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Révolution Internationale n° 333 - mars 2003

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A nos lecteurs

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A nos lecteurs : Suite à une erreur de notre part dans l'utilisation du code à barres, ce numéro de RI, qui succède directement au numéro 331, ne porte pas le numéro 332 mais 333.

Pour lutter contre la guerre, il faut lutter contre le capitalisme

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Le 15 février dernier, dans le monde entier, les rues des principales métropoles sur tous les continents ont résonné de slogans tels que "Non à la guerre !", "Pas de sang pour le pétrole !", "Refusons une nouvelle Busherie !", " Bush, Sharon, assassins !", "Quelle connerie, la guerre !" et bien d'autres de la même veine.
Ces cortèges "pacifistes" ont drainé des foules immenses, établissant un peu partout des records de mobilisation, notamment dans les pays où les gouvernements se sont ralliés à l'entreprise belliciste de Bush contre l'Irak : près de 3 millions de participants à Rome, 1 million et demi à Londres, à Barcelone comme à Madrid. Mais dans les autres Etats où les manifestations ont pris des accents et des allures "d'union nationale" en soutien au "front anti-guerre" des bourgeoisies nationales, les rassemblements ont été presque aussi gigantesques : 500 000 personnes à Berlin, et autant en France 1 [1], plus de 200 000 à Bruxelles. Même aux Etats-Unis, la protestation organisée dans la plupart des grandes villes du pays, a atteint une ampleur comparable aux défilés contre la guerre du Vietnam (250 000 manifestants à New-York). Jamais la même "cause" n'avait mobilisé autant le même jour à l'échelle planétaire.

Que la guerre soit une abomination et un déchaînement de barbarie, cela ne fait aucun doute. Elle est d'autant plus insupportable et écœurante pour la classe ouvrière que c'est elle qui en a toujours payé le prix le plus élevé, dans ses conditions d'existence, dans sa chair, dans son sang.
Mais soyons clairs : cette mobilisation pacifiste générale à laquelle on a assisté n'était qu'un moment fort d'une campagne idéologique d'envergure, mensongère et criminelle que développe partout la bourgeoisie et en particulier dans les pays où la classe ouvrière est la plus forte et la plus concentrée.
Les grand-messes pacifistes n'ont jamais empêché les guerres impérialistes. Elles n'ont fait que les préparer et les accompagner.

 

Le pacifisme est un instrument des rivalités impérialistes

D'abord, les rassemblements actuels, quelle que soit leur ampleur, ne peuvent peser sérieusement sur le cours des événements. Ils ne vont nullement empêcher la guerre dans la mesure où les Etats-Unis ont déjà décidé de la faire seuls ou presque, si nécessaire. Mais surtout leur fonction première, essentielle, est précisément de masquer les enjeux réels de la situation et d'empêcher de prendre conscience du véritable problème au sein de la population en général, et de la classe ouvrière en particulier : la responsabilité de la guerre n'incombe pas à tel ou tel Etat ou groupe de pays. La guerre est inscrite dans le mode de vie du système de production capitaliste dans son ensemble, dans sa globalité. Le camp de "la paix" n'existe pas, il n'est qu'une illusion. Faire croire que la "paix" est possible dans le capitalisme est une vaste mystification. La "paix" n'est toujours qu'un moment de la préparation d'une nouvelle guerre car celle-ci est devenue un mode de vie permanent dans le capitalisme décadent. C'est pourquoi il ne peut y avoir de lutte contre la guerre qui ne soit lutte contre le capitalisme.

La vraie question, c'est à quoi correspond et à qui sert ce phénomène "pacifiste" qui dépasse de loin l'ampleur des rassemblements "anti-guerre" au moment de la première guerre du Golfe en 1991 ? Il est suscité et encouragé par la classe dominante elle-même en désignant tel ou tel pays ou telle ou telle fraction de la bourgeoisie comme "fauteur" de guerre. C'est ainsi que les "bellicistes" et les "pacifistes", se renvoient la balle pour mystifier "l'opinion publique", d'un côté, l'ennemi principal, c'est l'Irak, de l'autre, ce sont les Etats-Unis. Il s'agit pour la bourgeoisie de persuader qu'il y a toujours un camp impérialiste à choisir (en l'occurrence, peu importe que l'adversaire désigné par les pacifistes soient les Etats-Unis, le gouvernement américain, ou la seule fraction Bush). D'ailleurs, un des slogans mis en avant dans les manifestations faisait cet aveu révélateur : "la paix est patriotique", ce qui révèle clairement que le "camp belliciste" n'a pas le monopole de la défense de l'intérêt national capitaliste.
Aussi, cela ne traduit qu'une hypocrisie et un cynisme sans nom que le soi-disant "front anti-guerre" soit de façon inédite dans l'histoire représenté aujourd'hui directement par certains Etats qui osent se présenter comme les colombes de la "paix". Même des fractions de droite que l'on ne peut soupçonner de trahison envers l'ordre bourgeois, se laissent désigner comme chefs de file d'un courant "pacifiste". N'est-il pas grotesque de voir Chirac proposé comme futur "prix Nobel de la paix" alors que le gouvernement français est responsable du chaos guerrier en ce moment même en Côte d'Ivoire ? Dans le même "camp", on trouve la Russie de Poutine qui ne cesse de commettre les pires massacres et perpétrer les pires horreurs à travers son armée en Tchétchénie, et aussi l'Allemagne où les prédécesseurs de Schröder n'ont pas hésité il y a dix ans à encourager l'éclatement de la Yougoslavie qui a provoqué trois ans de génocides et de guerres atroces dans les Balkans, tout cela dans l'intérêt de leurs sordides intérêts impérialistes nationaux particuliers. Aujourd'hui, ces dirigeants tout aussi sanguinaires que les autres sont amenés à surfer sur le "courant pacifiste" pour jouer les matamores et mettre des bâtons dans les roues de la bourgeoisie américaine. Ils proclament : "Demandons, exigeons, imposons la paix au gouvernement Bush !", uniquement afin d'affirmer leurs intérêts qui les poussent dans une attitude ouvertement contestataire envers les Etats-Unis. De plus, une bonne partie d'entre eux dans cette coalition de façade sont prêts à changer d'avis et à participer à la guerre contre l'Irak sous conditions, soit si la pression américaine l'exige, soit si "certaines règles du droit international sont respectées", comme une nouvelle résolution de l'ONU. Aucun gouvernement ne peut être réellement contre la guerre mais uniquement contre les conditions formelles dans laquelle les Etats-Unis l'imposent.

