Le Courant communiste international a tenu récemment son 14° congrès. Nous publions plus loin un article présentant les travaux et les enjeux de ce congrès. Celui-ci a adopté une résolution sur la situation internationale qu'on trouvera ci-dessous.
Cette résolution n'a pas pour vocation centrale de se prononcer sur les développements immédiats de cette situation mais de donner un cadre, le plus général et profond possible, pour la compréhension de ces développements. De plus, ce document a été rédigé il y a plus de deux mois et il ne pouvait pas intégrer les événements qui se sont produits dans un passé plus récent. Cela dit, comme nous le verrons, ces événements sont venus illustrer de façon claire l'analyse qui est donnée dans la résolution. Par ailleurs, celle-ci est complétée et illustrée par des extraits du rapport sur la crise économique présenté au congrès. ([1] [1])
La résolution sur la situation internationale du 14° congrès du CCI comporte trois volets : sur la situation économique du capitalisme, sur les conflits impérialistes et sur l'état de la lutte de classe.
Dans la partie intitulée "La lente agonie de l'économie capitaliste", la résolution signale que : « le boom [de l'économie américaine au cours des années 1990] est maintenant du passe et on parle de plus en plus d'un basculement des Etats-Unis vers la récession. Non seulement les « compagnies.com », mais de larges secteurs de la production ont de grandes difficultés ».
En dépit de ces signes alarmants la bourgeoisie continue de parler de boom.su particuliers en GrandeBretagne, en France, en Irlande... mais ce n'est en fait que pour se rassurer elle même.
Etant donné que les autres pays industriels dépendent étroitement de leurs investissements aux USA, la fin évidente des «dix années de croissance des Etats-Unis ne peut manquer d'avoir de sérieuses répercussions à travers le monde industrialisé. »
Cette prévision n'a pas tardé à se vérifier puisqu'on assisté ces derniers mois à une cascade de "profit warnings" (annonces d'une baisse des bénéfices par rapport aux prévisions) de la part d'un grand nombre d'entreprises parmi les plus en vue, en particulier celles de la "nouvelle" économie, ce qui a conduit à une chute continue des indices boursiers (lesquels ont perdu près de 30 % en un an). Des géants comme Philips ou Nokia, leader mondial des téléphones mobiles, annoncent soit l'abandon de leur fabrication de ce produit, soit des réductions drastiques, avec à la clé des dizaines de milliers de suppressions d'emplois. On a même pu voir une entreprise comme Alcatel, géant français des télécommunications, annoncer qu'elle allait se débarrasser de plus d'une centaine de ses 120 usines !
En même temps, les prévisions pour la croissance du PIB 2001 sont régulièrement revues à la baisse dans la plupart des pays européens (près d'un point depuis le début de l'année, ce qui signifie que la croissance sera 30 % plus faible de ce qui avait été prévu). Enfin, les taux officiels du chômage, qui avaient connu une décrue au cours de la dernière période, sont en train de repartir partout à la hausse (en Allemagne depuis plusieurs mois, mais dernièrement aussi en France, un des pays les plus salués pour ses "performances" économiques).
Dans sa partie "La descente vers la barbarie", la résolution indique que : "la fragmentation des vieux blocs, dans leur structure et leur discipline, a libéré des rivalités entre nations à une échelle sans précédent, résultant en un combat de plus en plus chaotique de chacun pour soi, des plus grandes puissances mondiales jusqu'aux plus minables seigneurs de la guerre locaux. Ceci a pris la forme d'un nombre de plus en plus grand de guerres locales et régionales, autour desquelles les grandes puissances continuent d'avancer leurs pions à leur avantage. (..) Tout au long de la dernière décennie, la supériorité militaire des Etats-Unis s'est montrée complètement incapable d'arrêter le développement centrifuge des rivalités inter impérialistes. Au lieu du nouvel ordre mondial dirigé par les Etats-Unis, que lui avait promis son père, le nouveau président Bush est confronté à un désordre militaire croissant, avec une prolifération de guerres sur toute la planète. " Et parmi les exemples de cette situation, la résolution cite l'aggravation du conflit au Moyen Orient et la relance de la guerre dans les Balkans, aujourd'hui en Macédoine. Depuis qu'elle a été rédigée, la situation n'a fait qu'empirer. Chaque jour apporte son lot de tués en Israël et en Palestine, sans que les efforts diplomatiques répétés du "parrain" américain y puisse quoi que ce soit. De "trêve" non respectée en "cessez-le-feu" violé aussitôt que signé, rien ne semble être en mesure d'arrêter la folie guerrière dans cette partie du monde. Et il est de plus en plus clair pour tous que, même s'il y avait une accalmie, elle ne pourrait en aucune façon aboutir à une paix véritable, comme se le proposait le "processus d'Oslo" du début des années 1990.
Concernant les Balkans, il faut faire une mention spéciale de ce qui vient de se passer avec la remise par le gouvernement de Belgrade, le 28 juin, de Milosevic au Tribunal pénal international de la Haye suivie immédiatement par le déblocage de plus d'un milliard dollars par les pays "donateurs" en vue de la reconstruction de la Serbie. Nous avons là une illustration de toute l'hypocrisie et de tout le cynisme dont peut se rendre capable la bourgeoisie. Milosevic avait été, au début des années 1990 "l'ami" des américains et de certains pays européens comme la France et la Grande-Bretagne qui voulaient contenir les ambitions allemandes dans les Balkans portées notamment par la Croatie. Par la suite, les américains avaient changé leur fusil d'épaule en apportant leur soutien aux bosniaques alors que ces deux pays européens maintenaient leur appui à Milosevic. II avait fallu le coup de force des Etats-Unis lors de la conférence de Rambouillet, au début 1999, qui rendait la guerre entre l'OTAN et la Serbie inévitable, pour les forcer à s'aligner sur la puissance américaine tout au long des "bombardements humanitaires" sur la Serbie et le Kosovo du printemps de la même année. Cette guerre censée "protéger" les populations albanaises du Kosovo avait ouvert la porte à de nouveaux massacres de celles-ci avant que les survivants ne puissent retourner dans leur province qui avait été réduite à un champ de ruines.
II fallait à la puissance américaine un "happy end", la punition du "méchant" pour justifier complètement la barbarie guerrière qu'elle avait déchaînée. C'est maintenant chose faite : l'ancien "gentil", devenu "méchant" pour les besoins de la cause, est maintenant entre les mains du shérif.
Pour ce qui concerne la Macédoine, le conflit ne cesse de s'aggraver. Une bonne partie du nord du pays est maintenant entre les mains de la guérilla pro-albanaise de l'UCK. Et c'est encore une fois l'occasion pour les grandes puissances d'étaler leur rivalités, même si toutes semblent d'accord pour empêcher l'UCK de parvenir à ses fins : à l'annonce par les Etats-Unis de l'envoi de troupes de l'OTAN pour calmer la situation vient de répondre la décision de la diplomatie européenne de nommer un "Monsieur Macédoine" en la personne de François Léotard, ancien ministre de la défense de la France. Que Solana ait choisi à ce poste un politicien d'un pays traditionnellement le plus "contestataire" vis-à-vis de la puissance américaine signifie clairement qu'en Macédoine comme partout ailleurs, les discours de paix et les manifestations ostensibles "d'amitié" entre les EtatsUnis et leurs ex alliés européens, ne font que recouvrir une montée irrésistible de leurs rivalités. Cela s'est d'ailleurs confirmé lors du voyage de Bush en Europe, à la mi-juin, où le président américain n'a pas réussi, loin de là, à "vendre" aux européens son projet de bouclier anti-missiles qui constitue, comme le dit la résolution : "une formidable offensive de la part de l'impérialisme américain visant à convertir son avance technologique en une domination planétaire sans précédent. Ce projet représente une nouveau pas dans une course aux armements de plus en plus aberrante qui ne peut qu'aiguiser les antagonismes avec ses rivaux. "
Concernant enfin la perspective de développement de la lutte et de la conscience de la classe ouvrière, la dernière période n'a pas connu d'évolution significative. Cependant, il vaut la peine de signaler, dans la partie "La classe ouvrière tient toujours entre ses mains les clé du futur" l'idée qu'une des manières dont on peut juger de la menace potentielle que continue de représenter la classe ouvrière pour l'ordre bourgeois est constituée "par l'énorme quantité de temps et d'énergie consacrée à ses campagnes [de la bourgeoisie] idéologiques contre le prolétariat, celles consacrées à montrer que ce dernier est une force épuisée n'étant pas les moindres. " Nous reviendrons dans le prochain numéro sur un exemple significatif de ces campagnes, celles qui visent à dénaturer la véritable signification des mouvements sociaux de la fin des années 1960. Pour masquer le fait que ces mouvements représentaient la fin de la contre-révolution, l'ouverture d'une période où le prolétariat serait de nouveau en mesure de jouer un rôle d'acteur sur la scène sociale et donc pour ancrer l'idée que cette classe "est finie" comme le dit la résolution, les médias et les politiciens bourgeois ont mis en vedette les "anciens combattants" des luttes étudiantes de cette période. Pour la classe dominante il s'agit de faire oublier que les luttes ouvrières d'alors avaient une importance sans commune mesure avec celles des étudiants. Il faut également montrer qu'en s'intégrant dans le système (tel l'actuel ministre allemand des affaires étrangères) les "révolutionnaires" de cette époque ont fait la preuve qu'ils avaient eux aussi compris que la révolution était impossible.
Et justement, ce que ces campagnes démontrent, même si la grande majorité des ouvriers n'en a pas conscience aujourd'hui, c'est que les secteurs les plus lucides de la bourgeoisie savent, pour leur part, que la révolution est possible. C'est à cette conscience que devra parvenir le prolétariat dans la période historique qui est devant nous.
[1] [2] Des extraits des autres rapports seront publiés dans les prochains numéros de la Revue internationale.
Début mai 2001 s'est tenu le 14e congrès du Courant communiste international.
Comme pour toute organisation dans le mouvement ouvrier, le congrès constitue l'instance suprême du CCI. C'est l'occasion par excellence pour tirer un bilan du travail effectué depuis le précédent congrès et tracer les perspectives de celui à entreprendre pour la période qui vient.
Ce bilan et ces perspectives ne sont pas établis en "vase clos". Ils dépendent étroitement des conditions dans lesquelles l'organisation est amenée à faire face à ses responsabilités, et en premier lieu, évidemment, du contexte historique général.
Il appartient donc au Congrès de faire une analyse du monde actuel, des principaux enjeux des événements qui affectent la vie de la société sur le plan de la situation économique (dont les marxistes savent qu'elle détermine en dernière instance tous les autres aspects), de la vie politique de la classe dominante, et donc des conflits qui opposent les différents secteurs de celle-ci, et enfin sur le plan de la vie de la classe qui seule est en mesure de renverser l'ordre existant, le prolétariat.
Dans l'examen de la situation de ce dernier, il appartient aux communistes de se pencher sur l'état et les perspectives des luttes de classe à l'heure actuelle, du degré de conscience dans les masses ouvrières des enjeux de ces luttes, mais il leur appartient de se pencher également sur l'état et l'activité des forces communistes existantes qui sont une partie du prolétariat.
Enfin, et dans ce dernier contexte, le Congrès se doit d'examiner l'activité de notre propre organisation et de mettre en avant des perspectives lui permettant de faire face à ses responsabilités au sein de la classe.
Ce sont ces différents points qui seront abordés dans cet article de présentation de notre 14e congrès international.
Le monde d'aujourd'hui
Nous publions dans ce même numéro de la Revue internationale, la résolution sur la situation internationale qui a été adoptée par le congrès et qui synthétisait les différents rapports qui lui ont été présentés ainsi que la discussion menée sur ces rapports. En ce sens, il est inutile de revenir sur chacun des aspects de la discussion qui s'est menée sur la situation internationale. Nous nous contenterons de rappeler le début de cette résolution qui établit le cadre des enjeux du monde actuel :
"L'alternative à laquelle l'humanité est confrontée en ce début du 21e siècle est la même qu'au début du 20e : la chute dans la barbarie ou le renouveau de la société par la révolution communiste. Les marxistes révolutionnaires, qui, durant la période tumultueuse de 1914-1923, insistèrent sur ce dilemme incontournable, auraient pu à peine imaginer que leurs héritiers politiques soient encore obligés d'y insister au début du nouveau millénaire.
En fait, même la génération des révolutionnaires «post 68» qui a surgi de la reprise des luttes prolétariennes après la longue période de contre-révolution commencée durant les années 1920, ne s'attendait pas vraiment à ce que le capitalisme en déclin fût si habile à survivre à ses propres contradictions, comme il l'a prouvé depuis les années 1960.
Pour la bourgeoisie, tout ceci est une preuve de plus que le capitalisme est l'ultime et maintenant la seule forme de société humaine et que le projet communiste n'a jamais été rien de plus qu'un rêve utopique. La chute du bloc «communiste» en 1989-91 a apporté une apparence de vérification historique à cette notion, pierre angulaire nécessaire de toute l'idéologie bourgeoise. (...) (Point 1)
Les générations futures regarderont sûrement avec le plus grand mépris les fausses justifications avancées par la bourgeoisie au cours de cette décennie; elles verront certainement cette période comme une période de cécité, stupidité, horreur et souffrance sans précédent. (...)
Aujourd'hui, ce à quoi l'humanité doit faire face n'est pas simplement la perspective de la barbarie : la descente a déjà commencé et elle porte en elle le danger de saper toute tentative de future régénération sociale. Mais la révolution communiste, logiquement le point culminant de la lutte de la classe ouvrière contre l'exploitation capitaliste, n'est pas une utopie, contrairement aux campagnes de propagande de la classe dominante. Cette révolution demeure une nécessité requise par l'agonie mortelle du mode de production actuel, et en même temps représente une possibilité concrète, étant donné que la classe ouvrière n'a ni disparu ni été vaincue de façon décisive." (Point 2)
En fait, une grande partie de chacun des documents présentés, discutés et adoptés pendant le Congrès est consacrée à une réfutation des mensonges que la bourgeoisie déverse aujourd'hui autant pour se rassurer elle-même que pour justifier aux yeux des masses exploitées la survie de son système. Il en est ainsi parce que les analyses et les discussions des révolutionnaires sur la situation à laquelle ils sont confrontés n'ont pas pour autre objectif que d'aiguiser le mieux possible les armes du combat de la classe ouvrière contre le capitalisme. Le mouvement ouvrier a appris depuis longtemps que la plus grande force du prolétariat est, outre son organisation, sa conscience, une conscience qui s'appuie nécessairement sur une profonde connaissance du monde qu'il s'agit de transformer et de l'ennemi qu'il faut abattre. C'est pour cela que le caractère combattant des documents soumis au congrès et de ses discussions ne signifie nullement que notre organisation soit tombée dans la tentation de se contenter de l'affirmation de simples slogans dénonçant les mensonges bourgeois, au contraire. La profondeur avec laquelle les révolutionnaires abordent les questions est partie intégrante du combat qu'ils mènent. C'est une constante dans le mouvement ouvrier depuis plus d'un siècle et demi mais qui revêt à l'heure actuelle une importance encore plus fondamentale. Dans une société entrée en décadence depuis la première guerre mondiale et qui aujourd'hui est en train de pourrir sur pied, la classe dominante est incapable d'engendrer la moindre pensée sociale cohérente ou rationnelle, encore moins dotée d'une quelconque profondeur. Tout ce qu'elle sait faire c'est de produire une multitude de gadgets idéologiques plus superficiels les uns que les autres, qu'elle présente évidemment comme des "vérités profondes" (la "victoire définitive du capitalisme sur le communisme", la Démocratie comme "valeur suprême", la "mondialisation", etc.) et qui n'ont même pas l'avantage de l'originalité puisque leur prétendue "nouveauté" se résume à des habillages différents de vieilles platitudes éculées. Mais aussi nulle que soit la "pensée" bourgeoise d'aujourd'hui, elle parvient encore, à grands renforts de médias, à bourrer le crânes des prolétaires, à coloniser leur esprit. En ce sens, l'effort des communistes pour aller à la racine des choses n'est pas seulement un moyen pour comprendre du mieux possible le monde actuel, il constitue un contrepoison indispensable face à la tendance à la destruction de la pensée qui est une des manifestations de la décomposition dans laquelle s'enfonce la société d'aujourd'hui. C'est pour cela qu'une des caractéristiques majeures des rapports préparés pour le congrès, et qui correspondait à une décision de l'organisation, était qu'ils ne se contentaient pas d'analyser les trois aspects essentiels de la situation mondiale - la crise économique, les conflits impérialistes, le rapport de forces entre prolétariat et bourgeoisie, et donc la perspective de la lutte prolétarienne - mais qu'ils se penchaient sur la façon dont le mouvement ouvrier avait posé ces questions par le passé.
Une telle démarche était d'autant plus importante, à l'heure où commence un nouveau siècle, que toute une série de caractéristiques de la situation mondiale ont été bouleversées au cours de la dernière décennie du siècle passé.
A la fin de 1989, le bloc de l'Est s'est effondré comme un château de cartes provoquant non seulement une remise en cause complète des alignements impérialistes qui étaient sortis de Yalta en 1945 mais aussi un profond recul de la classe ouvrière confrontée aux formidables campagnes sur "la faillite du communisme". De tels bouleversements exigeaient évidemment de la part des révolutionnaires une actualisation de leurs analyses, et c'est ce que notre organisation a fait au fur et à mesure que se produisaient ces événements. Cependant, nous avons jugé utile de revenir encore sur les implications des formidables événements qui se sont déroulés à la fin de 1989, et particulièrement sur deux aspects :
- les manifestations des antagonismes impérialistes dans une situation où n'existe plus un partage du monde en deux blocs comme c'était le cas depuis la fin de la seconde guerre mondiale ;
- la notion de cours historique à une époque où, du fait de la disparition des blocs, une nouvelle guerre mondiale ne peut pas être à l'ordre du jour.
La plus grande clarté sur ces questions était d'autant plus indispensable qu'il existe aujourd'hui sur elles pas mal de confusion parmi les organisations de la Gauche communiste. C'est aussi à ce type de confusions, qui sont en fait des concessions aux thèmes idéologiques de la bourgeoisie, que répondaient les rapports et la résolution adoptés par le congrès. En particulier, ces différents documents :
- réfutaient l'idée qu'il puisse exister une "rationalité" économique comme cause fondamentale des guerres qui se déchaînent à l'heure actuelle (Point 9 de la résolution) ;
- mettaient en avant que "le cours historique vers des confrontations de classes massives, ouvert par la vague internationale de luttes des années 1968-72, ne s'est pas inversé. La classe ouvrière a prouvé qu'elle était une barrière contre la guerre mondiale. Et bien que subsiste le danger que le processus de décomposition le plus insidieux pourrait submerger la classe sans que le capitalisme ait à lui infliger une défaite frontale, la classe représente encore un obstacle historique au plein développement de la tendance à la barbarie militaire. Plus encore : elle garde encore la capacité à résister aux effets de la décomposition sociale par le développement de ses luttes et par le renforcement du sens de son identité et de la solidarité qui en est la conséquence, ce qui peut offrir une véritable alternative à l'atomisation, à la violence autodestructrice et au désespoir, caractéristiques de ce système pourri." (Point 13)
En fait, cette préoccupation d'examiner en détail, et éventuellement de critiquer, les analyses de la situation historique présente existant au sein du milieu politique prolétarien fait partie de l'effort permanent de notre organisation pour définir et préciser les responsabilités des groupes révolutionnaires à l'heure actuelle, des responsabilités qui vont évidemment au delà de l'analyse de la situation.
La responsabilité des groupes révolutionnaires
Les rapports, résolutions et discussions du congrès ont mis en évidence qu'il existe aujourd'hui, après une décennie de grandes difficultés dans le développement de la conscience dans la classe ouvrière, une certaine maturation souterraine de celle-ci.
"La maturation souterraine de la conscience de classe dans le contexte d'un maintien du cours historique aux affrontements de classe, exprimant un processus de réflexion qui - tout en étant toujours minoritaire - touche de plus grands secteurs de la classe et va plus profond que dans la phase qui a suivi 1989. Les expressions visibles de cette maturation comprennent :
- la croissance numérique des principales organisations du milieu prolétarien et de leur environnement de sympathisants et de contacts ;
- l'influence croissante de la Gauche communiste dans le marais, y compris dans des parties du milieu anarchiste ;
- le potentiel croissant pour la fondation et le développement de cercles de discussion prolétariens ;
- certaines expériences de regroupement minoritaire d'ouvriers combatifs chez qui les problèmes de résistance aux attaques du capital, mais aussi les leçons des luttes avant 1989 commencent à se poser ;
- certaines luttes ouvrières - pour le moment des exceptions plutôt que la règle - où l'auto-activité de la classe et la méfiance envers les syndicats commencent à s'exprimer." (Résolution sur les activités du CCI)
Une telle situation confère aux groupes qui se réclament de la Gauche communiste des responsabilités nouvelles. Le congrès a donc consacré une part importante de ses travaux à examiner l'évolution de ces groupes. Il a mis en évidence une difficulté de ces groupes à faire face à ces responsabilités. D'une part, avec l'interruption de la publication de Daad en Gedachte aux Pays-Bas, il n'existe plus de manifestation organisée de la branche germano-hollandaise de la Gauche communiste (le courant "conseilliste"). D'autre part, les courants qui se réclament de la Gauche italienne (les différents groupes de la tradition "bordiguiste" qui s'intitulent tous Parti communiste international, de même que le Bureau international pour le Parti révolutionnaire) restent grandement enfermés ou se replient de façon croissante dans le sectarisme, comme nous l'avions déjà mis en évidence il y a deux ans suite à leur refus d'une prise de position commune face à la guerre du Kosovo (voir Revue internationale n°98).
