards en chiffre rond, ne représente plus que 144 milliards de 1911 (contre 286), ce qui lui retire la moitié de sa valeur. Mais cette vue serait incomplète si l'on ne prenait en considération la masse des apports de l'épargne. Au rythme de 1910-1914 (4 milliards) elle eût -toutes choses égales- ajouté 144 milliards-or aux 300 milliards de cette époque. Pour avoir été moindre sous l'effet des deux guerres, cette épargne annuelle n'en a pas moins existé. Or il n'en reste aucune trace". ([2] [18])

Les bénéfices commerciaux sont amputés par un prélèvement étatique énorme. Enfin l'inflation devient permanente et la dégradation du pouvoir d'achat de la monnaie atteint des proportions considérables.

3)     - Une troisième part, enfin, est directement prélevée sur les ouvriers : diminution du niveau de vie et intensification de l'exploitation du travail. Alors qu'en France, par exemple, l'indice de la production se situe, au début de 1952, à 153 par rapport au niveau de 1938, la baisse du niveau de vie ouvrier par rapport à l'avant-guerre, atteint plus de 30% et plus même encore si l'on examine relativement à l'augmentation de la production. Ce paradoxe apparent d'une production en progression continue qu'accompagne une consommation des ouvriers en régression continue, ainsi que la fonte du capital social accumulé est une manifestation de la décadence du capitalisme.

STRUCTURE SOCIALE DE LA CLASSE CAPITALISTE

De telles transformations économiques entraînent de profondes modifications sociales. La concentration du pouvoir économique entre les mains de l'Etat -et parfois même l'élimination physique du bourgeois en tant que capitaliste individuel- précipite une évolution déjà sensible aux stades antérieurs du capitalisme. Nombre de théories ont fleuri –particulièrement sur le terrain trotskiste- qui prétendaient interpréter cette évolution en lui assignant pour dynamique la lutte d'une nouvelle classe contre la bourgeoisie classiques. Ces théoriciens arguaient de la destruction physique du bourgeois, de la propriété privée dans l'Est européen et de sa mise au pas dans les pays fascistes, travaillistes, ou "issus de la Résistance". Ces exemples cependant n'autorisent pas cette conclusion. Bâtir une théorie sur une série de faits dont les témoignages les plus typiques sont empruntés à une économie relativement arriérée, et sur des faits plus apparents que réels (le capitaliste n'est pas une personne physique, mais une fonction sociale), revient à bâtir sur le sable.

Seule reste fondamentale, au regard d'une saine analyse, l'observation du monde capitaliste hautement développé. La situation y est caractérisée par un amalgame, une imbrication d'éléments capitalistes traditionnels et d'éléments issus de 1 appareil étatique. Un tel amalgame ne s'opère pas, sans doute, sans frictions vives, ni éclopés. Le "fascisme" ou la "résistance" furent, en ce sens, des tentatives qui échouèrent.

La conclusion, que tirent nos théoriciens, d'une guerre civile entre la nouvelle classe "bureaucratique" et le capitalisme classique-mène à nier l'évidence de la crise permanente du capitalisme. A cette crise, dont les effets se répercutent au sein même des couches exploiteuses, on substitue une lutte prétendument progressive (le trotskysme officiel) ou non (SCHACHTMAN), entre deux classes "historiques". L'absence du prolétariat sur la scène historique est ainsi rationnalisée. A l'alternative que posent l'Histoire et les révolutionnaires : le Socialisme ou la Barbarie, un troisième terme est offert qui permet à nos théoriciens de s'intégrer à l'un ou l’autre bloc. Cette présupposition de l'existence, au sein du capitalisme, d'une nouvelle classe exploiteuse, apportant avec elle une solution historique aux contradictions du capitalisme, mène à l'abandon de l'idéologie révolutionnaire et le passage à celle du capitalisme.

SITUATION DES CAPITALISTES.

Le bénéfice du bourgeois de la propriété privée prenait la forme d'une rétribution proportionnée à la grandeur de l'entreprise gérée. Le caractère salarié du capitaliste, par rapport au capital, demeurait caché : il apparaissait être le propriétaire de son entreprise. Dans sa dernière forme, le capitaliste continue de vivre sur la plus-value extirpée aux ouvriers, mais perçoit son profit sous forme de salaire direct : c'est un fonctionnaire. Les profits ne sont plus distribués d'après les titres juridiques de propriété, mais d'après la fonction sociale du capitaliste. Aussi ce capitaliste se sent-il profondément solidaire, en tout temps, de l'ensemble de la production nationale, et non plus intéressé au seul profit de son entreprise. Il tend à traiter l'ouvrier d'égal à égal, à l'associer à la production, aux soucis qu'elle entraine.

Le prolétariat voit nettement que le capitalisme peut subsister sans la propriété privée des moyens de production. Cependant, l'évolution de la "salarisation" du capital abolit, en apparence, les frontières économiques entre les classes. Le prolétariat se sait exploité, mais il parvient avec difficulté à reconnaître l'exploiteur sous le veston du "boss" syndical ou la chemise du savant progressiste.

LE PROBLEME COLONIAL

On croyait autrefois, dans le mouvement ouvrier, que les colonies ne pourraient parvenir à leur émancipation nationale que dans le cadre de la révolution socialiste. Certes, leur caractère "du maillon le plus faible dans la chaîne de l'impérialisme" du fait de l'exacerbation de l'exploitation et de la répression capitaliste, les rendaient-elles particulièrement vulnérables à des mouvements sociaux. Toutefois leur accès à l'indépendance demeurait lié au sort de la révolution dans les métropoles capitalistes.

Ces dernières années ont vu, cependant, la plupart des colonies accéder à l'indépendance : les bourgeoisies coloniales se sont émancipées peu ou prou des métropolitaines. Ce phénomène, si limité soit

-il en réalité, ne peut se comprendre dans le cadre de l'ancienne théorie qui faisait du capitaliste colonial le pur et simple laquais de l'impérialisme, un courtier.

En fait, les colonies ont cessé de représenter un marché extra-capitaliste pour la métropole, elles sont devenues de nouveaux pays capitalistes. Elles perdent donc leur caractère de débouchés, ce qui rend moins énergique la résistance des vieux impérialismes aux revendications des bourgeoisies coloniales. A ceci s'ajoute le fait que les difficultés propres à ces impérialismes ont favorisé l'expansion économique -au cours des deux guerres mondiales- des colonies. Le capital constant s'amenuisait en Europe, tandis que la capacité de production des colonies ou semi-colonies augmentait, amenant une explosion du nationalisme indigène (Afrique du Sud, Argentine, Inde, etc...). Il est significatif de constater que ces nouveaux pays capitalistes passent, dès leur création, en tant que nations indépendantes, au stade de capitalisme d'Etat présentant ces mêmes aspects d'une économie tournée vers la guerre que l'on décèle par ailleurs.

La théorie de Lénine et de Trotski s'effondre: Les colonies s'intègrent au monde capitaliste et, par là même, le renforcent d'autant. Il n'y a plus de "maillon le plus faibles : la domination du capital est également répartie sur la surface entière du globe.

