Dans le concert des gigantesques manifestations pacifistes au cours de ces dernières semaines, un des slogans les plus fédérateurs et consensuels de l'anti-américanisme ambiant était "Non à la guerre pour le pétrole !". En France par exemple, on a pu voir placardées partout des affiches où l'organe du PCF, L'Humanité soignait sa publicité en se présentant comme "le journal des anti-guerre" avec une photo représentant un tuyau de pompe à essence appuyé comme un revolver en plein milieu du front d'une petite fille irakienne. La plupart des organisations gauchistes à commencer par la LCR et le PT comme les "altermondialistes" d'Attac, les "mouvements citoyens", les Verts et tous les porte-parole de la gauche n'ont pas cessé de marteler la même idée, amplement relayée par tous les grands médias eux-mêmes du Monde au Nouvel Observateur en passant par Libération et toutes les chaînes de télévision, publiques ou privées, que cette nouvelle guerre du Golfe était avant tout une guerre pour le pétrole au profit exclusif des trusts et des grands groupes pétroliers américains. Ainsi, Arlette Laguiller devait entamer le 21 mars une tournée de meetings dans le pays sur le thème "Pas de sang dans le pétrole !" et écrivait par exemple dans l'éditorial du n° 1806 de Lutte Ouvrière daté du 14 mars : "Le pétrole du Moyen-Orient et les bénéfices que les trusts américains peuvent tirer de la guerre ont bien plus d'importance aux yeux de Bush que les milliers de victimes civiles, mortes ou handicapées à vie que sa croisade contre l'Irak ne manquera pas de provoquer". Qu'y a-t-il derrière cette larmoyante démagogie antiaméricaine ? En d'autres termes, tous ces discours reviennent à dire que ce qui intéresserait fondamentalement les Etats-Unis conduits par un président lui-même lié aux groupes pétroliers américains, c'est de faire main basse sur les réserves de pétrole de l'Irak pour s'approprier les produits faciles de sa rente.
Tout les bons apôtres qui répètent qu'il s'agit
d'une guerre pour le pétrole feraient bien de regarder d'un peu
plus près l'histoire de ces 50 dernières années
avant de proférer et de colporter ce genre d'inepties. Une telle
explication simpliste visant à faire croire que l'objectif de
cette guerre serait une question de rente pétrolière que
chercheraient à s'assurer certains Etats est en contradiction
flagrante avec la réalité même des précédents
conflits en Afghanistan ou en Yougoslavie, et même avec la première
guerre du Golfe en 1991 qui ont coûté énormément
d'argent et n'ont pas permis aux vainqueurs de se payer en nature (les
produits pétroliers irakiens sont restés depuis 12 ans
sous embargo), que ce soit avec du pétrole ou autre chose. Au-delà,
est-ce qu'on peut expliquer ainsi les guerres du 20e siècle à
commencer par les deux boucheries mondiales : quel était l'intérêt
strictement économique de ces conflits ? Qui aurait osé
prétendre que de précédentes guerres menées
par les Etats-Unis comme la guerre de Corée et la guerre du Vietnam
étaient "une guerre pour le riz" ?
Si, à la fin du 19e siècle, le but des guerres coloniales
était l'acquisition de matières premières à
bas prix ainsi que l'ouverture de nouveaux marchés capitalistes,
il est aujourd'hui absurde de continuer à penser que l'objectif
d'une guerre se limite à de stricts intérêts économiques
ou à un approvisionnement en matières premières.
Au début de l'année (voir Le Monde daté du 4 janvier
2003), les experts américains en analysant l'impact possible
de la guerre sur l'économie américaine dégageaient
trois hypothèses : la plus optimiste prévoyait des effets
négatifs limités et d'assez courte durée, la deuxième
aurait comme conséquence un taux de croissance proche de zéro
sur une assez longue période, la dernière débouchait
sur une plongée dans une récession durable. Alors que
tous les scénarios dégageaient un effet négatif,
ces perspectives contredisent les assertions de tous ceux qui nous racontent
que l'économie américaine escompte tirer de fabuleux profits
de la guerre. D'ailleurs, l'économiste en chef d'une agence financière
américaine déclarait alors : "Les faits sont têtus.
Quand vous commencez une guerre, beaucoup de choses peuvent se produire,
la plupart du temps, elles ne sont jamais bonnes". C'est d'ailleurs
pour cela que les milieux industriels et financiers américains
se sont montrés pendant des mois si réticents, voire hostiles
au projet de Bush sur l'Irak.