Pourtant, avec l'apparition actuelle de nouveaux éléments qui se tournent vers la Gauche communiste, il est important que celle-ci retrouve pleinement sa tradition dans laquelle elle associait étroitement la plus grande rigueur au niveau des positions politiques à une attitude d'ouverture de chacun de ses groupes à la discussion avec les autres groupes. C'est la condition pour que ces organisations soient réellement partie prenante du processus qui s'annonce d'un nouveau développement de la conscience dans le prolétariat.
C'est pour cela que notre résolution sur la situation internationale inclut les responsabilités spécifiques de notre propre organisation dans celles de l'ensemble du courant révolutionnaire aujourd'hui :
"Les responsabilités auxquelles fait face la classe ouvrière sont immenses : rien moins que le sort de l'humanité entre ses mains. Ceci en conséquence confère d'immenses responsabilité à la minorité révolutionnaire, dont la tâche essentielle dans la période à venir sera :
- d'intervenir au jour le jour dans les combats de la classe, en insistant sur la nécessité de la solidarité et de l'implication du plus grand nombre possible de travailleurs dans chaque mouvement de résistance aux attaques du capitalisme ;
- d'expliquer avec tous les moyens disponibles (presse, brochures, réunions, etc.), à la fois en profondeur et d'une manière accessible, pourquoi le capitalisme signifie la banqueroute, pourquoi toutes ses «solutions» - particulièrement, celles, racoleuses, de la gauche et des gauchistes - sont des tromperies, et expliquer ce qu'est la véritable alternative prolétarienne ;
- d'aider les minorités radicales (groupes de luttes sur les lieux de travail, cercles de discussion, etc.) dans leurs efforts à tirer les leçons des expériences récentes, à se préparer aux nouvelles luttes à venir, et en même temps renouer les liens avec les traditions historiques du prolétariat ;
- d'intervenir au sein du milieu politique prolétarien, qui entre dans une période de croissance significative, en insistant pour que le milieu agisse comme un véritable point de référence pour un débat sérieux et pour une clarification pour tous les éléments qui viennent vers lui.
Le cours historique vers l'affrontement de classe fournit le contexte pour la formation du parti communiste mondial. Le milieu prolétarien constitue la matrice du futur parti, mais il n'y a aucune garantie qu'effectivement il l'engendrera. Sans une préparation rigoureuse et responsable par les révolutionnaires d'aujourd'hui, le parti sera mort-né, et les conflits massifs de classe vers lesquels nous nous dirigeons ne franchiront pas ce pas essentiel : de la révolte à la révolution." (Point 15)
Le congrès a estimé que, pour sa part, notre organisation pouvait tirer un bilan positif dans l'accomplissement de ces responsabilités au cours de la période passée. Cependant, il a conclu que le CCI, conscient qu'il est soumis, à l'image de l'ensemble de la classe, à la pression délétère de la décomposition croissante de la société, devait maintenir toute sa vigilance face aux différentes manifestations de cette pression, tant au plan de ses efforts dans le domaine de l'élaboration de ses analyses et positions politiques que de sa vie organisationnelle. Plus qu'à toutes les autres périodes du passé, le combat pour la construction de l'organisation communiste, instrument indispensable de la lutte révolutionnaire du prolétariat, est un combat permanent et de tous les jours.
1. L'alternative à laquelle l'humanité est confrontée en ce début du 21e siècle est la même qu'au début du 20e : la chute dans la barbarie ou le renouveau de la société par la révolution communiste. Les marxistes révolutionnaires, qui, durant la période tumultueuse de 1914-1923, insistèrent sur ce dilemme incontournable, auraient pu à peine imaginer que leurs héritiers politiques soient encore obligés d'y insister au début du nouveau millénaire.
En fait, même la génération des révolutionnaires "post 68" qui a surgi de la reprise des luttes prolétariennes après la longue période de contre-révolution commencée durant les années 1920, ne s'attendait pas vraiment à ce que le capitalisme en déclin fût si habile à survivre à ses propres contradictions, comme il l'a prouvé depuis les années 1960.
Pour la bourgeoisie, tout ceci est une preuve de plus que le capitalisme est l'ultime et maintenant la seule forme de société humaine et que le projet communiste n'a jamais été rien de plus qu'un rêve utopique. La chute du bloc "communiste" en 1989-91 a apporté une apparence de vérification historique à cette notion, pierre angulaire nécessaire de toute l'idéologie bourgeoise.
Présentant avec habileté la chute d'une partie du système capitaliste mondial comme la disparition finale du marxisme et du communisme, la bourgeoisie, depuis ce moment, a conclu, à partir de cette hypothèse fausse, que le capitalisme serait entré dans une nouvelle phase plus dynamique de son existence.
D'après ce point de vue :
2. En fait, toutes ces fables ont été systématiquement réfutées au cours de la décennie commencée en 1991. Chaque nouveau gadget idéologique utilisé pour prouver que le capitalisme pourrait offrir à l'humanité un avenir radieux s'est avéré défectueux, comme un jouet bon marché qui se casse dès qu'on joue avec. Les générations futures regarderont sûrement avec le plus grand mépris les fausses justifications avancées par la bourgeoisie au cours de cette décennie; elles verront certainement cette période comme une période de cécité, stupidité, horreur et souffrance sans précédent.
La prévision marxiste, selon laquelle le capitalisme a pu survivre après avoir cessé d'être utile à l'humanité, a déjà été confirmée par les guerres mondiales et les crises généralisées de la première moitié du 20ème siècle. La prolongation de ce système sénile dans sa phase de décomposition, qui représente la véritable "nouvelle" période dont l'entrée fut marquée par les événements de 1989-91, apporte de nouvelles preuves à cette prévision.
Aujourd'hui, ce à quoi l'humanité doit faire face n'est pas simplement la perspective de la barbarie : la descente a déjà commencé et elle porte en elle le danger de saper toute tentative de future régénération sociale. Mais la révolution communiste, logiquement le point culminant de la lutte de la classe ouvrière contre l'exploitation capitaliste, n'est pas une utopie, contrairement aux campagnes de propagande de la classe dominante. Cette révolution demeure une nécessité requise par l'agonie mortelle du mode de production actuel, et en même temps représente une possibilité concrète, étant donné que la classe ouvrière n'a ni disparu ni été vaincue de façon décisive.
3. Toutes les promesses faites par la classe dirigeante sur la nouvelle ère de prospérité inaugurée par la "victoire du capitalisme sur le socialisme" ont montré l'une après l'autre qu'elles n'étaient que des bulles vides de toute substance :
En dépit de ces signes alarmants, la bourgeoisie continue de parler de "booms" particuliers en Grande-Bretagne, en France, en Irlande... mais ce n'est en fait que pour se rassurer elle-même.
Etant donné que les autres pays industriels dépendent étroitement de leurs investissements aux Etats-Unis, la fin évidente des "dix années de croissance des Etats-Unis" ne peut manquer d'avoir de sérieuses répercussions à travers le monde industrialisé.
4. Le mode de production capitaliste est entré dans sa crise historique de surproduction au début du 20ème siècle - en fait dès cette époque le capitalisme s'est globalisé, "mondialisé". Simultanément, il a atteint les limites de son expansion vers l'extérieur et a établi les fondations de la révolution prolétarienne mondiale. Mais l'échec, par la classe ouvrière, à exécuter la sentence de mort du système a signifié que le capitalisme a pu survivre malgré le poids croissant de ses contradictions internes. Le capitalisme ne cesse pas simplement de fonctionner une fois qu'il ne représente plus un facteur de progrès historique. Au contraire, il continue de "croître" et de fonctionner, mais sur une base malsaine qui plonge l'humanité dans une spirale catastrophique.
En particulier, le capitalisme décadent est entré dans un cycle de crise-guerre-reconstruction qui a marqué les deux premiers tiers du 20ème siècle. Les guerres mondiales ont permis une redistribution du marché mondial et la reconstruction qui a suivi lui a fourni un stimulant temporaire.
Mais la survie du système a aussi nécessité une intervention politique accrue de la part de la classe dominante, qui a utilisé son appareil d'Etat pour se jouer des lois "normales" du marché, surtout par des politiques de déficit budgétaire et en créant des marchés artificiels par l'usage du crédit. Le krach de 1929 a prouvé à la bourgeoisie que le processus de reconstruction d'après guerre ne pouvait, en lui-même, que culminer en une crise mondiale généralisée après une seule décennie ; en d'autres termes, il n'était plus possible de retrouver de façon ferme et durable le niveau de production capitaliste par un retour à l'application "spontanée" des lois commerciales. La décadence du capitalisme est précisément l'expression de l'antagonisme entre les forces de production et sa forme marchande ; donc, dans cette période, la bourgeoisie elle-même est amenée à agir de plus en plus en désaccord avec les lois naturelles de la production de marchandise tout en étant régie par ces mêmes lois.
C'est pourquoi les Etats-Unis ont consciemment financé la reconstruction de 1945, en utilisant ce mécanisme qui apparaît irrationnel : en prêtant de l'argent à ses clients afin qu'ils constituent un marché pour ses biens. Et une fois atteintes les limites de cette absurdité, au milieu des années 60, la bourgeoisie mondiale n'a fait que repousser plus haut le niveau de l'interventionnisme. Durant la période des blocs impérialistes, cette intervention était en général coordonnée par des mécanismes à l'échelle des blocs ; et la disparition des blocs, en même temps qu'elle a introduit de dangereuses tendances centrifuges tant au niveau économique qu'au niveau impérialiste, n'a pas conduit à la disparition de ces mécanismes internationaux : en fait, on les a vus renaître et même se revigorer en institutions le plus souvent identifiées comme les principaux agents de la "mondialisation" telle l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Et même si ces organismes fonctionnent comme un champ de bataille entre les principaux capitaux nationaux ou comme des coalitions entre des groupements géopolitiques particuliers (ALENA, Accord de libre échange nord américain ; UE, Union européenne ; etc.) ils expriment la nécessité fondamentale pour la bourgeoisie d'empêcher une totale paralysie de l'économie mondiale. Ceci s'est concrétisé, par exemple, par les efforts persistants des Etats-Unis de se porter garants de leur principal rival économique, le Japon, même si cela a aussi signifié renflouer les énormes dettes du Japon par encore plus de dettes.
Cette tricherie organisée sur la loi de la valeur à travers le capitalisme d'Etat ne supprime pas les convulsions du système ; simplement elle les reporte ou les déplace. Elle les reporte dans le temps, en particulier pour les économies les plus avancées, en évitant continuellement le glissement vers la récession ; et elle les déplace dans l'espace en repoussant leurs pires effets vers les régions périphériques du globe, qui sont plus ou moins abandonnées à leur sort, sauf quand elles servent de pion sur l'échiquier inter-impérialiste. Mais même dans les pays avancés, ce report de récessions ouvertes ou de dépressions se fait encore sentir par des pressions inflationnistes, des "mini-krachs" boursiers, le démantèlement de pans entiers de l'industrie, l'écroulement de l'agriculture, et le délabrement des infrastructures (routes, rail, services) qui va en s'accélérant, etc. Ce processus inclut aussi des récessions avouées, mais le plus souvent la profondeur réelle de la crise est délibérément masquée par les manipulations conscientes de la bourgeoisie. C'est pourquoi la perspective pour la période à venir est une longue et lente descente vers les abysses, ponctuée, sans que cela se termine, de plongeons de plus en plus violents. Mais il n'existe pas, dans l'absolu, de point de non-retour pour la production capitaliste, en termes purement économiques : bien avant que ce point puisse en théorie être atteint, le capitalisme aura été détruit, soit par la généralisation de sa tendance vers la barbarie, soit par la révolution prolétarienne.
5. Au début des années 1990 on nous a dit que la disparition du "communisme" agressif de la surface du globe inaugurerait une nouvelle ère de paix, puisque le capitalisme, dans sa forme démocratique, avait depuis longtemps cessé d'être impérialiste. Cette idéologie a été ensuite combinée avec le mythe de la mondialisation, en arguant que les rivalités entre nations relevaient désormais du passé.
Il est vrai que l'effondrement du bloc de l'Est et l'éclatement de son homologue occidental qui s'en est suivi, ont supprimé une condition fondamentale pour la guerre mondiale, si on laisse de côté la question de savoir si les conditions sociales préalables pour un tel conflit existaient. Mais ce développement n'a en rien changé la réalité essentielle que les Etats-Nations capitalistes ne peuvent pas dépasser le stade de leur lutte sans merci pour dominer le monde. En fait, la fragmentation des structures et de la discipline des anciens blocs a libéré les rivalités entre nations à une échelle sans précédent, entraînant un combat de plus en plus chaotique, chacun pour soi, des plus grandes puissances mondiales jusqu'aux plus petits seigneurs de la guerre locaux. Ceci a pris la forme d'un nombre de plus en plus grand de guerres locales et régionales, autour desquelles les grandes puissances continuent d'avancer leurs pions à leur avantage.
6. Depuis le début, les Etats-Unis, comme gendarme du monde, ont reconnu le danger de cette nouvelle tendance et ont pris des mesures immédiates pour la contrecarrer. Ce fut la signification essentielle de la guerre du Golfe en 1991, qui a été un immense déploiement de la supériorité militaire des Etats-Unis, non pas d'abord et avant tout dirigé contre l'Irak de Saddam Hussein, mais destiné à intimider les grandes puissances rivales des Etats-Unis pour les soumettre à leur autorité. Mais bien que les Etats-Unis aient temporairement réussi à renforcer leur leadership mondial en obligeant les autres puissances à participer à leur coalition anti-Saddam, on peut juger du succès réel de leurs efforts en constatant que dix ans après, ils sont encore obligés d'utiliser la tactique du bombardement de l'Irak, et chaque fois qu'ils le font, ils sont de plus en butte aux critiques de la majorité de leurs alliés, et aussi qu'ils ont été contraints à de semblables déploiements de forces dans d'autres zones de conflit, en particulier dans les Balkans.
Tout au long de la dernière décennie, la supériorité militaire des Etats-Unis s'est montrée complètement incapable d'arrêter le développement centrifuge des rivalités inter-impérialistes. Au lieu du nouvel ordre mondial dirigé par les Etats-Unis, que lui avait promis son père, le nouveau président Bush est confronté à un désordre militaire croissant, avec une prolifération de guerres sur toute la planète :
La liste pourrait s'allonger mais le tableau est clair. Loin d'apporter la paix et la stabilité, l'éclatement du système des blocs a considérablement accéléré le glissement du capitalisme vers la barbarie militaire. La caractéristique des guerres dans la phase actuelle de la décomposition du capitalisme est qu'elles ne sont pas moins impérialistes que les guerres dans les précédentes phases de sa décadence, mais elles sont devenues plus étendues, plus incontrôlables et plus difficiles à arrêter même temporairement.
7. Dans tous ces conflits, la rivalité entre les Etats-Unis et leurs anciennes grandes puissances "alliées" a été plus ou moins masquée. Plus dans le Golfe arabo-persique et dans les Balkans, où les conflits ont pris la forme d'une "alliance" des Etats démocratiques contre les tyrans locaux ; moins en Afrique où chaque pays a agi de façon plus ouverte et séparée pour protéger ses intérêts nationaux. Officiellement, les "ennemis" des Etats-Unis, - ceux qu'ils citent pour justifier leur budget militaire toujours croissant -, sont soit des petits Etats locaux sans scrupules, comme la Corée du nord ou l'Irak, soit leurs anciens rivaux directs de l'époque de la guerre froide, Russie, ou son rival pendant un temps puis son allié de cette période, la Chine. Cette dernière, en particulier est de plus en plus identifiée comme le principal rival potentiel des Etats-Unis. Et en fait, la période récente a vu un accroissement de la tension entre les Etats-Unis et ces deux puissances - à propos de l'extension de l'OTAN vers l'Europe de l'est, la découverte d'un réseau d'espionnage russe reposant sur un ancien responsable du FBI, et en particulier à propos de l'incident de l'avion espion en Chine. Il existe aussi au sein de la bourgeoisie nord-américaine une importante fraction qui est convaincue que la Chine est effectivement le principal ennemi des Etats-Unis. Mais le développement peut-être le plus significatif de la dernière période est la multiplication de déclarations par des secteurs de la bourgeoisie européenne à propos de "l'arrogance" des Etats-Unis, en particulier après leur décision de dénoncer les accords de Kyoto sur les émissions de dioxyde de carbone et d'aller de l'avant avec leur projet anti-missiles «enfant de la guerre des étoiles». Ce dernier représente en fait une formidable offensive de l'impérialisme américain pour convertir son avance technologique en une domination planétaire sans précédent. Ce projet représente un nouveau pas dans une course aux armements de plus en plus aberrante et ne peut qu'aiguiser les antagonismes avec ses rivaux.
Ces antagonismes ont été encore plus exacerbés par la décision de former une "armée européenne" séparée de l'OTAN. Bien qu'il y ait une forte tendance à faire porter la responsabilité de la rupture croissante dans les relations Europe-Etats-Unis sur l'administration Bush, ce nouvel "anti-américanisme" n'est que la reconnaissance explicite d'une tendance qui est à l'?uvre depuis la disparition du bloc occidental au début des années 1990. Idéologiquement, il reflète une tendance qui a été aussi libérée par l'éclatement des blocs, accompagnant la tendance au chacun pour soi : la tendance vers un nouveau bloc anti-américain basé en Europe.
8. Nous sommes cependant encore loin de la formation de nouveaux blocs impérialistes, pour des raisons à la fois stratégico-militaires et politico-sociales :
La guerre mondiale n'est donc pas à l'ordre du jour dans le futur proche. Mais ceci ne minimise en rien les dangers contenus dans la situation actuelle. La prolifération des guerres locales, le développement des conflits régionaux entre des puissances possédant l'arme nucléaire, comme l'Inde et le Pakistan, l'extension de ces conflits vers les centres vitaux du capital (comme en témoigne la guerre dans les Balkans), la nécessité pour les Etats-Unis de réaffirmer sans cesse, de tout leur poids, leur leadership déclinant, ainsi que les réactions que ceci pourrait entraîner de la part d'autres puissances, tout cela pourrait faire partie d'une terrible spirale de destruction qui pourrait saper les bases d'une future société communiste, même sans la mobilisation active du prolétariat dans les centres du capital mondial.
9. La classe dominante tend à réduire la signification globale de cette montée des tensions en cherchant, pour chaque conflit, des causes spécifiques locales, idéologiques et économiques : ici des haines raciales solidement enracinées, là des schismes religieux, le pétrole dans le Golfe, les diamants en Sierra-Leone, etc. Ceci trouve souvent un écho dans les confusions du milieu prolétarien qui confond facilement une analyse matérialiste avec les efforts pour expliquer chaque conflit impérialiste en termes de profit économique immédiat qu'on peut en tirer. Bien que la plupart de ces facteurs économiques et idéologiques soient réels, ils ne peuvent expliquer les carac-téristiques générales de la période dans laquelle le capitalisme est entré. Dans la période de décadence, la guerre représente de plus en plus un désastre économique, une perte sèche. Maintenir chaque conflit particulier entraîne des coûts qui dépassent largement les bénéfices qu'on peut en tirer. Ainsi, alors que de fortes pressions économiques ont certainement joué un rôle clé pour entraîner le Zimbabwe à envahir le Congo, ou l'Irak à envahir le Koweit, les complications militaires qui en suivirent ont précipité ces pays plus profondément dans la ruine. Plus généralement , le cycle crise-guerre-reconstruction , qui conférait l'apparence d'une certaine rationalité à la guerre mondiale dans le passé, est maintenant terminé, puisque toute nouvelle guerre mondiale ne serait suivie d'aucune reconstruction. Mais aucun de ces calculs de profit ou de perte ne permet aux Etats impérialistes de se prémunir de la nécessité de défendre leur présence impérialiste dans le monde, de saboter les ambitions de leurs rivaux, ou d'accroître leurs budgets militaires. Au contraire, ils sont tous pris dans une logique qui échappe à leur contrôle et qui a de moins en moins de sens, même en termes capitalistes, et c'est précisément ce qui rend la situation à laquelle l'humanité doit faire face, si dangereuse et instable. Surestimer la rationalité du capital équivaut à sous-estimer la menace réelle de guerre en cette période.
10. La classe ouvrière doit donc faire face à la possibilité de se trouver entraînée dans une réaction en chaîne de guerres locales et régionales. Mais ceci n'est qu'un aspect de la menace que représente le capitalisme en décomposition.
La dernière décennie a vu toutes les conséquences de la décomposition devenir de plus en plus mortelles :
Aujourd'hui, le capitalisme dresse un tableau de plus en plus clair de ce à quoi ressemble la descente vers la barbarie : une civilisation en totale désintégration, déchirée par les tempêtes, les sécheresses, les épidémies, la famine, l'empoi-sonnement irréversible de l'air, des sols et de l'eau ; la société devenue une hécatombe par les conflits meurtriers et les guerres de destruction réciproque qui laissent en ruines des pays entiers, et même des continents ; guerres qui empoisonnent encore plus l'atmosphère et qui deviennent encore plus fréquentes et dévastatrices par le combat désespéré des nations, régions ou fiefs locaux pour garder leurs réserves cachées de ressources allant en diminuant et de ce qui leur est nécessaire ; un monde de cauchemar où les derniers bastions de prospérité restants font claquer leurs portes de fer devant l'invasion des hordes de réfugiés fuyant la guerre et les catastrophes ; en bref un monde où la pourriture est tellement incrustée qu'il n'y a pas de retour en arrière et où la civilisation capitaliste finalement s'enfonce dans des sables mouvants qu'elle a elle-même créés. Cette apocalypse n'est pas si éloignée de ce que nous expérimentons aujourd'hui ; le visage de la barbarie est en train de prendre une forme matérielle devant nos yeux. La seule question restante est de savoir si le socialisme, la révolution prolétarienne, reste toujours une alternative vivante.