 

Le pacifisme est une arme de la bourgeoisie contre la classe ouvrière

Ces rassemblements ont pour fonction d'empêcher la remise en cause du capitalisme, de comprendre que la guerre est l'expression des rivalités inter-impérialistes entre tous les Etats, engendrées par la concurrence capitaliste dans la défense de leurs intérêts nationaux respectifs.
Pour certains Etats, il s'agit carrément d'une véritable "union sacrée" derrière sa propre bourgeoisie nationale qui est proposée. C'est le cas de la France où domine nettement la tonalité antiaméricaine, encouragée et soutenue par la quasi-totalité des fractions politiques de la bourgeoisie nationale, de Le Pen jusqu'aux organisations gauchistes qui "poussent" Chirac à s'opposer encore davantage à la politique des Etats-Unis 2 [2]. Sa première fonction est de nourrir dans les populations un sentiment anti-américain en désignant les Etats-Unis comme les seuls "fauteurs de guerre", l'adversaire impérialiste numéro 1 par excellence pour dévoyer leur hostilité envers la guerre sur un terrain bourgeois.

Il n'y a pas des guerres "justes" et d'autres "injustes", des formes acceptables pour faire la guerre et d'autres non, quel que soit le camp en présence. Le résultat est d'ailleurs le même pour les populations prises en otage qui seront massacrées, bombardées, gazées, avec les armes le plus nocives et les plus meurtrières sans la moindre considération "humanitaire".
Aujourd'hui, comme toujours dans le passé, le pacifisme est le meilleur complice du bourrage de crâne belliciste. Cette idéologie bourgeoise est un véritable poison pour la classe ouvrière. Au-delà de la crapulerie de tous ceux qui colportent une telle mystification pour masquer leur idéologie nationaliste, le pacifisme vise un objectif bien particulier : récupérer la crainte et l'aversion des ouvriers devant la menace de guerre pour empoisonner leur conscience et amener à soutenir un camp bourgeois contre un autre.
C'est pour cela que le pacifisme fait partie, comme chaque fois que la bourgeoisie a eu besoin de faire accepter aux prolétaires sa logique meurtrière, d'un vaste partage des tâches entre les différentes fractions impérialistes du capital mondial.
Ce qui définit le pacifisme, ce n'est pas la revendication de la paix. Tout le monde veut la paix. Les va-t-en guerre eux-mêmes ne cessent de clamer qu'ils ne veulent la guerre que pour mieux rétablir la paix. Ce qui distingue le pacifisme, c'est de prétendre qu'on peut lutter pour la paix, en soi, sans toucher aux fondements du monde capitaliste. Les prolétaires qui, par leur lutte révolutionnaire en Russie et en Allemagne, mirent fin à la Première Guerre mondiale, voulaient eux aussi la fin de la guerre. Mais s'ils ont pu faire aboutir leur combat, c'est parce qu'ils ont su mener leur combat non pas AVEC les "pacifistes" mais malgré et CONTRE eux. A partir du moment où il devint clair que seule la lutte révolutionnaire permettait d'arrêter la boucherie impérialiste, les prolétaires de Russie et d'Allemagne se sont trouvés confrontés non seulement aux "faucons" de la bourgeoisie mais aussi et surtout à tous ces pacifistes de la première heure (mencheviks, socialistes-révolutionnaires, sociaux-patriotes) qui, armes à la main, ont défendu ce dont ils ne pouvaient plus se passer et ce qui leur était le plus cher : rendre inoffensive pour le capital la révolte des exploités contre la guerre. Tel a toujours été le but réel du pacifisme !
Sur ces manœuvres, l'histoire nous livre des expériences édifiantes. La même entreprise que nous voyons à l'œuvre aujourd'hui, les révolutionnaires du passé le dénonçaient déjà avec énergie : "La bourgeoisie a précisément besoin de phrases hypocrites sur la paix par lesquels on détourne les ouvriers de la lutte révolutionnaire", énonçait Lénine en mars 1916. L'usage du pacifisme n'a pas changé : "En cela réside l'unité de principe des sociaux-chauvins Plekhanov, Scheidemann) de des sociaux-pacifistes (Turati, Kautsky) que les uns et les autres, objectivement parlant, sont les serviteurs de l'impérialisme : les uns le servent en présentant la guerre impérialiste comme la 'défense de la patrie', les autres défendent le même impérialisme en le déguisant par des phrases sur la 'paix démocratique', la paix impérialiste qui s'annonce aujourd'hui. La bourgeoisie impérialiste a besoin de larbins de l'un et de l'autre sorte, de l'une et de l'autre nuance : elle a besoin des Plékhanov pour encourager les peuples à se massacrer en criant 'A bas les conquérants' ; elle a besoin des Kautsky pour consoler et calmer les masse irritées par des hymnes et dithyrambes en l'honneur de la paix", écrivait déjà Lénine, en janvier 1917. Et il ajoutait : "En fait, la politique de Kautsky (pour l'Allemagne) et celle de Sembat-Henderson (pour la France et la Grande-Bretagne) aident de façon identique leurs gouvernements impérialistes respectifs, en attirant principalement l'attention sur les intrigues ténébreuses du concurrent et adversaire, et en jetant un voile de phrases nébuleuses et de pieux souhaits sur les activités tout aussi impérialistes de ' leur' bourgeoisie. Nous cesserions d'être des marxistes, nous cesserions d'être en général des socialistes, si nous nous contentions d'une méditation chrétienne pour ainsi dire, sur la vertu des bonnes petites phrases générales, sans mettre à nu leur signification."

