- La situation politique internationale.
- L'accélération de la crise économique.
- Etat et dictature du prolétariat.
Un choix parmi les rapports présentés au Congrès de 76. Dans le contexte de la fin des espoirs sur la "reprise économique", ils développent une analyse du jeu des différents facteurs qui déterminent la situation actuelle : l'affrontement entre les blocs impérialistes, les conflits entre différents secteurs de la classe dominante et la lutte de classe.
Dans le cadre de nos discussions sur la période de transition, nous présentons aussi une résolution sur l'Etat après la révolution.
La première partie d'une étude sur le surgissement des fractions de Gauche dans la Russie d'après Octobre : Ossinsky, le Centralisme Démocratique, l'Opposition Ouvrière, le Groupe Ouvrier jusqu'à 1921. Cet article cherche à montrer les difficultés de la prise de conscience dans la période de dégénérescence de la révolution, et les jalons de l'avenir qu'ont posé les Communistes de Gauche avant même que l'Opposition Unifiée (Trotski-Zinoviev) ne se constitue.
Cet échange de lettres entre le CCI et Battag1ia Comunista (l'un des groupes issus du PC Internationaliste d'Italie fondé en 43) vise à mettre en évidence le danger de l'antifascisme dont les germes ont pu pénétrer jusque dans les rangs de la Gauche Italienne malgré sa position contre la guerre impérialiste. Ce rappel de l'histoire de la Gauche Communiste des années 40 peut être considéré comme la continuation de notre polémique contre le PCI (Programme Communiste) actuel en dégénérescence et constitue une suite aux textes de BILAN (organe de 1a fraction Italienne en exil des années 30) sur l'Espagne 36, que nous avons republiés dans les n°4, 6 et 7 de la Revue Internationale.
Une mise au point du CCI à propos du refus des librairies "Contra a Corrente" de diffuser les publications du CCI.
TEXTES DU SECOND CONGRES DE REVOLUTION INTERNATIONALE
Les textes sur la "situation internationale" et sur la "période de transition" que nous publions dans le présent numéro de la Revue Internationale sont des rapports du Second Congrès de RI, section du CCI en France. Ces deux thèmes constituaient la toile de fond sur laquelle se sont inscrits les travaux du Congrès, l'axe de ses débats. S'ils étaient inscrits à l'ordre du jour du Congrès, ce n'est pas selon un choix de sujets théoriques généraux mais bel et bien en réponse au développement de la situation générale. En effet, l'évolution actuelle de la crise du système - qui n'est qu'une continuation de sa décadence - pose par son acuité, de plus en plus ouvertement, la perspective révolutionnaire comme seule issue possible. Aujourd'hui, son développement inéluctable et dont plus personne ne cherche à prédire une fin prochaine, va contraindre le prolétariat à reprendre les armes de sa lutte historique. Et au même moment où le capital ne cherche même plus à faire miroiter les reflets illusoires de "beaux jours" encore possibles mais ne peut que demander aux prolétaires du monde entier de "se serrer la ceinture", la révolution n'apparaît plus comme une possibilité lointaine mais comme une nécessité vitale. Le contenu du socialisme, les premiers problèmes que posera la victoire deviennent une préoccupation de plus en plus ressentie par les révolutionnaires. Ce sont ces problèmes, l'analyse de la situation qui conduit à la révolution et les premières questions que sa victoire posera au prolétariat, auxquels le Congrès a tenté de répondre. Et de plus en plus, ces deux aspects de l'avenir, la situation avant et après la révolution, seront intimement liés car c'est le développement présent de la crise qui, faisant de la révolution une perspective de plus en plus concrète, amène à se poser comme un problème réel le contenu de celle-ci.
Ceci est tellement vrai qu'aujourd'hui plusieurs groupes sont amenés à se pencher sur les problèmes de la période de transition et à en concevoir l'importance. Des groupes comme le PIC, la CWO, la revue Spartacus ont consacré dans leurs publications des articles sur cette question qui, il y a quelques années encore, était pratiquement méconnue au sein du mouvement ouvrier renaissant. C'est fondamentalement l'évolution de la réalité elle-même qui fait naître un tel besoin. Il a fallu que la crise apparaisse dans toute sa réalité pour que les éléments de la classe qui, comme ICO, le GLAT, Alarma ou les situationnistes en 68-69, ironisaient sur les "prophéties" de RI, soient obligés de la reconnaître et d'en parler. De la même façon, c'est bel et bien l'évolution présente de la situation qui pousse aujourd'hui différents groupes à se pencher sur les problèmes de la révolution et à les reconnaître comme tels. "L'humanité ne se pose que les problèmes qu'elle peut résoudre". C'est la réalité qui suscite le développement de la conscience du prolétariat de ses intérêts et de ses tâches ; c'est elle qui met les révolutionnaires face à leurs responsabilités dans le développement de cette conscience.
De plus en plus, donc, le développement de la situation va poser le problème du contenu de la révolution qui deviendra une préoccupation croissante dans le mouvement ouvrier. Qui prend le pouvoir, comment est ce pouvoir, comment il s'organise, quelles sont les premières mesures à prendre ? Toutes ces questions vont être soulevées et largement débattues. C'est seulement sur la base des expériences passées de la classe que les premiers éléments de réponse peuvent être apportés. Ils nécessitent une réflexion approfondie et la responsabilité des révolutionnaires à cet égard est d'autant plus grande que la rupture de la continuité organique avec le mouvement ouvrier du passé, la méconnaissance par le mouvement ouvrier actuel des acquis de son propre passé en augmentent la difficulté. Depuis plusieurs années déjà RI a engagé des discussions sur la période de transition ; celles-ci viennent d'aboutir dans un premier temps à la résolution publiée dans la revue et qui est versée comme contribution au débat qui se déroule au sein du CCI et à la classe ouvrière dans son ensemble.
Quant aux textes sur la "situation internationale", le premier, tout en faisant un tableau de la situation politique mondiale, cherche à faire la synthèse des discussions sur l'actualité qui ont eu lieu au sein du CCI cette année et à mettre en évidence les différents facteurs qui interviennent dans toute situation ; en ce sens, il se conçoit aussi comme un texte de méthode cherchant à développer les armes pour la compréhension de toute situation politique. Le second s'attache à donner un aperçu de la situation économique du système à l'heure actuelle.
Ainsi le Second Congrès de RI ne s'est pas penché seulement sur des problèmes spécifiques à la section en France ; c'est véritablement comme une partie intégrante du CCI qu'il a conçu son travail. Nous avons publié les textes relevant plus directement de la section française dans RI n°32 mais les textes qui suivent relevant d'un intérêt général et international, nous les versons comme contributions dans notre presse internationale, à tout le mouvement ouvrier.
CN.
Pendant des années, les porte-parole appointés de la bourgeoisie ont essayé d'exorciser par des incantations à prétention scientifique les démons de la crise. En couvrant de prix Nobel et d'honneurs ses économistes les plus stupidement béats, cette classe espérait que les faits se plieraient à ses aspirations. Aujourd'hui la crise du capitalisme est devenue d'une telle évidence que même les secteurs les plus "confiants" et "optimistes" de la classe dominante ont admis non seulement son existence mais aussi sa gravité. De ce fait, la tâche des révolutionnaires n'est plus d'en annoncer l'inévitabilité mais de souligner la faillite des théories qui avaient surgi comme champignons après la pluie lors de la période de fallacieuse "prospérité" accompagnant la reconstruction des ruines de la Seconde Guerre mondiale.
Parmi les théories les plus en vogue dans le monde bourgeois, celle de l'Ecole néo-keynésienne faisait figure de favorite. N'avait-elle pas annoncé une ère de prospérité illimitée grâce à une intervention judicieuse de l'Etat dans l'économie à travers les outils budgétaires ? Depuis 1945 une telle intervention a été la règle dans tous les pays : la catastrophe économique présente vient sonner le glas des illusions des disciples de celui que la bourgeoisie considère comme "le plus grand économiste du XXème siècle".
Plus généralement, la situation actuelle illustre la faillite de toutes les théories qui ont fait de l'Etat un possible sauveur du système capitaliste contre la menace de ses propres contradictions internes. Le capitalisme d'Etat qu'on a pu présenter comme la simple prolongation du processus de concentration engagé dans la période ascendante du capitalisme ou comme "dépassement de la loi de la valeur", se révèle de plus en plus pour ce qu'il a toujours été depuis son apparition au cours de la Première Guerre mondiale : la manifestation, essentiellement sur le plan politique, des efforts désespérés d'un système économique aux abois pour préserver un minimum de cohésion et pour assurer, non son expansion, mais sa survie.
La violence avec laquelle la crise mondiale frappe aujourd'hui les pays où le capitalisme d'Etat s'est développé le plus, anéantit de façon croissante les illusions sur leur nature "socialiste" et sur la prétendue capacité de la "planification" ou du "monopole du commerce extérieur" de venir à bout de l'anarchie capitaliste. Dans ces pays, le chômage est de plus en plus difficilement masqué par la sous-utilisassions de la main d'œuvre. C'est maintenant ouvertement et officiellement que les autorités reconnaissent l'existence de ce fléau typiquement capitaliste. De même, la hausse des prix, qui jusqu'à ces derniers temps ne touchait que le marché parallèle, s'étend de façon spectaculaire au marché officiel. L'économie de ces pays qui était censée tenir tête aux convulsions du capitalisme mondial se révèle fragile et mal armée pour affronter l'exacerbation actuelle de la concurrence commerciale. Loin d'être en mesure, comme l'annonçaient certains de leurs dirigeants, de "dépasser le capitalisme occidental", ces économies ont, au cours des dernières années, contracté d'énormes dettes à l'égard de celui-ci, ce qui aujourd'hui les place pratiquement dans une situation de banqueroute. Cet endettement considérable vient apporter un démenti cinglant à toutes les théories qui, oubliant, quelquefois même au nom du "marxisme", que la saturation générale des marchés n'est pas un phénomène spécifique à telle ou telle région du monde mais touche l'ensemble du capitalisme, ont cru trouver dans les pays soi-disant socialistes des débouchés miraculeux qui allaient résoudre les problèmes qui assaillent le capital.
Depuis la fin des années 60 où la bourgeoisie a commencé à prendre conscience des difficultés de son économie elle n'a eu de cesse de répéter que la situation actuelle est fondamentalement différente de celle de 1929. Terrifiée à l'idée qu'elle pourrait connaître une autre "dépression" de ce type, elle a essayé de se consoler en mettant en relief toutes les différences qui distinguent la crise actuelle de celle de l'entre-deux guerres. Elle a ainsi détaché de l'ensemble les différents aspects et les différentes étapes de la crise pour ne parler que de "la crise du système monétaire" à laquelle devait succéder la "crise du pétrole" rendue responsable à la fois de l'inflation galopante et de la récession.
Contrairement à ce que pensent la majorité des "spécialistes" de la classe dominante, la crise de 1929 et la crise actuelle ont la même nature fondamentale : les deux s'inscrivent dans le cycle infernal de la décadence du mode de production capitaliste : crise - guerre inter impérialiste –reconstruction - nouvelle crise, etc. Elles sont l'expression du fait qu'après une période de reconstitution de l'appareil productif détruit par la guerre impérialiste, le capitalisme se retrouve incapable d'écouler sa production sur un marché mondial saturé. Ce qui distingue les deux crises est du domaine du circonstanciel. En 1929, la saturation des marchés se traduit par un effondrement du crédit privé exprimé par l'effondrement de la Bourse. Après une première période de débandade on assiste, à travers les politiques d'armement et de grands travaux, comme dans l'Allemagne hitlérienne et le "New Deal" américain, à une intervention massive de l'Etat dans les mécanismes économiques qui permet une relance momentanée. Mais une telle politique trouve ses propres limites dans le fait que les réserves financières de l'Etat ne sont pas inépuisables : en 1938, les caisses sont vides et l'économie mondiale plonge dans une nouvelle dépression dont elle n'est sortie que par la guerre.
Dans la période qui suit la Seconde guerre l'intervention étatique ne se relâche pas comme dans celle qui suit la Première. En particulier les dépenses d'armement conservent une place majeure dans l'économie. Ceci explique le maintien depuis 1945 d'une inflation structurelle qui exprime la pression croissante des dépenses improductives nécessaires à la survie du système et qui conduit à un endettement de plus en plus généralisé particulièrement de la part des Etats. Avec la fin de la reconstruction et la saturation des marchés, le système ne trouve d'échappatoire que dans une fuite en avant de l'endettement qui transforme l'inflation structurelle en inflation galopante. Dès lors, le capitalisme n'a d'autre issue que d'osciller entre cette inflation et la récession dès que les gouvernements essayent de la combattre : c'est pour cela que plans de relance et plans d'austérité se succèdent dans un rythme dont l'accélération traduit en fait l'aggravation catastrophique des convulsions du système. Au stade actuel de la crise, c'est de façon de plus en plus simultanée et non alternée que l'inflation et la récession s'abattent sur les économies nationales.
L'intervention systématique de l'Etat a évité au système un effondrement du crédit privé comme celui de 1929. Obnubilée par les épiphénomènes et incapable de comprendre les lois fondamentales de sa propre économie, la bourgeoisie ne voit toujours pas venir devant elle son nouveau 29... pour la bonne raison qu'elle se trouve déjà dans la situation de 1938!
La situation présente de l'économie mondiale signe également la faillite de l'idée, défendue jusque dans les rangs des révolutionnaires, que la crise actuelle est une "crise de restructuration" comprise, non dans le sens qu'elle n'a d'issue que dans une transformation de la structure de la société, mais comme résultat d'un réaménagement des structures économiques existantes. En particulier, dans une telle conception les mesures de capitalisme d'Etat sont souvent présentées comme un moyen pour le système de surmonter ses contradictions.
Si, vers la fin des années 60, de telles théories pouvaient avoir un semblant de crédibilité, elles apparaissent aujourd'hui comme des élucubrations d'intellectuel original. Les dirigeants de l'économie bourgeoise seraient de bien piètres apprentis sorciers s'ils l'avaient plongée dans le chaos actuel uniquement dans le but de la "restructurer".
En fait, dans tous les domaines, la situation est aujourd'hui bien pire que celle qui existait il y a cinq ans, laquelle s'était déjà notablement dégradée par rapport à celle d'il y a dix ans. Si les conditions de départ d'il y a dix ans ont conduit au résultat d'il y a cinq ans et si celles de cette époque ont conduit au résultat actuel, on ne voit pas comment les conditions présentes - où la récession l'endettement et l'inflation n'ont jamais été pires - pourraient déboucher sur une quelconque amélioration de la situation de l'économie capitaliste.
Les prix Nobel d'économie comme les "révolutionnaires" qui ont jeté aux orties un marxisme prétendument "dépassé" devront se résigner : la crise actuelle est sans issue et ne peut aller qu'en s'aggravant.
Si la crise actuelle ne peut que s'approfondir de façon inéluctable, si aucune mesure prise par la classe dominante n'est capable d'en enrayer le cours, celle-ci est cependant conduite à adopter toute une série de dispositions afin de tenter, dans la débandade générale, d'assurer un minimum de défense de son capital national et d'en ralentir la dégradation.
Du fait que la crise est le résultat du caractère limité du marché mondial auquel se heurte l'expansion de la production capitaliste, une quelconque défense des intérêts d'un capital national passe nécessairement par un renforcement de ses capacités concurrentielles à l'égard des autres capitaux nationaux et corollairement le report sur eux d'une partie de ses difficultés. Outre les mesures à caractère extérieur aptes à améliorer ses positions sur la scène internationale, chaque capital national doit, sur le plan interne, mettre en place une politique tendant à diminuer le prix de revient de ses marchandises par rapport à celles des autres pays, ce qui suppose donc une baisse de des dépenses entrant dans la fabrication de chaque produit. Une telle baisse passe par une rentabilisation maximale du capital et une diminution de la consommation globale du pays, ce qui implique une attaque, d'une part contre les secteurs les plus arriérés de la production et contre l'ensemble des couches moyennes et, d'autre part contre le niveau de vie de la classe ouvrière.
C'est donc une politique à trois volets - report de ses difficultés sur les autres pays, sur les couches intermédiaires et sur les travailleurs - et qui ont pour dénominateur commun le renforcement de la tendance au capitalisme d'Etat, que tente partout la bourgeoisie de mettre en place. C'est dans les résistances auxquelles s'oppose cette mise en place, dans les contradictions qu'elle fait surgir, qu'il faut rechercher les mécanismes à travers lesquels la crise économique débouche sur la crise politique qui, aujourd'hui, tend à son tour à se généraliser.
Le premier volet de la politique de la bourgeoisie de chaque pays, face à la crise, la tentative de report des difficultés sur les autres pays, se heurte à la limite immédiate et évidente d'entrer en contradiction avec la même tentative de la part de chaque autre bourgeoisie nationale. Elle ne peut que conduire à une aggravation des rivalités économiques entre pays qui se reportent nécessairement sur le plan militaire. Mais que ce soit sur le terrain économique ou, encore plus, sur le terrain militaire, aucune nation ne peut seule s'opposer à toutes les autres nations du monde. C'est ce qui explique l'existence de blocs impérialistes qui tendent nécessairement à se renforcer au fur et à mesure que la crise s'approfondit.
La division en de tels blocs ne recouvre pas nécessairement les rivalités commerciales majeures (ainsi l'Europe occidentale, les USA, le Japon, principaux concurrents sur le plan économique, se retrouvent au sein du même bloc impérialiste), qui n'en continuent pas moins de s'aggraver. Mais, même si des affrontements militaires ne sont jamais exclus entre pays d'un même bloc (cf. l'Israël et la Jordanie en 67, la Grèce et la Turquie en 74), ces tensions économiques ne sauraient remettre en cause la "solidarité" militaire des principaux pays qui le constituent face à l'autre bloc. Ne pouvant s'exprimer sur le plan militaire, au sein d'un même bloc, sous peine de favoriser l'autre, l'intensification des rivalités économiques entre pays débouche sur l'intensification des rivalités militaires entre blocs. Dans une telle situation, la défense du capital national de chaque pays tend à entrer de plus en plus en conflit avec la défense des intérêts du bloc de tutelle, par laquelle elle passe de façon inévitable. Outre la première contradiction déjà relevée, c'est donc là une difficulté supplémentaire à laquelle se heurte la bourgeoisie de chaque pays dans la mise en œuvre du premier volet de sa politique contre la crise et qui ne peut déboucher que sur la soumission des intérêts nationaux à ceux du bloc de tutelle.
La capacité de mise en œuvre par chaque bourgeoisie de ce volet de sa politique est conditionnée essentiellement par la puissance de son économie. Ce fait s'est traduit en premier lieu par un report des premières atteintes de la crise sur les pays de la périphérie du système : ceux du Tiers-monde. Mais, au fur et à mesure que la crise s'aggrave, ses effets viennent frapper de plus en plus brutalement les métropoles industrielles parmi lesquelles celles qui disposent du potentiel économique le plus solide sont aussi celles qui y résistent le mieux. Ainsi la "reprise" de 1975-76 dont ont bénéficié surtout les USA et l'Allemagne a été payée par une détérioration catastrophique des économies européennes les plus faibles comme celles du Portugal de l'Espagne et de l'Italie, ce qui a accru d'autant leur dépendance à l'égard des pays les plus puissants, essentiellement des USA. Cette suprématie économique se répercute sur le plan militaire où, non seulement les pays les plus faibles doivent, au sein de chaque bloc, se soumettre de façon croissante au plus puissant, mais où, également, le bloc ayant l'assise économique la plus solide, celui dirigé par les USA, progresse et se renforce au détriment de l'autre. Il est aujourd'hui devenu clair, par exemple, que la fameuse "défaite" américaine au Vietnam constituait un repli tactique d’une zone sans grand intérêt militaire et économique afin de venir renforcer la puissance américaine dans les zones beaucoup plus importantes d'Afrique australe et surtout du Moyen Orient. L'aggravation de la crise vient donc annuler les velléités "d'indépendance nationale" qui s'étaient développées à la faveur de la reconstruction dans certains pays comme la France, de même qu'elle apporte un démenti cinglant à toutes les mystifications entretenues par l'extrême gauche du capital sur la "libération nationale" et la "victoire contre l'impérialisme américain".
Le deuxième volet de la politique bourgeoise face à la crise consiste dans une meilleure rentabilisation de l'appareil productif s'exerçant contre les couches sociales autres que prolétariennes. Il consiste d'une part, en une attaque contre le niveau de vie de l'ensemble des couches moyennes liées aux secteurs non productifs ou à la petite production, d'autre part, dans une élimination des secteurs économiques les plus anachroniques, les moins concentrés ou travaillant suivant des techniques les plus archaïques. Les couches sociales en général assez hétéroclites touchées par ces mesures, sont composées essentiellement de la petite paysannerie, de l'artisanat, de la petite industrie et du petit commerce dont le revenu est souvent réduit de façon drastique à travers une aggravation de la pression fiscale et de 1a concurrence de la part d'unités productives ou de distribution plus concentrées et qui sont conduits bien souvent à la ruine et à l'abandon de leur activité. Cette politique peut également frapper, à travers des mesures de capitalisme d'Etat, les professions libérales, les cadres, certains secteurs de l'administration ou du secteur tertiaire particulièrement parasitaires comme également des fractions de la classe dominante elle-même, sous sa forme la plus classique liée à la propriété individuelle.
Cette politique du capital national se heurte nécessairement à la résistance, quelquefois très vive, de l'ensemble de ces couches qui, bien qu'incapables de s'unifier et historiquement condamnées, peuvent peser de façon notable sur la vie politique. En particulier, ces couches peuvent avoir un poids électoral important et quelquefois décisif dans certains pays, dans la mesure où elles constituent l'appui essentiel des gouvernements de droite liés au capitalisme classique - qui ont dominé dans beaucoup de pays durant la période de reconstruction - ou même une force d'appoint des gouvernements de gauche, particulièrement en Europe du Nord. De ce fait, la résistance de ces couches sociales peut constituer une entrave très puissante contre les mesures de capitalisme d'Etat que ces gouvernements sont conduits à prendre de façon impérative. Cette entrave peut, dans certains cas, aboutir à une véritable paralysie des capacités de ces gouvernements à prendre ce type de mesures, ce qui est un facteur venant aggraver encore la crise politique de la classe dominante.
Le troisième volet de la politique capitaliste face à la crise, l'attaque du niveau de vie de la classe ouvrière, est celui qui est destiné à devenir le plus important dans la mesure où cette classe est la principale productrice de richesse sociale. Cette politique, qui a pour but essentiel de réduire les salaires réels et d'augmenter l'exploitation, se manifeste principalement à travers l'inflation qui touche plus particulièrement les prix des biens de consommation, importants dans les milieux ouvriers comme l'alimentation, l'augmentation massive du chômage, la suppression d'un certain nombre "d'avantages sociaux", qui, en fait, font partie des moyens de reproduction de la force de travail, donc du salaire, et enfin d'une intensification, quelquefois violente, des cadences de travail.
Cette agression contre le niveau de vie de la classe ouvrière est devenue une réalité évidente reconnue par la classe capitaliste elle-même qui en fait la pierre angulaire de ses "plans d'austérité". Elle est en fait bien plus violente que les chiffres officiels n'osent le dire, dans la mesure où ceux-ci ne prennent pas en compte cette atteinte aux "avantages sociaux" (médecine, sécurité sociale, cadre de vie, etc.), non plus que le chômage qui ne frappe pas seulement les travailleurs sans travail mais pèse sur l'ensemble de la classe ouvrière puisqu'il se traduit lui aussi par une baisse globale du capital variable destiné à l'entretien de la force de travail.
Cette situation vient détruire une autre théorie qui a eu son heure de gloire durant la période de reconstruction : celle de la faillite des prévisions marxistes sur la paupérisation absolue du prolétariat. Aujourd'hui ce n'est plus de façon relative mais bien de façon absolue que diminue la consommation des travailleurs et qu'augmente l'exploitation.
L'agression capitaliste contre la classe ouvrière s'est heurtée, depuis ses tous débuts en 1968-69, à une réponse très vive de celle-ci. Cet affrontement entre bourgeoisie et prolétariat est celui qui aujourd'hui détermine le cours général de l'évolution historique par rapport à la crise : non pas guerre impérialiste comme à la suite de la crise de 1929, mais guerre de classe. En ce sens, des trois volets de la politique bourgeoise, c'est celui qui s'adresse directement à la classe ouvrière qui va tendre à primer de plus en plus quant à l'évolution politique générale. En particulier dans les zones où le prolétariat est le plus important, le capital va mettre de plus en plus en avant ses fractions politiques "de gauche" qui sont les plus aptes à mystifier et encadrer la classe ouvrière et lui faire accepter les "sacrifices" exigés par la situation économique. Ce besoin de faire appel à la gauche se fait d'autant plus sentir, parmi les pays industrialisés, que la situation de l'économie elle-même est incapable de constituer un facteur de "consensus social" et de confiance dans la capacité du capitalisme à surmonter la crise. Contrairement aux plus prospères et résistant le mieux aux assauts de la crise, dans lesquels il n'est pas besoin de propagande "anticapitaliste" pour attacher les travailleurs au char de leur capital national, ces pays sont donc à la veille de remaniements importants de leur appareil politique. Cependant, et c'est là une contradiction supplémentaire qui assaille la classe dominante, ces remaniements se heurtent à une résistance souvent très décidée de la part des équipes encore au pouvoir et qui, même au détriment des intérêts globaux du capital national, font tout leur possible pour y rester ou y conserver une place importante.
Dans la mise en place de chacun de ces trois axes de sa politique, la bourgeoisie se heurte donc à toute une série de résistances et de contradictions mais, de plus en plus, ces axes de la politique capitaliste peuvent également entrer en contradiction entre eux. Dans certains cas il y a convergence entre certains de ces axes : par exemple les nécessaires mesures de capitalisme d'Etat qui doivent frapper les secteurs les plus anachroniques du capitalisme constituent en même temps un bon moyen pour les fractions de gauche du capital de mystifier les travailleurs en les faisant passer comme mesures "anticapitalistes" ou "socialistes". De même, il est possible que la lutte contre les secteurs les plus anachroniques de la société soit menée par des forces politiques qui ont la confiance et l'appui du bloc de tutelle, comme c'est le cas aujourd'hui en Espagne où le processus de "démocratisation" se fait en liaison et accord direct avec la bourgeoisie européenne et américaine. Cependant, on assiste très souvent à un conflit entre les mesures de capitalisme d'Etat, rendues indispensables par l'aggravation de la crise, et le resserrement des liens de soumission du capital national à l'égard de son bloc de tutelle, conflit qui peut résulter d'une atteinte aux intérêts économiques de la puissance dominante ou encore du fait que les forces politiques les plus appropriées pour les prendre ont, en politique internationale, des options non conformes à celles du bloc. Il peut, dans le même sens, surgir un conflit entre les nécessités du capital national en politique internationale et les mystifications nationalistes qu'il mettra partout en œuvre pour mieux encadrer le prolétariat.
A mesure que la crise s'approfondit, ces différentes contradictions tendent à s'aiguiser et à rendre encore plus inextricables les problèmes posés à la bourgeoisie, laquelle est de plus en plus conduite à faire face à ces problèmes, non pas avec un plan à long ou même à moyen terme, mais au coup par coup, au jour le jour, en fonction des urgences du moment. Cet aspect empirique de la politique de la bourgeoisie est encore accentué par le fait que cette classe est incapable de se donner une vision à long terme de ses propres perspectives historiques. Certes, elle a profité de ses expériences passées que ses hommes politiques et universitaires, économistes ou historiens, lui rappellent quand nécessaire pour lui éviter de commettre les mêmes erreurs : par exemple, sur le plan économique, elle a su éviter l'affolement de 1929, de même que sur le plan politique, elle a su prendre en 1945 les dispositions pour éviter une vague révolutionnaire d'après guerre comme celle de 1917-23. Cependant cette utilisation de ses propres expériences par la bourgeoisie ne va jamais bien plus loin que l'apprentissage d'un certain nombre de réponses précises face à des situations répertoriées. Ses propres préjugés de classe interdisent à la bourgeoisie de se donner une compréhension correcte des lois historiques, incapacité qui est encore aggravée par le fait qu'elle est aujourd'hui une classe réactionnaire dont la société qu'elle dirige est en pleine décomposition et décadence. Cette incapacité se manifeste avec d'autant plus d'ampleur que la situation économique lui échappe et avec elle l'intelligence des mécanismes de plus en plus complexes et contradictoires qui animent cette situation.
La compréhension des différentes politiques que la bourgeoisie de tel ou tel pays est amenée à adopter à tel ou tel moment, ainsi que de l'évolution des rapports de force et des affrontements entre les différentes fractions de cette classe, doit donc tenir compte de l'ensemble des données contradictoires des différents problèmes qu'elle doit résoudre et de l'importance relative que ces données acquièrent dans les différents pays, compte tenu de leur situation géographique, historique, économique et sociale respectives. Elle doit tenir compte, en particulier, du fait que la bourgeoisie n'agit pas nécessairement à chaque moment de la façon la plus appropriée à la défense de ses intérêts immédiats ou historiques et que c'est souvent à long terme et à travers des conflits quelquefois violents que ses fractions les plus aptes à faire face à une situation s'imposent à celles qui le sont le moins.
C'est dans les pays sous-développés que les contradictions rencontrées dans la mise en œuvre des tentatives de la bourgeoisie, sont les plus violentes. L'impasse totale sur le plan économique condamne à l'échec les différentes mesures que peut prendre la classe dominante : loin d'être en mesure de reporter sur les autres pays les difficultés du sien, celle-ci, au contraire, subit le poids de ce même type de politique de la part de la bourgeoisie des pays les plus développés. Cette impuissance sur le plan économique se répercute sur le plan politique par une instabilité chronique et des convulsions brutales. L'affrontement des différentes fractions du capital national, loin d'être en mesure de se résoudre sur le terrain institutionnel des rouages "démocratiques", débouche souvent sur des heurts armés. Ces heurts sont particulièrement violents entre d'une part, les fractions les plus liées au capitalisme d'Etat dont le besoin se fait sentir d'autant plus que l'économie est délabrée et d'autre part, les secteurs les plus anachroniques de la production particulièrement importants du fait du faible niveau de l'industrialisation.