11. Tout au long des années 1970 et 1980, le combat de la classe ouvrière en réponse au ressurgissement de la crise historique du capitalisme a constitué un rempart contre l'éclatement d'une troisième guerre mondiale -le seul véritable rempart, car le capitalisme avait déjà formé les blocs impérialistes qui devaient lancer la guerre, et la crise économique poussait déjà le système vers cette "solution". Mais pour un certain nombre de raisons liées entre elles, certaines historiques, certaines plus immédiates, la classe ouvrière a éprouvé d'extrêmes difficultés à passer d'un niveau défensif à une affirmation franche de sa propre perspective politique (le poids des précédentes décennies de contre-révolution qui avaient décimé son expression politique organisée, la nature de la crise économique qui s'éternisait et qui rendait difficile de voir la situation véritablement catastrophique auquel le monde capitaliste était confronté, etc.).
L'incapacité des deux principales classes sociales d'imposer leur solution à la crise a donné naissance au phénomène de décomposition, qui à son tour a été grandement accéléré par son propre produit, l'effondrement du bloc de l'Est, qui a marqué pour le capitalisme décadent l'entrée dans une phase dans laquelle la décomposition serait la caractéristique principale. Dans cette nouvelle phase, la lutte de la classe ouvrière, qui avait montré auparavant au cours de trois vagues internationales successives des traits visibles d'avancée du niveau de conscience et d'auto-organisation, a été précipitée dans un profond reflux, à la fois au niveau de la conscience et de la combativité.
La décomposition a posé à la classe ouvrière des difficultés à la fois matérielles et idéologiques :
La classe ouvrière est donc confrontée aujourd'hui à un grave manque de confiance - pas seulement en sa capacité à changer la société, mais même en sa capacité à se défendre elle-même au jour le jour. Ceci a permis aux syndicats, qui dans les années 1980 se sont de plus en plus révélés comme des instruments de l'ordre bourgeois, de rétablir leur emprise sur les luttes des ouvriers ; en même temps a été accrue la capacité du capitalisme à dévoyer les efforts des ouvriers pour défendre leurs propres intérêts vers tout un patchwork de mouvements "populaires" et "citoyens" pour plus de "démocratie".
12. Les difficultés réelles que la classe ouvrière doit affronter aujourd'hui sont évidemment exploitées par la classe dirigeante pour intensifier son message sur la fin de la lutte de classe. Ce message est bien reçu par ceux qui ne sont pas aveugles sur le futur barbare que le capitalisme nous prépare, mais qui ne croient pas que la classe ouvrière soit le sujet du changement révolutionnaire, et cherchent de "nouveaux" mouvements pour créer un monde meilleur (ce qui est le cas pour beaucoup d'éléments impliqués dans la mobilisation "anti-capitaliste"). Les communistes, quoi qu'il en soit, savent que si la classe ouvrière est vraiment finie, il n'y a plus d'autre barrière empêchant le glissement du capitalisme vers la destruction de l'humanité. Mais ils sont aussi capables d'affirmer que cette barrière n'a pas été levée ; que la classe ouvrière internationale n'a pas dit son dernier mot. Cette confiance en la classe ouvrière n'est pas une sorte de foi religieuse. Elle est basée sur :
13. La preuve de la véracité de cette conclusion est fournie par :
Les communistes peuvent alors continuer de soutenir que le cours historique vers des confrontations de classes massives, ouvert par la vague internationale de luttes des années 1968-72, ne s'est pas inversé. La classe ouvrière a prouvé qu'elle était une barrière contre la guerre mondiale. Et bien que subsiste le danger que le processus de décomposition le plus insidieux pourrait submerger la classe sans que le capitalisme ait à lui infliger une défaite frontale, la classe représente encore un obstacle historique à ce glissement du capitalisme dans la barbarie guerrière. Plus encore : elle garde encore la capacité de résister aux effets de la décomposition sociale par le développement de ses luttes et par le renforcement du sens de son identité et de la solidarité qui en est la conséquence, ce qui peut offrir une véritable alternative à l'atomisation, à la violence auto-destructrice et au désespoir, caractéristiques de ce système pourri.
14. La classe ouvrière, dans la voie difficile de la redécouverte de son esprit combatif et de la réappropriation de la connaissance de ses traditions du passé et de ses expériences de lutte, trouve face à elle la stratégie anti-prolétarienne de la bourgeoisie :
a) d'abord, l'utilisation des partis de gauche au gouvernement, où ils sont encore généralement mieux placés que la droite pour :
- échelonner les attaques contre les conditions de vie de la classe ouvrière, surtout dans les principales concentrations industrielles, pour essayer de retarder et disperser la combativité ouvrière, pour créer la division dans les rangs du prolétariat, entre les secteurs «privilégiés» (les travailleurs qui ont des contrats à durée indéterminée, les travailleurs des pays occidentaux, etc.) et les secteurs désavantagés (les travailleurs qui ont des contrats temporaires, les travailleurs immigrés, etc.) ;
b) ensuite, en complète cohérence avec tout cela, l'activité des gauchistes aussi bien que du syndicalisme radical est destinée à neutraliser la méfiance des travailleurs envers les partis du centre-gauche et de les dévoyer dans une défense radicale de la démocratie bourgeoise. Le développement en Grande-Bretagne de l' "Alliance socialiste" illustre clairement cette fonction ;
c) enfin, et non moins importantes, nous avons les activités du mouvement anti-mondialisation, qui sont fréquemment présentées par les medias comme la seule forme possible d'anti-capitalisme. L'idéologie de ces mouvements, quand elle n'est pas l'expression du «no future» de la petite bourgeoisie (défense de la production à petite échelle, culte de la violence désespérée qui renforce le sentiment de désespoir, etc.) n'est qu'une version plus radicale de ce qui est mis en avant par ses grands frères de la soi-disant gauche «traditionnelle» : la défense de l'intérêt du capital national contre ses rivaux. Ces idéologies servent à bloquer l'évolution de nouveaux éléments "en recherche" au sein de la population et de la classe ouvrière en particulier. Comme nous l'avons vu, ces idéologies ne contredisent pas la propagande plus générale sur la mort du communisme - qui continuera à être utilisée comme une carte maîtresse - mais en sont un important complément.
15. Les responsabilités auxquelles fait face la classe ouvrière sont immenses : rien moins que le sort de l'humanité entre ses mains. Ceci en conséquence confère d'immenses responsabilités à la minorité révolutionnaire, dont la tâche essentielle dans la période à venir sera :
Le cours historique vers l'affrontement de classe fournit le contexte pour la formation du parti communiste mondial. Le milieu prolétarien constitue la matrice du futur parti, mais il n'y a aucune garantie qu'effectivement il l'engendrera. Sans une préparation rigoureuse et responsable par les révolutionnaires d'aujourd'hui, le parti sera mort-né, et les conflits massifs de classe vers lesquels nous nous dirigeons ne franchiront pas ce pas essentiel : de la révolte à la révolution.
Mai 2001.
Le capitalisme est entré dans sa phase de décadence depuis plus de 80 ans. Il survit en plongeant l'humanité dans une spirale de crise ouverte : guerre généralisée - reconstruction - nouvelle crise ([1] [6]). Alors que la stagnation et les convulsions du système durant la première décennie du 20° siècle débouchèrent rapidement dans la terrible boucherie de la première guerre mondiale, alors que la grande dépression de 1929 déboucha en dix ans à la tuerie encore plus sauvage de la seconde guerre mondiale, la crise qui a commencé à la fin des années 1960 n'a pu déboucher dans l'issue organique d'une nouvelle guerre généralisée, parce que le prolétariat n'a pas été défait.
Confronté à cette situation inédite de crise sans issue, le capitalisme mène ce que nous avons nommé une "gestion de la crise". Il a dans ce but recours à l'organe suprême de défense de son système : l'Etat. Si la tendance au capitalisme d'Etat s'est bien développée depuis des dizaines d'années, nous avons pu assister au cours des trente dernières à un perfectionnement et à une sophistication inédits de ses mécanismes d'intervention et de contrôle de l'économie et de la société. Pour accompagner la crise, et faire en sorte que son rythme soit plus lent et moins spectaculaire qu'en 1929, les Etats ont recouru à un endettement astronomique, sans précédent dans l'histoire, et les principales puissances ont collaboré entre elles pour soutenir et organiser le commerce mondial de façon à cc que les pires effets de la crise retombent sur les pays les plus faibles ([2] [7]). Ce mécanisme de survie a cependant permis que les pays centraux, ceux-là même qui sont la clé tant du point de vue de l'affrontement de classes que du maintien de la stabilité globale du capitalisme, vivent une chute lente par paliers successifs, parvenant a donner une impression de maîtrise, d'apparente normalité, quand ce n'est pas de "progrès" ou de "renouveau".
Ces mesures d'accompagnement n'ont cependant pas permis, loin de là, une stabilisation de la situation. Le capital isme est un système mondial depuis le début du 20° siècle, ayant incorporé à l'engrenage de ses rapports de production jusqu'au moindre territoire significatif de la planète. Dans ces conditions, la survie de chaque capital national ou de groupes de capitaux nationaux ne peut se réaliser qu'au détriment non seulement de ses rivaux, mais de l'ensemble du capital global. Au cours des trente dernières années, nous avons assisté à la détérioration progressive du capitalisme dans son ensemble, sa reproduction n'a pu se réaliser que sur des bases toujours plus étroites, le capital mondial s'est appauvri ([3] [8]).
Cet effondrement progressif du capital global s'est manifesté par des convulsions périodiques qui n'ont rien à voir avec les crises cycliques du siècle dernier. Ces convulsions se sont exprimées par des récessions plus ou moins fortes en 1974-75, 1980-82 et en 1991-93. Mais la récession - la chute officielle des indices de production - n'a pas été son expression majeure, précisément parce que le capitalisme d'Etat tente d'éviter dans la mesure du possible cette manifestation trop classique et évidente de l'effondrement du système. Elle a eu tendance à se manifester sous d'autres formes apparemment plus éloignées de la sphère de la production, mais pour autant ni moins graves ni moins dangereuses. Tourmentes monétaires de la livre sterling en 1967 et du dollar en 1971, brusque explosion inflationniste durant les années 1970, crises successives de la dette et de véritables séismes financiers à partir de la deuxième partie des années 1980 : krach boursier de 1987, mini krach en 1989, crise monétaire du SME en 1992-93, effet Tequila [dévaluation du peso mexicain et chute des bourses latino-américaines] en l994, la crise dite "asiatique" de 1997-9R.
Le 13° congrès du CCI avait analysé les importants dégâts causés par ce dernier épisode de la crise et nous avions repris à notre compte les prévisions très pessimistes des propres experts de la bourgeoisie qui parlaient de récession sinon de dépression.
Cette récession ne s'est cependant pas produite et le capitalisme a de nouveau pu entonner les hymnes triomphalistes sur la "santé de fer" de son économie. poussant la hardiesse jusqu'à envisager l'entrée de la société dans l'ère de la "nouvelle économie". La poussée inflationniste de l'été 2000, dont la portée et les conséquences sont très importantes, a fait baisser le ton à l'euphorie générale. En un peu plus de deux ans, de façon très concentrée et rapide, nous avons pu assister à la chute brutale de 1997-98, au sursaut euphorique entre la deuxième moitié de 1999 et l'été 2000 et à nouveau aux indices de nouvelles convulsions.
Le nouveau millénaire ne va pas plus offrir de solution à la crise que de stabilisation de la situation, sinon tout au contraire une nouvelle phase d'effondrement qui nous fera paraître minimes les souffrances pourtant terribles qu'a causé le système tout au long du siècle qui s'achève.
10 ans de croissance ininterrompue aux Etats-Unis
Les adorateurs du système salivent de plaisir à l'évocation de ces "10 ans de croissance sans inflation" ([4] [9]). Dans leurs délires, ils en viennent même à prédire la fin des crises cycliques et la croissance ininterrompue permanente.
Ces messieurs ne font pas l'effort de comparer ces taux de croissance avec d'autres èpoques du capitalisme, non plus qu'a comprendre sa nature et sa composition. Ils se satisfont aisément de la – croissance -, ils s'en contentent ! Mais face à cette vision immèdiatiste et superficielle, caractéristique de l'idéologie d'un ordre social condamné, nous appliquons quant à nous une vision globale, historique, et pouvons, à partir de là, démontrer la fausseté des arguments basés sur les « 10 ans de croissance ininterrompue des Etats-Unis ».
Pour commencer, si nous examinons les taux de croissance de l'économie américaine depuis 1950, nous constatons que la croissance de cette dernière décennie est la pire de ces 50 dernières années :
Taux de croissance moyen du PIB aux Etats-Unis ([5] [10])
Période |
1950-64 |
3,68 % |
Période |
1965-72 |
4,23 % |
Période |
1973-90 |
3,40 % |
Période |
1991-99 |
1,98 % |
Nos conclusions seront identiques si nous considérons les données des pays les plus industrialisés :
Taux de croissance moyen du PIB des principaux pays industrialisés ([6] [11])
|
1960-73 |
1973-89 |
1989-99 |
Japon |
9,2% |
3,6% |
1,8% |
Allemagne |
4,2% |
2,0% |
2,2% |
France |
5,3% |
2,4% |
1,8% |
Italie |
5,2% |
2,8% |
1,5% |
GB |
3,1 % |
2,0% |
1,7% |
Canada |
5,3% |
3,4% |
1,9 % |
Les deux tablenux mettent en évidence un déclin graduel mais persistant de l'économie mondiale, qui réduit à néant le triomphalisme des leaders du capitalisme et met en évidence leur tricherie : nous éblouir avec des chiffres sortis de leur contexte historique.
La "croissance américaine" a une histoire qui nous est cachée avec beaucoup de triomphalisme : on ne parle pas de comment s'est faite la relance de l'économie en 1991-92, avec pas moins de 33 baisses des taux d'intérêts, de sorte que l'argent prêté aux banques l'était à un taux en dessous du taux d'inflation ! L'Etat leur offrait en quelque sorte de l'argent ! On ne nous dit pas non plus que cette croissance a commencé à s'essouffler à partir de 1995, avec les multiples crises financières qui ont culminé avec la « grippe asiatique » de 1997-98, stagnant dans la phase 1996-98.
Mais qu'en est-il de la dernière phase de croissance, celle qui succède à la stagnation de 1996-98 ? Ses bases sont encore plus fragiles et destructrices car le moteur de la croissance devient une bulle spéculative sans précédent dans l'histoire. L'investissement en bourse devient le seul investissement rentable, .
Les familles comme les entreprises américaines ont été encouragées dans le mécanisme pervers de l'endettement pour pouvoir spéculer en Bourse et utiliser les titres achetés comme caution pour acheter frénétiquement des biens et des services qui sont le moteur de la croissance. Les fondements de l'investissement authentique se voient ainsi sérieusemcnt ruinés : entreprises et particuliers ont augmenté leur endettement de 300% entre 1997 et 1999. Le taux d'épargne est négatif depuis 1996 (après 53 années de taux positifs) : alors qu'en 1991 il était de + 8,3 %, il était en 1999 de - 2,5%.
La consommation à crédit maintient en vie la flamme de la croissance mais ses effets sont délétères sur la base productive des Etats Unis([7] [12]). Un économiste célèbre, Paul Samuelson, reconnaît que "l'utilisation de la capacité productive de l'industrie nord-américaine n’a cessé de baisser dcpuis le sommet atteint au milieu des années 1980". L'industrie manufacturière perd du poids dans l'ensemble des chiffres annuels de production et a licencié 418 000 travailleurs depuis avril 1998. La balance des paiements américaine subit une dégradation spectaculaire, passant d'un déficit de -2,5% du PIB en 1998 à -4% de nos jours.
Ce type de "croissance" est aux antipodes de la véritable croissance que le capitalisme a expérimenté historiquement. Entre 1865 et 1914, les Etats-Unis basèrent leur spectaculaire croissance économique sur l’augmentation permanente de leur excédent commercial et financier. L'expansion américaine après la seconde guerre mondiale se basait sur la supériorité des exportations de produits et de capitaux. Un 1948 par exemple. les exportations américaines couvraient 180% des importations. Depuis 1971, les Etats Unis commencent à avoir des déficits commerciaux négatifs qui n'ont cessé de croitre.
Alors qu'au 19' siècle la croissance économique des pays centraux du capitalisme s'est basée des exportations de biens et de capitaux qui servaient de bèlier pour incorporer de nouveaux territoires aux rapports de production capitalistes, nous assistons aujourd’hui à une situation aberrante et dangereuse, celle ou les fonds du monde entier accourent - attirès par les cotations élevées du dollar pour soutenir la principale èconomie de la planète. Depuis 1985, le flux des investissements du reste des pays du monde vers les 10 principales économies de la planète est supérieur à celui de celles-ci vers celles-là. Concrètement, ceci signifie que le capitalisme, incapable d'élargir la production dans le monde,concentre tous ses recours pour maintenir à flot les principales métropoles, au prix de la mise en friche du reste du monde, détruisant ainsi ses propres bases de reproduction.
La timide récessionde l'après crise asiatique ne s'est pas produite
On veut nous faire croire que la secousse de 1997-98 n'était qu'une crise cyclique identique à celles que le capitalisme avait connues au l9° siècle. A cette époque. chaque étape de crise se résolvait dans une nouvelle expansion de la production qui atteignait des niveaux supérieurs à ceux de la période antérieure. De nouveaux marchés s’ouvraient l'incorporation de nouveaux territoires aux rapports de production capitalistes, créant de nouvelles masses de prolétaires créatrices de plus-value et d'autre part apportant de nouveaux acheteurs solvables pour les marchandiscs produites.
Cette issue est actuellement impossible pour le capitalisme : les marchés sont depuis bien longtemps Saturés.
L"`issue" à toute nouvelle chute ne peut donc être dans de nouveaux marchés pour écouler la production et dans de nouvelles masses de prolétaires incorporés au travail salarié, mais au contraire : des mesures d'endettement qui tentent de masquer la chute réelle de la production et de nouvelles vagues de licenciements (présentées comme des restructurations, des privatisations ou des fusions) qui peu à peu assèchent les sources de la plus-value : "Faute de réels débouchés solvables, à travers lesquels pourrait se réaliser la plus-value produite, la production est écoulée en grande partie sur des marchés, fictifs (...) Face à un marché mondial de plus en plus saturé, une progression des chiffres de la production ne peut correspondre qu'à une nouvelle progression des dettes. Une progression encore plus considérable que les précédentes. " (Revue internationale n° 59)
Le résultat est que chacune des phases de convulsions suppose une chute plus violente dans l'abîme alors que chaque moment de reprise adoucit la chute, mais toutes se situent dans une dynamique d'effondrement progressif.
Au siècle dernier, le capitalisme se trouvait dans une phase dynamique d'expansion dans laquelle chaque phase de crise préparait de nouvelles périodes de prospérité. C’est exactement l'inverse aujourd'hui, chaque phase de reprise n'est qu'une préparation à de nouvelles et majeures convulsions.
En témoigne que le Japon (2° économie de la planète) reste dans le trou et qu'il a atteint à peine un rachitique 0,3 % de croissance en 1999, avec des perspectives assez pessimistes pour l'an 2000. Ceci en dépit du développement spectaculaire des moyens de crédit de la part de l'Etat japonais : le déficit public en 1999 a atteint 9,2 % du PI B.
La nouvelle économie
On voit que l'argument de la "grande croissance" américaine ou du "dépassement facile de la crise asiatique" ne résistent pas à une analyse un tant soit peu sérieuse. Mais un troisième argument semble avoir plus de consistance : la "révolution de la nouvelle économie" bouleverserait totalement les fondements de la société, de sorte qu'avec Internet disparaîtrait la traditionnelle division de la société en classes, ouvriers et patrons devenant des "partenaires". En outre, le moteur de l'économie ne serait plus l'acquisition de profit mais la consommation et l'information. Finalement, tout ce fatras sur la crise s'évanouirait comme un cauchemar du passé puisque toute l'économie mondiale se régulerait harmonieusement par le biais des transactions commerciales sur le Web. Le seul problème viendrait des "inadaptés" encore englués dans la "vieille économie".
Nous n'allons pas réfuter en détail toutes ces stupides spéculations. L'article éditorial de la Revue internationale n°102 démonte de façon très convaincante ce nouveau mythe que le capitalisme prétend nous faire avaler ([8] [13]).
Nous devons avant tout rappeler l'histoire : combien de fois le capitalisme a-t-il tenté ces dernières 70 années de nous vendre un "modèle" de développement économique qui serait la solution définitive ? Dans les années 1930, l'industrialisation soviétique, le New Deal américain, le plan De Man se présentèrent tous comme la solution de la crise de 1929... l'issue réelle fut la seconde guerre mondiale ! Ce fut "l'Etat du bien-être" dans les années 1950, le "développement" dans les années 1960, les diverses "voies vers le socialisme" et le "retour à Keynes" dans les années 1970, les "Reaganomics" et le "modèle japonais" dans les années 1980, les "tigres asiatiques" et la "mondialisation" dans les années 1990, c'est au tour aujourd'hui de la "nouvelle économie". Le vent de la crise les a tous engloutis les uns après les autres. A peine un an après sa naissance, la "nouvelle économie" commence déjà à être vieillie et inopérante.
En second lieu, le bruit a couru que la nouvelle économie basée sur Internet serait la plus grande créatrice d'emplois. C'est une erreur totale. L'article de Battaglia Comunista cité plus haut (note 5) démontre que sur les 20 millions d'emplois créés aux Etats-Unis, un seul million serait lié à Internet. Les autres sont liés à des activités de haute technologie comme promeneurs de chiens, distributeurs de pizzas et d'hamburgers, gardiens d'enfants, etc.
En réalité, l'introduction d'Internet dans le commerce, l'information, les finances et les administrations publiques élimine des emplois au lieu d'en créer. Une étude sur les institutions bancaires de la "nouvelle économie" démontre que :
- un réseau de bureaux équipé d'ordinateurs sans connexion permanente emploie ([9] [14]) 100 travailleurs ;
- un réseau de bureaux équipé d'ordinateurs connectés en permanence emploie 40 travailleurs ;
- un réseau de banque téléphonique emploie 25 travailleurs ;
- un réseau de banque par Internet emploie 3 travailleurs.