Ce qui était vrai au moment de la Première Guerre mondiale s'est depuis invariablement confirmé. Aujourd'hui encore, face aux préparatifs guerriers dans le Golfe, la bourgeoisie a plus que jamais puissamment organisé sa machine pacifiste dans tous les pays.
Pour les révolutionnaires, il ne suffit pas de dénoncer la guerre impulsée par les Etats-Unis mais il faut en même temps montrer l'hypocrisie de tous les autres Etats qui ne mobilisent la population contre cette guerre que pour s'opposer aux Etats-Unis et défendre leurs propres intérêts nationaux.

 

Seule la guerre de classe contre le capitalisme peut mettre fin à la guerre impérialiste

Pour les révolutionnaires, non seulement les préparatifs d'un nouveau conflit dans le Golfe opposent des bandes de brigands impérialistes, mais la classe ouvrière n'a aucun intérêt à soutenir un camp ou l'autre, donc elle doit absolument se démarquer aujourd'hui des entreprises "pacifistes" animées par d'autres brigands impérialistes.
C'est pourquoi l'hostilité à la guerre du prolétariat doit rester sans la moindre concession, liée à une position de principe que les révolutionnaires ont toujours défendu : L'INTERNATIONALISME PROLETARIEN, le refus de faire cause commune avec sa propre bourgeoisie nationale. Alors que pour chaque fraction concurrente de la classe dominante, son positionnement est dicté par le fait qu'elle a tel ou tel intérêt impérialiste à défendre en Irak ou plus largement dans cette région du Moyen-Orient, la classe exploitée quant à elle n'a AUCUN intérêt à s'aligner derrière les prétendues "justes causes" de ses exploiteurs, qu'elles soient "défensives" ou "pacifistes". La classe ouvrière doit s'appuyer sur son expérience historique pour prendre conscience que les chants de sirène du pacifisme ne servent qu'à l'attirer dans un piège, sur un terrain strictement bourgeois. Non seulement elle ne peut qu'être enchaînée à la défense d'un camp impérialiste contre un autre, mais elle ne peut que perdre sa propre identité en se laissant noyer dans la "population" en général, toutes classes confondues, au milieu d'un gigantesque mouvement "citoyen" dans lequel il lui est totalement impossible d'affirmer ses propres intérêts de classe. Une classe qui n'a pas de patrie, pas de frontières et d'intérêts nationaux à défendre. Aujourd'hui comme hier, la seule réponse que la classe ouvrière puisse apporter à la guerre et à son corollaire, le pacifisme, c'est la LUTTE DE CLASSE. La lutte contre la guerre ne peut être que la lutte contre le capitalisme mondial, contre ce système d'exploitation dont elle est la principale victime. Car c'est ce même système, dont les Bush, Blair, Chirac, Schröder, Saddam et consorts sont les dignes représentants, qui d'un côté exploite les prolétaires, les réduit au chômage et à la misère, de l'autre, les massacre, les condamne à l'exode massif, à la famine, aux épidémies. Ce n'est qu'en développant massivement leurs combats sur leur propre terrain de classe exploitée, en unifiant leurs luttes à l'échelle internationale dans les usines et dans la rue, que les prolétaires de tous les pays, et notamment ceux des pays les plus industrialisés d'Europe et d'Amérique, pourront ouvrir une perspective d'avenir pour l'humanité : celle du renversement du capitalisme.


La paix est impossible dans le capitalisme. Le capitalisme, c'est la guerre !


Contre l'union sacrée de tous les exploiteurs, contre toutes les manœuvres d'intoxication idéologique et de division du prolétariat mondial : Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

Wim (21 février)





1 [3] Bien que la mobilisation sur Paris (250 à 300 000 manifestants) ait été affaiblie par le fait que des "initiatives citoyennes" la semaine précédente l'ont disséminé en quelques 70 cortèges provinciaux et que le jour choisi tombait en pleine période de vacances scolaires.

2 [4] Dans ce cadre, même si le pacifisme est traditionnellement véhiculé par les partis de gauche et d'extrême gauche qui restent les moteurs des mouvements pacifistes, en particulier afin d'y enrôler spécifiquement les ouvriers, son influence va bien au-delà des clivages traditionnels au sein de la bourgeoisie. De même, la mobilisation des "chrétiens" est liée au rôle éminent du pape dans la croisade antiaméricaine.

Récent et en cours: 

  • Guerre en Irak [5]

Questions théoriques: 

  • Guerre [6]

Pourquoi l'Irak est-il au coeur de la curée impérialiste

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Pour Bush, Blair et leurs supporters dans le monde, la guerre qui se prépare contre l'Irak est une "guerre pour la paix", laquelle serait menacée par les "armes de destruction massive" de Saddam Hussein. Pour Chirac, Schröder et leurs "fans", c'est le désarmement "pacifique" de Saddam qui permettra le mieux de garantir cette "paix mondiale". L'histoire nous a appris depuis longtemps ce que valent les discours des gouvernements bourgeois, qu'ils soient "bellicistes" ou "pacifistes" : dans le capitalisme d'aujourd'hui, la "paix" comme la guerre ne préparent jamais la paix mondiale mais toujours de nouvelles guerres. Et si les grandes démocraties, anciennes alliées de la "guerre froide" sont aujourd'hui divisées, ce n'est certainement pas à cause de désaccords sur la meilleure solution pour garantir la paix.
En réalité, lorsque la France et les Etats-Unis se prennent violemment à partie et que, déchirée par les oppositions entre ses Etats membres, l'UE révèle au grand jour qu'elle ne constitue rien de plus qu'une entente économique dénuée de toute cohésion politique, ce sont des intérêts impérialistes antagoniques qui s'affrontent, d'autant plus fortement que chaque pays se trouve assailli par des contradictions de plus en plus insurmontables sur le plan économique.