Ces affrontements entre différents secteurs du capital national sont en général amplifiés par le poids des rivalités inter impérialistes quand ils ne sont pas purement et simplement mis au service de celles-ci comme c'est aujourd'hui le cas au Liban et en Afrique australe.
Pour toutes ces raisons, les pays sous-développés constituent le terrain de prédilection des luttes de "libération nationale"- surtout quand ils se trouvent dans les zones en dispute entre grands brigands impérialistes - ainsi que des coups d'Etat militaires dans la mesure où l'armée est en général la seule force de la société ayant un minimum de cohésion et où elle dispose de cet élément essentiel dans les conflits entre secteurs de la classe dominante de ce pays : la force physique. C'est elle en particulier qui, dans ces pays, se fait souvent l'agent le plus décidé du capitalisme d'Etat contre les secteurs "démocratiques" liés à des intérêts privés. Dans ces pays, cette prédominance des affrontements entre différentes fractions de la classe dominante est d'autant plus forte que la classe ouvrière, malgré les réactions quelquefois violentes qu'elle oppose à une exploitation féroce, est relativement faible de par le faible niveau d'industrialisation.
C'est dans les pays économiquement les plus puissants que la classe dominante contrôle encore le mieux l'ensemble des problèmes mis à nu par l'aggravation de la crise, qu'elle maintient la plus grande stabilité et maîtrise du jeu politique. Cela est lié au fait que c'est dans ces pays que les différents axes de la réponse bourgeoise à la crise provoquent le moins de contradictions, dans la mesure où la situation économique, moins délabrée qu'ailleurs, fait appel à des mesures moins extrêmes et où la classe dominante dispose encore d'énormes moyens politiques, résultat de son assise économique.
Concrètement, cela se manifeste par le fait que le capital national dispose d'une plus grande aptitude à concurrencer ses adversaires sur le plan économique et militaire, ce qui les place en moindre dépendance à l'égard des blocs impérialistes auxquels il impose un grand nombre de ses objectifs:
- par le poids très faible des points de vue numérique économique et, partant, politique des secteurs anachroniques de la production ;
- par la grande capacité de mystification de la classe ouvrière par le simple poids de la "prospérité" économique.
Ce dernier aspect de la puissance de la bourgeoisie est particulièrement sensible dans des pays comme les USA et l'Allemagne de l'Ouest où cette classe a pu se livrer à une attaque officiellement reconnue contre le niveau de vie du prolétariat (baisse sensible du salaire réel et augmentation massive du chômage) sans que celui-ci, pourtant le plus puissant du monde, n'ait réagi de façon majeure. Par ailleurs, dans ce type de pays, la tendance générale au capitalisme d'Etat que la crise vient accentuer de façon très puissante ne se traduit pas, comme dans les pays plus arriérés, par un choc violent entre secteur étatique et secteur privé de l'économie, mais par une fusion progressive de ces deux secteurs.
Dans ces conditions, la bourgeoisie dispose d'un marge de manœuvre relativement importante qui limite les affrontements entre ses différents secteurs (cf. la similitude des programmes entre les candidats Ford et Carter aux USA) ou les répercussions de ces affrontements (cf. la facilité avec laquelle la bourgeoisie américaine a surmonté et exploité l'affaire "Watergate"). Le faible niveau actuel des contradictions engendrées par la mise en place des premier et troisième volets de la politique capitaliste, pourtant les plus importants historiquement, peut, dans certains de ces pays, conduire à une prééminence circonstancielle de contradictions engendrées par la mise en place du deuxième. C'est ainsi qu'on peut s'expliquer la défaite social-démocrate en Suède et le recul du SPD en Allemagne dont le maintien au pouvoir, grâce au concours des libéraux, traduit cependant les besoins présents de la bourgeoisie allemande de moyens pour prendre des mesures de capitalisme d'Etat et mystifier la classe ouvrière.
Dans le cas des pays développés mais au capitalisme plus faible que les précédents, en particulier les pays d'Europe occidentale, les différentes contradictions auxquelles se heurtent les différents axes de la politique bourgeoise, tendent à l'heure actuelle à équilibrer leurs poids respectifs et à interagir jusqu'à aboutir à des situations à première vue paradoxales et précaires. Ce phénomène est particulièrement net en ce qui concerne la détermination de la place des PC dans la vie politique dans un certain nombre de pays européens. Ces partis constituent, dans ces pays, les fractions de l'appareil politique bourgeois les plus aptes à la fois de prendre les mesures résolues dans le sens du capitalisme d'Etat que la situation requiert et de faire accepter à la classe ouvrière le maximum de sacrifices. En ce sens, leur participation au pouvoir s'impose de plus en plus. Cependant, de par leurs options en politique internationale et la crainte qu'ils inspirent à des secteurs importants des classes possédantes, leur accession à des responsabilités gouvernementales se heurte à une résistance décidée du bloc américain qui trouve un appui important auprès des secteurs les plus anachroniques de la société. Ces dernières années, les PC ont tenté de donner au reste de la bourgeoisie un maximum de gages de leur attachement au capital national, de leur indépendance à l'égard de l'URSS et de leur volonté de respecter les règles démocratiques en vigueur dans leurs pays, volonté qui s'est exprimée en particulier par le rejet de la notion de "dictature du prolétariat". Cependant, toutes ces concessions n'ont pas suffi, pour le moment, à surmonter ces résistances alors que l'entrée des PC au gouvernement est devenue des plus urgentes dans certains de ces pays. Ceci constitue une illustration du fait, déjà signalé que, ballottée par ses contractions à l'échelle nationale et internationale, la bourgeoisie ne se donne pas nécessairement les instruments les plus appropriés aux moments les plus opportuns. Il est significatif du caractère éminemment temporaire et instable des situations et des rapports de force qui prévalent pour le moment dans un nombre important des pays d'Europe et plus particulièrement au Portugal, en Espagne, Italie et en France.
Le Portugal est des pays européens celui qui a, ces dernières années, illustré avec le plus d'évidence la crise politique de la bourgeoisie. Ses caractéristiques de pays sous-développé et qui expliquent le rôle fondamental joué par l'armée, jointe à ses caractéristiques de pays développé, en particulier une forte concentration prolétarienne animée d'une forte combativité à partir de la fin 73, sont à l'origine des soubresauts de ce pays en 1974 et 1975. La poussée initiale des forces de gauche : gauche militaire, gauche et gauchistes, qui s'expliquait à la fois par l'urgence des mesures de capitalisme d'Etat dans une économie particulièrement déliquescente et par le besoin de dévoyer et encadrer la classe ouvrière a laissé la place à un retour du balancier vers la droite à la faveur de la conjonction d'une retombée de la lutte de classe, d'une très forte résistance des secteurs liés à la petite propriété contre le capitalisme d'Etat et d'une énorme pression politique et économique du bloc américain. L'actuelle orientation de la politique portugaise vers la droite (remise en cause d'aspects de la réforme agraire, retour de Spinola, libération des agents de la PIDE), si elle exprime le reflux de la classe ouvrière et renforce sa démoralisation, est cependant peu armée pour faire face à la prochaine remontée et, de ce fait, est grosse d'instabilité future.
L'Espagne est un des pays européens appelés, dans les prochaines années, à connaître des convulsions majeures. La rigueur de la crise en même temps que la sénilité et l'impopularité de l'ancien régime franquiste y ont mis à l'ordre du jour des transformations politiques importantes dans le sens de la "démocratie" et que la disparition de Franco a permis de mettre en chantier. Ces transformations sont d'autant plus urgentes pour la bourgeoisie en Espagne qu'elle affronte un des prolétariats les plus combatifs du monde et que la simple répression est de moins en moins capable de contenir. Elles constituent "l'objectif" fondamental en direction duquel le capitalisme peut aujourd'hui, en Espagne, dévoyer la combativité ouvrière. Cependant, malgré l'urgence de la rupture ou de la "transition" démocratique, ce processus se heurte à une très forte résistance des secteurs les plus arriérés de la classe dominante ayant pour appuis essentiels la bureaucratie étatique, l'armée et surtout la police. De plus, la bourgeoisie espagnole, de même que l'ensemble de la bourgeoisie occidentale, reste extrêmement méfiante à l'égard d'un PCE, pourtant parmi les plus "eurocommunistes". Alarmée par l'expérience portugaise, elle tient en particulier à éviter qu'un passage trop rapide du pouvoir aux mains de l'opposition ne favorise trop le PCE qui en constitue la force majeure. En ce sens, elle met tout en œuvre pour qu'avant cette passation de responsabilités se constitue un grand parti du centre, défenseur de la bourgeoisie classique, capable de lui faire contrepoids.
C'est donc, par l'extrême fragilité de l'équilibre - traduction des faiblesses du capital national - entre la poussée de la lutte de classe, la résistance des vestiges du franquisme et les impératifs de la politique du bloc occidental que se traduit aujourd'hui en Espagne la crise politique de la bourgeoisie.
La situation du capital italien se caractérise elle aussi par l'extrême précarité des solutions politiques qu'il a pu jusqu'ici se donner. Face à une situation économique parmi les plus chaotiques d'Europe, sa fraction politique dominante, la Démocratie Chrétienne, se trouve dans l'incapacité de prendre des mesures d"'assainissement économique" et de renforcement effectif de l'Etat qui sont de plus en plus urgentes. Si, de l'avis même d'une partie croissante de la bourgeoisie, la venue au pouvoir du PCI est indispensable, cette solution se heurte pour l'heure à des résistances décisives. C'est la même alliance entre les intérêts de la bourgeoisie américaine et ceux des secteurs arriérés de l'économie nationale particulièrement visés par le capitalisme d'Etat qui avait, au Portugal, chassé le PC du pouvoir qui empêche son accession directe à ce même pouvoir en Italie. C'est pour le moment de façon indirecte que, face aux urgences de l'heure, le PCI assure ses responsabilités à la tête du capital italien. Cependant, son "soutien critique" à l'action du gouvernement minoritaire Andreotti ne peut constituer qu'un pis-aller qui ne saurait se prolonger très longtemps sans dangers majeurs pour ce capital.
En effet, cette solution bâtarde comporte le double inconvénient de ne pas permettre l'adoption de mesures énergiques de capitalisme d'Etat et de ne pas pouvoir être présentée comme une "victoire" pour les travailleurs comme le serait une participation directe du PCI au pouvoir alors qu'elle fait en même temps retomber sur lui une part de l'impopularité des mesures d"'austérité". Comme en Espagne, le capital est en Italie sur la corde raide.
En France, une longue période de stabilité politique touche à sa fin. Frappé, à la suite des autres pays latins, de plein fouet par la crise, ce pays est à la veille de bouleversements politiques importants. Les forces politiques au pouvoir depuis près de vingt ans sont de plus en plus usées et impuissantes pour prendre des mesures énergiques d"'assainissement" de l'économie. Très dépendantes des secteurs les plus retardataires de la société comme l'ont montré les affrontements parlementaires sur les "plus-values", ces forces ne sont capables que d'attaques relativement timides contre le niveau de vie de la classe ouvrière comme le fait apparaître la modération du plan Barre. Dans ces circonstances, "la gauche unie" pose avec assurance sa candidature à la succession de la droite qui interviendra probablement à la suite des élections législatives de 1978. De ce fait, celles-ci constituent de plus en plus le centre de polarisation de la vie politique en France, d'autant plus qu'elles doivent permettre, avec le relai opportun des municipales de 1977, de faire patienter jusqu'à cette "grande victoire" la classe ouvrière dont le mécontentement et l'inquiétude vont grandissants.
Dans l'attente de ce dénouement, la droite va se contenter d"'expédier les affaires courantes". Cependant, si la situation en France se rapproche de celles du Portugal, de l'Espagne et de l'Italie par son caractère transitoire, le capital de ce pays dispose, comme traduction d'une plus grande force structurelle, d'une plus grande marge de manœuvre et de moyens plus importants pour parer dans l'immédiat à ses difficultés politiques.
Du point de vue de la précarité de son équilibre, la situation en Grande-Bretagne ne se distingue pas fondamentalement de celle des autres pays d'Europe considérés. Cependant, ce qu'il faut souligner concernant ce pays, c'est le paradoxe existant entre la profondeur avec laquelle il est frappé par la crise et la capacité de la bourgeoisie à continuer à maîtriser la situation sur le plan politique. En effet, si on prend en considération les différents axes de la politique bourgeoise, la classe dominante ne rencontre pas de problèmes majeurs avec les couches moyennes et en particulier avec la paysannerie proportionnellement la plus faible du monde. De même, sa fraction de gauche dominante, le parti travailliste, jouit de la parfaite confiance du bloc américain ; enfin, le capital a manifesté une grande capacité politique par la reprise en main d'un des prolétariats les plus combatifs du monde à travers un appareil syndical éprouvé dans lequel TUC et shop-stewards se partagent efficacement le travail.
Cependant, si la bourgeoisie la plus vieille du monde a momentanément surpris par l'ampleur de ses ressources, tout son "savoir faire" sera impuissant en fin de compte devant la gravité de la situation d'une économie qui depuis 1967 est une des moins épargnées par la crise mondiale.
Dans les pays dits "socialistes" la situation n'est pas fondamentalement différente de celle des pays du bloc occidental. C'est à travers les contradictions que soulèvent les divergences entre l'intérêt du bloc de tutelle et l'intérêt national, la nécessité de renforcer la cohésion d'un appareil productif peu efficace, les résistances sourdes mais quelquefois décisives de secteurs comme la paysannerie, les réactions limitées en nombre mais violentes de la classe ouvrière, que la crise se transmet de la sphère économique à la sphère politique. Cependant, la grande fragilité de ces régimes liée à leur faiblesse économique et à leur très grande impopularité leur laisse une marge de manœuvre très réduite, contrairement aux pays "démocratiques". En particulier, l'absence de forces politique de rechange du capital liée à son étatisation presque complète interdit une "relève démocratique" du type espagnol, capable de canaliser le mécontentement ouvrier. Les seuls changements que soit capable de se donner l'appareil politique de ces pays consiste dans la modification des cliques dirigeantes au sein du parti unique, ce qui limite de façon importante leur capacité de mystification. De ce fait, à part la récupération et l'institutionnalisation des organes que la classe peut se donner au cours de ses luttes et la mise en avant des thèmes "démocratiques" agités par des forces limitées destinées à rester dans l'opposition, le capital de ces pays dispose de peu de moyens d'encadrement de la classe ouvrière autre qu'une répression systématique et féroce. Sur chacun de ces points, la situation en Pologne est particulièrement significative : elle met en relief la grande faiblesse du capital de ces pays, la grande rigidité et les convulsions de son appareil politique qui sont liées à cette faiblesse ainsi que son impuissance à mener une attaque en règle contre le niveau de vie de la paysannerie et une classe ouvrière particulièrement combative.
Parmi les pays "socialistes", la Chine constitue un cas significatif. Son évolution - particulièrement mise en relief avec l'aggravation de la crise - tant en politique intérieure qu'en politique internationale, vient confirmer un certain nombre d'analyses déjà définies pour d'autres pays.
En premier lieu, son rapprochement à la fin des années 60 avec les USA apporte un démenti à la thèse qui veut qu'il y ait un "bloc du capitalisme d'Etat" aux intérêts fondamentalement "solidaires" face au "bloc du capitalisme privé". Ce rapprochement illustre également l'impossibilité d'une indépendance véritable de tout pays, aussi puissant soit-il, à l'égard des deux grands blocs impérialistes qui se partagent la planète, la seule "indépendance nationale" consistant en fin de compte dans une possibilité de passage de l'orbite de l'un à celle de l'autre.
En second lieu, les convulsions qui ont suivi la mort de Mao mettent en évidence la grande instabilité de ce type de régimes : l'affrontement entre les forces politiques plus ou moins favorables au bloc russe ou américain se combinent comme ailleurs avec les oppositions entre différentes orientations économiques et politiques et entre différents secteurs de la bureaucratie étatique pour aboutir à des règlements de compte violents et même sanglants entre les différentes cliques qui constituent l'Etat et le parti.
En troisième lieu, l'émergence à la tête de l'Etat de l'ancien chef de la police Hua Kuo-Feng s'appuyant en bonne partie sur 1'armée illustre à la fois que la répression la plus systématique et ouverte constitue le moyen privilégié pour contenir la lutte de classe et que, malgré ses caractéristiques particulières, la Chine n'échappe pas à la règle qui assigne à l'armée une place déterminante dans la politique intérieure des pays sous-développés.
Si c'est en prenant en considération, non pas un seul, mais les trois axes de la politique bourgeoise face à la crise et l'ensemble des contradictions qu'ils provoquent dans différents domaines qu'on a pu comprendre les conditions de l'actuelle crise politique de la classe dominante, cela ne signifie pas cependant que chacun de ces trois axes ait un impact égal dans l'évolution de celle-ci. On a déjà mis en relief le fait que certains d'entre eux peuvent à certains moments et de façon circonstancielle constituer l'élément déterminant d'une situation, mais il est également vrai que, sur le plan historique, certains de ces axes tendront de façon plus définitive à prendre le pas sur d'autres. On peut ainsi établir que l'importance des problèmes liés à l'attaque capitaliste contre les couches moyennes est appelée à diminuer en faveur des problèmes liés à ce qui touche les intérêts fondamentaux du capital et qui sont à la base de l'alternative ouverte par la crise : guerre de classe généralisée ou guerre impérialiste. Dans la période qui vient on verra donc s'accroître le poids des questions liées à la concurrence entre capitaux nationaux, ce qui se traduira par une aggravation des tensions inter impérialistes et un renforcement de la cohésion au sein des blocs, et d'autre part l'importance du facteur lutte de classe. Et dans la mesure où ce dernier est celui qui commande la survie du système, il devrait progressivement prendre le pas sur le précédent à mesure qu'augmentera la remise en cause de cette survie : l'histoire nous a montré, particulièrement en 1918, que le seul moment où la bourgeoisie peut oublier ses déchirements entre nations est celui où sa vie même est en jeu mais, qu'alors, elle est parfaitement capable de le faire.
Une fois posées ces perspectives globales, l'examen de la situation politique de la plupart des pays (à l'exception peut-être de l'Espagne et de la Pologne) conduit à la constatation que, cette dernière année, le facteur lutte de classe a été relativement effacé par rapport aux autres facteurs dans la détermination de la conduite des affaires bourgeoises. Et en fait, si contrairement aux années 30 la perspective générale n'est pas guerre impérialiste mais guerre de classe, il faut justement constater que la situation présente se distingue par l'existence d'un grand décalage entre le niveau de la crise économique et politique et le niveau de la lutte de classe. Ce décalage est particulièrement frappant quand on examine le pays qui, depuis 1969, a connu le plus grand nombre de mouvements sociaux : l'Italie. Si, dans ce pays, les premières atteintes de la crise avaient provoqué des réactions ouvrières aussi puissantes que celle du "mai rampant" de 1969, la véritable agression actuelle contre la classe ouvrière comme produit de la déliquescence de la situation économique ainsi que le chaos politique résultant également de cette situation, ne trouvent en face d'eux qu'une réponse prolétarienne très limitée, sans commune mesure avec celle du passé. Ce n'est donc pas seulement de stagnation de la lutte de classe dont il faut parler mais bien d'un repli de celle-ci et qui affecte aussi bien la combativité du prolétariat que son niveau de conscience puisque aujourd'hui, et particulièrement en Italie, l'appareil syndical -passablement bousculé et dénoncé par un nombre important de travailleurs dans le passé - a rétabli un contrôle assez efficace sur ceux-ci.
Indépendamment des explications qu'on peut donner au creux présent de la lutte de classe, ce phénomène vient donner un coup de grâce à toutes les théories qui voyaient dans la lutte de classe la cause du développement de la crise. Qu'elles soient le fait d'économistes bourgeois, en général les plus stupides et réactionnaires, ou qu'elles tentent de s'abriter derrière le "marxisme", ces conceptions sont aujourd'hui bien incapables d'expliquer par quel mécanisme un repli de la lutte de classe peut provoquer une telle aggravation de la crise économique. Le "marxisme" des situationnistes, qui voyaient dans mai 1968 la cause des difficultés économiques qu'ils n'ont découvert qu'avec plusieurs années de retard, comme celui du GLAT qui passe son temps à faire dire n'importe quoi à des cargaisons de chiffres a bien besoin d'aller se refaire une cure de santé.
Par contre, la situation actuelle semble apporter de l'eau au moulin des théories qui considèrent que la crise est l'ennemie des luttes ouvrières et que le prolétariat ne peut faire sa révolution que contre un système fonctionnant "normalement". Cette conception, qui trouve des arguments historique avec le cours suivi par la lutte de classe après 1929, est une des expressions, quand elle est développée par des révolutionnaires, de la démoralisation engendrée par la terrible contre-révolution qui a marqué la moitié du XXème siècle. Elle tourne le dos à l'ensemble de l'expérience historique et a été toujours combattue par le marxisme. De même, aujourd'hui, ce n'est pas en examinant d'une façon statique et immédiate la situation - ce qui peut effectivement conduire à la conclusion que le recul relatif des luttes est la conséquence de l'aggravation de la crise -, mais en prenant en compte l'ensemble des conditions et des caractéristiques du développement du mouvement prolétarien qu'on peut comprendre les causes de ce repli et, de ce fait, dégager les perspectives sur lesquelles débouche cette situation. Et de tous les facteurs qui déterminent la situation actuelle il faut en prendre en compte particulièrement trois :
- les caractéristiques du développement historique des mouvements révolutionnaires de la classe ;
- la nature et le rythme de la crise présente ;
- la situation créée par un demi-siècle de contre-révolution.
C'est depuis plus d'un siècle que les révolutionnaires ont mis en évidence que, contrairement aux révolutions bourgeoises qui "se précipitent de succès en succès", les révolutions prolétariennes "interrompent à chaque instant leur propre cours, (...) paraissent n'abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et se redresser à nouveau formidable en face d'elles" (K. Marx, Le 18 Brumaire). Ce cours en dents de scie de la lutte de classe qui se manifeste aussi bien par de grands cycles historiques de flux et de reflux que par des fluctuations à l'intérieur de ces grands cycles est lié au fait que, contrairement aux autres classes révolutionnaires du passé, la classe ouvrière ne dispose d'aucune assise économique dans la société. Ses seules forces étant sa conscience et son organisation constamment menacées par la pression de la société bourgeoise, chacun de ses faux pas ne se traduit pas par un simple coup d'arrêt de son mouvement mais par un reflux qui vient terrasser l'une et l'autre et la plonge dans la démoralisation et l'atomisation.
Ce phénomène est encore accentué par l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence dans laquelle la classe ouvrière ne peut plus se donner d'organisation permanente basée sur la défense de ses intérêts comme classe exploitée, comme pouvaient l'être les syndicats au siècle dernier. Aujourd'hui, au lendemain de la plus terrible contre-révolution de son histoire, ce caractère en dents de scie du développement des luttes de la classe est encore plus renforcé du fait de la rupture profonde entre les nouvelles générations ouvrières et les expériences passées du prolétariat. Celui-ci doit donc refaire toute une série d'expériences répétées avant d'être en mesure de pouvoir en tirer valablement les leçons, renouer avec son passé et tirer des expériences de ce1ui-ci les enseignements qu'il devra intégrer dans ses luttes futures.
Ce long chemin de la lutte de classe d'aujourd'hui est encore allongé par les conditions dans lesquelles s'opère la reprise : le développement lent d'une crise économique du système. Les mouvements révolutionnaires passés du prolétariat se sont tous développés à la suite de guerres, ce qui les plaçait d'emblée en face des convulsions les plus violentes que la société capitaliste puisse connaître et les confrontait rapidement aux problèmes politiques, en particulier à celui de la prise du pouvoir. Dans les conditions présentes, la prise de conscience de la faillite totale du système - particulièrement là où le prolétariat est le plus concentré, c'est-à-dire dans les pays les plus développés - est nécessairement un processus lent qui suit le rythme de la crise elle-même. Cela permet le maintien, pendant une longue période, de toute une série d'illusions sur la capacité de ce système à surmonter sa crise à travers différentes formules mises en avant par les équipes de rechange de la bourgeoisie.
C'est l'ensemble de cette situation qui a permis au capital de refaire une partie du terrain perdu au début de la crise face aux réactions brusques de la classe que celle-ci avait provoquées et qui avaient surpris la classe dominante dans un premier temps. En particulier, les fractions de gauche du capital et leur appareil syndical ont systématiquement saboté les luttes soit, quand elles étaient au pouvoir, en agitant la menace d'un "retour de la droite ou de la réaction", soit, plus souvent encore, en présentant la venue de la gauche - rendue de toutes façons de plus en plus nécessaire pour imposer des mesures de capitalisme d'Etat aux secteurs liés à la propriété individuelle comme un moyen de surmonter la crise et de préserver les intérêts prolétariens. Dans cette tâche, les gauchistes ont joué un rôle très important à travers leurs politiques de "soutien critique", racolant vers le terrain électoral et syndical les éléments de la classe qui commençaient à ruer dans les brancards de la gauche classique.
Cette perspective de victoire de la gauche a été facilitée par la déception qu'a pu faire peser sur la classe une série de défaites dans ses luttes économiques : ressentant le besoin d'une "politisation" de son action, mais ne disposant pas encore d'une expérience suffisante, elle a été conduite sur le terrain d'une "politisation" bourgeoise. Cette déception a également eu pour conséquence le développement d'un certain fatalisme parmi les travailleurs qui ne les incite à réagir de nouveau que face à une aggravation beaucoup plus violente de la crise.
L'ensemble de ces conditions permet d'expliquer les causes du désarroi actuel du prolétariat et du creux relatif de ses luttes. Mais avec l'aggravation irrémédiable de la crise économique et du fait que, contrairement à 1929, la classe d'aujourd'hui n'a pas été battue, ces conditions qui ont permis momentanément à la classe dominante de rétablir son emprise sur la classe ouvrière vont tendre à s'épuiser.
En effet, avec l'approfondissement de la crise et l'aggravation violente qu'elle suppose contre les conditions de vie du prolétariat, celui-ci sera contraint de nouveau à réagir quelles que soient les mystifications qui peuvent aujourd'hui encombrer sa conscience. Cette réaction va contraindre la gauche et ses rabatteurs gauchistes à se démasquer un peu plus là où ce n'est pas encore le cas.
Son accession à la tête de l'Etat rendue de plus en plus indispensable va probablement constituer, dans un premier temps, un facteur supplémentaire de temporisation. Mais en même temps, vont se mettre en place les conditions permettant au prolétariat de comprendre la seule issue de sa lutte : l'affrontement direct avec l'Etat capitaliste. Enfin, l'accumulation des expériences de la classe lui permettra de se doter des moyens de tirer les leçons de celles-ci, la démoralisation et les mystifications antérieurement subies se transformant dès lors en éléments supplémentaires de combativité et de prise de conscience.
Pour l'heure, les manœuvres mystificatrices déployées par la bourgeoisie portent encore leurs fruits et le rôle des révolutionnaires est de continuer à les dénoncer avec la plus grande énergie, plus particulièrement celles promues par les courants "gauchistes". Mais l'existence même du décalage présent entre le niveau de la crise et celui de la classe met à l'ordre du jour des resurgissements importants de cette dernière et qui tendront à combler ce décalage. Le calme relatif de la classe alors que la crise portait des coups de plus en plus violents, particulièrement en 1974-75, et qui l'ont comme étourdie dans un premier temps, ne saurait être interprété comme une inversion de la tendance générale de la reprise des luttes apparue à la fin des années 60. Le calme actuel est comme celui qui précède les tempêtes. Après un premier assaut à la fin des années 60 et au début des années 70, la classe ouvrière est en train, de façon souvent encore inconsciente, de préparer et concentrer ses forces pour un deuxième assaut. Les révolutionnaires doivent miser sur ce prochain assaut afin de ne pas être surpris par lui et être en mesure d'assumer pleinement leur fonction au sein des combats qui se préparent.
31/10/76
L'ACCELERATION DE LA CRISE ECONOMIQUE
"Il semble heureusement que, cette fois, le danger sera évité. La reprise a pris corps et s'est généralisée au premier semestre de 1976, et le chômage, qui avait atteint l'un de ses maxima d'après-guerre, a amorcé une baisse dans certains pays..." (Perspectives de l'OCDE, juin 76)
Quelques mois auront suffi pour balayer les prédictions optimistes de l'OCDE. Pour la première fois depuis la récession de 1974-75, les bourses de New York, Londres et Paris ont connu leurs cours les plus bas. Traduisant le profond scepticisme de la bourgeoisie quant à la profondeur de la "reprise", celle de Paris connaissait son "mardi noir" le 12 octobre avec une baisse moyenne de 3 % le même jour sur toutes les valeurs. Ce même mois, et le même jour, l'Espagne, le Portugal, l'Italie prenaient les mesures les plus draconiennes de leur histoire : hausse des produits courants, blocage des prix et des salaires, mesures protectionnistes de blocage des importations. Il est vrai que la France les avait déjà précédés dans cette voie, à un niveau plus faible, avec le "plan Barre". Simultanément, et le même mois, le franc, la livre, la lire continuaient leur lente descente aux enfers. "La reprise s'essouffle", pouvait conclure laconiquement le Monde du 5 octobre.
L'ESSOUFFLEMENT DE LA "REPRISE"
Avant d'examiner les phénomènes et la nature de la "reprise", il faut tout d'abord rappeler la situation de l'économie mondiale en 1975. Selon la Banque des Règlements Internationaux, l'expansion du commerce mondial a représenté cette année 35 milliards de dollars, c'est-à-dire le huitième du chiffre de 1974, la contraction du marché mondial la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale.
La paralysie des échanges qui traduit celle de l'appareil de production trop développé pour un marché mondial saturé de marchandises non réalisées se concrétise par un déclin de 10 % du volume du commerce international.
En août 75, et sur une année, la chute de la production industrielle était la suivante : USA : -12,5% ; Japon : - 14 % ; RFA : - 12 % ; France : - 9% ; Grande-Bretagne : - 6% ; Italie: - 12,2 %. Corrélativement, l'indice du cours mondial des métaux (base 100 en 1970) passait de 245,8 en mai 74 à 111,5 en juillet 75. Traduisant la contradiction irréductible entre les rapports de production et les forces productives, le chômage atteignait le chiffre record de 23 millions de chômeurs pour l'ensemble des pays de l'OCDE au milieu de l'année 75.
