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Trois mois s'étaient à peine écoulés depuis que le prolétariat russe avait détruit l'appareil d'Etat bourgeois que déjà son parti de classe connaissait une des crises les plus importantes de son histoire. Lénine lui-même, président du premier conseil des commissaires du peuple, fut dans un premier temps mis en minorité, avant de rallier Trotsky à sa position. La question si grave qui, alors, divisa le parti bolchevik, avant-garde du prolétariat mondial, fer de lance de la révolution internationale, n’était rien de moins que la question du rapport de la toute jeune république des soviets avec la guerre impérialiste qui ravageait alors l’Europe.
Jusqu'à la révolution d'Octobre, la Russie avait été partie prenante de 1‘"Entente" (fraction impérialiste qui regroupait aussi l'Angleterre et la France) dans la guerre de rapines qui l'opposait aux Empires Centraux (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie). Après le mouvement de février qui détrôna le tsar, le nouveau gouvernement de la Russie, avec à sa tête Kerenski, s'appuie sur l'Entente en lui promettant l'exécution des traités. L'armée russe, composée de paysans dans son immense majorité, est de plus en plus sensible à la propagande bolchevique qui réclame la paix. En s’appuyant sur la forteresse ouvrière de Petrograd et sur l'armée démoralisée, vaincue, qui aspire à la fin de la guerre, le parti bolchevik en Russie met en pratique la "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile", selon la vieille formulation de Lénine à Zimmerwald, et contribue par-là à l'apparition du premier pouvoir des Conseils Ouvriers dans le monde, en octobre 1917. Dès le lendemain de l'insurrection, le 2ème Congrès des Soviets rompt catégoriquement avec la politique de guerre des alliés de la vieille Russie.
La question du front contre les Empires Centraux restait à régler. Les alliés, attendant l'aide américaine, faisaient tout pour prolonger les opérations de guerre sur le front russe.
Les Empires Centraux voulaient s'en libérer pour vaincre les alliés avant que n'interviennent les Etats-Unis. La Révolution Russe devait éviter de faire le jeu de l'un ou de l'autre impérialisme, tout en favorisant au mieux l'explosion de la Révolution Internationale.
Les 3 positions bolchéviques
La légende entretenue par les staliniens oppose radicalement Trotsky et Lénine sur la question du traité de Brest-Litovsk. Rien n'est plus faux, car sur les deux principales questions qui sont alors débattues (Io: possibilité d'une guerre révolutionnaire immédiate; 2°: possibilité d'un accord avec les impérialistes) il y a un accord "total et intégral" entre les deux révolutionnaires contre Boukharine, leader des "communistes de gauche", partisans de la guerre révolutionnaire immédiate pour élargir la révolution, et qui considéraient tout traité de paix comme une "flétrissure".
L'opposition entre Lénine et Trotsky se fait sur un point: comment signer la paix. D'accord avec Trotsky, Lénine est partisan d'engager les pourparlers de paix avec les Empires Centraux à Brest-Litovsk, en les faisant traîner en longueur et en les utilisant pour l'agitation. Compte-tenu du fait que l'armée existante est un corps malade de l'ancien Etat, que toute offensive allemande mettrait la République des Soviets dans un état cri tique, il rédige, dès le 21 janvier 18, "21 thèses sur la conclusion immédiate d'une paix séparée et annexionniste" (contribution à l'histoire d'une paix malheureuse) où il met en avant la désagrégation du front et de l'économie, la nécessité d'écraser les classes exploiteuses déjà privées du pouvoir, la nécessité impérieuse, en l'absence de révolution en Allemagne, de créer "la base économique solide d'une puissante Armée Rouge", "afin de préparer la guerre révolutionnaire". La conclusion qu'en tire Lénine, c'est qu'il faut signer la paix dès que l'ultimatum sera présenté, afin d'obtenir le "répit" nécessaire à cette tâche.