Il est évident que la guerre commerciale que se livrent les grands
trusts pétroliers est sans merci, que des groupes américains
ou anglais comme Chevron Texaco, Exxon Mobil, RD/Shell ou BP ne peuvent
qu'exploiter la situation pour chercher à évincer du Moyen-Orient
de dangereux concurrents comme le Français Total Elf Fina ou
le Russe Lukoil qui étaient parvenus à s'implanter dans
la région, et que les compagnies américaines entendent
ensuite profiter du rapport de force militaire pour régler le
compte de leurs concurrents britanniques. Mais cela ne saurait constituer
un motif sérieux et crédible de mobiliser une telle armada
terrifiante et de mettre toute la région à feu et à
sang.
Aujourd'hui l'Irak n'assure que 3,3 % de la production pétrolière
mondiale. En admettant que l'objectif qui est clairement avoué
soit un doublement de la production en fonction de ses réserves
importantes (l'Irak détiendrait 11 % des réserves mondiales
et un sixième de l'ensemble du Proche-Orient), ces bénéfices
économiques immédiats attendus peuvent-ils expliquer une
guerre d'une telle envergure ? Pas le moins du monde.
La propagande officielle est à peine un peu plus subtile : en
faisant main basse sur les réserves pétrolières
irakiennes, les Etats-Unis veulent se libérer d'une trop grande
dépendance vis-à-vis de l'Arabie Saoudite. Nous avons
déjà répondu dans notre presse au manque de crédibilité
de cet argument (voir RI n° 330, "Le bluff de la rente pétrolière",
janvier 2003) en montrant que la part des importations en pétrole
saoudien ne représentait qu'entre 5 et 8 % de la consommation
pétrolière américaine et plus largement que pour
l'ensemble des ressources énergétique (pétrole
+ gaz + charbon + nucléaire + hydroélectricité),
les Etats-Unis assurent déjà 82% de leurs propres besoins
sans recourir aux importations.
Si le pétrole était d'un intérêt tellement
vital, pourquoi encourir les risques énormes actuel de le dilapider
et de faire partir en fumée cette manne ? Le déclenchement
de la guerre fait courir un danger évident de destruction ou
de pollution des champs pétroliers par les bombardements ou par
Saddam lui-même qui, de façon tout a fait prévisible,
pouvait être poussé ainsi à se livrer à des
opérations de sabotage (comme cela s'est déjà produit
au Koweït en 1991 où il aura fallu des mois et dépenser
des sommes colossales pour éteindre les foyers, remettre en état
et dépolluer les quelque 700 puits incendiés). D'ailleurs,
les premières heures du conflit n'ont pas tardé à
confirmer ce danger et semblent dans une certaine mesure accréditer
cette hypothèse. Quant au coût pour protéger les
sites pétrolifères ainsi menacés, son prix à
payer en termes de moyens matériels, financiers, économiques,
militaires, humains mis en oeuvre dépassera sans doute de beaucoup
les bénéfices que la bourgeoisie pourra jamais en tirer.
S'il s'agissait d'une guerre de rapine, il est dès à présent
clair que le camp des belligérants ne pourra jamais se rembourser
des coûts astronomiques de la guerre. Cela souligne et fait ressortir
le caractère totalement irrationnel des guerres impérialistes,
notamment d'un point de vue économique.
Même si tous les Etats, des Etats-Unis à l'Europe en passant
par le Japon sont intéressés à se procurer du pétrole
bon marché, cela ne saurait expliquer l'incroyable concentration
et l'utilisation de moyens militaires d'une telle envergure par la première
puissance mondiale dans la mesure où la guerre ne peut que creuser
encore les déficits commerciaux comme budgétaires considérables
des Etats-Unis.