INCORPORATION DE LA LUTTE DU PROLETARIAT ET DE LA SOCIETE CIVILE DANS L'ETAT

La vie réelle, au stade classique du capitalisme, se déroulait dans la Société Civile, en dehors de l'Etat. Cet Etat n'était que l'instrument des intérêts dominants dans la Société Civile et cela seul : agent d'exécution et non organe de direction effective de l'économie et de la politique. Les éléments de l'Etat, cependant, appelés à maintenir l'ordre -c'est à dire administrer les hommes- tendait à se libérer du contrôle de la société, tendait à se muer en classe autonome, axant tant ses intérêts propres. Cette dissociation et lutte entre l'Etat et la Société Civile ne pouvait aboutir à la domination absolue de l'Etat tant que cet Etat ne contrôlait pas les moyens de production. La période des monopoles vit s'opérer le début d'un amalgame de l'Etat et de l'Oligarchie, toutefois cet amalgame demeurait instable : l'Etat restait extérieur à la Société Civile essentiellement fondée sur la propriété privée. La phase actuelle voit s'unifier dans les mêmes mains, l'administration des choses et le Gouvernement des hommes. Le capital décadent nie les antagonismes entre les deux classes économiques exploiteuses : les Capitalistes et les propriétaires fonciers (par la disparition des seconds). Il nie également les contradictions entre les divers groupes capitalistes dont les contrastes formaient auparavant l'un des moteurs d'une production qui, du point de vue de la production réelle de valeur, est sur le déclin.

A son tour, la classe économique exploitée est intégrée à l'Etat. Cette intégration s'effectue d'autant plus aisément, sur le plan de la mystification que les ouvriers ne trouvent plus en face d'eux que le capital en tant que tel, comme représentant du patrimoine de la nation, comme cette nation même dont les ouvriers formeraient une part.

Nous avons vu que le capitalisme d'Etat se trouve dans l'obligation de réduire la grandeur des biens destinés à alimenter le capital variable, à exploiter sauvagement le travail des ouvriers. Hier, les revendications économiques des ouvriers pouvaient être satisfaites, au moins partiellement, par l'expansion de la production : le prolétariat pouvait prétendre à une amélioration effective de sa condition. Ce temps est passé. Le capital a perdu ce volant de sécurité que représentait pour lui une augmentation réelle des salaires. La baisse de la production entraîne l'impossibilité, pour le capitalisme, d'une revalorisation même du salaire. Les luttes économiques des ouvriers ne peuvent plus amener que des échecs -au mieux le maintien habile de conditions de vie d'ores et déjà dégradées. Elles lient le prolétariat aux exploiteurs en l'amenant à se considérer solidaire du système en échange d'une assiette de soupe supplémentaire (et qu'il n'obtiendra, en fin de compte qu'en améliorant sa "productivité").

L'Etat maintient les formes d'organisation des ouvriers (syndicats) pour mieux les encaserner et mystifier. Le syndicat devient un rouage de l'Etat et comme tel intéressé à développer la productivité -c'est à dire accroitre l'exploitation du travail. Le syndicat fut l'organe de défense des ouvriers tant que la lutte économique eut un sens historique. Vidé de ce contenu ancien, le syndicat devient sans changer de forme, un instrument de répression idéologique du capitalisme d'Etat et de contrôle sur la force de travail.

LA REFORME AGRAIRE ET L'ORGANISATION DE LA DISTRIBUTION : LES COOPERATIVES.

Afin d'assurer un rendement maximum du travail, et aux conditions les meilleures, le capitalisme d'Etat se doit d'organiser et centraliser la production agricole ainsi que de limiter le parasitisme dans le secteur de la distribution. Il en va de même pour les branches artisanales. Ces différentes branches sont groupées en coopératives dont l'objet est d'éliminer le capital commercial, de réduire la distance de la production à la consommation et d'intégrer la production agricole à l'Etat.

LA SECURITE SOCIALE.

Le salaire même est intégré à l'Etat. La fixation, à sa valeur capitaliste, en est dévolue à des organismes étatiques. Une part du salaire est enlevée à l'ouvrier et est administrée directement par l'Etat. Ainsi l'Etat "prend en charge" la vie de l'ouvrier, il contrôle sa santé (lutte contre l'absentéisme), dirige ses loisirs (répression idéologique). A la limite l'ouvrier n'a plus de vie privée, chaque instant en appartient, directement ou non, à l'Etat. L'ouvrier est conçu comme la cellule active d'un corps vivant qui le dépasse, sa personnalité disparait (ce qui ne va pas sans provoquer de nombreuses névroses : l'aliénation mentale sous toutes ses formes est à notre époque ce que les grandes épidémies furent au Moyen-âge). II va sans dire que ce qui est le sort des ouvriers est aussi mutatis mutandis, celui des autres catégories économiques dans la société.

Il n'est pas besoin de souligner que si la société socialiste défend l'individu contre la maladie ou les risques de l'existence, ses objectifs ne sont pas ceux de la Sécurité Sociale capitaliste. Celle. ci n'a de sens que dans le cadre de l'exploitation du travail humain et en fonction de ce cadre. Elle n'est qu'un appendice du système.

LA PERSPECTIVE REVOLUTIONNAIRE,

Nous avons vu que la lutte économique, les revendications immédiates ne peuvent plus émanciper en rien les ouvriers. Il en va de même pour leur lutta politique menée à l'intérieur et pour la réforme du système capitaliste.

Quand la Société Civile vivait séparée de l'Etat, la lutte entre les différentes couches sociales qu' la composaient, amenait un bouleversement continu des conditions politiques dans la société. La théorie de la Révolution en permanence correspondait à cette modification perpétuelle des rapports de for. ce à l'intérieur de la société. Ces transformations permettaient au prolétariat de mener sa propre lutte politique en débordant les luttes ouvertes au sein de la bourgeoisie. La société créait ainsi les conditions sociales et le climat idéologique nécessaires à sa propre subversion. Flux et reflux révolutionnaires se succédaient à un rythme chaque foi plus approfondi. Chacune de ces crises permettait au prolétariat de manifester une conscience de classe historique toujours plus nette. Les dates de 1791, 1848, 1871 et 1917 sont les plus significatives d'une bien longue liste.

Le capitalisme d'Etat ne connaît plus de luttes politiques profondes naissant des perturbations entra différents groupes d'intérêts. A la multiplication de ces intérêts correspondait, dans le capitalisme classique, la multiplication des partis, condition d'exercice de la démocratie parlementaire. Avec le capitalisme d'Etat la société s'unifie, la tendance s'affirme au parti unique : la répartition de la plus-value sur le plan de la fonction entraine un intérêt global pour la classe spoliatrice, une unification dans les conditions d'extraction et de distribution de la plus-value. Le parti unique est l'expression de ces conditions nouvelles. Il signifie la fin de la démocratie bourgeoise classique : le délit politique devient un crime. Les luttes, qui trouvaient leur expression traditionnelle au Parlement, ou même dans la rue, se déroulent aujou­rd'hui au sein même de l'appareil d'Etat ou bien, avec quelques variantes, au sein même de la coalition généralisée des intérêts capitaliste d'une nation et, dans les conditions actuelles, d'un bloc de nations.