NI GUERRE, NI PAIX
Trotsky s'oppose à la signature immédiate de la paix. Il "estimait nécessaire de conduire les pourparlers à une rupture, même en courant le danger d'une nouvelle offensive de l'Allemagne, afin de pouvoir capituler -le cas échéant- devant un emploi évident de la force"
("Ma Vie"). Pour en finir avec les bruits qui couraient d'après lesquels les bolcheviks auraient été de connivence avec le gouvernement allemand, avant de signer une paix séparée, il était indispensable "de donner, coûte que coûte, aux ouvriers d'Europe, une preuve éclatante et incontestable de la haine mortelle qui existait entre nous et les gouvernements de l'Allemagne."
GUERRE REVOLUTIONNAIRE
Les "communistes de gauche" ne croyaient pas à la possibilité de la paix. Pour Boukharine par exemple, les perspectives de paix étaient "inexistantes" et "illusoires", "impossibles" pour Kollontaï.
La foi aveugle en la victoire, grâce aux convictions socialistes des partisans et par la suite à "la nature sociale de la nouvelle armée en voie de mobilisation", rut aussi dans un premier temps la caractéristique de la "gauche". "Si la révolution russe ne fléchit pas elle-même, personne ne la matera ni ne la brisera". "La grande république des soviets... ne peut pas périr" (Radek). "Quand les masses auront vu l'offensive allemande à l'œuvre, ... une vraie guerre sainte commencera " (Boukharine). La guerre révolutionnaire était à l'ordre du jour.
Les partisans de Boukharine virent dans la position de Trotsky un pas fait dans leur direction, et donc, dans un premier temps, fut adoptée la position de "ni guerre, ni paix": laisser traîner en longueur les pourparlers; en cas d'ultimatum, refuser de signer la paix.
Les pourparlers de paix furent interrompus le 10 février. Trotsky y fit un bref discours, exclusivement destiné à la propagande, qui dénonça la guerre “provoquée par l'esprit de lucre et de domination des classes dirigeantes... Mous ne voulons plus participer à cette guerre purement impérialiste... Nous considérons avec la même intransigeance les impérialismes des deux parties... Nous démobilisons notre armée. Nous refusons de signer une paix d'annexions. Nous déclarons l'état de guerre entre les Empires Centraux et la Russie, terminé."
Le 18 février, l'armée allemande passa à l'offensive sur tout le front.
Les nouvelles conditions de paix étaient catastrophiques: la Russie devait abandonner la Pologne, la Lithuanie l'Estonie, l'Ukraine et la Finlande. La République des Soviets fut forcée de signer, dans les termes qu'utilisa Sokolni- kov le 3 mars à Brest-Litovsk: "Nous sommes ici pour signer une paix qu'on nous impose par la violence. La paix que nous signons nous est dictée les armes à la main... Nous déclinons toute discussion comme inutile."
Le VIIème Congrès, destiné à trancher définitivement la question de la paix de Brest-Litovsk, fut le théâtre de l'affrontement entre Lénine et les "communistes de gauche" qui y devinrent minoritaires. Ceux-ci avaient publié peu auparavant une motion de défiance au Comité Central, accompagnée d'un texte explicatif qui affirmait: "... dans l'intérêt de la révolution internationale, nous estimons opportun de courir le risque de la perte éventuelle du pouvoir des soviets...". Nous sommes là bien loin de l'enthousiasme guerrier qui caractérisa les débuts de la gauche. La défaite possible est admise et même prévue, dans l'intérêt de la révolution mondiale. Les espoirs sur la "guerre sainte" ont disparu à la première offensive allemande. A ce point, la "gauche" défend sa position non plus sur une perspective (la guerre révolutionnaire) mais sur un "principe": si le pouvoir des soviets signe la paix avec un impérialisme, "il devient purement formel".