Une autre étude de l'Union européenne met en évidence que le fait de remplir les formulaires administratifs par Internet peut éliminer un tiers des postes de travail de l'administration publique.
Est-ce que l'utilisation d'Internet serait la base pour une expansion de l'économie capitaliste ?
Le cycle du capital a deux phases inséparables : la production de la plus value et sa réalisation. Pendant la période de décadence du capitalisme, avec un marché saturé, le réalisation de la plus value devient le principal problème. Dans ce cadre, les coûts de commercialisation, de distribution, de financement, qui correspondent précisément à la réalisation de la plus-value prennent des proportions exorbitantes. Les entreprises et les Etats développent un gigantesque appareil de commercialisation, de publicité, de financement, etc., dans le but de tirer jusqu'à la moindre miette du marché existant, de l'étirer au maximum (techniques pour gonfler artificiellement la consommation) et d'être compétitifs face aux rivaux pour leur arracher des segments de marchés.
A ces frais indispensables pour la réalisation de la plus-value viennent s'en ajouter d'autres qui prennent une dimension encore plus énorme : l'armement, le développement de la gigantesque bureaucratie étatique, etc. L'introduction d'Internet cherche à alléger le plus possible l'énorme charge de ces frais, mais sur l'ensemble de l'économie du point de vue du capital global, le marché ne va pas s'étendre, il va souffrir une nouvelle amputation, le nombre d'acheteurs solvables va diminuer.
Loin de mettre en évidence la bonne santé et la progression du capitalisme, l'épisode Internet est la manifestation de la spirale mortelle dans laquelle il est prisonnier : la diminution des marchés solvables force l'augmentation des frais improductifs, et l'endettement. Et ceci crée une autre diminution des marchés solvables, obligeant à faire un pas de plus dans l'endettement et les frais impro-ductifs... et ainsi de suite !
Le nouveau retour inflationniste
L'inflation est un phénomène typique de la décadence du capitalisme, dont une des manifestations spectaculaires fut l'Allemagne dans les années 1920, avec une dévaluation du mark qui dépassa les 2000'%. Confronté à la violente flambée inflationniste des années 1970, le capitalisme est parvenu ces vingt dernières années à réduire de façon significative les taux d'inflation dans les pays industrialisés, mais comme nous l'avons mis en évidcnce dans le rapport du 13e Congrès, l'inflation a en réalité été masquée par une très importante réduction des coûts et par une vigilance plus aiguë de la part des banques centrales quant à la quantité d'argent en circulation. Cependant, les causes profondes de l'inflation - l'endettement gigantesque et les frais improductifs qu'exige la survie du système -, loin d'être éradiquées, n'en sont que plus importantes. Les nouvelles pressions inflationnistes qui se produisent depuis le début de l'an 2000 ne sont donc en aucune façon une surprise. En réalité, l'aggravation de la crise qui depuis 1995 apparaît sous la forme de débandades boursières peut provoquer un nouvel épisode grave, sous la forme cette fois d'une poussée inflationniste.
Dans son rapport de juin 2000, l'OCDE alerte sur les risques inflationnistes croissants produits par l'économie américaine, affirmant que "le récent accroissement de la demande domestique est insoutenable, et les pressions inflationnistes se sont faites plus présentes ces derniers temps, alors que le dèficit de la balance commerciale en compte courant à brusquement augmenté jusqu 'à atteindre 4% dit PNB. L'objectif pour les autorités est d'obtenir une réduction ordonnée de la croissance de la demande. "Après être tombée à son niveau le plus bas aux Etats-Unis en 1998 (1,6 `%), l'inflation peut selon la Réserve fédérale américaine atteindre en l'an 2000 4,5 %. Cette tendance se manifeste également en Europe où la moyenne pour la zone Euro est passée d'un 1,3 % en 1998 à une prévision de 2,4 % en l'an 2000, avec des poussées comme en Hollande (estimée à 3,5 %), en Espagne (qui en septembre a déjà atteint 3,6 %) et en Irlande (qui atteint 4,5 %).
L'endettement astronomique, la bulle spéculative, le fossé grandissant entre la production et la consommation, le poids croissant des frais improductifs ressortent à la surface et relativisent la prétendue bonne santé de l'économie.
Les conséquences catastrophiques de l'accompagnement de la crise
Ainsi donc, l'économie mondiale va rentrer dans une zone de turbulences après à peine deux années de calme.
Le vacarme assourdissant des campagnes sur la "bonne santé" du capitalisme et sur la "nouvelle économie" est inversement proportionnel à l'efficacité des politiques d'accompagnement de lacrise. L'escalade dans le triomphalisme occulte la réduction progressive de marge de manoeuvre des Etats. Du point de vue économique, humain et social, le prix à payer pour le prolétariat et l'avenir de l'humanité est extrêmement élevé. Par les guerres (encore localisées) et par les politiques "d'accompagnement de la crise", le capitalisme menace de convertir la planète en un vaste champ de ruines. Trois menaces pèsent essentiellement :
- l'effondrement de l'économie dans toujours plus de pays ;
- le processus graduel de fragilisation et de décomposition de l'économie des pays centraux ;
- l'attaque des conditions de vie de la classe ouvrière.
L'organisation du commerce et des finances mondiales afin que les pays les plus industrialisés exportent les pires effets de la crise sur les pays de la périphérie a transformé le monde en gigantesque friche. Nos camarades mexicains dans Revolucion Mundial ont souligné que « Jusqu'à la fin des années 1960, les pays de la périphérie étaient fondamentalement des exportateurs de matières premières, mais la tendance actuelle est à ce qu'ils en soient de plus en plus importateurs, même des produits de première nécessité. Le Mexique, par exemple, pays du maïs, est aujourd'hui importateur de cette céréale. Ce sont maintenant les pays centraux qui sont exportateurs des produits de base. » Le capitalisme se consacre à tel point à maintenir à flot les pays centraux qu'ils en sont à se disputer les marchés de matières premières, alors qu'historiquement ils avaient eux-mêmes instauré une division internationale du travail qui laissait la production de ces matières premières aux pays de la périphérie.
Le rapport récent de la Banque mondiale sur l'Afrique donne un panorama effrayant : elle n'atteint qu'un pour cent du PIB mondial et sa participation au commerce international n'atteint pas les 2 %. "Au cours des derniers 30 ans, 1 'Afrique a perdu la moitié de sa part de marchés dans le commerce global, y compris sur le marché traditionnel des matières premières. Si elle n'avait ne serait-ce que maintenu la part qu 'elle avait en 1970, elle encaisserait chaque année 70 000 millions de dollars supplèmentaires." La quantité de routes est inférieure à celle de la Pologne et 16 %seulement sont goudronnées. Moins de 20 % de la population dispose de l'électricité et moins de 50 % accède a l'eau potable. Il n'y a que 10 millions de postes de téléphone pour une population de 300 millions d'habitants. Plus de 20 % de la population adulte est atteinte du sida et on évalue à plus de 25 % le nombre de chômeurs dans les grandes villes. Les guerres touchent 1 africain sur 5. Ces données prennent en compte l'Afrique du Sud et les pays du Maghreb, ils seraient bien plus terrifiants si on les omettait.
Ce développement de la barbarie ne s'explique que par l'avancée irrépressible de la crise du capitalisme. Si le développement du capitalisme en Angleterre au siècle dernier dessinait l'avenir du monde, la tragédie de l'Afrique aujourd'hui annonce l'avenir que le capitalisme réserve à l'humanité s'il n'est pas détruit ([10] [15]).
Mais les dévastations de « l’accompagnement de la crise », attaquent toujours plus profondément les infrastructures, le fond même de l'appareil productif des grandes puissances capitalistes dont les structures de base sont toujours plus fragiles et en constante fragilisation.
Les experts bourgeois reconnaissent franchement que le capitalisme occidental est dcvcnu une "société à haut risque". Par cet euphémisme ils voilent la dégradation rapide dont souffrent les moyens de transport (aérien, ferroviaire, routier) comme en témoignent les catastrophes de plus en plus fréquentes dans le métro ou les chemins de fer, et dont la dernière en date a été la nuort de 150 personnes dans un funiculaire autrichien.
On peut en dire autant des travaux publics. Les réseaux de canalisations, les digues, les mécanismes de prevention souffrent d'un vieillisement sans précédent, conséquence des coupes systématiques et prolongées dans les budgets de sécurité et de maintenance. La conséquence en est les inondations et autres catastrophes qui se multiplient dans des pays comme l’Angleterre, l’Allemagne, la Hollande, alors qu'elles étaient traditionnellement réservées aux pays du Sud économiquement plus attardés.
En ce qui concerne la santé, nous assistons aux Etats-Unis à un taux de mortalité infantile dans les quartiers défavorisés de New York (Harlem et Brooklin), qui dépasse celui de Shanghai ou Moscou. L’espérance de la durée de vie y est descendue à 66 ans. En Grande-Bretagne, l’Association nationale des médecins affirmait dans son rapport publié le 25 novembre 1996 que « des malades des temps de Dickens affectent à nouveau l’Angleterredo. Il s’agit de maladies caractéristiques de la pauvreté, comme le rachitisme ou la tuberculose ».
L'attaque aux conditions de vie de la classe ouvrière
La dégradation des conditions de vie de la classe ouvrière est le principal indice de l'avancée de la crise. Comme le dit Marx dans le Capital : «la raison ultime de toutes les crises réelles, c'est toujours la pauvreté et la consommation restreinte des masses, face à la tendance de l’économie capitaliste de développer les forces productives, comme si elles n’avaient pour limites que le pouvoir de consommation absolu de la société » (Chap.XVII, La Pléiade) Si l'attaque contre les conditions de vie fut relativement douce dans les années 1970, elle s'est accélérée au cours de ces 20 dernières années ([11] [16]).
Pour soutenir l'endettement, lâcher du lest et éliminer toute activité non rentable afin de pouvoir livrer la bataille féroce de la compétitivité, tous les capitaux nationaux ont fait retomber les pires effets de la crise sur la classe ouvrière : depuis les années 1980, la vie des travailleurs "privilégiés" des pays centraux ne parlons même pas de l'épouvantable situation de leurs frères dans les pays du tiers-momde - est marquée au fer rouge des licenciements massifs, de la transformation du travail fixe en travail précaire, de la multiplication des sousemplois payés misérablement, de l'allongement de la journée de travail à travers de multiples subterfuges dont la « semaine de 35 heures », de la réduction des retraites et des prestations sociales, L’augmentation vertigineuse des accidents du travail...
Le chômage est le principal et plus sûr indicateur de la crise historique du capitalisme. Consciente de la gravité du problème, la classe dominante des pays industrialisés a développé une politique de couverture politique du chômage, pour la cacher aux yeux des ouvriers et de toute la population. Cette politique, qui condamne à un carrousel tragique une grande masse d'ouvriers (un emploi précaire, quelques mois de chômage, un sous-emploi, un stage de formation, quelques mois de chômage, etc.), et à laquelle s'ajoute la manipulation scandaleuse des statistiques, permet de proclamer aux quatre vents les succès -permanents- de l'éradication du chômage.
Une étude sur le pourcentage de chômeurs compris entre 25 et 55 ans montre des Chiffres plus précis que les pourcentages en statistiques générales du chômage, qui diluent les pourcentages en y mélangeant les jeunes dont beaucoup d'entrc eux poursuivent leurs études (18-25 ans) et les travailleurs pré-retraités (56-65 ans) :
Moyenne de chômage entre 25 et 55 ans (1988-95)
France |
11,2 % |
Grande Bretagne |
13,1 % |
Etats-Unis |
14,1 % |
Allemagne |
15,0 % |
En Grande-Bretagne, le nombre de familles dont tous les membres se trouvent au chômage a suivi l'évolution suivante ([12] [17]):
1975 |
|
6,5 % |
1985 |
|
15,1 % |
1995 |
19,1 % |
La conjoncture plus immédiate des derniers mois montre une vague de licenciements sans précédent dans tous les secteurs productifs, de l'industrie aux entreprises "point.com [18]" en passant par de très anciennes entreprises commerciales comme Marks & Spencer.
L'ONU élabore en indice nommé IPH (Indice de la pauvreté humaine). Les chiffrcs pour 1998 concernant le pourcentage de la population en dessous de l'IPH dans les principaux pays industrialisés sont :
Etats-Unis |
16,5 % |
Grande Bretagne |
15,1 % |
France |
11,9 % |
Italie |
11,6 % |
Allemagne |
10,4 % |
Les salaires connaissent une baisse continue depuis plus de 10 ans. Rien qu'aux Etats-Unis, « les revenus hebdomadaires moyens – corrigés du taux d’inflation - de 80% entre 1973 et 1995, passant de 315 à 285 dollars par semaine » ([13] [19]). Ces chiffres sont confirmés par les 5années suivantes : entre juillct 1999 et juin 2000, les coûts unitaires du travail sont tombés de 0.8% aux Etats-Unis. Le salaire horaire moyen, qui était de 11,5$ en 1973, est de 10$ en 1999 ([14] [20]). Le niveau d'exploitation augmente implacablement aux EtatsUnis : pour obtenir le même niveau de salaire (en tenant compte de l'inflation), les ouvriers en 1999 doivent travailler 20 % de plus d'heures qu'en 1980.
Les limites du capitalisme
La politique de survie qu'a suivi le capitalisme a jusqu'à présent permis de maintenir la stabilité des pays centraux au prix cependant d'une aggravation croissante de la situation : « contrairement à 1929, la bourgeoisie dans les trente dernières années n’a pas été surprise ou inactive face à la crise mais à réagi en permanence afin de controler son cours. C’est ce qui donne au déploiement de la crise sa nature trés prolongée et impitoyablement profonde. La crise s'approfondit malgré tous les efforts de la classe dominante... En 1929, il n'existait pas encore un état permanent de surveillance de l'économie, des marchés financiers et des accords commerciaux internationaux, pas de brigades internationales de pompiers pour renflouer les pays en difficulté. Entre 1997 et 1999 au contraire, toutes ces économies d'une importance économique et politique considérable pour le monde capitaliste ont été anéanties malgré l'existence de tous les instruments capitalistes d'Etat » (Résolution sur la situation internationale au 13° congrès du CCI)
Face à cette situation, une méthode erronée, produit du désespoir et de l'immédiatisme, est d'attendre de façon obsessionnelle le moment de la "grande récession", quand la bourgcoisie va perdre le contrôle des événements, de sorte que la crise se manifestera enfin de façon brutale, catastrophique, condamnant de façon irrévocable le mode de production capitaliste.
Il ne s'agit pas ici d'exclure toute possibilité de récession. En 1999-2000, le capitalisme est à peine parvenu à respirer une goulée d'oxygène, en utilisant des doses extrêmement risquées des mêmes recettes qui avaient conduit à la chute fracassante de 1997-98, ce qui indique que des convulsions bien plus graves se dessinent dans un horizon assez proche. Cependant, la gravité de la crise ne se mesure pas avec les indices de chutes de production mais bien d'un point de vue historique et global, par l'aggravation de ses contradictions, la réduction progressive de ses marges de manoeuvre et surtout par la détérioration des conditions de vie de la classe ouvrière.
Dans sa critique de la position de Trotsky selon laquelle, dans la phase de décadence du capitalisme, « les forces productives de l'humanité ont cessé de croître », notre brochure La décadence du capitalisme répond que " tout changement social est le résultat d’un approfondissement réel et prolongé de la collision entre rapports de production et développement des forces productives. Si nous nous situons dans l'hypothèse d'un blocage délinitif et permanent de ce développement, seul un rétrécissement `absolu' de 1'enveloppe que constituent les rapports de production existants pourrait expliquer un mouvement net d'approfondissement de cette contradiction. Or on peut constater que le mouvement qui se produit généralernent au cours des différentes décadences de l'histoire (capitalisme y compris) tend plutôt vers un élargissement de l'enveloppe jusqu'à ses dernières limites que vers un rétrécissement. Sous l'égide de 1'Etat et sous la pression des nécessités économiques, sociales, la carapace se tend en se dépouillant de tout ce qui petit s'avérer superflu aux rapports de production en n'étant pas strictement nécessaire à la survie du système. Le système se renforce mais dans ses dernières limites. "
Comprendre pourquoi le capitalisme tente de "gérer sa crise" en pratiquant une politique de survie qui consiste à en diminuer les effets dans les pays centraux fait partie intégrante de l'analyse marxiste de la décadence des moyens de production. L'Empire romain n'en avait-il pas fait autant en se repliant à Byzance en abandonnant de vastes territoires sous la pression des invasions barbares ? Le despotisme des rois féodaux ne répondit il pas de la même manière face aux progrès des rapports de production capitalistes ?
"L'affranchis,yement des esclaves sous le Bas Empire romain, celui des serfs à la fin du Moyen Age, les libertés, mêmc parcellaires que la royauté en déclin doit accorder aux nouvelles villes bourgeoises, le renforcement du pouvoir central de la Couronne, l'élimination de la noblesse d'épée au profil d'une 'noblesse de robe', centralisée, réduite et soumise directement au roi, de même que des phénomènes capitalistes tels que les tentatives de planification, les efforts pour tenter d'alléger le poids des frontiéres économiques nationales, la tendance au remplacement des bourgeois parasitaires par des `managers' effïcaces, salariés du capital, les politiques de tvpe `New Deal ' et les manipulations permanentes de certains des mécanismes de la loi de la valeur sont tous autant de témoignages de cette tendance à l'élargissement de l'enveloppe juridique par le dépouillement des rapports de production. Il n’y a pas d'arrêt du mouvement dialectique au lendemain de l'apogée d'une société. Ce mouvement se transforme alors qualitativement mais il ne cesse pas. L'intensification des contradictions inhérentes à l'ancienne société se poursuit nécessairement et pour cela, il faut bien que le développement des forces emprisonnées existe, même si ce n'est que sous sa forme la plus ralentie. " (idem)
La situation des trente dernières années répond pleinement à ce cadre d'analyse. Après plus de 50 ans de survie parmi de grands cataclysmes, le capitalisme a dû impérativement se concentrer sur la gestion politique de la crise, dans le but d'éviter un effondrement brutal dans ses centres névralgiques, qui aurait été catastrophique tant face aux contradictions accumulées pendant plus de 50 ans de survie que face à à la nécessité de s'affronter à un prolétariat non défait.
Dans son combat contre le déterminisme économiste régnant dans le milieu de l'Opposition de gauche, Bilan stigmatise la déformation grossière du marxisme qui consiste à affirmer que "le mécanisme productif représente non seulement la source de la formation des classes mais détermine automatiquement l'action et la politique des classes et des hommes qui les constituent - le problème serait ainsi simplifie : tant les hommes que les classes ne seraient plus que des maionnettes animées par les forces productives " (Bilan n° 5, "Les principes, armes de la révolution"). En réalité, "s'il est parfaitement exact que le mécanisme économique donne lieu à la formation des classes, il est totalement faux de croire que le mécanisme économique les pousse directement à prendre la voie qui mènera à leur disparition. " (idem) Pour cette raison, « 1'action des classes n'est possible qu 'en fonction d'une intelligence historique du rôle et des moyens nécessaires à leur triomphe. Les classes sont tributaires du mécanisine éconnomique pour naître et pour mourir, mais pour vaincre... elles doivent être capables de se donner une configuration politique et organique sans laquelle, même si elles ont été élues par l'évolution des forces productives, elles risquent d'être longtemps maintenues prisonnières de l'ancienne classe qui, de son côté, emprisonnera pour résister le cours même de l'évolution économique. » (idem)
On ne peut formuler avec une plus grande clarté la substance des problèmes posés par le cours actuel de la crise historique du capitalisme. Notre tâche n'est pas d'attendre la dépression apocalyptique mais de développer une analyse méthodique de l'aggravation constante de la crise en montrant l'échec cumulatif de toutes les mesures d'accompagnement que le capitalisme présente comme des modèles de dépassement de la crise et d'évolution vers des jours radieux". Tout cela en vue de l'essentiel : le développement de la lutte et surtout de la conscience du prolétariat, le fossoyeur de la société capitaliste et l'artisan de l'action de l'humanité pour construire une nouvelle société.
C’est pour cela que la Résolution du précédent congrès affirma clairement qu'il n'existe pas dans l'évolution du capitalisme "un point de non-retour économique au-delà duquel le systéme serait voué à disparaître irrévocablement, ni qu'il y aurait une limite théorique définie au montant des dettes (principale drogue du capitalisme à l'agonie) que le systême pourrait s'administrer sans rendre sa propre existence impossible. En fait, le capitalisme à déjà dépassé ses limites économiques avec l'entrée dans sa phase de décadence. Depuis lors, le capitalisme a seulement réussi à survivre par une manipulation croissante des lois du capitalisme : une tache que seul I'Etat peut effectuer.
En réalité, les limites de l’existence du capitalisme économiques mais fondalement politiques. Le dénouement de la crise historique du capitalisme dépend de l'évolution du rapport de forces entre les classes :
- soit le prolétariat développe sa lutte jusqu’à la mise en place de sa dictature révolutionnaire mondiale
- soit le capitalisme, à travers sa tendance organique vers la guerre, plonge l'humanité dans la barbarie et la destruction définitive. »
[1] [21] Lire dans la Revue internationale n° 101 les articles : « vers où le capitalisme entraine le monde » et « le siècle le plus barbare de l’histoire ». .
[2] [22] Dans cc cadre (le coopération face aux petits gangsters, les grands se sont cependant livré, à une bataille enragée pour augmenter chacun sa part du gâteau de l'économie mondiale, sur le dos de leurs rivaux.
[3] [23] "la société capitaliste dans l’époque impérialiste s’assimile à un édifice où les matériaux nécessaires à la construction des étages supérieurs sont arrachés aux étages inférieurs et aux propres fondations. Plus la construction dans les hauteurs est frénétiques et plus sont fragilisées les bases qui soutiennent l’édifice. Plus ses sommets semblent imposants et plus fragile et vacillant sont ses ciments " (lntcrnationalisme n°2, "Rapport sur la situation internationale )
[4] [24] Le chiffre rond (10 ans) est faux ; en réalité, il s'agit de 33 trimcstrcs dc croissance (c'est-à-dirc 8 an, et un trimestre). Les commentaires chantant les louanges de "l’exceptionnalité" de ce cycle de croissance oublient intentionnellement que dans les années 60 se produisit un cyclc plus long (35 trimestres).