LES PHENOMENES DE LA "REPRISE"
Commencée au dernier trimestre 1975, la "reprise" trouve essentiellement sa cause dans le mouvement purement conjoncturel de restockage pendant 1975. Cet aspect artificiel de la "reprise" est souligné par le fait que "la constitution des stocks aura sans doute contribué cette année pour 1,75 % environ à l'expansion de la production en termes réels, alors que son rôle avait été négligeable à cet égard pendant les reprises de 1968 et 1972" ("Perspectives économiques" de l'OCDE).
Quels sont les résultats de cette opération "technique" ?
Toujours selon l'OCDE, dont les ministres se sont réunis en juin dernier à Paris : "l'expansion rapide que connaissent les Etats-Unis depuis le milieu de 1975 a donné une forte impulsion à la reprise dans d'autres pays, notamment au Japon. Le niveau de la production industrielle de la zone de l'OCDE est maintenant proche de son maximum des derniers mois de 1973. Le taux de chômage qui avait atteint quelque 5,50 % de la population active vers la fin de 1975 est maintenant descendu aux environs de 5 % de la population active, cette baisse reflétant essentiellement l'amélioration de la situation aux Etats-Unis. Au Japon et en Europe, le chômage partiel a nettement reculé mais le nombre de chômeurs est resté élevé".
Là aussi, ces optimistes prédictions devaient se trouver démenties par la réalité un mois plus tard
"L'infléchissement déjà observé en mai et juin se transforme maintenant en ralentissement et fait même craindre une chute précoce de l'activité économique. Les courbes de la croissance industrielle de la France et de l'Allemagne déclinent beaucoup plus qu'on aurait pu le prévoir il y a quelques mois. 5% par an de croissance, c'est peu pour un régime de croisière qui devrait normalement se situer à 7 ou 8%. L'Italie où la reprise est plus récente voit elle aussi sa courbe redescendre, bien que le rythme y reste encore élevé (18 %). Ne parlons pas de la Grande-Bretagne où l'essoufflement a suivi presque immédiatement le premier effort sérieux."
Quant aux deux géants économiques (USA et Japon), ils ont connu depuis le troisième trimestre 76 - moins marqué en raison de leur puissance économique - le même rythme de ... décroissance :
"Au Japon, le redémarrage a été tardif mais foudroyant : de 2 % à peine en novembre, le rythme est passé à près de 30 % en avril... En juin-juillet, le rythme n'y est plus que de 9 %. Seule, la courbe de croissance industrielle des Etats-Unis présente une forme différente, moins abrupte et plus rassurante : après un sommet de 18 % en septembre-octobre, le rythme a diminué pour atteindre 6 % au début de 76, puis il s'est stabilisé à 7 % en juin-juillet". (Le Monde, 5 octobre 1976)
Quant à la diminution du chômage présentée comme la grande victoire de la "reprise", elle est essentiellement le fait des USA où les effectifs de travail ont augmenté de 1.8 millions depuis le début de 1976 ([1] [1]). Au contraire, en Europe, non seulement le chiffre de chômeurs est resté identique en France. Italie et même RFA, mais il a crû en Grande-Bretagne au point d'atteindre le chiffre record de 6,4% de la population active.
C'est cette extrême modération de la reprise qui explique le recul de l'inflation pour les prix de gros et des matières premières (à l'exception des prix de détail toujours en hausse) : comme en 75, a commencé un mouvement de baisse des cours des métaux depuis juillet-août, qui s'explique par l'arrêt des achats (particulièrement ceux du Japon). De fait, le recul de l'inflation présenté par les économistes du capital comme l'amorce de la "reprise" traduit en réalité la rechute dans la crise.
LES MECANISMES DE LA "REPRISE"
Contrairement aux "reprises" qui avaient suivi les récessions de 67-68 et 71, celle du premier semestre 76 se caractérise par sa nature sectorielle et non généralisée. La relance de la production, loin de se manifester par l'essor des investissements en capital fixe (comme cela avait été le cas dans les précédentes "reprises" par une politique d'hyper inflation) émane avant tout des achats en biens durables (automobiles, électroménager, etc.), à quoi il faut ajouter les dépenses en services (Sécurité Sociale, travaux publics, logements). Il s'agit, en fait, purement et simplement de dépenses de rattrapage (usure des biens durables et d'équipements publics). Comme le constate l'OCDE, à propos de la France :
"La demande émanant du secteur public et la consommation privée ont constitué les éléments moteurs de cette reprise. Elles ont été ensuite relayées par la demande extérieure et le retournement du cycle des stocks. La progression extrêmement vive de la demande des ménages a été stimulée par les mesures de relance de l'automne dernier, et a pris essentiellement la forme d'un rattrapage dans les achats de biens durables qui avaient été différés depuis le milieu de 1974."
Contrairement à ce que prétendent les descendants du professeur Dühring en la personne de la gauche et des gauchistes, la relance de la production par la consommation est plus que jamais un pur mensonge, non seulement parce que la survie même du capital implique une croissance plus rapide du secteur l (production) sur le secteur II des biens de consommation mais parce que la croissance du premier secteur implique la nécessaire décroissance relative ou absolue du second, contradiction qui est la base même du système capitaliste. De fait, il ne peut y avoir d'essor de la consommation qu'en fonction d'une croissance massive et durable de la production répondant à l'existence de marchés solvables ; cet essor étant purement relatif et conjoncturel. De fait, les crises du capital décadent s'accompagnent non seulement d'une diminution de la consommation relative mais d'une diminution absolue de celle-ci. Cela est d'autant plus vrai aujourd'hui que des millions d'ouvriers sont rejetés de la production tandis que la masse du prolétariat subit une diminution de plus en plus accélérée de son salaire et nominal, et réel.
C'est pourquoi la demande en biens de consommation qui s'est manifestée est essentiellement une demande de "rattrapage" correspondant à l'usure de biens durables nécessaires à l'entretien de la force de travail.
De fait, on voit toute la faillite du maintien du niveau de consommation pour une fraction de plus en plus restreinte de la population en ce que même cette politique dite de "relance", non seulement n'a pas empêché la décroissance de la production pour l'ensemble des pays capitalistes, mais s'est accompagnée d'une relance réelle et exacerbée de l'inflation, par une politique systématique d'endettements et de déficits budgétaires. Ainsi, l'augmentation du volume des échanges au cours du premier semestre 76 a entraîné une accélération du déficit courant de l'OCDE qui est passé d'environ 6 milliards de dollars en 75 à quelque 20 milliards de dollars (taux annuel) au cours de ce premier semestre.
Face au pessimisme grandissant de la bourgeoisie, les gouvernements ont pris toutes sortes de mesures en vue d'encourager les investissements à la production : depuis les crédits d'impôts, les subventions pour l'investissement, jusqu'aux amortissements accélérés. Ainsi, le gouvernement français a institué fin 75 des a11ègements fiscaux en faveur des entreprises représentant 10 % de la valeur des commandes de biens d'équipement passées entre le 1er mai 75 et le 7 janvier 76. Quand les gouvernements se trouvent dans une situation de semi-banqueroute sur le plan financier, ils font appel massivement à l'endettement extérieur : 1 milliard de dollars, prêt de l'OCDE à l'Italie ; il en a été de même en Grande-Bretagne et au Portugal où les banques centrales ont soutenu à bout de bras l'économie défaillante de ces pays. Mais, comme le notait The Economist, récemment : "Les banquiers sont maintenant inquiets sur "le sort de ces prêts, mais ils ont permis que "le commerce continue à fonctionner". On ne peut être plus clair : la survie à crédit, ou la mort subite du système !
Cette survie "à crédit" est encore plus nette dans les soi-disant pays "socialistes", où la dette de l'ensemble des pays du bloc russe à l'égard de l'occident se chiffre maintenant à 35 milliards de dollars. Pour certains, la situation est si grave qu'ils demandent déjà un moratoire ; la Corée du Nord a même cessé de payer le service de sa dette qui s'élève à quelque 1,5 milliard de dollars. La situation est identique dans les pays arriérés non pétroliers où le déficit de la balance courante atteint maintenant le chiffre tout aussi vertigineux de 37 milliards de dollars. Face à une telle situation, les banquiers et les Etats occidentaux ont alors décidé de restreindre leurs prêts aux pays de l'est ; dans les pays de leur bloc, ceux-ci, comme en Italie ou en Grande-Bretagne, sont assortis de toutes sortes de conditions qui brisent toute velléité "d'indépendance nationale" et ne seront plus accordés qu'en fonction de la nécessité de sauvegarder la cohésion de leur bloc. L'URSS n'a accordé de nouveaux crédits que sous la condition d'un contrôle plus strict de sa politique extérieure.
A travers la croissance des déficits budgétaires et de la dette extérieure, on assiste à une intervention de plus en plus accélérée de l'Etat. C'est lui qui est le véritable moteur de la "relance", faute d'une relance véritable par des marchés, lesquels ont continué à stagner et même à décroître (l'évo1ution des parts de marché des sept grands pays de l'OCDE a encore décru en 76, à la seule exception du Japon et de la RFA). Devant cette situation, les Etats ont mis au point un système d'encouragement à l'exportation par un jeu de primes ou de dégrèvement des impôts sur les bénéfices, ce qui a notablement encouragé les pays exportateurs comme le Japon ou la RFA à accroître notablement la part de leurs exportations dans leur commerce global.
BRIEVETE DES "REPRISES"
L'un des indices les plus probants du caractère permanent de la crise générale du système depuis 67 est le raccourcissement des phases de reprise. La crise de 67-68 est suivie de deux ans de reprise ; celle de 71 d'un an et demi de reprise. La reprise de 76 n'aura duré qu'un peu plus de six mois. On voit par contre se manifester un rallongement des phases de récession : un an en 67 et 71 ; presque deux ans en 74-75. On a donc des phases de reprise de plus en plus brèves jusqu'au point où elles deviennent inexistantes tandis que les phases de récession, en devenant de plus en plus longues, tendent à devenir permanentes.
On voit ici toute la vanité de prétendues explications marxistes (telle celle de "Programme Communiste" n° 67) qui croient déceler encore des cycles de croissance et de récession dans le capitalisme décadent. L'existence de cycles qui se vérifiait au XIXème siècle parce que les récessions ouvraient la voie à une expansion élargie sur un marché mondial encore en friche pour le capital ne peut plus être observée sous le capitalisme en déclin.
Dans cette période d'ascension continue du mode de production capitaliste, où il prend sa forme moderne de capital industriel, la constitution des cycles est la manifestation de la croissance organique du système. Les cycles d'expansion et de récession expriment alors de façon matérielle le développement contradictoire d'un système se heurtant aux limitations du marché national dans son cadre de vie déjà mondial. Non limité encore par l'achèvement de la conquête du marché mondial, le capital connaît des crises qui sont essentiellement d'adaptation, quand la croissance de la production tend à être plus rapide que celle du marché, ou quand la révolution technique incessante impose des déplacements de plus en plus rapides des capitaux dans les nouvelles branches de la production. Les crises étaient donc le moteur de nouveaux cycles de la production, toujours plus élargis à l'échelle du marché mondial. L'observation de phases périodiques de récession ou de stagnation aussi régulières que les marées, et généralement courtes, trouvait sa cause de moins en moins dans le poids des déterminismes agricoles et climatiques (crise de 1847, par exemple) que dans la faiblesse momentanée du secteur universel de la croissance de la production : le capital sous sa forme de monnaie (or et crédit). Les phases longues de dépression, toutes relatives, telle celle de 1873 à 1896, trouvaient leur origine dans le surgissement de capitaux plus modernes (Etats-Unis, Allemagne) venant concurrencer les vieux pays capitalistes (Grande-Bretagne, France) et étaient donc plus locales qu'internationales. Il s'agissait de paliers dans la phase générale d'expansion internationale du système. Quant aux crises qui éclataient à la charnière de ces cycles, elles devenaient de moins en moins fréquentes mais de plus en plus fortes (1873), à la mesure de l'extension colossale du système lui-même.
Ce qui était des cycles naturels de vie d'un système en pleine croissance n'est plus aujourd’hui que de simples convulsions, des spasmes de plus en plus rapides et rapprochés. Seuls, les mécanismes mis en place par la bourgeoisie depuis 29 sont en mesure - et de plus en plus faiblement, exactement comme un frein qui perd sa force d'avoir été trop utilisé - d'adoucir la violence croissante des convulsions. Estimer malgré cela que la bourgeoisie serait à même déclencher à volonté "reprises" et booms avant de retomber dans une nouvelle crise, c'est croire que la bourgeoisie est à même de surmonter ses contradictions aujourd'hui mortelles indéfiniment dans le temps :
"Le cycle mondial que nous avons observé de 1971 à 1975 a une période moyenne d'environ 4 à 5 ans... Dans cette hypothèse, la reprise lente au début devrait s'accélérer vers 1977 par le jeu de simultanéité du cycle économique et de l'entraînement mutuel des économies ; cette reprise devrait être d'autant plus forte que la baisse a été plus profonde et faire place vers 1978 à un nouveau boom productif". ("Programme Communiste", n° 67)
La reprise de la crise actuelle et la banqueroute dans laquelle glisse lentement l'ensemble de l'Europe après les pays du Tiers monde se sont chargées de balayer de telles jongleries pseudo-dia1ectiques sur les cyc1es "naturels" du capitalisme en décadence. On peut mettre en parallèle la vision trotskiste - et cette convergence n'est pas le fait du hasard - d'un E. Mandel : celui-ci croit déceler dans la crise de 1967-68 une "nouvelle onde longue à tonalité stagnante", voire le "résultat d'un mouvement cyclique traditionnel (septennal, décennal ou quinquennal)". Bref, les augures bordiguistes et trotskistes sont des oiseaux de bon augure pour le capitalisme agonisant, auquel ils donnent les vertus de l'immortalité.
LA "REPRISE" EST INEGALE
Les récessions dans la période de reconstruction des années 50 avaient une origine purement conjoncturelle (inégalité de la reconstruction selon les pays, poids des guerres coloniales, etc.) ; c'est pourquoi la reprise était générale et se poursuivait avec autant de régularité que de force.
Depuis l'ouverture de la phase de crise générale du capitalisme en 67, l'inverse s'est produit. La récession est devenue la règle, la reprise l'exception. De générale au niveau du monde, la reprise de 69-70 ne touche plus aujourd’hui que les pays les plus puissants économiquement, essentiellement les impérialismes dominants qui rejettent les effets de la crise sur leur zone d'influence, comme les USA ou l'URSS, qui ont bénéficié momentanément de la reprise par leur emprise renforcée sur leur propre bloc. En réalité, seuls trois pays ont connu une réelle reprise de leur production et de leur commerce extérieur : les Etats-Unis, l'Allemagne Fédérale et surtout le Japon. La fameuse "reprise" a vu en effet la chute de trois des plus grandes puissances capitalistes : l'Italie, la Grande-Bretagne, la France.
Au bout du compte, seuls les Etats-Unis sont plus à même par leur puissance à résister à la concurrence exacerbée de la RFA et du Japon, par tout un jeu de changes flottants du dollar et une série de mesures protectionnistes accompagnés de pressions politiques sur ses alliés. La faiblesse du Japon et de la RFA, dont la production dépend du maintien et même de l'accélération de leurs exportations, laisse voir, alors que les USA voient déjà leur production industrielle décliner au dernier trimestre 76 et leur chômage reprendre, qu'après avoir été internationaux en 69-70 et 72-73, les mouvements de "reprise" deviennent inégaux et purement locaux. On peut dire que, lorsqu'ils se manifestent localement, de plus en plus dans deux ou trois nations, ils prennent une forme négative, puisque la "reprise" de la production est une chute plus ralentie dans la récession, et relative, puisque la condition de cette reprise locale est l'accélération de la décomposition des économies concurrentes les plus faibles. Et, dans cette décomposition générale, ce que la bourgeoisie nomme "reprise" n'est plus qu'une capacité plus forte de freiner la chute libre de l'économie des pays les plus forts économiquement et ne correspond plus à un essor de la production industrielle et du commerce mondiaux. Dans cette nouvelle crise mortelle du capitalisme mondial, il ne peut plus y avoir d'alternance des cycles comme en phase ascendante : il n'existe qu'un seul cycle, celui de la crise permanente qui mène soit à la guerre, soit à la révolution.
Examinons plus en détail quelles mesures essayent de mettre en place le capital au niveau national et international pour freiner la décomposition rapide de l'économie.
LES "SOLUTIONS" DE LA BOURGEOISIE : EXPORTER PLUS
De l'est à l'ouest, c'est la solution miracle. En particulier, c'est la seule qui s'offre aux capitaux les plus faibles, en raison de la médiocrité de leur marché intérieur. Par exemple, en Pologne les exportations ont progressé de 30% en 1975, assurant l'essentiel du maintien du PNB. Pour l'ensemble des pays de l'est, les exportations vers la zone OCDE ont progressé de 22 % en 1970 à 30 % en 1975. Il en est de même pour l'Italie et la Grande-Bretagne où des dévaluations successives leur ont permis d'accroître le volume et la valeur de leurs exportations.
Malgré toute l'aide apportée par les différents Etats aux entreprises exportatrices, un nombre infiniment plus restreint de pays a profité de quelques mois de "reprise" par rapport à 72. Il s'agit essentiellement des pays où la productivité du travail s'est élevée notablement ou maintenu au niveau antérieur, tandis que diminuait le salaire réel des ouvriers. Cela est particulièrement vrai pour les trois grandes puissances commerciales mondiales : Japon. RFA et USA. On peut le constater au travers de l'évolution des coûts unitaires de main d'œuvre dans les industries manufacturières :
C'est grâce à sa plus grande compétitivité que le capital japonais a pu notablement améliorer ses positions au détriment des USA en devenant le premier exportateur d'acier, en s’implantant solidement en Amérique latine et en Europe dans le domaine de l'automobile et de l'électronique. Il en a été de même dans une moindre mesure pour la RFA et les USA. Néanmoins, le fait que ce maintien des exportations des capitaux les plus forts s'est opéré aux dépens des autres capitaux qui deviennent ainsi des marchés de moins en moins solvables pour les premiers entraîne en fait une diminution des marchés globaux.
La première contradiction de cette "solution" du capital se révèle aujourd'hui sous son jour le plus cru, dans l'exportation massive de capitaux. Celle-ci a pris des proportions inconnues : les investissements de la RFA et du Japon hors de leur cadre national se sont multipliés par sept depuis 1967. Ce qu'on a appelé les "multinationales" qui investissent de plus en plus hors de leurs pays d'origine, exprime en réalité le besoin du capital à réduire ses coûts de production : par une diminution de la part du capital variable incluse dans le prix de la marchandise. Cela ne peut se faire que là où le coût de la force de travail se situe en dessous de la moyenne des pays développés et où la production de marchandises ne nécessite qu'un travail simple. L'installation d'unités de production déversant les marchandises à coût inférieur sur le marché mondial ne fait que renforcer la concurrence qu'elle essayait de surmonter : selon la Far Eastern Review (15/10/76) l'implantation d'usines de montage électronique japonaises à Singapour, en Corée du Sud, a entraîné en retour une concurrence accrue sur le marché national japonais des appareils à transistors. Il en est de même jusque dans la plus grande puissance capitaliste où, en raison depuis trois ans du moindre coût salarial des ouvriers américains ([2] [2]), les succursales des multinationales européennes et japonaises prennent déjà le 1/4 des exportations américaines avec un coût d'investissement moitié moindre qu'en 1970 (Neue Zürcher Zeitung, 29 juin 76).
Cette recherche de la diminution du coût des investissements sur le marché extérieur s'est accompagnée en retour de la chute des investissements dans les grands pays industriels.
C'est pourquoi la deuxième contradiction, symétrique de la première, qui se manifeste de plus en plus au sein des pays industrialisés est la nécessité de continuer à investir productivement afin de conserver un minimum de modernisation des installations, condition même du maintien de la compétitivité des marchandises exportées. De fait les mesures de restrictions budgétaires prises et la diminution massive des profits pour le capital entraînent une diminution croissante des investissements productifs et de la recherche technique au fur et à mesure même que les marchés se réduisent :
"La faible propension à investir que l'on observe depuis des années aux USA a eu pour résultat un phénomène de vieillissement de l'appareil de production beaucoup plus rapide qu'au Japon et en RFA. Alors qu'en RFA en 1975 moins de 50% du potentiel industriel avait onze ans d'âge et plus, aux USA cette proportion était de 85% ; dans des secteurs importants tels que l'acier, le papier, l'automobile, on ne trouve plus la moindre trace d'innovation". (Der Spiegel, 29 mars 1976)
Ce qui est déjà vrai aux USA (et encore plus en Grande-Bretagne) ne fait que se répéter à une plus grande échelle dans les pays les plus faibles. Les pays qui, comme l'URSS ou la Pologne, malgré la faiblesse de leur accumulation, ou plutôt en raison de celle-ci, tentent de moderniser leur appareil de production par des investissements opérés aux prix d'un endettement extérieur systématique ne font à long terme que grever leurs marchandises du poids de plus en plus lourd de la dette extérieure. Faute de positions sur le marché mondial, ils ne font qu'accélérer leur banqueroute (et aussi celle des Etats emprunteurs qui seront à la longue dans l'incapacité de recouvrir leurs prêts).
C'est pourquoi les seuls investissements possibles sont ceux que les capitalistes appellent cyniquement de "rationalité". Nous verrons plus loin comment ceux-ci se sont manifestés sous forme d'extension du chômage et d'une exploitation accrue de la classe ouvrière.
Ainsi donc, ce que la bourgeoisie se plaît à nommer "pénurie des capitaux" ne fait que traduire l'impuissance croissante du capital, à l'est comme à l'ouest, à trouver de nouveaux débouchés. Développer l'appareil productif pour une réalisation du capital de plus en plus restreinte devient de plus en plus absurde dans le cadre du système.
Aujourd'hui, seuls les capitalismes les plus développés sont à même de freiner la chute de leurs investissements pour maintenir leurs positions antérieures et cela au prix de la destruction des capitaux les plus faibles entraînant un nouveau rétrécissement des marchés solvables.
RETOUR AUX MESURES PROTECTIONNISTES
La fin de la "reprise" remet à l'ordre du jour les vieilles recettes de la bourgeoisie en crise. Compte tenu de la situation de banqueroute qui se manifeste par une balance négative de l'ensemble des pays de l'est, des pays du Tiers-monde comme de l'OCDE (à l'exception pour le moment de la RFA et du Japon), chaque Etat essaie de protéger son marché intérieur de la concurrence par des restrictions des importations de marchandises.
Ces derniers mois, la libre circulation des produits au sein de la CEE a vécu. Récemment, la France a décidé le blocage des prix de revente des importateurs jusqu'au 31 décembre, pour lutter contre la concurrence allemande. Depuis le printemps dernier, l'Italie a institué un dépôt obligatoire de 50 % sur les importations. Pour lutter contre la concurrence japonaise, la Grande-Bretagne parle d'instituer des contingentements supplémentaires. De façon générale, tous les plans anti-inflation adopté ces dernières semaines en Europe auront pour effet de restreindre les échanges extérieurs. La CEE envisage que les échanges au sein de la Communauté passeront en valeur de 13 à 10% d'ici un an.
Dans les pays de l'est, on commence à observer la même tendance puisque par exemple, le plan quinquennal hongrois 76-80 prévoit une diminution des importations, tant du Comecon que de l'OCDE : respectivement de 9,9% par an à 6,5% et de 8,3% à 6,5% (Courrier des Pays de l'est, mai 76).
Aux USA, le paradis du "libre échange", le gouvernement a décidé en juin d'imposer un contingentement sur les importations d'acier (aciers spéciaux et aciers inoxydables). La récente imposition de quotas à l'importation d'acier, ainsi que les nombreuses enquêtes antidumping touchant les télévisions japonaises, les chaussures et l'automobile, s'inscrivent dans cette même tendance au retour à une certaine autarcie.
Néanmoins de telles mesures extrêmes ne peuvent être prises que dans des limites bien définies, compte tenu :
- d'une division internationale du travail et d'une interpénétration ou plutôt interdépendance des capitaux plus grandes que par le passé ;
- du renforcement des blocs qui exige un minimum de stabilité économique, la banqueroute d'un pays donné sous les coups de mesures protectionnistes trop brutales pouvant entraîner la banqueroute des autres économies par un effet de réaction en chaîne ;
- des leçons qu'a tirées la bourgeoisie à la suite de la crise de 29 de l'effet catastrophique d'un retour brutal des économies nationales à l'autarcie ;
- du développement de la lutte de classe depuis 68 qui impose à la bourgeoisie une certaine prudence dans la limitation des importations de biens de consommation courante (cf., par exemple, les leçons qu'a tirées la bourgeoisie polonaise à la suite des émeutes des ouvriers polonais en 70).
Il est donc à prévoir que pendant une période encore on va voir ces mesures protectionnistes s'accompagner de marchandages sur les quotas d'exportation et de "compensations mutuelles" ([3] [3]). Cependant, la limitation graduelle des échanges ne peut que reporter le krach inévitable de l'économie mondiale à une échelle beaucoup plus élargie. D'autre part les "aides" massives accordées par les banques centrales aux économies défaillantes, en déclenchant de nouvelles vagues d'hyperinflation risquent à plus ou moins long terme de déclencher une banqueroute financière généralisée à mesure que la permanence de la crise entraîne des mouvements de panique au sein de la bourgeoisie de plus en plus incontrôlables.
CAPITALISME D'ETAT ET AUSTERITE
Toutes les mesures de "re1ance" prises par les différents Etats nationaux, ainsi que la part de plus en plus importante prise par l'Etat pour favoriser les exportations et freiner les importations sur le marché déclinant national, s'inscrivent tout naturellement dans la prise en charge de l'ensemble de l'économie par l'appareil étatique, ultime béquille du système.
La tendance au capitalisme d'Etat qui a abouti dans les pays de l'est et dans la plupart des pays du tiers monde à un contrôle total de l'économie (Pérou, Algérie, Chine, etc.), dans tous les pays où le capitalisme se trouve dans un état de débilité et de stagnation endémiques, s'est considérablement accrue ces dernières années dans les pays où l'économie se trouvait en situation de force sur le marché mondial. La venue de la gauche au pouvoir en Europe, afin de prendre des mesures de nationalisations permettant de contrôler l'ensemble de l'économie par un appareil centralisé se montre de plus en plus inévitable dans les mois à venir. L'apparition répétée de "scandales" dans l'ensemble des pays d'Occident peut être interprétée comme des pressions de plus en plus intenses d'une fraction croissante de la bourgeoisie sur les secteurs les plus rétrogrades ou les plus développés du capital afin de se plier à la nécessité d'un contrôle de plus en plus énergique des grandes sociétés capitalistes par l'Etat. Là où le capital est traditionnellement le plus puissant (Japon, USA), cette tendance s'exerce essentiellement par des mouvements de plus en plus rapides de concentration, largement favorisés par l'Etat au moyen "d'aides" diverses. Ainsi, aux USA même, rien qu'entre janvier et avril 76, le nombre des fusions est monté à 264, soit 40% de plus que durant la même période en 1975. Aux USA encore, une fraction croissante de la classe capitaliste n'hésite plus à envisager comme une très forte probabilité la planification de l'économie. En avril 76, le président de la Commission des voies et des moyens de la Chambre des représentants devait déclarer :
"L'expression "planification économique" est considérée dans certains milieux comme un drapeau rouge que l'on déploie face à l'entreprise privée et évoque l'image de commissaires soviétiques ; il serait absurde qu'un gouvernement puisse planifier dans tous ses détails le système complexe de l'offre et de la demande, mais il le serait encore plus de prétendre que le gouvernement n'a aucune responsabilité dans la prévision et qu'il n'a pas à prendre de mesures intelligentes pour éviter les dangers et même le désastre." (Cité par Hiscox : "Analyse de la crise aux Etats-Unis", Critique de l'économie politique, n°24-25)
Même dans les pays de capitalisme d'Etat, cette tendance se poursuit par la mise en route de plans tendant, comme en Russie, à liquider la petite propriété paysanne et à regrouper les terres dans des complexes agro-industriels, après les catastrophes agricoles successives. C'est ainsi que le CC du PCUS a fait paraître un arrêté en date du 2 juin 76 sur le "développement de la spécialisation et de la concentration agricoles sur la base de la coopération interentreprises et de l'intégration agro-industrielle" qui va dans ce sens (cf. Courrier des pays de l'est, juillet-août 76). De même, ces dernières années la fusion du capital par des concentrations horizontales et verticales s'est particulièrement accélérée : cette fusion du capital avec l'Etat rendue plus étroite par ces mesures a permis en 1976 le développement des unions industrielles regroupant des entreprises jadis autonomes (leur nombre monte maintenant à 2300, d'après le discours de Kossyguine au XXVème congrès du PCUS).
Ces mesures de "rationalisation" de l'économie face à la crise s'accompagnent de mesures d'austérité sans précédent tendant à rendre "bon marché" pour l'accumulation un Etat lourdement paralysé par des déficits budgétaires de plus en plus vertigineux. En 1975, conséquences des mesures de relance après la récession, ils atteignaient des sommets jusqu'ici inconnus : 70 milliards de dollars aux USA ; 35 milliards de dollars en RFA ; 10 milliards au Japon, etc.
Avec la fin de la reprise, l'OCDE prévoit et conseille (!) à ses membres de réduire les déficits budgétaires, qui selon elle devait régulièrement se réduire dès 1977. Cela vise plus particulièrement "les services" (sécurité sociale dont les cotisations sont partout relevées) faisant partie des salaires des ouvriers. A New York, les mesures de "rationalisation" des services municipaux se sont soldées le 1er juillet 76 par la suppression de 36.000 emplois, tandis que dans d'autres grandes villes étaient décidés des licenciements massifs, un accroissement des impôts et une réduction draconienne de l'aide sociale. De même, de la France à l'Italie en passant par la Pologne, sont prises des mesures de blocages de salaires accompagnées d'augmentations d'impôts ; en Pologne, le gouvernement a décidé d'office de prélever une part des dépôts des caisses d'épargne pour subventionner la construction de logements.