Dans un article intitulé "chose étrange et monstrueuse", Lénine, après avoir mis ce fait en évidence, remercie la gauche, d'une part d'avoir rompu le silence sur le fond de son argumentation, à savoir "les conditions de la guerre au cas où nous l'accepterions tout de suite", et d'autre part de reconnaître la justesse de l'argument concret: "oui, nous irions à la défaite si nous acceptions aujourd'hui le combat contre l'Allemagne". Il estime que si la révolution avait déjà commencé en Allemagne, "il serait non seulement "opportun", mais absolument obligatoire d'accepter la défaite et la perte éventuelle du pouvoir des soviets", en "détournant une partie des forces de la contre-révolution allemande". Mais la raison de la paix de Brest-Litovsk, c'est que "la révolution européenne a osé se mettre en retard", et "l'impérialisme allemand a osé prendre l'offensive!"
Dans ce contexte, "rien ne peut porter maintenant un coup plus rude à la cause du socialisme que la chute du pouvoir des soviets" affirme le comité central. Lénine ajoute: "nous détournerions du socialisme les grandes masses de prolétaires et semi-prolétaires d'Allemagne (...) que l'anéantissement de la Russie des soviets effraierait, comme celui de la Commune effraya les ouvriers anglais en 1871."
La majorité du Congrès se prononça pour l'orientation de Lénine, signer la paix pour "préparer la guerre révolutionnaire", pour le jour où éclatera la lutte finale; "cette lutte n'éclatera que lorsque la révolution socialiste embrasera les pays impérialistes avancés" (Lénine: "Une leçon dure mais nécessaire"). "S'il est incontestable que toutes les difficultés de notre révolution ne seront surmontées que lorsque viendra à maturité la révolution socialiste mondiale... il est absurde d'affirmer (en escamotant nos difficultés concrètes): je mise sur le mouvement socialiste international, je peux faire n'importe quelle bêtise", déclare Lénine le 7 mars dans son "Rapport sur la guerre et la paix".
"La phrase révolutionnaire est la répétition de mots d'ordre sans rapport avec les circonstances objectives d'un moment. Des mots d'ordre excellents, enivrants, mais dépourvus de base, en voilà l'essence" ("Sur la phrase"). "Il ne faut pas transformer en phrase ce grand mot d'ordre: nous misons sur la victoire du socialisme en Europe". En d'autres termes, il n'était pas question que la "phrase révolutionnaire" en finisse avec la révolution.
Après la fin de l'été 18, plus personne ne revint sur la question de Brest-Litovsk et ne mit en doute le bien-fondé de l'essentiel de la politique du parti bolchevik. Personne n'en fait plus une question de principe. Il aura fallu attendre soixante ans pour voir Guy Sabatier se faire l'écho de la "gauche". La phrase révolutionnaire, disait Lénine, est tenace comme la gale.
La préoccupation qui est à la base de la brochure de Guy Sabatier ("Traité de Brest-Litovsk 1918, coup d'arrêt à la révolution", éditions Spartacus) est de montrer qu'il y a une rupture de continuité entre les bolcheviks avant et après 17. Il marque cette rupture à la prise du pouvoir. Par là même, il entend démontrer qu'il y a continuité entre les bolcheviks d'Octobre et le stalinisme.
Il bloque l'histoire de toute la vague révolutionnaire qui devient ainsi simplement l'histoire de la contre-révolution, avec à sa tête, le parti bolchevik.
Si nous voyons une rupture, quant à nous, c'est bien entre le bolchevisme et le stalinisme. Mais c'est aussi d'un certain point de vue dans le changement politique fondamental effectué par les bolcheviks entre 1905 et 191/. tn 1905, toute leur analyse est fondée sur le fait que la révolution à venir en Russie sera une "révolution démocratique bourgeoise", que le prolétariat devra pousser jusqu'au bout.
En 1914, avec le déclenchement de la guerre, c'est ce parti qui comprend l'entrée du système dans sa phase de décadence, posant l'alternative de la révolution prolétarienne.