Si le volume des réserves pétrolières de l'Irak
joue un rôle dans l'importance stratégique de ce pays,
c'est avant tout parce que ce pays est situé au coeur d'une région
qui fournit la plus grande partie du pétrole consommé
en Europe et au Japon (l'Europe- en dehors de la Russie- en est tributaire
à 25% en moyenne, très inégalement selon les pays,
mais un des plus dépendants est l'Allemagne, le rival impérialiste
le plus sérieux pour la Maison Blanche et le Japon en dépend
à 95% !). Si les Etats-Unis parvenaient à contrôler
étroitement les fournitures de l'Europe et du Japon en hydrocarbures,
ce serait un atout majeur pour préserver son statut de gendarme
du monde. Cela permettrait à la bourgeoisie américaine
d'exercer le plus puissant des chantages sur ces pays en cas d'aggravation
des conflits impérialistes vis-à-vis d'eux ou d'avancée
stratégique de ses principaux rivaux impérialistes. Ainsi,
le véritable but de la guerre est d'ordre stratégique
et militaire. Et cette stratégie consiste avant tout à
déstabiliser l'adversaire, exploiter les faiblesses ou les dépendances
des puissances rivales les plus dangereuses, les priver de leurs atouts
ou de moyens comme de matières premières de telle sorte
que cette privation puisse porter un coup fatal à son économie
ou bien encore le placerait dans l'incapacité d'assurer efficacement
sa protection et ses fonctions militaires. C'est cela qui est la caractéristique
la plus révélatrice de la logique du capitalisme aujourd'hui
et des rapports impérialistes réels dans le monde.
Tous ces arguments fallacieux de la guerre pour le pétrole ont
pour fonction essentielle de constituer un instrument de propagande
et un rideau de fumée idéologique. Leur premier rôle
est de servir de cache-sexe à l'idéologie pacifiste bourgeoise,
dont l'anti-américanisme est l'élément moteur et
qui tente de camoufler l'existence d'une autre coalition, d'un autre
camp tout aussi impérialiste, belliciste et monstrueusement cynique.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle cet argument était beaucoup
moins mis en avant en 1991, alors que les Etats et les fractions de
la bourgeoisie qui l'invoquent si volontiers aujourd'hui participaient
à ce moment-là à la coalition militaire autour
des Etats-Unis et aux bombardements contre l'Irak. L'objectif fondamental
de cette campagne d'intoxication mystificatrice est d'essayer de masquer
les antagonismes impérialistes réels entre toutes les
grandes puissances et de tenter de dégager la responsabilité
de tous les Etats dans l'engrenage de la folie meurtrière du
capitalisme qui ravage le monde. La fable de la guerre pour le pétrole
sert en définitive à empêcher de comprendre au sein
de la classe ouvrière les contradictions insurmontables du capitalisme
et de prendre conscience de l'impasse que représente le capitalisme
qui sème partout sur la planète la misère, la barbarie
et la mort et dont tous les Etats portent la responsabilité.
Au moment où le gouvernement impose brutalement et sans fards à la classe ouvrière les attaques les plus massives et frontales possibles, touchant tous les secteurs et tous les aspects de ses conditions de vie et de travail, les syndicats apparaissent étrangement en retrait, singulièrement mous et divisés sur le terrain social, en complet décalage par rapport à l'ampleur et à la multiplication des attaques actuelles.
Mais en même temps, tout-un-chacun peut constater que les syndicats appellent unitairement à la mobilisation la plus large possible, contre ... "la guerre de Bush". Ils se sont placés aux avants-postes sur le terrain du pacifisme et derrière cette "union nationale" que Chirac et Raffarin réclament ardemment dans tous leurs discours. Ainsi, des syndicats comme SUD et la CGT se mettent en campagne dans les entreprises, tracts et pétitions à l'appui, pour appeler à réagir vigoureusement contre la guerre, appels directement en soutien du gouvernement français. Pourquoi une telle attitude face à la situation ?
Il est clair que toute la bourgeoisie profite de l'actuelle préoccupation légitime de la classe ouvrière, de son inquiétude sur la question de la guerre et de sa polarisation sur les événements internationaux pour faire passer une série d'attaques antiouvrières. Déjà, le gouvernement se prépare à utiliser le prétexte que la conjoncture internationale guerrière est une grande épreuve pour l'économie nationale et qu'elle va le contraindre à renforcer ses plans d'austérité, et à réduire les budgets sociaux. S'il est vrai que la guerre constitue un puissant facteur d'accélération de la crise économique, ce que veut cacher la bourgeoisie, c'est que la récession était déjà une réalité concrète bien avant la perspective de déclenchement d'une guerre en Irak. Ce n'est pas la première fois que la bourgeoisie utilise ce genre de stratagème pour masquer la crise de son système et cela lui permet d'avoir les mains encore plus libres pour cogner encore plus fort sur les ouvriers. Dans ce contexte, la tentative par les syndicats d'entraîner un maximum d'ouvriers sur le terrain interclassiste du pacifisme et surtout dans "une union sacrée" derrière toute la bourgeoise nationale prend tout son sens. Elle participe d'une opération idéologique concertée pour anesthésier leur conscience de classe.