[5] [25]Données prises dans un article de Battaglia Communista sur la nouvelle économie, Prometeo n° I 2000.
[6] [26] Source : ONU. Commission économique pour l'Europe.
[7] [27] Dans cette croissance maladive ont aussi leur poids les dépenses eu armement aux Etats-Unis) qui aprés avoir atteint leur apogée en 1985 - époque de la fameuse Guerre dcs Etoilcs deReagan -, avec 312 000 millions de $ et avoir baissé depuis 1990 jusqu'au niveau annuel de 255 000 millions de $ en 1997, ont à nouveau augmenté en 2000 jusqu'à atteindre 274 000 millions de$ (chiffres donnés par Révolution internationale n° 305).
[8] [28] Prometeo du mois de juin 2000 contient aussi un article contre le mythe de la Nouvelle économie qui apporte de solides arguments contre cette mystification.
[9] [29] Indice 100 pour le réseau de bureau équipés d'ordinateurs sans connexion permanente.
[10] [30] Contre cette explication, la classe dominante oppose d'autres visions, celles des mouvements de Prague ou dc Seattle : rejeter la responsabilité sur une certaine forme de capitalisme (le libéralisme et la globalisation) et revendiquer une "répartition plus juste", la "remise de la dette", pour accréditer l'idée que le capitalisme est en bonne santé, qu'il serait possible de le faire évoluer progressivement, que des "réformes" seraient possibles s'il "renonçait" à ces "politiques erronées— mises en avant par l'OMC, le F M I et autres "méchants".
[11] [31] C.f. n° 96 et 98 de la Revue internationale, série « 30 années de crise ouverte du capitalisme ».
[12] [32] Source : I.ondon School of Economics, étude publiée en janvier 1997.
[13] [33] Chiffres extraits d’un livre de J. Gray, auteur d’un livre intitulé Falso amanecer et qui prétend être une critique de la globalisation.
[14] [34] Chiffres, donnés par l'article précité de Battaglia Communista dans Prometeo.
1933-1946 : l'énigme russe et la Gauche communiste italienne
La « Gauche communiste » est pour une grande part le produit des fractions du prolétariat qui ont représenté la plus grande menace pour le capitalisme durant la vague révolutionnaire internationale qui a suivi la guerre de 1914-1918 : le prolétariat de Russie, d'Allemagne et d'Italie. Ce sont ces sections "nationales" qui ont fait la contribution la plus significative à l'enrichissement du marxisme dans le contexte de la nouvelle période de décadence du capitalisme inaugurée par la guerre. Mais ceux qui se sont élevés le plus haut sont aussi ceux qui sont tombés le plus bas. Nous avons vu dans les précédents articles de cette série comment les courants de gauche du parti bolchevique, après leur première tentative héroïque pour résister aux assauts de la contre-révolution stalinienne, furent presque complètement balayés par cette dernière, laissant aux groupes de gauche en dehors de Russie la tâche de poursuivre l'analyse de l'échec de la révolution russe et de définir la nature du régime qui avait usurpé son nom. Ici encore, les fractions allemande et italienne de la Gauche communiste ont joué un rôle absolument primordial, même si elles n'ont pas été les seules (l'article précédent de cette série, par exemple, a décrit l'émergence d'un courant communiste de gauche en France dans les années 1920-1930 et sa contribution à la compréhension de la question russe). Mais si le prolétariat a subi d'importantes défaites à la fois en Italie et en Allemagne, c'est certainement le prolétariat allemand qui a effectivement tenu entre ses mains le sort de la révolution mondiale en 1918-1919, qui fut écrasé avec le plus de brutalité et de sang versé par les efforts conjugués de la social-démocratie, du stalinisme et du nazisme. Ce fait tragique, en même temps qu'une faiblesse théorique et organisationnelle remontant au début de la vague révolutionnaire et même avant, a contribué à un processus de dissolution non moins dévastateur que ce qui est advenu au mouvement communiste en Russie.
Sans entrer dans une discussion pour savoir pourquoi c'est la Gauche italienne qui a le mieux survécu au naufrage causé par la contre-révolution, nous voulons réfuter une légende entretenue par ceux qui non seulement se prétendent les héritiers exclusifs de la Gauche italienne historique, mais encore réduisent la Gauche communiste, qui fut par-dessus tout une expression internationale de la classe ouvrière, à sa seule branche italienne. Les groupes bordiguistes qui expriment le plus clairement cette attitude, reconnaissent bien sûr l'importance de la composante russe du mouvement marxiste durant la vague révolutionnaire et les événements qui suivirent, mais ils l'amputent d'un bon nombre des courants de gauche les plus significatifs au sein du parti bolchevique (Ossinski, Miasnikov, Sapranov, etc.) et tendent à ne se référer de façon positive qu'aux seuls leaders "officiels" tels que Lénine et Trotsky. Mais en ce qui concerne la Gauche allemande, le bordiguisme ne fait que répéter les déformations accumulées sur elle par l'Internationale communiste : qu'elle était anarchiste, syndicaliste, sectaire, etc., et ce, précisément à une époque où l'IC commençait à ouvrir sa porte à l'opportunisme. Pour ces groupes, il est logique d'en conclure qu'il ne saurait être question de débattre avec des courants qui proviennent de cette tradition ou qui ont essayé de réaliser une synthèse des contributions des différentes Gauches.
Ceci ne fut en aucune manière la démarche adoptée par Bordiga, soit dans les premières années de la vague révolutionnaire, quand le journal Il Soviet ouvrait ses colonnes à ceux qui faisaient partie de la Gauche allemande ou se trouvaient dans son orbite tels Gorter, Pannekoek et Pankhurst ; ou bien dans la période de reflux, comme en 1926, quand Bordiga répondait très fraternellement à la correspondance reçue du groupe de Korsch.
La Fraction italienne a maintenu cette attitude durant les années 1930. Bilan fut très critique par rapport aux dénigrements faciles portés par l'IC à l'encontre de la Gauche germano-hollandaise et ouvrit volontiers ses colonnes aux contributions de ce courant, comme il le fit pour les questions sur la période de transition. Bien qu'il ait eu de profonds désaccords avec les "internationalistes hollandais", il les respectait comme une authentique expression du prolétariat révolutionnaire.
Avec le recul. nous pouvons dire que sur de nombreuses questions cruciales, la Gauche germano-hollandaise est arrivée plus rapidement que la Gauche italienne à des conclusions correctes : par exemple, sur la nature bourgeoise des syndicats ; sur le rapport entre le parti et les conseils ouvriers ; et sur la question traitée dans cet article : la nature de l'URSS et la tendance générale vers le capitalisme d' Etat.
Dans notre livre sur la Gauche hollandaise, par exemple, nous signalons que Otto Rühle, une des principales figures de la Gauche allemande, avait atteint des conclusions très avancées sur le capitalisme d'Etat dés 1931.
«un des premiers théoriciens du communisme de conseil à examiner en profondeur le phénomène du capitalisme d'Etat fut Otto Rühle. Dans un remarquable livre d’avant-garde à Berlin en 1931 sous le pseudonyme de Karl Steuermann, Rühle a montré que la tendance au capitalisme d’Etat était irréversible et qu’aucun pays ne pouvait y échapper à cause de la nature mondiale de la crise. Le chemin suivi par- le capitalisme n'était pas un changement de nature, mais de forme, dans le but d’assuerer sa survie en tant que système : «la formule pour le salut du monde capitaliste est : changement de forme, transformation des dirigeants, ravalement de façade, sans renoncer à son but qui est le profit. La question est de chercher un moyen qui permettra au capitalisme de continuer à un autre niveau, dans un autre domaine d'évolution.»
Rülhe envisageait grosso modo trois formes de capitalisme d’Etat correspondant aux différents niveaux de développement. A cause de son retard économique, la Russie représentait la forme extrême de capitalisme d’Etat : «l'économie planifiée fut introduite en Russie avant que l'économie capitaliste libérale eût atteint son zénith, avant que son processus vital l'eût conduite à la sénilité.» Dans le cas de la Russie, le secteur privé fut totalement contrôle et absorbé par l’Etat. A 1’opposé dans une économie capitaliste plus développée comme en Allemagne, c'est le contraire qui est arrivé : le capital privé a pris le contrôle de l’Etat. Mais le résultat fut identique : le renforcement du capitalisme d’Etat : «Il y a une troisième voie pour arriver au capitalisme d'Etat. Non par l'expropriation du capital par l'Etat, mais par le contraire : le capital privé s'empare de l'Etat.»
La deuxième méthode, qui pourrait être considérée comme un mélange des deux, correspond à l’appropriation graduelle par l’Etat de secteurs du capital privé : «[l'Etat] conquiert une influence grandissante sur l'industrie entière : peu à peu il devient le maître de l'économie.»
De toute façon,le capitalisme d'Etat ne peut être en aucun cas une «solution» pour le capitalisme .Il ne représente qu'un soin palliatif pour la crise du système: «le capitalisme d'Etat est toujours du capitalisme (...) même sous la forme de capitalisme d'Etat, le capitalisme lie peut espérer prolonger longtemps son existence. Les mêmes difficultés et les mêmes conflits qui l'obligent à aller de la forme privée vers la forme étatisée réapparaissent à un niveau plus élevé.» Aucune « internationalisation » du capitalisme d’Etat ne pourrait résoudre le problème du marché : «la suppression de la crise n'est pas un problème de rationalisation, d'organisation ou de production de crédit, c'est purement et simplement le problème de vendre.». -
Bien que, comme le précise notre livre, la démarche de Rühle ait contenu une contradiction en ce qu'il voyait aussi le capitalisme d'Etat comme une sorte de forme "supérieure" du capitalisme préparant la voie vers le socialisme, son livre reste "une contribution de premier ordre au marxisme ". En particulier, en présentant le capitalisme d'Etat comme une tendance universelle dans la nouvelle période, il établissait les bases établies pour détruire l'illusion selon laquelle le régime stalinien en Russie représentait une totale exception par rapport au reste du système mondial.
Et Pourtant Rühle incarne les faiblesses de la Gauche allemande tout autant que ses indéniables forces. Premier délégué du KAPD au 2° congrès de l'IC en 1920, Rühle vit en tout premier lieu la terrible bureaucratisation qui s'était déjà emparée de l'Etat soviétique. Mais, sans prendre le temps de comprendre les origines de ce processus dans le tragique isolement de la révolution, Rühle quitta la Russie sans même essayer de défendre les points de vue de son parti au congrès, et rejeta rapidement toute position de solidarité envers le bastion russe assiégé. Exclu du KAPD pour cette transgression, il commença à développer les bases du "conseillisme" : la révolution russe n'était rien d'autre qu'une révolution bourgeoise, la forme parti ne servait qu'à de telles révolutions ; tous les partis politiques étant bourgeois par essence, il était maintenant nécessaire de fusionner les organes économiques et politiques de la classe en une seule organisation "uni fiée". Beaucoup au sein de la Gauche allemande ont certes résisté à ces idées dans les années 1920, et même dans les années 1930, elles n'étaient en aucune façon acceptées universellement parmi le mouvement du communisme de conseils, comme on peut le voir dans le texte extrait de Rüte Korrespondenz que nous avons publié dans la Revue Internationale n° 105. Mais elles ont certainement causé d'importants dégâts dans la Gauche germano-hollandaise et grandement accéléré son effondrement organisationnel. En même temps, en déniant tout caractère prolétarien à la révolution russe et au parti bolchevique, elles ont bloqué toute possibilité de compréhension du processus de dégénérescence auquel tous deux succombèrent. Ces vues reflétaient bien le poids réel de l'anarchisme dans le mouvement ouvrier allemand, et ont rendu bien plus facile l'amalgame entre toute la tradition de la Gauche communiste allemande et l'anarchisme.
La Gauche italienne : paulatim sed firmiter ([1] [37])
Dans le précédent article de cette série, nous avons vu que, au sein du milieu politique entourant l'Opposition de gauche de Trotsky, y compris maints groupes qui s'orientaient vers les positions de la Gauche communiste, subsistait une énorme confusion sur la question de l'URSS à la tin des années 1920 et au cours des années 1930 ; en particulier l'idée que la bureaucratie était une sorte de nouvelle classe, non prévue par le marxisme, n'était pas la moindre. Etant donnée la profonde faiblesse théorique qui prédominait aussi dans la Gauche germano-hollandaise, il n'est pas surprenant que la Gauche italienne ait abordé ce problème avec énormément de prudence. Par rapport à beaucoup d'autres groupes prolétariens, c'est très lentement qu'elle en vint à reconnaître la véritable nature de la Russie stalinienne. Mais parce qu'elle était solidement ancrée à la méthode marxiste, ses ultimes conclusions furent plus cohérentes et plus approfondies.
La Fraction a abordé 1’"énigme russe" de la même manière qu'elle a abordé les autres aspects du "bilan" qui devait être tiré des combats révolutionnaires titanesques de la période qui avait suivi la 1° guerre mondiale , et par dessus tout des défaites tragiques que le prolétariat avait subies ; avec patience et rigueur, évitant tout jugement hâtif se basant sur les conclusions que la classe avait tirées une fois pour toute avant de remettre en question des positions difficilement acquises. Pour ce qui concerne la nature de l'URSS, la Fraction était en continuité directe avec la réponse de Bordiga à Korsch, que nous avons examinée dans le dernier article : pour elle, ce qui était clairement établi, c'était le caractère prolétarien de la révolution d'octobre et du parti bolchevique qui la dirigea. En fait, nous pouvons dire que la compréhension grandissante, par la Fraction, de l'époque inaugurée par la guerre - époque de la décadence du capitalisme- lui a permis de voir, plus clairement que Bordiga, que seule la révolution prolétarienne était à l'ordre du jour de l'histoire, dans tous les pays. Elle n'avait donc pas de temps à perdre en spéculations sur le caractère "bourgeois" ou "double" de la révolution russe. Une idée qui, nous l'avons vu, avait une emprise croissante sur la Gauche germano-hollandaise. Pour Bilan, rejeter le caractère prolétarien de la révolution d'octobre ne pouvait que résulter d'une sorte de "nihilisme prolétarien", d'une véritable perte de confiance dans la capacité de la classe ouvrière de jamais accomplir sa propre révolution (la formule est tirée d'un article de Vercesi : "L'Etat soviétique" de la série "Parti, Internationale, Etat dans Bilan n° 21).
Rien de ceci ne signifie que la Fraction était "mariée" à la notion d"`invariance du marxisme" depuis 1848, notion qui est devenue Lin credo pour les bordiguistes d'aujourd'hui. Au contraire : dès le départ - en fait l'éditorial du n° 1 de Bilan - elle s'est engagée à examiner les leçons des récents combats de classe « sans dogmatisme ni ostracisme » et ceci l'a conduite à exiger Lune révision fondamentale de quelques-unes des thèses de base de l'Internationale communiste, par exemple sur la question nationale. En ce qui concerne l'URSS, tout en insistant sur la nature prolétarienne d'Octobre, elle a reconnu aussi que dans les années écoulées une profonde transformation s'était produite, de sorte qu'au lieu d'être un facteur de défense et d'extension de la révolution mondiale, l’"Etat prolétarien" avait joué un rôle contre-révolutionnaire à l'échelle mondiale.
Un point de départ tout aussi crucial pour la Fraction était que les besoins du prolétariat à l'échelle internationale avaient toujours priorité sur toute expression locale ou nationale, et qu'en aucune circonstance on ne pouvait transiger avec le principe de l'internationalisme prolétarien. C'est pourquoi le Parti communiste italien avait toujours défendu l'idée que l'Internationale devait se considérer comme un unique parti mondial dont les décisions liaient toutes ses sections, même celles, comme en Russie, qui détenaient le pouvoir d'Etat dans certains pays c'est aussi pour cette raison que la Gauche italienne s'est immédiatement rangée aux côtés de l'Opposition de Trotsky dans son combat contre la théorie de Staline dit socialisme en un seul pays.
En fait, pour la Fraction, « il est non seulement impossible de construire le socialisme dans un seul pays mais aussi d'en établir les bases. Dans le pays où le prolétariat a vaincu, il ne s'agit point de réaliser une condition du socialisme (au travers de la libre gestion économique de la part du prolétariat) mais seulement de sauvegarder la révolution, ce qui exige le maintien de toutes Ies institutions de classe du prolétariat. " ("Nature et évolution de la révolution russe - réponse ait camarade Hennaut", Bilan n°35, septembre 1936, p. 117 I ) Ici la fraction est allée plus loin que Trotsky, qui, avec sa théorie de l’ « accumulation socialiste primitive » considérait que la Russie avait en fait commencé à poser les fondations d'une société socialiste, même s'il rejetait ce que prétendait Staline : cette société était déjà advenue. Pour la Gauche italienne, le prolétariat ne pouvait en réalité qu'établir la domination politique dans un pays, et même, ceci serait inévitablement sapé par l'isolement de la révolution.
Internationalisme ou défense de l'URSS ?
Et pourtant, malgré sa clarté fondamentale, la position de la majorité au sein de la Fraction, était, en apparence du moins, similaire à celle de Trotsky : l'URSS restait un Etat prolétarien, mérite s'il était profondément dégénéré, sur la base du fait que la bourgeoisie avait été expropriée et que la propriété restait entre les mains de l'Etat qui avait surgi de la révolution d'octobre. La bureaucratie stalinienne était définie comme une couche parasite, mais n'était pas vue comme une classe - qu'il s'agisse d'une classe capitaliste ou d'une nouvelle classe non prévue par le marxisme : « la bureaucratie russe n 'est pas mie classe, encore moins une classe dominante, étant donné qu' il n'existe pas de droits particuliers sur la production en dehors de la propriété privée des moyens de production et qu’ en Russie, la collectivisation subsiste dans ses fondements I1 est bien vrai que la bureaucratie russe consomme une large portion du travail social : mais il en fut ainsi pour tout parasitisme social qu'il ne faut pas confondre pour cela avec l'exploitation de classe. " ("Problème de la période de transition, 4° partie", Bilan n° 37, nov.-dec. 1936)
Durant les premières années de la vie de la Fraction, la question de savoir s'il fallait défendre ce régime ne fut pas complètement résolue, et elle demeura ambiguë dans le premier numéro de Bilan en 1933, où le ton donné est d'alerter le prolétariat d'une trahison possible : "Les factions de gauche ont le devoir d' alerter le prolétariat du rôle qu'a déjà joué l'URSS dans le mouvement ouvrier, d'indiquer d'ores et déjà l'évolution que prendra l'Etat prolétarien sous la direction du centrisme. Dès maintenant, la désolidarisation doit être flagrante avec la politique imposée par le centrisme de l'Etat ouvrier. L’alarme doit être jetée parmi la classe ouvrière contre la position que le centrisme imposera à l'Etat russe non dans ses intérêts, mais contre ses intérêts. Demain, et il faut le dire dès aujourd'hui, le centrisme trahira les intérêts du prolétariat.
Une telle attitude vigoureuse et de nature à réveiller l'attention des prolétaires, d'arracher les membres dit parti à l'emprise du centrisme, de défendre réellement l'Etat ouvrier. Seule, elle mobilise des énergies pour la lutte qui gardera au prolétariat Octobre 1917. " ("Vers l'Internationale deux trois-quarts" Bilan n° l, nov. 1933, p. 26)
En même temps la Fraction a toujours été vivement consciente de la nécessité de suivre l'évolution de la situation mondiale et de juger sur un critère simple mais clair la question de la défense de l'URSS : celle-ci jouait-elle ou non un rôle complètement contre-révolutionnaire au niveau international '? Une politique de défense sapait-elle la possibilité de maintenir un rôle strictement internationaliste dans tous les pays ? Si tel était le cas, alors cela aurait beaucoup plus de poids que de savoir s'il subsistait quelques "acquis" concrets de la révolution d'octobre à l'intérieur de la Russie. Et ici, son point de départ était radicalement différent de celui de Trotsky, pour qui le caractère "prolétarien" du régime était en soi une justification suffisante pour une politique de défense, quel que soit son rôle sur l'arène mondiale.
La démarche suivie par Bilan vis-à-vis de ce problème était intimement liée à sa conception du cours historique : à partir de 1933, la Fraction déclara avec une certitude croissante que le prolétariat avait subi une profonde défaite, et que le cours était maintenant ouvert pour une deuxième guerre mondiale. Le triomphe du nazisme en Allemagne en fut une preuve, l'embrigadement du prolétariat dans les pays "démocratiques" derrière le drapeau de l'anti-fascisme en fut une autre, mais une ultime confirmation fut précisément la "victoire du centrisme" - terme que Bilan utilisait encore pour décrire le stalinisme- à l'intérieur de l'URSS et des partis communistes, et en même temps, l'incorporation croissante de l'Union soviétique dans 1a marche vers une nouvelle re-division impérialiste du globe. Ceci était évident pour Bilan en 1933, quand l' URSS fut reconnue par les Etats-Unis (un événement décrit comme "Une victoire pour la contre révolution mondiale " dans le titre d'un article de Bilan n° 2, déc . 1933). Quelques mois plus tard fut accordé à l'URSS le droit d'entrer à la SDN (la Société des Nations, ancêtre de l'ONU) : "l' entrée de la Russie dans la S. D. N. pose immédiatement le problème de la participation de la Russie à l'un des blocs impérialistes pour la prochaine guerre. " ( "La Russie soviétique entre dans le concert des brigands impérialistes ", Bilan n° 8, juin 1934, p.263) Le rôle brutal contre la classe ouvrière joué par le stalinisme fut confirmé parla suite par celui qu'il a joué dans le massacre des ouvriers en Espagne, et par les procès de Moscou, à travers lesquels une génération entière de révolutionnaires fut balayée.
