Depuis plus d'un an et demi, le prolétariat mondial - et notamment celui d'Europe occidentale - a repris le chemin des affrontements de classe qu'il avait momentanément abandonné en 1981 lors de la défaite concrétisée par l'état de guerre en Pologne. Cette reprise est maintenant reconnue par la plupart des groupes politiques du milieu révolutionnaire, mais cette reconnaissance a souvent été tardive. En effet, il a fallu l'accumulation de toute une série de mouvements en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne notamment, pour que des groupes comme "Battaglia Comunista" ([1] [1]) ou la "Communi'st Workers' Organisation" ([2] [2]) reconnaissent enfin un nouveau surgissement des combats de classe après le repli des années 1981-82. Quant à certains groupes comme "L'association pour la Communauté Humaine Mondiale" ([3] [3]) (anciennement "Groupe Volonté Communiste") qui avaient éprouvé les plus grandes difficultés à reconnaître le recul et la défaite de 1981, ils sont tout aussi incapables de reconnaître aujourd'hui la reprise des luttes. Pour sa part le CCI a été parmi les premiers à mettre en évidence cette reprise, de même qu'il avait été capable en 1981 de rendre compte du recul. Ce constat n'a pas pour but de vanter les mérites de notre organisation en faisant ressortir les faiblesses des autres organisations du milieu communiste. Nous avons, à de nombreuses reprises, fait la preuve que nous ne concevons pas nos rapports avec celles-ci en termes de "fottenti" et "fottuti" ([4] [4]) suivant les termes de 1'ex-"Programma Comunista" c'est-à-dire en termes de concurrence et de rivalité. Ce qui nous intéresse au premier chef, c'est la plus grande clarté parmi les groupes révolutionnaires afin que l'influence qu'ils exercent et exerceront dans 1'ensemble du prolétariat soit la plus positive possible, qu'elle corresponde pleinement aux tâches pour lesquelles celui-ci les a fait surgir en son sein : être un facteur actif dans le développement de sa prise de conscience. Le but de cet article est donc de poursuivre le travail que nous avions entrepris dans le n.39 de la Revue Internationale ("Quelle méthode pour comprendre la reprise des luttes ouvrières ?") : mettre en évidence le cadre qui seul permet de rendre compte de 1'évolution présente des combats de classe et d'en tracer les perspectives. En d'autres termes, dégager une série d'éléments d'analyse indispensables aux organisations communistes pour être à la hauteur de leurs responsabilités dans la classe, éléments que beaucoup d'organisations repoussent avec obstination ou n'acceptent que du bout des lèvres.
Bien avant la formation du CCI en 1975, les groupes qui allaient le constituer ont basé leur plateforme et leur analyse générale de la période historique actuelle sur deux éléments essentiels (outre, évidemment, la revendication d'une série d'acquis programmatiques qui étaient le patrimoine commun de la gauche communiste issue de la 3ème Internationale dégénérescente) ([5] [5]) :
- la reconnaissance du caractère décadent depuis la 1ère guerre mondiale du mode de production capitaliste;
- la reconnaissance du cours historique ouvert par l'entrée du capitalisme dans une nouvelle crise aiguë à la fin des années 60, non comme un cours à la guerre généralisée semblable à celui des années 30, mais comme un cours aux affrontements de classe généralisés.
Depuis sa constitution, le CCI -comme il revient de le faire à toute organisation révolutionnaire vivante- a poursuivi l'élaboration de ses analyses et a notamment mis en évidence les trois éléments suivants :
- le fait que la révolution prolétarienne ne pouvant, à l'image des révolutions bourgeoises, se dérouler à des moments différents entre les divers pays, serait le résultat d'un processus de généralisation mondiale des luttes ouvrières, processus pour lequel les conditions présentes de développement d'une crise générale et irrémédiable de l'économie capitaliste étaient bien plus favorables que celles - données par la guerre impérialiste- qui avaient présidé au surgissement de la vague révolutionnaire de 1917-23. ([6] [6])
- l'importance décisive des pays centraux du capitalisme, et particulièrement ceux d'Europe occidentale, dans ce processus de généralisation mondiale des combats de classe ([7] [7]).
- l'utilisation dès la fin des années 70 par la bourgeoisie des pays avancés de la carte de la "gauche dans l'opposition" destinée, à travers un langage "radical", à saboter de l'intérieur les combats de classe que l'aggravation inexorable de la crise fait et fera de plus en plus surgir. ([8] [8])
Pour le CCI, l'élaboration de ces analyses n'est nullement un "luxe", une façon "d'être incapable d'affronter la raison d'être de son existence et de son activité, d'être forcé de développer une vie irréelle tournant autour de débats 'nominalistes ' [?] et scholastiques... de rationaliser son inertie" carme le prétend le CWO dans "Workers' Voice" n°17. Au contraire, c'est ce qui a permis à notre organisation d'évaluer correctement le rapport de forces entre les classes - condition élémentaire d'une intervention correcte au sein du prolétariat - comme nous allons le mettre en évidence.
L'ANALYSE DE LA DECADENCE DU CAPITALISME
Tout comme le CCI, les différents groupes évoqués ("Battaglia", CWO et "Volonté Communiste") se réclament de cette analyse (contrairement au courant bordiguiste "pur" qui, pour sa part, rejette ce qui constituait pourtant une position essentielle de l'Internationale Communiste). Cependant, il ne suffit pas d'admettre que depuis la première guerre mondiale le capitalisme est entré dans sa phase de décadence pour en dégager automatiquement toutes les implications. Celles-ci sont nombreuses et ont été examinées à de multiples reprises par notre organisation, notamment dans l'article de la Revue Internationale n°23 : "La lutte du prolétariat dans li décadence du capitalisme". Nous n’évoquerons ici que les plus utiles pour comprendre l'évolution du rapport de forces entre les classes ces cinq dernières années :
- les cours en dents de scie des luttes ouvrières ;
- l'utilisation de la répression par la bourgeoisie ;
- le rôle du syndicalisme ;
a- Le cours en dents de scie des luttes ouvrières.
Depuis qu'il a été magistralement décrit par Marx dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, ce cours en dents de scie de la lutte du prolétariat a souvent été mis en évidence par les révolutionnaires, notamment par Rosa Luxemburg dans son dernier article ("L'ordre règne à Berlin ! "). Il "est lié au fait que, contrairement aux autres classes révolutionnaires du passé, la classe ouvrière ne dispose d'aucune assise économique dans la société Ses seules forces étant sa conscience et son organisation constamment menacées par la pression de la société bourgeoise, chacun de ses faux pas ne se traduit pas par un simple coup d'arrêt de son mouvement mais par un reflux qui vient terrasser 1'une et 1'autre et la plonge dans la démoralisation et 1'atomisation.
Ce phénomène est encore accentué par 1'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence dans laquelle la classe ouvrière ne peut plus se donner d'organisation permanente basée sur la défense de ses intérêts comme classe exploitée comme pouvaient 1'être les syndicats au siècle dernier." (Revue Internationale n°8, décembre 1976, "La situation politique internationale", point 25).
C'est armé de cette vision que le CCI a pu rendre compte du surgissement historique du prolétariat à la fin des années 60 après plus de 40 ans de contre-révolution. Il n'a pas considéré que cette reprise devait s'exprimer par un développement continu des luttes ouvrières mais par une succession de vagues de luttes (1968-74, 1978-80, 1983-?) atteignant chacune un point plus élevé mais entrecoupées par des périodes de recul. Chaque fois que s'annonçait une nouvelle vague de combats ouvriers le CCI (ou, avant sa formation, les groupes qui allaient le constituer) l'a reconnue rapidement : -"Internationalismo" (seul groupe existant à l'époque) des; Janvier 68 (cf. l'article du n°8 cité dans la Revue Internationale n°40,"10 ans du CCI")
- la "Revue Internationale" n°17 (2ème trimestre 1979), "Longwy, Denain : nous montrent le chemin" où l'on peut lire : "On commettrait une lourde erreur si on voyait dans ces affrontements simultanés fin 78 en RFA, début 79 en Grande-Bretagne, Espagne, Brésil] de simples escarmouches prolongeant la vague de luttes de 1968-73. Nous devons savoir reconnaître dans cette simultanéité et cet te combativité les premiers signes d'un mouvement plus vaste, en train de mûrir... Cette reprise de la lutte de classe, ces symptômes d'une nouvelle vague de combats, nous la voyons se dérouler sous nos yeux."
- la "Revue Internationale" n°36 (1er trimestre 84), "Conflits inter-impérialistes, lutte de classe : l'histoire s'accélère", qui écrit : "... après un creux réel au lendemain de la défaite en Pologne, les grèves qui se déroulent depuis quelques mois en Europe sont significatives d'une reprise des combats de classe ; elles viennent confirmer que le prolétariat, loin d'être vaincu, garde intact son potentiel de combativité et qu'il est prêt à s'exprimer avec ampleur." (article écrit en décembre 83).
De la même façon, lorsque se précisait un recul de la lutte de classe, notre organisation n'a pas eu peur de le relever tant à la suite de la première vague qu'à la suite de la deuxième.
Ainsi, dès le 1er Congrès du CCI en janvier 76, il était constaté que "Une accalmie s'est momentanément installée sur le champ de bataille de classe pendant laquelle le prolétariat assimile les leçons de sa lutte récente..." ("Rapport sur la situation internationale", Revue Internationale n°5, p.27), idée qui était précisée quelques mois après en ces termes : "... si contrairement aux années 30 la perspective générale n'est pas guerre impérialiste mais guerre de classe, il faut constater que la situation présente se distingue par 1'existence d'un grand décalage entre le niveau de la crise économique et politique et le niveau de la lutte de classe... Ce n'est donc pas seulement de stagnation de la lutte de classe dont il faut parler mais bien d'un repli de celle-ci..." (Revue Internationale n°8, "La situation politique internationale", point 23).