SITUATION PRESENTE DU PROLETARIAT

Le prolétariat n'a pu di su prendre conscience de cette transformation de l'économie. Plus même, il se trouve intégré à l'Etat. Le capitalisme eût pu, avant d'accéder à sa forme étatique, être renversé. L'ère des révolutions était ouverte. La lutte politique, révolutionnaire, des ouvriers se traduisait par un échec et un recul absolu de la classe, tel que l'Histoire contemporaine n'en a pas connu. Cet échec et ce recul ont permis au capitalisme d'opérer sa transformation.

Il semble exclu qu'au cours de ce procès, le prolétariat, en tant que classe historique, puisse se  ressaisir. Ce qui donna la possibilité à la classe de s'affirmer, c'était qu'au travers de ses crises cycliques, la société rompait ses cadres et éjectait le prolétariat du cycle de production. Rejetés de la société, les ouvriers prenaient une conscience révolutionnaire et de leur condition et des moyens de la transformer.

Avant la guerre d'Espagne, et le début de la mystification "antifasciste", où se traduit pour la première fois l'unification relative de la classe exploiteuse, puis au cours de la deuxième guerre mondiale et par après, le capitalisme tend à faire disparaître les crises cycliques et leurs séquelles, il s'installe dans la crise permanente. Le prolétariat se trouve associé à sa propre exploitation. Il se trouve ainsi intégré mentalement et politiquement au capitalisme. Le capitalisme d'Etat enchaîne plus fortement que jamais le prolétariat avec sa propre tradition de lutte. Car les capitalistes, comme classe, ont tiré les leçons de l'expérience, et compris que l'arme essentielle du maintien de leur domination est moins la police que la répression idéologique directe. Le parti politique des ouvriers est devenu celui des capitalistes. Ce qui se passe avec le syndicat, vidé de son ancien contenu et absorbé dans l'Etat, se passe pour ce qui fut le parti ouvrier. Ce parti peut devenir, tout en gardant une phraséologie prolétarienne, l'expression d'une classe d'exploiteurs, adaptant ses intérêts et son vocabulaire aux réalités nouvelles. L'un des fondements de cette mystification sont les mots d'ordre de lutte contre la propriété privée. Cette lutte trouvait un sens révolutionnaire à l'époque où le capitalisme s'identifiait à la propriété privée, elle venait mettre en cause l'exploitation sous sa forme la plus apparente. La transformation des conditions du capital a rendu cette lutte des ouvriers contre la propriété privée historiquement caduque. Elle est devenue le cheval de bataille des fractions du capital les plus avancées dans la décadence. Elle leur allie les ouvriers.

L'attachement affectif des ouvriers à leur tradition de lutte, aux mythes et à toute une imagerie dépassée est utilisé aux mêmes fins de leur intégration à l'Etat. Ainsi du Premier Mai, qui signalait naguère des grèves parfois violentes, et qui gardait toujours un caractère de lutte, devenu un jour férié du capitalisme : le Noël des ouvriers. L'Internationale est chantée par des généraux, et des curés font dans l'anticléricalisme.

Tout cela sert le capitalisme pour cette raison que l'objectif de lutte, attaché à une période écoulée, a disparu, alors que les formes de cette lutte survivent sans leur ancien contenu.

LES ELEMENTS D'UNE PERSPECTIVE REVOLUTIONNAIRE

Le procès de prise de conscience révolutionnaire, par le prolétariat, est directement lié au retour des conditions objectives à l'intérieur desquelles peut s'effectuer cette prise de conscience. Ces conditions peuvent se ramener à une seule, la plus générale, que le prolétariat soit éjecté de la société, que le capitalisme ne parvienne plus à lui assurer ses conditions matérielles d'existence.

C'est au point culminant de la crise que cette condition peut être donnée. Et ce peint culminant de la crise, au stade du capitalisme d'Etat se situe dans la guerre.

Jusqu'à ce point, le prolétariat ne peut se manifester en tant que classe historique, ayant sa propre mission. Il ne peut s'exprimer, bien au contraire, qu'en tant que catégorie économique du capital.

Dans les conditions actuelles du capital, la guerre généralisée est inévitable. Mais ceci ne veut pas dire que la révolution soit inéluctable, et moins encore son triomphe. La révolution ne représente qu'une des branches de l'alternative que son développement historique impose aujourd'hui à l'humanité. Si le prolétariat ne parvient pas à une conscience socialiste, c'est l'ouverture d'un cours de barbarie dont, aujourd'hui, on peut mesurer quelques aspects.

MAI 1952 - M.



[1] [19] On sait que ce résumé a été fait par Lucien Laurat (l'Accumulation du Capitale d'après Rosa Luxemburg; Paris 1930). Voir aussi J. Suret, le marxisme et les crises, Paris 1933. Léon Sar­bre, la Théorie marxiste des crises 1934 - et c'est toute la bibliographie française sur ce sujet.

[2] [20] René Papin dans Problèmes économiques n°159 16-1651

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [21]

Questions théoriques: 

  • Décadence [3]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La décadence du capitalisme [22]

Les théories des crises dans la gauche hollandaise

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Dans cette troisième partie, noue traitons un des aspects les plus importants des fondements théoriques de la gauche hollandaise. Dès le début de son existence à l'aube de ce siècle, la gauche hollandaise a donné une interprétation du matérialisme historique qui allait devenir une caractéristique marquante de l'Ecole marxiste hollandaise"(A.Pannekoek, H.Gorter, H.Roland-Holst). Cette interprétation de la méthode marxiste est souvent appelée le "spontanéisme". Nous montrerons dans cet, article que ce terme n'est pas approprié. La position de Gorter et Pannekoek sur le reflet de la spontanéité a permis à la gauche hollandaise de comprendre les changements imposés à la lutte ouvrière avec l'ouverture de la période de décadence du capitalisme. Nous verrons en même temps certaines faiblesses chez Pannekoek qui sont poussées à leurs conséquences les plus absurdes par les "conseillistes" d'aujourd’hui..

Le marxisme a été un apport décisif pour la théorie socialiste dans la mesure où, contrairement aux socialistes utopiques, il ne partait pas de présupposés arbitraires ou dogmatiques. La théorie marxiste en effet part "des individus réels, de leur action et des conditions matérielles d'existence dans lesquelles ils vivent, conditions matérielles qu'ils ont trouvées toutes prêtes et qu'ils ont crées par leur propre action" ([1] [23]). Qu'on se rappelle de la formulation sur le matérialisme historique dans la "Préface à la contribution à la critique de l'économie politique" de Marx :

"Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s'élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociale déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n'est pas la conscience des honnies qui détermine leur être; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience. A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants ou, ce qui n'en est que l'expression, juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une période de révolution sociale. Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement toute l'énorme superstructure. Lorsqu'on considère de tels bouleversements, il faut toujours distinguer entre le bouleversement matériel - qu'on. peut constater d'une manière scientifiquement rigoureuse- des conditions de production économiques et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le mènent jusqu'au bout. Pas plus qu'on ne juge un individu sur l'idée qu'il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de bouleversement sur sa conscience de soi; il faut au contraire, expliquer cette conscience par les contra dictions de la vie matérielle, par le conflit qui existe entre les forces productives sociales et lei rapports de production. Une formation sociale ne disparait jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu'elle est assez large pour contenir, jamais des rapports nouveaux et supérieurs ne s'y substituent avant que les conditions d'existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société.