 

L'importance géostratégique de l'Irak

Depuis le début des années 1990, de telles tensions n'ont cessé de se manifester à travers en particulier une série des démonstrations de force des Etats-Unis. Comme nous l'avons déjà mis en évidence dans nos colonnes (et celles de la Revue Internationale), celles-ci ont pour objectif, à travers l'usage de leur écrasante supériorité militaire, de faire taire la contestation de leur leadership mondial tout en conquérant des positions stratégiques renforçant encore leur suprématie vis-à-vis de leurs rivaux, européens principalement. En ce sens, l'Irak constitue une position clé que les Etats-Unis se proposent de contrôler directement. Ce pays constitue un maillon de l'encerclement de l'Europe. Son contrôle ne peut qu'affaiblir les positions de la France (le plus turbulent rival des Etats-Unis) et de l'Allemagne, potentiellement le plus dangereux du fait de sa puissance économique et de son rayonnement géographique et historique en direction de l'Est.
L'effondrement de l'Empire ottoman ("l'homme malade de l'Europe") qui s'est accéléré à la fin du 19e siècle et au début du 20e a attisé les convoitises des puissances de l'époque envers les régions qu'il contrôlait, notamment les Balkans (d'où est partie la Première Guerre mondiale) et le Proche-Orient qui est devenu un carrefour stratégique entre plusieurs continents. Alors que la France et l'Angleterre visaient au contrôle de cette région à travers la Méditerranée (c'est la France qui construit le canal de Suez achevé en 1869) et, pour l'Angleterre, à partir de l'Empire des Indes (via l'Afghanistan et la Perse), l'Allemagne de Guillaume II se donne le même objectif à travers une voie continentale, un axe Berlin-Istambul-Bagdad. Ainsi, c'est l'Allemagne qui finance la ligne de chemin de fer de Bagdad, commencée en 1903, visant à relier Berlin au Golfe persique (via l'Orient-Express et la Turquie). Evidemment, l'importance de cette région (et la convoitise à son égard de la part des grandes puissances) s'accroît encore au début du 20e siècle avec la mise en exploitation de ses réserves pétrolières : c'est à la veille de la Première Guerre mondiale que l'or noir commence à couler en Iran et en Irak (encore dominé par l'Empire ottoman). Les ambitions impérialistes de l'Allemagne ont subi un coup d'arrêt avec la défaite de ce pays dans la Première Guerre mondiale et c'est à l'Angleterre qu'échoit le protectorat de l'Irak à partir de 1920. Cette domination anglaise est pratiquement sans partage jusqu'au renversement de la monarchie hachémite par un coup d'Etat le 14 juillet 1958. Mais à la suite de ce dernier, l'Irak échappe au contrôle de la puissance anglaise pour passer des accords économiques, politiques et militaires avec l'URSS, la France et l'Allemagne. L'effondrement du bloc de l'Est a légué à ces deux derniers pays l'essentiel de l'influence étrangère en Irak, une influence que ne parvient pas à abolir la guerre du Golfe de 1991, ni l'embargo et les bombardements anglo-américains infligés depuis à ce pays. Cela explique pourquoi la France et l'Allemagne, contrairement à la Grande-Bretagne et aux Etats-Unis (qui ont perdu avec la chute du Shah d'Iran en 1979 une position essentielle dans la région) ont tout intérêt au statu quo en Irak.

Ces éléments permettent à eux seuls de comprendre pourquoi c'est l'Irak qui a constitué, après l'Afghanistan, l'objectif prioritaire des Etats-Unis. Il en existe d'autres, stratégiques également. En choisissant l'Irak comme cible suivante de leurs opérations militaires, les Etats-Unis savaient qu'ils rallieraient à eux la Grande-Bretagne, qui elle non plus ne peut retrouver une influence en Irak tant que Saddam Hussein est en place. Du même coup se trouvait écarté le scénario de la guerre en Yougoslavie à partir de 1991 où la France et la Grande-Bretagne ont fait alliance pour la défense d'intérêts impérialistes communs, face aux Etats-Unis. Le volume considérable des réserves pétrolières de l'Irak accentue évidemment de façon majeure l'importance stratégique de ce pays situé au coeur d'une région qui fournit la plus grande partie du pétrole consommé au Japon et en Europe. Comme nous l'avons déjà développé, si les Etats-Unis parvenaient à un contrôle absolu sur les fournitures de l'Europe ou du Japon en hydrocarbures, cela voudrait dire qu'ils seraient en mesure d'exercer le plus puissant des chantages sur ces contrées en cas de crise internationale grave.
Le contrôle direct de l'Irak (une clé pour la domination de tout le Moyen-Orient) constitue également une étape nécessaire pour le renforcement de l'autorité américaine dans la région, en particulier à travers la "normalisation" de la situation en Arabie Saoudite et la remise au pas de l'Iran, qui pourrait bien constituer la prochaine cible de l'offensive américaine. Ainsi, ce qui se profile derrière la mainmise sur l'Irak par les Etats-Unis, c'est tout un remodelage de la carte géopolitique du Moyen-Orient avec, en perspective, le "règlement" de la question palestinienne. En fait de règlement, ce qui est visé ce n'est ni plus ni moins que la création du Grand Israël, cher à Sharon, au moyen de l'expulsion des populations des territoires occupés, au delà du rempart que constitue le Jourdain, pour les parquer en Jordanie.
Dans la crise irakienne actuelle, le refus de la France et de l'Allemagne des plans des Etats-Unis traduit leur volonté de défendre leurs propres intérêts. Mais si cela a pris la forme d'une opposition aussi ouverte et véhémente, témoignant d'une contestation du leadership américain à un niveau inégalé jusqu'ici, c'est parce que ces pays ont exploité à fond la faiblesse des justifications idéologiques de cette nouvelle croisade américaine. La scène où de Villepin est applaudi à l'assemblée de l'ONU et où Powell, déstabilisé, ne parvient pas à trouver ses mots, symbolise parfaitement cet affront fait à la première puissance mondiale et que cette dernière ne peut que faire payer très cher, sous peine d'en subir d'autres aux conséquences coûteuses sur le plan impérialiste.

