« Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi »
L'histoire s'accélère. Les plaies béantes du vieux monde s'approfondissent et se multiplient.
En un an dans les pays sous-développés, la faim a tué autant d'hommes que l'a fait la Deuxième Guerre Mondiale en six ans de feu. Les prolétaires des pays dits "communistes" connaissent les pénuries alimentaires des temps de guerre. L'économie du bloc occidental s'enlise de plus en plus, irréversiblement, jetant des millions de prolétaires dans la rue.
La seule production qui augmente réellement c'est celle de l'armement.
Simultanément, la réponse de la classe ouvrière - du Brésil à la Chine, de la Grande Bretagne à la Pologne - s’accélère, se confirme et s'approfondit posant de plus en plus dans les faits la question de la nécessité de 1'INTERNATIONALISATION de l'action des prolétaires de tous les pays.
Avec les luttes en Pologne, à nouveau le monde entier a été obligé de dire : "Les ouvriers ont fait ...". La classe révolutionnaire que porte en elle la classe ouvrière est une fois de plus apparue au grand soleil.
Et cela a donné un violent coup d'accélérateur à l'histoire. Le vieux monde craque de toutes parts alors même que son fossoyeur relève la tête.
Le vent de Gdansk annonce de prochaines tempêtes révolutionnaires.
Il y a deux ans, au IIIe Congrès nous disions que les années 80 seraient "LES ANNEES DE VERITE". Les événements ont déjà entrepris de vérifier cette affirmation.
De plus en plus les révolutionnaires seront confrontés à la difficulté de comprendre et d'analyser "calmement" les choses, alors que tout va de plus en plus vite.
Le IVe Congrès a été traversé par le nouveau rythme de l'histoire et l'organisation a pu prendre l'exacte mesure des nouvelles difficultés qu'entraine pour les révolutionnaires cette "accélération" tant attendue.
Marx disait dans le Manifeste Communiste que "du point de vue théorique, (les communistes) ont sur la masse prolétarienne l'avantage de comprendre les conditions, la marche et les résultats généraux du mouvement ouvrier." Mais cet "avantage" ne leur est donné ni automatiquement ni miraculeusement par le simple fait qu'ils se constituent en organisation politique. S'ils l'acquièrent c'est par un constant travail COLLECTIF de confrontation permanente de leurs analyses avec la réalité historique et vivante ainsi que par un débat généralisé et conséquent au sein de leurs organisations.
Les textes du IVe Congrès que nous publions dans ce numéro illustrent l'effort du Courant pour réellement comprendre "les conditions, la marche et les résultats généraux du mouvement ouvrier".
Les rapports et les résolutions sont des textes introductifs ou de conclusion des débats. La "contre-résolution sur la lutte de classe" a été une contribution et un instrument du débat, développant un point de vue différent de celui "majoritaire" adopté finalement par le Congrès.
Le rapport "CRISE ECONOMIQUE GENERALISEE ET CONFLITS INTER-IMPERIALISTES" ainsi que la RESOLUTION SUR LA SITUATION INTERNATIONALE" tracent la perspective de l'aggravation de la crise économique capitaliste et de l'évolution des tensions entre puissances et blocs capitalistes.
Le rapport "PERSPECTIVES DE LA LUTTE DE CLASSE INTERNATIONALE (UNE BRECHE OUVERTE EN POLOGNE)" et la «RESOLUTION SUR LA LUTTE DE CLASSE" font le point sur l'évolution de l'affrontement entre les deux principales classes de la société. Ils analysent aussi bien les forces et les faiblesses du prolétariat que celles de son ennemi : la bourgeoisie mondiale.
Le texte "LES CONDITIONS HISTORIQUES DE LA GENERALISATION DE LA LUTTE DE LA CLASSE OUVRIERE" aborde le principal problème posé par les luttes ouvrières en Pologne : la nécessité de l'internationalisation des combats prolétariens pour qu'ils puissent épanouir leur puissance révolutionnaire.
La "CONTRE-RESOLUTION SUR LA LUTTE DE CLASSE" (signée Chénier) se penche surtout sur le rapport entre le développement de la crise politique de la bourgeoisie et celui de la lutte prolétarienne.
Contrairement à la résolution adoptée par le Congrès qui insiste sur les efforts de la bourgeoisie pour mettre en place internationalement une même stratégie face au prolétariat {"la gauche dans l'opposition") et pour répondre de façon coordonnée à la menace ouvrière internationale, le texte du camarade Chenier insiste surtout sur "la bourgeoisie décadente, sénile et incapable d'homogénéité face à son ennemi historique".
L'ensemble de ces travaux donneront au lecteur l'analyse générale de la situation historique au point où est parvenu le CCI lors de son 4ème congrès international.
"Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés par tel ou tel réformateur du monde.
Elles ne font qu'exprimer, en termes généraux, les conditions réelles d'une lutte de classe qui existe, d'un mouvement historique qui se déroule sous nos yeux".
(Manifeste Communiste)
1/LES ANNEES DE VERITE
"Dans les années 60, la bourgeoisie nous a donné de la misère en échange de miettes, dans les années 70, elle nous a donné encore plus de misère en échange de promesses ; pour les années 80, elle nous réserve beaucoup plus de misère. en échange de l a misère." ([1] [2])
.1. La situation actuelle de la crise capitaliste oblige les deux classes fondamentales de la société -le prolétariat et la bourgeoisie- à lutter à mort, sans ambigüité, pour imposer leurs alternatives historiques respectives : la Révolution ou la Guerre, le Communisme ou la Barbarie.
.2. D'une part la bourgeoisie a vu la faillite de tous les plans de "relance" économique expérimentés par tous les moyens dans les années 70, et prouvant chaque fois plus que sa seule "solution" est une 3ème guerre mondiale impérialiste.
D'autre part, le fait que le prolétariat n'est pas vaincu et les manifestations constantes de résistance de la classe ouvrière (dont la Pologne est l'expression la plus haute) obligent la bourgeoisie à poser radicalement la "question sociale", c'est-à-dire que toute son activité politique et économique en direction de la guerre ne peut avoir comme axe qu'une stratégie conséquente d'affrontement et de défaite du prolétariat.
.3. Pour le prolétariat, la perspective d'une "solution" à la crise à l'intérieur du capitalisme, qui a pu désorienter et freiner sa lutte au cours des années 70, laisse la place à une réalité amère de dégradation permanente et absolue de ses conditions d'existence. La misère que lui impose le capitalisme cesse d'être un simple phénomène quantitatif pour devenir une réalité QUALITATIVE de dégradation, d'insécurité et d'humiliation de toute son existence.
Le prolétariat apprend que les luttes purement économiques et les affrontements exclusivement partiels et limités finissent par n'avoir aucun effet sur la bourgeoisie et que les miettes RELATIVES ET MOMENTANEES arrachées comme fruit des grands combats de 1965 à 1973 ont disparu sans laissé de trace au cours de ces 5 dernières années et ont cédé le pas à une chute sans précédent et sans frein de son niveau de vie. Tout cela indique une seule perspective : l'affrontement généralisé avec le capital dans la dynamique de la révolution.
.4. C'est à partir de cet ensemble de conditions historiques globales que nous devons évaluer l’état actuel de la lutte de classe. La question est : comment le prolétariat et la bourgeoisie répondent-ils à cette situation historique de croisée des chemins ? C'est en partant de là que nous allons analyser la stratégie et les armes qu'emploie la bourgeoisie et faire le bilan des expériences, des forces et des faiblesses des luttes développées par la classe ouvrière.
2/LA REPONSE DE LA BOURGEOISIE
.5. Au 3ème Congrès international du CCI (cf. "Revue Internationale" n°18), nous avons constaté la réalité d'une crise politique généralisée de la bourgeoisie mondiale et analysé en détails les caractéristiques et manifestations de cette réalité. Ses causes -nous pouvons aujourd'hui les déterminer avec plus de perspective- provenaient de l'INADEQUATION de la politique bourgeoise à la conjoncture imposée par l'aggravation de la crise et des conflits impérialistes, étant donnée la reprise de la lutte ouvrière commencée en 1978 et, plus globalement, à cette situation de croisée des chemins que nous avons définie dans le premier point comme les années de vérité.
Le dénouement de cette crise politique a été la REORIENTATION TOTALE de la stratégie bourgeoise face à la situation et en particulier face au prolétariat. La réorientation de l'appareil et de l'action politique de la bourgeoisie lui ont permis une plus grande cohérence et une offensive plus systématique, plus concentrée et plus efficace contre le prolétariat. Dans l'immédiat la bourgeoisie S'EST RENFORCEE, quoique, comme nous le verrons, plus loin, ce renforcement s'inscrive da dans un affaiblissement à long terme de la bourgeoisie.
.6. L'axe essentiel de cette réorientation est, comme nous l'avions mis en évidence au 3ème congrès du CCI, le passage de la gauche dans l'opposition, ce qui a pour conséquence l'accès de la droite au pouvoir. Mais avant d'analyser en détail cet axe, il faut déterminer le cadre idéologique qui caractérise l'ensemble de la politique bourgeoise dans la situation actuelle.
La domination capitaliste s'appuie sur deux piliers. L'un est la répression et la terreur, l'autre, cachant et renforçant le premier, est la mystification, le mensonge idéologique. Ce second pilier doit toujours s'appuyer sur une base matérielle qui le rend crédible. S'il existe, dans l'idéologie bourgeoise, toute une série de mystifications qui s'appuient dans les fondements les plus profonds du capitalisme (démocratie, "droits de l'homme"), l'ensemble de l'idéologie bourgeoise, c'est-à-dire 1'ensemble des mystifications et des choix qui cimentent sa domination, doit se modifier suivant les différentes conjonctures imposées par la crise, la lutte de classe, et les conflits impérialistes, sous peine de perdre toute crédibilité et, pour autant, affaiblir son contrôle sur le prolétariat.
Dans les années 70, ce cadre idéologique tournait autour de l'illusion que les ouvriers, en faisant toute une série de sacrifices et en acceptant une politique d'austérité croissante, pourront "sortir de la crise" et retrouver la "prospérité" perdue. A travers le mythe d'une solution nationale et négociée à la crise, qui était incarnée dans la perspective de la gauche au pouvoir et dont l'idéologie constante était "l'avance des forces progressistes et le changement social", la bourgeoisie a pu maintenir sa domination en freinant et en paralysant momentanément la lutte des ouvriers, en leur faisant avaler des doses croissantes d'austérité et en reconstruisant l'union nationale autour de ses plans.
Le 3ème congrès du CCI a pris acte de la crise de cette orientation idéologique et a analysé l'ensemble des conditions objectives qui l'ont jetée par terre ; en même temps, il a fait le bilan de la reprise de la lutte prolétarienne qui, conséquence et cause à la fois de cet affaiblissement de la domination bourgeoise, se développait. Si la bourgeoisie avait continué avec les mêmes orientations politiques et idéologiques que celles de l'étape antérieure, elle aurait aggravé le vide dangereux qui se produisait dans son contrôle sur la société. Les deux dernières années (1977-79) montraient à travers toute une série de crises politiques et idéologiques, le processus par lequel la bourgeoisie réorientait sa stratégie et son idéologie.
La bourgeoisie reconnait ouvertement la gravité de ïa crise, et nous présente, même en l'exagérant, un cadre terrorisant de catastrophes et de dangers qui menacent la "communauté nationale", elle parle sans détour de la perspective de la guerre...C'est le nouveau "langage" de la "sincérité" et de la "vérité".
Dans ce sombre cadre démoralisant et sans perspectives, où la " communauté nationale" serait soumise à toutes sortes de dangers produits par toutes sortes de forces ténébreuses et difficiles à situer quelque part -le "terrorisme", 1'"encerclement impérialiste ", le "totalitarisme", etc.- il ne resterait plus d'autre remède que d'accepter les pires sacrifices et avaler la politique "de sang, de sueur et de larmes" pour sauver "le peu que nous avons".
La bourgeoisie tente de refaire l'union nationale à travers la "sincérité" en cherchant la démoralisation totale des ouvriers. Ainsi la bourgeoisie s'adapte à la situation de chaos et de décomposition de son système social, tente d'y enfoncer le prolétariat et cherche à profiter de l'attitude actuelle de la classe ouvrière de préoccupation et de maturation face à la gravité du moment historique et face aux énormes responsabilités que pose celui-ci, en la transformant en son contraire : DEMORALISATION, APATHIE, DESESPOIR, DEBANDADE...
Naturellement, cette orientation idéologique de la bourgeoisie ne peut avoir comme finalité que la déroute du prolétariat et sa soumission inconditionnelle aux plans de guerre, et ne peut être appliqué qu'au moyen de la gigantesque action d'usure et de division que réalisent la gauche et les syndicats à partir de l'opposition.
.7. Sous le capitalisme décadent, l'Etat, "démocratique" ou "dictatorial", se transforme en un appareil totalitaire monstrueux qui étend ses tentacules sur toute la vie sociale et soumet le prolétariat à une OCCUPATION absolue et systématique. Dans les pays du totalitarisme "démocratique" cette occupation est la FONCTION SPECIFIQUE des partis de gauche (staliniens, social-démocrate avec leurs appendices gauchistes) et des syndicats.
Comme nous l'avons souligné au 3ëme congres du CCI, l'orientation de la gauche au pouvoir qui a dominé les années 70, a produit une usure énorme de ses appareils, affaiblissant son contrôle sur le prolétariat, manquant ainsi à cette FONCTION SPECIFIQUE au sein de l'Etat bourgeois, qui est l'encadrement du prolétariat. Tout cela a produit une crise profonde au sein de ces appareils qui ont été conduits à se situer sur un terrain d'où ils peuvent réaliser d'une façon plus adéquate leur rôle, c'est à dire l'opposition.
En effet, c'est seulement à partir de l'opposition (libérés des responsabilités gouvernementales directes) que la gauche et les syndicats peuvent se consacrer à fond, sans hypothèque ni ambigüité, à leur rôle spécifique d'étrangler toute tentative de lutte ouvrière et d'encadrer les ouvriers derrière le plan de solidarité nationale et de guerre qu'organise le capital.
Mais le passage de la gauche dans l'opposition n'obéit pas simplement à un changement de tactique pour restaurer le contrôle sur les ouvriers, mais constitue la meilleure adéquation de cette fraction bourgeoise à la stratégie de l'ensemble du capital, dont les bases sont, comme nous l'avons analysé plus haut, la démoralisation et la déroute du prolétariat pour ouvrir les portes d'un cours vers la guerre :
1°- parce que c'est seulement dans une orientation générale d'opposition que la gauche et les syndicats peuvent enfermer les ouvriers dans une tactique de "lutte" fondée sur la défensive et le désespoir :
- des luttes isolées, corporatives, atomisant les ouvriers dans toutes sortes de divisions en usine, profession, secteur, etc..
- des actions humiliantes et désespérantes: grèves de la faim, enchaînements publics, sitting, pétitions aux autorités et personnalités publiques ;
- la solidarité réduite à des formes individualistes et moralistes qui produisent systématiquement le sentiment d'impuissance et de division,
- la méfiance consciencieusement entretenue des ouvriers pour leur propre auto-activité et auto-organisation, en leur faisant confier la "médiation" de l'action à tout type d'institution, d'organisme, de personnalités 'progressistes', etc.
2°- Parce que c'est seulement à partir de Top-position que la gauche et les syndicats peuvent rendre crédible leur alternative de se "partager la misère en se soumettant aux impératifs de l'économie nationale" qui imprègne toutes les luttes.
En s'adaptant à la conscience instinctive des ouvriers que, dans la situation actuelle, il n'y a pas de possibilité d'imposer les revendications immédiates, et pour éviter le passage nécessaire à un niveau supérieur de luttes massives, la gauche et les syndicats essaient de convertir cette prise de conscience en un défaitisme où l'unique chose qui reste à faire face à la crise est de SE PARTAGER LA MISERE ENTRE TOUS. Un tel projet -qui est 100% cohérent avec la stratégie de l'isolement et l'usure des luttes- est la meilleure forme pour mener les ouvriers vers la SOLIDARITE NATIONALE : ainsi, dans le cadre d'une "communauté nationale" menacée, les ouvriers devraient accepter les plus grands sacrifices, à condition qu'on leur accorde un traitement "juste et équitable" en luttant pour cela contre tous les partis et patrons '!non solidaires", anti-démocratiques", et apatrides.
Mais pour paraphraser Marx, toute la démarche de la gauche et des syndicats repose sur l'idée que les ouvriers NE VERRAIENT DANS LA MISERE QUE LA MISERE et vise a empêcher qu'ils comprennent que de leur misère actuelle surgissent les bases pour L'ABOLIR DEFINITIVEMENT.
3°- Parce que c'est uniquement à partir de l'opposition que la gauche peut noyer les ouvriers dans l'idéologie de la démoralisation et du nihilisme qui imprègne l'orientation d'ensemble de la bourgeoisie. Dans cette ligne, la gauche :
- présente, en mettant la réalité à l'envers, son passage dans l'opposition COMME LE RESULTAT DE L'ASCENSION DE LA DROITE AU POUVOIR, donnant à entendre que c'est là le résultat d'une' défaite des ouvriers et de l’échec des tentatives de "changement social" et de 'réformes profondes" qui ont dominé les années 70, inculquant de toutes parts que la société se "droitise" et, avec elle, les ouvriers ;
- présente le phénomène actuel de maturation de la conscience des ouvriers, avec ses conséquences d'apathie apparente et négative, comme une "preuve" de la "défaite" et de la "droitisation" des ouvriers, cherchant ainsi effectivement leur démoralisation et leur défaite ultérieure ;
- consciemment, elle ne donne aucune alternative à la situation actuelle, sauf les alternatives démoralisantes d'accepter la misère, de se sacrifier pour la nation et de se battre pour des vieux mythes auxquels plus personne ne croit : le "socialisme", la "démocratie", etc. Tout cela est essentiellement dû à la nécessité de démoraliser et de désanimer les ouvriers pour faire d'eux la chair et le sang de la situation de barbarie qu'impose la bourgeoisie. En réalité, le rôle de la gauche dans l'opposition ressemble à celui d'un avocat défenseur des ouvriers qui prétend faire tout son possible pour eux, mais, comme les "circonstances sont mauvaises", comme "l'ennemi est puissant" et comme "les clients ne coopèrent pas", il ne peut rien faire de plus.
4°- Parce que c'est exclusivement à partir d'un rôle d'opposition que la gauche et les syndicats peuvent déployer L'EVENTAIL DES TACTIQUES AVEC UN PLUS GRANDE AMPLITUDE ET UNE PLUS GRANDE FACILITE D'ADAPTATION que par le passé, face aux luttes ouvrières, pour développer une ligne générale de dispersion et d'usure. Ainsi, l'expérience de ces dernières années nous a montré cette variété :
- accepter la généralisation de la lutte y compris ses réactions de violence de classe mais en jugulant totalement 1'auto-organisation (comme on a pu le voir à Longwy-Denain en France en 1979) ;
- permettre un développement local et ponctuel de l'auto-organisation et de la généralisation de la lutte ouvrière mais en maintenant un ferme contrôle à l'échelle nationale (sidérurgie anglaise) ;
- établir un cordon sanitaire autour d'une lutte radicale et auto-organisée en empêchant totalement sa généralisation (dockers de Rotterdam) ;
- se répartir les rôles de "modération" et de "radicalisme" entre deux fractions d'un syndicat (le métro de New-York), entre deux syndicats (France, Espagne) ou entre le parti et le syndicat (Fiat), avec comme objectif le maintien du contrôle de l'ensemble des ouvriers ;
- prévenir le mécontentement ouvriers par des simulacres de lutte qui peuvent même atteindre des caractéristiques massives et spectaculaires (Suède) ;
- empêcher la maturation de la force ouvrière en provoquant des combats limités, dans des moments et dans des conditions défavorables.
Cet éventail varié de tactiques permet de plus à la gauche et aux syndicats de se couvrir mieux face aux ouvriers; il permet de diluer ses responsabilités, de se laver les mains de la situation et de ne pas se présenter comme un appareil unifié et monolithique, mais comme un organe "vivant", "démocratique", où "il y a de tout", ce qui rend plus difficile et plus complexe la dénonciation des syndicats et de la gauche.
D'une manière générale, nous pouvons conclure que le tournant de la gauche dans l'opposition signifie un renforcement à court terme de son contrôle sur le prolétariat, en lui permettant de développer une tactique d'usure, d'isolement et de démoralisation des luttes ouvrières, en les encadrant dans la stratégie générale de la bourgeoisie de démoralisation et de défaite du prolétariat.
Mais, à plus long terme, ce tournant ne traduit pas, à la différence des années 30, une capacité de la gauche pour enfermer le prolétariat sur un terrain bourgeois à travers des alternatives propres a coloration ouvrière, mais toute une réalité d'encadrement physique du prolétariat, c'est-à dire la tentative de la soumettre à un contrôle éhonté asphyxiant sans aucune perspective politique pour le justifier.
.8. La ligne de la gauche dans l'opposition est complétée par deux autres éléments de l'actuelle stratégie globale de la bourgeoisie :
1°- Le renforcement systématique de la répression et de la terreur d'Etat ;
2°- Les campagnes idéologiques d'hystérie guerrière et nationaliste.
1) En se cachant derrière les feuilles de vigne de 1'"anti-terrorisme" et de la "sécurité des citoyens", tous les Etats du monde développent quantitativement et qualitativement des forces gigantesques, des instruments policiers, juridiques, militaires et propagandistes de leur appareil de répression et de terreur. L'objectif de toute cette orientation est chaque fois plus évident :
- créer un dispositif adéquat pour, en combinaison avec la tactique d'usure et de dispersion qu'emploient la gauche et les syndicats, intervenir efficacement contre les luttes ouvrières ;
- prévenir les affrontements généralisés qui mûrissent.
Ce renforcement massif de l'arsenal terroriste de l'Etat est justifié et appuyé par la gauche qui participe sans faiblir aux campagnes anti-terroristes et réclame sans arrêt le renforcement répressif de 1'Etat :
- au nom de 1'antifascisme ou de 1'antiracisme (Belgique), elle exige toujours plus de répression et plus de police ;
- elle ne cesse pas de réclamer l'augmentation des budgets militaires au nom de la défense de la souveraineté nationale.