C'est pourquoi l'humanité ne se pose jamais que des problèmes qu'elle peut résoudre; car, à y regarder de plus près, il se trouvera toujours que le problème lui-même ne surgit que là où les conditions matérielles pour le résoudre existent déjà ou du moins sont en voie de le devenir. A grands traits, les modes de production asiatique, antique, féodal et bourgeois moderne peuvent être qualifiés d'époques progressives de la formation sociale économique. Les rapports de production bourgeois sont la dernière forme contradictoire du processus de production social« contradictoire non pas dans le sens d'une contradiction individuelle, mais d'une contradiction qui nait des conditions d'existence sociale des individus : cependant les forces productives qui se développent au sein de la société bourgeoise créent en même temps les conditions matérielles pour résoudre cette contradiction. Avec cette formation sociale s'achève donc la préhistoire de la société humaine. "

(Contribution à la Critique de l'Economie Politique. Ed. Sociales 1966. Préface. p.4,5)

LA CONTRIBUTION DE LA GAUCHE HOLLANDAISE AU MATERIALISME HISTORIQUE

On peut mettre en relief deux aspects fondamen1 taux du matérialisme historique en fait indissolublement liés :

1.              Qu'il existe un rapport entre l'être et la conscience ou en d'autres termes entre l'infrastructure et la superstructure;

2.                              Qu'il y a une relation nécessaire entre le développement des forces productives et les rapports de production.

De l'antagonisme entre les forces productives et les rapports de production, nous pouvons déduire la nécessité objective d'une société communiste. La théorie marxiste pour qui l'être détermine la conscience permet de comprendre aussi comment les ouvriers agissent subjectivement dans le processus de la révolution. L'"Ecole marxiste hollandaise" a toujours mis l'accent sur ce facteur subjectif, sur le rapport entre l'être et la conscience, sur le rapport entre l'infrastructure et la superstructure. Rosa Luxemburg s'est également attachée à clarifier la question du développement de la conscience de classe. En 1904, elle s'opposa à Lénine qui défendait la position de Kautsky selon laquelle la conscience est apportée de l'extérieur dans la lutte de classe et non un produit de la lutte elle-même. Pour Rosa Luxemburg, cette question était capitale face â la bureaucratisation de la Social-Démocratie allemande. En s'appuyant sur l'histoire du mouvement ouvrier en Russie, elle montra que seule l'initiative créatrice des larges masses prolétariennes peut mener à la victoire :

"Dans ses grandes lignes, la tactique de lutte de la Social-Démocratie n'est en général pas à "inventer"; elle est le résultat d'une série ininterrompue de grands actes créateurs de la lutte de classe souvent spontanés, qui cherche son chemin. L'inconscient précède le conscient et la logique du processus historique objectif précède la logique subjective de ses protagonistes".

Rosa Luxemburg. "Questions d'organisation dans la Social-Democratie russe". Article paru en 1904 dans l'"Iskra" et dans la "Neue Zeit" Marxisme contre  Dictature, Ed. Spartacus 1946 p.24

Rosa Luxemburg et la gauche hollandaise défendaient cette position sur le rôle de la spontanéité des masses qui n'a rien à voir avec la position spontanéiste des conseillistes d'aujourd'hui. Le "spontanéisme" néglige complètement la tâche des éléments les plus conscients dans la classe : que la conscience une fois surgie de l'expérience de la lutte devienne le point de départ pour les luttes futures. Les spontanéistes et les conseillistes se réclament de l'expérience prolétarienne pour la rejeter ensuite.

Au contraire l'"Ecole marxiste hollandaise" a approfondi les positions défendues par Rosa Luxemburg sur le rôle de la spontanéité dans la développement de la conscience de classe. Gorter, Pannekoek et Roland-Holst ont trouvé dans le travail de Joseph Dietzgen (un Social-Démocrate de la première génération) un développement de la pensée marxiste selon laquelle l'être détermine la conscience. Ils ont écrit beaucoup d'articles sur les positions de Dietzgen et Gorter a traduit son œuvre la plus importante : "L'essence du travail intellectuel humain" ([2] [24]) en hollandais.

La gauche hollandaise pensait qu'il était nécessai­re de souligner les aspects subjectifs du matérialisme historique parce que :

"Les grandes révolutions dans les modes de production (du féodalisme au capitalisme, du capitalisme au socialisme) se produisent parce que de nouvelles nécessités transforment l'esprit de l'homme et produisent une volonté; quand cette volonté se traduit en actes, l'homme change la société pour répondre aux nouveaux besoins".

PANNEKOEK ("Le marxisme comme action" dans "Lichtstrahlen" n°6. 1915)

Ces lignes furent écrites au moment où les forces productives sont entrées clairement en contradiction avec les rapports de production capitalistes; la première guerre mondiale a démontré de la façon la plus horrible la décadence du capitalisme.

La Social-Democratie, d'où sa trahison, s'est montrée incapable de s'adapter aux besoins du prolétariat dans la période de décadence, à l'époque des guerres et des révolutions sociales.

"L'heure a donc sonné aujourd'hui pour souligner l'autre aspect négligé jusqu'alors du marxisme par­ce que le mouvement ouvrier doit se réorienter, doit se libérer de l'étroitesse et de la passivité de la période révolue pour surmonter sa crise".

(ibidem)

Cependant, en soulignant l'aspect subjectif du marxisme, Pannekoek a négligé l'aspect objectif du matérialisme historique. Les contradictions qui se manifestent dans l'infrastructure de la société pendant la période de décadence du capitalisme sont négligées, niées, repoussées dans l'avenir (nous verrons plus loin la critique de Pannekoek des différentes théories des crises et les effets de sa critique sur les épigones conseillistes d'aujour­d'hui). Pannekoek craignait que certaines théories des crises puissent amener la classe ouvrière à attendre passivement un effondrement "automatique" du système capitaliste. Dans l'article cité ci-dessus de 1915, Pannekoek souligne que le marxisme a deux aspects : "l'homme est le produit de circonstances, mais à son tour il transforme les circonstances". Selon Pannekoek, ces deux aspects sont "également justes et importants; c'est seulement par leur liaison étroite qu'ils forment une théorie cohérente. Mais bien entendu dans des situations différentes l'un ou l'autre de ces deux aspect prévaut". (Idem).