 

Vers une aggravation des tensions impérialistes entre les grandes puissances

On ne sait pas encore aujourd'hui si la résistance de la France et de l'Allemagne aux plans américains va se poursuivre à l'ONU, ni sous quelle forme. On ne sait pas non plus encore comment les Etats-Unis s'arrangeront avec le "droit international" au cas où ils n'obtiendraient pas de l'ONU la majorité pour intervenir en Irak. Par contre, ce qui est d'ores et déjà acquis c'est que, en isolant la France et l'Allemagne de la presque totalité des pays européens, les Etats-Unis ont marqué des points très importants qui compteront dans le futur. Ainsi certains pays "amis" de la France et de l'Allemagne, comme l'Espagne et l'Italie en particulier, leur ont fait faux bond.
C'est pour l'Allemagne que les dommages apparaissent pour l'instant les plus importants. Alors que depuis sa réunification, c'est en direction de l'Europe de l'Est qu'elle avait, non sans succès, tenté d'élargir sa zone d'influence, on voit des pays comme la Hongrie et la Tchéquie, fer de lance de la pénétration de l'Allemagne au niveau économique, lui faire des infidélités.
En fait, si certains pays ont lâché la France et l'Allemagne, c'est par crainte, d'une part des représailles américaines, d'autre part de l'affirmation de voisins plus puissants, et donc plus aptes à faire valoir leurs propres intérêts sur l'échiquier impérialiste mondial. Jouer sur deux tableaux à la fois, tant que c'est possible, est vu par ces pays comme un moyen de ne pas se faire phagocyter par des "amis" géographiquement trop proches.
Quant à la France, elle ne perd rien pour attendre au niveau des représailles que la bourgeoisie américaine va exercer sur elle. Déjà ses positions en Afrique sont soumises à une pression accrue à laquelle les Etats-Unis ne sont pas étrangers 1 [7].
Même si, pour un temps, l'action de la France et de l'Allemagne risque de perdre en efficacité contre la politique américaine, ce n'est pas sans difficultés que les Etats-Unis s'engagent au Moyen-Orient. Les alliances qui se nouent sont toujours de circonstance (contrairement à celles qui pouvaient exister au sein des deux anciens blocs de l'Est et de l'Ouest), et de fait sont soumises aux fluctuations des intérêts particuliers des uns et des autres. C'est ce que vient illustrer le marchandage imposé par la Turquie qui accepte de mettre à la disposition des Etats-Unis ses installations militaires aéroportuaires, moyennant une rétribution que, jusqu'à ce jour, l'Oncle Sam a jugé excessive. Il n'est pas un pays dont les Etats-Unis n'aient pas à se méfier. Jusqu'à la Grande-Bretagne, alors qu'elle leur avait damé le pion au Kosovo en 1999, au dernier moment, dans la répartition des protectorats.
Depuis le début des années 1990, les offensives américaines successives, même si elles sont parvenues à contenir momentanément la contestation de leur leadership, n'ont en définitive abouti qu'à renforcer encore cette contestation. C'est la raison pour laquelle la première puissance mondiale doit en permanence être à l'offensive avec des moyens de plus en plus importants. C'est à cette nécessité qu'avait correspondu l'exploitation des attentats du 11 septembre (que les services secrets américains n'ont pas tenté d'empêcher alors qu'ils étaient au courant de leur préparation) en libérant la bourgeoisie américaine du syndrome du Vietnam, c'est-à-dire lui laissant les mains libres pour engager les troupes américaines sans devoir rendre des comptes sur le coût en vies humaines : selon sa propagande, l'exigence du "zéro mort américain", à laquelle ils se soumettaient avant, a été balayée par les 3 000 morts du World Trade Center.
Quel que soit le consensus que les Etats-Unis obtiendront, ou pas, pour intervenir en Irak, quelles que soient la facilité ou les difficultés militaires de cette guerre, toutes les frustrations suscitées par cette nouvelle opération de police des Etats-Unis ne pourront que rejaillir par la suite et participer d'une nouvelle aggravation des tensions impérialistes. Une fois encore, ce seront les populations civiles locales qui vont faire les frais de la boucherie impérialiste et ce sera, comme toujours, la classe ouvrière qui va devoir supporter le coût de la guerre et du militarisme.

Luc (20 février)

1 [8] Dans les manifestations anti-françaises en Côte d'Ivoire à la fin du mois de janvier, des drapeaux américains ont fait leur apparition dans la foule, traduisant ainsi l'activité sur place de différents services "spécialisés" américains.