Ces soi-disant protestations contre les actes répressifs ne mettent jamais en question ce renforcement et la gauche se limite à formuler des plaintes pieuses sous les aspects les plus éhontés et extrêmes, et à fustiger (au nom de la paix sociale et de l'intérêt national) l'utilisation peu intelligente, excessivement partisane et trop provocatrice de la répression.
En réalité, malgré leur séparation formelle, les appareils syndicaux, de gauche et l'appareil policier SE COMPLETENT face à la lutte ouvrière. La répression s'abat sur les ouvriers une fois qu'ils sont isolés et désarmés par la politique et les pratiques de la gauche et des syndicats. En même temps, la répression se dirige sélectivement contre les secteurs ouvriers les plus combatifs et pousse la majorité à accepter les méthodes et les alternatives boiteuses de la gauche et des syndicats.
2) Sur le terrain des orientations idéologiques fondamentales que nous avons expliqué dans le point 6, la bourgeoisie a tenté de développer des campagnes d'hystérie guerrière et nationaliste pour, d'un côté affaiblir politiquement le prolétariat et pour, d'un autre côté, le mobiliser avec le reste de la population pour ses plans de sacrifice et de guerre.
La très forte usure des vieux thèmes de mystifications ("antifascisme", anti-terrorisme, démocratie et défense nationale, etc.) a fait que ces campagnes ont eu en général peu de succès et que, loin de prendre une forme cohérente et systématique, elles ont été plus des mouvements ponctuels basés sur l'exploitation d'événements particuliers tels que :
- les otages utilisés par les Etats Unis pour développer une campagne de solidarité nationale ;
- les attentats perpétrés par 1'extrême-droite en France, en Italie, et en Belgique qui ont servi de base à des campagnes antifascistes;
- la menace d'invasion de la Pologne par la Russie employée comme plateforme de paix sociale et d'union nationale;
- 1'anti-terrorisme en Espagne et en Italie; les élections générales en Allemagne, base d'une gigantesque campagne pacifiste de préparation à la guerre.
Le bilan de ces campagnes n'est pas positif pour la bourgeoisie : elles n'ont pas eu un impact réel sur le prolétariat, du moins immédiatement. Elles se sont vues discréditées et démystifiées par les contradictions internes de la bourgeoisie et l'impact même des événements (le tremblement de terre en Italie, ou le cas Arregui en Espagne en relation avec l'hystérie anti-terroriste). Elles ont plus cherché à créer un climat d'insécurité, de confusion et de démoralisation, qu'à présenter un cadre cohérent de mobilisation idéologique du prolétariat, cadre que la bourgeoisie, pour le moment, est loin de trouver.
.9. Tout au long de ce chapitre, nous avons analysé en détail la réponse qu'a développée la bourgeoisie face à la situation actuelle qui est un carrefour historique. La question que nous devons nous poser est : cette réponse signifie-t-elle un renforcement de la bourgeoisie face au prolétariat ? Peut-elle détruire la reprise de la lutte prolétarienne commencée en 1978?
Toute la réorientation de la politique de la bourgeoisie qui s'est produite les trois dernières années, si elle a signifié un renforcement à court terme, constitue une position de faiblesse et d'affaiblissement à long terme.
Nous allons développer cette thèse apparemment contradictoire.
A court terme, cette réorientation renforce la bourgeoisie :
1) Elle lui permet d'utiliser de façon cohérente, sans compromis et sans ambiguïté l'ensemble de ses forces politiques et sociales :
- la droite au pouvoir se dédie à organiser l'attaque frontale contre le prolétariat, sans courir le risque de se voir contredite par sa base sociale ;
- la gauche dans l'opposition peut se consacrer, sans le handicap de la responsabilité des affaires gouvernementales, à démobiliser les ouvriers, à user et à épuiser les luttes en facilitant ainsi le succès des attaques capitalistes, et en créant un climat de démoralisation et d'immobilisation.
2) Elle lui permet de concentrer de façon cohérente toutes ses forces et tous ses instruments contre le prolétariat. Aujourd'hui, malgré les conflits internes du capital, et malgré les faiblesses et les anachronismes qui subsistent, nous assistons à une OFFENSIVE SYSTEMATIQUE et COORDONNEE de l'ensemble des forces de la bourgeoisie contre les travailleurs. Il y a une tentative de synchronisation des efforts, une capacité à se compléter et une unité des stratégies entre les différentes fractions de la bourgeoisie jamais vues par le passé. La gauche et la droite, les patrons et les syndicats, les corps de répression, les moyens de communication, les médias, l'Eglise et les institutions laïques, etc., coordonnent leurs efforts dans un même sens anti-prolétarien, en faisant converger les attaques partants de différents points, divergents et contradictoires, vers un même front : celui de la défense de l'ordre bourgeois. Ceci constitue un NIVEAU SUPERIEUR de l'action bourgeoise contre le prolétariat par rapport à la période précédente, période dans laquelle, ou bien la bourgeoisie utilisait la répression sans s'unifier réellement dans la mystification, ou bien la bourgeoisie utilisait la mystification sans recourir à la répression ouverte.
3) Elle lui permet de développer une stratégie d'isolement et d'épuisement des surgissements de la lutte ouvrière, en essayant de les noyer dans un climat général de démobilisation, sans perspective, en cherchant à immobiliser et à désorienter le prolétariat , pour tenter en fin de compte de créer les conditions d'une défaite totale et d'ouvrir ainsi définitivement un cours vers la guerre.
Cette "réorientation de l'appareil d’"Etat bourgeois" connaît une efficacité immédiate, car elle parvient à maintenir dans certaines limites le développement des antagonismes de classe dans les principales concentrations ouvrières, en lui donnant une apparence spectaculaire.
Ceci dit, même si nous NE DEVONS JAMAIS SOUS-ESTIMER, de quelque façon que ce soit, la force de la bourgeoisie et que nous devons pousser le plus possible et dans les détails la dénonciation de ses campagnes et de ses manœuvres, une telle dénonciation demeurerait inutile si elle ne mettait pas clairement en évidence la situation de FAIBLESSE et de FRAGILITE, les PROFONDES CONTRADICTIONS, que cache cette apparente supériorité que se donne aujourd'hui le pouvoir bourgeois.
Nous ne devons jamais oublier que toute cette réorientation s'est faite POUR AFFRONTER la réémergence prolétarienne de 1978, c'est à dire que son point de départ est une position de faiblesse et de surprise de la part de la bourgeoisie.
Comme l'a démontré la bataille de la classe ouvrière en Pologne, la situation actuelle est toujours dominée par TIMPOSSIBILITE POUR LA BOURGEOISIE DE FAIRE PLIER LE PROLETARIAT ET D'ESTOMPER LES ANTAGONISMES DE CLASSE. A ce niveau de la crise capitaliste, une telle incapacité constitue un danger très grave pour le pouvoir, car elle l'affaiblit aussi bien économiquement que politiquement, et elle approfondit ses contradictions et accroît son impuissance à imposer à la société la "solution" guerrière.
Pour cela, la cohérence et la puissance actuelles de la politique bourgeoise doivent être interprétées dans leur essence comme le dernier recours, l'effort suprême de l'Etat bourgeois pour éviter un affrontement de classe généralisé.
CECI NE PEUT NOUS CONDUIRE A SOUS-ESTIMER LA FORCE DE LA BOURGEOISIE : LES POSSIBILITES OUVERTES PAR LA REORIENTATION DE SA POLITIQUE SONT LOIN D'ETRE EPUISEES, ET LE PROLETARIAT VA TRAVERSER UNE PERIODE DURE, OU LE DANGER D'ETRE ECRASE PAR LA CONCENTRATION ACTUELLE DES RESSOUR CES COMBINEES DE LA BOURGEOISIE GARDERA SA PLEIN VIGUEUR. Mais en même temps, nous ne pouvons oublier que le PROLETARIAT CONTINUE A AVOIR LE MOT DE LA FIN. Tant que celui-ci sera capable d'ELAR GIR LA BRECHE OUVERTE PAR LES LUTTES MASSIVES EN POLOGNE, il pourra surmonter la terrible concentration des forces ennemies et ouvrir un processus DE RUPTURE DU FRONT BOURGEOIS, au cours duquel TOUS LES ASPECTS QUI AUJOURD'HUI APPARAISSENT COMME DES POINTS FORTS DU CAPITAL SE TRANSFORMERONT EN AUTANT DE LEVIERS DE SA FAIBLESSE.
Comme nous avons vu au début, la ligne actuelle de la bourgeoisie, qui reconnaît ouvertement la faillite de son système et la réalité qu'elle n'a rien à offrir à l'exception de la guerre, peut avoir pour effet immédiat et dangereux de démoraliser le prolétariat et de l'enliser dans la barbarie qu'impose le capital; mais dans la mesure où le prolétariat parvient à élargir son front de combat et à rompre la chaîne d'isolement et d'usure, cette ligne de "sincérité" crée un immense vide dans lequel les ouvriers peuvent développer leur alternative révolutionnaire, étant donné qu'ils ont une certitude claire du fait que le seul avenir, c'est le chaos, et l'incapacité de gouverner de la part de la bourgeoisie :
"Que la bourgeoisie indique ouvertement que son système est en faillite, qu'elle n'a rien d'autre à proposer que la boucherie impérialiste, contribue à créer les conditions pour que le prolétariat trouve le chemin de son alternative historique au système capitaliste." ([2] [3])
La gauche dans l'opposition démontre son efficacité momentanée pour contenir les luttes ouvrières. Peut-elle finir par épuiser et noyer l'immense combativité ouvrière actuelle ?
A la fois cette orientation contient un danger, et à la fois, comme nous l'avons montré, du fait qu'elle repose sur un manque total de perspectives capables de créer chez les ouvriers des illusions dans le camp bourgeois, cette orientation dévoile que la CARACTERISTIQUE FONDAMENTALE de la gauche et des syndicats est celle de constituer de simples compléments d1"opposition" à la politique de guerre et de misère du capital, et les fait apparaître ouvertement comme des instruments d'encadrement physique et de surveillance du prolétariat.
De même, si le renforcement de la répression et de la terreur de l'Etat bourgeois, crée dans les rangs prolétariens momentanément un climat de peur et d'impuissance, à la longue ce renforcement dévoile de plus en plus son caractère de classe, mettant en évidence la nécessité de l'affrontement violent, sans illusion pacifiste, démocratique et légaliste.
Enfin, les campagnes d'hystérie nationaliste et guerrière qu'entreprend le capital peuvent intoxiquer le prolétariat avec des poisons chauvinistes et interclassistes. Mais la faiblesse de leur base idéologique et les contradictions capitalistes qui les démystifient peuvent finir par se transformer en leur contraire, en facteurs supplémentaires qui obligent le prolétariat à préciser son alternative révolutionnaire et à approfondir son autonomie de classe.
La tendance à la gauche dans l'opposition et au renforcement de l'appareil répressif expriment un processus de RENFORCEMENT FORMEL de l'Etat bourgeois qui cache un autre aspect, plus profond : sa FAIBLESSE REELLE.
En fin de compte, la façade actuelle de cohésion et de renforcement momentané du front bourgeois cache les pieds d'argile que constitue l'incapacité profonde de la bourgeoisie à surmonter ses contradictions internes et à canaliser l'ensemble de la société vers ses alternatives. Tout ceci, qui aujourd'hui reste dans l'ombre, peut apparaître brusquement à la lumière du jour si le prolétariat développe un front de combat massif sur son terrain de classe. Ceci, loin d'être une simple hypothèse, ou l'écho lointain de vieilles expériences historiques, est une possibilité réelle, clairement annoncée par la grève de masse en Pologne :
"Ce n'est pas seulement sur le plan de la lutte prolétarienne que les événements de Pologne préfigurant une situation qui tend à se généraliser à tous les pays industrialisés. Sur le plan des convulsions internes de la classe dominante, ce qui est en train de se produire aujourd'hui dans ce pays donne une idée, même dans ses aspects caricaturaux, de ce qui est en train de mûrir dans les entrailles de la société. Depuis le mois d'août 80, c'est une véritable panique qui s'est emparée des sphères dirigeantes du pays. Depuis 5 mois, la danse des portefeuilles ministériels s'est installée au sein du gouvernement jusqu'à faire échoir un de ces portefeuilles aux mains d'un catholique, biais c'est au sein de la principale force dirigeante, le parti, que se manifestent avec la plus grande violence ces convulsions." ([3] [4])
3/LA REPONSE DU PROLETARIAT
.10. Après avoir vu la stratégie de la bourgeoisie, il nous faut faire maintenant un bilan de la réponse qu'est en train de donner le prolétariat à l'actuelle situation historique. Pour cela, nous avons à nous poser trois questions:
1) Est-ce que le prolétariat prend conscience du carrefour historique que nous sommes en train de vivre et des graves responsabilités qui en découlent pour lui ?
2} Dans quelle mesure ses luttes les plus récentes traduisent une telle conscience et constituent un pas en avant vers son alternative : la révolution ?
3) Quelles sont les leçons et les perspectives qui découlent de ces luttes ?
L'objet du présent chapitre est de répondre à ces trois questions.
"Lorsqu'il s'agit de rendre compte des grèves, des coalitions, et des autres formes dans lesquelles les prolétaires devant nos yeux s'organisent en tant que classe, les uns sont pris d'une véritable épouvante, les autres étalent un dédain transcendantal". ([4] [5])
Le processus à travers lequel la classe ouvrière mûrit sa compréhension de la situation historique et des tâches que celle-ci lui impose n'a rien de simple ni d'évident.
La réponse, la pensée et la volonté de la classe s'expriment exclusivement dans ses actes massifs de lutte contre l'ordre bourgeois et même pour comprendre la véritable signification historique de ces actes, il est nécessaire d'en saisir la dynamique objective, car il existe toujours un violent décalage ENTRE L'IMPACT OBJECTIF DES LUTTES ET LA REPRESENTATION SUBJECTIVE QUE S'EM FONT LES OUVRIERS.
La situation concrète présente de façon exacerbée ces difficultés à saisir la direction réelle des luttes ouvrières. Le 3ème congrès du CCI. annonçait une nouvelle période de montée des luttes prolétariennes à partir de 78, mais il signalait aussi qu'une telle montée suivrait un cours contradictoire, lent et pénible, qui se manifesterait dans une succession de luttes brusques et explosives et non de façon linéaire, progressive, cumulative, graduelle. Les luttes de 79-80, et en particulier la grève en Pologne, sont venues confirmer de façon éclatante cette prévision. Cependant, saisir la dynamique montante du mouvement et en apprécier les pas en avant est devenu quelque chose de très difficile, aussi bien pour la classe que pour ses groupes révolutionnaires.
Ceci est apparu clairement face aux événements de Pologne. De nombreux groupes ont manifesté à leur égard un "dédain transcendantal", ne les voyant que superficiellement -sous la forme déformée qu'en donne la bourgeoisie- , n'y voyant que des ouvriers en train de communier, des drapeaux polonais, Walesa, etc. Le CCI a du combattre toutes les manifestations de ce type d'évaluation, qui révèlent en fait une conception du développement de la lutte et de la conscience de classe absolument néfaste dans la situation actuelle.
Laissons clair une fois pour toutes que le prolétariat constitue la classe qui porte en elle toute l'inhumanité de la société bourgeoise et qui souffre d'une dépossession et d'une aliénation radicales. En conséquence, dans son existence se manifeste de façon extrêmement aiguë une plaie fondamentale de la société bourgeoise : LA SEPARATION ENTRE L'ETRE ET SA CONSCIENCE, c'est-à-dire le décalage, voire même l'opposition, entre la réalité objective des actions sociales et les représentations subjectives que s'en font les protagonistes de ces actions. La classe ouvrière n'est pas étrangère à ce phénomène, et ce décalage existera toujours, jusqu'à la fin de son mouvement d'émancipation.
Mais la classe ne répond pas à ce décalage en créant une "nouvelle culture" ou en élaborant une "nouvelle science", mais en rompant dans son combat la séparation entre l'être et la conscience, en faisant de ses luttes la conscience en action, le mouvement qui, par delà les différentes représentations subjectives qu'on puisse se faire de lui, tend à abolir les conditions objectives qui engendrent ce décalage (exploitation capitaliste, division en classes).
Ainsi, si l'on analyse en profondeur les événements de Pologne, nous voyons que, malgré toutes ses faiblesses, le prolétariat y a MANIFESTE, DANS LA LUTTE, UNE COMPREHENSION DES BESOINS FONDAMENTAUX DE LA SITUATION HISTORIQUE ACTUELLE :
1°- sa capacité à généraliser sa lutte, en exerçant de manière soutenue et à plusieurs reprises une PRESSION MASSIVE sur l'Etat, soutenue par des coups de force, mais évitant à la fois des affrontements prématurés ou en position de faiblesse, met en évidence une compréhension active du moment présent au niveau historique et des responsabilités de la classe ouvrière dans cette situation;
2°- sa volonté d'auto-organisation et d'unité démontre qu'il a clairement compris l'affrontement de classes qu'il doit livrer;
3°- le fait d'avoir répondu par la lutte aux divers appels de la bourgeoisie à la responsabilité face à l'économie nationale, met en évidence qu'il comprend instinctivement l'opposition irréconciliable qui existe entre l'intérêt de classe et l'intérêt national et la nécessité d'une alternative révolutionnaire.
Il ne s'agit pas de glorifier cette compréhension plus ou moins instinctive mais de reconnaître sa réalité et de la prendre comme base pour l'action des minorités communistes du prolétariat et le développement de nouvelles luttes.
Ceci dit, la question qui se pose immédiatement est : le reste du prolétariat mondial a-t'il compris le "message" de ses frères polonais ? Pouvons-nous affirmer avec certitude que l'ensemble du prolétariat mondial se prépare et répond devant la croisée des chemins actuelle ?
A première vue, il semblerait que les combats de Longwy-Denain en France, des sidérurgistes anglais, des travailleurs du port de Rotterdam, et surtout de Pologne, n'ont laissé aucune trace immédiate puisqu'on n'a pas vu à leur suite l'extension des luttes à l'échelle internationale. Est-ce que cela veut dire que ce que nous annoncions au 3ème Congrès sur un nouveau cycle dans la lutte de classe était erroné ? Pas du tout l'analyse des conditions historiques que nous avons faite dans la première partie de ce rapport et celle que nous ferons postérieurement en tant que bilan des luttes vécues, nous confirment clairement une telle perspective ; cependant, ce que nous devons préciser, c'est le CHEMIN CONCRET que le prolétariat est en train de parcourir pour s'y rendre.
Longwy-Denain, la sidérurgie anglaise, Rotterdam, etc., ont été les premières tentatives, les premiers jalons de cette nouvelle vague ; en quelque sorte une RECONNAISSANCE DU TERRAIN. Leur dénouement immédiat qui, en général a été la défaite, a montré à la classe ouvrière l'énorme chemin qu'elle doit parcourir, la concentration féroce de forces qu'elle a en face d'elle, la faiblesse des moyens dont elle dispose, une réalité où, pour l'instant, il y a bien plus de problèmes posés que de problèmes résolus. Tout cela l'a fait reculer, se replier, mûrir souterrainement.
Apparemment la Pologne a accentué le repli du prolétariat occidental. Bien qu'elle ait fourni des réponses à beaucoup des problèmes que se posaient les luttes de Longwy-Denain, de la sidérurgie anglaise, etc., elle n'a aussi que trop clarifié l'énorme envergure qu'ont aujourd'hui les luttes prolétariennes, la quantité de conditions qu’elles doivent remplir pour lutter avec un minimum de possibilités de vaincre. Tout cela pousse, jusqu'à un certain point, à accentuer le calme tendu que nous sommes en train de vivre.
Cependant, nous devons affirmer clairement l'énorme impact qu'a eu la lutte du prolétariat polonais sur ses frères de classe dans le reste du monde. Le cri magnifique des ouvriers de la Fiat "Gdansk, Turin, même combat." en témoigne ; les luttes qui ont eu lieu par la suite en Roumanie, en Hongrie, en Russie, en Tchécoslovaquie, celle des employés du chemin de fer de Berlin, le mettent en- évidence ; l'anxiété qu'elle a éveillée parmi les ouvriers d'Allemagne, d'Espagne, de France, en est une manifestation...
La situation actuelle de la conscience de classe peut être formulée ainsi : les ouvriers ressentent instinctivement, d'une part l'énorme gravité du moment historique, l'énorme responsabilité que contient chaque lutte, la réalité que chaque lutte doit affronter une concentration et une combinaison maximale d'armes que l'ennemi peut opposer, et d'autre part la précarité des armes de lutte avec lesquelles ils peuvent compter. Tout cela pousse vers une certaine paralysie, vers un processus de réflexion donnant une atmosphère de doutes qui n'est pas exempte de désorientation,
Cette situation de maturation difficile contient de grands dangers. En face, la bourgeoisie agit de manière décidée, cherchant à isoler et à épuiser chaque surgissement de lutte, présentant ce qui est une maturation comme une défaite entraînant la démoralisation. Le danger existe ! Mais ce serait abdiquer face à lui que de ne pas voir la dynamique objective de luttes qui est en train de se développer et ne pas intervenir résolument pour transformer tout ce magma actuel d'anxiété, d'apathie apparente, de recherche, en DEBUTS DE LUTTES qui accéléreront et fortifieront l'immense processus de luttes qui est en train de mûrir.
.12. Lors du 3ème congrès international, avec les données encore embryonnaires des luttes des mineurs aux USA, de la sidérurgie en Allemagne, d'Iran et de Longwy-Denain, nous prenions le risque, fondé sur une analyse solide et globale, de voir dans ces luttes l'annonce d'une nouvelle vague de luttes prolétariennes qui mettrait fin au reflux relatif de 1973-78. Aujourd'hui, nous pouvons confirmer catégoriquement une telle annonce :
- septembre 1979 : grève de Rotterdam ;
- janvier-avril 1980 : grève des sidérurgistes anglais ;
- mars-avril 1980 : révoltes sociales en Syrie, Algérie et Hollande ;
- avril 1980 : mouvement de grèves au Brésil dont le centre est la grève des métallos de Sao Paulo ;
- mai 1980 : grèves au métro de New-York, des autobus à Gorki et Togliattigrad, dans les deux métropoles de l'impérialisme ;
- mai 1980 : mouvement semi-insurrectionnel en Corée du Sud et grèves en Afrique du Sud et au Zimbabwe ;
- juillet-août 1980 : grève de masse en Pologne ;
- après la Pologne, des grèves à la Fiat de Turin, à Berlin, en Tchécoslovaquie, en Roumanie, en Hongrie, en Russie, en Bulgarie; -:octobre-novembre 1980 : vague de luttes relativement vaste au Portugal et en Irlande;
- à partir de décembre 1980 : mouvement ouvrier et paysan au Pérou.