Ainsi, dans la période difficile des lois anti-socialistes de 1878 à1890, quand Bismarck mit hors la loi la Social-Démocratie, l'idée était de laisser mûrir les circonstances. Le cours fortement fataliste qu'avait pris le matérialisme historique pendant ces années a été, selon Pannekoek délibérément entretenu jusque pendant les années précédant la première guerre mondiale. Kautsky disait qu'un vrai marxiste était celui qui laissait mûrir les circonstances. Le besoin de nouvelles méthodes de lutte menaçait les habitudes routinières des dirigeants du parti. Pannekoek avait raison lorsqu'il soulignait la nécessité de mettre l'accent sur l'élément subjectif dans le matérialisme historique, mais, ce faisant, il sous-estimait l'évolution objective du capitalisme. Le prolétariat devait agir consciemment, poser de nouveaux problèmes, les soulever et les résoudre dans l'expérience de la lutte. Bien sûr, mais pourquoi ? Quels sont ces nouveaux problèmes ? Pourquoi sont-ils soulevés ? Pourquoi le besoin d'une nouvelle société, du communisme ? Le capitalisme peut-il encore se développer ? Qu'a-t-il à offrir à l'humanité ?

Chez Pannekoek, nous ne trouvons en général pas de réponse, ou quand elles existent elles sont insuffisantes, ou même fausses. Il n'avait pas vu clairement que le changement objectif dans le capitalisme, la décadence posait la nécessité de l'activité de masse du prolétariat. Alors que le développement progressif des luttes pour des réformes menées par les syndicats et les parlementaires socialistes, était adéquat dans la période précédente, il n'est plus approprié dans la période de décadence.

THEORIE DES CRISES

Les réponses aux questions posées ci-dessus se trouvent dans les théories marxistes des crises. En cherchant à déterminer les lois objectives du développement du capitalisme, ces théories essaient d'évaluer si les crises qui se produisent sont des crises de croissance d'un mode de production dans une période ascendante et prospère ou, au contraire, si ces crises sont des expressions d'un système en déclin qui doit être remplacé consciemment par une nouvelle classe révolutionnaire.

En partant des théories des crises, nous pouvons déduire certaines conséquences programmatiques importantes, même s'il est vrai que la conscience de la nécessité d'accélérer l'évolution historique du capitalisme par la lutte n'est jamais le produit d'arguments "purement économiques" Les théories des crises clarifient le processus de la lutte de classe. Mais en même temps, cette clarification est un besoin important de la lutte. Une théorie des crises donne aux révolutionnaires des arguments précieux contre l'idéologie bourgeoise, dans leur tâche de stimulation de la conscience de classe qui se développe par et dans la lutte. Avec la théorie des crises, la classe ouvrière a pu comprendre, par exemple, que les idées proudhoniennes sur l'autogestion n'abolissent pas en fait l'esclavage salarial. La théorie marxiste des crises a combattu les illusions réformistes en montrant que les réformes ne signifiaient rien d'autre qu'une relative amélioration de la situation de la classe ouvrière, et, en même temps, poussaient le développement capitaliste vers sa décadence finale. Aujourd'hui, la théorie des crises montre à la classe ouvrière que la lutte pour défendre son niveau de vie ne peut plus être une lutte pour des réformes puisque le capitalisme ne peut plus offrir d'améliorations durables.

Cette unité fondamentale des deux aspects objectif et subjectif du matérialisme historique apparaît très clairement dans l'œuvre de Rosa Luxemburg. Elle ne met pas simplement l'accent sur le rôle de la spontanéité des masses dans le développement des nouvelles méthodes de lutte, elle dit aussi pourquoi ces nouvelles tactiques sont nécessaires. Dans un cours donné à l'Ecole centrale du Parti en 1907, elle souligne que "les syndicats les plus forts sont complètement impuissants" contre les conséquences du progrès technique sur le salaire :

"La lutte contre la chute du salaire relatif n'est plus une lutte sur le terrain de l'économie marchande mais devient un assaut révolutionnaire contre l'existence même de cette économie; c'est le mouvement socialiste du prolétariat. D'où les sympathies de la classe capitaliste pour les syndicat -qu'elle avait d'abord combattus furieusement- dès que la lutte socialiste commence et dans la mesure où les syndicats se sont retournés contre le socialisme.

ROSA LUXEMBURG.("Introduction à l'économie polit. que Ed. Antropos. 197U, p.. Z48

Dans l'"Accumulation du capital", Rosa Luxemburg trace les 1imites historiques de la production capitaliste dans la maturation croissante du marché mondial. Déjà dans le "Manifeste Communiste", nous trouvons l'idée que les crises cycliques qui, aux yeux de Marx et Engels étaient une manifestation de la contradiction entre les forces productives et les rapports de production, ne peuvent être surmontées que par la conquête de nouveaux marchés, par la création du marché mondial. Dans 1"Idéologie allemande", ils appellent cette création du marché mondial "une interdépendance universelle, cette première forme naturelle de coopération mondiale historique des individus", une pré condition de la révolution mondiale qui mènera au "contrôle et à la gestion consciente de ces forces nées de l'interaction des hommes, les ont éblouis et dominés jusqu'à nos jours".

Dans "Le Capital", Marx dit explicitement :

"En exposant ainsi la réification des rapports de production et comment ils deviennent autonomes vis a vis  des agents de la production, nous ne montrons pas dans le détail comment les interférences du marché mondial, ses conjonctures, les mouvements des prix de marché, les périodes du crédit, les cycles de l’industrie et du commerce, les alternances de prospérité et de crise, apparaissent à ces agents comme des lois naturelles toutes puissantes, expression d'une domination fatale, et qui se manifestent à eux sous l’aspect d'une nécessité aveugle. Nous ne le montrerons pas parce que le mouvement réel de la concurrence se situe en dehors de notre plan et que nous n'avons à étudier ici que l'organisation interne du mode de production capitaliste, en quelque sorte dans sa moyenne idéale".

Marx.("Le Capital". Tome III. Ed. Sociales. p.208)

Ce projet de décrire seulement l'organisation interne du capitalisme était complètement justifié dans  la mesure où le capitalisme après les années révolutionnaires troublées de 1848-1849 était entré dans une longue période de prospérité. Marx et Engels ont conclu : "Une nouvelle révolution n'est possible que comme résultat d'une nouvelle crise. Mais elle est aussi sûre que la crise elle-même". Marx semblait se rendre compte que la période de révolution sociale n'était pas encore commencée et que le capitalisme était encore dans sa phase de développe ment progressif. "Le Capital" est une démystification de l'idéologie bourgeoise de son époque qui tentait de masquer les divisions en classes de la société et présentait le capitalisme comme un système éternellement progressif.

Il est évident que Rosa Luxemburg ne pouvait pas se contenter du plan de Marx. Elle voyait dans les mouvements de masse et dans l'impérialisme la manifestation de l'épuisement de l'ère progressive du capitalisme. Son étude de l'"Accumulation du capital" lui a permis d'écrire dans le programme du parti communiste d'Allemagne après la première guerre mondiale et dans le feu de la révolution allemande :

"la guerre mondiale a placé la société devant l’alternative : ou bien continuation du capitalisme avec comme perspectives prochaines une nouvelle guerre et la chute dans le chaos, ou bien le renversement des exploiteurs capitalistes. Par la guerre, la domination bourgeoise a fourni- la preuve négative de son droit d l'existence; elle n'est plus en état de tirer la société du terrible effondrement économique que l'orgie impérialiste a laissé derrière elle... Seule, la révolution mondiale du prolétariat peut introduire l'harmonie dans ce chaos..."