Cette évolution conduisit la Fraction à rejeter définitivement toute politique de défense de l'URSS. Et ceci marqua un nouveau degré dans la rupture entre la Fraction et le trotskisme. Pour ce dernier, il existait une contradiction fondamentale entre "l'Etat prolétarien" et le capital mondial. Celui-ci avait un intérêt objectif à s'unir contre l'URSS, et c'était donc le devoir des révolutionnaires de la défendre contre les attaques impérialistes. Pour Bilan, par contre il était clair que le monde capitaliste pouvait facilement s'adapter à l'existence de l’Etat soviétique et de son économie nationalisée, à la fois au niveau économique et surtout au niveau militaire. Il a prédit avec une terrible exactitude que l'URSS serait complètement intégrée à l'un ou l'autre des deux blocs impérialistes qui allaient s'engager dans la future guerre, même si la question de savoir dans quel bloc particulier n'avait pas encore été tranchée. La Fraction démontra de façon très explicite que la position trotskiste de défense ne pouvait conduire qu'à l'abandon de l'internationalisme face à la guerre impérialiste : "En outre, selon les Bolcheviques-léninistes en cas «d'alliance de l'URSS avec un Etat impérialiste ou avec un groupement impérialiste contre un autre groupement», le prolétariat devra quand même défendre l'URSS. Le prolétariat d'un pays allie maintiendrait son hostilité implacable envers son gouvernement impérialistes, mais pratiquement ne pourrait en toutes circonstances agir comme !e prolétariat d’un pays adverse de la Russie. Ainsi, «il serait, par exemple, absurde et criminel, en cas de guerre entre l'URSS et le Japon, que le prolétariat américain sabote l'envoi d'armes américaines à l'URSS.»
Nous n'avons, naturellement, rien de commun avec ces positions. Une fois engagée dans la guerre impérialiste, la Russie, non pas objet en soi, mais instrument de la guerre impérialiste, doit être considérée en fonction de la lutte pour la révolution mondiale, c'est-à-dire en fonction de la lutte pour l'insurrection prolétarienne dans tous les pays.
D’ailleurs la position des bolchéviks-léninistes ne se distingue déjà plus de celle des centristes et des socialistes de gauche. Il faut défendre la Russie, même si elle s'allie avec un Etat impérialiste, tout en maintenant une lutte impitoyable contre «l’allié » ! Mais cependant cette «lutte impitoyable » contient déjà une trahison de classé, dès qu' il est question d'interdiction de grève contre la bourgeoisie «alliée». L'arme spécifique de la lutte prolétarienne est précisément la grève et l'interdire contre une bourgeoisie, c'est en réalité renforcer ses positions et empêcher toute lutte réelle. Comment les ouvriers d'une bourgeoisie alliée â la Russie peuvent-ils lutter impitoyablement contre cette dernière s'ils ne peuvent pas déclencher des mouvements de grève ?
Nous estimons qu'en cas de guerre, le prolétariat de tous les pays, y compris en Russie, aurait pour devoir de se concentrer en vue de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. La participation de l'URSS à une guerre de rapine n'en modifierait pas le caractère essentiel et l'Etat prolétarien ne pourrait que sombrer sous les coups des contradictions sociales qu'une telle participation entraînerait. " ("De l'Internationale deux trois-quarts à la deuxième Internationale", Bilan n' 10, août 1934, p. 345-346) Ce passage est particulièrement prophétique : pour les trotskistes, la "défense de l'URSS" devint un simple prétexte pour la défense des intérêts nationaux de leurs propres pays.
Loin d'être une force intrinsèquement hostile au capital mondial, la bureaucratie stalinienne était perçue comme étant son agent- comme une force à travers laquelle la classe ouvrière russe subissait l'exploitation capitaliste. Dans de nombreux articles, Bilan a bien montré avec force que cette exploitation était précisément cela, une forme d'exploitation capitaliste : "...en Russie, comme dans les autres pays la course effrénée de l’industrialisation conduit inexorablement à faire de l'homme une pièce de l'engrenage mécanique de la production industrielle. Le niveau vertigineux atteint pur le développement de la technique impose une organisation socialiste de la société. Le progrès incessant de l'industrialisation doit s’harmoniser avec les intérêts des travailleurs, autrement ces derniers deviennent les prisonniers, et, enfin, les esclaves des forces de l'économie. Le régime capitaliste est l'expression de cet esclavage car, au travers de cataclysme économiques et sociaux, il peut y trouver la source de sa domination de la classe ouvrière. En Russie, c’est sous la loi de 1'accumulation capitaliste que se réalisent les constructions gigantesques d’ateliers, et les travailleurs sont à la merci de la logique de cette industrialisation :ici accidents de chemins de fer, là dans les mines, ailleurs catastrophes dans les ateliers. " ("Le procès de Moscou", Bilan n' 39, jan-fev. 1937, p. 1271 ) De plus, Bilan reconnaît que la nature extrêmement féroce de cette exploitation est déterminée par le fait que la "construction du socialisme" par l'URSS, l'industrialisation accélérée des années 30, était en fait la construction d'une économie de (,Lierre en préparation du prochain holocauste mondial : "L’Union soviétique comme les Etals capitalistes avec lesquels elle est liée se doit d’œuvrer en vue d’une guerre qui s’annonce de plus en plus proche :1’industrie essentielle de l'économie doit donc ce/rc celle des armement nécessitant des capitaux sans cessé croissant. ("L'assassinat de Kyrov, la suppression des tickets de pain en URSS (Bilan n° l4, janvier 1935, p. 467) Ou encore : « la bureaucratie centriste russe soutire la plus-value de ses ouvriers et de ses paysans en vue de la préparation de la guerre. La Révolution d'Octobre issue de la lutte contre la guerre impérialiste de 1914, est exploitée par les épigones dégénérés pour pousser les nouvelles générations à la guerre impérialiste » ("La boucherie (le Moscou", Bilan n'34, août-sept. 1936, p. 1117)
Ici, la contradiction avec la démarche de Trotsky est clairement évidente : tandis que Trotsky ne pouvait s'empêcher dans La Révolution trahie de chanter les louanges des énormes réalisations économiques de l'URSS qui étaient supposées démontrer la "supériorité du socialisme", Bilan répliquait qu'en aucun cas le progrès vers le socialisme ne pourrait se mesurer par la croissance du capital constant, mais seulement par une réelle amélioration des conditions de vie et de travail des masses . "Mais si la bourgeoisie établie sa bible sur la nécessité d’une croissance continue de la plus-value afin de la convertir en capital, dans l’intérêt commun de toutes les classes (sic), le prolétariat par contre doit agir dans la direction d’une diminution constante du travail non payé ce qui amène inévitablement comme conséquence un rythme de l’accumulation suivant extrêmement ralenti par rapport à l’économie capitaliste" "L'Etat soviétique" Bilan n° 21, juil-août 1935, p. 720). De plus, cette vision trouvait ses racines dans la compréhension par Bilan de la décadence du capitalisme : le refus de reconnaître que l'industrialisation stalinienne était un phénomène "progressiste" n'était pas seulement basé sur la reconnaissance qu'elle s'appuyait sur la misère absolue des masses, mais aussi sur la compréhension de sa fonction historique comme participant à la préparation à la guerre impérialiste, elle-même expression la plus manifeste de la nature régressive du système capitaliste.
Si on se souvient aussi que Bilan était parfaitement au courant de ce passage de l'Anti-Dühring où Engels rejette l'idée que l'étatisation en soi a un caractère socialiste, et qu'il a utilisé plus d'une fois cet argument pour réfuter ce que prétendaient les apologues du stalinisme (cf. "L'Etat soviétique", op.cité, "Problèmes de la période de transition" Bilan n° 37 ), on peut se rendre compte que Bilan fut très près de voir l'URSS sous Staline comme un régime capitaliste et impérialiste. Finalement, il était lui aussi contraint de reconnaître que partout le capitalisme s'appuyait de plus en plus sur l'intervention de l' Etat pour échapper aux effets de l'effondrement économique mondial et pour se préparer à la guerre à venir. Le meilleur exemple de cette analyse est contenu dans les articles sur le plan De Man en Belgique dans les numéros 4 et 5 de Bilan. Il ne pouvait pas ignorer les similitudes entre ce qui se passait en Allemagne nazie, dans les pays démocratiques et en URSS.
Et cependant, Bilan hésitait encore à se débarrasser de l'idée que l'URSS était un Etat prolétarien. II était parfaitement conscient que le prolétariat russe était exploité, mais il avait tendance à exprimer ceci comme un rapport qui lui était directement imposé par le capital mondial sans l'intermédiaire d'une bourgeoisie nationale : la bureaucratie stalinienne était vue comme un "agent du capital mondial" plutôt que comme une expression du capital national russe avec sa propre dynamique impérialiste. Cette insistance mise sur le rôle principal du capital mondial était complètement en cohérence avec sa vision internationaliste et sa profonde compréhension que le capitalisme est avant tout un système global de domination. Mais le capital global, l'économie mondiale, n'est pas une abstraction existant en dehors de l'affrontement des capitaux nationaux en compétition. Ce fut cette dernière pièce du puzzle que la Fraction ne réussit pas à mettre en place.
En même temps, ses derniers écrits semblent exprimer une intuition croissante que ses positions sont contradictoires, et ses arguments en faveur de la thèse de 1"`Etat prolétarien" devenaient de plus en plus défensifs et peu étayés :
"Ma/gré la révolution d'Octobre, tout de la première à la dernière pierre de l'édifice construit sur le martyre des ouvriers russes, devra être balayé, car c'est la seule condition permettant d'affirmer une position de classe en URSS. Nier la «construction du socialisme» pour arriver à la révolution prolétarienne voilà où l'involution de ces dernières années a conduit le prolétariat russe. Si l'on nous objecte que l'idée de la révolution prolétarienne contre un Etat prolétarien est un non-sens et qu' il s'agit d'harmoniser les phénomène en appelant cet Etat un Etat bourgeois, nous répondons que ceux qui raisonne de la sorte ne font qu 'exprimer une confusion sur le problème déjà traité par nos maîtres : les rapports du prolétariat et de l'Etat, confusion qui les conduira vers l'autre extrême : la participation à l'Union Sacrée autour de 1 'Etat capitaliste de la Catalogne. Ce qui prouve que tant du côté de Trotski où sous prétexte de défendre les conquêtes d'Octobre on défend l'Etat russe, que de l'autre coté où l'on parle d’un Etat capitaliste en Russie il y a une altération du marxisme qui conduit ces gens à défendre l'Etat capitaliste menacé en Espagne. " ("Quand le boucher parle", Bilan n° 41, mai-juin 1937, p. 1339) Cette argumentation était fortement marquée par la polémique avec des groupes comme l'Union communiste et la Ligue des communistes internationalistes sur la guerre d'Espagne, mais elle ne parvient pas à établir le lien logique entre la défense de la guerre impérialiste en Espagne et la conclusion que la Russie est devenue un Etat capitaliste.
En fait, un certain nombre de camarades à l'intérieur même de la Fraction commencèrent à remettre cri question la thèse de l'Etat prolétarien, et ce n'était pas du tout les mêmes que la minorité qui est tombée sous l'influence de groupes comme l'Union ou la LCI sur la question de l'Espagne. Mais quelle qu'ait été la discussion sur ce sujet au sein de la Fraction dans la deuxième moitié des années 1930, elle fut éclipsée par un autre débat provoqué par le développement de l'économie de guerre à une échelle internationale : le débat avec Vercesi qui avait commencé à soutenir que le recours à l'économie (le guerre par le capitalisme avait absorbé la crise et éliminé la nécessité d'une autre guerre mondiale). La Fraction fut littéralement épuisée par ce débat, et, comme les idées de Vercesi influençaient la majorité, elle se trouva dans le plus profond désarroi quand la guerre éclata (voir notre livre La Gauche communiste d'Italie pour un compte-rendu plus développé de ce débat).
II avait toujours été posé comme un axiome que la guerre allait finalement clarifier le problème de l'URSS. et on en eut la preuve. Ce n'est pas un hasard si ceux qui s'étaient opposés ait révisionnisme de Vercesi, sont aussi ceux qui ont le plus activement appelé à la reconstitution de la Fraction italienne et à la formation du Noyau français de la Gauche communiste. Ce sont ces mérites camarades qui ont mené le débat sur la question de l'URSS. Dans sa déclaration de principes initiale, le Noyau français définissait encore l'URSS comme un "instrument de l'impérialisme mondial". Mais en 1944 la position de la minorité était parfaitement claire « l’avant-garde communiste sera capable de mener à bien sa tache de guide du prolétariat vers la révolution dans la mesure où elle sera capable de se libérer elle-même du grand mensonge de la « nature prolétarienne » de l’Etat russeet de dévoiler de ce dernier pour ce qu’il est, de révéler sa nature et sa fonction capitaliste contre révolutionnaire »
Il suffit de noter que le but de la production reste l’extraction de la plus-value, pour affirmer le caractère capitaliste de l’économie. L’Etat russe a participé au cours vers la guerre, pas seulement à cause de sa fonction contre révolutionnaire dans l’écrasement du prolétariat, mais à cause de sa propre nature capitaliste, à travers la nécessité de défendre ses ressources de matières premières, à travers la nécessité de s’assurer une place sur le marché mondial où il réalise sa plus-value, à travers le désir, la nécessité, d’élargir ses sphères d’influences économiques et de s’ouvrir des voies d’accès » (la nature non-prolétarienne de l’Etat russe et sa fonction contre-révolutionnaire, Bulletin International de Discussion n° 6, juin 1944) L'URSS avait sa propre dynamique impérialiste trouvant son origine dans le processus d'accumulation ; elle était poussée à l'expansion car l'accumulation ne petit se faire en circuit fermé ; la bureaucratie était donc une classe dirigeante dans tous les sens du terme. Ces prévisions furent amplement confirmées par la brutale expansion de l'URSS cri direction de l'Europe de l'Est à la fin de la guerre.
Le processus de clarification continua après la guerre, principalement encore avec le groupe français qui pris le nom de Gauche communiste de France. Les discussions continuèrent aussi dans le Partito Communista Internazionalista (PClnt) nouvellement formé, mais malheureusement elles ne sont pas bien connues. II semblerait qu'il y avait énormément d'hétérogénéité. Quelques camarades du PC'Int développèrent des positions proches de celles de la GCF ; tandis que d'autres sombrèrent dans la confusion. L'article ds laGCF :"Propriété privée et propriété collective", Intertionalisme n° 10, 1946 (republié dans la Revue internationale n° 61 ) critique Vercesi qui avait rejoint le PClnt, parce qu'il maintenait l'illusion que, même après la guerre, l'URSS pouvait encore être définie comme un Etat prolétarien. Bordiga, pour sa part, avait recours à ce moment-là au terme dénué de sens de "industrialisme d'Etat" ; et bien que plus tard il en vint à considérer l'URSS comme étant capitaliste, il n'accepta jamais le terme de capitalisme d'Etat et sa signification comme expression de la décadence du capitalisme. Dans cet article du n° 10 d'lrrternutiur7crli.snte, par contre, se trouvent réunies toutes les données essenticl les du problème. Dans ses études théoriques de la tin des années 1940, début des années 1950, la GCF les rassembla en un tout homogène. Le capitalisme d'Etat était analysé comme "la forme correspondant à la phase de décadence du capitalisme, comme le fut le capitalisme de monopole à sa phase de plein développement"; de plus, ce n'était pas quelque chose limité à la Russie : "le capitalisme d’Etat n’est pas l’apanage d’une fraction de la bourgeoisie ou bien d’une école idéologique particulière. Nous le voyons s’instaurer aussi bien en Amérique démocratique que dans l’Allemagne hitlérienne, dans l’Angleterre « travailliste » que dans la Russie « soviétique »". En allant au-delà de la mystification selon laquelle l'abolition de la "propriété privée" individuelle permettait de se débarrasser du capitalisme, la GCF fut capable de situer son analyse sur les racines matérielles de la production capitaliste :
« L’expérience russe nous enseigne et nous rappelle que ce ne sont pas les capitalistes qui font le capitalisme, mais bien le contraire : c’est le capitalisme qui engendre des capitalistes. Le principe capitaliste de la production peut exister après la disparition juridique et même effective des capitalistes bénéficiaires de la plus-value. Dans ce cas, la plus-value tout comme sous le capitalisme privé, sera réinvestie dans le procès de la production en vue de l’extirpation d’une plus grande masse de plus-value ».
Dans un court délai, l'existence de la plus-value engendrera des hommes formant la classe qui s'appropriera la Jouissance de la plus-value. La fonction créera l'organe. Qu'ils soient des parasites, clés bureaucrates ou des techniciens participant à la production, que la plus-value se répartisse d'une façon directe ou d'une façon indirecte par le truchement de l'Etat, sous la forme de hauts salaires ou de dividendes proportionnels à leurs actions et emprunts d'Etat (comme c'est le cas en Russie), tout cela ne changera en rien le fait fondamental que nous nous trouverons en présence d'une nouvelle classe capitaliste."
La GCF, en continuité avec les études de Bilan sur la période de transition, en tira toutes les implications nécessaires pour cc qui concerne la politique économique du prolétariat après la prise du pouvoir politique. D'une part, le refus de confondre étatisation avec socialisme, et la reconnaissance qu'après la disparition des capitalistes privés "la menace redoutable d’un retour du capitalisme se trouvera essentiellement dans le secteur étatisé. Cela d’autant plus que le capitalisme se trouve ici sous sa forme impersonnelle, pour ainsi dire éthérée. L’étatisation peut servir à camoufler longtemps un processus opposé au socialisme" (idem) D'autre part la nécessité d'une politique économique prolétarienne qui s'attaque radicalement au processus de base de l'accumulation du capital : "au principe capitaliste de travail accumulé commandant le travail vivant en vue de la production de plus-value, doit être substituer le principe du travail vivant commandant le travail accumulé en vue de la production de consommation pour la satisfaction des membres de la société" (idem) Ceci ne voulait pas dire qu'il sera possible d'abolir le surtravail en tant que tel, surtout immédiatement après la révolution lorsque tout un processus de reconstruction sociale serait nécessaire. Cependant, la tendance à l'inversion du rapport capitaliste entre ce que le prolétariat produit et ce qu'il consomme « pourra servir d’indication de l’évolution de l’économie et être le baromètre indiquant la nature de classe de la production »(idem)
Ce n'est pas un hasard si la GCF n'a pas craint d'inclure les visions les plus perspicaces de la Gauche germano hollandaise dans ses bases programmatiques. Dans la période d'après-guerre, la GCF consacra d'importants efforts pour renouer le dialogue avec cette branche de la Gauche communiste (voir notre brochure sur la Gauche communiste de France). Sa clarté sur des questions telles que le rôle des syndicats et les rapports entre le parti et les conseils ouvriers furent certainement le fruit de ce travail de synthèse. Mais on peut dire la même chose sur sa compréhension de la question du capitalisme d'Etat : les prévisions que la Gauche allemande avait développées quelques décennies avant, étaient maintenant intégrées dans la cohérence théorique globale de la Fraction italienne.
Ceci ne veut pas dire que le problème dit capitalisme d'Etat était définitivement clos : en particulier, l'effondrement des régimes staliniens à la fin des années 80 a nécessité de pousser plus avant la réflexion et la clarification sur la manière dont la crise économique capitaliste a affecté ces régimes et a conduit à leur effondrement. Mais c'est la question russe qui détermina de façon nette et définitive à la fin du second holocauste impérialiste la frontière de classe : à partir de ce moment, seuls ceux qui reconnaissaient la nature capitaliste et impérialiste des régimes staliniens pouvaient rester dans le camp prolétarien et défendre les principes internationalistes face à la guerre impérialiste. La preuve en négatif de ceci est fournie par la trajectoire du trotskisme, dont la position de défense de l'URSS l'a conduit à trahir l'internationalisme pendant la pierre, et dont l'adhésion continue à la thèse de l"`Etat ouvrier dégénéré" l'a conduit à faire l'apologie du bloc impérialiste russe durant la guerre froide. La preuve en positif est fournie par les groupes de la Gauche communiste, dont la capacité à défendre et à développer le marxisme pendant la période de décadence du capitalisme leur a permis finalement de résoudre l'énigme russe et de préserver la bannière du communisme authentique exempt des souillures de la propagande bourgeoise.
CDW.
Nous publions ci-dessous la suite du courrier publié dans le numéro précédent que nous a fait parvenir un de nos contacts proches qui exprime un désaccord avec notre position sur les explications économiques de la décadence du capitalisme.
Dans le texte qui suit, nous continuons le développement de notre réponse commencée dans le numéro précédent et qui s'attache essentiellement à la méthode pour appréhender ce débat. De fait, nous ne reprenons pas directement les questions et la critique que le camarade nous adresse dans cette deuxième partie de son courrier. Nous y reviendrons dans un prochain article en particulier pour répondre à la question de la reconstruction de l'après-guerre des années 1950 et 1960 qui ne peut s'expliquer par la seule dévalorisation du capital constant et l'augmentation de la part du capital variable dans la composition organique du capital lors de la guerre malgré ce qu'en pensent le camarade et la CWO. Nous sommes d'accord que c'est une question importante à discuter et à clarifier.
De même, nous reviendrons sur la vision que le camarade nous prête au sujet du rapport entre "l'intérét économique" et la guerre impérialiste. Loin de nous l'idée de nier tout facteur d'intérêt économique dans la guerre impérialiste dans la période de décadence. La question est : à quel niveau ce facteur joue-t-il ? Au niveau immédiat de conquêtes de territoires et de marchés ou bien en termes plus généraux et plus historiques ? Et surtout quel rôle a-t-il dans l'exacerbation et le déclenchement des antagonismes impérialistes ? Quel rapport entre les facteurs économiques et les facteurs géostratégiques ? Et quel est le facteur déterminant de la dynamique même de ces rivalités ? Pour être plus concret, pourquoi par exemple, les antagonismes impérialistes ont pu ne pas recouper les principales rivalités économiques durant la période du bloc impérialiste américain - regroupant les principales puissances économiques du monde - et du bloc impérialiste russe de 1945 à 1989 ?