De même en 1981, alors que se poursuivaient en Pologne les affrontements de classe, le CCI relevait déjà le rétablissement par le capitalisme polonais d'une "situation longtemps compromise. Non sur le plan économique : la situation est pire que jamais. . . mais sur le plan politique. Sur le plan de son aptitude à imposer aux prolétaires des conditions de misère bien pires qu'en août 80 sans que ceux-ci soient capables d'y opposer une riposte à la hauteur des grèves de cette époque.
Cette reconstitution des forces de la bourgeoisie n'a pu se faire que par un recul progressif de la classe ouvrière. Ce recul était normal et prévisible. Il ne pouvait en être autrement après le haut niveau des luttes du mois d'août 80 et en l'absence d'un développement significatif de la lutte de classe dans les autres pays." (Révolution Internationale n°89, "Pologne : la nécessité de la lutte dans les autres pays", 30/8/81).
Cette analyse allait être explicitée après le coup de force de décembre 81 dans les termes suivants : "Avec l'instauration de l'état de guerre en Pologne, le prolétariat a subi une défaite ; il serait illusoire et même dangereux de se le cacher. Seuls des aveugles ou des inconscients peuvent prétendre le contraire. . .
C'est... fondamentalement une défaite parce que ce coup de force atteint le prolétariat de tous les pays sous forme de démoralisation et surtout d'une réelle désorientât ion, d'un déboussolement certain face aux campagnes déchaînées par la bourgeoisie depuis le 13 décembre 81 et prenant le relais de celles d'avant cette date.
Cette défaite, le prolétariat mondial 1 'a subie dès lors que le capitalisme, d'une façon concertée, est parvenu à isoler le prolétariat de Pologne du reste du prolétariat mondial, à l'enfermer idéologiquement dans le cadre de ses frontières de bloc (...) et nationales (...) ; dès lors qu'il est parvenu, grâce à tous les moyens dont il dispose, à faire des ouvriers des autres pays des SPECTATEURS, inquiets, certes, mais PASSIFS, à les détourner de la seule forme que peut avoir la solidarité de classe : la généralisation de leurs luttes dans tous les pays. . ." (Revue Internationale n°29, "Après la répression en Pologne, perspectives des luttes de classe mondiales"/ 12/3/82).
Parce que le CCI avait fait sien un des enseignements classiques du marxisme, enseignement qu'il avait complété à la lumière des conditions créées par la décadence du capitalisme, il a pu s'éviter l'aveuglement qui a frappé d'autres groupes révolutionnaires. Il a pu comprendre notamment que les combats de Pologne n'étaient qu'un des engagements parmi le grand nombre qui sera encore nécessaire à la classe ouvrière avant qu'elle ne livre l'assaut décisif contre la forteresse capitaliste. C'est ce que n'avait pas compris par exemple le CWO qui, durant 1'été 81, alors que le mouvement reculait (comme le CCI l'avait constaté) a appelé en 1ère page de son journal Workers ' Voice (n°4) les ouvriers de Pologne à "la Révolution maintenant ! ". Heureusement que les ouvriers polonais ne lisaient pas Workers ' Voice : ils n'auraient certes pas été assez fous pour suivre le CWO mais, par contre, ils auraient pensé avoir à faire à des provocateurs de la police.
Moins aberrante et ridicule, mais tout aussi grave, a été l'erreur commise par un groupe comme "Volonté Communiste" qui, un an après le coup de force du 13 décembre 81, pouvait écrire :
"Le coup de Jaruzelski est la conséquence directe de la radicalisation des luttes à partir de 1'été 1981, et aussi de 1'incapacité de Solidarnosc à se structurer en véritable syndicat de branche."
"Aujourd'hui, non seulement Jaruzelski , et 'son état de siège' n'ont pas résolu la question de la crise économique, mais on assiste à une radicalisation du mouvement."
"Au lieu du pourrissement tant attendu, c'est la dynamique de lutte qui a continué. A la pointe du combat, les travailleurs polonais sont engagés dans ce qui n'est qu'un moment du 'bras de fer entre prolétariat et bourgeoisie'." (Révolution Sociale ! n°14, décembre 82).
De façon évidente, un tel aveuglement devant une réalité qui était devenue de plus en plus criante ne peut s'expliquer que par un refus délibéré d'admettre que la classe ouvrière pouvait subir une défaite. Pour un marxiste, aussi dramatique que soit, une telle constatation (surtout quand il s'agit de défaites comme celles des années 20 qui plongent la classe dans une effroyable contre-révolution), elle doit s'imposer à chaque fois que le prolétariat subit un revers parce qu'il sait bien que "la révolution est la seule forme de guerre' - c'est encore une des lois de son développement - où la victoire finale ne saurait être obtenue que par une série de 'défaites '". (Rosa Luxemburg, "L'ordre règne à Berlin !", 14 janvier 1919).
Par contre, quand on manque de confiance dans la classe ouvrière, comme c'est le cas lorsqu'on est imbibé d'idéologie petite-bourgeoise à l'image du "Groupe Volonté Communiste", on craint d'admettre que le prolétariat puisse être défait, même de façon partielle, car on s'imagine qu'il ne pourra pas s'en relever. Ainsi une surestimation du niveau des luttes à un moment donné n'est nullement contradictoire avec une sous-estimation de la force réelle de la classe ouvrière, c'en est même le complément inévitable. C'est ce qu'ont démontré les éléments de "Volonté Communiste" qui, dans nos réunions publiques (leur publication qui était parue de façon mensuelle durant la période de recul ayant cessé de paraître quelques mois avant la reprise des luttes) affichent le plus noir scepticisme sur les potentialités des luttes présentes ([9] [9]) . C'est ce qu'a démontré également le CWO qui, après ses accès , d'enthousiasme d'août 82, a eu plusieurs trains de retard en compagnie de son organisation soeur "Battaglia Comunista" avant de reconnaître la reprise.
Mais il convient de relever une autre idée contenue dans l'article de Révolution Sociale : "Le coup de Jaruzelski est la conséquence directe de la radicalisation des luttes à partir de 1'été 81". Elle fait la preuve que ce groupe (comme divers autres) n'a pas compris la question de la répression dans la période historique actuelle.
b- L'utilisation de la répression par la bourgeoisie.
Tirant les enseignements de la défaite de 1981 nous écrivions : "Le coup du 13 décembre, sa préparation et ses suites sont une victoire de la bourgeoisie. . . Cet exemple illustre une fois de plus que, dans la décadence du capitalisme, la bourgeoisie n'affronte pas le prolétariat de la même façon qu'au siècle dernier. A cette époque les défaites infligées au prolétariat, les répressions sanglantes, ne lui laissaient pas d’ambiguïté sur qui étaient ses amis et ses ennemis : ce fut notamment le cas lors de la Commune de Paris et même de la Révolution de 1905 qui, tout en annonçant déjà les combats de ce siècle (la grève de masse et les conseils ouvriers) comportait encore des caractéristiques propres au siècle dernier (notamment quant aux méthodes de la bourgeoisie). Aujourd'hui par contre, la bourgeoisie ne déchaîne la répression ouverte qu'à la suite de toute une préparation idéologique- dans laquelle la gauche et les syndicats jouent un rôle décisif, et qui est destiné tant à affaiblir les capacités de défense du prolétariat qu'à 1 'empêcher de tirer tous les enseignements nécessaires de la répression". (Revue Internationale n°29, "Après la répression en Pologne...").
Ce n'était là nullement une "découverte tardive" après coup, puisqu'en mars 81, on pouvait lire dans un tract du CCI en langue polonaise :
"Il serait catastrophique pour les ouvriers de Pologne de croire que la passivité peut leur éviter la répression. Si 1'Etat a été contraint de reculer, il n'a nullement renoncé à imposer de nouveau à la société sa chape de plomb. S'il s'abstient aujourd'hui d'user de la répression violente, comme il le fit par le passé, c'est qu'il craint une mobilisation ouvrière immédiate. Mais si la classe ouvrière renonce à lutter chaque fois que 1'Etat tente de porter une nouvelle atteinte à ses intérêts, alors la voie sera ouverte à la démobilisation et à la répression "
Il importe donc que les révolutionnaires soient clairs sur les armes qu'emploie la bourgeoisie contre la classe ouvrière. Si leur rôle n'est jamais d'appeler à l'aventure dans des affrontements prématurés, ils doivent insister sur l'importance de la mobilisation de classe, de l'extension des luttes, comme meilleure prévention contre le danger d'une répression brutale. C'est ce que n'avaient pas compris ni le CWO ni "Volonté Communiste", et qui explique notamment que ce dernier groupe n'ait reconnu la défaite ouvrière qu'avec deux ans de retard, s'imaginant que si la répression s'était déchaînée en Pologne c'est parce que Solidarnosc était complètement débordé. Cela montre aussi qu'il importe d'avoir les idées claires sur le rôle et la façon de faire du syndicalisme dans la période actuelle.
c- Le rôle du syndicalisme.
Dans la période de décadence du capitalisme, les syndicats sont devenus un des instruments essentiels de la bourgeoisie pour encadrer le prolétariat et étouffer ses luttes. Cela, tous les groupes qui se situent sur un terrain de classe l'ont compris. Mais encore faut-il avoir pleinement assimilé ce que cela signifie. En particulier, l'analyse insuffisante faite par le courant bordiguiste de la question syndicale est en bonne partie responsable de son incapacité à reconnaître 1'importance des mouvements comme celui de Pologne en Août 80. En effet, alors que dans la période de décadence du capitalisme : "L'impossibilité d'améliorations durables pour la classe ouvrière lui interdit la constitution d'une organisation spécifique, permanente, basée sur la défense de ses intérêts économiques.