Mais cette manœuvre ne s'arrête pas là. Elle est
parallèlement accompagnée d'une activité plus classique
mais aussi pernicieuse de sabotage sur le terrain social. Les syndicats
poursuivent et intensifient leur sale travail habituel en organisant
et en assurant l'éparpillement, la dispersion et la division
de la riposte ouvrière aux attaques qui s'abattent tous azimuts.
Quelques exemples suffisent pour montrer comment syndicats et gouvernement,
main dans la main, agissent pour faire passer de nouvelles mesures.
Pour les fonctionnaires qui sont particulièrement en ligne de
mire avec simultanément l'attaque sur les retraites, les suppressions
de poste, le gel des salaires, le projet de modernisation et de "décentralisation"
de la fonction publique qui va se traduire par une "mobilité"
et une "flexibilité" nouvelle, ils mettent à
part des autres attaques, la plus explosive d'entre elles, celle sur
les retraites (qui va faire progressivement passer, entre 2004 et 2007,
la durée de cotisations et de travail de 37 annuités et
demi à 40 pour tous les agents de la fonction publique). De plus
chaque secteur a eu sa propre journée d'action. Par exemple,
le ministère des finances le 10 mars, l'Education nationale le
18 (la quatrième en deux mois), en mettant en avant et en martelant
en chaque occasion la "défense du service public".
La défense et l'amélioration du service public, une administration
moins bureaucratique et plus efficace au service des usagers servent
à nouveau d'emballage-cadeau au chantage à la mise en
place d'une nouvelle attaque, chantage exercé en retour par le
ministre de tutelle Delevoye contre tous les fonctionnaires : "augmentation
de salaires, pourquoi pas ? Mais à une condition préalable,
le salaire au mérite, en fonction de votre productivité,
de votre "flexibilité", de votre zèle à
contribuer aux économies de l'Etat, de votre docilité
à accepter des sacrifices, et donc la réduction du nombre
de fonctionnaires".
Et, pour accentuer le déboussolement, la démobilisation
et le sentiment d'impuissance, les syndicats se présentent en
désaccord et divisés sur la question des retraites pour
la journée de mobilisation prévue le 3 avril prochain.
Dans le privé, au milieu d'une pluie de plans de licenciements,
les syndicats enferment de plus belle les ouvriers dans le cadre de
l'usine ou de l'entreprise (Métaleurop, Danone, Grimaud, Daewoo,
Alstom, Aubert et Duval, ...) en encourageant des actions isolées,
focalisées sur tel ou tel patron particulier, tel ou tel problème
spécifique à "la boîte". On a vu resurgir,
comme dans les années 1970, des actions-commandos téléguidées
par la CGT : pour pousser les ouvriers d'une entreprise de textile,
dans la voie du nationalisme le plus exacerbé, à s'en
prendre aux camions transportant des vêtements faits "à
l'étranger" ; pour encourager ceux de Metaleurop à
aller casser les vitrines du siège social de la société
"étrangère" Glencore. Pendant ce temps-là,
on fait croire que ceux d'Air-Lib, licenciés "légalement
et à la française" seront repris par Air France ou
par… la RATP.
Dans ces manoeuvres d'émiettement, l'objectif poursuivi par les
syndicats n'est pas seulement d'étouffer, de défouler,
d'isoler ou de canaliser la combativité des ouvriers, mais elle
est aussi de minimiser et de masquer l'ampleur des attaques, d'empêcher
les ouvriers de prendre conscience que ces attaques concernent et touchent
de la même façon et partout tous les prolétaires.
Quand les officines syndicales laissent entendre que le meilleur moyen
de lutter contre la régression sociale, ce serait de lutter d'abord
en priorité contre la guerre, aux cotés des pacifistes
qui organisent des rassemblements massifs un peu partout dans le monde,
ils participent au premier plan à une offensive idéologique
entreprise par toute la bourgeoisie pour dénaturer dans la conscience
des ouvriers le lien entre les attaques économiques qu'ils subissent
de toutes parts et la guerre en les poussant à agir à
l'exact opposé de leurs intérêts de classe.