Au-delà de leur aspect théorique, les réponses à ces questions déterminent différentes analyses de la situation concrète, différentes approches et surtout différentes interventions des révolutionnaires dans la situation comme on a pu encore le constater dans les guerres du Kosovo ou de la Tchétchénie. Voilà pourquoi ce sont des débats importants que nous soumettons à la lecture, à la discussion et à la critique.
La baisse du taux de profit, la guerre impérialiste et la période de reconstruction
Dans son essai "Guerre et accumulation" (Revolutionary Perspectives n° 16, ancienne série, pp. 15-17), la CWO a montré de façon convaincante comment l'analyse de Marx de la baisse du taux de profit explique la période de reconstruction. (N.B. La théorie des crises de la CWO combine de façon éclectique l'analyse de Marx de la baisse du taux de profit avec l'analyse de GrossmannMattick. Dans cette discussion, cependant, la CWO suit exclusivement l'analyse de Marx).
« Pendant une guerre -nous parlons ici des guerres totales du 20° siècle- la masse de capital existant est dévaluée simplement parce qu'elle est usée jusqu'au bout et non remplacée par du nouveau capital ; en terme de volume l'appareil productif est le même que celui d'avant la guerre, mais en terme de valeur il ne l'est pas, du fait du vieillissement et de la sur-utilisation. Le sens de toute production pour l'effort de guerre assure cela : la production des usines du Secteur I est détournée des machines outils vers les armements, et les machines vieillissantes, qui sont techniquement obsolètes avant que toute leur valeur C soit hors d'usage, sont utilisèes jusqu'au bout, pour économiser du capital. En temps de paix, les capitalistes qui ne laissent pas s'élever cette composition de leur capital sont acculés, mais PAS en temps de guerre. Le contrôle d'Etat de l'économie et l'effort de guerre introduisent de telles limitations à la concurrence, et un tel système de commandes garanties, que le capitaliste n'a pas de stimulant, et pas d'obligation de reconstituer et d'améliorer son appareil productif..
Ce n'est pas seulement que la masse de capital existant était de valeur moindre en 1949 que ce qu'elle avait été en 1939 principalement plus du fait de la dévaluation que de la destruction), mais aussi que lit composition dit capital avait chuté dans les années de guerre, du fait de l'introduction de l'armée de réserve du travail (chômeurs, femmes) dans la production, en général sur de base de l'introduction massive de lajournée de travail en trois équipes et de la semaine de six jours ; la composition du capital est tombée puisque le même C était utilisé par une force de travail plus importante, c'est-à-dire que V augmentait...
Sur la base de ce taux élevé et de cette masse de profil, la reconstitution graduelle des forces productives s'est produite après la seconde guerre mondiale... Dans une situation où une masse de capital dévalué existait, toute reconstitution des forces productives (même avec des machines similaires et pas d'accroissement de valeur) devait amener à un accroissement phénoménal de productivité. Si cette dernière s'accroît plus vite que la composition du capital, alors le taux de profil ne baisse PAS, au contraire, il va augmenter... Donc, la bourgeoisie n'avait pas le problème de se demander pourquoi elle devait s'inquiéter d'accumuler dans les années 1950; la guerre avait rèsolu ce problèrne pour elle en rétablissant les bases pour une production profitable ».
L'explication claire par la CWO démolit la critique confuse du CCI de la baisse du taux de profit comme explication de la reconstruction capitaliste.
"Le hic, c'est qu'il n’a. jamais étéprouvé que lors des reprises qui ont suivi les guerres mondiales, la composition organique du capital ait été inférieure à ce qu'elle était à leur veille. C'est bien du contraire qu'il s'agit. Si l'on prend le cas de la seconde guerre mondiale, par exemple, il est clair que, dans les pays afféctés par les destructions de la guerre, la productivité moyenne du travail et donc le rapport entre le capital constant et le capital variable a très rapidement rejoint, dés le début des années 1950, ce qu'ils étaient en 1939. En fait, le potentiel productif qui est reconstitué est considérablement plus moderne que celui qui avait été détruit. (...) Pourtant, la période de « prospérité » qui accompagne la reconstruction se prolonge bien au-delà (en fait jusqu'au milieu des années 1960) du moment où le potentiel productif d'avant-guerre a été reconstitué, faisant retrouver à la composition organique sa valeur précédente. " (Revue internationale n°77, 2° trimestre 1994, Le rejet de la notion de décadence conduit à la démobilisation du prolétariat face à la guerre ")
Le vrai "problème" est que le CCI, comme son mentor Rosa Luxemburg, ne comprend pas l'analyse de Marx de la baisse du taux de profit.
Les confusions économiques du CCI
Le CCI se trouve dans une situation embarrassante parce que, d'un côté, il défend la position marxiste que la décadence ne signifie pas un arrêt total de la croissance des forces productives, mais de l'autre, il défend une théorie des crises dont la conclusion logique et inévitable est précisément ce résultat. Dans la théorie des crises de Rosa Luxemburg, les marchés pré-capitalistes sont une condition sine qua non de l'accumulation capitaliste. Donc, quand ces marchés sont épuisés l'accumulation capitaliste a atteint sa limite économique absolue. En effet, la destruction continue des marchés pré-capitalistes signifie que le capital total non seulement ne peut pas dépasser cette limite, mais aussi qu'il doit nécessairement diminuer.)
Le CCI cependant, ignore la contradiction flagrante entre le développement réel du capitalisme et la conclusion logique de son analyse économique selon laquelle il y a un plafond à la croissance capitaliste, il y a une limite économique absolue à l'accumulation capitaliste. (C'est aussi la conclusion logique de l'analyse de Henryk Grossmann.)
La contradiction oblige le CCI à une conclusion ridicule sur la nature de la guerre impérialiste ; il croit que la guerre impérialiste n'a pas de fonction économique pour le capitalisme décadent ([1] [44]). La complète absurdité de cette idée est déroutante, au même titre que celle des bordiguistes de "l'invariance du Programme".
En d'autres termes, le CCI dit que la position marxiste selon laquelle dans la décadence le capitalisme cesse de remplir une fonction progressiste (économique, ou autre) pour l'humanité est identique à la position selon laquelle la guerre impérialiste ne remplit pas une fonction économique pour le capitalisme. Le CCI rend les choses plus confuses encore en assimilant cette dernière idée avec la notion fausse du BIPR d'après laquelle toute guerre dans la décadence a un mobile économique immédiat. ([2] [45])
(Cette idée que la guerre impérialiste n'a pas une fonction économique pour le capitalisme est cohérente avec la théorie luxemburgiste des crises des marchés pré-capitalistes du CCI. Après tout, dans cette théorie, une fois que les marchés pré-capitalistes sont épuisés, la poursuite de l'accumulation au niveau du capital total devient impossible. Et si l'accumulation capitaliste a atteint sa limite absolue, alors rien, pas même la guerre impérialiste ne peut renverser la situation. En conséquence la guerre impérialiste ne peut pas avoir une fonction économique.)
Le CCI argumente que la guerre impérialiste n'a pas une fonction économique. Mais si la guerre impérialiste n'a pas une fonction économique, quelles explications pour les périodes de reconstruction du capital, dont le CCI reconnaît l'existence, et dont il reconnaît que, dans le cas de l'après seconde guerre mondiale, cela a conduit à une expansion économique qui a grandement dépassé celle du capitalisme d'avant la seconde guerre mondiale ?
Pourquoi le CCI, qui a le programme et la pratique politique les plus cohérents de tous les groupes de la Gauche communiste, qui est dégagé du sectarisme, de l'opportunisme et du centrisme qui marquent le BIPR et les bordiguistes, sombre-t-il dans une confusion aussi profonde dans le domaine de l'économie? La réponse est son Luxemburgisme économique. Contrairement aux illusions du CCI, Rosa Luxemburg a développé sa théorie alternative des crises parce qu'elle n'a pas compris la méthode du Capital ; en particulier, elle a pensé de façon erronée que les schémas de la reproduction dans le volume Il du Capital avaient pour objectif de donner directement une image de la réalité capitaliste concrète. La contradiction apparente entre les schémas et la réalité historique l'a conduite à croire que les schémas étaient faux, mais ce qui était faux était l'empirisme partial de son point de vue ; car sa "découverte" que le capitalisme ne pouvait pas accumuler sans les marchés précapitalistes dérive de son adoption erronée du point de vue du capitaliste individuel. Ses concessions à l'empirisme l'ont empêchée de saisir la validité de l'analyse de Marx de la baisse du taux de profit, et l'ont entraînée dans une interprétation mécaniste de la crise mortelle de l'accumulation capitaliste.
Je considère les explications économiques spécifiques de Rosa Luxemburg et Henryk Grossmann de la décadence capitaliste comme des théories économiques révisionnistes parce qu'elle sont basées sur une mauvaise compréhension de la méthode du Capital :
"L'orthodoxie dans les questions du marxisme se rapporte presque exclusivement à la méthode. C'est seulement dans la voie de ses fondateurs que cette méthode peut être développée, étendue et approfondie. Et cette conviction repose sur l'observation que toutes les tentatives de dépasser ou « d’améliorer » cette méthode ont conduit, et ceci nécessairement, seulement à des banalités, des platitudes et à l'éclectisme... " ([3] [46])
Bien sûr, malgré leurs théories économiques révisionnistes il y avait une frontière de classe qui séparait Rosa Luxemburg et Henryk Grossmann : la première était une révolutionnaire marxiste en raison de ses positions politiques ; Henryk Grossmann était un stalinien réactionnaire.
Le dogmatisme du CCI
« Il ne peut pas y avoir de dogmatisme quand le critère suprème et unique d'une doctrine est en conformité avec le processus réel du développement économique et social. » ([4] [47])
Le CCI refuse de reconnaître que parce que les marchés pré-capitalistes sont une condition sine qua non de l'accumulation capitaliste dans les théories économiques de Luxemburg, ceci aurait des conséquences particulières et inévitables pour le développement du capitalisme, si cela était vrai. En d'autres termes, sa théorie des crises fait des prédictions spécifiques sur le développement capitaliste. Cependant, le "processus réel du développement économique et social" a montré sans équivoque la fausseté de ces prédictions et donc la fausseté de ses théories économiques. Le CCI continue cependant à défendre la validité de ces théories économiques. C'est du DOGMATISME.
De plus, quoi d'autre que le dogmatisme peut expliquer pourquoi le CCI continue à considérer l'analyse de Henryk Grossmann de la baisse du taux de profit comme identique à celle de Marx dans le Capital, alors qu'il connaît de longue date la critique de Henryk Grossmann par Anton Pannekoek dans La théorie de l'effondrement du capitalisme ([5] [48]), qui montre clairement les différences fondamentales entre les deux. De plus, cet article et les écrits du BIPR, particulièrement ceux de la CWO, devraient avoir éclairé le CCI sur le fait que le BIPR combine de façon éclectique la théorie économique de Grossmann avec celle de Marx.
Le CCI se réfère aux nombreux articles qu'il a écrit sur les théories économiques comme un signe de sa détermination à faire la clarté sur ce sujet ([6] [49]). Cependant, en pratique ceci veut dire que le CCI a simplement répété les mêmes arguments erronés encore et encore, ignorant et éludant les critiques convaincantes contre ses théories économiques par d'autres courants communistes. C'est vrai que le CCI répond avec des critiques de ces courants qui sont souvent correctes en soi, mais qui ne sont pas adéquates sur la validité des critiques spécifiques que ces courants soulèvent au premier niveau. (Par exemple, le CCl fait correctement remarquer que le BIPR e tparticulièrement les bordiguistes ont une tendance à analyser le capitalisme du point de vue de chaque nation prise isolément.)
Que le CCI défende encore ses théories économiques luxemburgistes défectueuses 25 ans après sa formation laisse à penser qu'il existe un climat politique interne qui décourage, ou au moins n'encourage pas, un approfondissement théorique sur les fondements économiques de la décadence. C'est une chose d'affirmer, comme le fait le CCI, et de le faire de façon juste, que les divergences sur les théories économiques ne devraient pas être un obstacle à l'unité politique et au regroupement. Cependant, pour le CC1, ceci a signifié en pratique éviter la clarté maximale sur cette question ; cela a signifié la stagnation théorique.
Très franchement, le CC1, en défendant ses théories économiques luxemburgistes, affiche la même indifférence pour la précision et la rigueur que le BIPR et les bordiguistes le font pour justifier leur pratique politique sectaire, centriste et opportuniste. Inutile de dire que les théories économiques appauvries du CCI donnent du crédit aux attaques de son programme politique par le BIPR et les bordiguistes, puisque beaucoup des critiques que ces courants font, contre les théories économiques du CC1, sont valables.
La dévotion dogmatique du CCI aux théories économiques de Rosa Luxemburg, qui je trouve rappelle l'attitude idolâtre des bordiguistes envers Lénine, aveugle l'organisation sur le décalage qui existe entre sa perspicacité politique sur l'impérialisme et ses théories économiques révisionnistes. ([7] [50])
Si le CCI veut avoir un fondement économique marxiste cohérent pour son programme politique, alors il DOIT abandonner fatalement la théorie des crises erronée de Rosa Luxemburg et la remplacer par celle de l'analyse de la baisse du taux de profit du Capital.
L'éclectisme dans les théories des crises du BIPR et du CCI
Comme l'a fait observer la CWO sur l'approche éclectique des théories économiques du CCI :
"Comme Luxembourg, leur référence à la baisse du taux de profit est simplement la pour donner une explication suffisante des faits (tels que pourquoi le capitalisme recherchait des marchés loin des métropoles pendant la période d'accumulation primitive) ou pour expliquer des éléments du développement du capitalisme qu'une approche purement marchés ne peut pas faire (par exemple pourquoi la concentration de capital a précédé la ruée pour la conquête de colonies ou pourquoi le gros du développement commercial s'est poursuivi dans cette période entre les puissances capitalistes avancées). " ([8] [51])
Cependant, le BIPR lui-même parvient à une théorie éclectique et confuse car il combine les théories des crises de Henryk Grossmann avec celle de Marx. En effet, il croit que la "contribution [de Grossmann] a été de montrer la signification du rôle de la masse de plus-value dans la détermination de la nature exacte de la crise." ([9] [52]) Le BIPR ne parvient pas à saisir que cette prétendue perspicacité de Grossmann est liée de façon inextricable à une conception mécaniste et à sens unique de l'accumulation capitaliste. À l'opposé de Marx, il examine la baisse du taux de profit seulement en termes de production de plus-value, ignorant le rôle de la circulation et de la distribution de la plus-value. Il en résulte qu'il arrive à la conclusion erronée que le capital est exporté dans les nations étrangères non pas, comme Marx le disait, pour maximiser la plus-value, mais parce qu'il y a "un manque de possibilités d’investissement au niveau national"([10] [53]) (ce qui est la fausse idée que le capital est exporté "parce qu’il ne peut absolument pas être utilisé au niveau national" ([11] [54]), ce que Marx a critiqué dans le volume III du Capital), et ainsi à sa conception mécaniste d'une crise mortelle du capitalisme.
L'approche éclectique des deux courants leur permet de sélectionner et choisir dans leurs théories des crises comme dans un self-service. Aussi plausible que cela puisse paraître, en réalité ils défendent deux perspectives diamétralement opposées : le point de vue mécaniste de la bourgeoisie et le point de vue dialectique du prolétariat. (Il est vrai que le CCI et le BIPR critiquent certains aspects des théories des crises respectivement de Rosa Luxemburg et de Grossmann-Mattick. Mais comme ils continuent de défendre le cœur des analyses économiques de ces théories, ils continuent donc de défendre les conceptions mécanistes sur lesquelles elles sont fondées.)
CA.
Note de la rédaction : lorsque nous n'avons pas trouvé la version des textes cités en français, la traduction de l'anglais en a été assurée par nos soins.
[1] [55] "La fonction de laguerre impérialiste",dans "La nature de la guerre impérialiste ", Revue internationale n' 82.
[2] [56] Ibid.
[3] [57] Georges Lukacs [sic], histoire et conscience de classe, cité par Paul Mattick, The inevitability of Communism : A Critique or Sidney Hook's Interprétation of Marx, Polemic Publishers, New York 1935, p.35.
[4] [58] Lénine, Oeuvres choisies.Tome I(p.298, Foreign languages Publishing House, Moscow, 1960.).
[5] [59] A.Pannekoek in Capital and class I, London (Spring 1977).
[6] [60] Pour la liste délaillée,voir la Revue lnternationale n°83,
[7] [61] Le CCI suppose que la compréhension de Rosa Luxemburg des conséquences politiques de la décadence capitaliste, à savoir que la nature globale de l'impérialisme détruit les bases matérielles pour l'auto-détermination nationalc, garantit la validité dc son explication économique spécifique de la décadence.
[8] [62] “Impérialism – The Decadent Stage of Capitalism” Revolutionnary Perspectives n°17, Old Series, p 16.
[9] [63] Correspondance de la CWO à l'auteur.
[10] [64] Cité dans « Grossmann versus Marx »de Anton Pannekoek, ibid.. p.73.
[11] [65] Ibid,
Le prétendu empirisme de Rosa Luxemburg
Boukharine, Raya Dunayeskaya et d'autres critiques de Luxemburg cités par le camarade, disent que Rosa Luxemburg se trompe dans sa recherche des causes externes à la crise du capitalisme ([1] [69]). Mais ni le marché mondial ni les économies pré-capitalistes ne sont en rien quelque chose d'extérieur au système, mais le terreau pour son développement et ses affrontements. Si l'on prétend que le capitalisme peut réaliser son accumulation à l'intérieur de ses propres limites, on est en train de dire que c'est un système historiquement illimité et qui ne se développe qu’à travers le simple échange de marchandises. Marx, dans le premier tome du Capital et aussi dans "Les résultats de la domination britannique aux Indes ", a démontré justement le contraire : la genèse du capital, son accumulation progressive, par le biais de sa lutte pour séparer les producteurs de leurs moyens de vie, en les transformant en principale marchandise productive la force de travail et, autour de cet axe, construire, dans des souffrances sans nom, l'échange "pacifique" et "régulier" des marchandises. En continuant avec la même méthode, Rosa Luxemburg se demande si ce qui était valable pour l'accumulation primitive l'est toujours dans les phases ultérieures du développement capitaliste. Ses critiques prétendent que l'accumulation primitive est une chose, et une autre le développement capitaliste, où ni "le marché extérieur" ni "la lutte contre l'économie naturelle" ne jouent plus de rôle. Ceci est radicalement démenti par l'évolution du capitalisme au l9° siècle, surtout lors de sa phase impérialiste.
« L 'accumulation primitive, qui est la première phase du capitalisme en Europe de la fin du Moyen Age jusqu'au milieu du XIXe siècle, a trouvé dans l'expropriation des paysans en Angleterre et sur le continent la meilleure méthode pour transformer massivement les moyens de production et les forces de travail en capital. Or, le capital pratique aujourd’hui encore ce systéme sur une échelle autrement plus large, par la politique coloniale (...) Il serait vain d'espérer limiter le capitalisme à la "concurrence pacifique", c'est-à-dire â un commerce normal de marchandises tel qu'il est pratiqué entre pays capitalistes comme base unique de l'accumulation. Cet espoir repose sur l'erreur doctrinale selon laquelle l'accumulation capitaliste pourrait s’effectuer sans les forces productives et sans la consommation des populations primitives, et qu'elle pourrait simplement laisser se poursuivre la désintégration interne de l'économie naturelle (...). La méthode violente est ici la conséquence directe de la rencontre du capitalisme avec les structures de l'économie naturelle qui opposent des limites à son accumulationt. Le capital ne peut se passer des moyens de production ni des forces de travail de ces sociétés primitives, qui lui sont en outre indispensables comme débouchés pour son surproduit. » (Rosa Luxemburg, L’accumulation du capital II, "La lutte contre l'économie naturelle")
Ceux qui, dans le mouvement révolutionnaire, prétendent expliquer la crise historique du capitalisme avec la seule baisse tendancielle du taux de profit, ne voient qu'une partie - l'échange à l'intérieur du marché capitaliste déjà constitué -, mais ils ne voient pas l'autre partie, la plus dynamique historiquement, la partie dont les limites de plus en plus grandes depuis la fin du 19° siècle, déterminent le chaos et les convulsions croissantes que l'humanité subit depuis 1914.
Ils se mettent ainsi dans une position pas très confortable par rapport au dogme central de l'idéologie capitaliste - "la production crée son propre débouché" toute offre finit par trouver sa demande, une fois passés les désordres conjoncturels -, sévèrement critiqué par Marx qui fustigea "la conception que Ricurdo a repise du creux et inconsistant Say quand à l'impossibilité de la .surproduction ou du moins, de la saturation du marché, se base sur le principe que les produits s'échangent toujours contre des produits ou, comme le disait Mil1, que la demande n 'est déterminée que pa rla production " (Le Capital. Tome 11, -Théories de la plus-value).
Dans le même sens, il combattit les conceptions qui limitaient les bouleversements du capitalisme à de simples décalages entre secteurs de la production.
Si l'on exclut les territoires précapitalistes du champ de l'accumulation, si certains pensent que le capitalisme peut se développer en partant de ses propres rapports sociaux, comment va-ton éviter la thèse selon laquelle la production crée son propre marché ? La baisse tendancielle du taux de profit est une explication insuffisante, car elle opère au sein d'un tel cumul de causes compensatoires, elle agit à si long terme qu'elle ne peut pas expliquer les faits historiques qui se succèdent depuis le dernier tiers du 19° siècle et qui se sont accumulés tout au long du 20° : l'impérialisme, les guerres mondiales, la grande dépression, le capitalisme d'Etat, la réapparition de la crise ouverte depuis la fin des années 1960 et l'effondrement de plus en plus brutal de parties de plus en plus importantes de l'économie mondiale dans les 30 dernières années.