PAUPERISATION CROISSANTE DU PROLETARIAT
Ces dernières années ont vu croître notablement le taux d'exploitation du prolétariat par un développement convulsif de la productivité, pour les ouvriers conservant leur poste de travail. A cette augmentation du taux d'exploitation par l'extraction de la plus-value relative s'est ajoutée l'exploitation absolue par l'augmentation des heures travaillées supplémentaires.
A cette paupérisation relative du prolétariat, permanente à chaque instant de l'existence du système capitaliste, s'est cumulée l'extension croissante de la paupérisation absolue. Niée hier par les réformistes quand les crises cycliques s'abattaient sur la grande masse du prolétariat et aujourd'hui par la gauche du capital alors que la crise est devenue permanente, elle a fini par toucher l'ensemble de la classe. Limitée pendant la période de reconstruction aux pays du Tiers-monde et de l'est européen, elle englobe aujourd'hui l'immense masse du prolétariat mondial :
- sous la forme d'un chômage constant depuis plusieurs années qui touche maintenant pour l'OCDE 20 millions d'ouvriers, pour les pays du Tiers-monde au moins 20 % de la population active et pour les pays de l'est, où il est souvent dissimulé par les camps de travail, quand il n'est pas officiellement reconnu (il y avait 600.000 chômeurs en Pologne avant les évènements de 1970, selon Contemporary Po1and, septembre 71). De plus en plus, cette masse immense de chômeurs tend à atteindre le seuil de misère physiologique à mesure que les gouvernements diminuent leurs aides (déjà misérables) aux sans-travail. Si ce seuil de misère physiologique varie en fonction des pays (salaire historique des différentes classes ouvrières) quantitativement, qualitativement il tend à être atteint ou même franchi (comme le montre d'ailleurs les enquêtes de l'OCDE sur la "pauvreté") dans l'ensemble du monde capitaliste touché par la crise. 80 % des chômeurs frappés par la crise n'ont pu retrouver un travail fixe pendant la "reprise", essayant plus ou moins de vivre par le travail "au noir". Ceci devient déjà de moins en moins possible. La classe capitaliste parle non seulement de diminuer son "aide sociale" mais de créer des chantiers de travail. En Belgique, par exemple, le ministre du travail a projeté de contraindre les chômeurs à trois journées de travail gratuit par semaine sous peine de suppression immédiate de ces "aides".
- sous la forme de la diminution du salaire réel qui se manifeste tant dans la diminution des prestations de services (allocations familiales, sécurité sociale, etc.) que dans la décroissance du pouvoir d'achat atteint de plus en plus lourdement par l'inflation galopante. Les statistiques officielles du Département of Commerce révèle que le salaire réel moyen des salariés ayant du travail a baissé de plus de 10 % entre 1972 et 1975 aux USA mêmes. Toujours selon les statistiques officielles des ministères du travail ou patronales, on peut calculer qu'en France, au Japon, en Grande-Bretagne, en moins d'un an, de 1974 à 1975, le salaire réel a chuté en moyenne de plus de 6%. Cette chute s'est montrée plus ou moins forte dans les différents pays touchés par la crise en fonction de la résistance plus ou moins forte de la classe ouvrière aux attaques massives du capital ; par exemple, en Pologne, c'est tout récemment que les ouvriers viennent de subir des réductions massives de leur salaire réel, alors que l'insurrection de 1970 avait contraint le gouvernement polonais à s'endetter massivement auprès des USA et de l'URSS afin de mouiller la poudre par une hausse nominale de 40% des salaires en cinq ans ( Le Monde Diplomatique, octobre 1976), ce qui explique en grande partie la situation de banqueroute du capital polonais aujourd'hui qui comprend que "produire plus" signifie "consommer moins".
Cette situation d'aggravation des conditions de vie de la classe ouvrière n'a fait d'ailleurs que s'aggraver avec la "reprise" qui s'est accompagnée de blocages de salaires, alors que l'inflation se faisait toujours plus convulsive avec les techniques de "relance" mises en œuvre. Tout le mensonge de la "reprise" tient là.
Le retour de la paupérisation absolue qu'on croyait définitivement bannie "des sociétés industrielles" donne aujourd'hui tout son sens à l'analyse de Rosa Luxembourg faite il y a presque 70 ans :
"Les couches les plus basses de miséreux et de réprouvés qui ne sont que faiblement ou pas du tout employées ne sont pas un rebut qui ne compterait pas dans la société "officielle", comme bien entendu la bourgeoisie les présente ; elles sont liées par des liens intimes à la couche supérieure des ouvriers d'industrie les mieux situés, au travers de tous les membres intermédiaires de l'armée de réserve. L'existence des couches les plus basses du prolétariat est régie par les mêmes lois de la production capitaliste qui la gonflent ou la réduisent et le prolétariat ne forme un tout organique, une classe sociale dont les degrés de misère et d'oppression permettent de saisir la loi capitaliste des salaires dans son ensemble que si on englobe les ouvriers ruraux et l'armée de réserve de chômeurs avec toutes ses couches, depuis la plus haute jusqu'aux plus basses."
(Rosa Luxembourg, "Introduction à l'économie politique")
La paupérisation de la classe n'implique donc nullement son écrasement ou son atomisation ; la paupérisation absolue, loin de se traduire par la décomposition organique de la classe exploitée, comme ce fut le cas dans les périodes de déclin des systèmes esclavagistes et féodal, est l'affirmation organique de toute une classe, la classe historique contrainte de s'affirmer révolutionnairement ou de disparaître par la guerre dans la destruction de l'ensemble de l'humanité.
PERSPECTIVES
Dans un récent rapport établi à l'issue d'un conseil des principaux ministres de l'O.C.D.E. en juin 1976, la bourgeoisie mondiale a imaginé des "scénarii" (la bourgeoisie ne parle plus de prévisions étant donné la faillite de plus en plus grandissante du capitalisme d'Etat)... de croissance. Elle estime :
- que la croissance jusqu'à 1980 devra être modérée (pas plus de 5 % annuel) afin d'éviter une nouvelle vague d'inflation qui pourrait faire sombrer le système monétaire et financier international dans la banqueroute après une "reprise" trop forte. Ainsi la bourgeoisie qui avait développé historiquement les forces productives et en avait tiré tout son orgueil de classe conquérante avoue aujourd'hui que sa condition de survie consiste maintenant à "contenir le risque d'une croissance excessive des profits" et à éviter "le risque que la vigueur des forces expansionnistes à l’œuvre soit sous estimée" (OCDE, juin 1976) ;
- que "la croissance entre 1975 et 1980 ne pourra se produire que si la progression des salaires n'atteint pas un rythme tel qu'elle compromette la progression de la productivité et décourage l'investissement". Autrement dit le ralentissement de la décroissance dépend maintenant de la limitation de la lutte de classe. La bourgeoisie commence à comprendre que la survie de son système tient maintenant dans les mains de la classe prolétarienne.
Néanmoins la crise actuelle se développe encore lentement. A la différence de 1929, le krach de l'économie ne s'étend pas des nations les plus puissantes aux plus fragiles (des USA à l'Allemagne de 1929 à 1932) mais inversement des centres les moins développés aujourd'hui (Italie, Grande-Bretagne, France) vers le cœur du capitalisme (USA, Japon, Allemagne, URSS), selon un processus lent dû au fait que la chute des économies faibles s'accompagne momentanément du relatif renforcement de leurs rivaux les plus forts. Compte tenu de la disparition graduelle de phases de reprise et du soutien par le capital mondial de ses fractions en état de banqueroute, par une croissance de plus en plus rapide du capital fictif, la moindre résistance de la bourgeoisie aux mouvements de panique qui se font de plus en plus jour en son sein (et ce malgré tous les organismes internationaux dont elle s'est dotée depuis 1945 pour assurer une cohésion dans les rangs des différents capitaux nationaux) laissent planer la menace d'une banqueroute générale du système sur la tête d'une classe bourgeoise de plus en plus apeurée.
Ce sont ces deux facteurs (lutte de classe, panique croissante de la bourgeoisie) qui parallèlement déterminent la survie du système.
Présentation sur la période de transition
Dans la plate-forme du CCI, adoptée au premier congrès du CCI de janvier 1976, le point concernant les rapports entre prolétariat et Etat dans la période de transition est resté "ouvert" :
"L'expérience de la révolution russe a fait apparaître la complexité et la gravité du problème posé par les rapports entre la classe et l'Etat de la période de transition. Dans la période qui vient, les révolutionnaires ne pourront pas esquiver ce problème mais devront y consacrer tous les efforts nécessaires pour le résoudre". (Plate-forme du CCI, point XV sur la dictature du prolétariat)
C'est dans le cadre de cet effort que s'inscrit la décision du deuxième congrès de RI d'aborder cette question et de tenter de parvenir à une résolution faisant le point de l'état de ces discussions sur ce problème.
Mais la question abordée est d'ordre programmatique. La plate-forme du CCI étant depuis le premier congrès la seule base programmatique pour toutes les sections du Courant, il va de soi que seul le congrès général du CCI a compétence pour décider de l'opportunité et du contenu d'un éventuel changement de la plate-forme.
En se prononçant sur une résolution sur la période de transition, le deuxième congrès de RI ne modifie donc pas les bases programmatiques de RI (pas plus que n'importe quelle section du CCI, RI n'a pas da bases programmatiques distinctes de celles du CCI).
Le congrès ne fait que faire le point sur l'effort réalisé au sein de RI dans la tâche de l'approfondissement de cette question afin de mieux l'inscrire dans l'effort global de l'ensemble du Courant.
LES LIMITES DE L'APPORT POSSIBLE
Afin de mieux pouvoir se repérer dans la complexité des problèmes de la période de transition, on peut regrouper ces derniers autour de trois sujets de préoccupation, distingués ici uniquement pour tenter de rendre plus commode la présentation de l'analyse :
- les spécificités générales qui distinguent globalement les fondements de la période de transition du capitalisme au communisme de ces deux genèses des autres systèmes qui l'ont précédée dans l'histoire;
- les rapports entre la classe révolutionnaire et le reste de la société au cours de la période de transition, c'est-à-dire les problèmes posés par la compréhension de ce qu'est la "dictature du prolétariat" et, par conséquent, ce que doit être le rapport entre la classe révolutionnaire et l'Etat dans la période de transition ;
- enfin, les questions concernant l'ensemble des mesures "économiques" concrètes de transformation de la production sociale.
Le travail d'analyse des révolutionnaires ne saurait manquer à la tâche d'apporter des réponses à l'ensemble de ces problèmes. Cependant, depuis que Marx et Engels jetèrent les bases du "matérialisme scientifique", les révolutionnaires savent que, sous peine de se perdre dans des spéculations à la recherche de ce que Marx appelait avec mépris "des recettes pour les marmites de l'avenir", ils doivent être conscients des limites immenses que leur imposent les limites mêmes de l'expérience prolétarienne dans ce domaine.
C'est l'ampleur de ces limites que Marx soulignait en 1875 dans sa critique du programme de Gotha en écrivant:
"Quelle transformation subira l'Etat dans une société communiste ? Quelles fonctions sociales s'y maintiendront qui soient analogues aux fonctions actuelles de l'Etat ? Cette question ne peut être résolue que par la science et ce n'est pas en accouplant de mille façons le mot peuple avec le mot Etat qu'on fera avancer le problème d'un seul saut de puce".
C'est la même conscience que R. Luxembourg exprimait en 1918 dans sa brochure sur la révolution russe :
"Bien loin d'être une somme de prescriptions toutes faites, qu'on n'aurait qu'à mettre en application, la réalisation pratique du socialisme comme système économique, social et juridique est une chose qui réside dans le brouillard de l'avenir. Ce que nous possédons dans notre programme, ce ne sont que quelques grands poteaux indicateurs montrant la direction dans laquelle les mesures à prendre doivent être recherchées, indications d'ailleurs surtout de caractère négatif. (…) (Le socialisme) a pour condition préalable une série de mesures violentes contre la propriété, etc. Ce qui est négatif, la destruction, on peut le décréter ; ce qui est positif, la construction, non. Terre vierge. Problèmes par milliers. Seule l'expérience est capable de faire les corrections et d'ouvrir des chemins nouveaux".
Outre cette limite d'ordre général, la résolution est consciemment limitée par l'objet qu'elle se donne. Elle ne prétend pas faire une synthèse de tout ce qui a pu être dégagé par les révolutionnaires sur la période de transition. En particulier, la résolution n'aborde pas la question des mesures économiques de transformation de la production sociale. Elle regroupe d'une part des positions acquises de longue date par le mouvement ouvrier (avant l'expérience de la révolution russe) et qui se sont confirmées comme de véritables frontières de classe ; d'autre part, des positions concernant les rapports entre la dictature du prolétariat et l'Etat de la période transition, dégagées principalement de la révolution russe et qui, si elles ne constituent pas par elles-mêmes des frontières de classe, n'en reposent pas moins sur une base historique suffisamment développée pour être partie intégrante des bases programmatiques d'une organisation révolutionnaire.
Les positions de classe fondamentales : inéluctabilité de la période de transition ; primauté du caractère politique de l'action du prolétariat comme condition et garantie de la transition vers la société sans classes ; caractère mondial de cette transformation ; spécificité du pouvoir de la classe ouvrière, en particulier le fait que le prolétariat, contrairement aux autres classes révolutionnaires de l'histoire, au lieu d'affirmer son pouvoir politique afin de consolider une position de classe dominante économiquement, position qu'il ne possèdera jamais, agit pour l'élimination de toute domination économique de classe par l'abolition des classes elles-mêmes ; impossibilité pour le prolétariat de se servir de l'appareil d'Etat bourgeois et nécessité de la destruction de ce dernier comme condition première du pouvoir politique prolétarien ; inéluctabilité de l'existence d'un Etat pendant la période transition, bien que profondément différent des Etats qui ont précédemment existé dans l'histoire.
Toutes ces positions constituent déjà par elles-mêmes un rejet catégorique de toutes les conceptions social-démocrates, anarchistes, autogestionnaires et modernistes qui, si elles ont sévi dans le mouvement ouvrier depuis ses premiers temps, ne servent pas moins aujourd'hui de piliers idéologiques de la contre révolution.
c'est sur la base de ces positions de classe fondamentales que la résolution dégage, principalement à partir de l'expérience de la révolution russe, des indications sur le problème du rapport entre prolétariat et Etat dans la période de transition au cours de la dictature du prolétariat : il en est ainsi de la compréhension du caractère inévitablement conservateur de l'Etat de transition ; de l'impossibilité d'identification du prolétariat ou de son parti avec cet Etat ; de la nécessité pour la classe ouvrière de concevoir ses rapports avec cet Etat auquel elle participe en tant que classe politiquement dominante, comme des rapports de force : "la domination de la société, c'est aussi sa domination sur l'Etat" ; nécessité de l'existence et du renforcement (armé) des organisations propres et spécifiques à la classe ouvrière (seule classe organisée comme telle dans la société), organisations sur lesquelles l'Etat ne peut avoir aucun pouvoir de coercition.
Ces indications affirment un rejet des conceptions qui ont pu servir de base mystificatrice à la "contre révolution qui se développe en Russie sous la direction du parti bolchevik dégénérant" et sont reprises aujourd'hui par l'ensemble des courants staliniens et trotskistes comme fondement théorique de la présentation du capitalisme d'Etat comme synonyme de socialisme.
Elles constituent donc un véritable garde-fou contre un ensemble de conceptions erronées que devra rencontrer demain le prolétariat dans son assaut mondial contre le capitalisme.
Cependant, aussi importantes que puissent être demain les conséquences de ces positions dans la lutte prolétarienne, il est nécessaire de comprendre aujourd'hui les limites réelles de cet apport :
Les expériences historiques sur lesquelles sont fondées ces positions, concernant les rapports classe-Etat de transition, demeurent encore trop peu nombreuses, trop spécifiques, pour que les conclusions qui en sont tirées puissent être considérées aujourd'hui par les révolutionnaires comme des frontières de classe, c'est-à-dire des positions qui constituent des parties clairement définies de la ligne de démarcation qui sépare le camp bourgeois du camp prolétarien. Les frontières de classe ne peuvent être appréhendées et définies par les révolutionnaires en fonction d'une expérience historique insuffisante ou de leur appréciation de l'avenir, mais sur une base expérimentale, fournie par l'histoire même des luttes prolétariennes, qui soit suffisamment nette et claire pour permettre d'en dégager des enseignements indiscutables.([4] [4])
Il faut donc souligner ici le caractère expressément limité des points que nous pouvons considérer acquis sur cette question : le rejet de l'identification du prolétariat ou de son parti avec l'Etat de transition ; la définition de la dictature du prolétariat par rapport à l'Etat comme une dictature de classe sur l'Etat et en aucun cas de l'Etat sur la classe ; la mise en avant de l'autonomie des organisations propres du prolétariat par rapport à l'Etat comme condition première d'une véritable autonomie et d'un véritable épanouissement de la dictature du prolétariat.
Ces points restent abstraits et généraux. Ils ne constituent que "quelques grands poteaux indicateurs montrant la direction dans laquelle les mesures à prendre doivent être recherchées, indicateurs d'un caractère souvent négatif". Les formes précises dans lesquelles ils pourront se concrétiser restent encore "terre vierge" que seule l'expérience permettra de défricher.
C'est une condition d'efficacité de l'organisation révolutionnaire que de savoir appréhender non seulement ce qu'elle sait et peut savoir, mais aussi ce qu'elle sait ni ne peut encore savoir. Il y va de sa capacité à savoir élaborer une véritable rigueur programmatique ainsi qu'à savoir faire siens à temps, dans l'action de la classe, les apports fondamentaux que seule la pratique vivante de la classe ouvrière peut fournir.
LE PROBLEME DU RAPPORT CLASSE-ETAT DE LA PERIODE DE TRANSITION DANS L'HISTOIRE DU MOUVEMENT OUVRIER
La méconnaissance généralisée de l'histoire du mouvement ouvrier, aggravée par la rupture organique qui sépare les révolutionnaires aujourd'hui des anciennes organisations politiques de la classe, ont pu faire paraître, dans certains cas, l'analyse sur laquelle nous nous prononçons aujourd'hui comme une "trouvaille", une "originalité" du CCI. Un rappel, même extrêmement bref et sommaire de la façon dont le problème a été abordé (il faudrait presque dire "découvert") par les révolutionnaires depuis Marx et Engels suffira à démontrer la fausseté d'une telle vision.
Dans le "Manifeste communiste" de Marx et Engels, qui n'emploie pas encore la formule de "dictature du prolétariat", "le premier pas dans la révolution ouvrière" est défini comme "la montée du prolétariat au rang de classe dominante, la conquête de la démocratie". Cette conquête n'est autre, en fait, que celle de l'appareil d'Etat bourgeois que le prolétariat devrait utiliser pour "arracher peu à peu toute espèce de capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de la production dans les mains de l'Etat - du prolétariat organisé en classe dominante - et pour accroître le plus rapidement possible la masse des forces productives". Même si l'idée de l'inévitable disparition de tout Etat est déjà établie depuis "Misère de la Philosophie", même si l'inévitabilité de l'existence d'un Etat pendant les "premiers pas de la révolution ouvrière" est présente, le problème même du rapport entre classe ouvrière et Etat de la période de transition n'est qu'à peine entrevu.
C'est avec la Commune de Paris et son expérience que le problème commence réellement à être perçu au travers des leçons que Marx et Engels en dégagent : nécessité de la destruction de l'appareil d'Etat bourgeois par le prolétariat, mise en place d'un appareil tout différent qui "n'est plus un Etat au sens propre du mot" (Engels), dans la mesure où il n'est plus un organe d'oppression de la majorité par la minorité. Un appareil dont le caractère de poids hérité du passé est clairement souligné par Engels qui en parle comme d'un fléau, un fléau dont le prolétariat hérite dans sa lutte pour arriver à sa domination de classe mais dont il devra, comme l'a fait la Commune et dans la mesure du possible, atténuer les effets, jusqu'au jour où une génération élevée dans une société d'hommes libres et égaux pourra se débarrasser de tout ce fatras gouvernemental. (Préface de "la Guerre civile en France")
Cependant, malgré l'intuition de la nécessité pour le prolétariat de développer toute sa méfiance envers cet appareil hérité du passé (le prolétariat, écrivait Engels, "avait à prendre des précautions contre ses propres subordonnés et ses propres fonctionnaires en les déclarant sans exception et en tout temps amovibles") et du fait que la très courte et circonscrite expérience de la Commune de Paris ne pouvait pas poser le problème des rapports entre le prolétariat, l'Etat et les autres classes non exploiteuses de la société, une des idées majeures qui fut dégagée de la Commune, fut celle de l'identification de la dictature du prolétariat avec l'Etat de la période de transition. Ainsi, trois ans après la Commune de Paris, Marx écrivait dans sa "Critique du _programme de Gotha" :
"Entre la société capitaliste et la société communiste, se situe la période de transformation révolutionnaire de l'une en l'autre. A cette période correspond également une phase de transition politique, où l'Etat ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat."
C'est cette base théorique que Lénine reformula dans le concept de "l'Etat prolétarien" dans "l'Etat et la Révolution", c'est sur elle que les bolcheviks et le prolétariat russe instaurèrent la dictature du prolétariat en 1917.
Les conditions dans lesquelles dut se dérouler cette tentative prolétarienne, par le fait même qu'elles cumulaient les plus grandes difficultés pour le maintien d'un pouvoir prolétarien (écrasante majorité de paysans dans la société, nécessité de soutenir immédiatement une guerre civile impitoyable, isolement international de la Russie, faiblesse extrême de l'appareil productif détruit par la Première Guerre mondiale puis par la guerre civile), toutes ces conditions eurent pour résultat de faire éclater dans toute son ampleur le problème du rapport entre dictature du prolétariat et Etat.
La dure réalité des faits devait démontrer qu'il ne suffisait pas de baptiser l'Etat "prolétarien" pour que celui-ci agisse en fonction des intérêts révolutionnaires du prolétariat ; qu'il ne suffisait pas de placer le parti prolétarien à la tête de l'Etat (au point de s'identifier complètement avec lui) pour que la machine étatique suivit le cours que les révolutionnaires les plus dévoués voulaient lui imprimer.
L'appareil d'Etat, la bureaucratie d'Etat ne pouvait pas être l'expression des seuls intérêts de la classe prolétarienne. Appareil chargé de la survie de la société, il ne pouvait exprimer que les intérêts de la survie de l'économie moribonde russe. Ce que les marxistes répètent depuis les premiers temps se vérifiait dans toute sa puissance : les impératifs de la survie économique s'imposaient impitoyablement à la politique de l'Etat. Et l'économie était loin de pouvoir être influencée en quoi que ce soit en un sens prolétarien.
Lénine devait constater cette impuissance clairement lors du XXIème congrès du Parti, un an après le début de la NEP :
"Apprenez donc, communistes, ouvriers, partie consciente du prolétariat qui s'est chargée de diriger l'Etat, apprenez à faire en sorte que l'Etat que vous avez entre vos mains agisse selon votre gré... l'Etat reste entre vos mains mais est-ce qu'en fait de politique économique il a marché selon vos désirs ? NON ! ... Comment a-t-il donc marché ? La machine vous glisse sous la main : on dirait qu'un autre homme la dirige, la machine court dans une autre direction que celle qu'on lui a tracée".
L'identification du parti prolétarien avec l'Etat n'aboutit pas à la soumission de l'Etat aux intérêts révolutionnaires du prolétariat, mais au contraire à la soumission du parti aux intérêts de l'Etat russe. C'est ainsi que sous la pression des impératifs de la survie de l'Etat russe (dans lequel les bolcheviks voyaient l'incarnation même de la dictature du prolétariat - il s'agissait de la sauvegarde du "bastion prolétarien"), le parti bolchevik finit par soumettre la tactique de l'IC aux intérêts de la Russie (alliances avec les grands partis social-chauvins européens en vue de tenter de faire relâcher le "cordon sanitaire" qui étouffait la Russie) ; c'est sous cette pression que fut signé le traité de Rapallo avec l'impérialisme allemand ; c'est aussi pour éviter l'affaiblissement du pouvoir de l'appareil d'Etat "prolétarien" (et en son nom) que furent écrasés les insurgés de Kronstadt par l'Armée rouge.
Quant aux masses ouvrières, si l'identification de leur parti avec l'Etat avait abouti à les amputer de leur avant-garde, au moment même où elles en avaient le plus besoin, l'idée de l'identification de leur pouvoir avec l'Etat ne servit qu'à les rendre impuissantes et confuses devant l'oppression croissante de la bureaucratie étatique. ([5] [5])
La contre-révolution qui réduisait en cendres la dictature du prolétariat avait surgi de l'organe même que les révolutionnaires avaient pendant des décennies cru pouvoir identifier avec la dictature du prolétariat.
Le long processus de dégagement des leçons de l'expérience russe commença dès les débuts de la révolution elle-même.
Dans une confusion inévitable, en s'attaquant à des aspects parcellaires, sans pouvoir toujours saisir le fond même des problèmes au milieu des tourbillons d'une révolution dont les traits de dégénérescence se développaient à ses tous débuts, surgirent les premières réactions théoriques. Les critiques de Rosa Luxembourg dès 1918 dans sa brochure sur la révolution russe contre l'identification de la dictature du prolétariat avec celle du parti, tout comme sa critique de toute limitation par l'Etat de la vie politique de la classe ouvrière, portaient en elles déjà des bases de la critique de l'identification du prolétariat avec l'Etat de la période de transition. Rosa Luxembourg, malgré le fait de considérer toujours l'Etat de transition comme un "Etat prolétarien", malgré la subsistance de l'idée de "la conquête du pouvoir par le parti socialiste", dégage ce qui constitue le seul moyen réel d'atténuer les fâcheux effets du "fléau Etat" dont parlait Engels :
"L'unique moyen efficace que puisse avoir en main la révolution prolétarienne, ce sont, ici comme toujours, des mesures radicales de nature sociale et politique, une transformation aussi rapide que possible, les garanties sociales d'existence chez la masse et le déploiement de l'idéalisme révolutionnaire, qui ne saurait se maintenir durablement que par une vie immensément active des masses dans une liberté politique illimitée".
En Russie et au sein même du parti bolchevik, le développement de la bureaucratisation de l'Etat et donc de l'antagonisme entre prolétariat et pouvoir étatique provoqua dès les premières années la naissance de réactions telles celle du groupe d'Ossinsky ou plus tard du "groupe ouvrier" de Miasnikov qui, en mettant en question la bureaucratie soulevait déjà, même de façon confuse, le problème de la nature de l'Etat et des rapports entre classe et Etat de la période de transition.
Mais c'est probablement dans la polémique qui opposa Lénine et Trotski au Xème congrès du Parti, sur la question des syndicats, que la question de la nature de l'Etat fut posée de la façon la plus aiguë. En effet, contre Trotski qui défendait l'idée d'une plus grande intégration des syndicats ouvriers dans l'appareil d'Etat afin de mieux affronter les difficultés économiques, Lénine opposa la nécessité de sauvegarder l'autonomie de ces organisations de classe afin que les ouvriers puissent se défendre "des abus néfastes de la bureaucratie étatique". Lénine en arriva jusqu'à affirmer que l'Etat n'était pas "ouvrier, mais ouvrier et paysan avec de nombreuses déformations bureaucratiques". Même s'il est certain que ces débats étaient menés au milieu d'une confusion généralisée (pour Lénine, les divergences avec Trotski ne portaient pas sur des questions de principe mais résultaient de considérations contingentes), ils n'en étaient pas moins d'authentiques expressions de la recherche dans le prolétariat de réponses au problème des rapports entre sa dictature et l'Etat.
Les Gauches hollandaise et allemande, après avoir réagi dans le prolongement de Rosa Luxembourg au développement de la bureaucratie d'Etat contre le prolétariat en Russie et ayant eu à affronter les problèmes de la dégénérescence de la politique internationale de l'IC, furent aussi amenées à développer la critique de ce qu'elles appelèrent : le socialisme d'Etat. Cependant, le travail d'Appel fait en collaboration avec la gauche hollandaise sur les "Principes de base de la distribution communiste" aborda surtout la question de la période de transition du point de vue économique, les développements sur l'aspect politique demeurant essentiellement une réaffirmation des idées fondamentales de R. Luxembourg.
C'est surtout avec les travaux de la gauche italienne en Belgique et en particulier les articles de Mitchell publiés à partir du n°28 de mars-avril 1936 de la revue Bilan que les bases théoriques pour une compréhension plus profonde du problème ont été posées : tout en restant sur la base théorique "léniniste" de la quasi identité entre parti et classe, Bilan fut le premier à affirmer nettement le caractère néfaste de toute identification de la dictature du prolétariat avec l'Etat de la période de transition et à souligner parallèlement l'importance de l'autonomie de la classe et de son parti par rapport à cet Etat :
"Mais l'Etat soviétique ne fut pas considéré par les bolcheviks, au travers des terribles difficultés contingentes, essentiellement comme un "fléau dont le prolétariat hérite et dont il devra atténuer les plus fâcheux effets", mais comme un organisme pouvant s'identifier complètement avec la dictature prolétarienne, c'est-à-dire le Parti.
D'où résulta cette altération principale que le fondement de la dictature du prolétariat, ce n'était pas le parti, mais l'Etat qui, par le renversement des rapports qui s'ensuivit, se trouva placé dans des conditions d'évolution aboutissant non à son dépérissement mais au renforcement de son pouvoir coercitif et répressif. D'instrument de la révolution mondiale, l'Etat prolétarien était inévitablement appelé à devenir une arme de la contre-révolution mondiale.
Bien que Marx, Engels et surtout Lénine eussent maintes fois souligné la nécessité d'opposer à l'Etat son antidote prolétarien, capable d'empêcher sa dégénérescence, la Révolution Russe, loin de d'assurer le maintien et la vitalité des organisations de classe du prolétariat, les stérilisa en les incorporant à l'appareil d'Etat et ainsi dévora sa propre substance ".
L'analyse de Bilan porte encore des hésitations et des faiblesses, en particulier en ce qui concerne l'analyse de la nature de classe de l'Etat de la période de transition, considéré comme "Etat prolétarien".