Ils les empêchent de comprendre que le seul moyen de refuser la
guerre pour le prolétariat, c'est de se battre et de développer
ses luttes de la façon la plus unitaire possible sur son terrain
de classe. C'est tout le contraire que de participer au grand carnaval
des pacifistes qui revient à la défense des intérêts
impérialistes du capital national, à apporter son soutien
à un camp contre un autre sur le terrain des rivalités
et des dissensions impérialistes de la bourgeoisie. C'est la
faillite même du système capitaliste dans son ensemble,
entraîné dans une crise irréversible, que les syndicats
comme l'ensemble de la bourgeoisie s'attachent à masquer aux
yeux des ouvriers en les empêchant de prendre conscience que c'est
le même ennemi de classe qui, d'un côté, livre au
massacre et à la barbarie des populations entières et,
de l'autre, les condamne à une exploitation de plus en plus féroce,
à une misère toujours plus grande.
Les actuelles manœuvres de la bourgeoisie, Etat et syndicats en
tête, pour minimiser les attaques en cherchant à entraîner
les ouvriers derrière le char bourgeois du pacifisme constituent
une attaque importante contre le développement de la conscience
ouvrière. C'est la fonction essentielle de ces défenseurs
du capitalisme que sont les syndicats d'y faire barrage. Leurs manœuvres
visent toujours le même objectif : empêcher la mobilisation
massive contre les attaques économiques qui, seule, peut permettre
aux ouvriers de s'opposer en tant que classe au système et à
terme de le renverser, en mettant fin à la guerre comme à
l'exploitation capitaliste
Tous les conflits
majeurs qui ont ensanglanté la planète depuis la disparition
des blocs ont impliqué les principales puissances de l'ex-bloc
de l'Ouest. L'image qui en a été donnée est celle
d'une solide unité entre ces pays, sur un plan politique et même
dans des opérations militaires, au service de la défense
du droit international, de l'humanitaire, de la lutte contre "le
terrorisme international". Depuis bientôt un an qu'a surgi
la présente crise irakienne, le monde découvre avec stupéfaction
la force des dissensions, brutalement propulsées sur le devant
de la scène, qui opposent ces pays entre eux. Des alliances,
qui étaient qualifiées d'historiques, sont rompues, comme
celle entre la France et les Etats-Unis. On assiste au développement
de campagnes xénophobes anti-américaines, anti-françaises,
orchestrées par les médias à la solde des Etats,
et qui évoquent les pires moments de l'histoire du 20e siècle.
En fait, déjà avant la crise actuelle, les antagonismes
entre ces grandes puissances étaient présents, mais ils
se sont considérablement aggravés, au point que se déchire
aujourd'hui le voile d'hypocrisie qui a pu donner à ces guerres
l'apparence de la respectabilité. Ainsi, s'il devient difficile
à la bourgeoisie de cacher "qui est le véritable
ennemi de qui", sa propagande belliciste ne peut pas non plus s'empêcher
d'invoquer l'enjeu réel de la guerre : le contrôle de positions
stratégiques essentielles dans le rapport de force entre ces
puissances.
Les principaux brigands impérialistes ne sont pas d'accord sur
la manière dont ils vont se partager le monde, et pour le caïd,
le plus fort d'entre eux, les Etats-Unis, il n'est évidemment
pas question de partager sa suprématie.
En fait tout au long du 20e siècle, c'est la question du partage
du monde entre les différents impérialistes, les plus
puissants secondés par les moins forts, qui est à l'origine
des alliances, des blocs, des guerres mondiales ou des guerres localisées
qui ont jalonné les trois décennies de la période
de la guerre froide.
Polarisées pendant toute la période de la guerre froide
par le face-à-face entre les deux blocs impérialistes
rivaux, celui de l'Est et celui de l'Ouest, les tensions impérialistes
ne cessent pas avec la disparition de ceux-ci. Tout au contraire. L'impasse
économique totale et de plus en plus évidente du mode
de production capitaliste ne peut qu'attiser de façon croissante
les antagonismes guerriers entre nations.