La lutte prolétarienne tend à dépasser le cadre strictement économique pour devenir sociale, s'affrontant directement à l'Etat, se politisant et exigeant la participation massive de la classe. . .
Un tel type de lutte, propre à la période de décadence, ne peut se préparer d'avance sur le plan organisationnel. Les luttes explosent spontanément et tendent à se généraliser." (Revue Internationale n°23, 4ème trimestre 80, "La lutte du prolétariat dans la décadence du capitalisme").
Ce courant ne pouvait se faire à l'idée d'un tel surgissement spontané des luttes. Pour que celles-ci aient une certaine ampleur, il fallait qu'existe au préalable une organisation de la classe, que se manifeste d'abord un "associationnisme ouvrier" (suivant ses propres termes). De même qu'en 1968 en France, ce courant avait complètement sous-estimé le mouvement (avant d'appeler les 10 millions d'ouvriers en grève à se ranger derrière son drapeau !), il n'a su reconnaître l'importance des combats de Pologne qu'avec un retard considérable.
Ce manque de clarté sur la question syndicale se retrouve chez "Volonté Communiste" lorsque ce groupe écrit : "Dans le système capitaliste démocratique, le syndicat est un intermédiaire opérant entre les travailleurs et l'Etat. Dans un système capitaliste d'Etat, quand se pose d'emblée l'affrontement entre les prolétaires et l'Etat, le syndicat est une forme inopérante et donc un obstacle immédiat à la lutte contre le pouvoir capitaliste." (Révolution Sociale!" n°14).
Il est clair qu'avec une telle vision du syndicat, tant dans les pays de l'ouest ("intermédiaire entre les travailleurs et l'Etat" et non organe de l'Etat dédié à l'encadrement des travailleurs) que dans les pays de l'Est ("forme inopérante" alors qu'on a pu constater l'extraordinaire efficacité de Solidarnosc contre la lutte de classe), un tel groupe ne pouvait comprendre :
- que le renforcement de Solidarnosc en 1981 en Pologne signifiait un affaiblissement de la classe ;
- que toute l'offensive syndicale en occident de cette même période (radicalisation dès la fin des années 70, campagnes menées autour de la Pologne) allait peser sur le prolétariat de cette partie du monde ;
- que l'affaiblissement continu, ces dernières années, de l'influence des syndicats, le phénomène de désyndicalisation général dans les pays occidentaux, était une des prémisses de la reprise actuelle des luttes.
L'incompréhension des implications de la décadence du capitalisme (quand ce n'est pas le rejet de cette analyse) sur les conditions de la lutte de classe, peut avoir un effet catastrophique sur les positions programmatiques (questions nationale, parlementaire, syndicale, du frontisme) menaçant la survie-même d'une organisation comme instrument de la classe ouvrière (cas de la dégénérescence opportuniste de l'Internationale Communiste, plus récemment décomposition de "Programma Comunista" et évolution vers le gauchisme de son héritier "Combat"). '
Cela situe toute 1'importance de développer l'analyse la plus claire possible sur cette question comme le CCI s'y est toujours attaché depuis ses origines (notamment dans sa plateforme et avec sa brochure sur La décadence du capitalisme). Mais la clarté sur l'autre point qui était à la base de la constitution du CCI, l'analyse du cours historique, revêt également une importance considérable.
L'ANALYSE DU COURS HISTORIQUE
Nous avons suffisamment consacré d'articles de cette revue à cette question (notamment un rapport au 3ème Congrès de CCI dans la Revue (ï^TB^et une polémique avec les thèses du 5ème congrès de "Battaglia Comunista" dans la revue n°36) pour qu'il ne soit pas nécessaire d'y revenir longuement ici, sinon pour signaler l'incroyable légèreté avec laquelle certains groupes traitent de cette question. C'est ainsi qu'on peut lire dans Workers'Voice n°17 en réponse à nos analyses : "Le CWO a démontré que le cours historique ne peut être appréhendé que dialectiquement (souligné par le CWO) comme menant à la fois vers la guerre et vers la révolution". La dialectique a vraiment bon dos ! Après l'utilisation magistrale qu'en a fait Marx dans toute son oeuvre pour rendre compte de la nature contradictoire des processus sociaux (et en premier lieu pour constater que "L'histoire est 1 'histoire de la lutte de classe" ), ses épigones au petit pied et à l'esprit un peu faible en ont fait un cache-sexe pour tenter de dissimuler les contradictions et 1'incohérence de leur pensée.
L'organisation soeur de CWO,"Battaglia Comunista", ne fait pas preuve de la même stupide prétention pour énoncer la même idée :"on ne peut pas se prononcer sur le cours historique". Elle témoigne même d'une rare humilité dans les thèses de son 5ème Congrès (Prometeo n°7, juin 1983) : "L'effondrement général de 1'économie se traduit de façon immédiate par 1'alternative : guerre ou révolution. Mais la guerre elle-même en marquant un virage en soi catastrophique dans la crise du capitalisme et un brusque bouleversement dans les échafaudages superstructurels du système, ouvre les possibilités de l'effondrement de ceux-ci et donc 1'ouverture, au sein même de la guerre, d'une situation révolutionnaire et de la possibilité d'affirmation du parti communiste. Les facteurs qui déterminent 1'éclatement social, au sein duquel le parti trouvera les conditions de sa croissance rapide et de son affirmation, que ce soit dans la période qui précède le conflit, pendant le conflit, ou immédiatement après celui-ci, ne sont pas quantifiables. On ne peut donc pas déterminer a priori à quel moment un tel éclatement aura lieu (exemple polonais)".
Quelle avant-garde qui ne sait même pas dire à sa classe si nous allons vers la guerre mondiale ou vers la révolution ! En tout cas, la Gauche italienne dont se réclament le CWO et "Battaglia" aurait eu bonne mine si, face aux événements d'Espagne en 36, elle avait dit : "Il faut appréhender la situation de façon 'dialectique' : comme les facteurs de la situation ne sont pas 'quantifiables', nous disons tout net aux ouvriers : nous allons soit vers la guerre mondiale, soit vers la révolution, soit vers les deux en même temps !". Avec une telle démarche, c'est la fraction toute entière, et non seulement sa minorité, qui se serait laissée enrôler dans les brigades anti-fascistes ([10] [10]).
Nous laissons de côté ici la question de la possibilité d'un surgissement de la révolution dans ou à la suite d'une 3ème guerre mondiale qui est de nouveau traitée dans l'article "La guerre dans le capitalisme"de ce même n°. Par contre, on peut dire qu'avec une vision qui ne permet pas de voir que nous allons vers des affrontements de classe généralisés avant qu'éventuellement -si le prolétariat y est défait- le capitalisme puisse déchaîner une guerre mondiale, une vision qui considère qu'aujourd'hui "le prolétariat est fatigué et déçu" (Prometeo n°7), il n'est pas surprenant que "Battaglia Comunista" n'ait constaté la reprise actuelle des luttes qu'avec huit mois de retard,en avril 84 (Battaglia Comunista n°6), et encore sous forme d'interrogation : "La paix sociale se rompt-elle ?".
En effet, pour interpréter les luttes de l'automne 83 comme les premières d'une reprise générale, il fallait avoir compris que, dans le cours historique actuel aux affrontements de classe, l'accélération de l'histoire provoquée par l'aggravation considérable de la crise dans les années '80 -les "années de vérité"- allait se traduire par une durée de plus en plus courte des moments de ^recul.
De même, il faut constater que la "dialectique" à la sauce CWO n'est certainement pas étrangère à la bourde énorme commise en été 81 à propos de la Pologne. Bourde qui s'explique également par l'incompréhension totale de deux questions analysées* par le CCI.
LA GENERALISATION MONDIALE DES LUTTES ET LE ROLE DU PROLETARIAT D'EUROPE OCCIDENTALE
En effet, si nous avons pu comprendre le recul qui s'était opéré en Pologne, c'est -comme nous l'avons vu plus haut- que le rapport de forces entre les classes dans ce pays était très largement déterminé par le rapport de forces à l'échelle internationale et notamment dans les métropoles industrielles d'occident. L'idée que la révolution fut possible en Pologne alors que dans ces concentrations le prolétariat restait passif, indique qu'on avait perdu de vue des enseignements du marxisme vieux de plus d'un siècle :
"La Révolution communiste... ne sera pas une révolution purement nationale ; elle se produira en même temps dans tous les pays civilisés, c'est-à-dire tout au moins en Angleterre, en Amérique, en France et en Allemagne".(Engels, "Principes du communisme", 1847).
C'est sur cette base que le CCI, suite aux combats de Pologne, a développé son analyse sur "la généralisation mondiale de la lutte de classe" (Revue Internationale n°26) et sur "le prolétariat d'Europe occidentale au coeur de la généralisation de la lutte de classe, critique de la théorie du 'maillon le plus faible'" (R.Int.n°31) suivant laquelle : "Tant que les mouvements importants de la classe ne toucheront que des pays de la périphérie du capitalisme (comme ce fut le cas en Pologne) et même si la bourgeoisie locale est complètement débordée, la Sainte-Alliance de toutes les bourgeoisies du monde, avec à leur tête les plus puissantes, sera en mesure d'établir un cordon sanitaire tant économique que politique, idéologique et même militaire, autour des secteurs prolétariens concernés. Ce n'est qu'au moment où la lutte prolétarienne touchera le coeur économique et politique du dispositif capitaliste... que cette lutte donnera le signal de 1'embrasement révolutionnaire mondial... Ce coeur et ce cerveau du monde capitaliste, 1'histoire 1'a situé depuis des siècles en Europe occidentale... 1'épicentre du séisme révolutionnaire à venir se trouve placé dans le coeur industriel de 1'Europe occidentale où sont réunies les conditions optimales de la prise de conscience et de la capacité de combat révolutionnaire de la classe, ce qui confère au prolétariat de cette zone un rôle d'avant-garde du prolétariat mondial".