ROSA LUXEMBURG.("Que veut Spartakus ?". 1918. Collection Spartacus)

Au début de la période de décadence, tous les révolutionnaires ont senti le besoin de développer la "théorie des crises pour montrer les conséquences de la décadence sur les luttes ouvrières : Lénine, Boukharine, Luxemburg, etc., et Gorter (cf. sa brochure intitulée "L'impérialisme, la guerre mondiale et la Social-Démocratie". 1915, citée dans la première partie de cette série d'articles). Panne­koek qui a saisi les implications politiques du changement dans le capitalisme plus que d'autres est resté fermement opposé aux théories économiques qui cherchaient à déduire des causes objectives les Changements dans les méthodes de lutte prolétarienne. Comme nous allons le voir, sa critique des théories des crises a contribué malheureusement très peu au développement de la conscience de classe.

LA CRITIQUE DE PANNEKOEK A LA THEORIE DE LA CRISE MORTELLE DU CAPITALISME

Avec le reflux de la lutte révolutionnaire, le KAPD tourna son attention vers le développement d'une théorie de la "crise mortelle du capitalisme", et revint au déterminisme économique de la direction du parti Social-démocrate avant 1914.

Après des années de silence quasi-total, Pannekoek entra à nouveau dans la discussion dans la gauche communiste. En 1927, il publia un article sous le pseudonyme de Karl Horner dans "Proletarier" de la tendance de Berlin du KAPD sous le titre "Principe et tactique" (juillet-août 1927).

Réfutant la théorie de la "crise mortelle du capitalisme", voici comment Pannekoek définit la question de la crise d'une nouvelle manière :

"Quelles sont les conséquences pour le développement révolutionnaire ? Une fois de plus, la question de la crise mortelle' vient au premier plan, posée maintenant clairement : sommes nous en face d'une dépression économique qui durera assez longtemps pour que la réaction du prolétariat, conséquence de celle-ci devenue permanente mène à la révolution ?

Il est certain que la position selon laquelle le capitalisme ne peut plus revenir à une phase de prospérité et a atteint une crise finale qu'il ne peut plus surmonter est partagée par le KAPD. Parce que cette question est très importante pour la tactique du KAPD, elle requiert une observation plus approfondie".

Pannekoek fit remarquer justement que la théorie de "la crise mortelle du capitalisme" renvoie à "L'Accumulation du capital" de Rosa Luxemburg, mais dit aussi que cette théorie mène à des conclusions qui ne sont pas tirées dans "L'Accumulation du capital" parce que "le livre a été publié quelques années avant la guerre" (sic!). Ensuite Pannekoek revient à sa critique de "L'Accumulation du capital", critique publiée en 1913 et republiée dans un des numéros de "Proletarier". Dans ces critiques, Panne­koek entre dans les détails des schémas de la reproduction du capital à son niveau le plus haut tels qu'ils se trouvent dans "Le Capital", Tome: II. Nous n'entrerons pas dans le débat sur la façon dont Rosa Luxemburg et d'autres ont interprété le plan de Marx. La question essentielle est que le plan devait être corrigé, comme nous l'avons dit plus haut, question jamais abordée par Pannekoek. Celui-ci a voulu mettre en garde contre la position selon laquelle le capitalisme est parvenu à une crise finale, ce qui conduirait selon lui à l'adoption d'une tactique à court terme. Pannekoek pensait qu'une nouvelle période de prospérité n'était pas à exclure.

Pour argumenter cette position, il montra la possibilité de nouvelles découvertes d'or qui pourraient stimuler à nouveau la demande et insista sur l'apparition de l'Asie Orientale comme un facteur indépendant dans la production capitaliste. Dans la mesure où Pannekoek illustra la question de l'or et de l'A­sie Orientale en se référant au capitalisme au 19ème siècle, il ne défendit pas seulement la possibilité d'une reprise économique (dans le sens où la théorie de la crise mortelle posait le problème); mais nia même que le capitalisme entrait dans une nouvelle phase différente de la phase d'ascendance et de prospérité dont le 19ème siècle faisait partie. La reprise de la production capitaliste qui eut lieu effectivement au milieu des années 30 ne fut pas le résultat de découvertes d'or ([3] [25]) mais d'une découverte qui aboutit au même résultat .

Ce ne fut pas la découverte de nouvelles ressources d'or qui remit en mouvement le flux économique, mais la découverte du rôle stimulateur de l'Etat dans l'économie, notamment à travers l'inflation. Celle-ci de 1933 à la guerre ne stimula guère la demande en moyens de production et de consommation comme le prétend l'idéologie keynésienne de l'intervention de l'Etat, mais principalement en moyens de destruction : le matériel de guerre, belle prospérité!

Dans le même sens, l'apparition de l'Asie Orientale comme un facteur "indépendant" dans la production capitaliste, prit la forme de l'impérialisme japonais et de l'axe Berlin-Rome-Tokyo. La "nouvelle période de prospérité économique du capitalisme" prédite par Pannekoek, ne peut pas être comparée aux mouvements conjoncturels de prospérité et aux crises commerciales du 19ème siècle. La prétendue "prospérité" par l'économie de guerre au milieu des années 30 n'était qu'un moment essentiel du cycle de crise-guerre-reconstruction-crise, etc., caractéristique de la période historique de décadence du capitalisme. Mais/néanmoins, Panne­koek touche du doigt la question lorsqu'il dit que toute éventuelle prospérité doit conduire à une crise plus violente, qui provoquera à nouveau la révolution.

DECADENCE ? "CRISE FINALE"? LES CONSEQUENCES POLITI­QUES DE LA CRISE SELON LE KAPD ET LE GIC

Dans la deuxième partie de cet article, nous avons déjà vu que Pannekoek a montré depuis le début que les "Unions" n'étaient pas une organisation unitaire et qu'il était préférable d'abandonner les "unions" pour le parti. Aussi, la question de savoir si les "unions" doivent organiser ou soutenir les luttes salariales n'était pas la bonne question à ses yeux. Plus intéressante était pour lui la question de savoir si oui ou non les révolutionnaires devaient intervenir dans les luttes salariales et, dans ce cas, comment. Malgré toutes les confusions sur les taches des 'unions", nous trouvons dans un texte de la Tendance Essen du KAPD/AAUD sur la 'crise mortelle du capitalisme" des arguments très valables sur la nécessité impérieuse de transformer les luttes salariales en luttes pour la destruction du capitalisme :