Très tôt après la dissolution du bloc de l'Ouest,
les Etats-Unis organisent la guerre du Golfe. En laissant croire à
Saddam Hussein qu'il peut envahir le Koweït sans risque de rétorsion,
ils se créent ainsi délibérément l'occasion,
sous prétexte de libérer le Koweït au nom de la défense
du droit international, d'une démonstration de force sans précédent
depuis la Seconde Guerre mondiale. Les anciens alliés des Etats-Unis
au sein du bloc de l'Ouest n'ont alors d'autre choix, s'ils veulent
pouvoir maintenir leur rang dans l'arène impérialiste
mondiale, que de se soumettre en participant à la première
guerre du Golfe, ou en la finançant. Bien conscients qu'ils sont
entraînés dans cette guerre contre leurs intérêts,
la plupart de ces pays, à l'exception de la Grande-Bretagne,
font plus que traîner les pieds pour s'aligner sur la position
des Etats-Unis et s'associer à leur effort de guerre. C'est ainsi
qu'ont eu lieu diverses tentatives, notamment de la France et de l'Allemagne,
pour torpiller, à travers des négociations séparées
menées au nom de la libération des otages, la politique
américaine dans le Golfe.
Cette guerre a mis en relief une réalité qui n'a fait
que se confirmer depuis lors : l'incapacité totale des Etats
européens à mettre en avant une politique extérieure
commune indépendante qui aurait pu constituer les prémices
politiques de la constitution, à terme, d'un bloc "européen"
dirigé par l'Allemagne. De même, elle a illustré
le fait, qui n'a pas non plus été démenti, que
la première puissance mondiale doit en permanence être
à l'offensive, en faisant usage de son écrasante suprématie
militaire, si elle veut maintenir son leadership mondial face à
la contestation de celui-ci en particulier de la part de ses anciens
alliés du bloc de l'Ouest.
La crise irakienne actuelle illustre que bien des étapes importantes
ont été franchies de la part de ces mêmes puissances
dans l'affirmation de leurs intérêts impérialistes
propres.
Quelques mois à peine après la guerre du Golfe en 1991,
le début des affrontements en Yougoslavie est venu illustrer
le fait que ces mêmes puissances, et particulièrement l'Allemagne,
étaient bien déterminées à faire prévaloir
leurs intérêts impérialistes au détriment
de ceux des Etats-Unis.
C'est pour se constituer un débouché vers la Méditerranée
que l'Allemagne a encouragé la sécession des républiques
du nord de la Yougoslavie, la Slovénie et la Croatie, ouvrant
ainsi une boîte de Pandore des les Balkans qui redevenaient un
des foyers des affrontements entre les puissances impérialistes
en Europe. En effet, les autres Etats européens, ainsi que les
Etats-Unis, qui étaient opposés à cette offensive
allemande ont directement, ou indirectement par leur immobilisme, encouragé
la Serbie et ses milices à déchaîner la "purification
ethnique" au nom de la défense des minorités.
A la faveur de ce qui constituait une étape supplémentaire
dans l'aggravation de la situation mondiale, les Etats-Unis surent mettre
en évidence l'impuissance de l'Union européenne par rapport
à une situation où elle était pourtant la première
concernée et les divisions régnant dans les rangs de cette
dernière, y compris entre les "meilleurs alliés"
du moment, la France et l'Allemagne. Ils ne parvinrent néanmoins
pas à contenir réellement l'avancée de certains
impérialismes, particulièrement la bourgeoisie germanique
qui, dans l'ensemble, est parvenue à ses fins dans l'ex-Yougoslavie.
La manifestation la plus spectaculaire de cette crise de l'autorité
du gendarme mondial a été constituée par la rupture
de son alliance historique avec la Grande-Bretagne, à l'initiative
de cette dernière, à partir de 1994. Si, après
1989, la bourgeoisie britannique s'était montrée dans
un premier temps la plus fidèle alliée de sa consœur
américaine, notamment au moment de la guerre du Golfe, le peu
d'avantages qu'elle avait retiré de cette fidélité,
de même que la défense de ses intérêts spécifiques
en Méditerranée et dans les Balkans, lui dictaient une
politique pro-serbe et la conduisirent à prendre des distances
considérables avec son alliée et à saboter systématiquement
la politique américaine de soutien à la Bosnie. Dans ce
contexte, la bourgeoisie britannique réussissait à mettre
en œuvre une solide alliance tactique avec la bourgeoisie française.