Récent et en cours: 

  • Guerre en Irak [5]

Le combat permanent des révolutionnaires contre la guerre

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Les guerres modernes ont la propriété d'être présentées mensongèrement comme des guerres "défensives" : défense de la "civilisation" contre le terrorisme et la barbarie des "Etats voyous", défense de la démocratie contre le totalitarisme. C'était déjà la grande mystification que dénonçaient les militants du parti social-démocrate russe avec Lénine dont nous publions des extraits d'un article de 1914, intitulé "L'Internationale et la défense nationale".
L'article de Lénine démontre comment la question de la guerre n'est pas un problème indifférent aux débats des deux premières Internationales, le problème y est constamment envisagé. Il affirme que le combat contre la guerre est une composante essentielle avec le combat contre l'exploitation économique de la lutte du prolétariat pour mettre à bas le capitalisme. Mais mieux encore, contre tous les juges modernistes et contre-révolutionnaires de l'histoire qui se lamentent à dessein sur l'impuissance et la faillite de la 2e Internationale face à la guerre mondiale, Lénine démontre que le coeur du combat des Internationales a été maintenu, même après leur disparition ou leur faillite, par le noyau de militants qui n'avaient cessé de combattre l'opportunisme des futurs traîtres chauvins. C'est cette continuité et pugnacité du combat qui ont permis de renforcer l'éruption du prolétariat révolutionnaire contre la guerre en 1917 et de constituer la 3e Internationale.
Ainsi, même dans une période aussi dramatique, une poignée de révolutionnaires, seuls héritiers de la tradition marxiste bafouée, a prouvé que ce n'est qu'en maintenant le flambeau de l'Internationalisme contre les social-chauvins qui les accusaient de défendre des conceptions "surannées", qu'il était possible de se préparer à mettre fin à la guerre par la perspective de la révolution.
Il n'est pas vrai que l'Internationale ait consacré trop peu d'attention au problème de la guerre. Presque tous les congrès internationaux s'en sont occupés. Un rappel des faits suffira. L'ancienne Internationale a consacré à ce problème deux résolutions en deux congrès. La 2e Internationale s'y est arrêtée dans huit congrès et huit résolutions. Elle a, en outre, traité, dans cinq résolutions, la question coloniale.
Il est inexact que l'Internationale ait enseigné aux ouvriers qu'ils n'avaient qu'à se demander si une guerre était défensive pour que la question fût tout de suite tranchée et qu'il ne leur restât qu'à mettre le fusil sur l'épaule et à exterminer "l'ennemi". Quiconque prendra la peine de parcourir les résolutions authentiques de la 1ère et 2e Internationale se convaincra que rien d'analogue n'a jamais été résolu. Examinons ces résolutions.

 

Depuis Marx, le combat des révolutionnaires contre la guerre

En 1867, au congrès de Lausanne, la 1ère Internationale élabore une motion détaillée sur la guerre. Le point essentiel est dans l'indication qu'il "ne suffit pas de supprimer les armées permanentes pour en finir avec les guerres, mais qu'une transformation de tout l'ordre social est à cette fin également nécessaire". En 1867, au congrès de Bruxelles, l'Internationale "recommande tout particulièrement aux ouvriers de cesser le travail dans leur pays en cas de guerre".
Le Conseil général de la 1ère Internationale adopte, en 1866, au début de la guerre austro-prussienne, une résolution dans laquelle il recommande aux prolétariats de considérer ce conflit comme celui de deux despotes et de tirer parti de la situation pour leur propre émancipation.
Dans un manifeste aux trade-unions, en juillet 1868, le même Conseil général, dans lequel on n'ignore pas que Karl Marx exerçait une influence prépondérante, écrivait : "Les bases de la société doivent être dans la fraternité des travailleurs, libérés des mesquines rivalités nationales. Le travail n'a pas de patrie."
Telles sont les résolutions de la 1ère Internationale. A la conférence de Londres, en 1888, les députés social-démocrates reçoivent le mandat de travailler à l'institution de cours d'arbitrage pour la liquidation des conflits entre Etats.
Au premier congrès de la 2e Internationale (Paris, 1889), une résolution antimilitariste précise est prise. Revendication principale : la substitution des milices populaires aux armées permanentes. En 1891, le congrès de Bruxelles, "considérant que la situation de l'Europe devient chaque année plus menaçante(...), considérant les campagnes chauvines des classes dirigeantes, invite tous les travailleurs à protester, par une agitation incessante, contre toutes les tentatives de guerre et (...) déclare que la responsabilité des guerres retombe en tout cas (...) sur les classes dirigeantes".
En 1893, le congrès de Zurich déclare : "La social-démocratie révolutionnaire internationale doit s'insurger avec la plus grande énergie contre les aspirations chauvines des classes dirigeantes. Les représentants des partis ouvriers sont tenus de refuser tous les crédits militaires et de protester contre le maintien des armées permanentes."
En 1900, au congrès de Paris, l'Internationale décide catégoriquement que : "Les députés socialistes de tous les pays sont inconditionnellement tenus de voter contre toutes les dépenses militaires, navales, et contre les expéditions coloniales."
En 1907, à Stuttgart, après avoir examiné la question sous tous ses aspects, l'Internationale adopte une résolution circonstanciée, dont le passage le plus important est celui-ci : "Si la guerre éclate pourtant, les socialistes ont pour devoir d'intervenir pour en hâter la fin et tirer de toute façon parti de la crise économique et politique, pour soulever le peuple et précipiter par là même la chute de la domination capitaliste."
En 1910, à Copenhague, la résolution de Stuttgart est confirmée et l'Internationale déclare une fois de plus que c'est "le devoir invariable" des députés socialistes de refuser tous les crédits de guerre.
En novembre 1912, au congrès de Bâle, réuni pendant la guerre des Balkans, l'Internationale formule une claire menace de révolution si les gouvernements criminels vont jusqu'à la guerre mondiale. "Que les gouvernements n'oublient pas, déclare le congrès de Bâle, que la guerre franco-allemande a provoqué l'éruption révolutionnaire de la Commune, que la guerre russo-japonaise a mis en mouvement les forces révolutionnaires des peuples de la Russie. Les prolétaires considèrent comme un crime de se tirer les uns sur les autres pour les bénéfices capitalistes, les rivalités dynastiques et les traités diplomatiques secrets." Tel était jusqu'à présent, le langage de l'Internationale. On chercherait en vain dans ces motions une approbation de la guerre même défensive.