En 1917, c'est cette compréhension quant à la nature de la période et de la révolution russe qui se concrétise dans les thèses d'avril de Lénine, thèses qui dénoncent tout appui et toute alliance avec la bourgeoisie, qui voit dans la révolution russe le point de départ de la révolution mondiale. A partir de ce moment, toutes les questions qui sont débattues en Russie le sont par rapport à comment favoriser le développement de la révolution mondiale?
Par conséquent, Sabatier se trompe. Il déforme, sciemment ou non, ce qu'était le parti bolchevik au lendemain de la prise du pouvoir. Pour ce faire, il prend tous les faits épars qui lui conviennent et procède par amalgame, de façon à appuyer sa thèse: "le parti bolchevik était un parti nationaliste attaché à la défense du capital national".
Ce n'est pas par hasard si ses commentaires sur le KAPD et la création de l'Internationale sont tronqués; s'il fait dire à Rosa Luxembourg que Lénine sacrifie la révolution allemande pour la défense de l'Etat russe. Ce n'est pas par hasard si au passage il signale innocemment que certains -en fait Kerensky et les contre-révolutionnaires- "assuraient que les bolcheviks avaient touché de l'argent de l'Allemagne".
Lorsque Sabatier cite Luxembourg, c'est à la manière des socialistes de gauche.
Il ne cite pas vraiment. Ainsi on ne voit pas l'apport réel de Rosa, on voit une "anti-bolchevik de tous temps". En fait, Rosa commence d'abord par défendre les bolcheviks, à délimiter leur activité dans le camp de la révolution, activité à laquelle elle rend hommage. Elle met en avant le fait que c'est l'absence de réaction du prolétariat international, du prolétariat allemand en particulier, qui est responsable de Brest-Litovsk. Elle parle de la gravité du problème historique posé par Brest-Litovsk, elle ne parle jamais de "ne pas reculer" et ne cache pas l'état de décomposition de l'armée russe. Elle ne prend position contre cette paix que parce qu'il lui semble qu'elle est une erreur: selon elle, cette paix va renforcer le militarisme allemand et dérouter les prolétaires à l'étranger.
Rosa ne cède pas à la "phrase", elle ne fait pas un "principe" de la mort les armes à la main, comme le font les communistes de gauche dans le feu de l'action et Sabatier dans le feu de sa phrase.
Deux mois après avoir exprimé ses craintes, les surgissements révolutionnaires en Allemagne leur enlevaient toute valeur. Brest-Litovsk n'avait pas été un frein. Karl Liebknecht, qui avait partagé en son temps la position de Rosa, avouait: "Il faut avant tout une chose aux soviets de Russie, .... et il ne s'agit pas de manifestations ou de décors, mais d'une force rigide. A cette fin, ... il faut de l'intelligence et du temps, -de l'intelligence pour gagner de ce temps qui est indispensable à la plus grande énergie."
C'est ainsi que les critiques non phraseurs reconnurent la justesse de la politique de Lénine à Brest-Litovsk, qui avant tout visa à gagner du temps, pour mieux pouvoir aider la révolution internationale.
Moro.
Mars. 78, c’était l’espérance, pour beaucoup, que si la gauche parvenait au pouvoir, enfin « tout allait changer » ! L’espérance était la même, en mai 36, quand les élections législatives donnèrent la majorité à la gauche.
Alors, voyons la suite. Le 4 juin, les partis unis de la gauche forment le gouvernement de Front Populaire. La bourgeoisie n’a pas trouvé d’autre moyen, en effet, pour essayer d’en finir avec le mouvement de grèves qui paralyse le pays. Le président Lebrun supplie Blum de lancer un appel aux ouvriers par radio : « Dites-leur que le parlement va se réunir, que, dès qu’il sera réuni, vous allez lui demander le vote rapide et sans délai des lois (sociales)... ils vous croirons... et alors, peut-être le mouvement s’arrêtera-t-il ? » Car le but est bien là. Le 7, les entretiens entre la Confédération Générale du patronat français et la CGT, en présence de Blum, représentant le gouvernement, aboutissent à la signature des accords Matignon qui sont censés donner des avantages au prolétariat.