A l'épicentre de ce cours de lutte de classe se trouve la Pologne. Les luttes qui la précèdent développent des aspects partiels positifs, mais, globalement, ils ratent :
- les affrontements de Longwy-Denain mettent en avant la violence de classe et la poussée à la généralisation, mais 1'auto-organisation ne se fait pas:
- les sidérurgistes anglais développent à l'échelle locale l'auto-organisation et la généralisation, mais ils ne réussissent pas au niveau national;
- en Corée du Sud, le mouvement semi-insurrectionnel s'écrase devant une absence totale de coordination et d'auto-organisation;
- au Brésil et à Rotterdam 1'auto-organisation triomphe, mais la généralisation rate.
Ce que fait le mouvement de classe en Pologne c'est unifier toutes les tendances partielles de ces luttes en une grande grève de masse qui, à son tour, donne une réponse -ou début de réponse- à toutes les questions non résolues par les premières. La Pologne est le mouvement de classe le plus important non seulement depuis la reprise prolétarienne de 1978 mais depuis l'écrasement de la vague de 1917-26. Elle place tout le cycle actuel |de la lutte de classe à un niveau supérieur, rien qu'en cristallisant tout un ensemble de tendances ; qui ont mûri dans les luttes antérieures. Evidemment, les leçons de la Pologne mettront du temps à être assimilées par ses frères de classe et cela va coûter du temps et du travail avant qu'elles ne se cristallisent dans des combats supérieurs. Mais cela ne doit pas nous cacher l'immense pas qu'a fait le prolétariat en Pologne et la nécessité de généraliser ses leçons à l'ensemble de la classe.
4/ PERSPECTIVES FONDAMENTALES POUR LES LUTTES FUTURES
.13. Les leçons de la grève de masse en Pologne, à la lumière des positions de classe tracées par la lutte historique du prolétariat, nous fournissent la plateforme de principes que doivent réunir les prochaines luttes pour être à la hauteur de ce NIVEAU SUPERIEUR qu'exige la situation historique et auquel la Pologne a contribué de manière fondamentale.
L'AUTONOMIE DE LA CLASSE.
.14. La révolte du prolétariat contre l'ordre bourgeois ouvre un immense processus d'auto-organisation et d'auto-activité des masses ouvrières dont l'expression unitaire et centrale sont les assemblées générales et les comités élus et révocables.
Ces organismes représentent le minimum commun qui unifie l'ensemble du mouvement de classe à une étape donnée de son développement, car s'ils fournissent une plateforme pour le développement des tendances plus avancées de la classe, ils ont en même temps des difficultés, de par leur liaison avec une étape déterminée du mouvement à évoluer selon les nécessités d'avancées du mouvement de classe. Cela fait qu'ils n'ont jamais une forme et une composition achevées, et qu'ils souffrent une évolution de brusques ruptures ou de recompositions selon les nécessités de la lutte prolétarienne.
Ces limitations les rendent vulnérables à l'action de la bourgeoisie. Celle-ci n'abandonne pas le terrain des organes ouvriers mais, au contraire elle essaie, à travers ses forces syndicales et d'opposition, de les occuper, de bombarder de l'intérieur l'action prolétarienne et de les dénaturer totalement même si elle en conserve la forme et le nom pour mieux tromper les ouvriers. Cela fait des organes ouvriers, tant que la révolution n'aura pas triomphé, un champ de bataille entre le prolétariat et la bourgeoisie (en utilisant les syndicats et la gauche).
Cependant, cette réalité, produit du caractère totalitaire du capitalisme décadent, ne doit pas nous conduire à considérer les organes ouvriers comme de simples formes dépourvues de contenu ou comme es organismes hybrides sans caractère de classe défini. Et surtout, cela ne doit pas nous conduire à l'erreur, encore plus grave, de les comparer à des organismes créés par les syndicats pour devancer 1'auto-organisation prolétarienne (intersyndicale en France, ou "comités de grèves" en Angleterre) ou aux divers types d'organismes syndicaux.
Les organes qui émanent des grèves de masses expriment la volonté de la classe pour :
- se constituer comme force organisée contre le capital ;
- unifier et centraliser son effort d'auto-activité et d'auto-organisation;
- prendre le contrôle souverain de la lutte.
Ceci, malgré leurs limitations temporaires liées à leur composition et leur forme et à la pénétration des forces bourgeoises dont ils souffrent, les place dans un camp diamétralement opposé à celui de tout type d'organisation para-syndical.
LA GENERALISATION
.14. Dans la période actuelle, la solidarité de classe, la généralisation des luttes, prennent pour le prolétariat un caractère plus profond que celui qu'elles avaient dans les années 60-70.
Dans les années 60-70, la classe ouvrière a été le protagoniste de grands mouvements de solidarité et d'auto-organisation. Mais les conditions de cette période permettaient encore des luttes partielles relativement victorieuses parce que, soit elles arrachaient des améliorations momentanées, soit, elles faisaient reculer temporairement le capital. Dans un tel cadre, la généralisation, malgré toutes ses potentialités, n'était comprise que de façon très limitée, comme un simple appui ou comme l'idée : "qu'ils gagnent, eux, après nous gagnerons nous".
Ces idées tout en étant élémentaires pour toute lutte ouvrière, sont insuffisantes face à la situation actuelle. Dans les conditions actuelles, la solidarité de classe ne peut être conçue que dans le sens de se joindre à la lutte, d'étendre l'affrontement avec une volonté de se constituer comme FORCE SOCIALE qui s'oppose victorieusement à l'Etat bourgeois et ouvre le chemin vers la révolution. Dans la situation actuelle, la solidarité de classe doit se poser comme une question de vie ou de mort : à partir de la compréhension que telle ou telle bataille commencée par tel ou tel secteur de la classe ouvrière, exprime inéluctablement la bataille que doit livrer l'ensemble de la classe ouvrière.
LUTTE REVENDICATIVE ET LUTTE REVOLUTIONNAIRE
.16. Un des problèmes qui rend pour le moment plus difficile le surgissement des luttes, c'est l'impossibilité, chaque fois plus évidente, d'obtenir des victoires économiques qui durent au moins quelques mois. Ceci est apparu clairement en Pologne : la gigantesque grève de masse n'a pu obtenir satisfaction que sur quelques points des accords de Gdansk.
Cela veut-il dire que la lutte économique ne sert à rien et qu'elle doit être abandonnée au profit d'"une lutte politique" abstraite ou d'une non moins éthérée grève générale et simultanée pour le jour J ?
Pas du tout ! La lutte revendicative est la base profonde de la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière parce qu'elle est à la fois la classe exploitée et la classe révolutionnaire de la société capitaliste, parce que ses intérêts immédiats de résistance contre l'exploitation coïncident avec ses intérêts historiques d'abolition de l'exploitation.
On l'a vu en Pologne, où la lutte politique de masse (grèves du mois d'août) est préparée par une vague de luttes économiques partielles (grèves depuis juillet) et cède le pas à un nouveau torrent de luttes économiques.
La base révolutionnaire de la lutte revendicative du prolétariat réside en ce qu'elle exprime une logique diamétralement opposée à celle qui régit la société capitaliste. La logique du capital exige que les ouvriers subordonnent leurs intérêts et besoins à la marchandise et à l'intérêt national. Face à elle, les ouvriers opposent la logique de leurs besoins humains, ce qui est le fondement profond du communisme : A CHACUN SELON SES BESOINS, DE CHACUN SELON SES POSSIBILITES.
"Les ouvriers doivent déclarer qu'en tant qu'hommes, ils ne peuvent se plier aux conditions existantes, mais que les conditions elles-mêmes doivent s'adapter à eux, hommes" ([5] [6]).
La lutte politique du prolétariat n'est pas "d'abandonner" ou de "dépasser" la lutte revendicative mais de prendre comme base la logique profonde qu'elle contient, en la prenant sur le seul terrain où elle peut donner toute sa potentialité : celui de l'affrontement de classes, celui de la lutte à mort contre l'Etat bourgeois. Elle ne réside pas dans une soi-disant "réforme politique de l'Etat", ni en un simple programme de transition, ni dans l'attente du jour J où "on" appellera à la grève générale politique; elle réside dans la compréhension qu'avec l'aggravation inexorable de la crise- les fils qui meuvent les destinées de l'humanité dépendent exclusivement du rapport de force entre bourgeoisie et prolétariat, dont If intérêts objectifs sont diamétralement opposés. De ce point de vue, le problème "politique" de la classe ouvrière est : comment se constituer en une FORCE SOCIALE capable de détruire l'Etat bourgeois ?
Si l'on part de ce point de vue, disparaît la question métaphysique : lutte économique OU lutte politique. Le problème de chaque lutte n'est pas seulement le résultat immédiat mais, surtout, sa contribution au changement de rapport de force en tre les classes, en faveur du prolétariat. Ce ne sera pas son éventuelle victoire temporaire, qui ne durera que quelques jours, mais sa capacité à exprimer et donner des réponses à des problèmes qui sont ceux de l'ensemble de la classe. Dans ce sens, les luttes revendicatives prennent toute leur valeur :
"En général, les grèves ne sont que des escarmouches d'avant-garde, parfois ce sont des affrontements d'une certaine ampleur : elles ne décident rien par elles-mêmes mais elles sont la meilleur preuve que la bataille entre la bourgeoisie et le prolétariat est en train as se rapprocher. Elles sont l'école de guerre des ouvriers dans laquelle ils se préparent pour la grande lutte désormais inévitable ce sont les soulèvements de certains secteurs ouvriers pour leur adhésion au grand mouvement ouvrier" ([6] [7]).
L'INTERNATIONALISATION
.17. Lors du 3ème congrès du CCI, nous avons noté comme "principale et première caractéristique" de la reprise prolétarienne ouverte en 1978 "l'internationalisation objective des luttes". Une telle internationalisation se basait sur le fait que "nous avançons vers une EGALISATION DANS LA MISERE des ouvriers de toutes les entreprises, de tous les pays, de toutes les régions". La dynamique des événements vécus depuis cette époque confirme une telle analyse et ouvre la porte à des perspectives que nous devons éclaircir et approfondir.
La maturation du nouveau cycle de luttes ouvrières n'est pas le produit d'une addition de processus nationaux mais elle se réalise selon une dynamique directement mondiale. Ainsi, la continuation de Longwy-Denain ne se trouve pas malgré les conséquences que cette lutte a pu avoir pour le prolétariat en France, mais à Rotterdam ou dans la sidérurgie anglaise, la grève de masse en Pologne est, comme nous l'avons démontré, la synthèse des luttes de Longwy-Denain, Rotterdam, Brésil, de l'acier anglais, de la Corée, de la Russie. Las ouvriers polonais connaissaient par exemple les grèves de Gorki-Togliattigrad et s'en sont servi pour leur lutte. Mais, ce qui est plus important : les problèmes qu'a soulevée la dynamique postérieure des grèves polonaises (contrôle de l'appareil répressif étatique, des moyens de communication, poursuite des affrontements) sont l'expression des problèmes qui ne peuvent être résolus que si la lutte prolétarienne se généralise à l'échelle internationale.
Tout cela exige que la classe ouvrière conçoive l'internationalisme moins comme une question de simple appui mutuel mais plus comme une compréhension qu'elle EST UNE CLASSE MONDIALE, avec des intérêts communs et un ennemi commun, et, surtout, avec une responsabilité historique correspondante à cette croisée des chemins : guerre ou révolution.
LA LUTTE CONTRE LA GUERRE
.18. S'il y quelque chose que l'expérience des trois dernières années nous a démontré de façon écrasante, c'est que le prolétariat est la seule, force sociale capable de s'opposer à la tendance capitaliste à la guerre.
La lutte du prolétariat a déstabilisé l'Iran -bastion pro-américain - en coulant son armée -la cinquième du monde- sans laisser de chances au bloc russe de profiter de cette conjoncture, c'est à dire, en attaquant de front la machine de guerre de l'ensemble du capital mondial. Mais en 1980, la lutte du prolétariat polonais a déstabilisé brutalement un bastion pro-russe sans que le bloc américain n'est pu profiter de l'occasion en dehors d'une pression purement propagandiste.
Qui plus est, l'année 1980, qui a commencé avec un pas très grave vers la guerre -l'invasion russe en Afghanistan- s'est terminée sous le poids écrasant des événements de Pologne, dans une limitation relative de conflits inter-impérialistes et avec le phénomène de la COOPERATION INTER-IMPERIALISTE des deux blocs pour affronter leur ennemi commun : le prolétariat. Tout cela nous démontre la force décisive qu'a le prolétariat contre les plans de guerre du capital. Une telle force ne se situe pas sur le terrain d'une "pression morale" pour "obliger les deux bloc-à vivre en paix". Avec ou sans lutte de classes, les tensions inter-impérialistes se poursuivent et s'aggravent car elles trouvent leur source dans les contradictions insolubles du capital. L'effet de la lutte du prolétariat est de déstabiliser les plans du capital, d'aggraver ses contradictions internes et ainsi de changer le rapport de forces dans le sens de la révolution. En faisant cela, elle bloque et détruit l'issue historique à laquelle est liée l'existence du capital : la guerre.
L'expérience de guerres locales en 1980, comme celle entre l'Irak et l'Iran ou entre le Pérou et l'Equateur, nous démontre que, si au niveau historique, l'alternative du prolétariat est de lutter contre le capital pour le détruire et empêcher son issue guerrière, au niveau des guerres locales et, en tant que moment de cette alternative, la lutte ouvrière dans ces pays doit tourner autour des principes du défaitisme révolutionnaire : désertion massive, fraternisation des soldats des deux camps, retourner les fusils contre leurs propres chefs capitalistes, transformation de la guerre impérialiste en guerre civile de classe.
Les guerres locales du genre -Pérou-Equateur ou Iran-Irak, constituent à la fois des opérations de police à l'intérieur d'un bloc et des tentatives des capitaux nationaux impliqués pour ramener le - prolétariat derrière le drapeau national. En ce sens, elles ne sont pas un pas vers la guerre mais sont le produit des contradictions du capital exacerbées. Ceci implique que, malgré le leurs éventuels succès immédiats dans la reconstitution d'une union nationale, à terme elles l'affaiblissent aiguisant encore plus et de façon plus violente les antagonismes de classe.
LA LUTTE CONTRE LA REPRESSION
.19. Au 3ème congrès du CCI, nous avons affirmé clairement que face à une répression chaque fois plus systématique et féroce, la défense des ouvriers n'est pas dans les "garanties démocratiques" ni dans les groupes armés qui prépareraient militairement la classe, mais dans sa lutte massive et violente.
L'expérience de la grève de masse en Pologne a confirmé catégoriquement cette idée, tout en nous permettant de mieux la préciser, en relation avec l'expérience historique du prolétariat.
"Les ouvriers -polonais ont neutralisé la répression -de l'Etat non pas par- leur "pacifisme " mais parce que, depuis le début, ils ont pris toutes les mesures de force pour- la désarmer à la racine : en occupant les usines jour et nuit avec des piquets massifs, en restant mobilisés dans les quartiers ouvriers face à n'importe quelle provocation policière, en préparant partout des mesures D'AUTO-DEFENSE OUVRIERE DE MASSE et surtout, en faisant le pas qui donne un sens à tout ce qui précède : EN ETENDANT ET UNIFIANT LES GREVES DANS TOUT LE PAYS" ([7] [8]).
L'expérience polonaise nous clarifie en profondeur sur le sens de la violence prolétarienne et de sa lutte contre l'appareil répressif du capital. La classe ouvrière ne peut jamais tomber dans le légalisme et la mansuétude, mais cela ne veut pas dire que sa lutte consiste à chercher l'affrontement à tout prix, à fabriquer des "héros", à verser le sang ou à imposer un "châtiment exemplaire". Ces deux alternatives sont radicalement fausses et elles se cachent l'une l'autre : la première est 1'hypocrisie cynique du capital qui cache la deuxième, sa pratique réelle de la violence aveugle, inhumaine et irrationnelle.
La lutte de la classe ouvrière se situe sur un autre terrain, social et politique à la fois : celui de se constituer au moyen de la lutte de masse, en une FORCE REVOLUTIONNAIRE capable :
- d'exercer sur le capital et son Etat une pression chaque fois plus asphyxiante;
- d'isoler politiquement le capital et l'Etat;
- de multiplier les contradictions internes y compris au sein de l'appareil répressif;
- de diviser, disperser et finalement neutraliser le dit appareil.
"Tout le secret et toute la force de l'assurance de la victoire de la révolution des travailleurs réside dans le fait qu'à la longue, aucun gouvernement du monde ne peut se maintenir en lutte contre une masse populaire consciente, si cette lutte s'étend sans cesse et grandit en ampleur. Le carnage et la domina lion brutale du gouvernement ne constitue qu'une supériorité apparente sur la masse" ([8] [9]).
Naturellement, cette tendance historique de la lutte de classe ne constitue pas une formule infaillible pour "solutionner" le problème de la répression, et même celui de l'insurrection, de la façon la "plus pacifique possible" mais c'est une orientation de base pour toutes les étapes de l'affrontement prolétarien avec le capital. C'est pourquoi nous ne défendons pas l'idée d'un écroulement spontané de l'Etat sous la pression de la grève de masse mais deux autres choses totalement différentes :
1) qu'une explosion de grève de masse affaiblit et paralyse momentanément la répression de 1'Etat capitaliste;
2) que c'est ce terrain massif et déterminant d'une immense force sociale qu'il faut conserver et sur lequel il faut se baser pour passer à des affrontements supérieurs.
Pour un affrontement supérieur -l'insurrection- il serait très dangereux de compter sur un simple écroulement spontané de l'Etat. Il faut savoir que l'Etat, devant une situation décisive, tire des forces de sa faiblesse, il se recompose, se réoriente et se réorganise et, généralement concentré autour de "forces ouvrières" (par exemple, les menchéviks en Russie), essaie d'écraser de manière sanglante le mouvement de classe. Donc, si celui-ci veut passer à un stade supérieur -révolutionnaire- il doit se poser le problème de la destruction totale de l'Etat bourgeois au moyen de l'INSURRECTION, laquelle, comme le disait Marx, et un ART qui requiert une préparation consciente et minutieusement organisé de la part de la classe ouvrière. Ceci dit, cette ART se trouve uniquement sur le terrain de la MOBILISATION ET ORGANISATION MASSIVES DE LA CLASSE.
LE PROLETARIAT ET LES COUCHES NON-EXPLOITEUSES
.20. "Les mouvements de révolte sociale contre l'ordre existant participent, d'une part au processus d'isolement de l'Etat, et d'autre part, ils constituent le contexte social dans lequel le prolétariat émerge et trouve sa propre voix comme seule force capable de présenter une alternative".
Cette affirmation peut nous servir de base pour continuer à approfondir la question du rapport entre le prolétariat et les autres couches non-exploiteuses.
La grève de masse crée un terrain de rébellion, d'action directe et de remise en question de l'ordre bourgeois, auquel finissent par se joindre, avec une intensité différente, les différents secteurs des couches opprimées et non-exploiteuses. Cela ne veut pas dire évidemment, que celles-ci doivent attendre que le prolétariat saute sur la scène sociale pour se lancer dans la bagarre. Personne ne prétend "donner des leçons" sur l'action de ces couches sans avenir ni s'opposer à un processus qui est inévitable, ni d'un autre côté les prendre comme plateforme pour un soi-disant réveil du prolétariat. Il s'agit au contraire de les reconnaitre comme une maturation des contradictions qu'accumulent le capitalisme, de les stimuler dans le sens profond de leur révolte contre une existence chaque fois plus inhumaine et de leur donner comme perspectives leur union à la lutte prolétarienne qui est en train de mûrir partout.
5/ LA PERSPECTIVE DE LA REVOLUTION
.21. Une conclusion claire s'impose : nous vivons une époque décisive où sont en gestation les affrontements de classe qui détermineront le cours futur de l'humanité vers la révolution ou vers la guerre. Comme nous l'avons indiqué plus haut (point 2) une des armes principales de la bourgeoisie face à la situation actuelle est de noyer le prolétariat dans un manque total de perspective, en lui faisant croire qu'il n'existe aucune issue au monde de catastrophes et de barbarie qu'elle nous impose. Ce manque de perspectives n'est pas seulement un produit de son action idéologique, mais surtout de l'action matérielle immédiate de ses appareils de gauches et syndicaux chargés d'isoler et d'épuiser les luttes.
Les luttes massives qui se préparent doivent avoir une conscience claire de la situation qu'elles vont trouver : leur but n'est pas de conquérir des satisfactions immédiates, pas même momentanément; leur véritables effet va être de mettre en lumière le chaos latent de l’économie capitaliste en le précipitant dans une gigantesque déstabilisation de sa structure politique, économique et sociale. Certes, dans le cadre de cette déstabilisation, la classe ouvrière, protégée par le rapport de force en sa faveur qu'elle a su imposer, va pouvoir satisfaire une quantité de revendications immédiates, mais au pris d'aggraver jusqu'au paroxysme le chaos capitaliste et d'aller jusqu'aux conséquences révolutionnaires de son action. Si face à cela, la classe ouvrière se perd en une multitude d'actions locales et partielles aussi radicales soient-21'les, elle finira à la longue par se disperser dans 1s chaos de l'ordre bourgeois et du capital qui opère de façon mondiale et centralisé, et qui reprend le contrôle une fois l'épidémie passée. C'est pourquoi, face à ces futures mobilisations massives de la classe ouvrière, une des principales lignes de défense que le capital va utiliser, c'est l'action de la gauche et des syndicats qui vont tenter d'enfermer ces explosions en une multitude d'actions chaotiques et radicales, dans les ornières de l'autogestion, du fédéralisme, du populisme.