 

1914 : La "défense nationale" signe l'arrêt de mort de la 2e Internationale

L'Internationale disait comment combattre la guerre, comment agir quand la guerre éclate. Elle disait : "Votez contre les crédits, appelez les masses au combat, préparez la guerre civile (la Commune donnée en exemple) ; rappelez-vous que les guerres ne sont que violences des classes dirigeantes contre les ouvriers, qu'elles sont enfantées par l'ordre capitaliste. Elle appelait à la lutte contre la guerre moderne". (...) Mais aujourd'hui !... Comme les social-chauvins de tous les pays l'ont déshonorée, l'Internationale !
L'Internationale n'a jamais dit que les socialistes dussent participer à la "défense nationale" dans toute guerre défensive.(...) Dans les guerres impérialistes qui caractérisent toute notre époque, l'assaillant peut demain se trouver en état de défense et vice versa. Pour cette raison déjà, l'Internationale ne pouvait conseiller en toutes occasions la guerre défensive. Il ne faut pas confondre les fâcheuses déclarations isolées de quelques leaders socialistes avec l'opinion de l'Internationale.(...) La différence entre une guerre offensive et la guerre défensive est, dans la majorité des cas, tout à fait douteuse, écrivait Kautsky lui-même en 1905. Et, en 1907, au congrès de la social-démocratie allemande, à Essen, Kautsky, répliquant à Bebel, disait encore :
"En réalité, la question ne se posera pas pour nous en cas de guerre par rapport à telle ou telle nation isolée, car la guerre entre les grandes puissances deviendra une guerre mondiale et ne se limitera pas à deux Etats. Il arrivera qu'un beau jour le gouvernement allemand tentera de berner les travailleurs allemands, en leur assurant que la France est l'agresseur. Le gouvernement français fera de même de son côté. Et nous serons les témoins d'une guerre dans laquelle les ouvriers français et allemands, également enthousiastes et suivant leurs gouvernements, s'égorgeront entre eux."
(...) L'Internationale n'a jamais justifié ni préconisé ce qu'ont fait les social-chauvins en Allemagne, en Autriche, en France et en Belgique. Le simple recueil des résolutions de l'Internationale constituerait le meilleur réquisitoire contre les opportunistes qui les ont déchirées, amenant l'Internationale même au krach. Les opportunistes étaient très forts dans l'Internationale, mais pas assez pour affirmer, sous son égide, le patriotisme d'aujourd'hui claironné par Haase et Vaillant, Hervé et Sudekum. Au moment où l'opportunisme et le chauvinisme ont temporairement triomphé dans les plus grands partis européens, la 2e Internationale a cessé de vivre.
Une autre Internationale la remplacera.

Lénine (12 décembre 1914)

Questions théoriques: 

  • Internationalisme [9]
  • Guerre [6]

Le chômage massif signe la faillite du capitalisme

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La bourgeoisie et ses médias présentent le chômage comme une fatalité, tout en "proposant" des "solutions". Ils peuvent ainsi justifier les sacrifices imposés aux ouvriers, sous la forme d'un véritable chantage à l'emploi, en cherchant à culpabiliser les "actifs", en leur demandant de "partager" travail et salaire. Bref, ils généralisent la misère, au nom de la "solidarité".

Le chômage qui affecte aujourd'hui la classe ouvrière n'est pas un phénomène nouveau. Depuis ses origines, le capitalisme a connu des crises périodiques qui, à chaque fois, se traduisaient par une poussée du chômage et une violente attaque contre les conditions de vie des ouvriers.

 

Le chômage dans la période ascendante du capitalisme

Au moment le plus aigu des crises cycliques du 19e siècle, certains secteurs, comme le textile, pouvaient licencier jusqu'à 50% de leur main-d'oeuvre. Plus largement, lorsque le patron ne parvenait pas à vendre ses marchandises sur un marché ponctuellement saturé, il se voyait dans l'obligation de jeter à la rue la classe laborieuse.
L'exode rural forcé ainsi que la ruine de milliers d'artisans incapables de concurrencer les grandes entreprises capitalistes qui produisaient moins cher, faisait qu'une énorme masse de sans-travail affluait vers les grandes villes pour garnir les rangs du prolétariat. Cette gigantesque "armée industrielle de réserve" permettait alors à la bourgeoisie de faire pression sur les salaires pour les maintenir au niveau le plus bas. Si le chômage est également resté particulièrement élevé avant 1850 dans le pays industriel le plus puissant à l'époque, l'Angleterre, c'est que ses marchandises ne parvenaient pas à être écoulées de manière suffisante. Ceci, tant sur le marché intérieur saturé, que dans les pays du continent qui adoptaient des mesures "protectionnistes". La France et l'Allemagne avaient en effet tendance à fermer la porte aux produits anglais, pour ne pas être concurrencés et favoriser les débuts de leur propre révolution industrielle.
Mais à partir de la seconde moitié du 20e siècle, le fait que le capitalisme n'ait pas encore conquis la planète permettait de résoudre les effets les plus dévastateurs de la concurrence et, surtout, de surmonter momentanément les crises de surproduction, grâce à la découverte de nouveaux débouchés obtenus par les conquêtes coloniales. Les marchandises ainsi vendues pouvaient permettre de réaliser la plus-value, c'est-à-dire le profit, et d'assurer le processus d'accumulation du capital. Cette expansion permettait non seulement d'écouler les surplus de marchandises dans ces zones pré-capitalistes mais aussi, par la même occasion, d'étendre le mode de production capitaliste, faisant des anciens producteurs de nouveaux prolétaires.
Cette marche forcée, au prix d'épisodes sanglants, conduisait l'industrie à absorber et intégrer à peu près partout une main-d'oeuvre toujours plus nombreuse et concentrée. C'est durant cette période que l'Europe continentale et les Etats-Unis entraient de plain-pied dans la révolution industrielle. La colonisation et le développement du capital américain absorbèrent donc nombre de chômeurs potentiels par le biais de l'émigration européenne (50 millions d'européens quittèrent le "vieux continent" entre 1850 et 1914).