Ces hésitations et ces insuffisances, normales, seront dépassées par les analyses d'Internationalisme en 1945 (voir article "la nature de l'Etat et la révolution prolétarienne" republié dans le n°1 du "Bulletin d'étude et de discussion" de RI, janvier 1973). Internationalisme affirme déjà de façon nette et se fondant sur des critères d'analyse objective de la nature économique et politique de la période de transition, la nature non prolétarienne et antisocialiste de l'Etat de la période de transition:
"L'Etat, dans la mesure où il est reconstitué après la révolution, exprime l'immaturité des conditions de la société communiste. Il est la superstructure politique d'une structure économique non encore socialiste. Sa nature reste étrangère et opposée au socialisme. De même que la phase transitoire est une inévitabilité historique objective par laquelle passe le prolétariat, de même l'Etat est un instrument de violence inévitable pour le prolétariat dont il se sert contre les classes dépossédées mais avec lequel il ne peut s'identifier. (...)
L'expérience russe a mis particulièrement en évidence l'erreur théorique de la notion d'Etat ouvrier, de la nature de classe prolétarienne de l'Etat et de l'identification de la dictature du prolétariat avec l'utilisation, par le prolétariat, de l'instrument de coercition qu'est l'Etat."
Internationalisme dégage de l'expérience de la révolution russe la nécessité vitale pour le prolétariat de savoir exercer un contrôle strict et permanent sur cet appareil d'Etat toujours prêt à devenir au moindre recul la force principale de la contre-révolution :
"L'histoire et l'expérience russe ont démontré qu'il n'existe pas d'Etat prolétarien proprement dit, mais un Etat entre les mains du prolétariat, dont la nature reste antisocialiste et qui, dès que la vigilance politique du prolétariat s'affaiblit, devient la place forte, le centre de ralliement et l'expression des classes dépossédées du capitalisme renaissant."
Encore imprégné de certaines des conceptions de la gauche italienne, dont il est issu, notamment en ce qui concerne la question du parti et des syndicats, mais se plaçant déjà dans la vision claire de la classe ouvrière comme véritable sujet de la révolution, Internationalisme affirme enfin la nécessité de la plus totale liberté politique de la classe et de ses organes unitaires (qu'il considère encore comme pouvant être les syndicats) par rapport à l'Etat, soulignant la condamnation de toute violence de ce dernier sur les premiers. Il est le premier aussi à établir une véritable cohérence entre les problèmes politiques et les problèmes économiques qui se posent pendant cette période :
"Cette phase transitoire du capitalisme au socialisme, sous la dictature politique du prolétariat, se traduit sur le terrain des rapports économiques par une politique énergique tendant à diminuer l'exploitation de la classe, d'augmenter constamment la part du prolétariat dans le revenu national, du capital variable par rapport au capital constant.
Cette politique ne peut être donnée par une affirmation programmatique du parti et encore moins être dévolue à l'Etat, organe de gestion et de coercition. Cette politique trouve sa condition, sa garantie et son expression dans la. classe elle-même et exclusivement en elle, dans la pression qu'exerce la classe dans la vie sociale, dans son opposition et sa lutte contre les autres classes.(...)
Toute tendance à diminuer le rôle des syndicats après la révolution, qui sous prétexte de l'existence de "l'Etat ouvrier", interdirait la liberté d'action syndicale et la grève, qui favoriserait l'immixtion de l'Etat dans les syndicats, qui, au travers de la théorie en apparence révolutionnaire de remettre la gestion aux syndicats, incorporerait en fait ces derniers dans la machine étatique, qui préconiserait la violence au sein du prolétariat et de son organisation, sous le couvert de et avec la meilleure intention révolutionnaire du but final, qui empêcherait l'existence de la plus large démocratie par le simple jeu de la lutte politique et des fractions au sein du syndicat, exprimerait une politique anti ouvrière faussant les l'apports du parti et de la classe, affaiblissant la position du prolétariat dans la phase transitoire. Le devoir communiste serait de dénoncer et de combattre avec la plus grande énergie toutes ces tendances et d'œuvrer au plein développement et à l'indépendance du mouvement syndical, indispensable pour la victoire de l'économie socialiste. "
Il revient à Internationalisme d'avoir su définir le cadre théorique général dans lequel la question des rapports entre la dictature du prolétariat et l'Etat dans la période de transition pouvait enfin être posée sur des bases solides et cohérentes.
C'est en s'inscrivant entièrement dans ce processus que la résolution présentée au congrès se conçoit comme une tentative de réappropriation des principaux acquis du mouvement ouvrier sur cette question et un effort pour continuer l'œuvre permanente d'approfondissement des bases programmatiques de la lutte révolutionnaire du prolétariat.
C'est dire à quel point cette résolution n'a rien à voir avec une quelconque "trouvaille du CCI". Mais c'est dire aussi le poids de la responsabilité historique que fait peser sur les épaules de l'organisation révolutionnaire le fait d'assumer cet héritage.
CONTRIBUTION DU CONGRES DE R.I.
1) Entre le capitalisme et le socialisme existe inévitablement une période plus ou moins longue de transition de l'un à l'autre. Elle est transitoire dans le fait qu'elle ne connaît pas un mode de production propre ni stable. Sa caractéristique spécifique consiste dans le bouleversement ininterrompu et systématique qu'elle porte dans le mode de production. Par des mesures politiques et économiques, elle sape jusqu'aux fondements de l'ancien système et dégage les bases de nouveaux rapports sociaux : le communisme.
2) Le communisme est une société sans classes. La période de transition, qui ne se développe réellement qu'après le triomphe de la révolution l'échelle mondiale, est une période dynamique qui tend vers la disparition des classes, mais qui connaît encore la division en classes et la persistance d'intérêts divergents et antagoniques dans la société.
4) A la différence des révolutions bourgeoises qui eurent la région ou la nation pour cadre, le socialisme ne peut se réaliser qu'à l'échelle mondiale. L'extension de la révolution et de la guerre civile est donc l'acte primordial qui conditionne les possibilités et le rythme de la transformation économique et sociale dans le ou les pays où le prolétariat s’est déjà emparé du pouvoir politique.
3) A l'encontre des autres périodes de transition dans l'histoire, qui toutes se déroulaient au sein de l'ancienne société et culminaient dans la révolution, la période de transition du capitalisme au communisme ne peut débuter qu'après la destruction de la domination politique du capitalisme et en premier lieu de son Etat. La prise du pouvoir politique générale dans la société par la classe ouvrière, la dictature du prolétariat, précède.
5) Produit de la division de la société en classes, la dictature du prolétariat se distingue cependant du pouvoir des classes dominantes par le passé, essentiellement par les caractéristiques suivantes :
a) n’étant pas classe économiquement dominante, la classe ouvrière n'exerce pas son pouvoir pour défendre des privilèges économiques (qu'elle ne possède pas et ne possèdera jamais), mais pour détruire tous les privilèges ;
b) en conséquence, le prolétariat n'a nullement besoin, comme les autres classes, de cacher ses buts, de mystifier les autres classes en présentant sa dictature comme le règne de ²la liberté, l'égalité et la fraternité" ;
c) cette dictature n'a pas pour fonction de perpétuer l'état de choses existant, mais au contraire de le révolutionner, afin d'assurer l'avènement de la société véritablement humaine, sans exploitation ni oppression.
6) Dans toute société divisée en classes, afin d'empêcher que les antagonismes qui la travaillent n'explosent en luttes permanentes qui en menacent l'équilibre et mettent en péril jusqu'à son existence même, surgissent des superstructures, des institutions dont le couronnement est l'Etat, dont la fonction consiste essentiellement à maintenir ces luttes dans un cadre approprié, s'adaptant et conservant l'infrastructure existante.
7) La période de transition au socialisme est, comme nous l'avons vu, encore une société où subsiste la division en classes. C'est la raison pour laquelle surgit nécessairement cet organisme superstructurel, ce mal inévitable qu'est l'Etat. Mais des différences substantielles distinguent ce dernier de l'Etat des anciennes sociétés divisées en classes. L'expérience de la Commune de Paris a mis en évidence :
a) en premier lieu, le fait que pour la première fois dans l'histoire il est l'Etat de la majorité des classes exploitées et non exploiteuses contre la minorité (les anciennes classes dominantes déchues) et non d'une minorité exploiteuse pour l'oppression de la majorité ;
b) le fait qu'il ne se constitue pas sur une couche spécialisée, les partis politiques, mais sur la base de délégués élus par les organisations territoriales, les Conseils locaux, et révocables par elles ;
c) que toute cette organisation étatique exclut catégoriquement toute participation des couches et classes exploiteuses qui sont privées de tout droit politique ou civique ;
d) que la rémunération de ses membres ne peut jamais être supérieure à celle des ouvriers.
C'est dans ce sens que les marxistes pouvaient, avec raison, parler d'un semi-Etat, d'un Etat altéré, d'un Etat en voie d'extinction.
8) L'expérience de la révolution russe victorieuse devait apporter des enseignements précis, encore que négatifs, sur le rapport entre la dictature du prolétariat et l'institution étatique dans la période de transition :
a)la fonction des partis politiques du prolétariat se distingue fondamentalement de celle des partis bourgeois, tout particulièrement par le fait qu'ils ne sont pas et ne peuvent pas être des organismes d'Etat. Autant les partis de la bourgeoisie ne peuvent exister qu'en tendant à s'intégrer à l'appareil d'Etat, autant l'intégration des partis ouvriers à l'Etat après la révolution, les dénature et leur fait perdre complètement leur fonction spécifique dans la classe;
b) s'il est vrai que parce que la fonction de l'Etat se confond avec la conservation de l'état social existant, l'Etat dans les sociétés d'exploitation ne peut que s'identifier avec la classe économiquement dominante dans ce système et devenir l'expression principale de ses intérêts généraux et de son unité, à l'intérieur même de cette classe et face aux autres classes de la société, il n'est rien de tel pour le prolétariat qui, n'étant pas dominant économiquement, ne tend pas à conserver l'état de choses existant mais à le bouleverser et le transformer. Sa dictature ne peut trouver, dans une constitution conservatrice par excellence, comme est l'Etat, son expression authentique et totale. Il n'y a pas et il ne peut y avoir d'Etat socialiste. Etat et socialisme s'excluent par définition. Le socialisme étant l'intérêt historique du prolétariat, sa substance en développement, il y a identité et identification entre l'un et l'autre. En conséquence, dans la mesure même où on doit parler de prolétariat socialiste, on ne peut pas parler "d'Etat ouvrier", d'Etat du prolétariat. Aussi pensons nous que, sur la base de l'expérience de la révolution russe, une distinction très nette doit être faite entre l'Etat de la période de transition, que le prolétariat ne peut pas ne pas utiliser et soumettre à tout instant à sa dictature et cette dictature elle-même. Politiquement, l'identification entre les institutions étatiques de la période de transition et la dictature du prolétariat a apporté le plus grand mal à la dictature révolutionnaire du prolétariat et a parfaitement servi comme moyen de mystification à la contre révolution en Russie, sous la direction du parti bolchevik dégénérant ;
c) l'Etat de la période de transition, avec toutes ses altérations et limites, porte encore tous les stigmates d'une société divisée en classes. Il ne saurait jamais être l'organe concentrant et symbolisant le socialisme. Seule la classe prolétarienne est la classe porteuse du socialisme. Sa domination sur la société, c'est aussi sa domination sur l'Etat et elle ne peut l'assurer que par sa dictature de classe.
9) La dictature du prolétariat doit se définir par:
a) la nécessité de maintenir l'unité et l'autonomie de la classe dans ses organisations propres : les conseils ouvriers, en même temps qu'elle se prononce pour la dissolution de toute organisation propre aux autres classes en tant que classes ;
b) elle dicte comme règle générale son hégémonie au sein de la société, ce qui se traduit par sa participation hégémonique au sein de l'organisation d'où émane l'Etat mais interdit aux autres classes tout droit d'intervention au sein de sa propre organisation de classe ;
c) elle s'impose comme seule classe armée indépendamment de toute immixtion du reste de la société et tout particulièrement de l'Etat.
[1] [6] Cette "augmentation" des effectifs de travail, saluée par la bourgeoisie américaine comme la grande réussite de la "reprise" n'exprime en fait qu'une certaine diminution du nombre des chômeurs, ridicule à l'échelle des 9 millions de chômeurs en 1975.
[2] [7] Le salaire horaire est passé de 70 à 75 de 4,20 à 6,22 dollars aux USA alors qu'il grimpait de 2,08 à 6,46 dollars pour la Belgique ; et même 2,93 à 7,12 dollars en Suède (City Money International, mai 1976).
[3] [8] C'est ce qui s'est effectivement fait au cours de ce dernier trimestre : le Japon, dont la compétitivité menaçait d'inonder de ses marchandises les pays de la CEE, a dû s'incliner. Il devra se plier aux décisions de la CEE contingentant ses exportations d'acier, limiter sa politique de dumping et ouvrir plus largement son marché aux produits européens.
[4] [9] Les "bases programmatiques" d'une organisation révolutionnaire sont constituées par l'ensemble des positions principales et des analyses qui définissent le cadre général de son action. Les positions "frontières de classe" en font partie et en représentent inévitablement le squelette de base. Mais l'action d'une organisation révolutionnaire ne peut être définie par les seules frontières de classe. La nécessité de la plus grande cohérence de son intervention la contraint à chercher la plus grande cohérence dans ses conceptions et donc à définir le plus profondément possible le cadre général qui relie entre elles les différentes positions de classe en les plaçant dans une vision cohérente et globale des buts et des moyens de la lutte révolutionnaire du prolétariat.
[5] [10] Ces deux éléments expliquent en partie la confusion, parfois extrême, qui caractérise les soubresauts prolétariens contre la contre révolution étatique (Kronstadt).
Quand on parle de l'opposition révolutionnaire à la dégénérescence de la Révolution en Russie ou à celle de l'Internationale Communiste, il est entendu en général qu'on se réfère à l'Opposition de Gauche dirigée par Trotski et d'autres leaders bolcheviks. Les critiques tardives et inadéquates de la dégénérescence qui ont été faites par ceux qui ont joué un rôle actif dans cette dégénérescence sont prises pour l'Alpha et l'Omega de l'opposition communiste à l'intérieur de la Russie et de l'Internationale. La critique beaucoup plus profonde et plus sérieuse élaborée par les "Communistes de Gauche" bien avant que l'Opposition de Gauche n'apparaisse en 1923 est soit ignorée, soit considérée avec mépris comme des divagations de fous sectaires coupés du "monde réel". Cette déformation du passé est tout simplement une expression de la longue influence de la contre-révolution depuis la fin de la période de luttes révolutionnaires dans les années 20. C'est toujours l'intérêt de la contre-révolution capitaliste que de cacher ou de déformer l'histoire et les traditions véritablement révolutionnaires de la classe ouvrière et de ses minorités communistes, parce que ce n'est que de cette manière que la bourgeoisie peut espérer dissimuler la nature historique du prolétariat comme classe destinée à conduire l'humanité vers le règne de la liberté.
Contre cette déformation du passé, les révolutionnaires doivent réaffirmer et réexaminer les luttes historiques du prolétariat non par un intérêt d'archivistes pour l'histoire en tant que telle, mais parce que l'expérience passée de la classe forme avec ses activités présentes et futures une chaîne inséparable et parce que ce n'est qu'en comprenant le passé que le présent et le futur peuvent être mieux compris et abordés. Nous espérons que ce travail sur la Gauche Communiste en Russie contribuera à rétablir un chapitre important du mouvement communiste, contre les déformations de l'histoire bourgeoise, qu'elles soient académiques ou gauchistes. Mais avant tout, nous espérons qu'il servira à clarifier certaines leçons qui peuvent être tirées des luttes, les erreurs et les pas positifs de la Gauche Russe, leçons qui auront un rôle essentiel à jouer dans la reconstitution du mouvement communiste aujourd'hui.
"En Russie, la question ne pouvait être que posée. Elle ne pouvait être résolue en Russie."
Rosa Luxembourg, la Révolution Russe.
Dans le cours de la contre-révolution qui, dans le monde entier, a suivi la grande vague révolutionnaire de 17-23, un mythe s'est développé autour du bolchevisme, qui était décrit comme un produit spécifique de "l'arriération" russe et de la barbarie asiatique. Des survivants des communistes de la Gauche allemande et hollandaise, profondément démoralisés par la dégénérescence et la mort de la révolution en Russie, revenaient à des positions semi-mencheviks selon lesquelles le développement bourgeois en Russie dans les années 20 et 30 était inévitable parce que la Russie n'était pas mûre pour le communisme ; le bolchevisme était défini comme une idéologie de "l'intelligentsia" qui n'avait cherché que la modernisation capitaliste de la Russie et par conséquent l'avait réalisée à la place d'une bourgeoisie impuissante, en faisant une révolution "bourgeoise" ou "capitaliste d'Etat" et en s'appuyant sur un prolétariat qui n'était pas mûr.
Toute cette théorie était une révision totale du caractère véritablement prolétarien de la révolution russe et du bolchevisme et un dénie de la part de beaucoup de communistes de Gauche de leur propre participation au drame héroïque qui avait commencé en octobre 17. Mais comme tous les mythes, il contenait une part de vérité. Alors qu'il est fondamentalement le produit de conditions internationales, le mouvement ouvrier présente aussi certains caractères spécifiques issus de conditions historiques et nationales particulières. Aujourd'hui, par exemple, ce n'est pas par hasard que le mouvement communiste qui resurgit est plus fort dans les pays d'Europe occidentale, et de loin plus faible, pour ainsi dire presque inexistant dans le bloc de l'Est. C'est un produit de la manière spécifique dont les événements historiques se sont déroulés dans les 50 dernières années, en particulier de la façon dont la contre-révolution capitaliste s'est organisée dans les différents pays. De même, quand on examine le mouvement révolutionnaire en Russie avant et après l'insurrection d'Octobre, si on ne peut en saisir l'essence qu'en la considérant dans le contexte du mouvement ouvrier international, certains aspects de ses forces et de ses faiblesses peuvent être liés aux conditions particulières qui prévalaient alors en Russie.
Sous beaucoup d'aspects, les faiblesses du mouvement révolutionnaire russe n'étaient que le revers de ce qui faisait sa force. La capacité du prolétariat russe à s'orienter très rapidement vers une solution révolutionnaire à ses problèmes a été grandement déterminée par la nature du régime tsariste. Autoritaire, en pleine décrépitude, incapable de mettre en place aucun système "tampon" stable entre lui et la menace prolétarienne, le système tsariste faisait que tout effort du prolétariat pour se défendre ne pouvait que l'amener immédiatement à s'affronter aux forces répressives de l'Etat. Le prolétariat russe, jeune mais très combatif et très concentré, n'a jamais eu le temps ni la place politique pour que se développe en son sein une mentalité réformiste qui aurait pu l'amener à identifier la défense de ses intérêts matériels immédiats à la survie de sa "patrie". Il était alors beaucoup plus facile pour le prolétariat russe de refuser toute identification avec l'effort de guerre tsariste après 1914 et de voir dans la destruction de l'appareil politique tsariste une condition préalable à sa marche en avant en 19l7. Très généralement et sans vouloir établir un lien trop mécanique entre le prolétariat russe et ses minorités révolutionnaires, ces aspects forts de la classe russe ont constitué l'un des facteurs qui ont permis aux bolcheviks d'être à la pointe du mouvement révolutionnaire mondial tant en 1914 qu'en 1917, par la dénonciation retentissante de la guerre et l'affirmation sans compromis de la nécessité de détruire la machine de l'Etat bourgeois.
Mais, comme nous l'avons dit, ces forces étaient aussi des faiblesses : l'immaturité du prolétariat russe, son manque de traditions organisationnelles, la brutalité avec laquelle il a été projeté dans une situation révolutionnaire, ont eu tendance à laisser d'importantes lacunes dans l'arsenal théorique de ses minorités révolutionnaires. Il est significatif, par exemple, que les critiques les plus pertinentes des pratiques réformistes de la social-démocratie et des syndicats aient commencé à être élaborées dans les pays où précisément ces pratiques étaient le plus solidement établies, en particulier en Hollande et en Allemagne. C'était là, plutôt qu'en Russie où le prolétariat se battait encore pour des droits parlementaires et syndicaux que les dangers pernicieux des habitudes réformistes ont été en premier lieu compris par les révolutionnaires. Par exemple, le travail de Anton Pannekoek et du groupe hollandais Tribune, dans les années qui ont précédé la Première Guerre mondiale, a contribué à préparer le terrain à la rupture radicale que les révolutionnaires allemands et hollandais ont fait avec les vieilles tactiques réformistes après la guerre. Il en est de même pour ce qui est de la Fraction Abstentionniste de Bordiga en Italie. Au contraire, les bolcheviks n'ont jamais vraiment compris que la période des "tactiques" réformistes étaient terminées une fois pour toutes avec l'entrée du capitalisme dans sa période d'agonie en 1914 ; ou tout au moins, ils n'ont jamais compris pleinement toutes les implications de la nouvelle période en ce qui concerne la stratégie révolutionnaire. Les conflits à partir des tactiques parlementaires et syndicales qui ont déchiré l'IC après 1920 étaient en grande partie le résultat de l'incapacité du parti russe à saisir pleinement la nécessité de la nouvelle période ; et cette incapacité n'était pas totalement le fait de la seule direction bolchevik : elle se reflète aussi dans le fait que la critique du syndicalisme, du parlementarisme et du substitutionnisme et des autres reliquats sociale-démocrates que faisaient les communistes de Gauche russes, n'ont jamais atteint le même niveau de clarté que celles des fractions de Gauche hollandaise, allemande et italienne.
Mais, là encore, il faut nuancer cette observation par une compréhension du contexte international de la révolution. Les faiblesses du parti bolchevik n'étaient pas définitives et cela précisément parce que c'était un parti véritablement prolétarien et, partant, ouvert à tous les développements et à la compréhension nouvelle qui proviennent de la lutte prolétarienne quand elle est dans une phase ascendante. Si la révolution d'Octobre s'était étendue internationalement, ces faiblesses auraient pu être surmontées ; les déformations social-démocrates qui existaient au sein du bolchevisme ne se sont cristallisées en un obstacle fondamental au mouvement révolutionnaire que lorsque la révolution mondiale est entrée dans une phase de reflux et que le bastion prolétarien en Russie s'est trouvé paralysé par son isolement. Le glissement rapide de l'IC vers l'opportunisme, en grande partie sous l'influence du parti russe dominant, était entre autres choses le résultat de l'effort des bolcheviks à chercher un équilibre entre les besoins de la survie de l'Etat-Soviet et les besoins internationaux de la révolution d'autre part ; un effort qui s'enferrait de plus en plus dans la contradiction au fur et à mesure que la vague révolutionnaire refluait. Cet effort a été finalement abandonné avec le triomphe "du socialisme dans un seul pays", ce qui signifiait la mort de l'IC et couronnait la victoire de la contre révolution en Russie.
Si l'isolement extrême du bastion russe devait empêcher en définitive le parti bolchevik de dépasser ses erreurs initiales, il a aussi entravé le développement théorique des fractions de la Gauche Communiste qui s'étaient détachées du parti russe en dégénérescence. Coupée des discussions et des débats qui se poursuivaient toujours dans les fractions de Gauche en Europe, soumise à la répression sans pitié d'un Etat de plus en plus totalitaire, la Gauche russe tendait à se restreindre à une critique formelle de la contre révolution russe et ne discernait que rarement les racine mêmes de la dégénérescence. La nouveauté absolue et la rapidité de l'expérience russe devaient laisser une génération tout entière de révolutionnaires dans une confusion complète au sujet de ce qui s'était passé. Ce n'est que vers les années 30 et 40 qu'une approche cohérente a commencé à apparaître parmi les fractions communistes qui avaient survécu. Mais cette compréhension a surtout été le fait des révolutionnaires en Europe et en Amérique ; la Gauche russe était trop proche, trop empêtrée dans toute cette expérience pour élaborer une analyse globale du phénomène. C'est pourquoi nous ne pouvons qu'acquiescer à l'appréciation de la Gauche communiste faite par les camarades d'Internationalism :
"La contribution durable de ces petits groupes qui essayaient d'appréhender la nouvelle situation, ne pouvait être d'avoir compris l'ensemble du processus du capitalisme d'Etat à ses débuts pas plus que d'exprimer un programme cohérent pour relancer la révolution, mais dans le fait qu'ils an tiré la sonnette d'alarme et qu'ils ont dénoncé, pratiquement, pour la première fois dans l'histoire l'établissement d'un régime capitaliste d'Etat ; leur contribution dans le mouvement ouvrier a été d'avoir fourni la preuve politique que le prolétariat russe n'est pas allé à la défaite dans le silence".
("Une contribution sur le capitalisme d'Etat", J.A, Bul1etin d'étude et de discussion de RI n°10.11/Internationalism n°6).
Qu’est-ce que la gauche communiste ?
Un aspect du mythe du bolchevisme "arriéré" ou "bourgeois" réside dans l'idée selon laquelle il existe un abîme infranchissable entre les bolcheviks d'une part, qui sont représentés comme des partisans du capitalisme d'Etat et de la dictature du parti et les communistes de gauche d'autre part, qui sont dépeints comme les véritables défenseurs du pouvoir ouvrier et de la transformation communiste de la société. Cette idée est particulièrement séduisante pour les conseillistes et les libertaires qui ne veulent s'identifier qu'avec ce qui leur plaît dans le mouvement ouvrier passé et qui rejettent l'expérience réelle de la classe dès qu'ils découvrent ses imperfections. Dans le monde réel, il y a cependant une continuité directe et inéluctable entre ce qu'était le bolchevisme au début et ce qu'étaient les communistes de gauche dans les années 20 et après. Les bolcheviks étaient eux-mêmes à l'extrême gauche du mouvement social-démocrate d'avant guerre, surtout par leur défense acharnée de la cohérence organisationnelle et de la nécessité d'un parti révolutionnaire indépendant de toutes les tendances réformistes et confusionnistes dans le mouvement ouvrier ([1] [12]). Leur position sur la guerre de 14-18 (ou plutôt la position de Lénine et de ceux qu'il ralliait au sein du parti) était encore la plus radicale de toutes les déclarations contre la guerre dans le mouvement socialiste : "transformer la guerre impérialiste en guerre civile" et leur appel à la liquidation de l'Etat bourgeois a fait d'eux le point de ralliement de toutes les minorités révolutionnaires les plus intransigeantes du monde. Les "Radicaux de Gauche" en Allemagne autour desque1s se constitua le noyau du KAPD en 1920 s'inspiraient directement de l'exemple des bolcheviks, surtout lorsqu’ils commencèrent à réclamer la constitution d'un nouveau parti révolutionnaire en opposition totale avec les sociaux-patriotes du SPD ([2] [13]). Ainsi jusqu'à un certain point, les bolcheviks et l'IC, fondée en grande partie sur leur initiative, représentaient la "Gauche" : ils sont devenus le mouvement communiste. Le communisme de gauche n'a de signification que comme réaction contre la dégénérescence de cette avant-garde communiste à l'origine, et l'abandon par cette même avant-garde de ce qu'elle défendait au début. Le communisme de gauche est ainsi issu organiquement du mouvement communiste impulsé par les bolcheviks et l'IC.
Tout ceci devient clair lorsqu'on regarde les origines de la Gauche communiste en Russie même où toutes les fractions de gauche avaient leurs origines dans le parti bolchevik. C'est en soi une preuve du caractère prolétarien du bolchevisme. Parce qu'il était une expression vivante de la classe ouvrière, la seule classe qui peut faire une critique radicale et continuelle de sa propre pratique, le parti bolchevik a engendré sans cesse des fractions révolutionnaires. A chaque étape de sa dégénérescence, se sont élevées à l'intérieur même du parti des voix qui protestaient, se sont formés des groupes à l'intérieur du parti ou qui s'en séparaient pour dénoncer l'abandon du programme initial du bolchevisme. Ce n'est que quand le parti a finalement été enterré par ses fossoyeurs staliniens que ces fractions n'ont plus surgi de lui. Les communistes de gauche russes étaient tous des bolcheviks ; c'étaient eux qui défendaient une continuité avec le bolchevisme des années héroïques de la révolution, alors que ceux qui les ont calomniés, persécutés et exécutés, aussi célèbres qu'aient été leurs noms, étaient ceux qui rompaient avec l'essence du bolchevisme.
La Gauche Communiste pendant les années héroïques de la révolution : 1918 - 21
a) Les premiers mois
Le parti bolchevik fut en fait le premier parti du mouvement ouvrier reconstitué après la guerre à donner naissance à une gauche. C'était précisément parce que c'était le premier parti à mener une insurrection victorieuse contre l'Etat bourgeois. Dans la conception du mouvement ouvrier de l'époque, le rôle du parti était d'organiser la prise du pouvoir et d'assurer le rôle gouvernemental dans le nouvel "Etat prolétarien". En effet, le caractère prolétarien de l'Etat, selon cette conception, était garanti par le fait qu'il était entre les mains d'un parti prolétarien qui visait à conduire la classe ouvrière vers le socialisme. Le caractère fondamentalement erroné de cette double ou triple substitution (Parti-Etat, Etat-classe, Parti-classe) devait être dévoilé pendant les années qui ont suivi la révolution ; mais ce fut le destin tragique du parti bolchevik de mettre en pratique les erreurs théoriques du mouvement ouvrier tout entier et par là de démontrer par leur expérience négative la fausseté totale de cette conception. Toute la honte et les trahisons associées au bolchevisme découlent du fait que la révolution est née et morte en Russie et que le parti bolchevik, en s'identifiant avec l'Etat qui devait devenir l'agent interne de la contre révolution, s'est transformé en organisateur de la mort de la révolution.
Si la révolution avait éclaté et dégénéré en Allemagne et non en Russie, les noms de Luxembourg et de Liebknecht pourraient provoquer aujourd'hui les mêmes réactions ambiguës ou équivoques que ceux de Lénine, Trotski, Boukharine et Zinoviev. Ce n'est qu'à cause de la grande expérience que les bolcheviks ont entreprise que les révolutionnaires peuvent affirmer sans ambiguïté aujourd'hui : le rôle du parti n'est pas de prendre le pouvoir à la place de la classe et les intérêts de la classe ne s'identifient pas aux intérêts de l'Etat révolutionnaire. Mais il a fallu aux révolutionnaires de nombreuses années de dure réflexion et d'autocritique pour qu'ils soient capables d'énoncer ces leçons si simples en apparence.