La réponse à ce problème n'est en aucun cas que les ouvriers renoncent à cette salutaire et implacable action revendicative; il s'agit de la concentrer dans l'attaque révolutionnaire contre l'Etat bourgeois pour le détruire et élever sur ces ruines LA DICTATURE DES CONSEILS OUVRIERS, seule plate-forme possible pour qu'elle passe à un niveau supérieur et développe ses immenses possibilités historiques.
En conséquence, une des nécessités fondamentales de la situation actuelle est que la PERSPECTIVE DE LA REVOLUTION prenne corps chaque fois plus clairement et plus concrètement dans la préoccupation et la conscience des ouvriers. L'alternative révolutionnaire est l'orientation indispensable pour vivifier et pour renforcer les batailles de classe qui vont être livrées. Les révolutionnaires doivent contribuer activement par leurs analyses et leur défense des expériences historiques du prolétariat à cette orientation.
.22. Une autre nécessité impérieuse de la situation actuelle, directement liée à la précédente, c'est le développement à un stade supérieur des forces communistes de la classe qui doivent converger dans son PARTI DE LA REVOLUTION MONDIALE.
Si la première étape de l'actuelle reprise historique de la lutte du prolétariat (années 60 et 70) a donné comme fruit le développement de toute une série de noyaux communistes capables de se réapproprier programmatiquement les expériences historiques de la classe et de reprendre le fil de la continuité avec les organisations ouvrières du passé, coupé par 50 ans de contre-révolution, il faut comprendre que la nouvelle étape de cette reprise doit entraîner également un stade supérieur. La classe ouvrière doit créer, au cours des luttes à venir, les forces révolutionnaires qui, autour des pôles communistes internationalistes qui sont déjà constitués aujourd'hui, concentreront ses énergies, orienteront ses luttes et renforceront ses mouvements en direction de la REVOLUTION COMMUNISTE ET SON PARTI MONDIAL.
[1] [10] Accion Proletaria n°28 "Révolution communiste ou barbarie capitaliste" (Edito)
[2] [11] Revue Internationale n°23 "La lutte de classes internationale"
[3] [12] Revue Internationale n°24 "La dimension internationale des luttes ouvrières en Pologne"
[4] [13] K. Marx "Misère de la philosophie"
[5] [14] F.Engels "La situation de la classe ouvrière en Allemagne"
[6] [15] F.Engels "La situation de la classe ouvrière en Angleterre"
[7] [16] Accion Proletaria n°33 "Pologne au centre de la situation mondiale"
[8] [17] R. Luxemburg "A l'heure révolutionnaire" Œuvres choisies T.1 (traduit de l'espagnol par nous)
CONSIDERATIONS PRELIMINAIRES: LUTTE ECONOMIQUE ET LUTTE POLITIQUE.
1- Si toute lutte économique du prolétariat contient en elle un élément politique et vice-versa, si, contrairement à la thèse de Lénine il n'est pas possible de séparer dans le fond la lutte du prolétariat en lutte trade-unioniste et lutte socialiste (ces deux volets constituant un seul but) comme il est impossible de séparer ce caractère du prolétariat unique dans l'histoire d'être à la fois une classe exploitée et le sujet révolutionnaire, il ne reste pas moins vrai que ces deux aspects -la lutte économique et la lutte politique- qui sont des données constantes dans une même lutte unique de la classe, représentent des moments particuliers dans le temps et des niveaux différents de la lutte, et en conséquence ne restent pas toujours dans un même rapport. Autant il faut rejeter toute idée tendant à séparer lutte économique et lutte politique de la classe (et donc tendant a diviser l'unité de la classe elle-même), autant on doit se garder de méconnaitre (comme l'avait fait le syndicalisme révolutionnaire à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle) les spécificités significatives de chacun de ces deux aspects de la lutte et ce qu'ils recouvrent.
2- On peut aussi établir une correspondance entre le rapport lutte économique et lutte politique dans la lutte générale du prolétariat, avec des périodes historiques de la société capitaliste. Ce rapport se modifie avec le changement de période, jusqu'au point de se renverser complètement.
Le changement de rapport de forces entre classes sociales est déterminé par le changement de période; le changement de période est lui-même a son tour déterminé par l'évolution du capitalisme et le développement interne de ses contradictions. Dans la période ascendante du capitalisme et dans la mesure où la révolution n'est pas posée objectivement et pratiquement à l'ordre du jour, la lutte pour la défense des intérêts économiques ([1] [21]) prend nécessairement le pas sur la lutte politique dans la lutte générale du prolétariat. Les explosions révolutionnaires (politiques) pour si importantes qu'elles soient, ne sont à cette époque que des phénomènes circonstanciels et isolés. Cela est vrai pour les journées de Juin 1848 comme pour la Commune de Paris. La lutte économique est alors l'aspect prédominant dans la lutte globale de la classe. Ce rapport tend à se renverser au fur et à mesure que le capitalisme entre dans sa phase de déclin (1905 est la manifestation de cette tendance dans cette période charnière), et ce renversement trouve son achèvement à partir de la première guerre mondiale.
3- Comme nous l'avons déjà montré dans d'autres textes ([2] [22]), la lutte économique dans la période ascendante se déroule inévitablement sous la forme corporatiste, professionnelle, autrement dit limitée et en ordre dispersée. Et il en est ainsi parce que les prolétaires trouvent face à eux le capital lui-même dispersé en des millions de patrons et de petites fabriques dispersées et isolées. A ce stade, les syndicats sont la forme appropriée: à ce contenu de la lutte. Mais avec le changement de période, lorsque le capitalisme fortement concentré et-centralisé entre en décadence et prend la forme politico-économique du capitalisme d'Etat, déterminant la prédominance du caractère politique de la lutte du prolétariat, la lutte économique de la classe subit également des changements profonds:
-impossibilité du maintien d'une organisation unitaire permanente de défense strictement économique,
-inévitabilité d'une fusion entre la défense économique et le caractère général politique de la lutte, -nécessité de la participation massive et active dans la lutte,- grève de masse et assemblées générales.
Les conditions nouvelles de la lutte "économique" posent l'exigence impérative qui peut se formuler en deux points : l'autonomie et auto-organisation de la classe et l’extension de la lutte.
4- L'extension de la lutte qui est absolument inséparable de son auto organisation ouverte et généralisée à l'ensemble de la classe, doit être fondamentalement comprise comme un dépassement indispensable de toute parcellisation catégorielle, corporatiste, professionnelle, usiniste, régionale, de toute division entre chômeurs et ouvriers dans les usines, entre ouvriers immigrés et ouvriers du pays. Nous appellerons l'extension de la lutte un tel dépassement qui reste encore dans un cadre national, dans les frontières politico-géographiques d'un pays .L'extension a encore généralement pour point de départ le terrain les revendications économiques, la lutte contre l'austérité et les conséquences de la crise sur la vie quotidienne des ouvriers. Nous distinguerons la notion d'extension de la notion de généralisation dans laquelle nous entendons mettre en évidence essentiellement les deux caractères suivants: la généralisation est la lutte s'étendant au delà des frontières à d'autres pays, la généralisation ne peut se faire qu'en prenant d'emblée un caractère politique et_ révolutionnaire.
L'objet de ces thèses est l'examen des conditions historiques de cette généralisation. Cela ne pouvait se faire tant que nous ne l'avions pas dégagé de toutes autres considérations et questions adjacentes dont il faut tenir compte mais qui risquaient d'embrouiller et entraver cet examen. C'est ce que nous espérons avoir réussi à faire dans ces préliminaires, et pouvons donc maintenant passer directement à l'examen de la généralisation.
L'IMMATURITE DES CONDITIONS DE LA REVOLUTION
La lutte de classe au 19ème siècle
5-Dans "Principes du Communisme", fascicule écrit en Octobre-Novembre 1847 et qui devait servir d'ébauche au "Manifeste Communiste") Engels écrit:
"Question 19: Cette révolution se fera-t-elle dans un seul pays? Réponse; Non. La grande industrie, en créant le marché mondial, a déjà rapproché si étroitement les uns des autres les peuples de la terre, et notamment les plus civilisés, que chaque peuple dépend de ce qui se passe chez les autres. Elle a, en outre, uniformisé dans tous les pays civilisés le développement social à un tel point que, dans tous ces pays, la bourgeoisie et le prolétariat sont devenues les deux classes décisives de la société, et que la lutte entre ces deux classes est devenue la principale lutte de notre époque. La révolution communiste, par conséquent, ne sera pas une révolution pure ment nationale; elle se produira en même temps dans tous les pays civilisés, c'est à dire tout au moins en Angleterre, en Amérique, en France, en Allemagne".
Ici, il ne s'agit pas de répondre a la théorie aberrante du "socialisme en un seul pays" au nom de laquelle devait s'accomplir la contre-révolution stalinienne: il s'agit de la révolution elle-même qui "se produira en même temps dans tous les pays civilisés". Cette thèse énoncée pour la première fois par Engels, certes pas suffisamment développée ni étayée dans sa démonstration, est néanmoins fondamentale et servira de pilier à la théorie et au mouvement marxistes, car elle contient l'idée du caractère obligatoire de la généralisation internationale, dans son contenu comme dans son étendue, de la révolution prolétarienne.
6- Nous retrouvons cette thèse à la base du "Manifeste Communiste", comme des autres écrits de Marx et Engels précédents et suivants la révolution de 1848. Dans "Les luttes de classe en France" par exemple, Marx commentant la défaite de Juin écrit:
" Enfin, les victoires de la Sainte Alliance ont donné à l'Europe une forme telle que tout nouveau soulèvement prolétarien en France sera immédiatement le signal d'une guerre mondiale. La nouvelle révolution française sera obligée de quitter aussitôt le terrain national et de conquérir le terrain européen, le seul où pourra l'emporter la révolution sociale au 19ème siècle".
Non seulement est réaffirmée avec force la thèse a caractère obligatoirement international de la révolution "le seul (terrain) où pourra l'emporter la révolution sociale du 19èrne siècle", mais elle se trouve encore renforcée en précisant le fondement historique de cette révolution: la crise du système économique du capitalisme.
" Nous voyons se dérouler actuellement sous nos yeux un processus analogue. Les conditions bourgeoises de production et d'échange, le régime bourgeois de la propriété, la société bourgeoise moderne, qui a fait surgir de si puissants moyens de production et d'échange, ressemble au magicien qui ne sait plus maîtriser les puissances infernales qu’il a invoqué"(Manifeste Communiste),
7- On peut mettre en doute"l'actualité" (en 1848!) du déclin du système capitaliste. L'histoire devait démentir cette "actualité" et les révolutionnaires, à commencer par Marx et Engels eux-mêmes devaient corriger cette erreur. Seuls des gens qui s'attachent à la lettre plutôt qu'à l'esprit du "Manifeste Communiste", peuvent encore soutenir aujourd'hui, que dés 1848, la révolution prolétarienne était à l'ordre du jour de l'histoire, que dès 1848, la révolution était une possibilité, voir une nécessité. On trouve en effet dans le "Manifeste Communiste":
" Les forces productives dont vile dispose ne servant plus à faire avancer le régime de la propriété bourgeoise, -elles sont devenues au contraire pour elle, qui leur fait obstacle. . Les rapports bourgeois sont devenus trop étroits pour contenir les richesses qu'ils ont crées".
Si 1848 n'a pas vu la généralisation de la révolution prolétarienne (à commencer par l'Angleterre et l'Amérique), cela est indubitablement du au fait que les conditions historiques n'étaient pas encore présentes, contrairement à ce que pouvaient penser Marx et Engels. 1848 annonçait l'ouverture d'une ère d'épanouissement du capitalisme. Mais ce qui est fondamental et qui reste un acquis de granit du "Manifeste" est l'analyse qui détermine l'inévitabilité de la révolution prolétarienne par la crise du système économique du capitalisme, ce qui constituera la colonne vertébrale de la théorie marxiste.
8- Cette double affirmation du déterminisme que constitue la crise, et de la nécessité impérieuse de l'internationalisation de la révolution reste par trop générale, c'est à dire trop abstraite et sans lien précis interne tant qu'on n'est pas parvenu à démontrer concrètement les conditions historiques nécessaires à la généralisation de la révolution. Par exemple, comprenant le caractère bourgeois de la révolution en Allemagne en 1848, et dans le feu des événements, Marx et Engels croyaient, durant un temps, pouvoir greffer sur elle la révolution prolétarienne. C'était leur vision de "la révolution en permanence" proclamée dans "L'adresse du Conseil Central à la Ligue'' en Mars 1850. Mais cette fois encore, la réponse sera infirmée et rapidement abandonnée par eux. Ils devaient se rendre compte que la révolution bourgeoise ne constitue pas la détermination de la révolution prolétarienne, et encore moins la condition de la généralisation. Ils devaient, comme le disait Engels dans ses "Quelques mots sur l'histoire de la Ligue des Communistes" en Octobre 1885, prendre conscience "qu'une nouvelle période de prospérité inouïe s'était ouverte" et de se rappeler ce qu'ils écrivaient dans la "Neue Rheinische Zeitung" fin 1850:
En présence de cette prospérité générale où les forces productives de la société bourgeoise s'épanouissent avec toute la luxuriance somme toute possible dans le cadre bourgeois, il ne saurait être question d'une véritable révolution. Une telle révolution n'est possible que dans des périodes où il y a conflits entre ces deux facteurs, les formes productives modernes et les formes de production bourgeoise.
9- Suite à l'expérience et aux enseignements de la révolution de 1848-50, Marx et Engels rompront avec "ces radicaux faiseurs de révolutions" et se maintiendront fermement au prémisse de la crise économique, fondement de la révolution. Ils attendront et scruteront impatiemment le retour de la crise (voir leur correspondance de 1854-55) et décèleront effectivement son arrivée en 1856. Mais leurs espoirs seront de nouveau déçus, car ils restent encore attachés à la vision du Manifeste qui voit dans les crises cycliques un retour constant de la prémisse de la révolution. Il y a ici une ambiguïté entre la crise cyclique et la crise historique, permanente du capitalisme.
Les crises cycliques indiquent bien la contradiction existante dans le système capitaliste entre forces productives et rapports de production, mais qui reste latente et non explosive, et même stimulante, Citant que le capitalisme trouve des solutions, notamment dans la rencontre de nouveaux marchés. En effet, les crises cycliques qui se sont succédées dans la deuxième moitié du 19ème siècle, ne donneront jamais lieu à des explosions révolutionnaires et encore moins à leur généralisation. Marx et Engels seront parfaitement convaincus désormais de cette réalité, et les premiers à mettre en garde les ouvriers de Paris contre une insurrection prématurée et vouée à l'échec. Ils seront les plus sévères critiques du blanquisme, et les plus acharnés contre les aberrations volontaristes de Bakounine et de ses adeptes champions de la phraséologie révolutionnaire et des actions volontaristes.
10- L'écrasement sanglant de la Commune de Paris devait apporter la preuve, non pas de l'inanité de la révolution communiste (qui reste une nécessité et possibilité historique), ni de la nécessité indispensable de sa généralisation pour triompher mais de l’immaturité de ses conditions infirmant et confirmant à la fois la perspective émise par Marx dans "Les luttes de classe en France" que "la nouvelle révolution française sera obligée de quitter aussitôt le terrain national et de conquérir le terrain européen, le seul où pourra l'emporter la révolution sociale, du 19ème siècle".
La défaite de la Commune et l'épanouissement plus fort que jamais du capitalisme mondial devaient jeter pour des décennies un grand désarroi dans le mouvement ouvrier, donnant naissance d'une part à 1'anarcho-syndicalisme qui, désorienté et jetant par dessus bord toute investigation théorique, et emporté par son "impatience" cherchait coûte que coûte dans la lutte économique immédiate la révolution et les conditions de sa généralisation, et croyait les avoir enfin découvertes dans la "grève générale" faisant des artifices de leur imagination et de leur désir de panacée universelle; d'autre part produisant une séparation dans la lutte de classe entre la lutte économique (syndicats) et la lutte politique (partis), et provoquant au sein même du mouvement socialiste l'affrontement entre une majorité subissant les nouvelles conditions qui va évoluer de plus en plus ouvertement vers le gradualisme et le réformisme de la démocratie bourgeoise, et une minorité dispersée qui s'efforçait de se maintenir sur les bases du marxisme révolutionnaire.
En dépit de la persistance de la lutte de classe et de son élargissement, la révolution et les conditions de sa généralisation semblaient s'éloigner de la réalité, au fur et à mesure du développement du capitalisme, et le socialisme devenait un idéal lointain. La révolution et le socialisme deviennent l'objet de recherches essentiellement théoriques et de spéculations abstraites. La caractéristique de la lutte de classes dans les dernières décades du 19ëme siècle n'est pas tant dans les difficultés qu'éprouvent les révolutionnaires à trouver la réponse adéquate, mais dans la situation elle-même, qui parait ne pas la contenir, ou plus exactement ne pas vouloir révéler son secret.
LA GREVE DE MASSE : LA REVOLUTION DE 1905
11 - 1905 sera un coup de tonnerre dans un ciel serein. Non pas que des mouvements de bouleversements n'étaient prévus, au contraire. Tout le monde les .attendait, et plus particulièrement les socialistes qui s'y préparaient. Déjà le vieil Engels les avait, annoncés quelques temps avant sa mort. Mais ce qui surprenait, c'était la force impétueuse du jeune prolétariat russe et la .pusillanimité de la bourgeoisie. Les socialistes s'y préparaient, mais dans quel désordre et confusion politique! Les menchéviks y voyaient une stricte révolution antiféodale et assignaient au prolétariat un simple soutien au gouvernement de la bourgeoisie. Les bolcheviks de leur coté y voyait une révolution démocratico-bourgeoise avec une participation prépondérante de la classe ouvrière et préconisait une "dictature démocratique des ouvriers et paysans". D'autres comme Trotsky-Parvus parlaient de "gouvernement ouvrier" et reprenaient en l'actualisant le vieux slogan de la "révolution permanente". Pour tous, le modèle auquel ils se référaient était la révolution bourgeoise de 1789 et de 1848. A la base de toutes les analyses était la spécificité des conditions en Russie. Le contexte de la situation mondiale et la période historique du capitalisme passaient au second plan. Et pourtant, nous assistions à des phénomènes absolument nouveaux: une totale impuissance de la bourgeoisie se réfugiant dans le giron de la monarchie tsariste; une immobilité de l'immense population de la paysannerie et de l'armée dont elle était la principale composante; un mouvement spontané encore jamais vu entrainant l'immense majorité des ouvriers, s'auto-organisant, prenant des initiatives dans toutes les villes, faisant reculer le pouvoir, débordant largement les partis socialistes et leurs consignes, et enfin le surgissement d'un type nouveau d'organisation du prolétariat unifiant la lutte économique et politique: les Soviets ouvriers. Et alors que les partis socialistes se chamaillaient sur la nature des événements et les perspectives, les masses agissaient spontanément, montrant une capacité créative surprenante. Ce dernier fait remet en question le concept classique du rôle et de la fonction du parti politique, son rapport à la classe, son rôle qu'il avait joué au 19ëme siècle d'organisateur de la classe ainsi que le mode d'action classique de la lutte d'autrefois -les grèves corporatistes et syndicales- dépassé par un mode nouveau à caractère de masse et plus dynamique, ce que Rosa Luxembourg mettra en évidence: la grève de masses. 1905 est le type même de l'extension et de l'auto-organisation spontanée de la lutte du prolétariat. La répercussion dans d'autres pays est encore faible, mais elle est néanmoins une indication d'une tendance à la généralisation.
L'aile droite de la 2ème Internationale, majoritaire, surprise par la violence des événements ne comprend rien à ce qui vient de se passer sous ses yeux, mais manifeste bruyamment sa réprobation et sa répugnance face au développement de la lutte de classe, annonçant ainsi le processus qui va l'amener rapidement à passer dans le camp de l'ennemi de classe. L'aile gauche trouve dans ces événements une confirmation de ses positions révolutionnaires, mais elle est loin de saisir toute sa signification, à savoir que le monde capitaliste se trouve dans une période charnière de son évolution, de son apogée vers son déclin. La nouvelle situation leur imposera le besoin d'une profonde réflexion théorique, d'un réexamen du mouvement du capital, et surtout d'une analyse de sa phase finale: l'impérialisme et la marche vers l'effondrement du capitalisme. Cette étude est à peine ébauchée et très insuffisamment développée et comprise quand les événements se précipitent.
LES CONDITIONS DE LA GENERALISATION DE LA LUTTE DE CLASSE
La guerre de 1914-18, la révolution de 1917, la 2ème Guerre Mondiale
12- 1914 viendra confirmer pleinement et globalement l'analyse de la nouvelle période historique, qui sera résumée par Lénine dans la formule ; "l'ère des guerres impérialistes et des révolutions prolétariennes"
Les points forts de cette analyse sont:
a) Le capitalisme comme système connait des périodes de développement et de déclin.
b) Les crises cycliques de la période ascendante ne pouvaient amener la révolution prolétarienne. Seule la période de déclin de l'ensemble du système économique capitaliste fait de la révolution une nécessité et une possibilité.
c) Cette révolution ne peut donc être que mondiale et, plus vite elle se généralise à un plus grand nombre des pays industrialisés, plus grandes sont ses chances de triompher.
On peut constater ici, non seulement un retour en force aux positions énoncées par Engels dans les "Principes du Communisme", mais encore leur renforcement avec la précision apportée sur la période historique de la révolution que seule la réalité a permis de dégager pleinement. Mais il subsistait encore toute une série de questions qui demeurent non clarifiées : la définition de l'impérialisme et le problème de la saturation des marchés ([3] [23]), la théorisation d'une soi-disant '' loi du développement inégal du capitalisme" ([4] [24]), la théorisation du "chainon le plus faible" ([5] [25]) et l'anachronisme de se tenir aux anciens modes de lutte, absolument inadéquat dans la nouvelle période ([6] [26]). C'est à dire que ce sont 'précisément, les questions qui touchent le plus directement aux problèmes de la généralisation qui restent le moins élaborées ou auxquelles on donne des réponses carrément fausses.