Evidemment, le CWO avec sa dialectique de café du commerce n'a que mépris pour une telle perspective : "Le CWO a aussi démontré que, bien que les révolutions prolétariennes ne puissent réussir dans n'importe quel pays isolément, les premiers surgissements de la classe ouvrière peuvent venir des pays sous-développés tout comme des pays avancés, et que les communistes doivent être prêts pour les deux possibilités". Workers'Voice n°17). En 1981, le CWO était prêt à toutes les possibilités, même à la révolution en Pologne. Ce qu'il a donc "démontré" de façon convaincante, c'est l'inadéquation de son cadre d'analyse. Cette vision du CCI, si elle lui avait permis de comprendre le recul des luttes et la défaite du prolétariat en 81, lui a également permis de relativiser l'importance de la défaite subie par le prolétariat en Pologne et donc du recul qui allait la suivre : "Pour cruelle qu'elle soit, la défaite subie par le prolétariat à la suite de ses combats en Pologne n'est que partielle. Par contre le il gros des troupes, celui qui est basé dans les énormes concentrations industrielles d'occident, et notamment en Allemagne, n'est pas encore entré dans la bataille:" (Revue Internationale n°29, "Après la répression en Pologne...").
De même, parmi les éléments qui nous ont fait reconnaître toute 1'importance de la grève du secteur public en Belgique de septembre 83 comme annonciatrice de la reprise des combats et comme "le mouvement de lutte ouvrière le plus important depuis les combats de Pologne 80", nous avons signalé notamment (Revue Internationale n°36) :
"- le fait que ce mouvement a touché un des pays les plus industrialisés du monde, de plus vieux capitalisme, situé en plein coeur des énormes concentrations prolétariennes d'Europe occidentale ;
- la dynamique qui s'est exprimée au démarrage du mouvement : surgissement spontané des luttes qui a pris de court et a débordé les syndicats ; tendance à 1'extension ; dépassement des clivages communautaires et linguistiques ;
- le fait que ce mouvement prend place dans un contexte international de surgissement sporadique mais significatif de la combativité ouvrière"
Mais cette présentation des analyses indispensables à la compréhension de la période présente, serait incomplète si on ne parlait pas d'une des questions essentielles à laquelle est confronté aujourd'hui le prolétariat.
LA STRATEGIE BOURGEOISE DE LA GAUCHE DANS L'OPPOSITION
Pour le CWO, notre analyse sur cette question "est pure scholastique comme toutes les autres, donnant 1'illusion d'une clarification et détour nant 1 'organisation des vraies questions de la politique révolutionnaire" (ibid.).
Pour sa part, "Volonté Communiste" se hérisse à l'idée que la bourgeoisie pourrait avoir une stratégie contre la classe ouvrière : "Se vautrant dans le sang, la bourgeoisie fait de plus en plus preuve de cécité historique et ne peut qu 'essayer de colmater des brèches ouvertes dans son système par le développement de contradictions devenues insurmontables depuis 1'entrée en décadence impuissante et instable, elle se débat désormais, a la différence du 19ème siècle, dans des convulsions permanentes : d'où, au delà des pesanteurs institutionnelles de tel ou tel Etat, le seul mode de gouvernement réel est la fuite en avant, l'empirisme le plus total à tous les niveaux" (Révolution Sociale 1 n°16, "Critique du CCI").
Mais si ces deux groupes et beaucoup d'autres avaient compris cette question, ils auraient su :
- comprendre l'efficacité de cette nouvelle carte jouée par la bourgeoisie à la fin des années 70 et qui porte une très grande responsabilité dans le déboussolement du prolétariat au début des années 80, tant, d'ailleurs, en occident qu'en Pologne ; cela leur aurait permis de s'éviter de dire pas mal de bêtises sur les potentialités des luttes en 81-82 ;
- prévoir, qu'une fois passé l'effet de surprise provoqué par la nouveauté de cette carte, son efficacité allait commencer à s'émousser, ce qui allait permettre la reprise des luttes à la mi-83, reprise qu'ils n'ont pas su voir, sinon avec pas mal de retard ;- ne pas se laisser aveugler par l'omniprésence des syndicats dans les luttes actuelles (qui leur font sous-estimer leur importance) qui sont une composante majeure de la carte de la "gauche dans l'opposition" puisque : "Dans les pays avancés d'occident et notamment en Europe de l'ouest, le prolétariat ne pourra déployer pleinement la grève de masse qu'à l'issue de toute une série de combats, d'explosions violentes, d'avancées et de reculs au cours desquels il démasquera progressivement tous les mensonges de la gauche dans 1'opposition, du syndicat et du syndicalisme de base"-("Résolution sur la situation internationale" du 5ème Congrès du CCI, Revue Internationale n°35).
Comme l'écrivait Marx : "C'est dans la pratique que l'homme prouve la vérité, c'est-à-dire la réalité et la puissance de sa pensée". ("Thèses sur Feuerbach").
Malheureusement, c'est bien souvent complètement à l'envers que les groupes révolutionnaires comprennent cette phrase. Lorsque la réalité s'obstine à contredire leurs analyses, ils ne se sentent pas concernés et continuent, comme si de rien n'était à maintenir leur erreurs et leurs confusions en essayant, à grand renfort de "dialectique", de faire rentrer de force les faits dans un cadre où ils n'ont pas de place.
Par contre, quand cela les arrange, ils donnent à la phrase de Marx un sens que celui-ci aurait rejeté avec vigueur et mépris : la glorification de l'empirisme. Car derrière toutes les phrases du CWO contre les "débats scholastiques" ou les hypo thèses multiples de "Battaglia", ce n'est pas autre chose que l'empirisme que nous trouvons, cet empirisme que Lénine - dont se réclament à cors et à cris ces organisations- raillait chez les économistes du début du siècle : "En effet, quelle attitude prétentieuse et quelle exagération de 1'élément conscient : résoudre théoriquement les questions par avance, afin de convaincre ensuite du bien-fondé de cette solution, 1 'organisation, le parti et la masse".("Que Faire ?").
Le CWO et "Battaglia" ne cessent de répéter qu'ils constituent l'avant-garde, le guide du prolétariat. C'est dans la pratique et non en paroles qu'ils le démontreront. Mais pour cela, ils auront besoin de troquer leur empirisme contre la méthode marxiste ; sinon, ne sachant pas apprécier le rapport de forces entre les classes, identifier les armes de l'ennemi, ils ne pourront "guider" le prolétariat que vers la défaite.
F.M. 3/3/85
[1] [11] "Battaglia Comunista", CasellaPostale 1753, 20100 MILANO, ITALIE
[2] [12] CWO, PO Box 145, Head Post Office, Glasgow, GRANDE-BRETAGNE
[3] [13] BP 30316, 75767 PARIS CEDEX 16,FRANCE
[4] [14] Revue Internationale n. 16 :"2ème Conférence Internationale des Groupes de la Gauche Communiste".
[5] [15] Revue Internationale n.40 : "10 ans du CCI : quelques enseignements".
[6] [16] Revue Internationale n.26 : "Les conditions historiques de la généralisation de la lutte de la classe ouvrière".
[7] [17] Revue internationale n.31"Le prolétariat d'Europe occidentale au centre de la généralisation de la lutte de classe"
[8] [18] Revue internationale n.31"Le prolétariat d'Europe occidentale au centre de la généralisation de la lutte de classe"
[9] [19] Ces mêmes éléments avaient évidemment crié au défaitisme lorsque nous avions mis en évidence le recul des luttes en 81 et 82.
[10] [20] Voir sur cette question les articles de la Revue Internationale n°4, n°6 et n°7 et notre brochure "La Gauche Communiste d'Italie".
A l'époque de l'informatique, des communications par satellites, l'information circule à la vitesse de là lumière autour du globe et les échanges font de même. Quelques coups de téléphone et ce sont des milliards de dollars qui s'échangent, ce sont des fortunes qui se font et se défont en quelques minutes. Le dollar poursuit sa sarabande effrénée autour de la planète dans un mouvement incessant : de New York à Chicago, de Chicago à Tokyo, de Tokyo à Hong-Kong, à Zurich, Paris, Londres chaque place financière prend le relais de l'autre pour maintenir le mouvement incessant des capitaux.
LA MONTEE DE LA SPECULATION
Le dollar est la monnaie mondiale par excellence ; plus de 80 % des échanges mondiaux se font en dollars. La variation des cours du dollar affecte l'ensemble de l'économie mondiale. Et le cours du dollar est tout sauf stable : durant les mois de janvier et février 1985, le dollar a poursuivi son ascension fulgurante, grimpant par rapport au franc français de 10 centimes par semaine d'abord, et accélérant son mouvement de 10 centimes par jour ensuite. Le 27 février, après les déclarations alarmistes de Volcker, président de la Banque Fédérale américaine, et l'intervention des grandes banques centrales, c'est la dégringolade. En quelques minutes le dollar passe par rapport au franc français de 10,61 F à 10,10 pour remonter à 10,20 F : 40 centimes de perdus vis-à-vis du franc, 5 % de dévalorisation vis-à-vis du Deutsch Mark. C'est ainsi plus de 10 milliards de dollars qui se sont envolés en fumée sur le marché mondial. Déjà en septembre 1984, le dollar avait en une journée perdu 40 centimes, mais cela ne l'avait pas empêché de reprendre son ascension par la suite sous la pression de la spéculation internationale.
POURQUOI LE DOLLAR GRIMPE-T-IL ?
Les économistes y perdent leur latin. Ainsi, Otto Piehl, gouverneur de la Banque Centrale de R.F.A., lors d'un symposium qui réunissait le gratin de la finance internationale, ironise : "Le dollar est miraculeux et sur ce point notre vision est confuse, mais après la discussion nous serons confus à un niveau supérieur."Voilà qui n'est guère rassurant pour l'économie mondiale.