Un tel échec était évidemment grave pour la première
puissance mondiale puisqu'il ne pouvait que conforter la tendance de
nombreux pays, sur tous les continents, à mettre à profit
la nouvelle donne mondiale pour desserrer l'étreinte que leur
avait imposée l'Oncle Sam pendant des décennies. C'est
pour tenter de compenser cette position de faiblesse que les Etats-Unis
développent alors un activisme autour de la Bosnie, après
avoir fait étalage de leur force militaire à deux reprises
durant l'année 1992 :
- lors du massif et spectaculaire déploiement "humanitaire"
en Somalie, qui n'était qu'un prétexte et un instrument
de l'affrontement des deux principales puissances s'opposant en Afrique
: les Etats-Unis et la France ;
- lors de l'interdiction de l'espace aérien du sud de l'Irak,
sous prétexte de défendre la population chiite persécutée
par le régime de Bagdad, qui constituait principalement un message
en direction de l'Iran dont la puissance militaire montante s'accompagnait
du resserrement de ses liens avec certains pays européens, notamment
la France. Par rapport à la guerre de 1991, ce n'est que péniblement
que les Etats-Unis ont pu obtenir un accord autour de ce projet (le
troisième larron de la coalition, la France, se contentant cette
fois-ci d'envoyer des avions de reconnaissance).
La suite de la guerre en Yougoslavie s'est concrétisée
jusqu'à l'été 1995 par la longue impuissance des
Etats-Unis sur ce terrain majeur des affrontements impérialistes.
Néanmoins, Washington revient en force dans cette région
à partir de l'été 1995 sous couvert de l'IFOR devant
prendre le relais de la FORPRONU, laquelle avait constitué pendant
plusieurs années l'instrument de la présence prépondérante
du tandem franco-britannique. La victoire finalement obtenue par les
Etats-Unis à travers les accords de Dayton de 1996 ne constituait
pas une victoire définitive dans cette partie du monde ni un
arrêt de la tendance générale vers la perte de son
leadership comme première puissance mondiale. En effet, cette
tendance devait se manifester à nouveau très tôt
à deux reprises :
- en septembre 96, par les réactions presque unanimes d'hostilité
envers les bombardements de l'Irak par 44 missiles de croisière
de la part de pays qui avaient soutenu les Etats-Unis en 1990-91 ;
- l'ajournement lamentable en février 1998 de l'opération
"Tonnerre du désert" visant à infliger une nouvelle
punition à l'Irak et, au-delà de ce pays, aux puissances
qui le soutenaient, notamment la France et la Russie. Saddam Hussein
ayant tiré les leçons de sa cuisante défaite de
1991 et bien conseillé par ces deux pays, il a eu tôt fait
d'accéder formellement aux exigences de l'ONU (concernant l'inspection
des sites dit présidentiels) pour mettre en échec le plan
américain.
Les Etats-Unis reprennent l'offensive en 1999 en ex-Yougoslavie en ne
laissant d'autre issue à leurs alliés que la guerre face
à la nouvelle cible désignée, Milosevic. La guerre
du Kosovo qui vient d'éclater, menée cette fois dans le
cadre de l'OTAN, constitue l'événement le plus important
sur la scène impérialiste mondiale depuis l'effondrement
du bloc de l'Est à la fin des années 1980. Ayant pour
théâtre non plus un pays de la périphérie,
comme ce fut le cas de la guerre du Golfe en 1991, mais un pays européen,
elle donne lieu à des bombardements de l'OTAN sur la Serbie,
le Kosovo et le Monténégro. Ainsi, c'était la première
fois depuis la Première Guerre mondiale qu'un pays d'Europe -et
notamment sa capitale- était bombardé massivement. C'était
aussi la première fois à cette date que le principal vaincu
de cette guerre, l'Allemagne, intervenait directement avec les armes
dans un conflit militaire.
Pour les autres puissances qui se sont retrouvées impliquées
dans la guerre, notamment la Grande-Bretagne et la France, il existait
une contradiction entre leur alliance traditionnelle avec la Serbie,
qui s'était manifestée de façon très claire
pendant la période où l'ex-FORPRONU était dirigée
par ces puissances, et cette opération dans le cadre de l'OTAN.
Néanmoins, pour ces deux pays, ne pas participer à l'opération
"Force déterminée" signifiait être exclus
du jeu dans une région aussi importante que celle de Balkans
; le rôle qu'ils pouvaient jouer dans une résolution diplomatique
de la crise yougoslave était conditionné par l'importance
de leur participation aux opérations militaires.