13- De plus, si les révolutionnaires trouvent dans l'éclatement de la guerre mondiale la preuve irréfutable de "l'effondrement catastrophique" du capitalisme sous le poids de ses propres contradictions internes arrivées à terme, fondant ainsi la détermination objective de la révolution, ils croient trouver également en elle les conditions nécessaires de sa généralisation.
N'est-il pas vrai que les révolutions à ce jour étaient étroitement liées à des guerres capitalistes? Ceci est vrai pour la Commune de Paris -suite directe de la guerre prusso-française - et est également vrai pour 1905 qui suit la guerre russo-japonaise. S'appuyant sur ces exemples, les révolutionnaires devaient logiquement raisonner en ces termes: la guerre étant mondiale crée les conditions de la généralisation de la révolution.
L'éclatement effectif de la révolution russe et la vague révolutionnaire qui l'a suivie servant de preuve, devaient renforcer cette conviction qui reste dominante parmi les révolutionnaires jusqu'à aujourd'hui. Par exemple, n'est-il pas vrai que les bordiguistes et bien d'autres attachent si peu d'importance à la question du "Cours Historique" parce qu'ils misent sur la guerre qui, à leurs yeux, devraient donner naissance à la révolution? Or, si nous examinons de plus prés les expériences de l'histoire, les arguments avancés en faveur de cette conviction sont loin d'être aussi convaincants qu'ils ne l'apparaissent. Il est vrai que les guerres déterminent des convulsions sociales allant jusqu'à des explosions révolutionnaires et même à des triomphes. Mais ces triomphes sont isolés et de courte durée, comme c'était le cas pour la Commune de Paris ou pour la révolution de 190b (qui de plus se produit dans une période d'immaturité historique) ou pour la Hongrie, et même si le prolétariat parvient à garder le pouvoir pour un temps assez long, son isolement le condamne rapidement à la dégénérescence et finalement à la contre révolution comme le montre la révolution russe.
14- Pourquoi cela? Parce qu'il ne peut y avoir de mouvement révolutionnaire triomphant s'il ne contient pas et ne développe pas la tendance à l'internationalisation de la lutte, comme il ne peut y avoir de réelle internationalisation sans qu'elle soit révolutionnaire. Cela implique que les conditions de la révolution triomphante soient données à la fois dans la situation économico-politique et dans le rapport de forces favorables au prolétariat contre le capitalisme, à l'échelle mondiale. La guerre est certainement un haut moment de la crise du capitalisme, mais on ne doit pas perdre de vue que c'est aussi une réponse du capitalisme à sa crise, c'est à dire un moment avancé de sa barbarie qui, comme tel, ne favorise pas les conditions de la généralisation de la révolution.
Voyons cela de plus près. Déjà durant la première guerre mondiale, Rosa Luxembourg jetait un cri d'alarme et attirait l'attention, de sa prison, sur le fait que la bourgeoisie était en train de massacrer, sur ses champs de bataille, la fine fleur du prolétariat, sa jeunesse, les meilleurs combattants de la classe révolutionnaire. La deuxième guerre mondiale devait démontrer, dans la technique et l'organisation, la capacité de la bourgeoisie de multiplier le massacre (au moins par 2 et demi), d'étouffer toute velléité de lutte de classe et de faire table rase de tout organisme de la classe ouvrière. Et cela aussi bien dans l'armée que dans la population civile.
Sur le plan du massacre, ce que pouvait être les implications d'une guerre, avec toute la technique moderne, mieux vaut ne pas y penser. Sur un autre plan: la première guerre mondiale était une guerre de tranchée, ce qui permettait dans une certaine mesure le contact entre soldats des camps ennemis, d'où le mot d'ordre et une certaine possibilité de sa réalisation effective: la fraternisation. Ce n'est plus le cas dans la deuxième guerre mondiale au cours de laquelle l'infanterie joue déjà un rôle secondaire. Dans une prochaine guerre, les gens seraient massacrés par centaines de mille comme à Hiroshima, sans même avoir vu "l'ennemi".
Dans le mouvement de la révolution en Russie il est à constater que les soldats sont les derniers bastions à être gagnés ou simplement neutralisés. Ce sont les marins, ces "prolétaires flottants", qui sont le bras armé de la révolution. Cela est encore plus net en Allemagne. La raison en est très simple: parce que l'armée n'est pas le lieu de la concentration ouvrière mais le lieu où les ouvriers sont noyés dans une masse de paysans et autres couches.
La bourgeoisie a montré dans la deuxième guerre comment elle a parfaitement assimilé les enseignements de la première pour ce qui concerne les dangers de révoltes ouvrières.
En 1943, c'est volontairement que l'Angleterre ne profite pas de l'avantage donne par l'effondrement de l'armée de Mussolini et s'abstient d'envahir le nord de l'Italie, laissant à l'armée allemande le soin de réprimer les luttes des ouvriers de Milan et de Turin. Comme l'expliquait Churchill, c'était la politique de "laisser les italiens mijoter le temps nécessaire dans leur jus". La même politique sera employée par l'armée russe qui pendant 3 jours reste devant les portes de Varsovie et de Budapest qui sont soulevées, pour laisser le temps nécessaire à l'armée allemande en déroute pour accomplir la saignée judicieuse. Ce sera ensuite l'avance précipitée des armées aussi bien russes qu'américaines, en Allemagne pour relever au plus vite l'appareil défaillant hitlérien afin d'écraser dans l'œuf toute tentative de soulèvement.
Mais ce qui reste important et qui diminue de beaucoup l'efficacité du défaitisme révolutionnaire est le fait que la guerre produit des vainqueurs aussi bien que des vaincus, en même temps que la rage révolutionnaire contre la bourgeoisie se produit également dans la population une tendance revancharde. Et cette tendance revancharde pénètre jusque dans les rangs des révolutionnaires comme en témoigne la tendance du national-communisme dans le K.A.P.D. et la lutte contre le traité de Versailles qui va devenir l'axe de la propagande du K.P.D. Pire encore est l'effet produit sur les ouvriers dans les pays vainqueurs. Comme l'a démontré déjà le premier après-guerre et encore plus le second, ce qui prévaut, à coté d'une réelle et lente reprise de la lutte déclasse, c'est un esprit de la lassitude sinon un délire chauvin tout court.
15- Non, la guerre ne crée pas les conditions les plus favorables à la généralisation. Contrairement à la thèse misant sur la guerre et qui implique la vision d'un cours extrêmement rapide surprenant la bourgeoisie -modèle russe- la révolution se présente - comme l'a dit Rosa Luxembourg au Congrès de fondation du PC en Allemagne - comme un long et douloureux processus, plein d'embûches, d'avancées et de reculs de la lutte. C'est dans ce processus que mûrissent les conditions de la généralisation, de la prise de conscience et de la capacité de la classe à s'organiser. Les révolutionnaires devaient cesser de faire de leur impatience un point de référence et apprendre à travailler à long terme, comme la réalité l'indique.
16-Nous avons défini la période de reconstruction comme un intervalle dans le mouvement de "crise-guerre- reconstruction- crise" qui est 1° mouvement du capital dans sa décadence. Ce qui est fondamental dans ce mouvement ce ne sont pas les termes intermédiaires (la guerre et la reconstruction), mais le point de départ et le point d'arrivée. Aucun des termes intermédiaires n'est fatal. Seuls les termes extrêmes "crise-crise" déterminent la caractéristique permanente de la période historique.
La guerre n'est possible qu'après une défaite du prolétariat laissant les mains libres à la bourgeoisie pour conduire la société aux pires catastrophes.
Depuis le début de la crise aiguë, à la fin des années 60, le prolétariat a repris sa lutte et à travers des hauts et des bas, il n'a fait que la développer pour atteindre aujourd'hui avec la Pologne le point le plus haut depuis un demi-siècle.
Mais la Pologne n'est pas le point final, et ce serait pur verbiage aventuriste de lui demander autre chose que ce qu'elle est. En Pologne, c'est une position avancée atteinte et occupée par un section de l'armée prolétarienne. Il importe maintenant que le gros de la classe l'ait rejoint. En attendant le prolétariat n'a aucun intérêt à sacrifier une de ses parties les plus combatives dans des affrontements militaires prématurés qui, isolée, est inévitablement vouée à la défaite. La victoire ne peut s'obtenir que par un avancement généralisé de la classe.
Les conditions de la généralisation se trouvent dans la crise elle-même. L'inexorable enfoncement du capitalisme dans une crise de plus en plus profonde crée 1'inexorabilité de la marche vers la généralisation de la lutte, condition de 1'ouverture de la révolution à l'échelle mondiale et sa victoire finale.
[1] [27] Pour éviter toute équivoque, précisons que sous le terme "économique" nous entendons tout ce qui concerne l'aménagement des conditions de vie générales et immédiates de la classe, en la distinguant du terme "politique" qui se réfère strictement au devenir et buts historiques dont le prolétariat est porteur.
[2] [28] Voir RINT n°23: "La lutte du prolétariat dans la décadence du capitalisme".
[3] [29] La non définition exacte de la nature de l'impérialisme conduira à une division du monde en pays impérialistes et pays anti-impérialistes et de ce fait, à un lien qui existerait entre la révolution prolétarienne et les luttes de libération nationale.
[4] [30] Ce qui remettra en question 1'unité indispensable de la vague de révolutions simultanées et permettra ensuite à Staline de fonder là-dessus sa théorie du "Socialisme en un seul pays". L'inégalité du développement du capitalisme agit dans le sens du développement de l’interdépendance et donc de l'unification de la production mondiale qui trouve son achèvement dans la période de déclin en entrainant tous les pays dans la barbarie.
[5] [31] Prise à la lettre et en en faisane n axe, cette "théorie" finit par privilégier la maturité des conditions de la révolution dans les pays sous-développés aux dépens des pays hautement industrialises avec un prolétariat le plus concentré, le plus expérimenté, ce qui renverse complètement la vision juste de Marx et Engels à ce sujet.
[6] [32] Parlementarisme, syndicalisme, question nationale, front unique etc...
C'est sur trois plans, complémentaires mais distincts, qu'il est nécessaire d'analyser la lutte de classe aujourd'hui pour en comprendre les caractéristiques et en dégager les perspectives :
- sur le plan historique général de la décadence du capitalisme,
- sur le plan de la reprise de la lutte du prolétariat à partir de la fin des années 60 à la suite d'un demi-siècle de contre-révolution,
- sur le plan du moment présent de ces luttes marquées par un nouveau déploiement qui succède à la pause observée par la classe à la suite de la première poussée des années 68-74.
1) Comme l'ensemble des luttes ouvrières dans la période de décadence du capitalisme, les luttes d'aujourd'hui ont les caractéristiques suivantes :
- elles se développent en même temps que s'aggrave la crise de la société capitaliste, contrairement à celles du siècle dernier (surtout sa 2e moitié) à qui les crises cycliques de cette époque étaient en général fatales,
- elles n'ont pas de ce fait, comme perspective une amélioration progressive des conditions de vie du prolétariat au sein du système mais elles participent directement des préparatifs de son renversement,
- leur dynamique les pousse à dépasser les catégories (métiers, branches industrielles) pour préfigurer et créer les conditions de l'affrontement révolutionnaire futur où ce ne sera pas une somme de secteurs partiels de la classe ouvrière qui entrera en action mais l'ensemble du prolétariat comme classe,
- comme en tous temps, elles sont organisées mais el les ne peuvent l'être de façon préalable : bien que les ouvriers ne puissent à aucun moment renoncer à la lutte pour la défense de leurs intérêts économiques, bien au contraire, toute organisation permanente basée sur la défense de ces intérêts (syndicats) est condamnée à être récupérée par le capitalisme et intégrée au sein de son Etat; depuis l'entrée du capitalisme dans sa phase de période de décadence, il n'est plus possible au prolétariat de s'organiser pour la lutte, il organise la lutte et cette organisation prend la forme des assemblées générales, des comités de grève élus et révocables, et, dans les périodes révolutionnaires, des conseils ouvriers,
- face à un capitalisme ultra-concentré, elles ne peuvent avoir d'efficacité réelle que si elles tendent à s'élargir; contrairement au passé, la durée n'est plus une arme véritable d'une lutte si elle reste isolée et de ce fait, la véritable solidarité prolétarienne ne peut plus s'exercer sous forme de collectes, de soutien aux grévistes mais bien par une extension du combat; dans la période de décadence du capitalisme, l'arme la plus importante du prolétariat pour repousser les attaques féroces d'un système aux abois et pour préparer son renversement, la véritable manifestation de la solidarité de classe, c'est la grève de masse.
2) Depuis 1847, il est clair pour les révolutionnaires que "la révolution communiste ...ne sera pas une révolution purement nationale, (qu') elle se produira en même temps dans tous les pays civilisés.." (Engels. "Les principes du communisme"). Et, effectivement, c'est à l'échelle mondiale que s'est déployée la première vague révolutionnaire de ce siècle (1917-23). Sur ce plan, la présente reprise de la lutte de classe qui devra culminer dans la révolution communiste ne se distingue pas de la précédente : d'emblée, elle a eu le monde entier pour théâtre. Mais les conditions spécifiques dans lesquelles elle se développe (crise économique aigue du capitalisme et non guerre impérialiste) lui donnent de bien meilleurs atouts que n'en a disposés la précédente pour conduire à son terme le processus de mondialisation du combat révolutionnaire.
En effet, si la guerre impérialiste a eu comme résultat de plonger brutalement le prolétariat des pays belligérants dans une situation commune de misère atroce et de massacres absurdes ce qui, lors de la première guerre, a provoqué une dislocation rapide des mystifications capitalistes et a contraint la classe à se poser d'emblée le problème de la politisation et du caractère mondial de sa lutte, cette même guerre impérialiste portait en elle toute une série d'obstacles à la généralisation des luttes révolutionnaires à 1'échelle mondiale :
- la division entre pays belligérants et pays "neutres" : dans ces derniers pays, le prolétariat ne subit pas de dégradation massive de ses conditions de vie;
- la division entre "pays vainqueurs" et "pays vaincus" : dans les premiers, le prolétariat a été le plus souvent une proie facile pour la fierté chauvine déversée massivement par la bourgeoisie; dans les seconds, si la démoralisation nationale créait de meilleures conditions pour le développement de l'internationalisme, elle ne fermait pas la porte, au contraire, au développement de sentiments de revanche (cf. "national bolchévisme" en Allemagne);
- face à un mouvement révolutionnaire né de la guerre impérialiste, il restait comme recours à la bourgeoisie d'interrompre celle-ci (cf. Allemagne en novembre 1918),
- une fois la guerre impérialiste terminée, la possibilité de reconstruction qui s'offre au capitalisme et donc d'une certaine amélioration du fonctionnement de son économie a brisé l'élan prolétarien en le privant de son aliment de base : la lutte économique et le constat de faillite du système.
Par contre, le développement progressif d'une crise générale de l'économie capitaliste, s'il ne permet pas une prise de conscience aussi rapide des véritables enjeux de la lutte ni de la nécessité de l'internationalisme, élimine cependant les obstacles énumérés ci-dessus en ce sens :
- qu'il tend à mettre le prolétariat de tous les pays sur le même plan : la crise mondiale n'épargne aucune économie nationale,
- qu'il n'offre à la bourgeoisie aucune porte de sortie sinon celle d'une nouvelle guerre impérialiste qu'elle ne pourra déchaîner tant que le prolétariat n'aura pas été battu.
3) Si c'est dès le resurgissement historique de la lutte de la classe ouvrière à la fin des années 60 que se sont imposées à elle les exigences que nous avons signalées, ce n'est que progressivement, à travers tout un processus, que le prolétariat pourra acquérir une claire conscience de ces exigences. Dès les combats qui commencent en 1968 et s'étendent jusqu'en 74 (76 pour l'Espagne) la classe est confrontée à l'obstacle syndical, au besoin d'auto-organisation et d'extension de la lutte, de même qu'au caractère mondial de son combat. Cependant, c'est encore de façon tout à fait embryonnaire et minoritaire que se fait jour dans la classe une conscience de ces enjeux et de ces exigences (grève générale en France mais contrôlée par les syndicats; débordement des syndicats en Italie, mais récupération par les "comités de base"; mouvement des assemblées en Espagne mais canalisé vers un "syndicalisme de base"; impact international des grèves en France ou en Italie mais reçu de façon passive par les ouvriers des autres pays, etc.).
Et c'est en particulier en s'appuyant sur ces faiblesses du prolétariat, résultant notamment du poids du demi-siècle de contre-révolution d'où il sort.que la bourgeoisie a pu mener de façon efficace au milieu des années 70 sa contre-offensive basée sur la carte de la "gauche au pouvoir" ou sur "le chemin du pouvoir". Mais ce type d'offensive de la bourgeoisie était également permis par le caractère relativement supportable de la crise jusqu'en 74 et sur l'illusion amplement partagée dans toutes les couches de la société que l'effondrement de 74-75 n'était qu'un incident de parcours sans lendemain.
Avec la nouvelle aggravation de la crise économique qui prend place à la charnière des deux décennies 70 et 80 s'ouvre une situation nouvelle tant pour la vie de la bourgeoisie que pour celle du prolétariat. Après les "années d'illusion" viennent maintenant "les années de vérité", celles où se posera avec une bien plus grande acuité l'alternative historique guerre mondiale ou révolution, celles où seront balayées les illusions sur une possible "alternative" permettant au système de sortir de sa crise, celles où les exigences et les enjeux de la lutte de classe se poseront au prolétariat avec une insistance inconnue jusqu'à présent.
4) Ces "années de vérité" imposent à la bourgeoisie un autre type de contre-offensive face à la classe ouvrière, un type d'offensive beaucoup moins basée sur les illusions et la croyance en des "lendemains qui chantent" et beaucoup plus basée, justement, sur des "vérités" qu'on n'arrive plus â dissimuler et qu'on tente d'employer pour démoraliser le prolétariat.
Cette offensive se base également sur un partage systématique des tâches entre les différents secteurs de la bourgeoisie afin que cette classe puisse couvrir, à travers les diverses manifestations de son Etat, l'ensemble de la scène sociale, qu'elle puisse colmater du mieux possible les fissures que la crise provoque de plus en plus dans son système de domination.
Dans ce partage, il revient à la droite -c'est à dire le secteur politique qui, au delà des étiquettes n'est pas directement lié à l'encadrement et à la mystification des ouvriers- la tâche de 'parler franc" et d'agir en conséquence depuis la position gouvernementale qu'elle tend à occuper de plus en plus. De l'autre côté, il revient à la gauche -c'est à dire lés fractions bourgeoises qui, de par leur langage et leur implantation en milieu ouvrier ont pour tâche spécifique de mystifier et encadrer les travailleurs- depuis l'opposition où elle tend à passer dans presque tous les pays, de faire en sorte que ce "franc parler" ne puisse servir au prolétariat pour développer une conscience claire de la situation ni l'encourager à pousser plus avant sa riposte de classe.
C'est ainsi que lorsque la droite au pouvoir affirme que la crise est internationale et qu'elle n'a pas de solution à l'échelle nationale, la gauche dans l'opposition clame bien fort le contraire pour empêcher la classe ouvrière de prendre conscience de la faillite de l'économie capitaliste et de la dimension mondiale de ses luttes.
Lorsque la droite avance de plus en plus l'idée que la guerre est une menace réelle, il revient à la gauche de masquer cette réalité à travers toutes sortes de bavardages pacifistes et empêcher le prolétariat de comprendre le véritable enjeu de la situation présente. Lorsque la droite présente comme inévitable l'augmentation de l'austérité et du chômage, il revient à la gauche de prétendre le contraire en parlant de la "mauvaise gestion" des partis de droite, du "rôle des grands monopoles" et en appellent à "faire payer les riches", afin de masquer aux ouvriers le fait qu'il n'y a pas de solution de rechange, que, quel que soit le remède, c'est le capitalisme sous toutes ses formes qui est condamné et porte avec lui une misère croissante.
Lorsque la droite au pouvoir augmente les moyens et mesures de répression au nom de "l'insécurité, de la menace "terroriste" ou même "fasciste", il revient à la gauche de les faire accepter par la classe ouvrière en évoquant fébrilement ces mêmes dangers ou, en appelant à une utilisation plus "démocratique" de cette répression, de l'empêcher de prendre conscience que c'est toute la société d'exploitation, quelles que soient les forces qui la dirigent, qui porte en elle l'oppression et la répression.
Ainsi, dans tous les domaines où la bourgeoisie mène son offensive, il appartient aux secteurs de gauche, ceux en qui la classe ouvrière garde le plus d'illusions, de faire en sorte que cette offensive ne rencontre pas une résistance croissante, qu'elle n'ouvre de plus en plus les yeux des prolétaires jusqu'à leur faire comprendre qu'il n'y a d'autre issue que le renversement du capitalisme, de faire en sorte que cette offensive ne provoque et ne rencontre que désorientation, résignation et désespoir.
Le fait qu'aujourd'hui, la bourgeoisie soit conduite à jouer la carte de "la gauche dans l'opposition" contre la classe ouvrière ne signifie pas que cette carte soit la seule jouable en tout temps et toutes circonstances. En particulier, dans certaines situations, la gauche joue mieux son rôle en participant au pouvoir : soit dans des gouvernements "d'union nationale" lors des guerres impérialistes, soit directement à la tête du gouvernement dans des périodes révolutionnaires. D'autre part, si sa prise en charge d'un rôle d'opposition "décidée" correspond à une exigence générale pour la bourgeoisie dans la période actuelle de reprise des luttes de classe à la suite de la pause du milieu des années 70, cela ne veut pas dire que cette exigence trouve en toutes circonstances une concrétisation immédiate ou optimale. Mais tous les exemples spécifiques d'incapacités (qu'elles soient de nature électorale ou autre) pour la bourgeoisie de mettre résolument ses partis de gauche dans l'opposition doivent être compris comme expression des faiblesses particulières de cette classe qui manifestent sa crise politique et ne peuvent que l'aggraver à terme,
5) Seul le passage ou le maintien de la gauche dans l'opposition lui permet de se faire encore écouter par les travailleurs, de leur faire avaler ses mensonges, seul ce passage ou ce maintien lui permet également de saboter efficacement, de l'intérieur, les luttes que l'aggravation de la misère provoque et provoquera nécessairement.