Qu'y a-t-il donc de si miraculeux dans la "santé" actuelle du dollar par rapport aux autres monnaies ? Simplement que la montée actuelle du cours du dollar ne correspond absolument pas à la réalité économique de la compétitivité du capital américain par rapport à ses concurrents. Le dollar est énormément surévalué.
Dans ce cas, pourquoi une telle spéculation effrénée sur le dollar sur toutes les places financières du monde ? A cela deux raisons essentielles :
1) La politique américaine de déficit budgétaire et commercial crée un énorme besoin de l'économie américaine en dollars pour le combler. Le déficit budgétaire a ainsi atteint 195 milliards de dollars en 1983 et 184 milliards de dollars en 1984 (voir tableau No 3), et le déficit commercial a été de 123,3 milliards de dollars en 1984. Et ce déficit ne se réduit pas comme le montre le tableau No 1 ci-dessous.
Et ce ne sont pas les timides propositions de réduction du déficit budgétaire annoncées par Washington depuis décembre 1984 qui freineront la tendance. Au contraire, cela ne peut que rassurer les spéculateurs et pousser encore plus à la hausse du dollar. Ce qui s'est effectivement produit.
2) Les USA sont la première puissance économique et mondiale. La forteresse du capital international. Devant le ralentissement de la reprise et les risques de la récession qui pointent à l'horizon, les capitaux du monde entier viennent se placer aux USA pour tenter de se préserver du mouvement de reflux qui s'annonce. Le mouvement de spéculation actuel est le signe de 1 ' inquiétude de la finance internationale.
L' ENDETTEMENT : UNE BOMBE A RETARDEMENT PLACEE AU COEUR DE L'ECONOMIE MONDIALE
Pour combler ces déficits, les USA s'endettent. Les USA ne peuvent trop faire marcher la planche à billets de peur de relancer un processus inflationniste incontrôlable ; ils font appel aux capitaux étrangers. Mais comme le dit Volcker, "Les Etats-Unis ne pourront vivre indéfiniment au-dessus de leurs moyens grâce aux capitaux étrangers". En effet, l'endettement actuel est pharamineux.
La dette totale des USA est de 6 000 milliards de dollars. De tels chiffres perdent leur sens, un 6 suivi de 12 zéros, de quoi donner le vertige. Cela représente deux ans de production des USA, six du Japon, dix de l'Allemagne !
La dette publique, avec ses 1 500 milliards de dollars, à elle seule, implique le paiement de près de 100 milliards de dollars d'intérêts en 1984 et ce service de la dette passera à 214 milliards en 1989. A ce rythme les USA vont devenir débiteurs du reste du monde en 1985.
Pour n'importe quel pays sous-développé, une telle situation serait catastrophique. Le FMI interviendrait de toute urgence pour imposer un plan d'austérité draconien. Cela montre à l'évidence que la force actuelle du dollar est une tricherie gigantesque par rapport aux lois économiques. Les USA profitent de leur position de force économique et militaire pour imposer au travers du dollar, leur monnaie nationale mais aussi principale monnaie d'échange internationale, leur loi au monde.
Les lois économiques ne jouent-elles plus leur rôle ? Le dollar échappe-t-il à toutes les règles? Son ascension est-elle inéluctable et inévitable ? Certainement pas. Les politiques de capitalisme d'Etat peuvent repousser l'échéance de la crise par des artifices monétaires, mais cela ne fait que reporter les contradictions à un niveau plus élevé, plus explosif.
Les déclarations de Volcker qui ont provoqué la chute des cours le 27 février sont sans ambiguïté sur ce point. Lui qui, il y a un an, déclarait que l'endettement extérieur était "un pistolet braqué sur le coeur des Etats-Unis", a récidivé en disant que "du fait de la taille du déficit budgétaire, le gonflement des emprunts américains à 1'étranger contient les germes de sa propre destruction" et de préciser à propos de la chute du cours du dollar " Je ne peux prédire quand, mais le scénario est en place".
LA RECESSION SE PROFILE A L'HORIZON
La croissance de l'économie américaine, très soutenue au printemps 1984 s'est ralentie ces derniers mois. Les commandes passées à l'industrie se sont ralenties : août : - 1,7 %, septembre : - 4,3 %, octobre : - 4,1 %, décembre : - 2,1 %. La croissance du P.N.B. qui avait atteint 7,1 % au printemps n'était plus que de 1,9 % au troisième trimestre 1984.
Le déficit américain n'est plus suffisant, malgré son importance, pour maintenir la min ireprise mondiale dont les effets ont d'ailleurs surtout été marquants aux USA alors que l'Europe stagnait. Le spectre de la récession pointe à l'horizon et cette perspective ne peut que remplir les financiers capitalistes d'effroi.
Toutes les grandes banques américaines ont énornément prêté, prêts de dix fois leurs avoirs réels. Comme exemple, prenons simplement l'engagement des principales banques américaines vis-à-vis de cinq pays d'Amérique latine (Argentine, Brésil, Venezuela, Maxique, Chili) : Citicorp 174 % de l'avoir des actionnaires, Bank of America 158 %, Chase Manhattan 154 %, Manufacturers Hanover 262 %, Continental Illinois 107 %, etc. Il y a ainsi environ 14 500 banques américaines qui sont dans le même cas ([1] [23]).
La récession, cela signifie des millions d'ouvriers réduits au chômage, des milliers d'entreprises en faillite, des dizaines de pays en situation de cessation de paiement. Autant de secteurs qui ne pourront ainsi rembourser leurs dettes, jettent à leur tour les banques dans la faillite. La faillite de la Continental Illinois n'a pu être comblée que par l'injection de 8 milliards de dollars frais grâce à l'aide des autres banques et de l'Etat américain, mais ce qui se profile à l'horizon ne pourra être résorbé aussi facilement. Ce qui se prépare c'est la banqueroute du système financier international, avec au coeur de cette banqueroute, le dollar.
Une brève récession de six mois seulement ferait passer le déficit fédéral de 200 à 500 milliards de dollars selon une étude de la Chase Econometrics. Devant une telle situation, les USA n'auraient d'autre recours que de combler ce déficit par le recours massif à la planche à billets car les capitaux du monde entier ne suffiraient pas, relançant ainsi la spirale inflationniste galopante que Reagan se targue tant d'avoir vaincue. Une telle situation ne peut que provoquer une panique sur les marchés financiers, amenant un retour de tendance où la spéculation jouerait cette fois contre le dollar, plongeant l'économie mondiale dans les affres d'une récession comme elle n'en a jamais connue et qui se conjuguera avec une hyperinflation.
Voilà le "scénario" dont parle Volcker. C'est un scénario catastrophe. Le gouvernement américain essaie d'utiliser tous les artifices pour reculer cette échéance : suppression des retenues à la source, internationalisation du Yen, appels de Reagan aux Européens afin que ceux-ci s'endettent encore plus pour soutenir l'effort américain et maintenir l'activité économique. Mais tous ces expédients sont insuffisants et la fuite en avant actuelle ne fait que montrer l'impasse du capitalisme mondial et annoncer la catastrophe future.
QUELLES CONSEQUENCES POUR LA CLASSE OUVRIERE ?
La reprise reaganienne s'est essentiellement limitée aux USA où le taux de chômage a diminué de 2,45 %. En 1984, par contre, pour 1'ensemble des pays sous-développés, elle a signifié une plongée dans une misère insondable, une situation de famine comme en Ethiopie, comme au Brési1, tandis qu'en Europe, le relatif maintien de l'économie n'a pas empêché une progression du chômage : 2,25 % en 1984 dans la CEE. Avec le ralentissement de la reprise, ces derniers mois ont vu une relance du chômage : 600 000 chômeurs de plus pour la CEE en janvier 1984, 300 000 pour la seule RFA qui, avec cette progression, bat son record de 1953 avec 2,62 millions de chômeurs. La perspective de la récession implique une explosion du chômage et une plongée dans la misère tiers-mondiste au coeur du capitalisme industriel. La chute complète de l'illusion sur la possible reprise économique va montrer l'impasse du capitalisme à l'ensemble du prolétariat mondial. Posant toujours plus la nécessité de la mise en avant d'une perspective révolutionnaire' comme seul moyen de survie de l'humanité, alors que le capitalisme la mène à sa destruction.
Le capitalisme mondial est dans l'impasse économique, au bord du vide, et la bourgeoisie elle-même commence à s'en rendre compte. Elle est de plus en plus poussée du terrain économique vers le plan militaire dans sa fuite en avant devant la catastrophe économique.
L'essentiel du déficit budgétaire américain sert à financer son effort de guerre où des capitaux gigantesques sont engouffrés et stérilisés (voir tableau 3 page précédente).
En janvier 1985 les commandes de biens durables ont augmenté de 3,8 % aux USA. Mais si on supprime les commandes militaires, c'est en fait à une chute de - 11,5 % des commandes à laquelle on assiste. Derrière la plongée accélérée dans la crise économique ce qui se profile c'est l'exacerbât ion et l'accélération des tensions inter-impérialistes, la fuite en avant de la bourgeoisie vers la guerre.
Le capitalisme n'a plus d'avenir à offrir à l'humanité. Les dernières illusions sur sa capacité de s'en sortir, sur une hypothétique révolution technologique, vont se fracasser contre la réalité de la banqueroute.
Le président Reagan ne restera certainement pas dans l'histoire comme le matamore qui a vaincu la crise, mais comme le président de la plus grande crise économique qu'ait connue le capital.