Dès qu'il est devenu un parti qui avait la charge de l'Etat soviétique en Octobre 17, le parti bolchevik a commencé à dégénérer, non d'un seul coup, non dans un cours descendant totalement linéaire et non tant que la révolution mondiale était à l'ordre du jour, de manière irréversible. Mais, néanmoins, le processus général de dégénérescence a commencé immédiatement. Alors qu'auparavant, le parti avait été capable d'agir librement comme la fraction de la classe la plus résolue, montrant toujours la voie vers l'approfondissement et l'extension de la lutte de classe, le fait d'assumer le pouvoir d'Etat de la part des bolcheviks a mis un frein de plus en plus grand à leur capacité à s'identifier et à participer à la lutte de classe prolétarienne. A partir de là les besoins de l'Etat devaient prendre de plus en plus le pas sur les besoins de la classe ; et bien que cette dichotomie ait été obscurcie au début par l'intensité même de la lutte révolutionnaire, elle était néanmoins l'expression d'une contradiction intrinsèque et fondamentale entre la nature de l'Etat et la nature du prolétariat : les besoins d'un Etat sont essentiellement déterminés par le fait de maintenir une cohésion dans la société, de maintenir la lutte de classe dans un cadre correspondant au statu quo social ; les besoins du prolétariat et donc de son avant-garde communiste, par contre, ne peuvent être que l'extension et l'approfondissement de sa lutte de classe jusqu'au renversement de toutes les conditions existantes. Aussi longtemps que le mouvement révolutionnaire de la classe se trouvait dans une phase de montée de la lutte tant en Russie qu'internationa1ement, l'Etat soviétique pouvait être utilisé pour défendre les conquêtes de la révolution, il pouvait être un instrument dans les mains de la classe ouvrière. Mais dès que le mouvement réel de la classe eut disparu, le statu quo garanti par l'Etat ne pouvait être que le statu quo du capital. Telle était la tendance générale ; mais en fait les contradictions entre le prolétariat et le nouvel Etat ont commencé à apparaître immédiatement du fait de l'immaturité de la classe et des bolcheviks dans leur attitude vis-à-vis de l'Etat et par dessus tout du fait des conséquences de l'isolement de la révolution en Russie qui a pesé sur le nouveau bastion prolétarien dès le début. Confrontés à de nombreux problèmes qui ne pouvaient être résolus qu'au niveau international - l'organisation de l'économie ravagée par la guerre, les relations avec les immenses masses paysannes en Russie et avec un monde capitaliste hostile à l'extérieur - les bolcheviks manquaient d'expérience pour prendre des mesures qui auraient pu au moins atténuer les conséquences les plus néfastes de cette situation.
Dans les faits, les mesures qui furent prises ont tendu plutôt à aggraver les problèmes qu'à les résoudre. Et la majorité écrasante des erreurs commises sont provenues du fait que les bolcheviks se trouvaient à la tête de l'Etat et avaient ainsi le sentiment d'être dans le vrai en identifiant les intérêts du prolétariat aux besoins de l'Etat soviétique, en fait en subordonnant ces premiers à ces derniers.
Bien qu'aucune fraction communiste en Russie à cette époque n'ait réussi à faire une critique de fond de ces erreurs substitutionnistes - ce qui devait rester une carence de la part de toute la gauche russe -, une opposition révolutionnaire aux pratiques du jeune Etat bolchevik se cristallisa quelques mois après la prise du pouvoir. Cette opposition prit la forme d'un groupe communiste de gauche autour d'Ossinsky, Boukharine, Radek, Smirnov et d'autres, organisé principalement dans le Bureau régional du Parti à Moscou et s'exprimant dans le journal fractionnel "Kommunist". Cette opposition du début 18 fut la première fraction bolchevik organisée à critiquer les efforts du parti pour discipliner la classe ouvrière. Mais, en fait, la raison d'être originelle du groupe de la Gauche Communiste était l'opposition à la signature du traité de Brest-Litovsk avec l'impérialisme allemand. Il ne s'agit pas ici d'entreprendre une étude détaillée de toute la question de Brest-Litovsk. En résumé, le principal débat était entre Lénine et les communistes de gauche (avec Boukharine à leur tête) qui préconisaient une guerre révolutionnaire contre l'Allemagne et dénonçaient le traité de paix comme une "trahison" de la révolution mondiale. Lénine défendait la signature du traité comme étant un moyen d'obtenir une "marge de manœuvre" pour réorganiser le potentiel militaire de l'Etat soviétique. Les Gauches insistaient sur un fait :
"L'adoption des conditions dictées par les impérialistes allemands serait un acte qui irait contre toute notre politique du socialisme révolutionnaire. Cela conduirait à l’abandon de la ligne juste du socialisme international, en politique intérieure aussi bien qu’en politique étrangère et pourrait conduire à une des pires espèces d’opportunisme. ² (R. Daniels, The Conscience of the Revolution, p.73).
Tout en admettant l'incapacité technique de l'Etat soviétique à soutenir une guerre conventionnelle contre l'impérialisme allemand, ils préconisaient une stratégie d'épuisement de l'armée allemande par des attaques de guérilla, par des détachements mobiles de partisans rouges. Le fait de mener cette "guerre sainte" contre l'impérialisme allemand, espéraient-ils, servirait d'exemple au prolétariat mondial et l'inciterait à rejoindre la lutte.
Nous ne voulons pas entrer ici dans un débat a posteriori sur les possibilités stratégiques ouvertes au pouvoir soviétique en 1918. Nous soulignerons qu'aussi bien Lénine que les communistes de Gauche reconnaissaient que le seul espoir du prolétariat reposait sur l'extension mondiale de la révolution ; tous situaient leurs préoccupations et leurs actions dans un cadre internationaliste et tous présentaient leurs arguments ouvertement devant le prolétariat russe organisé dans les conseils. C'est pourquoi nous considérons qu'il est inadmissible de définir la signature du traité comme une "trahison" de l'internationalisme. Pas plus que, tel que c'est arrivé, il n'a signifié l'écroulement de la révolution en Russie ou en Allemagne, comme Boukharine le craignait. En tout cas, ces considérations stratégiques sont dans une certaine mesure des impondérables. La question politique la plus importante qui a surgi dans la discussion sur Brest-Litovsk est la suivante : est-ce que la "guerre révolutionnaire" est le principal moyen d'étendre la révolution? Est-ce que le prolétariat au pouvoir dans une région a la tâche d'exporter la révolution vers le prolétariat mondial à la pointe des baïonnettes? Les commentaires de la Gauche Italienne sur la question de Brest-Litovsk sont significatifs à cet égard :
²Des deux tendances dans le parti bolchevik qui se sont opposées à l'époque de Brest-Litovsk, de celle de Lénine et de celle de Boukharine, nous pensons que c'était la première qui était la plus adaptée aux nécessités de la révolution mondiale. La position de la fraction menée par Boukharine, selon laquelle la fonction de l'Etat prolétarien était de libérer les travailleurs des autres pays par une "guerre révolutionnaire" est en contradiction avec la nature même de la révolution prolétarienne et le rôle historique du prolétariat." (²Parti, Etat, Internationale. L'Etat prolétarien.² Bilan 18, Avril-Mai l935).
Contrairement à la révo1ution bourgeoise qui pouvait bien être exportée par les conquêtes militaires, la révolution prolétarienne dépend de la lutte consciente du prolétariat de chaque pays contre sa propre bourgeoisie : "la victoire d’un Etat prolétarien contre un Etat capitaliste (dans le sens territorial du terme) ne signifie en aucune manière la victoire de la révolution mondiale" (Ibid.) : le fait que l'entrée de l'Armée Rouge en Pologne en 1920 n'a réussi qu’à jeter les ouvriers polonais dans les bras de leur propre bourgeoisie est la preuve que les victoires militaires emportées par un bastion prolétarien ne peuvent se substituer à l'action politique consciente du prolétariat mondial et c'est pourquoi l'extension de la révolution est d'abord et avant tout une tâche politique. La fondation de l'IC en 1919 était ainsi une contribution de loin plus importante à la révolution mondiale qu'aurait pu l'être n'importe quelle "guerre révolutionnaire".
La signature du traité de Brest-Litovsk, sa ratification par le parti et les conseils et le vif désir de la Gauche d'éviter une scission dans le parti sur la question, marquèrent la fin de la première phase de l'activité des Communistes de gauche, Une fois que l'Etat soviétique avait acquis "le temps de souffler", les problèmes immédiats auxquels avait à faire face le parti étaient ceux de l'organisation de l'économie russe ravagée par la guerre. Et c'est sur cette question des dangers qui guettaient le bastion révolutionnaire que le groupe des Communistes de gauche a le plus contribué. Boukharine, le partisan fervent de la guerre révolutionnaire, était moins intéressé à critiquer la politique de la majorité bolchevik en matière d'organisation interne du régime et, à partir de ce moment là, la plupart des critiques les plus pertinentes de la politique intérieure devaient venir de la plume d'Ossinsky, qui devait se révéler être une figure de l'opposition bien plus cohérente que Boukharine.
Dans les premiers mois de 18, la direction bolchevik avait essayé de résoudre le désordre économique de la Russie d'une manière superficiellement "pragmatique".
Dans un discours fait au comité central bolchevik et publié sous le titre "les tâches immédiates du régime soviétique", Lénine préconisait la formation de trusts d'Etat dans lesquels les experts bourgeois et les propriétaires resteraient, mais sous la surveillance de l'Etat "prolétarien". Les travailleurs, en échange, auraient à accepter le système de Taylor du "management scientifique" (dénoncé autrefois par Lénine lui-même comme esclavage de l’homme par la machine) et de la "direction unique" dans les usines :
"La révolution requiert précisément dans l’intérêt du socialisme que les masses obéissent inconditionnellement à la seule volonté des dirigeants du procès de production".
Tout ceci signifiait que le mouvement des conseils d'usine, qui s'était propagé comme une traînée de poudre depuis février 1917, devait être refréné ; les expropriations réalisées par ces conseils ne devaient pas être encouragées, leur autorité croissante dans les usines devait être restreinte à une simple fonction de "contrôle" et ils devaient être transformés en appendices des syndicats qui étaient des institutions beaucoup plus malléables, déjà incorporées dans le nouvel appareil d'Etat. La direction bolchevik présentait cette politique comme la meilleure façon pour le régime révolutionnaire d'échapper à la menace du chaos économique et de rationaliser l'économie en vue de la construction définitive du socialisme quand la révolution mondiale se serait étendue. Lénine appelait carrément ce système "capitalisme d'Etat", terme sous lequel il entendait : contrôle par l'Etat prolétarien de l'économie capitaliste dans l'intérêt de la révolution.
Dans une polémique contre les communistes de gauche (Infantilisme et la mentalité petite bourgeoise du gauchisme), Lénine soutenait qu'un tel système de capitalisme d'Etat serait indiscutablement un pas en avant dans un pays arriéré comme la Russie où le principal danger de contre révolution venait de la masse petite bourgeoise, archaïque et atomisée, de la paysannerie. Cette conception est restée un "credo" des bolcheviks et les a aveuglés sur le fait que la contre révolution internationale s'exprimait d'abord et avant tout à travers l'Etat et non pas par les paysans. Les communistes de gauche aussi craignaient la possibilité de la dégénérescence de la révolution en un système de "rapports économiques petit-bourgeois". (²Thèses sur la situation présente². Kommunist, n°1, Avril 1918, et disponible en anglais dans : Daniels, Une Histoire documentaire de la Révolution). Ils partageaient aussi la conviction de la direction que la nationalisation par l'Etat "prolétarien" était bien une mesure socialiste. En fait, ils demandaient son extension à toute l'économie. Ils ne pouvaient pas être clairement conscients de ce que signifiait réellement le danger du "capitalisme d'Etat", mais, en se fondant sur un fort instinct de classe, ils ont vu rapidement les dangers inhérents à un système qui prétendait organiser l'exploitation des travailleurs dans l'intérêt du socialisme. L'avertissement prophétique d'Ossinsky est maintenant bien connu.
"Nous ne soutenons pas le point de vue de la construction du socialisme sous la direction des trusts. Nous soutenons le point de vue de la construction de la société prolétarienne par la créativité des travailleurs eux-mêmes, pas par les diktats des capitaines d'industrie. Nous faisons confiance à l'instinct de classe, à l'active initiative du prolétariat. Il ne peut en être autrement. Si le prolétariat ne sait pas comment créer les conditions nécessaires à l'organisation socialiste du travail, personne ne peut le faire à sa place et personne ne peut l'obliger à le faire. Le bâton, s’il est levé contre les travailleurs , se trouvera dans les mains d’une force sociale qui est, soit sous l’influence d’une autre classe sociale, soit dans les mains du pouvoir soviétique ; le pouvoir des soviets sera alors obligé de chercher du renfort contre le prolétariat chez une autre classe (par exemple, la paysannerie) et par là même il se détruira lui-même en tant que dictature du prolétariat. Le socialisme et l’organisation socialiste doivent être mis en place par le prolétariat lui-même ou ils ne seront pas mis en place du tout ; quelque chose sera installé, ²le capitalisme d’Etat².
(²Sur la construction du socialisme", Kommunist, n°2, Avril 1918. Daniels, ibid., p.85)
Contre cette menace, les communistes de gauche préconisaient le contrôle ouvrier de l'industrie par un système de comités d'usines et de "conseils économiques". Ils définissaient leur propre rôle comme étant celui "opposition prolétarienne responsable" constituée au sein du parti pour empêcher le Parti et le régime soviétique de "dévier" vers "le chemin désastreux de la politique petite bourgeoise". (²Thèses sur la situation présente²)
Les avertissements des gauches contre les dangers n'étaient pas restreints au plan économique, mais avaient de profondes ramifications politiques, ce qui peut être démontré par cet autre avertissement contre les efforts d'imposer la discipline du travail d'en haut :
²A la politique de gérer les entreprises sur la base d'une large participation des capitalistes et d'une centralisation semi bureaucratique, il devient normal d'ajouter une politique du travail qui vise à l'instauration parmi les travailleurs d'une discipline, sous les couleurs de "l’autodiscipline", à l'introduction du travail obligatoire (un tel programme avait été proposé par les bolcheviks de droite), au paiement aux pièces, à l'allongement de la journée de travail, etc."
"La forme de l'administration gouvernementale viendra à se développer dans le sens de la centralisation bureaucratique, vers le règne des "commissaires", vers la suppression de l'indépendance des conseils locaux et en pratique vers le rejet de "l'Etat-commune" administré par la base". (Thèses sur la situation présente)
La défense de la part des communistes des comités d'usines, des conseils, et de l'activité autonome de la classe ouvrière était importante non parce qu'elle aurait fourni une solution aux problèmes économiques rencontrés par la Russie, ou encore moins une recette pour la construction immédiate du "communisme" en Russie ; la Gauche déclarait explicitement que le "socialisme ne peut pas être réalisé dans un seul pays et surtout pas dans un pays "arriéré". (L.Schapiro, "L'Origine de l'autocratie communiste (p.137). Le fait que ce soit l’Etat qui imposait une discipline du travail, l'incorporation des organes autonomes du prolétariat dans l'appareil d'Etat, étaient surtout des coups portés à la domination politique de la classe ouvrière russe. Comme le CCI l'a souvent souligné ([3] [14]), le pouvoir politique de la classe est la seule garantie véritable de l'issue victorieuse de la révolution. Et le pouvoir politique ne peut être exercé que par les organes de masse de la classe, par ses comités, ses assemblées d'usines, ses conseils, ses milices. En affaiblissant l'autorité de ces organes, la politique de la direction bolchevik faisait peser une grave menace sur la révolution elle-même. Les signes de ce danger, que les communistes de gauche avaient si clairement vus dans les premiers mois de la révolution, devaient devenir encore plus sérieux pendant la période qui suivit la guerre civile. En fait, cette période allait déterminer sous beaucoup d'aspects la destinée finale de la révolution en Russie.
b) La guerre civile
La période de guerre civile en Russie, à partir de 18-20, montre surtout les dangers immenses que rencontre un bastion prolétarien, s'il n'est pas renforcé immédiatement par les armées de la révolution mondiale. Parce que la révolution n'a pas pris racine en dehors de la Russie, le prolétariat russe a du lutter à peu près seul contre les attaques de la contre révolution blanche et ses alliés impérialistes. Sur le plan militaire, la résistance des ouvriers russes était victorieuse. Mais politiquement, le prolétariat russe est sorti décimé de la guerre civile, épuisé, atomisé et plus ou moins privé de tout contrôle effectif sur l'Etat soviétique, Dans leur ardeur à gagner la lutte militaire, les bolcheviks avaient accéléré le déclin du pouvoir politique de la classe ouvrière en militarisant de plus en plus la vie sociale et économique. La concentration de tout le pouvoir effectif aux plus hauts niveaux de la machine d'Etat, permettait de poursuivre la lutte militaire de façon efficace et sans merci, mais elle sapait encore plus les véritables centres de la révolution : les organes unitaires de masse de la classe. La bureaucratisation du régime soviétique, qui s'est produite pendant cette période, devait devenir irréversible avec le reflux de la révolution mondiale après 1921.
Avec le début des hostilités en 1918, il y eut un resserrement général des rangs dans le parti bolchevik car chacun reconnaissait la nécessité de l'unité d'action contre le danger extérieur. Le groupe Kommunist, dont les publications avaient cessé de paraître après avoir été sévèrement critiquées par la direction du parti, n'existaient plus et son noyau du début se dispersa dans deux directions en réponse à la guerre civile.
Une tendance, représentée par Radek et Boukharine, saluait les mesures économiques imposées par la guerre civile avec enthousiasme. Pour eux, les nationalisations, la suppression des formes commerciales et monétaires et les réquisitions chez les paysans, les mesures dites de "communisme de guerre" représentaient une véritable rupture avec la phase ²capitaliste d'Etat" antérieure et constituaient un pas en avant majeur vers des rapports de production véritablement communistes. Boukharine a même écrit un livre – Les Problèmes économiques pendant la Période de Transition - qui explique comment la désintégration économique et même le travail forcé étaient des étapes préliminaires inévitables dans la transition au communisme. Il essayait manifestement de démontrer théoriquement que la Russie sous le communisme de guerre, qui avait été adopté simplement comme un ensemble de mesures d'urgence pour faire face à une situation désespérée, était une société de transition vers le communisme. Les ex-communistes de gauche, comme Boukharine, étaient tout à fait prêts à abandonner leurs critiques antérieures "de la direction unique" et de la discipline du travail, parce que, pour eux, l'Etat soviétique n'essayait plus de faire un compromis avec le capital à l'intérieur du pays, mais agissait résolument comme un organe de transformation communiste. Dans ses Problèmes de la Période de Transition, Boukharine soutenait que le renforcement de l'Etat soviétique et l'absorption croissante par cet Etat de la vie sociale et économique représentaient un pas décisif vers le communisme :
²L'intégration des syndicats au gouvernement, l’intégration de toutes les organisations de masse de prolétariat, sont le résultat de la logique interne du processus de transformation lui-même. La plus petite cellule de l’appareil de production doit devenir un support pour le processus général d’organisation qui est dirigé de façon planifiée et conduit par la volonté collective de la classe ouvrière qui se matérialise dans l’organisation qui couronne la société, celle qui embrasse tout : son pouvoir d’Etat. c’est ainsi que le système capitaliste d’Etat est transformé dialectiquement en son antithèse propre, dans la forme gouvernementale du socialisme des travailleurs.² (²Les Problèmes économiques², cité dans une Histoire documentaire du communisme, R. Daniels, éd. 1960, p. 180).
Avec des idées pareilles, Boukharine renversait "dialectiquement" le raisonnement marxiste selon lequel le mouvement vers la société communiste serait caractérisé par un affaiblissement progressif, un "dépérissement" de l'appareil d'Etat. Boukharine était encore un révolutionnaire quand il a écrit "Les problèmes économiques", mais entre sa théorie d'un "communisme" étatique, entièrement enfermé dans une seule nation et la théorie stalinienne du "socialisme dans un seul pays", il y a une continuité certaine.
Alors que Boukharine faisait la paix avec le communisme de guerre, ceux de la gauche qui avaient été le plus cohérents dans leur défense de la démocratie ouvrière, continuaient à défendre ce principe devant la militarisation croissante du régime. En 1919 le groupe du Centralisme Démocratique se formait autour d'Ossinsky, Sapronov et d'autres. Ils continuaient à protester contre le principe de "la direction unique" dans l'industrie et à défendre le principe collectif ou collégial comme étant "l'arme la plus efficace contre la départementalisation et l'étouffement bureaucratique de l'appareil d'Etat" (Thèses sur le principe collégial et l'autorité individuelle). Alors qu'ils reconnaissaient la nécessité d'utiliser des spécialistes bourgeois dans l'industrie et dans l'armée, ils mettaient aussi l'accent sur la nécessité de mettre ces spécialistes sous le contrôle de la base : "Personne ne discute la nécessité d'employer des spécialistes - la discussion, c'est : comment les emploie-t-on ?" (Sapronov, cité par Daniels, The Conscience of the Revolution, p.109) En même temps, les Centralistes démocratiques, ou "Décistes" comme on les appelait, protestaient contre la perte d'initiative des soviets locaux et ils suggéraient une série de réformes ayant pour but de les rétablir comme organes effectifs de la démocratie ouvrière. De telles politiques ont amené leurs critiques à remarquer que les Décistes s'intéressaient plus à la démocratie qu'au centralisme. Les Décistes réclamaient le rétablissement des pratiques démocratiques dans le parti. Au IXème congrès du PCR en septembre 1920, ils attaquèrent la bureaucratisation du parti, la concentration croissante du pouvoir dans les mains d'une petite minorité. Le fait que le congrès se soit terminé par le vote d'un manifeste qui appelait énergiquement à des "critiques plus générales des institutions du parti tant centrales que locales" et que soit rejetée "toute sorte de répression contre les camarades parce qu'ils ont des idées différentes" montre l'influence que ces critiques pouvaient encore avoir dans le parti. (Résolution du IXème congrès du Parti sur les nouvelles tâches de la construction du Parti).
En général, l'attitude des Décistes vis-à-vis des tâches du régime soviétique en période de guerre civile peut être résumée dans les phrases d'Ossinsky prononcées à ce même congrès :
"Le mot d'ordre fondamental que nous devons mettre en avant dans la période actuelle est celui de l'unification des tâches militaires, des formes militaires d'organisation et de méthode d'administration, avec l'initiative créative des ouvriers conscients. Si, sous la couverture des tâches militaires, vous commencez en fait à implanter le bureaucratisme, nous disperserons nos forces et n'arriverons pas à remplir nos tâches" (Cité par Daniels, Histoire documentaire, p.186).
Quelques années plus tard, le communiste de gauche Miasnikov devait dire ceci à propos du groupe du Centralisme Démocratique :
"Ce groupe n'avait pas une plate-forme qui ait une quelconque valeur théorique réelle. Le seul point qui attirait l'attention de tous les groupes et du Parti était sa lutte contre la centralisation excessive. Ce n'est que maintenant qu'on peut voir dans cette lutte, un effort encore confus du prolétariat pour déloger la bureaucratie des positions qu'elle venait de conquérir dans l'économie. Le groupe est mort de mort naturelle sans qu'aucune violence ne soit exercée contre lui." (L'ouvrier communiste,1929 - Un journal français proche du KAPD).
Les critiques des Décistes étaient inévitablement imprécises parce qu'ils représentaient une tendance née à une époque où le Parti Bolchevik et la révolution étaient encore très vivants, si bien que toute critique du Parti était vouée à prendre la forme d'appels à plus de démocratie dans le étaient voués à restreindre les critiques au niveau de la pratique organisationnelle plutôt qu'aux positions politiques fondamentales.
Beaucoup de ceux du Centralisme démocratique étaient ainsi engagés dans l'opposition militaire, qui s'était formée pendant une brève période en mars 1919. Les besoins de la guerre civile avaient forcé les bolcheviks à mettre en place une force combattante centralisée, l'Armée Rouge, composée non seulement de travailleurs mais aussi de recrues faites dans la paysannerie et d'autres couches. Très rapidement, cette armée commença à se conformer au schéma hiérarchique établi dans le reste de l'appareil d'Etat. L'élection des officiers était bientôt abandonnée parce que "politiquement inutile et techniquement inefficace" (Trotski, "Travail, discipline et ordre", 1920). La peine de mort pour désobéissance au feu, le salut et les formes spéciales pour s'adresser aux officiers avaient été rétablies et les distinctions hiérarchiques renforcées, surtout avec la mise à des postes de haut commandement dans l'armée des officiers antérieurement tsaristes.
L'opposition militaire, dont le porte-parole principal était Vladimir Smirnov, s'était constituée pour lutter contre la tendance à modeler l'Armée rouge sur les canons d'une armée bourgeoise typique. Elle ne s'opposait pas à la mise en place de l'Armée rouge en tant que telle, ni à l'emploi de "spécialistes" militaires, mais était contre une discipline et une hiérarchie excessives et voulait assurer à l'armée une orientation politique générale qui ne se sépare pas des principes bolcheviks. La direction du Parti accusait à tort ceux de l'opposition militaire de vouloir démanteler l'armée au profit d'un système de détachements de partisans plus adaptés aux guerres paysannes ; comme en beaucoup d'autres occasions, la seule alternative que la direction bolchevik pouvait voir à ce qu'ils appelaient "l'organisation étatique prolétarienne" était la décentralisation petite bourgeoise, anarchiste. En fait, les bolcheviks confondaient très souvent les formes bourgeoises de centralisation hiérarchique avec la centralisation et l'autodiscipline à partir de la base qui est une marque distinctive du prolétariat. En tout cas, ce que réclamait l'opposition militaire fut rejeté et le groupe se dispersa aussitôt. Mais la structure hiérarchique de l'Armée rouge - en conjonction avec le démantèlement des milices d'usines - devait faire d'elle un instrument plus efficace comme force répressive contre le prolétariat à partir de 1921.
En dépit de la persistance de tendances oppositionnelles à l'intérieur du Parti, tout au long de la période de guerre civile, la nécessité de l'unité contre les attaques de la contre révolution, agit comme force de cohésion tant dans le Parti que dans toute la classe et dans les couches sociales qui défendaient le régime soviétique contre les Blancs. Les tensions internes au sein du régime ont mûri pendant cette période pour n'apparaître au grand jour que lorsque les hostilités cessèrent, quand le régime eut à faire face aux tâches de reconstruire un pays dévasté. Les dissensions à propos de la nouvelle étape pour le régime soviétique s'exprimèrent en 1920-21 dans les révoltes des paysans, le mécontentement dans la marine, les grèves ouvrières à Moscou et Petrograd et culminèrent dans le soulèvement ouvrier de Cronstadt en mars 1921. Ces antagonismes s'exprimèrent inévitablement dans le Parti lui-même et dans les années déchirantes de 1920-21, il revient au groupe de l'Opposition Ouvrière d'avoir été le principal foyer de dissension politique au sein du Parti Bolchevik.
c) L'Opposition Ouvrière
Au Xème congrès du Parti, en mars 1921, éclata au sein du Parti Bolchevik une controverse qui était devenue de plus en plus aiguë depuis la fin de la guerre civile : la question syndicale. En apparence, c'était un débat sur le rôle des syndicats pendant la dictature du prolétariat, mais, en fait, c'était l'expression de problèmes beaucoup plus profonds sur l'avenir général du régime soviétique et de ses relations avec la classe ouvrière.
En résumé, il y avait trois positions dans le Parti : celle de Trotski, pour l'intégration totale des syndicats à "l'Etat ouvrier", où ils auraient pour tâche de stimuler la productivité du travail ; celle de Lénine pour qui les syndicats auraient toujours à agir en tant qu'organes de défense de la classe, même contre "l'Etat ouvrier", qui, soulignait-il, souffrait de "déformations bureaucratiques" et enfin la position de l'Opposition Ouvrière, pour la gestion de la production par les syndicats industriels, indépendants de l'Etat soviétique. Bien que tout le cadre de ce débat ait été profondément inadéquat, l'Opposition Ouvrière exprimait de façon confuse et hésitante l'antipathie du prolétariat pour les méthodes bureaucratiques et militaires devenues de plus en plus la marque du régime et l'espérance de la classe que les choses allaient changer maintenant que les rigueurs de la guerre avaient pris fin.
Les dirigeants de l'Opposition Ouvrière provenaient en grande partie de l'appareil syndical, mais le groupe semble avoir eu un soutien considérable de la classe ouvrière dans le sud-est de la Russie d'Europe et à Moscou, surtout chez les ouvriers de la métallurgie. Chliapnikov et Medvedev, deux des membres de la direction du groupe, étaient tous deux ouvriers métallurgistes. Mais le plus célèbre de ses dirigeants était Alexandra Kollontaï, qui avait écrit le texte programmatique de l'Opposition Ouvrière, comme un projet de "Thèses sur la question syndicale" soumis par le groupe au Xème congrès. Toutes les forces et les faiblesses du groupe peuvent être dégagées de ce texte, comme on peut en juger. Le texte commence en affirmant :
"L'Opposition Ouvrière est née du plus profond du prolétariat industriel de la Russie soviétique et a puisé sa force non seulement dans d'effroyables conditions de vie et de travail de sept millions de prolétaires industriels, mais encore dans les multiples écarts, oscillations et contradictions de notre politique gouvernementale et même dans ses franches déviations de la ligne de classe nette et conséquente du programme communiste". (Kollontaï, L'Opposition Ouvrière, Ed. du Seuil)
Kollontaï continue alors en soulignant les conditions économiques effroyables qu'a affrontées le régime soviétique après la guerre civile et en attirant l'attention sur la croissance d'une couche bureaucratique dont les origines se situent en dehors de la classe ouvrière - dans l'Intelligentsia, la paysannerie, les restes de la vieille bourgeoisie, etc. Cette couche est venue de plus en plus dominer l'appareil soviétique et le Parti lui-même, engendrant tant le carriérisme qu'un dédain aveugle pour les intérêts du prolétariat. Pour l'Opposition Ouvrière, l'Etat soviétique lui-même n'était pas un pur organe prolétarien mais une institution hétérogène obligée de tenir un équilibre entre les différentes classes et couches dans la société russe. Elle insistait sur le fait que la façon d'assurer que la révolution reste fidèle à ses buts initiaux, n'était pas de confier sa direction à des technocrates non prolétaires et aux organes socialement ambigus de l'Etat, mais à s'en remettre à l'auto activité et au pouvoir créatif des masses ouvrières elles-mêmes :
"Cette vérité qui est simple et claire pour n'importe quel ouvrier est perdue de vue par les sommets de notre Parti : le communisme ne peut pas être décrété. Il doit être créé par la recherche des hommes vivants, au prix d'erreurs parfois, mais par l'élan créateur de la classe ouvrière elle-même". (Kollontaï, p.80)
Cette vision générale de l'Opposition Ouvrière était très profonde sur beaucoup d'aspects mais le groupe fut incapable d'apporter une contribution dépassant ces généralités. Les propositions concrètes qu'il mettait en avant comme solution à la crise que traversait la révolution, se fondaient sur une série d'incompréhensions fondamentales, qui exprimaient toute l'ampleur de l'impasse dans laquelle se trouvait le prolétariat russe à cette époque.