Le lendemain, les journaux « de gauche » publient l’accord en criant à la victoire et au triomphe. Quelle est donc cette victoire ? Quels sont ces acquis pour le prolétariat ?... « La délégation patronale admet l’établissement immédiat de contrats collectifs de travail... » « Liberté... d’adhérer librement... à un syndicat professionnel ». « Les salaires réels pratiqués... réajustés... » Promesse de « ...négociations pour la fixation par contrat collectif de salaires minima, par région et par catégorie... » « ...dans chaque établissement employant plus de 10 ouvriers, après accord entre organisations syndicales ou, à défaut, entre les intéressés, il sera institué deux titulaires ou plusieurs délégués ouvriers... » en vue « ...de présenter à la direction les réclamations individuelles qui n’auraient pas été directement satisfaites. » et, en conclusion : « la délégation confédérale ouvrière demandera aux travailleurs en grève de décider la reprise du travail dès que la direction des établissements aura accepté l’accord intervenu et dès que les pourparlers relatifs à son application auront été engagés entre les directions et le personnel des établissements ».
Paris, le 7 juin 36. Les ouvriers, moins impressionnés par ces accords que les journaux « de gauche », tardent à reprendre le travail. C’est alors, le 11 juin, le célèbre discours de Thorez qui deviendra le refrain, dans la bouche des Jouhaux, Cachin, Duclos et consorts pour faire reprendre le travail : »...il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue. Il faut même savoir consentir au compromis si toutes les revendications n’ont pas encore été acceptées mais que l’on a obtenu la victoire sur les plus essentielles revendications ». Et, pour hâter la reprise du travail, seront alors ajoutées les fameuses lois sociales du 21 juin 36 :
• les 40 heures : « ...la durée du travail effectif des ouvriers et employés de l’un et de l’autre sexe et de tout âge ne peut excéder 40 heures par semaine », et cela, sans réduction de salaire ;
• les congés payés d’une durée de deux semaines pour tous les travailleurs.
Devant ce qui apparaît comme des acquis, la lutte s’effrite puis finit par s’arrêter. Mais, à partir du moment où le prolétariat arrête sa lutte, cela signifie, en période de décadence, que la bourgeoisie entame la reconquête du terrain momentanément concédé.
Voyons plus loin, en effet. Qu’en est-il, de cette soi-disant victoire dont parle Thorez ?
Non seulement, grâce au syndicat, elles tentent d’enfermer la lutte du prolétariat dans un cadre légal, mais, en plus, sanctionnant le reflux de la lutte, une loi vient s’ajouter, dès décembre 36, aboutissant, au terme de son évolution à la loi du 4 mars 38, rendant « l’arbitrage » obligatoire en cas de conflit, ce qui vaut aux métallos par exemple, l’énorme avantage, désormais, d’être obligés à « un délai d’une semaine franche avant de recourir à la grève ». Le syndicat fera respecter l’esprit d’arbitrage. Avant même qu’il soit rendu obligatoire, le syndicaliste Jouhaux se déclarait « satisfait des résultats des arbitrages » même si « l’arbitrage ne peut apporter 100 % de satisfaction aux travailleurs »! Et si, en 36, notre PC national élevait la voix par rapport à cela... c’est parce que la classe ouvrière n’était pas encore tout à fait battue ; il fallait donc mettre des nuances pour pouvoir arriver en 38 à la déclaration de Croizat -député communiste- à la Chambre : « La classe ouvrière veut l’ordre. La grève n’est pour elle qu’une ultime nécessité qui lui est imposée par l’arbitraire patronal. La classe ouvrière applaudira si nous lui donnons les moyens de suppléer S la grève... » Un acquis ? Oh oui ! mais pour l’Etat qui a enfin compris que le syndicat lui est un précieux auxiliaire qui lui permet de développer sa présence policière jusque dans les usines ! N’est-ce pas le syndicat qui aura sans cesse prêché l’ordre, la sagesse et l’esprit de conciliation aux prolétaires en lutte lorsqu’il répétait par la bouche de la CGT sur tous les airs ce même refrain : que le mouvement doit rester « paisible, ordonné et propre (sic!!)... » et encore quand il invitait « les délégués de toutes les entreprises encore en grève à redoubler d’activité en vue de la conclusion d’accords... et de faire preuve de l’esprit de conciliation... ! » ‘ -
Quand la décadence du capital, dans sa phase de crise mortelle, impose à l’Etat de préparer sa seule issue : la guerre, l’Etat, plus que jamais, se voit contraint de contrôler toute la société pour orienter vers elle toutes ses énergies. C’est le syndicat, dans l’usine (nous le verrons plus loin), qui se chargera de cette besogne. Une victoire alors ? Oh oui ! pour l’Etat, puisqu’il se renforce face à son ennemi, le prolétariat.