Le compte à rebours est commencé, la récession est inéluctable. Cette récession va signifier une nouvelle accélération des tensions, un approfondissement des antagonismes de classe. De la capacité du prolétariat à développer ses luttes, à mettre en avant dans celles-ci une perspective révolutionnaire, dépend l'avenir de l'humanité face à la destruction qui la menace. Car le capitalisme va vers la banqueroute et c'est toute l'humanité qu'il risque d'entraîner dans sa propre perte dans un nouvel holocauste mondial.
Le dollar est encore le dollar-roi qui domine toute l'économie mondiale. Mais le roi est nu et cette évidence va bientôt percer tous les rideaux de fumée de la propagande capitaliste.
J.J. ,2/3/85
[1] [24] Institut d’économie internationale de Washington, 1983.
La guerre dans le capitalisme décadent est radicalement différente de toutes les guerres du passé. Le caractère totalement irrationnel qu'elle y possède n'est que le reflet de l'absurdité d'un système social mondial devenu historiquement obsolète et barbare. Contrairement à ce qu'affirment très superficiellement certains courants révolutionnaires, une 3ème guerre mondiale - qui menacerait la survie même de l'humanité - ne créerait pas les conditions d'une révolution prolétarienne mondiale triomphante, au contraire.
"Historiquement, le dilemme devant lequel se trouve 1'humanité d'aujourd'hui se pose de la façon suivante : chute dans la barbarie ou salut par le socialisme. Il est impossible que la guerre mondiale procure aux classes dirigeantes une nouvelle issue, car il n'en existe plus sur le terrain de la domination de classe du capitalisme. Le socialisme est devenu une nécessité non seulement parce que le prolétariat ne veut plus vivre dans les conditions matérielles que lui préparent les classes capitalistes, mais aussi parce que, si le prolétariat ne remplit pas son devoir de classe en réalisant le socialisme, l'abîme nous attend tous, tant que nous sommes." R. Luxembourg, Discours sur le Programme, 1919
Enoncée il y a soixante cinq ans, cette mise en garde a connu et connaît encore aujourd'hui une réalité et une actualité brûlantes. Pourtant, la justesse de ce point de vue, le seul qui réponde à la situation historique que nous vivons, malgré la terrible expérience de ces 65 années qui nous séparent du moment où ces lignes ont été écrites, ne représente pas la pensée la plus répandue, loin s'en faut.
De conflagrations internationales en conflits localisés, de conflits localisés en préparations de nouvelles conflagrations internationales, les générations actuelles et celles qui les ont enfantées ont tellement été imprégnées de cette atmosphère et de cette situation de guerre mondiale permanente depuis le début de ce siècle qu'elles ont le plus grand mal à en saisir la portée, la signification et les perspectives.
UNE IDEOLOGIE AMBIANTE
Phénomène historique, la guerre mondiale, de par son caractère omniprésent et permanent, finit par hanter les esprits et à devenir dans la représentation collective un phénomène naturel, inhérent à la nature humaine. Inutile de dire que cette représentation mythique dans le vrai sens du terme est largement entretenue, suscitée et diffusée par les tenants de 1'idéologie dominante qui sont les maîtres d'oeuvre de cette situation de guerre et de préparation à la guerre mondiale permanente. L'idéologie pacifiste est elle-même le complément indispensable de cette pensée par les sentiments d'impuissance qu'elle entretient vis-à-vis de tout préparatif ou situation de guerre.
Au moment où les tensions mondiales s'exacerbent encore et encore, où les moyens de destruction s'accumulent à un rythme difficile à suivre tellement il est rapide, alors que la crise économique mondiale dans laquelle la guerre mondiale trouve ses sources, plonge dans des abîmes sans fond, ce vieux discours réapparaît en force.
"Devant 1'efficacité malgré tout spectaculaire du système militaro-industriel américain, il peut paraître étonnant qu'un consensus ne s 'établisse pas aux USA autour de l'idée que la guerre, ou sa préparation, engendre la prospérité...
Tandis qu'aux périodes de paix ont toujours correspondu de désolantes (sic!) phases de dépression économique, les grandes pointes de la conjoncture économique depuis 4 siècles (à grands traits, il y en a eu huit vues d 'Europe) ont toujours été les périodes de conflit : la guerre de Trente Ans, les guerres de religion (et leur reconstruction) les guerres européennes de 1720, la guerre de succession d'Autriche et la guerre de Sept Ans, avec un sommet de prospérité en 1775, puis - comme après chaque dépression pacifique - les guerres de la Révolution et de 1'Empire français , en attendant celles de la fin du siècle au moment du Second Empire, puis la Première et la Seconde guerre mondiale." J.Grapin, Forteresse America (Ed.Grasset, p.85).
Cette citation résume le fond de la pensée dominante et décadente de notre époque. Habillé des attraits du bon sens et de l'objectivité, son but est de justifier la guerre par une pseudo prospérité; sa méthode est la confusion et l'amalgame historique, sa philosophie se ramène à la plate morale de l'homme belliqueux par nature. Il n'est d'ailleurs pour surprendre personne qu'en exergue du chapitre duquel a été extrait le passage ci-dessus cité, on puisse lire:
"Il semble que l'homme soit organiquement incapable de répondre à la question : "si on ne fait pas la guerre, qu' est-ce qu'on fait ?".
Nous rejetons totalement cette pensée a-historique et métaphysique qui trace un trait d'égalité entre toutes les guerres, du Moyen-Age aux deux dernières guerres mondiales.
Un amalgame entre toutes les guerres pour la période qui va du Moyen Age jusqu'à aujourd'hui est une abstraction et une aberration historique totale. Tant dans leurs déroulements et implications que dans fleurs causes, les guerres du Moyen Age sont différentes des guerres napoléoniennes et des guerres du 18ème siècle autant que les deux guerres mondiales le sont de toutes celles-ci.
En affirmant de telles absurdités, les théoriciens de la bourgeoisie contemporaine sont loin en deçà des théoriciens bourgeois du siècle passé. Par exemple du général Von Clausewitz qui déclarait :
"Tartares à demi incultes, républiques de l'ancien monde, seigneurs et villes marchandes du Moyen Age, rois du 18ème siècle, princes et peuples enfin du 19ème siècle : tous font la guerre à leur manière, la font de différentes façons, avec d'autres moyens et pour un but 'différent " Général Von Clausewitz, De la guerre.
Que les idéologues, conseillers, chercheurs, parlementaires, militaires et hommes politiques, traduisent et défendent - et ils sont appointés pour cela - cette vision du monde où la guerre est présentée comme une force motrice de l'histoire, cela n'a rien d'étonnant. Par contre, cela devient vraiment désolant lorsqu'on retrouve cette même approche chez ceux qui se veulent être une force révolutionnaire. Dépouillée de ses attributs moraux et autres considérations fumeuses sur la nature humaine, c'est, cette fois, auréolée d'une prétendue démarche matérialiste et marxiste que certains groupes en arrivent aux mêmes conclusions sur la guerre considérée comme une force motrice de l'histoire. Que ce soit derrière l'idée que la guerre est une condition objective favorable à une révolution mondiale, que ce soit l'appréhension du militarisme comme débouché à la surproduction, que ce soit encore la vision des guerres - et il s'agit ici des guerres mondiales, propres à notre siècle - comme mode d'expression et solution aux contradictions du capitalisme. Nous ne voulons pas dire ici que ces éléments partagent les préoccupations de la bourgeoisie et de ses conseillers, cela serait gratuit et sans fondement. Nous ne remettons pas en cause leur conviction, mais leurs analyse, démarche et méthode.
Celles-ci, en rayant d'un trait de plume toute l'expérience de ce siècle et de ses deux guerres mondiales, minimisent l'importance actuelle et de premier plan, vitale pour l'action, de l'alternative : révolution ou guerre mondiale, transformation radicale des moyens et des buts de la production, destruction du pouvoir politique et des Etats bourgeois ou destruction tout aussi radicale de la société humaine.
Dans la période de l'entre-deux-guerres, les révolutionnaires voyaient dans la perspective de la seconde guerre mondiale progressant à grands pas chaque année, le futur avenir d'un processus révolutionnaire. Ainsi envisageaient-ils cet avenir non comme une perspective catastrophique mais comme une perspective ouverte, grosse d'un avenir révolutionnaire à l'image des années 1917-18. Le déroulement de la seconde guerre mondiale allait cruellement détruire à jamais cette illusion, la force de ces camarades résida justement, non pas dans cet entêtement aveugle incapable de toute remise en question d'une vision fausse démentie par" la réalité historique mais au contraire dans la capacité à tirer l'enseignement de la réalité historique, permettant ainsi à la théorie révolutionnaire de faire un bond en avant
L'EVOLUTION HISTORIQUE DE LA QUESTION DE LA GUERRE.
Le capitalisme est né dans la boue et le^ sang et son expansion mondiale fut ponctuée au 19ème siècle par une multitude de guerres : les guerres napoléoniennes qui devaient secouer les structures féodales dans lesquelles étouffait l'Europe, les guerres coloniales sur les continents africain et asiatique, les guerres d'indépendance comme aux Amériques, les guerres d'annexions comme celle de 1870 entre la France et l'Allemagne, et une kyrielle d'autres.
Chacune de ces guerres représentait à la fois le point d'aboutissement d'un développement du capitalisme dans sa marche conquérante à travers le monde ou bouleversait les anciennes structures-politiques agraires et féodales en Europe. En d'autres termes, à travers ces guerres, le capital unifiait le marché mondial tout en divisant le monde en nations irréductiblement concurrentes.