Libérée de ses responsabilités gouvernementales, la gauche peut aujourd'hui tenir un langage plus "radical", plus "ouvrier". Elle peut reprendre à son compte, afin de pouvoir mieux les détourner, certaines aspirations de la classe. Elle peut appeler à la lutte, appeler à l'extension de celle-ci, même à son "auto-organisation" quand elle a la garantie que ses syndicats contrôlent bien cette "extension" ou que cette "auto-organisation" reste isolée.
Dans la période qui vient, la gauche et les syndicats, comme ils ont commencé à le faire, ne ménageront aucun effort pour assourdir les prolétaires d'un tapage "combatif", pour les désorienter par une intransigeance de façade et par un adroit partage des tâches entre les appareils syndicaux et le syndicalisme "de base". Tout cela dans le but d'épuiser la combativité prolétarienne, de l'épar piller, de lui interdire d'accéder à une classe consciente des véritables enjeux de la lutte.
6) Même si elle est menée de façon préventive, systématique et coordonnée à l'échelle mondiale, cette nouvelle offensive de la bourgeoisie n'a pas rencontré jusqu'à présent un succès complet. En effet, depuis deux ans, avec la grève de Rotterdam (septembre 1979), celle des sidérurgistes de Grande-Bretagne (janvier-avril 80), celle des métallurgistes du Brésil (avril 80), celle des transports à New York et des ouvriers de Gorki et Togliatti rad en URSS (mai 80), les affrontements en Corée du Sud (mai 80), et surtout l'immense mouvement des ouvriers de Pologne, s'est trouvée confirmée la perspective dégagée par le 3ème Congrès du CCI : "... Après une période de relatif recul des luttes couvrant le milieu, des années 70, la classe ouvrière tend â renouer aujourd'hui avec une combativité qui s'était manifestée de façon généralisée et souvent spectaculaire à partir de 1968" (Résolution sur la situation internationale).
Ainsi, si le passage de la gauche dans l'opposition a pu représenter pour la bourgeoisie un renforcement de ses positions, il s'agit d'un renforcement par rapport à la formule antérieure de "gauche au gouvernement" qui devenait caduque face à l'aggravation de la crise et la reprise des combats de classe et nullement d'un renforcement absolu face à la classe ouvrière.
7) De la même façon, ce renforcement, s'il est pour le moment indiscutable, ne saurait être que momentané. Au fur et à mesure que les luttes vont se développer, seront dépassés les obstacles que la gauche oppose à la prise.jie conscience de la classe. Ainsi dans les deux années passées s'est également trouvée confirmée l'analyse du 3ëme Congrès : "Bien qu'elle n'apparaisse vas immédiatement en pleine lumière, une des caractéristiques essentielles de cette nouvelle vague de luttes sera de redémarrer au niveau qualitatif le plus élevé atteint par la vague précédente. Cette caractéristique se manifestera essentiellement par une tendance plus marquée que par le passé à un débordement des syndicats, à l'élargissement des combats au-delà des limites catégorielles et professionnelles} à une conscience plus claire du caractère international de la lutte de classe". (Résolution sur la situation internationale).
Cette confirmation, c'est essentiellement la lutte des ouvriers de Pologne qui l'a apportée. En effet, cette lutte a donné une réponse à toute une série de questions que les luttes précédentes avaient posée sans pouvoir y répondre ou le faire clairement :
- la nécessité de l'extension de la lutte (grève des dockers de Rotterdam) ;
- la nécessité de son auto-organisation (sidérurgie en Grande-Bretagne) ;
- l'attitude face à la répression (lutte des sidérurgistes de Longwy-Denain).
Sur tous ces points, les combats de Pologne représentent un grand pas en avant de la lutte mondiale du prolétariat et c'est pour cela que ces combats sont les plus importants depuis plus d'un demi-siècle. Mais ces combats ont à leur tour posé une nouvelle question, fondamentale, au prolétariat à laquelle les ouvriers de Pologne ne peuvent répondre par eux-mêmes : la nécessité de la généralisation mondiale du combat de classe.
Cette question, c'est le capitalisme qui a déjà commencé à y répondre par son unité face à la classe ouvrière, unité au sein des blocs impérialistes, et également, malgré tous les antagonismes inter-impérialistes, entre les blocs. De l'ouest à l'est, face à la menace prolétarienne, tous les pays capitalistes font passera l'arrière-plan leurs divisions internes; ils tirent des leçons communes au niveau de l'efficacité des mesures à prendre face à la classe ouvrière : utilisation de la mystification nationaliste, démocratique, syndicaliste; menaces d'interventions militaires ; répression.
Dans des zones comme l'Amérique Centrale (El Salvador), le Moyen-Orient, l’Asie du Sud-est, le prolétariat se trouve isolé, n'étant pas fortement concentré et avec des traditions de lutte moindres qu'en Europe ou en Amérique du Nord. Dans ces zones se mène une répression féroce et sanglante derrière les larmes hypocrites des ai de-fossoyeurs, les chefs d'Etat des grandes puissances.
Il importe de souligner par conséquent que c'est en Europe et dans les principaux pays industrialisés que seront posés les réels solides jalons pour la prochaine vague révolutionnaire qui concernera et entraînera par contrecoup le prolétariat de tous les pays "sous-développés" ou faiblement industrialisés. Il n'est jamais possible d'envisager une simultanéité complète, mais c'est dans le sens d'une généralisation de la lutte de classe à plusieurs pays à la fois que se trouvera posé sérieusement le chemin de l'internationalisation de la lutte de classe mondiale.
De la réponse à cette question de la généralisation de la lutte, dépend un nouveau développement et approfondissement de la lutte prolétarienne internationale. Et cela y compris en Pologne même où les obstacles présents : menaces d'intervention, nationalisme, illusions syndicales et illusions démocratiques, ne pourront être levés que par le développement des luttes mondiales et plus particulièrement dans le bloc russe pour les deux premiers, dans le bloc occidental pour les deux autres.
En Pologne, le problème crucial de la généralisation mondiale de la lutte de classe ne pouvait être que posé. Il appartient au prolétariat mondial d'y répondre.
Contre résolution sur la lutte de classe ([1] [35])
La lutte prolétarienne en
Pologne a marque une nouvelle étape décisive dans le processus de grève de
masse qui a commencé à s'enclencher avec les luttes de Denain-Longwy-Rotterdam-sidérurgie
anglaise et qui ont posé à des niveaux divers la nécessité de
l'auto-organisation, de l'extension
et de la généralisation de la lutte.
1) Ces luttes ont confirmé le caractère nouveau de la lutte prolétarienne dans la phase de décadence. Si elles ont été une réponse à l'aggravation de la crise économique, elles ne peuvent avoir connue but une réelle amélioration des conditions de vie et de travail de la classe ouvrière. Au delà des revendications économiques qui sont à la base du démarrage des luttes, il y a la préfiguration et la préparation de l'assaut généralisé futur qui est la seule réponse historique à la crise généralisée du capitalisme.
Dans ces luttes, on a pu voir le véritable antagonisme entre les besoins et la pratique de la classe ouvrière et toutes les thèses et stratégies relevant du syndicalisme. Ces stratégies ont toutes été des réponses de la bourgeoisie au prolétariat, elles ont toutes tenté de SAPER l'auto-organisation de la dynamique de la généralisation, de DEVOYER la prise de conscience politique du prolétariat qui commençait à s'amorcer.
2) Dans le futur, la seule voie pour le prolétariat résidera dans l'accentuation du dépassement du corporatisme, de l'usinisme, du nationalisme, à travers la mise sur pied dans la lutte d'assemblées générales, de comités de grève élus et révocables, et l'approfondissement de l'antagonisme POLITIQUE entre toutes les fractions bourgeoises agissant dans la classe et le prolétariat organisé.
3) L'autre aspect fondamental des luttes actuelles réside en ce qu'elles constituent le frein historique à la tendance à la guerre contenue dans les contradictions aveugles du système capitaliste décadent en crise. Pour la première fois dans l'histoire, nous sommes dans une phase où le prolétariat a su imposer a la bourgeoisie son initiative de la lutte. Contrairement aux années 30 où la crise économique est venue accentuer la défaite prolétarienne des années 20, les années 70 ont vu la reconstitution lente et chaotique de la force prolétarienne. Cette reprise de la lutte prolétarienne a empêché la bourgeoisie d'entraîner la société dans la guerre mondiale. Cette incapacité de la bourgeoisie réside dans le fait que les partis susceptibles d'embrigader le prolétariat dans un nouvel holocauste, les PARTIS DE GAUCHE sont justement ceux qui ont été remis en cause par la reprise prolétarienne.
4) Face à un prolétariat qui retrouve ses forces, la gauche a vu se réduire son champ de manœuvre, sa capacité de mystification accumulée pendant des décennies de contre-révolution. Cette situation a vu, au cours de ces dix dernières années, développement de la crise de ces partis, crise faite de scissions, d'usure, d'apparition de nouvelles fractions (gauchisme) qui correspondent toutes à des réponses à la lutte du prolétariat mais qui en même temps constituent autant de faiblesses potentielles pour le futur.
5) Cette usure de l'édifice contre-révolutionnaire stalinien et social-démocrate s'est répercutée sur l'ensemble de l'appareil politique de la bourgeoisie. Cet appareil, partie intégrante de l'Etat, possède toutes les caractéristiques de la bourgeoisie décadente, sénile et incapable d'homogénéité face à son ennemi historique. En fait, c'est l'Etat lui-même qui s'est affaibli face aux coups portés par la classe ouvrière. CET AFFAIBLISSEMENT N'EST PAS UN EFFONDREMENT. Chaque parti bourgeois, avec ses méthodes, avec ses armes spécifiques, tente de le freiner. Face au prolétariat qui menace, mais aussi contrainte de prendre les mesures d'austérité indispensables pour éviter la faillite, la bourgeoisie tente, 1à où elle le peut, de riposter, de répondre à travers une série de tournants et de tactiques politiques fondés essentiellement sur les mystifications et les illusions démocratiques. L'autre aspect de ces tentatives de la bourgeoisie réside dans 1a nécessité de casser les luttes de l'intérieur soit par le sabotage ouvert, soit par le dévoiement politique.
6) Aujourd'hui, l'action des partis de gauche est au centre des problèmes posés à la bourgeoisie : comment battre le prolétariat, comment lui faire accepter 1'austérité puis la guerre ? En fait, nous allons assister dans les temps qui viennent à une instabilité croissante de la politique de la bourgeoisie au sens où les partis de gauche vont être contraints de développer des orientations politiques de plus en plus incohérentes :
- dans l'opposition, ils "risquent de perdre leur influence faute d'être capables de se présenter éternellement comme des défenseurs du prolétariat, et par là-même, ils risquent de perdre leur capacité de sabotage;
- au pouvoir, organisant l'austérité, ils perdront rapidement tout crédit auprès de la classe ouvrière qui oubliera de moins en moins les actes de la gauche au pouvoir.
7) Les années qui viennent vont voir le mûrissement de la crise politique généralisée de la bourgeoisie. Mais contrairement aux années précédentes où le prolétariat n'avait pu utiliser cette crise pour son propre compte, nous entrons dans la période où il va devenir crucial pour la classe ouvrière de tirer profit de cette crise. En ce sens, le caractère POLITIQUE contenu dans les luttes que nous venons de vivre, va devenir de plus en plus explicite posant en termes plus clairs l'importance du rôle et de l'intervention des groupes révolutionnaires. Dans cette phase, la capacité des révolutionnaires à analyser les contradictions de la bourgeoisie, de chaque bourgeoisie, dans le cadre de la compréhension de l'homogénéisation du prolétariat mondial, sera un facteur décisif dans la maturation de la conscience de classe.
Ch.
[1] [36] Le projet de contre résolution proposé a été : reprendre les points 1, 2, 7, de La Résolution et remplacer le reste par la résolution ci-dessus
LE COURS DE LA CRISE ECONOMIQUE
Dans le rapport sur "La crise et les conflits inter-impérialistes" adopté au 3ème Congrès du CCI. en 1979, nous avions souligné l'échec de tous les palliatifs que le capital mondial avait utilisés pour relancer l'économie après la récession de 1974-75 (la 3ème et la plus grave des récessions depuis la crise ouverte de surproduction en 1967).
La capacité industrielle excédentaire, la baisse des taux d'investissement dans les pays avancés du bloc américain, la quasi-banqueroute des pays sous-développés de l'orbite occidentale, la faillite des différents plans quinquennaux dans le bloc russe, tous ces indices nous avaient amené alors à conclure que le capitalisme mondial était au bord d'un autre déclin de la production, de l'investissement et du commerce -plus aigu que les chutes de 1971-74- pour le début des années 80" ([1] [37]).
Dans le 3ème tome du Capital, Karl Marx met à nu le lien entre la baisse du Taux de profit et la saturation des marchés ([2] [38]). Que ce soit sous sa forme cyclique dans la phase ascendante, ou sous la forme de la crise historique qui caractérise la phase de décadence (et qui pose l'alternative: guerre impérialiste ou révolution prolétarienne), selon Marx, la crise du capitalisme éclate et se caractérise par trois manifestations principales liées entre elles : la surproduction des marchandises, la surproduction du capital, et la surproduction de la force de travail. Nous pouvons juger du bien-fondé de notre prévision de 1979 selon laquelle le capitalisme "est au bord d'une nouvelle catastrophe économique encore plus dévastatrice" ([3] [39]), en étudiant aujourd'hui les effets de la crise économique sur ces trois plans dans les grands pays industriels de l'Occident, ceux qui dominent l'économie mondiale.
LE MONDE OCCIDENTAL
Le ralentissement dans la croissance de la production industrielle ([4] [40]) qu'ont subi les pays de la C.E.E., le Japon, et les U.S.A. en 1979 s'est transformé aujourd'hui en une chute accentuée de la production industrielle dans le marché commun.
C'est en Grande-Bretagne qu'on voit le mieux la nature catastrophique de cet effondrement de la production : en Grande-Bretagne, la production manufacturière est tombée de 15% depuis 1979 pour arriver aujourd'hui au point le plus bas depuis 1967. On mesure l'étendue de la surproduction dans les industries-clé en observant le contrôle imposé par le Marché Commun sur la sidérurgie : la production sidérurgique, cette marchandise de base, baissera de 20% en Avril 1981 par rapport à 1979. La production automobile tombera de 10 à 12% cette année dans la C.E.E, pendant qu'en même temps les entreprises japonaises tentent de contrecarrer la saturation du marché mondial en faisant du dumping en Europe.
En Allemagne de l'Ouest, le plus grand secteur de la métallurgie, qui était responsable des excédents commerciaux de ce pays ces dernières années, a suivi la sidérurgie et l'automobile dans un déclin de la production.
Aux U.S.A, La stagnation de la production industrielle depuis 1979 est devenue une chute brusque en 1980. La petite amélioration à la fin de l'année 1980 s'est vite transformée en nouveau déclin, une récession "en deux temps" qui montre le seul genre de "relance" dont le capitalisme est capable aujourd'hui.
On voit l'ampleur du déclin de la production dans les industries-clé aux U.S.A par le fait qu'en février 1981 la production d'acier et de bois (la base de l'industrie de construction) était au même niveau qu'en 1967.
Seul le Japon, parmi les géants du bloc américain, a échappé à cette baisse de la production ([5] [41]). Mais les industries japonaises sont tellement dépendantes de l'exportation que la demande intérieure est incapable de contrecarrer le choc qui viendra, soit d'un protectionnisme de la part de ses partenaires commerciaux, soit d'une baisse du commerce mondial, ou des deux facteurs à la fois.
L'énorme surproduction de marchandises qui a produit ce déclin de la production industrielle, a déjà amené à une chute des investissements de capital, et le début d'un effondrement des profits dans la manufacture. En 1981, on s'attend à ce que les dépenses réelles en usines et équipements tombent de 2 à 3% en R.F.A, de 7% en Italie et de 10,25% en Grande-Bretagne. Aux U.SA, l'utilisation de la capacité industrielle a baissé et les investissements sont tombés en dessous du niveau nécessaire pour maintenir la compétitivité des, produits industriels américains.
De plus, les 4 milliards de dollars perdus par l'industrie automobile américaine en 1980 sont certainement le signe avant-coureur le plus spectaculaire de l'effondrement général des profits qui sera le résultat inévitable de cette surproduction de marchandises.
L'obstacle que constitue le marché mondial saturé le manque de demande solvable par rapport à la capa cité productive hyper-développée du capitalisme mondial , signifie, que, au niveau du capital global, tout effort pour contrebalancer la baisse du taux de profit par de nouveaux investissements en vue d'accroitre la productivité du capital, ne peut qu'exacerber la difficulté de réalisation de la masse de plus-value en venant ajouter aux stocks des marchandises invendables. Au fur et à mesure que la production industrielle baisse, une masse grandissante de capital non-utilisé, assoiffée de profit est jetée dans la spéculation. Il est possible que la surproduction du capital ait déjà jeté un million de milliards de dollars dans cette spéculation. C'est une véritable inondation de capital non-utilisé cherchant un placement rentable à court terme qui a fait continuellement augmenter le prix du pétrole, alors que la demande a baissé de 6% dans le bloc américain en 1980. L'agitation fébrile sur les marchés de l'or face à un déclin de la demande d'or pour l'industrie, a amené les spécialistes des métaux précieux à dire que "50% de la demande est aujourd'hui orientée vers la spéculation"([6] [42]). Le fiasco des frères Hunt dans leur tentative de monopoliser le marché de l'argent, le fait que les grandes sociétés mondiales ainsi que les institutions financières s'orientent de plus en plus vers le commerce des devises, témoignent de la recherche frénétique de profits à court terme de la part du capital inutilisé. En effet aujourd'hui, le prix des principales devises du monde est de plus en plus déterminé par les hauts et les bas des taux d'intérêts -dont les fluctuations font passer des milliards de dollars d'un pays à l'autre, presque du jour au lendemain. Cette vaste surproduction de capital a donné naissance à une énorme bulle de spéculation qui risque d'éclater avec des conséquences catastrophiques pour le capital mondial.
Avec la baisse de la production en 1980-81, le chômage a augmenté à un taux accéléré dans tous les pays industrialisés du bloc américain.
On voit les vraies dimensions de cette "population excédentaire" (Marx) qui est une des manifestations des plus cruelles de la crise économique du capitalisme, dans les prévisions de l'O.C.D.E selon lesquelles il y aura officiellement à la mi-81 23 MILLIONS DE CHOMEURS dans les pays industriels du bloc américain. En Hollande, il n'y a jamais eu autant de chômage depuis la fin de la 2ème guerre mondiale. A la mi-81, il y aura 3 millions de chômeurs en Angleterre, chiffres non atteints même pendant les années 30. En R.F.A, les économistes de la Commerzbank prévoient non seulement une augmentation du chômage qui atteindra le chiffre de 4,8% de la population active, mais aussi une augmentation du nombre d'ouvriers réduits au chômage partiel : de 130.000, ce chiffre passera à 520.000 ouvriers au travail partiel cette année. Les attaques racistes contre les ouvriers immigrés en France (orchestrées par le gouvernement et la gauche dans l'opposition), les projets d'entreprises géantes telles que la Fiat en Italie qui a annoncé 24000 licenciements, et Rhône-Poulenc en France qui projette une réduction de 25% de la force de travail qu'elle utilise, et qui cherchent encore à réduire leurs effectifs, sont les signes du destin tragique que le capital réserve à des millions d'ouvriers dans les années 80.
On doit ajouter à ces manifestations dévastatrices de la crise ouverte de surproduction (surproduction de marchandises, de capital et de la force de travail), une autre manifestation non moins dangereuse pour le capital : l'inflation galopante en même temps que l'effondrement de la production et des profits. Pris dans l'engrenage de la crise permanente, le capital a réagi en utilisant la drogue de l'inflation (création d'argent et de crédit) dans un effort désespéré pour contrebalancer le manque de demandes solvables dû à la saturation définitive du marché mondial. Ce gonflement continuel et délibéré de la masse d'argent en circulation a tellement accru les frais de production qu'il a contribué à accélérer la baisse du taux de profit et à accentuer les difficultés mêmes auxquelles il voulait remédier dans la production. Tandis que l'inflation avait baissé au cours des 3 précédentes récessions -1967, 1971 et 1974-75- l'inflation a grimpé davantage dans la récession actuelle
Dans les pays sous-développés d'Afrique, d'Asie et d'Amérique Latine qui produisent les matières premières vitales et constituent des marchés nécessaires pour le bloc américain, on a vu depuis 2 ans l'augmentation de la masse de sans-travail et des paysans réduits à la misère. Selon la Banque Mondiale (une des institutions grâce à laquelle l'impérialisme américain maintient sa mainmise sur ces trois continents), il y a aujourd'hui 800 millions d'êtres humains sous-alimentés qui subsistent dans des conditions de "misère absolue".
LES PAYS SOUS-DEVELOPPES
A part quelques pays producteurs de pétrole (et leurs dollars finissent dans les mains de producteurs d'armements de l'Occident ou dans les banques occidentales, les pays du "tiers-monde" sont réduits à la banqueroute par des déficits croissants des balances commerciales et de paiement, et aussi par des dettes extérieures écrasantes. Une dépendance absolue en ce qui concerne la nourriture qui est importée- le sinistre produit de la crise agricole permanente provoquée par le capitalisme- veut dire que les déficits globaux de ces pays ont encore augmenté allant de 12 milliards de dollars en 1973 à 82 en 1981. De plus, les emprunts continuels auprès des banques privées et publiques de l'Occident, en grande partie pour couvrir des dettes, ont donné comme résultats une dette extérieure astronomique : un total de 290 milliards de dollars pour l'ensemble de ces pays affamés.
Durant les deux dernières années, toute une série de pays, en commençant par le Zaïre, la Jamaïque et le Pérou, et en continuant avec la Turquie et plus récemment avec le Soudan et la Bolivie, ont sombré dans la banqueroute et ont dû demander une réorganisation des échéances- de leurs remboursements à leurs créditeurs impérialistes. Dans chacun des cas, la seule alternative à la faillite et à l'arrêt immédiat des importations a été d'accepter, sous une forme ou une autre, un contrôle "de facto" du F.M.I. - l'instrument principal de la domination de l'impérialisme américain sur les pays sous-développés de son bloc. Ce contrôle a généralement pris 3 formes complémentaires ;
1) La dévaluation des devises du pays débiteur, ce qui veut dire que pour la même somme d'argent les créditeurs peuvent prélever davantage de matières premières.