Pour l'Opposition Ouvrière, les organes qui exprimaient les véritables intérêts du prolétariat n'étaient rien d'autre que les syndicats ou plutôt les syndicats industriels. La tâche de créer le communisme devait donc être confiée aux syndicats:
"L'Opposition Ouvrière reconnaît les syndicats comme les créateurs et les directeurs de l' économie communiste..." (Kollontaï, p.74)
C'est pourquoi, alors que les communistes de Gauche en Allemagne, Hollande et ailleurs dénonçaient les syndicats comme étant un des principaux obstacles à la révolution prolétarienne, la Gauche en Russie les exaltait comme des organes potentiels de transformation communiste ! Les révolutionnaires en Russie semblent avoir eu de grandes difficultés à comprendre que les syndicats ne pouvaient plus désormais jouer aucun rôle pour le prolétariat à l'époque de la décadence du capitalisme. Bien que l'apparition des comités d'usine et des conseils en 17 ait signifié la mort des syndicats en tant qu'organes de lutte de la classe ouvrière, aucun des groupes de Gauche en Russie ne l'avait vraiment compris, soit avant, soit après l'Opposition Ouvrière en 1921, alors que l'Opposition Ouvrière dépeignait les syndicats comme le squelette de la révolution, les véritables organes de la lutte révolutionnaire - les comités d'usine et les conseils - avaient déjà été émasculés. Dans le cas des comités d'usine, c'était leur intégration même dans les syndicats après 1918 qui les avait effectivement tués comme organes de la classe. Le transfert du pouvoir de décision dans les mains des syndicats, malgré la bonne intention de leurs partisans, n'aurait en aucune façon redonné le pouvoir au prolétariat en Russie. Même si un tel projet avait été possible, il n'aurait été qu'un simple transfert de pouvoir d'une branche de l'Etat à une autre.
Le programme de l'Opposition Ouvrière pour la régénérescence du Parti était également vicié à la base. Ils n'expliquaient l'opportunisme croissant du Parti qu'en termes d'afflux de membres non prolétariens. Pour eux, le Parti pouvait être remis dans le chemin prolétarien si une purge ouvriériste était effectuée contre les membres non ouvriers. Si le Parti était composé de manière écrasante de "purs" prolétaires aux mains calleuses, tout irait bien. Cette réponse à la dégénérescence du Parti manquait complètement son but. L'opportunisme du Parti n'était pas une question de personnes, mais une réponse aux pressions et aux tensions créées par l'exercice du pouvoir d'Etat et une situation de plus en plus défavorable. Recevoir les "rênes" du pouvoir en période ferait devenir n'importe qui "opportuniste", si pure que soit son origine prolétarienne. Bordiga remarquait, une fois, que les ex-ouvriers devenaient les pires de tous les bureaucrates. Mais l'Opposition Ouvrière n'a jamais mis en question la notion selon laquelle le Parti devait diriger l'Etat pour garantir qu'il reste un instrument du prolétariat :
"Le comité central de notre Parti doit devenir le centre supérieur de la politique de classe, l'organe de la pensée communiste et le contrôle permanent de la politique réelle des soviets et l'incarnation morale des principes de notre programme". (Kollontaï, p.88)
L'incapacité de l'Opposition Ouvrière à concevoir la dictature du prolétariat comme autre chose que la dictature du Parti les a conduits à faire frénétiquement acte de fidélité envers le Parti, quand, au milieu du Xème congrès, la révolte de Cronstadt a éclaté. Des leaders éminents de l'Opposition Ouvrière ont même donné des gages en se mettant eux-mêmes sur le front de l'assaut contre la garnison de Cronstadt. Comme toutes les autres fractions de gauche en Russie, ils n'ont pas du tout compris l'importance du soulèvement de Cronstadt en tant que dernière lutte de masse des ouvriers russes pour le rétablissement du pouvoir des soviets. Mais aider à la répression de la révolte n'a pas sauvé l'Opposition Ouvrière de la condamnation en tant que "déviation anarchiste, petite-bourgeoise", en tant "qu'élément objectivement contre-révolutionnaire" à la fin du congrès.
L'exclusion des "fractions" du Parti au Xème congrès porta un coup accablant à l'Opposition Ouvrière. Confrontée à la perspective d'un travail illégal, clandestin, elle s'avéra incapable de maintenir son opposition au régime. Quelques-uns de ses membres continuaient à lutter pendant les années 20, en association avec d'autres fractions illégales ; d'autres capitulèrent simplement. Kollontaï elle-même finit comme serviteur loyal du régime stalinien. En 1922, le journal communiste anglais le "Workers Dreadnought" faisait référence aux "dirigeants sans principe et sans épine dorsale" de la soi-disant "Opposition Ouvrière" (Workers Dreadnought, 20 juillet 22) et il y avait certainement un véritable manque de résolution dans le programme du groupe. Ce n'était pas une question de courage ou de manque de courage des membres individuels du groupe, mais le résultat des difficultés énormes qu'avaient à affronter les révolutionnaires russes pour essayer de s'opposer ou de rompre avec un parti qui avait été l'âme de la révolution. Pour beaucoup de communistes sincères, discuter les bases mêmes du Parti était pure folie. Il n'y avait rien en dehors du parti sinon le néant. L'attachement au Parti, si profond qu'il est devenu un obstacle à la défense des principes révolutionnaires, devait être encore plus prononcé dans l'Opposition de Gauche plus tard.
Une autre raison de la faiblesse des critiques de l'Opposition Ouvrière au régime était leur manque quasi total de perspectives internationales. Alors que les fractions de gauche les plus déterminées en Russie tiraient leur force de la compréhension du fait que le seul véritable allié du prolétariat russe et de sa minorité révolutionnaire était la classe ouvrière mondiale, l'Opposition Ouvrière avait un programme basé sur la recherche de solutions entièrement contenues dans le cadre de l'Etat russe.
La préoccupation centrale de l'Opposition Ouvrière était celle-ci : "Qui doit réaliser la créativité de la dictature du prolétariat dans la sphère de la construction économique ?" (Kollontaï, p.50). La tâche primordiale qu'ils fixaient à la classe ouvrière russe était la construction d'une "économie communiste" en Russie. Leurs préoccupations des problèmes de gestion de la production en créant des soi disant "rapports communistes" de production en Russie, manifestaient une incompréhension totale d'un point fondamental: le communisme ne peut pas être construit dans un bastion isolé. Le principal problème qui se dressait devant la classe ouvrière russe était l'extension de la révolution mondiale, non la "reconstruction économique" de la Russie.
Bien que le texte de Kollontaï critique "les relations commerciales actuellement engagées avec les puissances capitalistes, relations qui passent par dessus la tête du prolétariat organisé" (Kollontaï, p.56), l'Opposition Ouvrière était d'accord avec une attitude qui allait en se renforçant au sein même de la direction bolchevik, à savoir une tendance à mettre en avant les problèmes de l'économie russe au détriment de l'extension de la révolution au niveau international. Que ces groupes du parti aient défendu des positions divergentes sur le plan de la reconstruction économique est moins important que le fait qu'ils aient tous deux tendance à croire que la Russie pouvait se replier sur elle-même sans trahir les intérêts de la révolution mondiale.
La perspective exclusivement "russe" de l'Opposition Ouvrière se reflétait également dans son incapacité à développer des liens effectifs avec l'opposition communiste en dehors de la Russie. Bien que le texte de Kollontaï ait été sorti de Russie par un membre du KAPD et publié par le KAPD et le Workers dreadnought, Kollontaï changea d'avis par la suite et, regrettant sa décision, tenta de récupérer son texte ! L'Opposition Ouvrière ne fit aucune critique réelle de la politique opportuniste adoptée par l'IC ; elle approuva les 21 conditions et n'a pas cherché à se joindre à l'opposition de "l'étranger" malgré la solidarité que le KAPD et d'autres lui ont manifesté. En 1922, les membres de l'Opposition Ouvrière firent un dernier appel au IVème congrès de l'IC mais leur intervention se bornait à protester contre la bureaucratisation du régime et contre l'absence de liberté d'expression pour les groupes communistes dissidents en Russie. De toute façon, ils n'eurent que peu d'écho dans une Internationale qui avait déjà expulsé ses meilleurs éléments et qui allait approuver la politique du "front unique". Peu après leur dernier appel, une commission bolchevik spéciale fut formée pour examiner les activités de l'Opposition Ouvrière. La commission tira la conclusion que le groupe constituait une "organisation fractionnelle illégale" et la répression qui suivit mit fin à la plupart des activités de ce groupe ([4] [15]). L'Opposition Ouvrière eut le malheur d'être poussée sur le devant de la scène à une époque où le Parti subissait des bouleversements profonds qui allaient peu de temps après rendre toute activité oppositionnelle légale impossible en Russie. En voulant faire un compromis entre les deux extrêmes : le travail fractionnel au sein du Parti, d'une part, et une opposition clandestine au régime d'autre part, l'Opposition Ouvrière finit dans le vide ; dorénavant, le flambeau de la résistance prolétarienne trouverait des porteurs plus résolus et intransigeants.
C.D.
Ward
[1] [16] Les bolcheviks eux-mêmes ont produit des tendances d'extrême gauche pendant la période d'avant la Première guerre, notamment les maximalistes qui critiquaient la tactique parlementaire de l'organisation bolchevik après la révolution de 1905. Mais puisque ce débat avait lieu à l'époque marquant la fin de la phase ascendante du capitalisme, nous n'entrerons pas dans une discussion approfondie de ces positions dans cette étude. La Gauche Communiste, par contre, est un produit spécifique du mouvement ouvrier dans l'époque de décadence ; la Gauche Communiste a son origine dans la critique de la stratégie communiste "officielle" de l'IC à ses débuts, critique qui cherchait à définir les tâches révolutionnaires du prolétariat dans la nouvelle période.
[2] [17] cf. "Leçons de la Révolution Allemande" (Revue Internationale, n°2).
[3] [18] cf. "La dégénérescence de la Révolution Russe" et les "Leçons de Cronstadt" (Revue Internationale, n°3).
[4] [19] Bien que l'Opposition Ouvrière ait cessé d'exister après 1922, son nom comme celui du Centralisme Démocratique revient continuellement par rapport à l'activité clandestine jusqu'au début des années 30, ce qui semble démontrer que des éléments de ces deux groupes ont combattu jusqu'au dernier souffle.
LETTRE DE BATTAGLIA COMUNISTA
Chers camarades,
Nous avons lu dans le numéro de septembre de votre journal le passage suivant ([1] [22]) :
"A vrai dire, les révolutionnaires alias les "métaphysiciens impuissants" ne seront qu'à demi surpris des offres de service discipliné des bordiguistes au front unique. C'est avec un précédent bagage antifasciste que l'actuel PCI s'est formé. Les premiers à rejoindre les rangs viennent des groupes de "partisans' italiens", ensuite ceux du Comité antifasciste de Bruxelles, puis des éléments de l'ancienne minorité de la Gauche favorables à ce qu'ils estimaient pouvoir être une "véritable lutte de classe" face à Franco. Par contre, la Gauche Communiste en France et en Belgique est restée de façon intransigeante sur les bases affirmées par la Gauche Communiste Internationale. Pendant la Seconde guerre, ses appels ne sont pas allés vers les antifascistes "sincères" ou "ouvriers", mais ils se sont adressés au prolétariat mondial, l'appelant à transformer la guerre impérialiste en guerre civile, excluant par avance tout geste pouvant être interprété comme un appui critique à la démocratie."
Ce passage est extrait de l'article "Honnêtes propositions d'hymen frontiste du PCI, polémique contre une des habituelles escapades frontiste de Programma Comunista (Le Prolétaire) en France".
Nous n'entendons pas entrer ici dans le cœur d'une polémique qui ne nous concerne pas et sur laquelle nous avons déjà clairement défini notre position. Nous entendons plutôt demander une profonde rectification des graves affirmations contenues dans le passage cité, affirmations que nous n'hésitons pas à qualifier d'entièrement et complètement fausses, sans que nous sachions si elles ont été dictées par le manque de connaissance ou par le laisser-aller politique. Il est vrai que Programma Comunista (les bordiguistes) s'est mis en dehors du Partito Comunista Internazionalista qui à Turin "en 1943 a tenu sa première convention et où s'étaient rassemblés à ce moment-là ces mêmes camarades qui aujourd'hui ruminent de nouveau ce frontisme (antifasciste et syndical) depuis longtemps digéré par la Gauche révolutionnaire". Mais il est tout aussi vrai que le P. C. Internazionalista a continué d'être en Italie la seule force qui défende avec sérieux et de façon conséquente tout ce que la gauche avait fait de mieux dans sa tâche de tirer les leçons et les conclusions de la première vague révolutionnaire ouverte par la révolution en Russie et close au sein de la Troisième Internationale. Que par ailleurs les "programmistes" se réclament par commodité de ce même patrimoine d'élaboration et de lutte pour le renier dans la pratique politique, c'est une affaire qui nous concerne seulement à cause de la confusion que cela engendre même dans les avant-gardes ouvrières.
Et ce Partito Comunista Internazionalista fondé en 43 qui connut la convention de Turin, le congrès de Florence de 1948 et celui de Milan en 1952 n'a pas tout à fait un bagage simplement "antifasciste". Les camarades qui l'ont constitué provenaient de cette Gauche qui avait la première dénoncé, aussi bien en Italie qu'à l'étranger, la politique contre révolutionnaire du bloc démocratique (comprenant les partis staliniens et trotskistes) et avait été la première et la seule à agir au sein des luttes ouvrières dans les rangs mêmes des Partisans, appelant le prolétariat contre le capitalisme quel que soit le régime dont il se recouvre.
Les camarades, que RI voudrait faire passer pour des "résistants", étaient ces militants révolutionnaires qui faisaient un travail de pénétration dans les rangs des Partisans pour y diffuser les principes et la tactique du mouvement révolutionnaire et qui, pour cet engagement, sont même allés jusqu'à payer de leur vie. Devons-nous rappeler aux camarades de Révolution Internationale les figures d'Acquaviva et d'Atti? Et bien, ces deux camarades vilement assassinés sur ordre des chefs staliniens (les mêmes démocrates d'aujourd'hui), étaient des cadres du Partito Comunista Internazionalista et c'est aussi au fait de leur héroïque conduite révolutionnaire que le Partito Comunista Internazionalista a pu et peut se présenter avec toutes ses cartes en règle.
En ce qui concerne les camarades qui pendant la période de la guerre d'Espagne décidèrent d'abandonner la fraction de la Gauche Italienne pour se lancer dans une aventure en dehors de toute position de classe, rappelons que les événements d'Espagne qui ne faisaient que confirmer les positions de la Gauche, leur ont servi de leçon pour les faire rentrer de nouveau dans le sillon de la gauche révo1utionnaire. Le Comité antifasciste de Bruxelles dans la personne de Vercesi, qui au moment de la constitution du P.C.Int., pense devoir y adhérer, maintient ses propres positions bâtardes jusqu'au moment où le parti rendant le tribut nécessaire à la clarté se sépare des branches mortes du bordiguisme.
Ce que nous affirmons est confirmé par des documents qui existent et que les camarades de Révolution Internationale ont à leur disposition mais semblent ne pas avoir lu. Le premier cahier internationaliste avec tous les documents "d'époque" montre quelle fut la politique du P.C.Int. et de quel "frontisme" il se réclamait (unité des travailleurs contre la guerre et contre ses agents fascistes et démocrates), chose tout à fait différente du frontisme d'organisations qui est aujourd'hui défendu par les programmistes.
En demandant que soit faite cette nécessaire rectification, au moment même où RI se place sur le terrain de la discussion avec les forces révolutionnaires et se déclare disponible pour l'initiative internationale de notre Parti, nous souhaitons que tous les révolutionnaires sachent mener un sérieux examen critique des positions sur les principaux problèmes politiques de la classe ouvrière aujourd’hui, en se documentant avec le sérieux propre précisément aux révolutionnaires, lorsqu’il s'agit de revenir (et c'est là quelque chose qui est toujours nécessaire) sur les erreurs du passé.
Saluts communistes
Pour l'exécutif du P.C.Int., Damen
REPONSE DU C. C. I.
Nous n'étions pas peu surpris de recevoir et de lire votre lettre imprégnée d'une sainte indignation, c'est le moins qu'on puisse dire. De quoi s'agit-il exactement ? Il s'agit d'un article publié dans le numéro 29 de Révolution Internationale du mois de septembre, article dirigé contre le PCI bordiguiste dans lequel nous mettions en relief l'opportunisme profond qui ronge cette organisation notamment pour ce qui concerne sa tendance de plus en plus accentuée vers le "frontisme". Le bordiguisme reconstitué en Parti à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, nous offre une image frappante d'une dégénérescence d'un courant autrefois communiste de gauche, sur toutes les questions qui se sont posées au mouvement ouvrier depuis la faillite de la 3eme Internationale : fonction du Parti, moment historique de sa constitution ; nature et fonction des syndicats aujourd’hui, programme de revendications transitoires ; électoralisme ; question de la libération nationale ; frontisme. Sur toutes ces questions, le bordiguisme converti en Parti, n'a fait qu'emprunter une voie qui l'éloigne de plus en plus des positions communistes et le rapproche chaque jour plus du trotskisme. Cette régression politique semble être la seule "invariance" dans l'évolution du bordiguisme et tout groupe vraiment révolutionnaire ne peut manquer de se heurter à lui et de le combattre implacablement. C'est ce qu'avait fait Révolution Internationale dans l'article incriminé.
Comment se fait-il alors que les attaques dirigées contre le bordiguisme aient atteint Battaglia Comunista qui s'en plaint et proteste, ce qui nous a valu cette lettre ? A croire que les balles ont malencontreusement ricoché. Mais ricoché sur quoi?
En premier lieu, cela vient du fait qu'il existe en Italie au moins quatre groupes qui se nomment PCI, tous les quatre provenant du même Parti initial, se réclamant de la même continuité, de la même "invariance", de la même tradition et de la même plate-forme initiale dont chacun se revendique comme le seul, le vrai et légitime, l'unique héritier. Il est certainement dommage que, par un excès d'amour propre et souci d'authenticité, ces groupes, en maintenant le même nom, ne font qu'entretenir une confusion. Nous n'y sommes pour rien et ne pouvons que le regretter. A cela, il faut ajouter que, hors d'Italie, et surtout en France, c'est le groupe bordiguiste (Progranna Comunista) qui est connu comme le PCI et, quoi qu'en pense Battaglia, cela ne semble pas complètement illogique. S'il ne nous appartient pas de donner des attestations de légitimité, il nous semble cependant que c'est aller vite en besogne que de considérer le bordiguisme comme un courant qui n'a fait que "traverser" la Gauche Italienne, comme veut le faire accroire la lettre. Quelle que soit sa régression aujourd'hui, personne ne peut ignorer ou nier que, durant 25 années, le bordiguisme se confond complètement avec ce qu'on connaît comme la Gauche Italienne. Cela est non seulement vrai pour la fraction abstentionniste de Bordiga, et son journal Il Soviet dans les années 20, mais est encore attesté par le fait que la Plate-forme, présentée par la gauche au Congrès de Lyon en 1926 et qui servira de base à son exclusion du PC, porte expressément le titre : "Plate-forme de la Gauche (Bordiguiste)".
Quoi qu'il en soit, personne ne pouvait se tromper sur l'adresse à qui notre article était destiné. Aucune équivoque ne peut subsister car nous avions de plus pris la précaution de souligner en toutes lettres dans le sous-titre : "Un PCI (Programme Communiste) frontiste". Quant au passage que vous citez et qui semble tellement vous irriter, remarquons qu'il était non seulement de notre droit mais politiquement tout à fait logique de nous demander si cette dégénérescence du bordiguisme n'est qu'un fait du hasard, ou s'il ne faut pas en chercher les germes et les trouver déjà dans le passé, dans les conditions politiques mêmes dans lesquelles s'est constitué ce Parti. Ce qui vous gêne est que l'histoire de la constitution de ce Parti se trouve être également votre propre histoire. Aussi, vous essayez de minimiser cette unité de responsabilité, cette unité tout court existant à l'origine de ce Parti, en marquant une distinction à faire selon vous dès le début, entre les uns et les autres, en écrivant :
"Il est vrai que Programma Comunista (les bordiguistes) s'est mis en dehors du Partito Comunista Internazionalista qui à Turin "en 1943 a tenu sa première convention et où s'étaient rassemblés à ce moment-là ces mêmes camarades (…)".
"… jusqu'au moment où le parti rendant le tribut nécessaire à la clarté se sépare des branches mortes du bordiguisme".
En d'autres termes : à la constitution du PCI, il y avait nous et eux ; ce qui était bon, c'était nous, le mauvais, c'était eux. En admettant qu'il en fut ainsi, cela ne change rien au fait que ce "mauvais" y était, qu'il constituait un élément fondamental et unitaire dans le moment de la constitution du Parti et que personne n'a rien trouvé à y redire ni n'a élevé la moindre critique, parce que lancés tous ensemble dans une course précipitée de construction d'un Parti, on ne prit pas le temps (sans parler déjà d'un examen sérieux du moment de la constitution du Parti) de regarder de plus près avec qui on entreprenait cette construction et de quelles positions et activités ceux-ci se réclamaient.
De ne l'avoir pas vu et compris au moment même peut à la rigueur être une explication, en aucun cas une justification, et encore moins a posteriori. C'est pourquoi nous ne comprenons pas vos protestations quand nous ne faisons que rappeler tout simplement les faits et leur signification à nos yeux.
Battaglia Comunista nous demande une "profonde rectification des graves affirmations contenues dans le passage cité", en ajoutant, "affirmations que nous n'hésitons pas à qualifier d'entièrement et complètement fausses". En fait de rectification, nous nous voyons plutôt obligés de nous expliquer et d'apporter des précisions qui fondent nos affirmations et qui sont, quoiqu'en pense Battaglia Comunista loin d'être "entièrement et complètement fausses". Tout d'abord, une chose doit être claire : nous n'avons jamais dit que le PCI -fondé en 1943 - avait "tout à fait un bagage simplement 'antifasciste'". Si telle avait été notre appréciation, nous l'aurions dit et nous aurions eu à son égard une attitude politique en conséquence, c'est-à-dire de dénonciation pure et simple comme envers les trotskistes, et non celle de la confrontation, ce qui est tout à fait différent, même si cette confrontation est parfois violente. Nous ne disons pas que les positions du PCI étaient "simplement" antifascistes, mais que dans le Parti, on avait laissé droit de cité (et cela jusque dans la direction) à des éléments qui se réclamaient ouvertement d'expériences (les leurs) frontistes et antifascistes. Ce que nous voulons mettre en évidence, c'est qu'à côté des affirmations de positions de classe, le PCI laissait subsister des ambiguïtés, tant du point de vue du regroupement des éléments que de celui des formulations. Tout se passait comme si en fermant la porte, on laissait à tout hasard la fenêtre entrouverte. Il ne faut pas nous faire dire ce que nous ne disons pas, mais nous entendons défendre tout ce que nous disons. Aussi nous souscrivons pleinement à ce qu'écrivait Internationalisme n°36 en juillet 1948 :
'Tout comme après la Conférence de 1945, nous estimons qu'en son sein (le PCI) sont rassemblés un grand nombre de militants révolutionnaires sains, et de ce fait, cette organisation ne peut être considérée comme perdue d'avance pour le prolétariat".
Internationalisme n'aurait certainement pas parlé ainsi d'un groupe simplement antifasciste, mais cela ne diminue en rien les "graves affirmations" critiques qu'il portait contre les "ambiguïtés" et les erreurs du PCI que les vicissitudes ultérieures de ce Parti, ses crises, et ses scissions, ont depuis amplement justifiées.
Ces ambiguïtés et erreurs, nous les trouvons dans le fait même de la constitution du Parti. Le Parti ne se constitue pas à n'importe quel moment. La Gauche Communiste de France avait raison en s'appuyant sur les critiques pertinentes portées par "Bilan" contre la proclamation de la 4eme Internationale de Trotski, de critiquer énergiquement la constitution du P.C.I. Un tel Parti constitué dans une période de réaction et de défaite de la classe porte non seulement des marques de volontarisme et d'artificiel mais doit nécessairement contenir des "flous" et des ambiguïtés politiques. Jamais, à notre connaissance, le P.C.I. (que vous soyez les seuls ou non à continuer) n'a répondu à cette critique, préférant, dans son enthousiasme de la constitution, l'ignorer dans un silence dédaigneux, en même temps qu'il ouvrait les portes à des éléments politiquement douteux.
Nous trouvons ces ambiguïtés dans la Plate-forme Politique du P.C.I. publiée en français en mai 1946. Faut-il insister sur le fait que durant la guerre et surtout vers la fin de celle-ci, les questions sur l'attitude des révolutionnaires face à la guerre, la Résistance partisane, la mystification antifasciste et autres "libérations" prenaient une acuité particulière, exigeant la plus grande clarté et intransigeance ? Parlant de ces activités et tout en condamnant la Résistance dans son ensemble, la Plate-forme écrit :
"Les éléments effectifs de l'action clandestine qui a été développée contre le régime fasciste ont été et sont des réactions spontanées et informes de groupements prolétariens et de rares intellectuels désintéressés ainsi que l'action et l'organisation que tout Etat et toute armée créent et alimentent aux arrières de l'ennemi." (Plate-forme, p. 19, § 7).
Tout le paragraphe 7, où est traitée la question des Partisans, s'efforce d'habiliter l'idée que ce mouvement a un double fondement : l'un d'origine prolétarienne, l'autre émanant des Etats et armées adversaires. Et pour mieux faire valoir encore le caractère de "réactions spontanées et informes de groupements prolétariens" on ira jusqu'à minimiser le poids de l'autre : "Ces chefaillons politiques qui sont apparus comme des mouches du coche n'ayant eu qu'une influence minime dans cette action" (ibid.). Comment ne pas sentir toute l'ambiguïté de cet autre passage de ce même paragraphe :
"En réalité le réseau que les partis bourgeois et pseudo-prolétariens ont constitué dans la période clandestine, n'avait pas du tout comme but l'insurrection partisane nationale et démocratique, mais seulement la création d'un appareil destiné à immobiliser tout mouvement révolutionnaire, qui aurait pu se déterminer au moment de l'effondrement de la défense fasciste et allemande." (Ibid.)
Cette insistance à vouloir distinguer et opposer "l'insurrection partisane nationale et démocratique" à la recherche d'"d'immobiliser tout mouvement révolutionnaire" recouvre nettement la première distinction faite sur l'origine et caractère doubles du mouvement Partisan et mène logiquement à la reconnaissance d'un possible mouvement "antifasciste prolétarien" sincère, démocratique et tout, en opposition à un faux antifascisme bourgeois.
C'est voiler à peine le lien "naturel" qu'on établit ainsi entre le prolétariat et les Partisans, et ce léger voile disparaîtra complètement quand on écrira:
"Ces mouvements (des Partisans) qui n'ont pas une orientation politique suffisante (sic !) expriment tout au plus la tendance de groupes prolétariens locaux à s'organiser et à s'armer pour conquérir et conserver le contrôle des situations locales et donc du pouvoir." (p. 2, § 18)
Le mouvement de Partisans n'est plus dénoncé pour ce qu'il est, la mobilisation des ouvriers pour la guerre impérialiste, mais devient une tendance de groupes prolétariens pour conquérir le pouvoir local, mais, malheureusement... "avec une orientation politique insuffisante"… !
Quand on pense que ce sont là des textes extraits de la Plate-forme, c'est-à-dire, le document de fondement, écrit avec la plus grande attention et par les membres les plus autorisés, on peut s'imaginer aisément quelles diatribes antifascistes se trouvaient dans la presse locale du P.C.I., dans le Sud surtout, qui se trouvait isolé et coupé du centre qui était dans le Nord ([2] [23]).
Avec une telle définition, on ne peut s'étonner qu'on en soit arrivé à prendre la défense de ces luttes :
"En ce qui concerne la lutte partisane et patriotique contre les Allemands et les fascistes, le Parti dénonce la manœuvre de la bourgeoisie internationale et nationale qui, avec sa propagande pour la renaissance d'un militarisme d'Etat officiel (propagande vide de sens) (sic) vise à dissoudre et à liquider les organisations volontaires de cette lutte, qui, dans beaucoup de pays ont déjà été attaquées par la répression armée."
On nous demandait une "rectification profonde de graves affirmations". Nous sommes absolument d'accord et convaincus que ces rectifications sont nécessaires et s'imposent. La seule question est de savoir qui doit rectifier quoi ? Est-ce à nous de rectifier de fausses accusations d'antifascisme ? Ou est-ce à Battaglia de rectifier des postulats et des formulations plus qu'ambiguës de la Plate-forme, base de constitution du P.C.I. ?
Comment le P.C.I. pouvait-il prendre la défense de l'organisation Partisane contre la menace de leur dissolution par l'Etat ? Les Partisans étaient l'organisation armée dans laquelle la bourgeoisie mobilisait les ouvriers de l'arrière pour la guerre impérialiste au nom de l'antifascisme et de la libération nationale. Cela ne semble pas tellement évident pour le P.C.I. qui voit dans cette organisation de Partisans patriotique et antifasciste quelque chose d'autre, "une réaction spontanée de groupements prolétariens" - d'où sa politique pleine de sollicitudes à son égard :
"Face à ces tendances qui constituent un fait historique de premier ordre... le Parti met en évidence que la tactique prolétarienne exige en premier lieu que les éléments les plus combatifs et les plus résolus trouvent finalement (!) la position politique et l'organisation qui leur permettra - après avoir longtemps donné leur sang pour la cause des autres - de se battre enfin et seulement pour leur propre cause." (Ibid.).