Mais tout a une fin et l'ascension vertigineuse du capitalisme dans sa conquête du monde connaît cette fin elle aussi dans les limites du marché mondial. Dès la fin du siècle passé, le monde est partagé en propriétés coloniales et zones d'influence entre les différentes nations capitalistes développées. Dès lors, la guerre et le militarisme commencent à connaître une autre dynamique : 1'impérialisme, la lutte à mort entre les différentes nations pour le partage d'un monde dont l'étendue limitée n'arrive plus à assouvir les appétits expansionnistes de chacun. Appétits devenus immenses de par leur développement antérieur. Pour décrire cette situation, nous ne pouvons pas mieux faire que Rosa Luxemburg qui dresse le tableau suivant :
"Déjà, depuis les années 80, on assistait à une nouvelle ruée particulièrement violente vers les conquêtes coloniales. L'Angleterre s'empare de 1'Egypte et se crée un empire colonial puissant en Afrique du Sud ; en Afrique du Nord, la France occupe Tunis et en Asie Orientale, elle occupe le Tonkin ; l'Italie s’implante en Abyssinie, la Russie achève ses conquêtes en Asie Centrale et pénétre en Mandchourie, l'Allemagne acquiert ses premières colonies en Afrique et dans le Pacifique et finalement les Etats Unis entrent également dans la danse en acquerrant avec les Philippines des "intérêts" en Asie Orientale qui, à partir de la guerre sino-japonaise de 1895, déroule une chaîne presque ininterrompue de guerres sanglantes, culmine dans la grande campagne de Chine et s'achève avec la guerre russo-japonaise de 1904.
Ces événements, qui se succédèrent coup sur coup-, créèrent de nouveaux antagonismes en dehors de 1'Europe : entre 1'Italie et la France en Afrique du Nord, entre la France et 1'Angleterre en Egypte, entre l'Angleterre et la Russie en Asie Centrale, entre le Japon et 1'Angleterre en Chine, entre les Etats Unis et le Japon dans 1'Océan Pacifique.
(...) Cette guerre de tous les Etats capitalistes les uns contre les autres sur le dos des peuples d'Asie et d'Afrique, guerre qui restait étouffée mais qui couvait sourdement, devait Conduire tôt ou tard à un règlement de comptes général ... le vent semé en Afrique et en Asie devait un jour s'abattre en retour sur l'Europe sous la forme d'une terrible tempête, d'autant plus que ce qui se passait en Asie et en Afrique avait comme contre-coup une intensification de la course aux armements en Europe.
(...) la guerre mondiale (devait éclater) aussitôt que les oppositions partielles et changeantes entre les Etats impérialistes trouveraient un axe central, une opposition forte et prépondérante autour de laquelle ils puissent se condenser temporairement. Cette situation se produisit lorsque l'impérialisme allemand fit son apparition." Rosa Luxemburg, La Brochure de Junius.
Avec la première guerre mondiale, la guerre change ainsi radicalement de nature, de forme, de contenu et d'implications historiques.
Comme son nom 1' indique, elle devient mondiale, et elle imprègne de façon
permanente toute la vie de la société. Le monde capitaliste dans son ensemble ne rétablit un semblant de paix que soit pour écraser un sursaut révolutionnaire comme en 1917-18-19, soit sous la poussée irrésistible de contradictions qu'il ne maîtrise pas pour
préparer un conflit à une échelle supérieure.
Ce fut le cas entre les deux guerres mondiales. Et depuis la seconde guerre mondiale, le monde n'a pas connu un seul instant de paix véritable. Dès la fin de celle-ci, l'axe d'une future guerre mondiale était posé, axe autour duquel s'articule aujourd'hui encore l'antagonisme entre le bloc russe et le bloc américain. De même était établie, par les bombardements atomiques de Nagasaki et Hiroshima, la dimension qu'elle devrait prendre.
Alors qu'au siècle passé, le militarisme restait une composante périphérique de la production industrielle et que les affrontements guerriers eux aussi avaient pour théâtre d'opération la périphérie des centres industriels développés, à notre époque, la production d'armements se gonfle démesurément par rapport à l'ensemble de la production et tend à s'approprier pour son propre compte l'ensemble des énergies et forces vitales de la société. Les centres industriels deviennent enjeux et théâtres d'opérations militaires.
C'est ce processus où le militaire supplante et s'assujettit l'économique pour ses propres besoins auquel nous assistons depuis le début du siècle. Processus qui connaît aujourd'hui une accélération foudroyante.
C'est dans la crise généralisée de l'économie capitaliste que la guerre mondiale plonge profondément ses racines. Cette crise est son sol nourricier. Dans cette mesure, la guerre mondiale, expression la plus haute de la crise historique du capitalisme, résume et concentre dans sa nature propre toutes les caractéristiques qui ne sont autres que l'autodestruction.
"Dans ces crises, une grande partie, non seulement des produits déjà créés, mais encore des forces productives existantes est livrée à la destruction. Une épidémie sociale éclate qui, à toute autre époque, eut semblé absurde : 1'épidémie de la surproduction. (...). Et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation, trop de vivres, trop d'industrie, trop de commerce." Le Manifeste Communiste
A partir du moment où cette crise ne peut trouver d'issue temporaire dans une expansion du marché mondial, la guerre mondiale de notre siècle exprime et traduit ce phénomène d'autodestruction d'un système qui, par lui-même, ne peut dépasser ses contradictions historiques.
LE MILITARISME COMME INVESTISSEMENT : GUERRE ET PROSPERITE.
- Le militarisme et l'économie.
La pire des erreurs concernant la question de la guerre est de considérer le militarisme comme un "champ d'accumulation", un investissement en quelque sorte qui serait rentabilisé dans les phases de guerre et la guerre en elle-même comme un mode, sinon "le mode" d'expansion du capitalisme.
Cette conception, quand elle n'est pas une simple justification du militarisme comme chez les idéologues de la bourgeoisie déjà cités et chez les révolutionnaires ayant une vision schématique, provient le plus souvent d'une mauvaise interprétation des guerres du siècle passé.
La place exacte du militarisme dans l'ensemble du procès productif pouvait encore faire illusion dans la phase d'expansion mondiale et la réalisation du marché mondial. Par contre, la situation historique qui s'ouvre avec la première guerre mondiale, en situant la guerre sur un tout autre plan qu'au siècle précédent, enlève toute ambiguïté quant à 1'"investissement militaire". Au siècle dernier, où les guerres restaient locales et ponctuelles, le militarisme n'a pas représenté un investissement productif dans le vrai sens du terme, mais toujours des faux frais. Dans tous les cas, la source de profit ne se trouvait pas dans l'exploitation de la force de travail en uniforme et mobilisée sous le drapeau national, dans les forces productives immobilisées, dans les forces de destruction que sont les armes, mais seulement dans l'élargissement de l'empire colonial, du marché mondial, dans les sources de matières premières exploitables à une grande échelle et à des coûts salariaux presque nuls, dans les structures politiques nouvellement créées permettant une exploitation capitaliste de la force de travail. En période de décadence, hormis les producteurs d'armements, le capital considéré globalement ne tire aucun profit de la production d'armements et du maintien sur pied d'une armée. Au contraire, tous les frais engendrés par le militarisme sont pertes sèches.
Tout ce qui passe dans la production industrielle d'armements pour y être transformé en moyens de destruction ne peut être réintroduit dans le processus de production dans le but de produire de nouvelles valeurs et marchandises. La seule chose que peut engendrer l'armement est la destruction et la mort, un point c'est tout.
Cette argumentation d'un "investissement militaire" et guerrier, s'appuyant sur l'expérience des guerres du siècle passé, n'est pas nouvelle. On la retrouve textuellement défendue par la Social- démocratie lors de la guerre de 14-18. Ecoutons encore Rosa Luxemburg :
"D'après la version officielle reprise telle quelle par les leaders de la social-démocratie, la victoire représente pour 1'Allemagne la perspective d'un essor économique illimité et sans obstacle et la défaite, au contraire, la menace d'une ruine économique. Cette conception s'appuie à peu près sur le schéma de la guerre de 1870. Or, la prospérité que connut 1'Allemagne après la guerre de 1870 ne résultait pas de la guerre, mais bien de 1'unification politique, même si celle-ci n'avait que la forme rabougrie de 1'Empire allemand créé par Bismarck. L'essor économique découla de l'unification politique malgré la guerre et malgré les nombreux obstacles réactionnaires qu'elle entraîna. L'effet propre de la guerre victorieuse, ce fut de consolider la monarchie militaire de 1'Allemagne et le régime des junkers prussiens, alors que la défaite de la France avait contribué à liquider l'Empire et à instaurer la République. Mais aujourd'hui il en va autrement dans tous les Etats impliqués. Aujourd'hui, la guerre ne fonctionne plus comme une méthode dynamique susceptible de procurer au jeune capitalisme naissant les conditions politiques indispensables de son épanouissement 'national'." Rosa Luxemburg (Ibid. opus cité).
D'autre part, cette citation offre un double intérêt, par son contenu, bien sûr, mais aussi parce qu'elle émane de Rosa Luxemburg. En effet, beaucoup de militants révolutionnaires qui défendent l'idée suivant laquelle le militarisme peut constituer un "champ d'accumulation" pour le capital, tirent argumentation d'un texte de la même Rosa Luxemburg, texte écrit bien avant la guerre de 14-18 (L'accumulation du Capital) et qui contient un chapitre ou justement elle défend l'idée erronée suivant laquelle le militarisme constituerait un "champ d'accumulation".
On voit ici comment l'expérience de la première guerre mondiale l'a fait radicalement revenir sur sa position (puissent nos camarades suivre cet exemple!).
- La guerre et la prospérité.