Ainsi, dans l'ascendance du capitalisme, pour les prolétaires, malgré la misère et la surexploitation qu'ils subissaient, les conditions d'expansion du capitalisme leur permettaient non seulement de vendre leur force de travail, mais encore de se constituer en classe, de s'organiser, de développer leur unité et d'arracher aux exploiteurs des réformes et des améliorations durables. De plus les conquêtes de zones extra-capitalistes dans toutes les régions du globe permettaient de limiter le chômage grâce à l'ouverture et à l'élargissement du marché mondial. Durant cette période, malgré son caractère inhumain, le chômage n'avait pas la signification tragique qu'il a aujourd'hui, où il apparaît comme un véritable cancer social.

 

Dans la décadence : une inexorable augmentation que la bourgeoisie ne peut enrayer

La Première Guerre mondiale, dont l'origine est liée au repartage des marchés entre les différentes bourgeoisies nationales, sanctionne la fin de cette phase dynamique du capitalisme et annonce sa décadence.
Si, au lendemain de la "Grande Guerre", le taux de chômage est resté assez peu élevé, c'est avant tout du fait que des millions de prolétaires avaient été fauchés sur le front. La période de reconstruction qui a suivi a permis provisoirement d'absorber une main-d'oeuvre diminuée. Dix ans après le conflit, la surproduction qui entraînait la catastrophe de 1929 provoquait une montée dramatique du chômage dans tous les pays industriels. Le chômage est passé de 5,9 % à 13,1 % au Royaume-Uni entre 1929 et 1932 et de 5,9 % à 17,2 % pour la même période en Allemagne. L'exemple le plus significatif est son bond spectaculaire aux Etats-Unis, où il est passé de 3% en 1929 à 25% en 1933 ; situation caractérisée par ses grèves "dures" et ses longues files d'attente aux soupes populaires.
Si par la suite, on enregistre une légère décrue dans la plupart des pays jusqu'au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, cela n'est dû essentiellement qu'au développement du capitalisme d'Etat, à la production d'armement et à la politique de grands travaux d'inspiration keynésienne qui marquent la fuite en avant du capitalisme vers la préparation directe d'une nouvelle boucherie impérialiste, comme seule "réponse" à ses contradictions mortelles. Ces politiques appliquées aussi bien par les régimes démocratiques ("New Deal" aux Etats-Unis et programme du Front Populaire en France) que par les régimes "totalitaires" (plan quinquennaux en URSS, mise en place de l'Institut pour la Reconstruction Industrielle -IRI- en Italie, plan de quatre ans en Allemagne), à coup de déficits budgétaires et d'endettement, permettaient de maintenir et de créer une activité artificielle.
Tous les Etats poussaient violemment les prolétaires à se sacrifier pour les intérêts de l'économie nationale. Et de ce point de vue, les staliniens de l'URSS, de la fameuse "patrie du socialisme", n'étaient pas en reste. La glorification des "héros du travail", conduisant à la construction du mythe Stakhanov, faisait partie de l'arsenal idéologique bourgeois pour pressurer au maximum la force de travail. Si les staliniens se targuaient de ne "pas connaître le chômage", la mobilisation dans les vastes camps de production de l'industrie lourde, au service de l'armement et du capital russe, où les prolétaires devaient s'épuiser pour des conditions de vie misérables en était le prix à payer. Ceci, sans compter la masse des travailleurs entassés dans les goulags !

 

Aujourd'hui :chômage de masse et paupérisation absolue

Si, de 1945 jusqu'à la fin des années soixante, le taux du chômage est resté encore relativement faible, c'est grâce à la phase de reconstruction d'après guerre.
Mais à la fin des années soixante, celle-ci est terminée. Les nations dont le potentiel industriel avait été détruit, comme l'Allemagne, peuvent de nouveau produire et, surtout, encombrer le marché mondial. Le chômage, jusque là repoussé ou atténué momentanément par l'économie de guerre, la reconstruction, les mesures étatiques et le développement du crédit, revient alors avec fracas. Contrairement à la veille de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, la bourgeoisie ne peut embrigader derrière les drapeaux nationaux une masse ouvrière qui, depuis Mai 68, a retrouvé le chemin de la lutte sur son propre terrain de classe. L'aggravation de la crise économique entraîne alors un inexorable mouvement de licenciements, dans tous les pays industriels. De récessions en récessions, les chômeurs ne cessent de s'entasser par millions.

Avec le début des années quatre-vingt, le chômage est devenu massif et chronique, ouvrant une ère de paupérisation absolue. Désormais, les différents capitaux nationaux ne peuvent survivre qu'en rejetant dans le chômage un nombre toujours plus grand de prolétaires. Alors que la surproduction atteint des niveaux inégalés et que les Etats croulent sous les dettes, que les secousses monétaires et boursières se multiplient en fréquence et en intensité, que la guerre commerciale se déchaîne tous azimuts, la perspective de "résorber" le chômage par le biais de "sacrifices nécessaires" s'avère être un odieux mensonge. En réalité, face à la concurrence, toutes les bourgeoisies nationales sont obligées de "rationaliser" leur production. Cela signifie qu'elles doivent dès maintenant fermer les usines les moins rentables, augmenter la productivité du travail, diminuer les effectifs, accélérer les cadences, baisser les salaires. La crise et le chômage ainsi engendré ne sont ni cycliques, ni conjoncturels. Alors que le capitalisme avait pour raison d'être essentielle de développer les forces productives en généralisant le salariat comme c'était le cas dans le passé, son incapacité évidente aujourd'hui à donner du travail à des dizaines de millions de prolétaires signifie que ce système est arrivé au bout du rouleau.

Au début du 21e siècle, le drame du chômage illustre de façon éclatante la faillite du mode de production bourgeois. Il témoigne de la nécessité pour la classe ouvrière de renverser ce système moribond et de mettre fin, par la révolution communiste mondiale, à la misère capitaliste.

Récent et en cours: 

  • Crise économique [10]

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