2) Des prix alimentaires plus élevés, ce qui signifie encore plus de famine dans ces pays.
3) Un blocage des salaires pour pouvoir extraire encore plus de plus-value de la population travailleuse afin de rembourser les dettes.
Avec un taux d'inflation de 7 à 15% et un déficit budgétaire de 11 milliards de dollars de l'année dernière, la Chine a suivi le chemin de tant d'autres pays arriérés du bloc américain jusqu'à aller au F.M.I quémander l'argent. Au cours de sa première année comme membre du F.M.I (ce qui a parachevé son intégration au sein du bloc U.S) la Chine a emprunté prés de 1,5 milliards de dollars. De plus, confirmant notre prévision de 1979 (qui disait que la Chine n'allait pas combler les espoirs des hommes d'affaires occidentaux et ne constitueraient pas un marché énorme dans lequel ils pourraient se débarrasser de leur surproduction), la Chine a déjà annulé ou "reporté" cette année des contrats d'investissements de capital avec des entreprises occidentales, qui se montaient à 3,5 milliards de dollars. La réduction de 13% des dépenses étatiques annoncée en Février montre que le régime de Pékin est officiellement embarqué sur le même chemin d'austérité draconienne que connait le reste du monde capitaliste.
L'exemple de la Pologne montre comment l'activité économique a été maintenu face à un marché mondial saturé et à une pénurie de capital. En 1971, la dette extérieure de la Pologne se montait à un minuscule 800 millions de dollars. En 1980 (juste avant la grève de masse en Août) elle atteignait 23,5 milliards de dollars-Déjà en 1979, la plus grande partie des emprunts servaient à rembourser les anciens, plutôt qu'à une expansion de la production. Par conséquent, même avant la grève de masse, 1'économie polonaise commençait à s'effondrer.
LE BLOC RUSSE
Dans le rapport sur "La crise et les conflits inter-impérialistes" de 1979, nous avons dit qu'une des manifestations les plus importantes de la crise économique dans le bloc russe était une pénurie chronique de capital. Pendant les années 70, le bloc russe a évité la baisse de production à laquelle cette pénurie de capital l'aurait condamné en empruntant massivement auprès des banques et des Etats occidentaux. Ce flot de capital-argent à l'Est (qui a financé l'importation de marchandises et de technologie occidentale) a permis la croissance des économies du bloc russe, bien qu'à un taux de croissance moindre qu'avant la crise ouverte de surproduction mondiale.
L'effondrement économique de la Pologne ne se distingue de la récession dans laquelle s'enfonce tout le bloc russe que par son acuité. La production russe a baissé de 3% en 1980 et la production dans les secteurs industriels-clé tel que le charbon et l'acier, les réacteurs nucléaires et l'électricité n'ont pas atteints, et de loin, les niveaux prévus dans le dernier plan quinquennal.
LE COMMERCE MONDIAL
Le déclin économique qui a atteint simultanément tous les secteurs du capital mondial -aussi bien les pays avancés et arriérés du bloc américain que l'ensemble du bloc russe, a déterminé un déclin constant et même plus rapide du taux de croissance du commerce mondial.
Une brève description de la façon dont le capital mondial a cherché à "se reprendre" de la récession de 1974-75, et de l'échec de sa tentative, est nécessaire pour démontrer pourquoi le commerce mondial est actuellement quasiment stagnant.
Deux stratagèmes économiques-clé ont été utilisés pour créer une reprise temporaire de l'activité économique. D'abord, les Etats-Unis sont devenus la "locomotive" de l'économie mondiale en créant un marché artificiel pour le reste de son bloc au moyen d'énormes déficits commerciaux.
Entre 1976 et 1980, les U.S.A ont acheté des marchandises à l'étranger pour 100 milliards de dollars, plus qu'ils n'en ont vendues. Seuls les U.S.A -parce que le dollar est la monnaie de réserve mondiale- pouvaient mettre en œuvre une telle politique sans qu'il soit nécessaire de dévaluer massivement sa monnaie. Ensuite, les U.S.A ont inondé le monde de dollars avec une expansion sans précédent du crédit sous forme de prêts aux pays sous-développés et au bloc russe (ces derniers essentiellement au moyen d'institutions financières existants en Europe). Cette masse de papier monnaie a temporairement créé une demande effective qui a permis au commerce mondial de continuer. L'actuelle banqueroute des pays sous-développés du bloc américain, qui les a amenés l'un après l'autre à se mettre sous la coupe de la dictature fiscale du F.M.I et à se soumettre à ses plans d'austérité pour éviter le pire, a déjà supprimé l'une des béquilles qui avait soutenu le commerce mondial durant ces dernières années. La réduction drastique des importations de ces pays -nécessaire si l'on s'attend à un train de banqueroutes et éventuellement à un coup mortel contre le système monétaire international- aura un effet catastrophique sur les géants industriels du monde : 55% des exportations de la C.E.E (pris comme un tout commercial), 46% des exportations du Japon, et 46% de celles des Etats Unis et du Canada trouvent actuellement leur débouché dans les pays sous-développés.
Cet effondrement des pays sous-développés en tant que marchés met en danger la moitié des exportations des pays industrialisés! Les risques économiques croissants que constitue la poursuite de prêts massifs au bloc russe, sont en train de retirer au commerce mondial une autre béquille qui l'a soutenu. Et pour finir, les Etats-Unis ont commencé à faire sérieusement marche arrière en vue de réduire leurs-propres déficits du commerce et des paiements, afin de prévenir une nouvelle et encore plus dévastatrice crise du dollar. Cependant, une telle politique de la part de la Maison. Blanche signifie que les Etats Unis ne peuvent plus jouer le rôle de locomotive de l'économie mondiale, un rôle qu'aucun autre pays ne pourra jouer à sa place.
La stagnation et l'irréversible déclin du commerce mondial qui va en résulter, auront des effets dévastateurs sur la production industrielle des Etats Unis, du Japon et de l'Europe où le marché intérieur est déjà -nous l'avons vu- sursaturé. Le Japon et l'Europe ont longtemps été dépendants de leurs exportations vers les Etats-Unis, les pays sous-développés et particulièrement pour l'Europe -le bloc russe, dans le développement de leur activité industrielle. Le capitalisme américain, longtemps protégé des vicissitudes du marché mondial par l'existence d'un énorme marché intérieur, est aujourd'hui à peine moins dépendant de ses exportations que les autres : les exportations atteignent maintenant le taux sans précédent de 20% de la production industrielle nationale.
C'est cette réalité d'un enfoncement économique mondial qui a amené des représentants de la bourgeoisie comme les auteurs du nouveau plan économique de 5 ans pour la France, à dire avec assurance "que demain sera pire qu'aujourd'hui". Les révolutionnaires marxistes (qui seuls peuvent comprendre pourquoi le cours de la crise économique mène le capitalisme à l'abîme), qui comprennent que cette CRISE HISTORIQUE a créé les conditions mêmes pour la destruction du capitalisme par le prolétariat, ne peuvent que dire de tout cœur :. Salut à la crise !
LA REPONSE DE LA BOURGEOISIE
Ayant tracé le cours de la crise économique, il nous faut maintenant examiner brièvement les politiques économiques que la classe capitaliste, dans chacun des blocs russe et américain, va tenter de mettre en place face au déclin général.
LE CAPITALISME D'ETAT
Dans le bloc américain, la crise économique accélère fortement la tendance au capitalisme d'Etat ([7] [43]). Le capitalisme d'Etat ne peut se réduire seulement à la nationalisation des moyens de production, qui n'est qu'une de ses manifestations. L'un des architectes du capitalisme d'Etat dans les années 30, Hjalman Schacht, premier conseiller économique d'Hitler a montré qu'en réalité, le principe fondamental du capitalisme d'Etat était : "l'Etat, gouvernail de l'économie". Dans le contexte de l'anarchie du marché mondial dont le seul régulateur est, en dernière instance, la loi de la valeur, c'est l'Etat qui guide la voie économique à chaque capital national ; on a pu voir clairement cela en France, sous le gouvernement de centre-droit de Giscard-Barre. L'Etat a sélectionné les industries "stratégiques" comme la force nucléaire, l'aérospatiale et les télécommunications, dans lesquelles il a prévu d'investir, ou de guider des investissements, en milliards de dollars, pendant qu'il décide, par ailleurs, de restreindre certaines industries traditionnelles comme la sidérurgie, la construction navale et le textile. Combinant les nationalisations, le financement par l'Etat, les plans indicatifs et les pressions politiques, l'Etat français a organisé des fusions (la réorganisation des industries d'aciers spéciaux, la centralisation de la construction mécanique de camions entre les mains de la firme nationalisée de Renault), créant de nouveaux groupes industriels (la formation d'un trust des télécommunications, commençant avec l'absorption de Hachette par Matra), et manœuvre pour éloigner les capitaux étrangers des secteurs clés de l'économie (l'absorption d'Empain-Schneider par Paribas).
Complétant ce processus d'organisation de chaque capital national en une seule unité économique, l'Etat capitaliste doit affronter le dilemme de la mise en place d'une politique monétaire et fiscale cohérente qui permette à l'économie de naviguer entre l'effondrement simultané de la production industrielle ET l'inflation galopante. Aujourd'hui, aucun pays occidental important n'envisage une politique réflationniste élaborée. Le spectre de l'hyperinflation et de l'effondrement définitif de la monnaie interdit la mise en place de programmes de travaux publics massifs tels qu'Hitler en Allemagne, le Front Populaire en France ou Roosevelt aux Etats-Unis ont pu en promouvoir dans les années 30, lorsque l'effondrement de la production avait entraîné avec lui une chute rapide des prix. Cependant l'alternative d'une politique déflationniste, si elle semble la seule issue pour prévenir 1'hyperinflation n'amènera ultérieurement qu'une diminution désastreuse de la production industrielle, des profits et des investissements (tout comme un chômage croissant). En Grande-Bretagne, où le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher a eu recours à une politique déflationniste (bien qu'avec des exceptions), les résultats ont été catastrophiques pour le capital : une diminution de la production industrielle de 15% depuis 1979 ; les principales "multinationales", comme GKN et LUCA, qui ont fait des profits même dans les mauvaises passes économiques de 67, 71 et 74-75, ont enregistré des pertes; les faillites ont augmenté de 50% en 1980 (pendant que le chômage croissait de 900 000 personnes rien qu'en un an). Cette désindustrialisation qui est en train de faire du cœur industriel de la Grande-Bretagne un désert, a également provoqué pour les finances une victoire à la Pyrrhus : le taux annuel d'inflation a baissé de 20% à un encore dangereux 13%. On ne devrait pas s'étonner que la Confédération de l’industrie Britannique (l'organe du capital industriel) ait désespérément demandé un renversement de la politique déflationniste de Thatcher au moyen d'un programme de réflation massif des investissements publics (routes, pipelines, énergie nucléaire, transport et communications) en vue de les sauver de la catastrophe.
LE "SUPPLY-SIDE ECONOMICS" L'ECONOMIE DE L'OFFRE
La banqueroute des politiques déflationnistes orthodoxes comme des politiques réflationnistes classiques, face aux attaques combinées de la surproduction et de l'inflation, a poussé a la recherche désespérée de "nouvelles" panacées économiques de la part de la bourgeoisie et de ses épigones intellectuels. La dernière de ces panacées est le "supply-side économies" ("économie de l'offre") qu'une importante partie de l'Administration Reagan aux Etats-Unis veut appliquer fermement. La base du "supply-side économies" c'est de croire que des réductions importantes des impôts (d'abord pour les affaires et pour les riches) produiront un tel accroissement des investissements et une augmentation conséquente de la production industrielle que les revenus du gouvernement augmenteront et qu'il pourra atteindre l'équilibre de son budget. La fausseté de ce "raisonnement" se révélera vite si les 54 milliards de dollars de réduction des impôts sont vraiment mis en œuvre sans modification et sans restriction drastique des budgets que les déflationnistes, qui dirigent le "treasury and fédéral reserve Board" (ministère des finances et banques d'Amérique) demandent ; les réductions sur les impôts n'iront pas en investissements dans de nouvelles usines ou affaires productives, à une époque où il y a déjà une surproduction démesurée de capital. Ces milliards soutiendront plutôt la spéculation, avançant ainsi sur le chemin, de l'effondrement de la valeur monétaire nominale, ou bien ils permettront un boom à court terme de la consommation improductive chez les riches, ce qui développera encore l'inflation qui ravage l'économie. Plus encore, derrière la rhétorique d'extrême-droite de ses partisans, le "supply-side économies" n'est qu'une variante du keynésianisme qui a dominé l'économie mondiale depuis les années 30. Les projets de travaux publics du keynésianisme traditionnel comme les réductions d'impôts du "supply-side économies" cherchent tous deux vainement à compenser le manque chronique de demande solvable par rapport à la masse de marchandises que vomit un appareil industriel hyper-développé. Et, dans un monde marqué par l'inflation galopante, toute tentative de cette sorte de compenser le manque de demande par des déficits budgétaires, risque de pousser le capitalisme vers l'abîme.
L'ATTAQUE CONTRE LES CONDITIONS DE VIE DE LA CLASSE OUVRIERE
Plus les coups dévastateurs de la crise mondiale détruisent la possibilité même de poursuivre une politique économique cohérente, plus la bourgeoisie doit se livrer à un assaut direct contre les conditions de vie du prolétariat comme première réaction à une réalité objective qui échappe à son contrôle. En tentant de modifier de façon drastique le rapport entre les salaires et la plus-value, la bourgeoisie ne peut résoudre le problème de la surproduction globale qui empêche la reprise, quel que puisse être le taux de profit ; cependant une telle politique -si elle réussit - peut accroître la compétitivité d'un capital national aux dépens de ses rivaux. Ceci a amené une double offensive de la part du capital. Premièrement contre 1'emploi : des réductions drastiques de la force de travail employée et leurs conséquences : la "rationalisation" et l'augmentation des cadences pour les ouvriers qui restent, sont vitales pour chaque entreprise (bien que l'augmentation du chômage ne fasse qu'exacerber les difficultés de chaque économie nationale prise comme un tout). En Grande-Bretagne, par exemple, GKN a diminué de 27% la force de travail qu'elle employait, dans les 15 derniers mois, pendant que British Steel licenciait 60 000 ouvriers et prévoyait 20 000 licenciements de plus. Deuxièmement contre les salaires : en Belgique, les syndicats et les patrons, sous l'impulsion du gouvernement, ont signé un pacte de deux ans sur les salaires en février, et le gouvernement a proposé depuis de supprimer l'indexation des salaires (qui s'accroissent sous la poussée de l'inflation) ainsi qu'une réduction de 10% des salaires des ouvriers dont les entreprises reçoivent une aide financière de 1'Etat-La stabilité économique des pays du bloc américain est maintenant complètement dépendante du succès de cette offensive contre le prolétariat.
LE BLOC DE L'EST
La situation économique du bloc russe est encore plus désespérée que celle des pays du bloc américain. Les effets cumulatifs de la pénurie chronique de capital, les obstacles croissants auij prêts venant de l'Ouest, avec lesquels le bloc russe peut se munir de la technologie qui lui manque, le marché toujours chancelant pour ses exportations, se sont combinés pour mettre fin au "socialisme du Goulash" avec lequel Kroutchev d'abord, Brejnev ensuite ont cherché à contenir des explosions de lutte de classe que la mort de Staline avait rendues possibles. Dans tout le bloc, une austérité draconienne et un nouvel assaut direct contre les conditions de vie et de travail misérables du prolétariat constituent la seule base du nouveau plan quinquennal adopté au 26ëme Congrès du Parti Communiste (sic!) Russe cette année. Dans son rapport au congrès, Brejnev a dit que la Russie "fera plus, tout en utilisant! Moins de ressources, dans la production" avec le plan de 1981-85. C'était la reconnaissance voilée d'une pénurie de capital. L'orientation vers des méthodes de travail plus intensives n'était plus selon Brejnev une question "de choix, mais de nécessité". L'effort pour accroître la productivité de 17 à 20% dans les cinq prochaines années, avec moins de capital investi que dans les cinq précédentes, ne peut que vouloir dire que, non pas la productivité (qui dépend du capital constant), mais l'intensité du travail doit s'accroître. Donc le rapport de Brejnev annonçait que l'économie russe devra de plus en plus dépendre de l'extraction de la plus-value absolue plutôt que de la plus-value relative -précisément la même orientation qu'a dû prendre le bloc américain. A l'Est aussi, l'existence même du régime capitaliste dépend du succès de la bureaucratie dans son attaque contre la classe ouvrière.
LES ANTAGONISMES INTER-IMPERIALISTES
Au fur et à mesure que la courbe de la crise économique se prolonge et s'amplifie, elle intensifie les antagonismes inter-impérialistes jusqu’au point de rupture. Il y a un lien direct et immédiat entre l'approfondissement de la crise économique mondiale et les affrontements entre les blocs impérialistes. Pour le capital, il n'y a qu'une "solution" à sa crise historique : la guerre impérialiste mondiale. Plus vite les différents palliatifs prouvent leur futilité, plus délibérément chaque bloc impérialiste doit se préparer à un repartage violent du marché mondial.
La présidence de Reagan correspond à une nouvelle détermination de la bourgeoisie américaine d'assurer une position belliqueuse croissante dans le monde. Derrière cette agressivité grandissante, c'est la reconnaissance de plus en plus claire par la bourgeoisie que la guerre avec la Russie est la seule option réelle -un point de vue qui n'est pas exprimé habituellement de façon aussi ouverte que l'a fait Richard Pipes, le spécialiste russe au Conseil national de sécurité, lorsqu'il a dit en mars que la guerre était inévitable si les russes n'abandonnaient pas le "communisme". La stratégie qui se dégage des cercles dirigeants de l'impérialisme américain n'est plus simplement basée sur le point de vue que l'ennemi russe ne doit pas sortir de son cadre euro-asiatique : aujourd'hui, la conviction va croissant, et au Pentagone et à Wall Streets, qu'après avoir établi sa domination militaire jusqu'aux rives de l'Elbe après deux guerres mondiales, l'Amérique doit maintenant achever son œuvre et étendre son hégémonie au-delà de l'Oural. Telle est la signification réelle de la détermination de l'Administration Reagan d'accroître ses dépenses militaires de 1% chaque année en termes réels (ce qui veut dire plus d'un tiers du budget fédéral). Les 200 000 hommes de la force d'intervention rapide, le renforcement des bases au Moyen-Orient (y inclus les installations ultramodernes du Sinaï que les américains espèrent reprendre lorsque Israël se retirera l'année prochaine), le nouveau "consensus stratégique" que le secrétaire d'Etat Haig est en train de forger dans cette région, de la Palestine à l'Egypte (et de façon significative en Irak), le projet d'une force navale de 600 bateaux pour 1990 et le nouveau bombardier pour l'Air Force, constituent autant de préparatifs directs pour une offensive guerrière dans les années à venir.
Pendant que l'équilibre entre les blocs américain et russe a continué de pencher en faveur de Washington (l'armée russe est bloquée en Afghanistan, le surgissement de la classe ouvrière en Pologne peut encore forcer le Kremlin à tenter d'écraser le prolétariat ce qui, même si il y arrive, nécessiterait une immense armée d'occupation et des problèmes pour le Pacte de Varsovie), cela ne veut pas dire que l'impérialisme russe va adopter désormais une stratégie défensive. Comme on l'a mis en évidence dans le rapport du 3ème congrès du CCI, le bloc russe, plus faible économiquement ne peut espérer contrecarrer la domination industrielle américaine qu'en gagnant l'infrastructure industrielle de l'Europe ou du Japon. La stratégie russe qui recherche la domination sur le Moyen-Orient riche en pétrole, a comme premier but, de rendre l'Europe et le Japon aussi dépendants de Moscou pour s'approvisionner en pétrole nécessaire à leur industrie, qu'ils le sont actuellement des Etats-Unis, et donc, de les détacher du bloc américain.
La belliquosité croissante des USA ne peut qu'accroître la peur du Kremlin de perdre au Moyen-Orient alors qu'il y a encore des chances de succès. Il faut encore ajouter à cela un autre facteur qui pousse l'impérialisme russe sur le chemin de l'aventure militaire : la pénurie de capital avec lequel il pourrait développer ses ressources en pétrole de Sibérie, signifie qu'à la fois son industrie de guerre et sa capacité à contrôler le bloc en lui fournissant cette ressource vitale, courront vite des risques -tout cela ne peut qu'intensifier la pression pour gagner les champs de pétrole arabes dans les années a venir.
La poursuite de ces stratégies guerrières par l'impérialisme russe et américain, dépend de la consolidation et du renforcement de leurs blocs respectifs. Cependant, l'approfondissement même de la crise qui pousse l'impérialisme américain à faire des plans plus directs en vue de la guerre, crée également des tiraillements au sein de l'Alliance occidentale. L'offensive japonaise d'exportations massives qui a provoqué un déficit du commerce de la C.E.E. avec Tokyo de 115 milliards de dollars, et un déficit du commerce américain avec le Japon de 122 milliards de dollars en 1980, a provoqué un sentiment protectionniste croissant de la part de puissantes fractions de la bourgeoisie en Europe et aux Etats-Unis. Pendant que les Etats-Unis s'orientaient rapidement vers l'affirmation de leur cohésion en tant que bloc, à travers une pression sur le Japon pour qu'il limite "volontairement" ses exportations et supprime ses propres barrières contre les importations et l'investissement étranger, les demandes de protectionnisme (et même d'autarcie) de la part des fractions bourgeoises en Europe constituent un danger croissant auquel Washington doit répondre.