Qu'on ne s'y trompe pas. Il ne s'agit pas pour le P.C.I. d'éléments ouvriers égarés et entraînés dans une organisation capitaliste que le prolétariat en premier ordre doit détruire, mais donc d'une organisation ouvrière, "un fait historique de premier ordre", ayant une "orientation politique insuffisante", qu'on doit défendre contre la manœuvre de la bourgeoisie qui veut la dissoudre, avec qui il peut y avoir un dialogue, un terrain fertile pour la révolution et dans les rangs de laquelle on va pénétrer pour porter les positions communistes.
On pense nous confondre en nous disant que les militants du P.C.I. dans les rangs des Partisans n'allaient pas pour faire œuvre de "résistants" mais pour "diffuser les principes et la tactique du mouvement révolutionnaire". Soit. Mais pour faire la propagande orale ou écrite, on ne demande pas aux révolutionnaires l'adhésion dans une organisation contre révolutionnaire. Ce genre de pénétration est la tactique de ceux qui vont faire du "noyautage tactique" que nous n'apprécions pas outre mesure et que nous préférons laisser aux trotskistes. Mais cela n'explique pas encore pourquoi, précisément, dans les rangs des Partisans... et non pas dans les Partis P.S. ou P.C., par exemple ? Cela ressemble bien plus à la tactique d"'entrisme" des trotskistes et n'a rien de commun avec les positions révolutionnaires de la Fraction Italienne de la Gauche Communiste. Que ce soit de leur propre chef (ou sur décision du Parti) que le Parti ait accepté que "des cadres du Parti" adhèrent à l'organisation de Partisans, c'est là une "tactique" plus qu'étrange et que nous ne pouvons qualifier que de collaboration politique. Les Partisans, ne l'oublions pas, est une organisation contre révolutionnaire de la pire espèce, créée pendant la guerre en vue de perpétuer le massacre des ouvriers; c'est une organisation militaire, basée sur le "volontariat" (tout comme les S.S.) et, à ce titre, n'offre aucun terrain propice de diffusion de principes et tactiques révolutionnaires, ce qui la distingue de l'armée, dans laquelle les ouvriers sont mobilisés de force ([3] [24]). Le fait que cette organisation de guerre avait des allures "populaires" et sur sa façade "l'antifascisme", ne justifiait nullement la politique de pénétration et l'envoi de cadres de la part d'un Parti révolutionnaire. Si le P.C.I. l'a fait, c'est que lui-même était dans la confusion et, en plus, pris dans son "activisme", il a commis une terrible légèreté en laissant aller, ou, pire encore, en envoyant des militants dans ce repaire contre révolutionnaire militaire où ils ne pouvaient que se faire assassiner. D'une telle erreur, il n'y a vraiment pas de quoi se vanter ([4] [25]).
Nous ne connaissons pas le détail des circonstances dans lesquelles furent assassinés, sur ordre des staliniens, les camarades Acquaviva et Atti. Mais leur fin tragique, loin d'apporter la preuve de la justesse de votre politique de participation, ne fait que nous renforcer dans notre conviction. Beaucoup de trotskistes en France et ailleurs ont perdu leur vie dans des circonstances analogues ; cela ne prouve nullement que la politique de participation qu'ils pratiquaient était révolutionnaire
Après tout ce que nous venons de voir, aucun doute n'est possible sur l'ambiguïté de la position du P.C.I. au moment de sa constitution concernant la question de la Résistance antifasciste et Partisane - et ceci devra peser sur l'évolution ultérieure de l'organisation. Pour confirmer nos dires, il suffit de citer l'intervention de Danielis ([5] [26]) au Congrès du P.C.I. à Florence (6-9 mai 1948) :
"Une chose doit être claire pour tout le monde : le Parti a subi l'expérience grave d'un facile élargissement de son influence politique - due à un non moins facile activisme - non en profondeur (car difficile) mais en surface. Je dois faire part d'une expérience personnelle qui servira de mise en garde face au danger d'une facile influence du Parti sur certaines couches, de masses, conséquence automatique d'une non moins facile formation théorique des cadres. Je me trouvais comme représentant du Parti à Turin, dans les derniers mois de la guerre. La Fédération était numériquement forte, avec des éléments très activistes, des tas de jeunes, de nombreuses réunions, des tracts, le journal, un Bulletin, des contacts avec les usines ; des discussions internes qui prenaient toujours un ton extrémiste dans les divergences sur la guerre en général ou la guerre de Partisans en particulier ; des contacts avec des éléments déserteurs. La position face à la guerre était claire : aucune participation à la guerre, refus de la discipline militaire de la part d'éléments qui se proclamaient internationalistes. On devait donc penser qu'aucun inscrit au Parti n'aurait accepté les directives du "Comité de Libération Nationale". Or, le 25 avril au matin (date de la "libération" de Turin), toute la Fédération de Turin était en armes pour participer au couronnement d'un massacre de 6 années, et quelques camarades de la province -encadrés militairement et disciplinés entraient à Turin pour participer à la classe à l'homme. Moi-même, qui aurais dû déclarer dissoute l'organisation, je trouvais un moyen de compromis et fis voter un ordre du jour dans lequel les camarades s'engageaient à participer au mouvement individuellement. Le Parti n'existait pas ; il s'était volatilisé."
Ce témoignage public d'un vieux militant responsable et formé par une longue expérience de la Fraction Italienne à l'étranger est éloquent et dramatique à la fois. Ainsi, ce n'est pas le Parti qui pénétrait dans les rangs de Partisans pour diffuser les principes et la tactique révolutionnaires, mais c'était bel et bien l'esprit de Partisans qui pénétrait dans le parti et gangrenait ces militants. Le fait que le P.C.I. ne se soit jamais livré à un débat critique approfondi sur ce sujet, que pour des raisons de prestige prévalant, le Parti ait préféré se réfugier dans le silence, entraînant, comme nous le verrons, d'autres "silences", explique bien des incidences le long de son histoire, la survivance de ces ambiguïtés et leur développement même, dans l'ensemble des groupes dans lesquels il s'est divisé.
Cette ambiguïté concernant la question de Partisans, nous la retrouverons à chaque pas dans les groupes issus du PCI originel, et cela non seulement chez les bordiguistes (Programma) avec leur soutien des mouvements de libération nationale dans les pays sous-développés. Nous la retrouvons dans le Bulletin International publié en français au début des années 60, fait en commun par News and Letters, Munis et Battaglia Comunista, où, dans un article d'un camarade italien, on essaie de montrer à l'aide de la théorie du "cas particulier" que les Partisans en Italie avaient quelque chose de différent des autres résistances dans les autres pays, et donc justifiait un traitement particulier. Les traces de cette position ambiguë, nous les retrouvons encore jusque dans la lettre présente de Battaglia Comunista quand elle parle "d'agir au sein des luttes ouvrières et dans les rangs mêmes des Partisans".
Selon la lettre de Battaglia, les camarades de la minorité de la fraction italienne allèrent en Espagne "en dehors de toute position de classe", à l'encontre des militants du PCI qui, eux, "faisaient un travail de pénétration dans les rangs des Partisans pour y diffuser les principes et la tactique du mouvement révolutionnaire". Mais est-ce que les camarades de Battaglia Comunista pensent que les militants de la minorité sont allés en Espagne pour "défendre la démocratie républicaine contre le fascisme" ? Eux aussi, en allant en Espagne, tout comme ceux du P.C.I. dans les rangs des Partisans, voulaient aller pour diffuser dans les files des principes et la tactique du mouvement révolutionnaire", pour la Dictature du Prolétariat, pour le Communisme. Pourquoi celle de la minorité a été une "aventure" et celle du P.C.I. un acte d'héroïsme ? Une simple question, et qui ne trouve certes pas sa réponse dans l'affirmation toute gratuite que les évènements "leur ont servi (à la minorité) de leçon pour les faire rentrer dans le sillon de la gauche révolutionnaire". Cette minorité exclue de la fraction, en 36 va se regrouper dans l'Union Communiste, qui défend les mêmes positions, et va y rester jusqu'à la dispersion de ce groupe pendant la guerre. Il n'a jamais plus été question de retour de ces militants à la Gauche Communiste, jusqu'au moment de la dissolution de la fraction et l'intégration de ses militants dans le P.C.I. (fin 45). Il n'a jamais été question de "leçon", ni de rejet de position, ni de condamnation de leur participation à la guerre antifasciste d'Espagne de la part de ces camarades. C'est tout simplement l'euphorie et la confusion de la constitution du parti "avec Bordiga" qui ont incité ces camarades, y compris les quelques camarades français survivants de l'ancienne Union Communiste, à le rejoindre, et cela sous l'instigation directe de Vercesi, devenu entre temps dirigeant du parti et son représentant en dehors d'Italie. Le Parti en Italie ne leur a pas demandé de comptes, non pas par ignorance – de vieux camarades de la fraction comme Danielis, Lecce, Luciano, Butta, Vercesi et tant d'autres ne pouvaient pas ignorer cette minorité que neuf ans avant ils ont eux-mêmes exclue - mais parce que le moment n'était pas à "de vieilles querelles" ; la reconstitution du Parti effaçait tout. Ce parti qui n'était pas trop regardant sur l'agissement des Partisans présents dans ses propres militants ne pouvait se montrer rigoureux envers cette minorité pour son activité dans un passé déjà lointain et lui ouvrait "naturellement" ses portes, faisant d'elle, dans le silence, l'assise de la section française du nouveau Parti.
Les choses ne vont pas mieux pour ce qui concerne les explications sur le Comité Antifasciste de Bruxelles et son promoteur Vercesi. A ce sujet la lettre dit :"Le Comité antifasciste de Bruxelles dans la personne de Vercesi, qui au moment de la constitution du PCI pense devoir y adhérer, maintient ses propres positions bâtardes jusqu'au moment où le Parti, rendant le tribut nécessaire à la clarté, se sépare des branches mortes du bordiguisme". Qu'en termes galants ces choses là sont dites ! Il - Vercesi - pense devoir y adhérer !!?? Et le Parti, qu'en pense-t-il ? Ou est-ce que le Parti est une société de bridge où adhère qui veut bien y penser ? Vercesi n'était pas le premier venu. C'est un vieux militant de la Gauche Italienne des années 20 -et principal porte-parole de la Gauche Italienne dans l'émigration. Il est l'âme de la Fraction, et principal rédacteur de Bilan. Son œuvre militante et ses mérites révolutionnaires sont énormes, de même que son influence. C'est pourquoi la lutte au sein de la Fraction à la veille de la guerre comme durant celle-ci contre les positions de plus en plus aberrantes de Vercesi avait une grande importance.
L'annonce de la constitution d'un Comité Antifasciste italien à Bruxelles les derniers mois de la guerre, avec Vercesi - au nom de la Fraction - à sa tête devait provoquer une violente réprobation parmi les éléments et groupes révolutionnaires en France. La fraction regroupée en France - avec l'accord du Groupe Français de la Gauche Communiste - a réagi en excluant Vercesi de la Fraction, quelques mois avant de connaître la constitution du Parti en Italie et qu'elle ne proclame sa propre dissolution. Ce qui rendait plus grave le comportement politique de Vercesi, c'est qu'il entraînait derrière lui les camarades italiens de Bruxelles et la majorité de la Fraction Belge. C'est dans cette situation que quelques mois après, Vercesi se rend en Italie où il obtient ces nouvelles investitures de dirigeant du nouveau Parti et sa représentation à l'étranger. Le Parti ne pouvait pas ne pas connaître ces évènements parce que, non seulement une bonne partie des camarades responsables de la Fraction dissoute venaient de retourner en Italie, mais surtout parce que le Groupe Français de la Gauche Communiste posait ces débats publiquement dans sa revue Internationalisme et multipliait ses lettres directes et lettres ouvertes au P.C.I. et aux autres fractions de la Gauche Communiste, dans lesquelles il critiquait et condamnait tous ces agissements. Mise à part la Fraction Belge, le P.C.I. s'enfermait dans un épais silence pour finalement, pour toute réponse, ne reconnaître en France que la Fraction nouvellement constituée par le même Vercesi sur la base et le concours de l'ancienne minorité, écartant ainsi le groupe Internationalisme et ses questions gênantes. Il fallait attendre pas moins que 1948 pour que le Parti se décide à rompre le silence, et dans une brève et laconique résolution se prononce contre le Comité Antifasciste de Bruxelles sans même mentionner nominalement celui qui reste un de ses dirigeants : Vercesi. La politique du silence, c'est la politique du maintien de l'ambiguïté. Et il fallait encore 5 années supplémentaires pour que, comme dit la lettre, "le Parti, rendant le tribut nécessaire à la clarté, se sépare des branches mortes du bordiguisme".
Il n'est pas dans notre intention de faire un historique du P.C.Int. Si nous nous sommes arrêtés longuement sur la Plate-forme et la question des Partisans, c'est parce que c'était à l'époque la question clé. Nous nous sommes peu arrêtés sur l'intégration de la minorité de la Fraction qui a participé à la guerre d'Espagne, ainsi que celle des tenants du Comité Antifasciste de Bruxelles, quoique les implications politiques de ces derniers soient de la plus haute importance, car ce que nous voulions n'était pas une condamnation ad hoc, mais simplement corroborer nos dires qu'à la base de la constitution du P.C.Int. se trouvent de graves ambiguïtés qui font de celui-ci une régression politique par rapport aux positions de la Fraction d'avant-guerre et de Bilan. Tout en se maintenant globalement sur un terrain de classe, le P.C.Int. n'est pas parvenu à se dégager des vieilles positions erronées de l'Internationale Communiste comme sur la question des syndicats et de la participation aux campagnes électorales. L'évolution ultérieure du P.C.Int. et la dislocation en plusieurs groupes qui s'en est suivie prouvent son échec. L'apport de la Gauche Italienne est considérable et ses travaux théoriques politiques appartiennent au patrimoine de l'histoire du mouvement révolutionnaire du prolétariat. Mais, comme pour la Gauche Allemande ou la Gauche Hollandaise, tout indique l'épuisement depuis longtemps de ce que fut la Gauche Italienne traditionnelle. C'est là une constatation d'une rupture de la continuité organique. Le terrible cours de la contre révolution, sa profondeur et sa longue durée, ont eu raison physiquement et organiquement de l'I.C. en faillite. La Fraction se voulait comme un pont entre le Parti d'hier et celui de demain. Cela ne s'est pas réalisé. La constitution du P.C.Int. se voulait être le pôle du nouveau mouvement révolutionnaire. Et la période, et ses propres insuffisances et ambiguïtés ne l'ont pas permis. Il a échoué et apparaît plus comme une survivance du passé que comme un nouveau point de départ. ([6] [27])
Avec la réapparition de la crise historique qui ébranle les fondements du système capitaliste, avec la reprise de la lutte des ouvriers dans tous les pays, ne pouvait manquer le resurgissement de nouveaux groupes révolutionnaires, exprimant la nécessité et la possibilité d'un regroupement des révolutionnaires. Il faut cesser de se réclamer d'une vague et douteuse continuité organique et de vouloir la ressusciter artificiellement. Il importe de s'atteler sérieusement a la tâche de regroupement, de créer un pôle de regroupement des révolutionnaires. C'est la tâche de l'heure.
Mais ce regroupement, pour remplir vraiment sa fonction et être apte à l'assumer pleinement, ne peut se réaliser qu'à partir et sur les bases de critères politiques précis, d'une cohérence et d'orientations claires, fruit des expériences du mouvement ouvrier et de ses principes théoriques. C'est là un effort à poursuivre méthodiquement avec le plus grand sérieux. Il faut se garder de la facilité comme disait Danielis, en convoquant des conférences sur la base vague d'une dénonciation de tel ou tel tournant des Partis "Communistes" d'Europe. Cela serait mettre en avant le souci du plus grand nombre aux dépens de critères politiques seuls aptes à constituer un fondement solide et donner une vraie signification à un regroupement révolutionnaire. Sur ce point encore, l'expérience de la constitution du P.C.Int. peut nous servir de leçon édifiante.
Fermement attaché à l'idée de la nécessité de contact et de regroupement des révolutionnaires, le C.C.I. encouragera et participera activement à toute tentative dans ce sens. C'est pourquoi il a répondu positivement à l'initiative de Battaglia d'une Conférence Internationale de groupes révolutionnaires, tout en mettant en garde contre l'absence de critères politiques, ce qui permet l'invitation de groupes tels que les trotskistes, modernistes de l'Union Ouvrière, ou mao-trotskistes du Combat Communiste, dont nous ne voyons pas la place dans une conférence de communistes.
On nous a demandé une "rectification". Nous venons de la faire, un peu longue peut-être, mais assez claire espérons-nous. C'est justement parce que nous restons plus que jamais convaincus de la nécessité de discussion entre les groupes qui se réclament du communisme que nous pensons que ces discussions ne seront vraiment fécondes que dans la plus grande clarté sur les positions politiques, dans le présent comme dans le passé.
Dans l'attente de vos nouvelles, et avec nos salutations communistes.
Le COURANT
COMMUNISTE INTERNATIONAL - 30/11/76
[1] [28] RI n°29.
[2] [29] Nous avons pu prendre connaissance de ces journaux, mais nous ne pouvons malheureusement pas en citer des passages, ne les ayant pas à notre disposition. Le Parti certainement pourrait les republier... ?
[3] [30] Les Partisans se sont constitués directement sous le contrôle des Alliés et, sur place, sous le contrôle du Parti Communiste et du Parti Socialiste.
[4] [31] De façon générale, nous n'aimons pas beaucoup le ton vantard concernant les camarades qui ont constitué le P.C.I., et qui provenaient de cette Gauche qui "avait été la première et la seule à agir au sein de luttes ouvrières et dans les rangs mêmes des Partisans appelant le prolétariat à la lutte contre le capitalisme, quel que soit le régime dont il se recouvre." Premièrement, il et difficile de ne pas être la "première" quand on est la "seule". Deuxièmement, cette Gauche n'était pas la "seule". D'autres groupes existaient comme les Conseillistes hollandais et américains, le R.K.D., les C.R., etc., qui défendaient les positions de classe contre le capitalisme et contre la guerre. Troisièmement, si on veut parler de participation jusque dans les rangs des Partisans, cette partie de la Gauche italienne qui s'est laissée entraîner n'aura sûrement pas trop souffert d'isolement, étant en bonne compagnie avec toutes sortes de groupes, des trotskistes aux anarchistes.
[5] [32] Danielis était un militant actif de la Fraction Italienne en France et est retourné en Italie à la veille de la guerre.
[6] [33] Il suffit de rappeler l'absence totale de différents groupes se réclamant du P.C.Int. lors des luttes de la FIAT et de Pirelli de l'automne chaud en 1969 en Italie, complètement surpris par les évènements, pour s'en convaincre. Ne parlons pas du ridicule appel des bordiguistes appelant, par une petite affiche écrite à la main, collée sur les murs de l'université, les 12 millions d'ouvriers en grève à se mettre derrière le drapeau du Parti... en mai 1968 en France.
Dans une lettre récente, les librairies "Contra a corrente" du groupe Combate au Portugal nous font part de leur décision de cesser la vente des publications du CCI. Il n'est pas dans les habitudes du CCI de rentrer dans de tels détails dans les pages de ses publications. Cependant, nous ne partageons pas le mépris qu'affichent les "modernistes" pour ce qu'ils appellent "le souci de la marchandise politique". Au contraire, nous pensons que la diffusion la plus large possible de la presse révolutionnaire est une contribution importante à la clarification et constitue ainsi une préoccupation politique élémentaire. De plus, tant que les groupes révolutionnaires restent composés de petites minorités, il leur serait difficile d'assumer entièrement leurs publications sans une certaine contrepartie, souvent faible, à travers les ventes. Mais si nous parlons de la lettre de Combate ici, c'est pour soulever ouvertement la question : pourquoi Combate a pris une telle décision de nous fermer ses librairies ? Dans la lettre, nous ne trouvons qu'un refus, pas une explication.
Sur le plan purement pratique, nous pouvons constater que les publications révolutionnaires, étant donné le reflux de la lutte, ne se vendent plus aussi bien aujourd'hui au Portugal que pendant la période 1974-75. Il nous avait semblé nécessaire de réduire le nombre d'envois (décision qui a été prise entre Combate et les camarades du CCI qui se sont rendus au Portugal cet été). Mais supprimer toute vente est autre chose. Seule une librairie bourgeoise pourrait affirmer comme seul critère : si vos publications ne se vendent pas rapidement et en nombre suffisant, nous n'avons pas d'intérêt à perdre notre temps avec vous. Les librairies "Contra a corrente" à Porto et Lisbonne sont tout de même aux mains d'un groupe qui se veut révolutionnaire, intéressé à rendre plus accessibles les idées des courants communistes parmi les ouvriers. Il nous semble donc qu'il faut écarter toute hypothèse d'ordre "pratique" comme explication de la décision.
Sur le plan politique le CCI n'a jamais caché ses critiques au groupe Combate ni oralement quand nous avons eu l'occasion de rencontrer ces camarades, ni par écrit dans notre presse. Malgré toutes ses faiblesses et ses confusions mises en évidence dans l'article ([1] [37]) "A propos de Combate" dans la Revue Internationale n°7, nous avons toujours considéré Combate comme un des seuls groupes au Portugal à défendre des positions de classe : la dénonciation des mystifications du MFA (Mouvement des Forces Armées), de l'appareil syndical et de la gauche du capital ainsi que la défense des luttes autonomes des ouvriers et l'internationalisme prolétarien. C'est pour cela que nous avons pris contact avec Combate et mis des militants d'autres pays en rapport avec eux. Mais la principale faiblesse de Combate, à savoir son absence de clarté sur la nécessité de constituer une organisation sur la base d'une plate-forme politique cohérente, l'a entraîné inévitablement vers un certain localisme, un appui ambigu aux expériences "autogestionnaires", une confusion de plus en plus grande sur l'orientation des activités des révolutionnaires. Enfin, nous avons constaté que si Combate continue à théoriser ses erreurs, il "ne saurait résister bien longtemps à la terrible contradiction à laquelle il est soumis entre ses propres principes révolutionnaires du départ et la terrible pression de l'idéologie bourgeoise qu'il a laissé pénétrer en son sein en se refusant à donner à ses principes une assise claire et cohérente basée sur les leçons de l'expérience historique de la classe." (Revue Internationale, n°7)
L'ensemble de nos appréciations sur Combate fait partie d'un effort pour contribuer à la clarification des positions révolutionnaires dans la classe ouvrière. Faut-il croire que Combate a la peau si chatouilleuse que la critique lui fait fermer la porte au CCI ? Nous ne travaillons à la confrontation des idées qu'avec des groupes qui se situent dans le camp prolétarien, malgré toutes les confusions possibles en leur sein. Nous ne polémiquons pas avec le stalinisme, le trotskisme ou le maoïsme ; nous les dénonçons purement et simplement comme armes idéologiques du capital. Et nous ne sommes pas étonnés quand des librairies sous contrôle stalinien ou trotskiste (directement ou indirectement) refusent nos publications ou quand les trotskistes - comme ceux d'une librairie de Boston - nous rendent nos revues en ayant pris soin de déchirer préalablement les articles sur le Vietnam. On ne s'épuise pas à demander la "démocratie" à la bourgeoisie. Mais Combate en viendrait-il aussi à utiliser des mesures administratives pour les règlements de comptes politiques ?
A travers les discussions que nous avons eues avec Combate, il se dégage que Combate reproche au CCI d'être fixé sur la nécessité de créer une organisation internationale sur la base des positions de classe claires et tranchées. Nous serions, selon certains de ses membres, un vestige de la "vieille conception" d'une organisation révolutionnaire, repliés sur nous-mêmes, sectaires et incapables de nous "ouvrir aux nouveaux apports de la lutte", surtout au Portugal. Nous regrettons que notre intransigeance sur les positions politiques de classe et notre souci du regroupement des révolutionnaires ne trouvent pas d'écho chez Combate. Nous regrettons également que Combate semble trouver beaucoup plus d'intérêt dans des groupes caractérisés surtout par le flou politique et la recherche de "nouveautés" comme le "self-management" de Solidarity en Grande-Bretagne ou autres libertaires sans définition politique claire. Mais faut-il conclure qu'il n'y a pas pire démagogue que ceux qui se prétendent "libertaires" jusqu'au moment où les divergences les amènent à prendre des mesures répressives ? Nous accuser, nous, de sectaires nous semble un alibi facile.
Il faut se rappeler que les librairies "Contra a corrente" ne diffusent pas uniquement la presse révolutionnaire. On peut comprendre qu'il est impossible de diriger une librairie dans le monde capitaliste d'aujourd'hui avec comme seul appui la presse communiste. En conséquence, à "Contra a corrente" se vendent des publications de toutes sortes: psychologie, romans, livres de Staline et de Mao, textes des trotskistes aussi bien que les publications de Solidaritv, de la CWO et du CCI, en portugais et dans d'autres langues. Devons-nous comprendre que la classe ouvrière au Portugal a besoin de lire les élucubrations de la contre révolution sous la plume de staliniens ou de trotskistes mais qu'elle doit être "protégée" du CCI qui disparaîtra des librairies de Combate ? La canaille stalinienne peut trouver une place pour diffuser ses mystifications et une voix des révolutionnaires être censurée ? Il faudrait alors mettre sur la porte des librairies "Contra a corrente" :
"Il n'existe pas pire ennemi de la classe ouvrière que le CCI et c'est pour cela que vous ne trouverez pas ici sa presse" !
L'enjeu de cette discussion n'est pas simplement la diffusion du CCI. De toute façon, notre presse sera diffusée au Portugal. Mais tout ceci n'est pas digne des efforts des éléments qui aujourd'hui cherchent le chemin de la révolution. Il est révoltant de constater que Combate prend de telles décisions sans aucune explication. Il y a trop de groupes actuellement qui se veulent révolutionnaires mais qui s'érigent en "juge censeur" du mouvement ouvrier : la CWO en est un exemple flagrant avec sa malheureuse conviction que tous ceux qui ne sont pas d'accord avec elles sont de la contre révolution. Il faut combattre cette tendance à établir des frontières de classe chacun à sa guise pour les besoins de sa chapelle. Aujourd'hui, quand la classe ouvrière doit avoir une orientation politique claire afin de pouvoir agir à temps face à la crise du système, quand enfin, après 50 années de triomphe de la barbarie de la contre révolution, il y a une ouverture dans l'histoire, il est lamentable que les groupes révolutionnaires comme Combate se contentent de positions politiques confuses et tombent si facilement dans les mesures répressives contre d'autres courants politiques, mesures qui ne peuvent que rappeler le "bon vieux temps" des staliniens.
Nous demandons donc ouvertement à Combate de reconsidérer ces mesures de suppression de la vente de notre presse et de revenir sur cette décision aberrante.
Le CCI
30 novembre 1976
LIVRARIA CONTRA-A-CORRENTE
Porto, le 9 septembre 1976
Chers camarades,
Il y a quelques jours, dans une réunion, les librairies Contra a Corrente (Porto et Lisbonne) ont décidé de ne plus vendre RI et toutes les autres publications de votre Courant ; pour l'avenir nous voulons seulement recevoir deux numéros pour les archives ; prochainement, nous allons tenter de payer ce qu'on a vendu.
F.S
[1] [38] Cet article a été écrit pendant l'été, avant l'envoi de la lettre de Combate et publié après sa réception. Il ne joue donc aucun rôle particulier dans l'affaire de la librairie, sinon comme résumé général des discussions et des critiques.
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/rinte8/congres.htm#_ftn1
[2] https://fr.internationalism.org/rinte8/congres.htm#_ftn2
[3] https://fr.internationalism.org/rinte8/congres.htm#_ftn3
[4] https://fr.internationalism.org/rinte8/congres.htm#_ftn4
[5] https://fr.internationalism.org/rinte8/congres.htm#_ftn5
[6] https://fr.internationalism.org/rinte8/congres.htm#_ftnref1
[7] https://fr.internationalism.org/rinte8/congres.htm#_ftnref2
[8] https://fr.internationalism.org/rinte8/congres.htm#_ftnref3
[9] https://fr.internationalism.org/rinte8/congres.htm#_ftnref4
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[14] https://fr.internationalism.org/rinte8/russie.htm#_ftn3
[15] https://fr.internationalism.org/rinte8/russie.htm#_ftn4
[16] https://fr.internationalism.org/rinte8/russie.htm#_ftnref1
[17] https://fr.internationalism.org/rinte8/russie.htm#_ftnref2
[18] https://fr.internationalism.org/rinte8/russie.htm#_ftnref3
[19] https://fr.internationalism.org/rinte8/russie.htm#_ftnref4
[20] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/revolution-russe
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[22] https://fr.internationalism.org/rinte8/partisan.htm#_ftn1
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[24] https://fr.internationalism.org/rinte8/partisan.htm#_ftn3
[25] https://fr.internationalism.org/rinte8/partisan.htm#_ftn4
[26] https://fr.internationalism.org/rinte8/partisan.htm#_ftn5
[27] https://fr.internationalism.org/rinte8/partisan.htm#_ftn6
[28] https://fr.internationalism.org/rinte8/partisan.htm#_ftnref1
[29] https://fr.internationalism.org/rinte8/partisan.htm#_ftnref2
[30] https://fr.internationalism.org/rinte8/partisan.htm#_ftnref3
[31] https://fr.internationalism.org/rinte8/partisan.htm#_ftnref4
[32] https://fr.internationalism.org/rinte8/partisan.htm#_ftnref5
[33] https://fr.internationalism.org/rinte8/partisan.htm#_ftnref6
[34] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/gauche-italienne
[35] https://fr.internationalism.org/tag/evenements-historiques/deuxieme-guerre-mondiale
[36] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/battaglia-comunista
[37] https://fr.internationalism.org/rinte8/combate#_ftn1
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[39] https://fr.internationalism.org/tag/5/43/portugal
[40] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/influence-gauche-communiste