En avril 2002, nous écrivions : " la "guerre contre
le terrorisme" signifie beaucoup plus que le simple remake des
interventions précédentes des Etats-Unis dans le Golfe
et dans les Balkans. Elle représente une accélération
qualitative de la décomposition et de la barbarie :
- Elle ne se présente plus comme une campagne de courte durée
avec des objectifs précis dans une région particulière,
mais comme illimitée, comme un conflit presque permanent qui
a le monde entier pour théâtre.
- Elle a des objectifs stratégiques beaucoup plus globaux et
plus vastes, qui incluent une présence décisive des Etats-Unis
en Asie Centrale, ayant pour but d'assurer leur contrôle non seulement
dans cette région mais sur le Moyen-Orient et le sous-continent
indien, bloquant ainsi toute possibilité d'expansion européenne
(allemande en particulier) dans cette région. Cela revient effectivement
à encercler l'Europe. Cela explique pourquoi, par opposition
à 1991, les Etats-Unis peuvent maintenant assumer le renversement
de Saddam alors qu'ils n'ont plus besoin de sa présence en tant
que gendarme local étant donné leur intention d'imposer
leur présence de façon directe. C'est dans ce contexte
qu'on doit inscrire les ambitions américaines de contrôler
le pétrole et les autres sources énergétiques du
Moyen-Orient et de l'Asie Centrale." (Résolution sur la
situation internationale adoptée par la conférence extraordinaire
du CCI).
Un tel pas en avant des Etats-Unis n'aurait pas été possible
sans les attentats du 11 septembre 2001 que, de toute évidence,
les services secrets américains n'ont pas cherché à
empêcher alors même qu'ils étaient informés
de leur préparation. En effet, les victimes des Twin Towers ont
constitué face au monde la justification idéologique nécessaire
au déploiement de la présence militaire américaine
sur la planète. Sur le plan intérieur, ils ont aussi été
le moyen visant à éliminer le dit "syndrome du Vietnam",
c'est-à-dire la réticence de la classe ouvrière
américaine à se sacrifier directement pour les aventures
impérialistes des Etats-Unis.
"Toute cette situation renferme la potentialité d'un développement
en spirale hors de contrôle, forçant les Etats-Unis à
intervenir toujours plus pour imposer leur autorité, mais multipliant
chaque fois les forces qui sont prêtes à se battre pour
leurs propres intérêts et à contester cette autorité.
Cela n'est pas moins vrai quand il s'agit des principaux rivaux des
Etats-Unis" (Ibid.) Et effectivement, l'escalade sans commune mesure
de la part des Etats-Unis pour maintenir leur leadership s'est accompagnée
d'une contestation elle aussi inégalée de celui-ci de
la part de ces même rivaux impérialistes.
Les tensions ont atteint un niveau tel qu'elles ne peuvent plus être
dissimulées. Il n'y a pas de limite au chaos que cette dynamique
peut engendrer sur la planète, cette dernière pouvant
de ce fait subir des dommages irréversibles rendant impossible
le dépassement du capitalisme par une société communiste.
Une telle perspective ne contient néanmoins pas la possibilité
d'une confrontation militaire directe entre certaines de ces puissances
d'une part, et les Etats-Unis d'autre part. Ainsi, "frustrées
à cause de leur infériorité militaire et des facteurs
sociaux et politiques qui rendent impossible une confrontation directe
avec les Etats-Unis, les autres grandes puissances redoubleront dans
leurs efforts de contestation de l'autorité des Etats-Unis grâce
aux moyens qui sont à leur portée : les guerres par pays
interposés, les intrigues diplomatiques, etc" (Ibid.)
Le facteur social, commun à toutes ces puissances, Etats-Unis
y compris, est le fait qu'il existe dans chacune d'elles un prolétariat
qui n'est pas prêt à supporter, tant au niveau de son exploitation
que du sacrifice de sa vie, les implications d'une guerre totale. En
ce sens, y compris dans la situation actuelle de grande difficulté
qu'il connaît depuis le début des années 1990, le
prolétariat constitue un frein à la guerre. Lui seul constitue
le seul espoir pour l'humanité, puisque lui seul est capable,
à travers ses luttes, de s'affirmer dans cette société
en décomposition comme une force porteuse d'une alternative à
la barbarie capitaliste.