"Là où l'offensive de la bourgeoisie pour réduire les salaires et les conditions de vie des ouvriers amène à une lutte économique pure de groupe d'ouvriers touchés, ceci se termine presque sans exception par une victoire pour les patrons et une défaite des ouvriers. Cette défaite des ouvriers dans de telles luttes, malgré des grèves tenaces et puissantes, trouve sa cause une fois de plus dans la réalité de la crise mortelle du capitalisme lui-même (...). Le résultat de ces luttes de défense sur les salaires dans la période de crise mortelle du capitalisme est une preuve amère mais irréversible que la lutte pour de meilleurs salaires et de meilleures conditions dans le capitalisme à l'heure de sa crise mortelle sont une pure utopie et que, par conséquent, les syndicats, dont la seule tache historique est de s'occuper de la vente de la force de travail à la bourgeoisie, avec tous leurs buts, leurs moyens de lutte et leur forme d'organisation, sont devenus complètement anachroniques du 'fait du processus historique et sont par conséquent des formations contre-révolutionnaires. Les syndicats savent que leur rôle vital comme vendeurs de la force de travail prolétarienne sera dépassé dès que les bases de cet échange, le système économique capitaliste s'effondrera. Par conséquent, ils essaient de conserver les conditions de vie du capitalisme, qui sont en même temps leurs propres conditions de vie, en bradant la force de travail prolétarienne au plus bas prix".

("Proletarier,"1922)

Pannekoek prêta attention attentivement à cet argument économique. L'article de Pannekoek "Principe et tactique" eut un tel succès dans les organisations de la gauche communiste allemande et hollandaise de la fin des années 20 que certaines tendances commencèrent à voir une contradiction entre discuter la théorie des crises et discuter de la conscience de classe. Certaines tendances ignorèrent complètement tout besoin d'élaboration théorique sur les crises. Mais tous arrivèrent à la position sur "la crise du capitalisme", "la décadence du capitalisme", formulée dans le programme de 1920 du KAPD d'où tous venaient. Ce fut aussi le cas avec le groupe des Communistes Internationalistes (GIC) auquel Pannekoek contribua régulièrement à partir de 1926. Dans ces prises de positions, le GIC écrit :

"Le développement du capitalisme mène à des crises toujours plus violentes qui s'expriment elles-mêmes dans un chômage toujours croissant et une dislocation toujours plus forte de l'appareil de production, de sorte que des millions d'ouvriers se retrouvent hors de la production et en proie d la famine. L'appauvrissement croissant et l'incertitude toujours croissante de l'existence contraint la classe ouvrière d commencer la lutte pour le mode de production communiste..."

Lorsque P. Mattick fit adopter par les IWW (Indus-trial Workers of the World) la théorie de Grossman de la baisse tendancielle du taux de profit dans leur programme après 1929 (voir "La crise mortelle du capitalisme", Chicago. 1933), Pannekoek étendit sa critique de Rosa Luxemburg à la théorie de Mat­tick de la crise à travers un exposé qu'il fit au GIC et qui fut publié. Il mettait à nouveau en garde sur le fait que l'effondrement final, dont parlait Mattick pouvait arriver plus tard que prévu et que, fondamentalement, seule la classe ouvrière pouvait mettre fin au capitalisme. Le GIC fut d'accord avec les conséquences politiques de la critique de Pannekoek, conséquences avec lesquelles nous pensons aujourd'hui que les groupes et les éléments révolutionnaires peuvent être globalement d'accord. Dans une brochure de 1933 sur "les mouvements de l'économie capitaliste", le GIC s'engage dans une discussion style "l'oeuf ou la poule" qui continue encore aujourd'hui entre ceux qui défendent la théorie de la crise à travers la saturation des marchés (Rosa Luxemburg) et ceux qui défendent la théorie de la crise à travers la baisse tendancielle du taux de profit (Boukharine/Lénine, Grossman/Mattick). Dans cette brochure, le GIC se présente lui-même comme un avocat de l'explication par la baisse tendancielle du taux de profit mais en même temps insiste sur un fait souligné par l'autre théorie de la saturation des marchés :

"Le monde entier a été relié en un immense atelier. Ceci signifie que les crises au niveau actuel de spécialisation, ont un caractère international".

Nous pouvons dire que dans ses grandes lignes, le GIC suit la théorie économique de P. Mattick. Mais, en même temps, le GIC fait la même mise en garde que Pannekoek :

"Particulièrement à l'époque actuelle où nous entendons parler beaucoup de "crise mortelle" du capitalisme, de la "crise finale" dans laquelle nous nous trouvons, il est important d'être attentif à la caractéristique essentielle de la crise actuelle. Celui qui ne l'est pas subira toutes sortes de désillusions et de surprises tant vis à vis des mesures par lesquelles les classes dominantes essaient de subsister que du développement futur du système capitaliste. Un effondrement "absolu" est attendu, sans se rendre compte de ce que cela signifie. Il faut dire que le capitalisme est plus fort que prévu parce que l'effondrement "absolu" n'est pas venu, parce qu'une grande partie de la vie économique continue à fonctionner. La transition du capitalisme au communisme n'est pas par conséquent un processus automatique mais sera toujours reliée au degré développement de la conscience de la classe ouvrière.

C'est la raison précise pour laquelle la propagande des principes est nécessaire".

("De bewegingen van het kapitalistische  bedrijfsleven" - Permaterial GIC, 6.Jg n°5)

Dans ce sens, le GIC, dans les années suivantes s'est attaché à analyser les mesures de la bourgeoisie qui menaient au développement de l'économie guerre. Il a montré que la "planification" économique abaissait le niveau de vie de la classe ouvrière sans réellement surmonter la crise. Voici la conclusion d'un article sur "la'planification' économique en Hollande" :

"Il est clair que les rapports de propriété sont entrés en conflit avec les forces productives. Et en même temps, ceci montre clairement que le problème ne peut être résolu sur la base de la production capitaliste. Le problème ne peut être résolu qu'à partir d'une 'économie' mondiale basée sur la division internationale du travail, sur des fondements communistes"

("Radencommunisme", mai 1936)

Un deuxième article sur cette question démystifia les "plans de travail" sociaux-démocrates qui s'inscrivaient dans la tendance à l'étatisation, suivant en cela l'exemple de l'organisation fasciste ­du capital. Le GIC a montré que les Sociaux démocrates dans le gouvernement avec plein pouvoir stimulèrent la défense nationale alors qu'en même temps, l'économie de guerre créait de nouvelles conditions de lutte pour les ouvriers : les luttes purement économiques devenaient inutiles contre la politique organisée des prix; les luttes pour la conservation du système légal bourgeois-démocratique agonisant devenaient inutiles. Les articles du GIC sur l'Allemagne montrèrent comment la Social-Démocratie et la politique étrangère de l'URSS durant la période de la République de Weimar amenèrent la "planification" économique et la défaite des luttes ouvrières et conservèrent la puissance militaire de l'Allemagne qui pouvait être perfectionnée par les Nazis en une machine de guerre fonctionnant pleinement.