Autre grande victoire ! Suite aux grèves de mai-juin, les métallos parisiens, par exemple, obtiennent une augmentation de 22 % environ. Pendant les six derniers mois de 36, les salaires restent inchangés, malgré une hausse du coût de la vie de l’ordre de 25 %. En mars 37, suite à deux réajustements, les salaires se trouvent augmentés de 12,84 %. Les salaires ne sont plus modifiés jusqu’à la fin d’octobre 37. Or, à ce moment-là, la hausse du coût de la vie depuis juin 36 atteint : 50 % ! Dans le meilleur des cas, les augmentations de salaire acquises sont réduites à néant : la vérité, c’est qu’il n’y a plus d’augmentation réelle possible ; elle est mangée immédiatement par la hausse des prix. Alors, pour qui la victoire ?
Les plus cyniques osent dire : « juridiquement » cela n’a jamais pu être aboli! Laissons le droit et regardons les faits.
-un décret général du 21 décembre 37 stipule la récupération des heures perdues dans les industries souffrant de morte saison. « Cela est valable dans le industries et commerces assujettis à la loi de 40 heures. »
-et encore... autorisation d’heures supplémentaires dans les secteurs essentiels de la vie économique : dès le 29 juillet 37, par arrêté, cela concerne les mines de fer, et, le 21 décembre 37 les mines de charbon. On institue même un Comité d’Enquête sur la productivité du travail, à l’initiative... de la CGT bien sûr! Mais rassurez-vous, c’est uniquement pour démontrer le caractère calomnieux des affirmations patronales sur les baisses de rendement. Le travail de ce comité trouve son heureux aboutissement dans « l’assouplissement » (!) des premiers décrets et instaure des dérogations supplémentaires... pour les industries intéressant la défense nationale. La CGT prépare la guerre.
-Le 21 décembre, une autre dérogation, toujours exceptionnelle, pour les industries souffrant d’une insuffisance de main d’oeuvre qualifiée. Les décrets de novembre et décembre 38 verront l’institution de sanctions contre les refus d’heures supplémentaires! (cela est encore valable). Enfin nous touchons au but : le décret du 21 avril 39 supprime les majorations de salaires pour les heures comprises entre la 40ème et la 45ème heure!
C’est une victoire en effet, un triomphe... mais pour la bourgeoisie de droite et de gauche qui prépare sa guerre.
-Mais il reste les deux semaines de congés payés. Que représentent-elles? Peu de temps après la promulgation des premiers décrets, le patronat réclame la récupération des fêtes de Noël et du 1er de l’An. Le gouvernement, « de gauche » appuie la demande. Les syndicats recommandent à leurs adhérents d’accepter cette récupération qui doit se limiter, paraît-il, à ces deux jours fériés. En fait, la récupération sera étendue à toutes les fêtes légales et même aux fêtes locales. C’est environ 80 heures de travail supplémentaire par an qui sera ainsi récupéré. Faisons le compte, cela fait exactement deux semaines, les deux semaines de congés payés.