Pendant que la France et la Grande-Bretagne soutenaient résolument les Etats-Unis dans leur position de plus en plus agressive vis à vis des russes, la pression américaine sur l'Europe pour réduire ses liens commerciaux avec le bloc russe et pour revoir sa participation au projet de construction d'un pipe-line de gaz naturel venant de Sibérie, a amené une résistance croissante, surtout de la part de l'Allemagne de l'Ouest. L'Europe et la Russie constituent l'un des quelques marches où le capital allemand (et plus généralement, le capital européen) ne rencontre pas de concurrence aiguë de la part du Japon et des U.S.A. La limitation des liens économiques et commerciaux avec la Russie, que sous-entend la stratégie américaine, réduira considérablement le faible degré d'autonomie qu'a acquis le capital allemand depuis la seconde guerre mondiale. A ces considérations économiques, il faut ajouter que d'importantes parties de la bourgeoisie européenne hésitent encore à accepter toutes les conséquences de la stratégie que Washington veut imposer (les bases de missiles Pershing II en Europe) parce qu'une guerre transformerait immédiatement l'Europe en champ de bataille. Néanmoins, et dans la mesure où ces hésitations ne sont pas une simple façade pour dévoyer le prolétariat de son terrain de classe, ou un écran derrière lequel se cachent des fractions de la bourgeoisie pro-Moscou, elles laisseront en dernière instance la place à 1'impérieuse nécessité de renforcer le bloc dans la préparation à la guerre.
Comme l'impérialisme russe évolue vers le renforcement de son bloc, il rencontre de la résistance de la part de certaines bureaucraties à l'Est. Les bureaucraties roumaines et hongroises, en particulier, sont peu tentées de risquer leurs propres liens économiques et commerciaux complexes avec l'Europe occidentale, dans la mesure où c'est seulement à travers ces liens qu'elles ont acquis un peu d'autonomie vis à vis de Moscou. Néanmoins, la dépendance croissante vis à vis des prêts russes (car ces pays atteignent les limites de leurs crédits à l'Ouest), leur dépendance pour les matières premières, et la doctrine "pure" de Brejnev prévaudront en dernière instance sur les hésitations des petits Staline...
Si la courbe de la crise économique mène inexorablement la bourgeoisie vers la guerre impérialiste, l'issue de la crise historique n'est pas déterminée par le cours de la crise économique seulement. C'est l'intersection entre la courbe de la crise économique et la COURBE DE LA LUTTE DE CLASSES qui détermine si la crise historique se terminera en guerre mondiale ou en REVOLUTION PROLETARIENNE. Si la courbe ascendante de la crise économique croise une courbe descendante de la lutte de classes (comme dans les années 30), la guerre impérialiste est inévitable. Si, cependant, la courbe de la crise économique croise une courbe ascendante de la lutte de classe, alors la voie à la guerre est barrée et un cours historique vers LA GUERRE DE"CLASSE entre la bourgeoisie et le prolétariat est à l'ordre du jour. Le cours ascendant actuel de la lutte de classes constitue aujourd'hui la véritable clé de la situation internationale. La menace du prolétariat détermine de façon croissante les actes de la classe capitaliste, partout, dans le monde entier. Le vaste arsenal d'armes avec lequel les classes capitalistes des deux blocs se sont armées pour une guerre inter-impérialiste est maintenant préparé en vue d'une guerre de classe. Le renforcement des blocs, qui constitue une pré-condition pour la guerre contre le bloc rival, est aujourd'hui également une préparation immédiate et directe pour confronter le prolétariat où qu'il soit, qui est en train de mettre en cause la domination du capital.
[1] [44] Revue Internationale n° 18, p.9.
[2] [45] Le fait que Marx n'ait pas pu écrire les tomes sur le "commerce extérieur" et le "marché mondial", éléments de sa vaste analyse du "système économique bourgeois" fait que son analyse se présente de façon unilatérale ayant comme axe la suraccumulation du capital due à la baisse du taux de profit Aujourd'hui, en se basant sur les analyses de Marx lui-même dans " Le Capital" et "Les théories de la Plus-value", il revient au marxisme révolutionnaire de clarifier l'interaction complexe entre la surproduction de capital et la surproduction de marchandises. Seule une compréhension correcte de la tendance imminente du capitalisme à saturer le marché mondial rend cette tâche possible.
[3] [46] Revue Internationale n° 18, p.3.
[4] [47] Bien que les statistiques officielles et officieuses soient truquées dans les pays et ne traduisent pas la réalité de l'économie, les chiffres pour la production industrielle correspond mieux au vrai niveau de 1'activité économique que les chiffres du PNB dans lequel -entre autre- la distinction entre travail productif et non-productif (essentielle pour comprendre la situation réelle d'une économie capitaliste) est complètement escamotée.
[5] [48] Une baisse de 2,6% de la production industrielle pendant l'automne 1980 a été vite suivie d'un dumping massif sur les marchés extérieurs (essentiellement les USA. et la CEE) qui continue toujours.
[6] [49] "New York Times", International Economie Survey, 8 février 81.
[7] [50] Dans le bloc russe, en partie à. cause de l'expropriation des capitalistes privés par la révolution prolétarienne de 17-18, en partie comme résultat de l'arriération économique qui a rendu la nationalisation des moyens de production absolument vitale si le capitalisme voulait survivre et poursuivre une politique impérialiste, le capital "privé" a été éliminé.
1) En juin 1979, le Sème congrès du CCI affirmait :
"Dans la période qui vient, nous allons assister à un nouvel approfondissement de la avise mondiale du capitalisme sous forme, notamment d'une nouvelle flambée d'inflation et d'un ralentissement sensible de la production qui risque de faire oublier celui de 1974-75 et provoquera une aggravation brutale du chômage". (Résolution sur la situation internationale)
Nullement basée sur une prophétie mystique mais bien sur l'application de la théorie marxiste aux conditions actuelles de vie de la société et sur une analyse de la faillite inévitable des palliatifs usés par le capitalisme pour tenter de sortir de l'effondrement des années 74-75, cette prévision s'est trouvée confirmée ces deux dernières années. La situation présente illustre bien ce que le CCI a toujours dit de la nature de la crise : qu'il s'agit d'une crise générale de surproduction qui s'exprime, dans les métropoles du capitalisme, par une surproduction de marchandises, de capital et de force de travail.
2) La surproduction de marchandises trouve sa manifestation dans la chute de la production industrielle qui atteint des sommets avec un pays comme la Grande-Bretagne (- 15% entre 1979-80) mais frappe également de façon violente des puissances comme l'Allemagne Fédérale (où, après la sidérurgie et l'automobile, c'est un secteur aussi décisif pour ce pays que la métallurgie qui est en recul), et comme les USA, où une récession en deux temps (phénomène qui illustre la vanité croissante des politiques de "reprise") a provoqué un recul de la production à acier à son niveau de 1967 et de celle d'automobiles à un niveau encore inférieur à celui de cette date là. Seul, le Japon, grâce à son exceptionnelle productivité dans ces secteurs a échappé pour le moment à un tel sort; ceci n'est que partie remise, compte-tenu du développement du protectionnisme à son égard et de la poursuite du déclin des capacités d'absorption de ses marchés aux USA et en Europe occidentale.
3) Le recul de la production industrielle a provoqué et tendra à provoquer de plus en plus une chute des investissements et des profits. En une année (79-80), on a assisté à des baisses de 3% pour la RFA, 7% pour l'Italie, 10,25% pour la Grande- Bretagne dans les dépenses en usines et équipements industriels. Quant à la chute des profits, elle s'est illustrée de façon spectaculaire par des pertes de 4 milliards de dollars dans l'industrie automobile aux USA en 1980.
La tentative mise en évidence par Marx dans "Le Capital" de contrecarrer la baisse du taux de profit par une augmentation de la masse de plus-value se heurte à la saturation croissante des marchés. Plutôt que de s'investir dans une production pour laquelle on sait ne pouvoir trouver d'acquéreurs solvables, les capitaux existants se jettent dans la spéculation ce qui explique notamment les flambées sur le prix de l'or et la hausse des prix du pétrole alors que la consommation de ce bien est en baisse. Ce sont ainsi plus de 1000 milliards de dollars de capitaux "flottants" qui se meuvent dans le monde au gré des fluctuations des prix des matières premières, des devises et des taux d'intérêt et qui, dans leur recherche au jour le jour de placements rentables sont complètement stérilisés pour le développement de la production.
4} La surproduction de capital et de marchandise s’accompagne, notamment dans les pays occidentaux, d'une surproduction de la marchandise-force de travail. En deux ans, ce sont 5 millions de chômeurs supplémentaires qui sont venus rejoindre, dans les seuls pays avancés de l'OCDE, l'armée déjà immense des sans-travail jusqu'à atteindre 23 millions à la mi-81. A ceux qui s'obstinent à vouloir trouver des différences de nature entre la crise des années 30 et la crise présente, les chiffres sont en train d'apporter un démenti cinglant : avec 3 millions de chômeurs à la mi-81, la Grande-Bretagne a d'ores et déjà dépassé les chiffres d'avant-guerre et bien d'autres pays d'Europe sont en passe de battre à leur tour ce type de record avec des taux de chômage dépassant les 10% de la population active.
5) Résultant de l'effort désespéré pour contre balancer le manque de demande solvable par la création de crédit et de monnaie, l'inflation s'est maintenue à des taux élevés malgré la récession présente, contrairement à 67, 71 et 74-75 où le recul de la production s'était accompagné d'un certain recul du taux de hausse des prix. Ainsi se trouve confirmée la gravité croissante de la crise, qui ne peut plus naviguer entre l'inflation et la récession mais se manifeste simultanément sous ces deux formes. Se trouve ainsi confirmé l'échec patent de la politique qui avait permis une certaine "reprise" après la récession de 74-75 : la mise en œuvre d’énormes déficits tant budgétaires que commerciaux par les USA à qui était dévolu le rôle de "locomotive" de l'économie mondiale. Seul ce pays, par son importance économique et parce que sa monnaie est la principale monnaie de réserve, pouvait jouer un tel rôle. Mais ce rôle ne pouvait être que de courte durée car, véritable fuite en avant basée sur un simple fonctionnement accéléré de la planche à billets verts, ce mécanisme qui avait permis la "reprise" ne faisait qu'accélérer l'inflation tant aux USA que dans le monde et qu'accumuler les risques d'explosion de tout l'édifice monétaire international et, avec lui, de toute l'économie mondiale. C'est une béquille importante du commerce mondial qui se casse avec l'incapacité pour les USA de poursuivre leur rôle de locomotive.
6) Cette aggravation sans précédent de la crise économique ne touche donc pas seulement les pays occidentaux les plus industrialisés. Un des événements les plus significatifs de ces dernières années a été l'effondrement définitif du mythe des pays dits "socialistes", pouvant échapper à la crise générale du système. La grève de masse en Pologne a ouvert les yeux du monde entier sur la faillite économique et le caractère capitaliste des pays de l'Est. Ces pays, dépendants d'une puissance impérialiste - la Russie- arrivé trop tard sur l'arène d'un marché mondial déjà dominé par un capitalisme en déclin, ont depuis des décennies subi le poids de leur faiblesse concurrentielle vis à vis des pays les plus industrialisés du bloc occidental, et n'ont d'autre recours que de s'engager totalement dans l'économie de guerre en vue d'une domination militaire de l'ensemble da bloc impérialiste sur des zones de conquêtes. Cette situation a engendré une stérilisation des capitaux dans des secteurs improductifs ou non rentables, qui traduit une même incapacité a utiliser les forces productives que celle qui caractérise les pays plus industrialisés, mais avec des conséquences bien plus tragiques dans la mesure où ces pays tendent à être toujours perdants sur le marché mondial. Pendant les années 70, le bloc russe, acculé par cette pénurie relative de capital vis-à-vis des pays plus forts économiquement, n'a reculé la baisse de la production à laquelle le retour de la crise mondiale le condamnait qu'en empruntant massivement auprès des banques et Etats occidentaux. Ainsi, le maintien à flot de ces économies s'est effectué au prix d'un endettement colossal, qui les place dans une situation semblable à celle des pays du "tiers-monde" :
- la dette extérieure d'un pays comme la Pologne est passée de 800 millions de dollars en 1971, à 23,5 milliards de dollars en 1980, faisant un bond de près de 10 milliards de dollars ces deux dernières années ;
- le déficit annuel global des pays du "tiers-monde", est passé de 12 milliards de dollars en 1973, a 82 milliards de dollars en 1981 pour porter le total des dettes de ces pays à 290 milliards de dollars.
Cet endettement ne peut plus se poursuivre à ce rythme dans la mesure où :
- les marchandises produites grâce aux investissements réalisés dans ces pays trouvent de plus en plus difficilement à se vendre et quand elles le peuvent, c'est au détriment des marchandises produites par les pays bailleurs de fonds ;
- le simple paiement des intérêts absorbe une part croissante des exportations de ces pays (souvent plus de la moitié), de même qu'il ne peut être effectué que par de nouveaux endettements, ce qui met en péril les organismes financiers préteurs qui ont de moins en moins de perspectives d'être un jour remboursés.
Malgré les besoins immenses existant dans ces pays, leur capacité d'absorption des marchandises jetées sur le marché mondial s'amenuise donc de plus en plus, avec ses conséquences catastrophiques :
- la prise en charge par le FMI de l'économie des pays arriérés de son bloc qui tend à réduire encore plus leur consommation (dévaluation de leurs devises, blocage des salaires ouvriers) ;
- les réductions drastiques des dépenses d'Etat de la Chine (- 13% en 1980), l'annulation ou le report de 3,5 milliards de dollars de commandes faites par ce pays à l'étranger ;
- les difficultés économiques inextricables des pays du bloc russe (incapacité générale à atteindre les objectifs pourtant modestes du plan) qui auront de moins en moins de quoi échanger avec l'Occident.
7) Ainsi se sont trouvées épuisées en quelques années les recettes ("locomotive" américaine, endettement des pays sous-développés) qui avaient permis une certaine reprise de l'activité économique après 1976. Ces recettes-miracles dont la bourgeoisie faisait grand cas, se sont révélées en fin de compte pires que le mal dans la mesure où elles ne constituaient qu'une simple fuite en avant. Et ce n'est pas la nouvelle panacée baptisée "économie de l'offre" (chère aux Reagan et Thatcher) qui sera en mesure de changer quoi que ce soit : le fait d'alléger la fiscalité pesant sur le capital risque de ne pas avoir d'autre effet que de jeter les capitaux ainsi dégagés dans la spéculation et non dans les investissements productifs pour lesquels, de toute façon, les marchés sont saturés.
Une telle politique ne peut avoir d'autre objectif que de réduire massivement le coût de la fore de travail (à travers de nouvelles mises au chômage et baisses du salaire), ce qui pourra permettre une amélioration de la compétitivité commerciale des pays qui la mettent en œuvre, mais au détriment des autres pays et sans bénéfice aucun pour le marché mondial dont les capacités d'absorption iront de toute façon en s'amenuisant.
8) A l'aube des années 80, le capitalisme mondial se trouve donc confronté à une impasse économique totale. Les illusions que la bourgeoisie a pu avoir et véhiculer dans les années 70 sur une possible "reprise", "sortie du tunnel", se sont effondrées tant pour elle-même que pour l'ensemble de la société. Les années 80 se présentent donc comme les "années de vérité" : celles où se posera a la société avec toute son acuité l'alternative historique définie par l'Internationale Communiste ; "guerre impérialiste mondiale ou guerre de classe".
L'année 1980 a résumé de façon claire à la fois cette alternative, et à la fois la tendance qui domine cette alternative : le cours vers l'intensification de la lutte de classe entravant les tendances guerrières de la bourgeoisie. Si sa première moitié est dominée par une aggravation très sensible des tensions impérialistes à la suite de l'invasion de l'Afghanistan par l'URSS, sa deuxième moitié les relègue au second plan et est au contraire dominée par 1 riposte de la classe ouvrière a la misère crois santé que lui impose la crise capitaliste et qui a trouvé son expression la plus haute dans les formidables combats de Pologne.
9) Tant que la révolution prolétarienne ne l'au pas balayé, le capitalisme ne cessera de fourbi ses préparatifs en vue d'un nouvel holocauste mondial. Ainsi, on assiste aujourd'hui à une nouvelle escalade dans ces préparatifs, notamment à travers une augmentation considérable des dépenses d'armement qui n'ont nullement une fonction de relance de l'économie, mais bien et uniquement de renforce ment des positions militaires de chaque bloc comme conséquence :
- de la préparation de la guerre ;
- du renforcement de la concurrence inter impérialiste ;
- de la mise au pas de toute la société.
Bien que l'approfondissement de la crise économique puisse provoquer des déchirements politiques au sein de certaines bourgeoisies nationales, affaiblissant leur participation à l'unité et la solidarité de leur bloc, les préparatifs se poursuivent également sur le plan du renforcement politique des blocs en vue de leur affrontement : les velléités d'indépendance de quelques pays basées sur des intérêts économiques et politiques particuliers (commerce avec le bloc de l'Est pour la RFA, "indépendance" de la Roumanie à l'égard de l'URSS) ou sur la réticence à se trouver en 1ère ligne d'un éventuel conflit (réserves à l'égard des fusées Pershing II) devront de plus en plus céder la place à une solidarité sans arrière-pensée derrière leurs chefs de file respectifs seuls capables de garantir leur sécurité militaire et la survie de leur économie.
10) L'élection de Reagan à la tête de la 1ère puissance mondiale s'inscrit dans cette orientation de chaque bloc vers encore plus de préparatifs politiques d'une confrontation généralisée. Mais elle n'a pas cette seule fonction ; elle s'inscrit également et encore plus dans le cadre de l'offensive présente de la bourgeoisie contre le prolétariat mise en œuvre par des gouvernements de plus en plus "forts" et "muscles", qui ont remplacé le "langage des illusions" du passé par celui de "la vérité". Car, si d'un côté la crise pousse de plus en plus la bourgeoisie vers la guerre généralisée, elle pousse également son ennemi mortel, le prolétariat, vers le développement de ses combats de classe.
Le seul fait que la guerre mondiale n'ait pas encore eu lieu alors que ses conditions objectives et ses préparatifs militaro-stratégiques sont plus que mûrs, démontre la force de l'obstacle que représente aujourd'hui la combativité prolétarienne face au jeu de l'impérialisme. Si l'aggravation de la crise ne pourra qu'attiser de plus en plus les antagonismes entre Etats capitalistes, le développement de la lutte de classe, comme l'ont mis en évidence les événements de Pologne, contraindra de plus en plus ces Etats à reporter une partie croissante de leurs forces vers le front principal, celui qui menace leur existence même, et les obligera à manifester leur solidarité jamais démentie dans l'histoire face au prolétariat.
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/courant-communiste-international
[2] https://fr.internationalism.org/rinte26/pologne.htm#_ftn1
[3] https://fr.internationalism.org/rinte26/pologne.htm#_ftn2
[4] https://fr.internationalism.org/rinte26/pologne.htm#_ftn3
[5] https://fr.internationalism.org/rinte26/pologne.htm#_ftn4
[6] https://fr.internationalism.org/rinte26/pologne.htm#_ftn5
[7] https://fr.internationalism.org/rinte26/pologne.htm#_ftn6
[8] https://fr.internationalism.org/rinte26/pologne.htm#_ftn7
[9] https://fr.internationalism.org/rinte26/pologne.htm#_ftn8
[10] https://fr.internationalism.org/rinte26/pologne.htm#_ftnref1
[11] https://fr.internationalism.org/rinte26/pologne.htm#_ftnref2
[12] https://fr.internationalism.org/rinte26/pologne.htm#_ftnref3
[13] https://fr.internationalism.org/rinte26/pologne.htm#_ftnref4
[14] https://fr.internationalism.org/rinte26/pologne.htm#_ftnref5
[15] https://fr.internationalism.org/rinte26/pologne.htm#_ftnref6
[16] https://fr.internationalism.org/rinte26/pologne.htm#_ftnref7
[17] https://fr.internationalism.org/rinte26/pologne.htm#_ftnref8
[18] https://fr.internationalism.org/tag/5/48/pologne
[19] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/luttes-classe
[20] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/lutte-proletarienne
[21] https://fr.internationalism.org/rinte26/generalisation.htm#_ftn1
[22] https://fr.internationalism.org/rinte26/generalisation.htm#_ftn2
[23] https://fr.internationalism.org/rinte26/generalisation.htm#_ftn3
[24] https://fr.internationalism.org/rinte26/generalisation.htm#_ftn4
[25] https://fr.internationalism.org/rinte26/generalisation.htm#_ftn5
[26] https://fr.internationalism.org/rinte26/generalisation.htm#_ftn6
[27] https://fr.internationalism.org/rinte26/generalisation.htm#_ftnref1
[28] https://fr.internationalism.org/rinte26/generalisation.htm#_ftnref2
[29] https://fr.internationalism.org/rinte26/generalisation.htm#_ftnref3
[30] https://fr.internationalism.org/rinte26/generalisation.htm#_ftnref4
[31] https://fr.internationalism.org/rinte26/generalisation.htm#_ftnref5
[32] https://fr.internationalism.org/rinte26/generalisation.htm#_ftnref6
[33] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/cours-historique
[34] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/resolutions-congres
[35] https://fr.internationalism.org/rinte26/contre-reso.htm#_ftn1
[36] https://fr.internationalism.org/rinte26/contre-reso.htm#_ftnref1
[37] https://fr.internationalism.org/rinte26/crise.htm#_ftn1
[38] https://fr.internationalism.org/rinte26/crise.htm#_ftn2
[39] https://fr.internationalism.org/rinte26/crise.htm#_ftn3
[40] https://fr.internationalism.org/rinte26/crise.htm#_ftn4
[41] https://fr.internationalism.org/rinte26/crise.htm#_ftn5
[42] https://fr.internationalism.org/rinte26/crise.htm#_ftn6
[43] https://fr.internationalism.org/rinte26/crise.htm#_ftn7
[44] https://fr.internationalism.org/rinte26/crise.htm#_ftnref1
[45] https://fr.internationalism.org/rinte26/crise.htm#_ftnref2
[46] https://fr.internationalism.org/rinte26/crise.htm#_ftnref3
[47] https://fr.internationalism.org/rinte26/crise.htm#_ftnref4
[48] https://fr.internationalism.org/rinte26/crise.htm#_ftnref5
[49] https://fr.internationalism.org/rinte26/crise.htm#_ftnref6
[50] https://fr.internationalism.org/rinte26/crise.htm#_ftnref7
[51] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/crise-economique
[52] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/imperialisme