Parce que la baisse tendancielle agit "à long terme, ne faudrait-il pas éviter l'empirisme et l'impatience en ne se laissant pas tromper par tous ces cataclysmes immédiats ? Telle paraît être la méthode proposée par le camarade quand il dit que le fait que la "division du monde" a coïncidé avec la "crise mondiale" est une "apparence" ou quand il dit que la grande dépression paraissait confirmer les thèses de Grossmann et Luxemburg, mais que, par la suite, elle a été démentie par la grande croissance après la seconde guerre mondiale ou la croissance des années 1990.
Nous reviendrons sur ce dernier aspect. Ce que nous voudrions mettre en relief maintenant, c'est que derrière les accusations "d'empirisme" portées à Luxemburg il y a une importante question de "méthode" qui paraît échapper au camarade. Les révisionnistes de la socialdémocratie entreprirent une croisade contre la "sous-consommation" de Marx ; Bernstein fut le premier à comparer l'analyse de la crise de Marx avec rien de moins que le pathétique Rodbertus, tandis que Tugan-Baranowsky revenait tranquillement aux thèses de Say sur la "production qui crée son propre marché" en expliquant avec des arguments marxistes" que les crises sont le produit des décalages entre deux secteurs de la production. Les critiques révisionnistes à Rosa Lu.xemburg - les Bauer, Eckstein, Hilferding etc. -- affirmèrent avec une "totale orthodoxie marxiste" que les tableaux de la reproduction élargie expliquent parfaitement que le capitalisme n'a pas de problème de réalisation, Boukharine, au service de la stalinisation des partis communistes, s'en est pris à l'exuvre de Rosa pour "démontrer" que le capitalisme n'a aucun problème "externe."
D'où vient cette animosité de la part des opportunistes vis-à-vis de l'analyse de Luxemburg ? Tout simplement parce que celle-ci avait mis le doigt dans la plaie, elle avait démontré la racine globale et historique de l'entrée du capitalisme dans sa décadence. 50 ans auparavant, la contradiction entre les avancées de la productivité du travail et la nécessité de maximaliser le profit avait été la première et fructueuse explication. Mais, maintenant, la question de la lutte du capitalisme contre les groupes sociaux qui l'ont précédé, dans la construction du marché mondial et les contradictions qui se concrétisaient (pénurie croissante d'aires extra-capitalistes) fournissait un cadre plus clair et plus systématique qui intégrait dans une synthèse supérieure la contradiction première et rendait compte du phénomène de l'impérialisme, des guerres mondiales et de la décomposition progressive de l'économie capitaliste.
Plus tard, sur les traces de ces révisionnistes, mais sur un terrain carrément bourgeois, toute une Clique de "marxologues" universitaires se sont mis à divaguer sur la "méthode abstraite" de Marx. Ils séparent avec habileté ses réflexions sur la reproduction élargie, le taux de profit, etc., de tout cc qui touche au marché et à la réalisation de la plus value, et, grâce à cette séparation - une façon de frelater la pensée de Marx, en vérité-, ils élaborent l'élucubration de sa "méthode abstraite", en la faisant devenir un "modèle" d'explication du fonctionnement contractuel de l'économie capitaliste : l'échange régulier des marchandises dont parlait Rosa Luxemburg. Toute tentative de confrontation de ce "modèle" avec la réalité du capitalisme devenait de "l'empirisme", c'était ne pas comprendre qu'il s'agit d'un "modèle abstrait", etc.
Cette entreprise destinée à transformer Marx en « icône inoffensif » - comme dirait Lénine - a comme objectif d'éliminer le tranchant révolutionnaire de son œuvre et de lui faire dire ce qu'il n'a jamais dit. Les économistes bourgeois qui ne s'en cachent pas en s'affublant du masque "marxiste", ont eux aussi leur "vision à long terme." Ne nous répètent ils pas à tout moment qu'il ne faut pas être empiriste ni immédiatiste, qu'au delà des licenciements, des cataclysmes boursiers, ce qu'on doit voir c'est la "tendance générale" et que celle-ci repose sur des bases saines ? Certaines parties du Capital, soigneusement sélectionnées et hors contexte servent les marxologues à entreprendre le même objectif.
Le camarade est sur des positions clairement révolutionnaires et ne participe ni de près ni de loin à cette cérémonie de la confusion ; mais du fait qu'il emprunte pas mal - d'arguments - à Boukharine et à d'autres académiciens, au licu d'essayer lui-même l'examen des positions de Rosa Luxemburg ([2] [70]), il ferme les yeux devant les aspects de la question que nous avons essayé de lui exposer.
Les
limites de l'accumulation capitaliste
Le camarade affirme que Rosa Luxemburg dit qu'il existe une "limite absolue" au développement du capitalisme. Regardons ce qu'elle dit exactement : "plus s’accroit la violence avec laquelle à l’intérieur et à l’extérieur le capital anéantit les couches non capitalistes et avilit les coliditions d’existence de toutes les classes laborieuses, plus l'histoire quotidienne de l'accumulation dans le monde se transforme en une serie de catasprophes et de convulsions, qui, se joignant aux crises économiques périodiques finiront par rendre impossible la continuation de l'accumulation et par dresser la classe ouvrière internationale contre la domination du capital avant même qui, celui-ci n'ait atteint economiquement les dernières limites objectives de son developpement" ("Le militarisme, champ d'action du capital", chap. 32. L'accumulation du capital, Oeuvres IV, p. 129, Maspero).
Si le camarade fait référence à « avant même que celui-ci n’est atteint économiquement les derniéres limit.s objectives de son développement », il est évident que le texte, interprété littéralement, fait penser à une "limite absolue." Mais la même conclusion pourrait être tirée de Marx : « avec la baisse du taux de profit, le développement de la force productive du travail permet la naissance d'une loi qui, à un certain moment, entre en totale contradiction avec le développement même de cette productivité. » (op. cit) Cette formulation tranche avec d'autres - que nous avons évoquées plus haut - où l'on montre que cette loi n'est qu'une tendance.
II est évident qu'on doit faire attention à ne pas tomber dans des formulations pouvant apparaître comme ambiguës, mais il ne faut pas non plus prendre une phrase isolée de son contexte. Ce qui importe c'est la dynamique et l'orientation globale d'une analyse. Sur cela, l'analyse de Rosa - comme celle de Marx - est très claire : l'important c'est qu'elle affirme que l'accumulation du capital se transformera "en une série de catastrophes et de convulsions. " Ceci ne veut pas dire limite absolue, mais tendance générale qui ne peut que s'aggraver avec le pourrissement de la situation.
Marx dit dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte que "les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas de plein gré, dans des circonstances librement choisies : celles-ci ils les trouvent au coniraire toutes faites, données, héritage du passé " ([3] [71]). La méthode des révolutionnaires consiste, en accord avec cette affirmation, à comprendre et énoncer les tendances de fond qui marquent "les circonstances que les hommes trouvent." Ce que Rosa affirmait, juste un an avant l'éclatement de la guerre de 1914, était une tendance historique qui allait marquer (et comment !), "l'action des hommes."
La conclusion de la première édition de son livre efface, à notre avis, tous les doutes sur le fait qu'elle aurait formulé une tendance "absolue" : "Le capitalisme est la premiére forme économique douée l'une force de propagande ; il tend à se répandre sur le glohe et à détruire toutes les autres formes économiques, n'en supportant aucune autre à coté de lui. Et pourtant il est en même temps la première forme économique incapable de subsister seule, à l'aide de son seul milieu et de son sol nourricier. Ayant tendance à devenir une , forme mondiale, il se heurte à sa propre incapacité d'être cette forme mondiale de la production. Il offre 1'exemple d'une contradiction historique vivante : son mouvement d’accumulation est à la fois l'expression, la solution progressive et l'intensification de cette contradiction. Â un certain degré de développement, cette contradiction ne peut être résolue que par l’application des principes du socialisme, c'est à dire par une forme économique qui est par définition une forme mondiale, un systéme harmonieux en lui-même, fondé non sur l'accumulation mais sur la satisfâction des besoins de l'humanité travailleuse et donc sur l’épanouissement de toutes les forces productives de la terre." (ibidem, p. 129-130)
Quelle est notre conception de la décadence du capitalisme ? Avons-nous parlé une seule fois de blocage absolu du développement des forces productives ou de limite absolue à la production capitaliste, d'une sorte de crise définitive et mortelle ? Le camarade reconnaît luimême que nous rejetons l'idée formulée par Trotsky qui parle d'un blocage absolu des forces productives, mais notre conception est aussi étrangère à certaines conceptions surgies dans les années 20 au sein des tendances du KAPD qui parlaient de la "crise mortelle du capitalisme", la comprenant comme un arrêt absolu de la production et de la croissance capitalistes. Dans notre brochure sur la Décadence du capitalisme, contre la position de Trotsky, nous disions : "Tout changement social est le résultat d'un approfondissement réel et prolongé de la collision entre rapports de production et développement des forces productives. Si nous nous dituons dans l'hypothése d'un blocage définitif et permanent de ce développement, seul un rétrécissement "absohr" de l'enveloppe qui constitue les rapports de production existants pourrait expliquer un mouvement net d'approfondissement de cette contradiction. Or, on peut constater que le mouvement qui se produit généralement au cours des differentes décadences de l'histoire (capitalisme y compris) tend plutôt vers un élargissement de l'enveloppe jusqu'à ces dernières limites que vers un rétrécissement. Sous l'égide de l'Etat et sous la pression des necessités économiques, sociales, la carapace se tend en se dépouillant de tout ce qui peut s'avérer superflu aux rapports de production en n'etant pas strictement nécessaire à la survie su système. Le systéme se renforce, mais dans ses derniéres limites » (La Décadence du capitalisme, 1981, p. 48)
Comprendre pourquoi le capitalisme essaie de "gérer sa crise" avec une politique de survie qui arrive à amoindrir ses effets dans les pays centraux, fait pleinement partie de l'analyse marxiste de la décadence des modes de production. L'Empire romain ne fit-il pas la même chose en se repliant sur Byzance et en abandonnant de vastes territoires devant la poussée des peuples barbares ? Et le despotisme éclairé n'était-il pas une réponse de l'ancienne monarchie face à l'avancée des rapports de production capitalistes ?
"L 'affranchissement des esclaves sous le Bas Empire romain, celui des serfs à la fin du Moyen Age, les libertés, même parcellaires que la royauté doit accorder aux nouvelles villes bourgeoises, le renforcement du pouvoir central de la couronne, l'élimination de la noblesse d'épée au profit « d'une de robe », centralisée, réduite et soumise directement au roi, de même que des phénomènes capitalistes tels que les tentatives de planification, les efforts pour tenter d'alléger le poids des frontières économiques nationales, la tendanca au remplacement des bourgeois parasitaires par des "managers " efficaces, salariés du capital, les politiques de type "New Deal" et les manipulations permanentes de certains mécanismes de la loi de la valeur sont tout autant de témoignages de cette tendance à l'élargissement de l'enveloppe juridique par le dépouillement des rapports de production. Il n’y a pas d'arrêt du mouvement dialectique au lendemain de l'apogée d'une société. Ce mouvement se transforme alors qualitativement mais il ne cesse pas. L 'intensification des contradictions inhérentes à l'ancienne société se poursuit nécessairement et pour cela, il faut bien que le développement des forces emprisonnées existe, même si ce n 'est que sous sa forme la plus ralentie." (Ibidem, p. 48)
Dans la période de décadence du capitalisme nous assistons à une aggravation de ses contradictions surtous les plans. II y a un développement des forces productives, il y a aussi des phases de croissance économique, mais ceci se fait dans un cadre global de plus en plus contradictoire, plus convulsif, plus destructeur. La tendance vers la barbarie n'apparaît pas de façon manifeste sur une ligne droite de catastrophes et d'effondrements sans fin, mais masquée par des périodes de croissance, par l'augmentation de la productivité du travail, lors de phases plus ou moins longues. Le capitalisme d'Etat - surtout dans les pays centraux - fait tout ce qu'il peut pour contrôler une situation potentiellement explosive, pour atténuer ou retarder les contradictions les plus graves et, avec tout cela, garder l'apparence d'un "bon fonctionnement" et même de "progrès." Le système "tend l'enveloppe jusqu'à ses dernières limites."
Dans l'esclavage, les 1° et 2° siècles après Jésus Christ se sont caractérisés par cette contradiction toujours aggravée : Rome ou Byzance se remplissaient des plus beaux monuments de l'histoire de l'Empire, les technologies les plus avancées de l'époque sont apparues à ce moment-là au point qu'au 2° siècle on découvrait le principe de l'énergie électrique. Mais ces développements éblouissants se produisaient dans un cadre de plus en plus dégradé où s'exacerbaient des luttes sociales, les territoires étaient abandonnés sous la poussée des barbares, les infrastructures des transports se dégradaient brutalement. ([4] [72])
N'assistons-nous pas aujourd'hui à la même évolution mais en plus grave à cause de ce qui est spécifique à la décadence dit capitalisme ? ([5] [73])
Le camarade affirme que la croissance après la seconde guerre mondiale et celle qu'il y a eu pendant ces années 1990 démentent notre théorie. Nous ne pouvons pas développer ici une argumentation détaillée ([6] [74]), mais par rapport à la croissance entre 1945 et 1967, au delà de son volume statistique, i1 faut tenir compte de :
- la forte proportion, dans cette croissance, de l'armement et de l'économie de guerre, comme le camarade lui-même le reconnaît ;
- l'importance de l'endettement, qui à un certain moment - le Plan Marshalln'avait jamais été atteint ;
- les conséquences provoquées par cette croissance (que le camarade lui-même a l'air de reconnaître aussi) : une partie substantielle de cette croissance s'est évaporée dans un processus dramatique de démantèlement - qui, dans les pays occidentaux a surtout touché l'industrie lourde - ou d'implosion - comme ça a été le cas de l'ancien bloc de l'Est.
En ce qui concerne les années 1990, il s'agit d'une croissance minuscule ([7] [75]), basée sur un endettement sans comparaison dans l'histoire et sur une spéculation jamais vue. Qui plus est, cette croissance s'est limitée aux EtatsUnis - et quelque pays de plus - et cela dans un contexte de dégringoladejamais vue de quantité des pays d'Afrique, d’Asie ou d'Amérique latine ([8] [76]). D'un autre coté, l'effondrementactuel de la "nouvelle économie" et les tourbillons boursiers auxquels nous assistons donnent une bonne idée de la réalité de cette croissance.
Un élément de réflexion que le camarade doit prendre en compte quand on parle de "chiffres de la croissance" est leur nature et leur composition ([9] [77]). Une croissance qui exprime l'expansion du système n'est pas la même chose qu'une croissance qui exprime une politique de survie et d'accompagnement de la crise. D'une manière générale, pour un marxiste, on ne peut pas identifier croissance de la production avec développement de la production capitaliste. Ce sont là deux concepts différents. La pratique en vigueur dans la Russie stalinienne qui consistait à battre des records dans les statistiques de l'acier, du coton ou du ciment alors qu'après il apparaissait que tout cela occultait une production défectueuse ou inexistante, est l'illustration extrême et grotesque d'une tendance générale du capitalisme décadent, stimulée par le capitalisme d'Etat, à augmenter les chiffres de la production en même temps que les bases de la reproduction du système sont rongées. Rosa Luxemburg rappelle qu’ "Accumuler du capital ne signifie pas toujours produire de plus en plus grandes quantités de marchandises, mais de plus en plus de marchandises en capital-argent. ll y a entre l’annoncellement de plus value sous formes de marchandises et l'investissemcnt de cette plus value pour l'extension de la production une rupture, un pas décisif, que Marx appelle le saut périlleux de la production marchande : l'acte de vendre pour de l’argent. Mais peut-être ceci ne concerne-t-il que le capitaliste individuel sans s'appliquer à la classe entière, à la sociéto gobale ? Non pas. Car si nous considérons le problèrne du point de vue de la société « il faut se garder , écrit Marx, de tomber dans le travers où est tombé Proudhon dans son imitation de l'économie bourgeoise : il ne faut pas considérer qu'une société de type de production capitaliste perdrait son caractère spécifique, son caractère économique déterminé par l'histoire, si on la considérait en bloc comme un tout. Au contraire. On a affaire alors au capitaliste collectif». ( "Critique des Critiques... ", L'accumulation du capital, Œuvres IV , p.154. Les citations du Capital : trad. Ed. Sociales, t.5, p.84)
La nature des croissances de la production dans la décadence du capitalisme - et surtout dans les 50 dernières années - est très marquée par cette tendance au fait que, par le biais de l'endettement et de l'intervention de l'Etat, s'entassent pendant un certain temps des masses de marchandises qui, au bout de quelques années, doivent être éliminées, car elles ne correspondent pas à un développement réel des rapports capitalistes de production, à un véritable élargissement de la masse des salariés et des marchés.
Mais au-delà de leur nature et de leur composition particulières, les phases de croissance relative et droguée par la dette cachent un ralentissement historique de la croissance de la production. Voilà la première caractéristique de la décadence capitaliste. Il n'y a donc pas d'arrêt absolu de la croissance, mais ce constat ne peut pas conduire à une sous-estimation de la tendance de fond.
Il en va de même avec d'autres aspects de la vie économique et sociale. Les découvertes fantastiques sur le génome humain, les télécommunications ou les transports cachent une détérioration très profonde des conditions de vie, de la santé et des infrastructures mêmes de la production. Les techniques de restauration des façades dans les grandes villes, la construction frénétique d'inutiles monuments en verre, de gratte-ciel illuminés fournissent la sensation illusoire comme quoi "tout baigne", quand, en fait, cela cache l'énorme, systématiquc et irréversible dégradation des conditions de vie des travailleurs et de toute l'humanité ainsi que du fonctionnement et de la maintenance de ces mêmes villes, car, à coté de ces feux d'artifice, nous voyons par exemple comment la distribution d'énergie électrique est paralysée â plusieurs reprises dans la si prospère Californie ou comment les catastrophes alimentaires, écologiques et dans les transports proliférent.
Ce qui est essentiel, comme le dit le camarade, c'est le point de vue de la totalité : nous ne pouvons pas regarder lit robotique ou le génome en eux-mêmes, ni les phases plus ou moins soutenues de croissance en elles-mêmes, mais il faut voir le cadre contradictoire et destructeur dans lequel cela a lieu. La gravité de la crise du système ne se mesure pas par le volume des montées et des chutes de la production mais, d'un point de vue historique et global, par l'aggravation de ses contradictions, par la réduction constante de sa marge de manœuvre et surtout par la détérioration des conditions de vie de la classe ouvrière.
Quand en Chine on construit une étincelante île artificielle avec des grattes ciel prés de Shanghai, on oblige en même temps les enfants des écoles à travailler pour maintenir ces merveilles à f1ot. Quand au Brésil on inaugure à Sao Paulo une usine totalement robotisée, le nombre d'enfants de la rue ne cesse d'augmenter et plus de 50% de la population vit au dessous du minimum vital. Quand en Grande-Bretagne on poursuit les travaux pharaoniques dans l'ancien Dockland londonien, on sacrifie le bétail par centaines de milliers. Lequel de ces deux ensembles de faits reflète la situation réelle du capitalisme ? Nous n'avons aucun doute sur la réponse. Nous espérons avoir contribué à dissiper le doute chez le camarade et chez nos lecteurs en général.
Adalen
[1] [78] Lirc dans Revue internationale n°29 et 30 une critique à ces critiques dc boukarine et Duyaneskaya à Rosa Luxcmburg.
[2] [79] Il ne cite pratiquement pas Rosa Luxembourg ; les critiques il les reprend mot à mot du Boukharine de la "bolchevisation', (stalinisation en fait) et de toute une série d'académiciens" qui arrivent parfois à dire quelque chose d'intéressant, mais qui ont globalement une position étrangère au marxisme. Les citations de Mattick ou de Pannekoek c'est unc autrc question. Nous ne sonuncs pas d'accord, mais cela nécessiterait d’autres précisions.
[3] [80] Editions La Pléiade, Oeuvres politiques I .
[4] [81] pour une analyse de la décadence des modes de production précédant le capitalisme, voir dans la Revue internationale n° 55 l'article qui fait partie de la série « comprendre la décadence du capitalisme ».
[5] [82] Voir « La décomposition du capitalisme », Revue internationale n°62.
[6] [83] Nous renvoyons nos lecteurs à la brochure « La décadence du capitalisme », aux articles de la Revue internationale n°54 et 56 dans la série « Comprendre la décadence du capitalisme » et aux articles de polémiquc avec le BIPR dans les n° 79 et 83.
[7] [84] La moyenne de cette croissance des années 1990 aux Etats-Unis a été la plus petite des cinq dernières décennies.
[8] [85] Voir la série "30 ans de crise capitaliste" dans la Revue internationale n° 96 à 98.
[9] [86] Voir dans la Revue internationale n°59, "Présentation du 8e Congrès".
Liens
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[4] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/resolutions-congres
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[17] https://fr.internationalism.org/rinte106/rap_crise.htm#_ftn12
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[74] https://fr.internationalism.org/rinte106/decadence_rep.htm#_ftn6
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[76] https://fr.internationalism.org/rinte106/decadence_rep.htm#_ftn8
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[78] https://fr.internationalism.org/rinte106/decadence_rep.htm#_ftnref1
[79] https://fr.internationalism.org/rinte106/decadence_rep.htm#_ftnref2
[80] https://fr.internationalism.org/rinte106/decadence_rep.htm#_ftnref3
[81] https://fr.internationalism.org/rinte106/decadence_rep.htm#_ftnref4
[82] https://fr.internationalism.org/rinte106/decadence_rep.htm#_ftnref5
[83] https://fr.internationalism.org/rinte106/decadence_rep.htm#_ftnref6
[84] https://fr.internationalism.org/rinte106/decadence_rep.htm#_ftnref7
[85] https://fr.internationalism.org/rinte106/decadence_rep.htm#_ftnref8
[86] https://fr.internationalism.org/rinte106/decadence_rep.htm#_ftnref9