Par ailleurs, il est à noter que ces fameux congés payés, sous une forme ou sous une autre, ont été accordés à la même époque dans la plupart des pays développés, sans qu’il y ait eu forcément de luttes ouvrières pour les amener. C’est qu’outre le fait qu’il est possible au capital de les récupérer sous un autre biais, ces congés ne font que prendre en compte la nécessité absolue de repos supplémentaire en vue de la reconstitution de la force de travail de plus en plus exploitée. Nécessité absolue pour chaque capital national s’il veut conserver des ouvriers « rentables » face à l’accentuation des cadences pour produire au plus bas prix et tenter de rester commercial sur un marché international qui a atteint ses limites.
Une victoire ? Qui aura encore le cynisme de parler de victoire ?
Ainsi, la deuxième guerre impérialiste qui se prépare depuis 1930 peut enfin arriver à terme grâce à la gauche et au syndicat qui auront réussi à démoraliser, mystifier, diviser et vaincre la classe ouvrière. La « gauche » sera fière d’avoir réussi, elle le proclamera, les uns vantant la méthode, c’est Blum quand il déclare : « il faut noter qu’au point de vue de l’ordre public, cette forme de grèves a d’incontestables avantages. Les ouvriers occupent l’usine, mais il est vrai que l’usine occupait les ouvriers. Les ouvriers étaient là et pas ailleurs. Ils n’étaient pas dans la rue. Au moment où ils étaient tous groupés dans l’usine, ils ne formaient pas ces cortèges avec des chants, des drapeaux rouges, qui viennent se heurter aux barrages de police... ». Et oui, enfermés dans les usines, quand ils les occupaient, les ouvriers ne menaçaient pas l’Etat. Les autres vantent l’esprit qui les anime et c’est le PC qui conclue : « Les communistes ont manifesté leur volonté inébranlable de défendre le pays en votant les crédits de défense nationale... sur le champ de bataille, des communistes soldats ont déjà versé leur sang ».
Il y a effectivement de quoi être fier d’avoir contribué à l’accomplissement d’une telle oeuvre, la survie du capital : la 2ème boucherie mondiale fera 55 millions de morts...
Les prolétaires doivent en tirer les leçons.
Comme dans les années 30, le capital est mondialement en crise, et une crise de plus en plus aiguë.
Le capital ne survit plus que dans un cycle infernal de crise, guerre, reconstruction, crise...
Comme dans les années 30, l’heure de la gauche au pouvoir se précise avec aussi un programme qui, lui aussi, promet d’accorder les 40 heures,les loisirs, davantage de congés payés, le SMIC à 2400 F et des augmentations de salaires
Plusieurs leçons doivent être tirées, Nous n’en soulignerons qu’une, mais qui est d’importance, capitale pour le prolétariat : étant définitivement entré dans sa phase de décadence, le capital ne peut plus accorder aucun avantage important et durable ! Le prolétariat ne peut plus espérer, comme au 19ème siècle, s’aménager une place moins mauvaise dans le capital. La seule alternative désormais est : guerre ou révolution. La sinistre mascarade de la gauche au pouvoir et des soi-disant avantages acquis sont là pour l’illustrer. Tous ceux, depuis la gauche, les syndicats et les gauchistes de tout poil qui avec un langage qui se veut ouvrier et plus ou moins radical parlent des acquis de 36 sont les ennemis mortels de la classe, aujourd’hui et demain.
En 36, mondialement, la classe ouvrière était faible. Elle se relevait d’une défaite sanglante, celle de la vague révolutionnaire des années 17-23. Mais, demain, quand la lutte se généralisera, à l’inverse des années 30, c’est un prolétariat ayant refait le plein de ses forces physiques et fort des leçons de ses défaites qui se dressera contre toute cette racaille : syndicats, gauche et extrême-gauche, les démasquant pour ce qu’ils sont : les meilleurs défenseurs du capital.
A.B.
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_48.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/revolution-russe
[3] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/france
[4] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france
[5] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/gauchisme