PANNEKOEK AUX EPIGONES CONSEILLISTES

Revenons au "dédain" de Pannekoek pour les théories économiques de la crise. Dans "Les conseils ouvriers" écrit pendant la 2ème guerre mondiale, il traite de façon cohérente et globale la question des limites du développement capitaliste. Partant de l'idée développée dans "Le Manifeste Communiste", l'expansion du capitalisme à l'échelle mondiale, Panne­koek arrive à la conclusion que la fin du capitalisme approche :

"Lorsque les centaines de millions de gens qui vivent dans les plaines fertiles de l'Asie de l'Est et du Sud seront poussés dans le cercle du capitalisme, la tâche principale du capitalisme sera remplie".

(P. Aartsz: "Les Conseils ouvriers", ch..II par. 6)

Il est intéressant de voir que Marx posait la même question dans une lettre à Engels du 8 octobre 1858 :

"La véritable mission de la société bourgeoise est de créer le marché mondial, du moins dans ses grandes lignes et de développer la production sur cette base. Comme le monde est rond, cette mission semble être achevée avec la colonisation de la Californie et de l'Australie et l'ouverture du Japon et de la Chine. La question difficile pour nous est la suivante : sur le continent, la révolution est imminente et adoptera immédiatement un caractère socialiste. Ne sera-t-elle pas nécessairement étouffée dans ce petit coin, puisqu'a une échelle beaucoup plus grande, le mouvement de la société bourgeoise est encore dans sa phase d'ascension ?"

("Textes sur le collectivisme", Ed.Moscou, p.343)

Mais dans ses articles sur la Chine de ces mêmes années, publiés dans le "New York Daily Tribune: Marx répond à cette question par la négative.

Aujourd'hui, 120 ans plus tard, les épigones de Pan­nekoek continuent à défendre l'idée que le capitalisme a encore une grande tâche à remplir en Asie ([4] [26]).

Alors que Marx montrait dans les années 1850 que l'attente américano-britannique concernant le développement du commerce avec l'ouverture de la Chine était grandement exagérée, à l'heure actuelle, la bourgeoisie du bloc américain est déjà parvenue à cette conclusion concernant la réouverture récente de la Chine au bloc occidental : la bourgeoisie occidentale ne fournit qu'équipements militaires en préparation d'une troisième guerre mondiale et voit même ses échanges diminuer vu l'étroitesse du marché chinois. Aujourd'hui, la crise est là. Personne de sensé n'oserait prétendre qu'elle n'existe pas.

Les conseillistes actuels, comme "Daad en Gedacht" laissent partout entendre que le capitalisme est libéré des crises, sinon en paroles, du moins par leur silence sur la crise actuelle. Exagération de notre part ? C'est ce que prétend Cajo Brendel (cf. Wereld Revolutie) en réponse à nos critiques :

"Je pense que je connais les positions de"Daad en Gedacht" d'une certaine façon. Je voudrais savoir où "Daad en Gedacht" n'a jamais écrit quelque chose qui puisse justifier cette position. Autant que je sache, "Daad en Gedacht" prend exactement la position opposée en disant qu'il ne peut y avoir de capitalisme libéré des crises (...). C'est une chose de dire qu'il ne peut y avoir de capitalisme sans crises et tout à fait une autre de parler de "crise permanente" ou "crise mortelle" du capitalisme ou quelque chose comme ça. Déjà, dans les années 30, le GIC non seulement présumait mais aussi prouvait avec des arguments que la crise permanente n'existe pas. Je suis toujours d'accord avec ceci, mais quiconque 'traduit' cela en la croyance à un capitalisme sans crises montre à mon avis qu'il n'a rien compris d cette position..."

Nous pensons aussi connaître un peu les positions de "Daad en Gedacht" pour autant qu'on les trouve dans des publications ! Peut-être ne lisons-nous pas très bien, mais nulle part, nous ne trouvons qu'il ne peut y avoir de capitalisme sans crises. A part la brochure "Beschouwingen over geld en goud" (une répétition de la théorie marxiste de la valeur-travail et des fonctions de la monnaie et de l'or), nous n'avons trouvé un seul article sur les sujets économiques durant ces dix dernières années. Ce silence sur la crise semble être un des principes de ce groupe !

Qu'entendons-nous donc par "crise permanente" et "crise mortelle", termes qui furent développés par la gauche allemande ? Défendrions-nous l'idée que l'effondrement, la mort du capitalisme serait aussi certain qu'un phénomène physique dans un laboratoire? Telle n'est pas notre pensée.

Si le terme de "crise permanente" signifie quelque chose, c'est parce qu'il se réfère à toute une période du. capitalisme, la période de décadence, dans laquelle le cycle crise-guerre-reconstruction-crise... a remplacé le cycle périodique et conjoncturel de crises commerciales et de prospérité dans la période ascendante du capitalisme. Il n'y a pas, bien sûr, de "crise mortelle" au sens d'un effondrement automatique du capitalisme; le capitalisme ne saurait trouver d'issue que dans la guerre mondiale, si le prolétariat n'agit pas dans un sens révolutionnaire.

Le capitalisme pourrait sortir de la crise s'il était encore dans une période de développement, parce qu'il pourrait encore pénétrer de nouvelles aires géographiques, possibilité que suggère Cajo Brendel dans son livre sur l'Espagne et la Chine. Mais Cajo Brendel et Daad en Gedacht ne sont pas intéressés à cette question. Leur étude de multiples préten­dues "révolutions bourgeoises" (Espagne 36, Chine) part d'un cadre national et non de l'internationalisme qui était déterminant pour Marx et Pannekoek (cf. "Les Conseils Ouvriers"), même si Pannekoek fit une réponse différente à cette question.

C'est de cet internationalisme dont nous nous revendiquons, celui de Pannekoek, de la gauche communiste internationale dont la gauche hollandaise fut une partie avant de dégénérer lentement.

A l'heure où la crise ouverte du capitalisme mondial est une réalité criante, il est important d'approfondir les apports de la gauche hollandaise. Si elle est restée tâtonnante, multiple et diverse dans son élaboration de la théorie de la crise capitaliste, elle a du moins exposé les problèmes et contribué à l'enrichissement de la théorie marxiste même si elle ne les a pas résolus. Elle a surtout maintenu l'essentiel : sa fidélité de classe à la révolution communiste, à l'internationalisme, aux principes prolétariens.

F.K



[1] [27] Marx-Engels: Idéologie Allemande - Ed. Soc. p45

[2] [28] Traduction "Champ Libre", 1973, avec une préface de Pannekoek.

[3] [29] 'Parce que l'or est le seul de s produits du travail à avoir le pouvoir spécifique d'acheter sans avoir d'abord été vendu, il peut ainsi être le point de départ du cycle et le mettre en mouve­ment". (Karl Horner: "Principe et Tactique"- Proletarier  1927)

[4] [30] Voir la critique du CCI sur les "Thèses sur la révolution chinoise" de Cajo Brendel dans "Les épigones - du conseillisme"(II), Revue Internationale n°2)

 

Conscience et organisation: 

  • La Gauche Germano-Hollandaise [31]

Récent et en cours: 

  • Crise économique [32]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La décadence du capitalisme [22]

URL source:https://fr.internationalism.org/content/revue-internationale-no-21-2e-trimestre-1980

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