L'autre facette de ce mythe du militarisme comme investissement peut être exprimée de la façon suivante : le domaine militaire grèverait peut-être dans un premier temps les finances publiques, provoquant d'énormes déficits, s'emparant d'une grande partie du salaire social, accaparant une partie importante et essentielle de l'appareil productif qui ne peut plus par lui-même être employé à la production de moyens de consommation ; mais, après les guerres, tous ces "investissements" se retrouveraient justifiés par une nouvelle phase de prospérité. Conclusion : l'investissement militaire ne serait pas productif immédiatement, à court terme, mais il le serait à long terme prétendue "prospérité" qui a suivi la première guerre mondiale a été on ne peut plus relative et limitée. En fait jusqu'en 1924, l'Europe vit dans le marasme économique (notamment en Allemagne où ce marasme prend des allures de cataclysme) de telle sorte qu'en 1929, son niveau de production a rattrapé à peine celui de 1913. Le seul pays où ce terme ait eu un semblant de réalité ce fut les Etats-Unis (d'où ce mot de "prospérité" est parti) pays dont la contribution à la guerre fut des plus limitées en durée et en destructions (aucune sur son sol).
Quant à la période de reconstruction consécutive à la seconde guerre mondiale, si elle a connu l'ampleur que l'on sait entre 1950 et la fin des années 60, c'est fondamentalement parce que l'appareil productif de la première économie mondiale, loin devant les autres, les USA, n'a pas été détruit par la guerre. Avec une production représentant 40% de la production mondiale totale, les USA ont pu permettre à l'Europe et au Japon de se reconstruire malgré les terribles destructions de la seconde guerre mondiale.
Venue tardivement au monde, bénéficiant des immenses ressources que représentait le vaste continent américain tant en matières premières qu'en marchés extra-capitalistes, le capitalisme américain vit jusqu'au milieu des années 20 dans une dynamique quelque peu spécifique tout en devenant la principale économie mondiale alors que la vieille Europe plonge dans la crise (les USA ne participeront d'ailleurs à la première guerre mondiale que de façon minime). Ce n'est que vers 1929 que, ayant épuisé toutes les ressources de sa dynamique propre, le capital US commence à plonger dans la crise, une crise à la dimension de l'économie américaine.
C'est alors que la bourgeoisie américaine, à l'occasion de la seconde guerre mondiale, va tourner toute son énergie - militairement, bien sûr - sur le reste du monde tout en restant à l'abri des destructions de la guerre sur son propre sol.
C'est de cette situation dont une des manifestations est la constitution du bloc russe que vont naître dès la fin. de la seconde guerre mondiale les conditions d'un nouvel affrontement mondial, dont la préparation est aujourd'hui accélérée. En vingt ans le capitalisme mondial a ratissé tous les fonds de tiroirs, exploitant jusqu'à la moindre parcelle du globe toute possibilité d'extension du marché mondial dont une des expressions est la décolonisation qui, en fait a livré directement à la concurrence du marché mondial ces nations pseudo-autonomes, c'est-à-dire à la lutte d'influence entre les deux grands blocs impérialistes. Ce qui a d'ailleurs eu pour résultat d'attiser les conflits locaux qui, d'Asie jusqu'en Afrique, n'ont pas cessé depuis comme moments des affrontements entre les deux grands blocs impérialistes. On peut appeler cela "prospérité" ; nous, nous l'appelons par son nom : boucherie, barbarie et décadence.
LA GUERRE COMME PROCESSUS CONTROLABLE.
Nous avons énoncé plus haut que la caractéristique de la nature de la crise de surproduction, l'autodestruction, trouvait sa plus haute expression dans la guerre mondiale.
Il en est de même de la capacité du capitalisme à contrôler la spirale militariste et l'engrenage de la guerre. De la même manière que la bourgeoisie est incapable de maîtriser le processus qui plonge l'économie dans une crise chronique dont les secousses sont toujours plus fortes, elle n'est pas capable de maîtriser l'engrenage militaire de plus en plus meurtrier qui menace l'existence même de l'humanité.
Mieux encore, comme pour la crise économique, chaque mesure que prend la bourgeoisie pour se mettre à l'abri se retourne contre elle. Que face à la surproduction on décide une politique générale d'endettement et voilà que cette politique de fuite en avant projette la crise de surproduction vers des sommets jamais atteints... et rendant impossible tout retour en arrière. Que face à la menace militaire de l'adversaire, la bourgeoisie décide de mettre en oeuvre un armement d'une puissance décuplée et ne voilà-t-il pas que l'adversaire finit par faire de même et la surenchère ne s'arrête jamais.
Les caractéristiques de l'armement nucléaire éclairent particulièrement cette situation. A la fin de la seconde guerre mondiale, celui-ci devait être une force dissuasive ; l'URSS ne prendrait jamais le risque d'une guerre mondiale sous la menace du parapluie atomique du bloc US. Pourtant, dès la fin des années 50, l'URSS se dotait d'un armement de nature similaire. Pour la première fois de leur histoire les USA se trouvaient menacés sur leur propre territoire.
A ce moment encore, les discours se voulaient rassurants. L'armement nucléaire devait rester une "force dissuasive". Un fossé immense séparait l'armement classique de l'armement nucléaire et ce dernier avait, paraît-il, pour vocation de cantonner les deux grandes puissances mondiales en dehors de toute velléité d'affrontement direct.
L'histoire de ces 15 dernières années, de la fin de la reconstruction à aujourd'hui, est venue balayer ce joli rêve. Au cours de ces 15 années, nous avons pu assister, d'abord lentement puis de manière accélérée, à un processus de modernisation des armements de toutes natures, classique et nucléaire. L'armement nucléaire s'est miniaturisé et s'est diversifié. Aux vecteurs à longue portée d'une puissance de feu massive (missiles intercontinentaux) se sont ajoutés les vecteurs à moyenne portée à la puissance de feu sélective (les fameux SS 20 et Pershing qui poussent comme champignons actuellement en Europe de l'Ouest et de l'Est) qui, dès lors, rendaient possible un affrontement nucléaire géographiquement limité.
D'autre part, aux parades nucléaires qui n'étaient constituées jusqu'alors que de la riposte, s'est ajouté le développement de systèmes de défense, c'est-à-dire de destruction en vol antimissiles, systèmes qui vont culminer dans ce que l'on appelle "la guerre des étoiles" par l'emploi de satellites.
D'un autre côté, l'armement classique, dans son processus d'accumulation et de modernisation, allait lui même intégrer le nucléaire dans sa puissance de feu. Développement qui trouve son apogée contemporaine dans la bombe à neutrons, arme nucléaire dite "de terrain", c'est-à-dire utilisable dans un affrontement classique. Joli tableau et belle réussite !
L'alibi du bombardement de Nagasaki et Hiroshima a été, aussi stupide qu'il peut paraître aujourd'hui, "la paix". De même pour le déploiement de l'arsenal thermonucléaire. Dans la réalité, la crise historique du capitalisme et la course aux armements qui en découle, n'a réussi que le tour de force de combler le vide qui existait entre l'armement classique et l'armement nucléaire, se donnant ainsi les moyens matériels d'une escalade des conflits au niveau classique le plus bas à la destruction massive la plus haute.
En conclusion nous pouvons dire que pas plus que la bourgeoisie n'a été capable de contrôler le développement de l'armement jusqu'à aujourd'hui, elle ne saurait, en cas de conflit mondial, contrôler une escalade ahurissante vers la destruction généralisée.
D'un certain point de vue, le mot d'ordre "socialisme ou barbarie" est aujourd'hui dépassé. Le développement de la décadence du capitalisme fait qu'aujourd'hui celui-ci devrait plutôt s'énoncer : socialisme ou continuation de la barbarie, socialisme ou destruction de l'humanité et de toute forme de vie sur la terre.
Nous en sommes arrivés aujourd'hui à un point fatidique de l'histoire de l'humanité où celle-ci possède -avec les fantastiques moyens matériels et scientifiques dont elle s'est dotée- les moyens ou de s'autodétruire ou de se libérer totalement du joug des sociétés de classe et de la pénurie.
Nous avons déjà largement écrit sur l'argument que la guerre serait une condition favorable à une initiative révolutionnaire ([1] [27]). Nous ne retiendrons donc ici que quelques aspects.
Ceux qui affirment que la guerre mondiale est une condition favorable, voire nécessaire, pour engager un processus révolutionnaire, appuient cette assertion extrêmement dangereuse sur 1'"expérience historique" : histoire de la Commune de Paris se développant après le siège de Paris de la guerre de 1870, et plus encore, l'expérience de la révolution russe.
Notre façon de voir l'histoire nous enseigne exactement le contraire. L'expérience de la première vague révolutionnaire qui fut un sursaut fantastique où la classe ouvrière réussit à se sortir du bourbier et des charniers de quatre années de guerre et à affirmer son internationalisme révolutionnaire, ne se reproduira plus.
Considérée de plus près,la situation du début de ce siècle nous montre que celle-ci était une situation originale qui ne nous permet plus d'en extrapoler les caractéristiques de notre siècle, si ce n'est en négatif.
En tout état de cause, il faut d'ailleurs bien voir que la première vague révolutionnaire, amorcée en Russie 17, ne parvient pas à s'étendre aux principaux pays vainqueurs : ni en Angleterre, ni en France, encore moins aux USA, la classe ouvrière ne réussit à reprendre le flambeau révolutionnaire allumé en Russie et en Allemagne. Nous n'inventons rien en tirant comme bilan que la guerre est la pire des situations pour que s'amorce un processus révolutionnaire. Dès le début de ce siècle, en Allemagne par exemple, les révolutionnaires tirent le même enseignement.
"C'était la révolution, revenant après quatre ans de guerre, après les quatre ans pendant lesquels le prolétariat allemand, grâce à 1'éducation que lui ont fait subir la social-démocratie et les syndicats, a fait preuve d'une telle mesure de faiblesse et de reniement de ses tâches socialistes. . .
En se plaçant sur le terrain du développement historique, il était certes impossible d'attendre beaucoup de cette Allemagne qui a offert l'image épouvantable de ce 4 août et des quatre années suivantes. On ne pouvait voir tout à coup le 9 novembre 1918, une révolution de classe grandiose, consciente de ses buts ; ce que nous a fait vivre le 9 novembre 1918, c'était pour les trois quarts l'effondrement de 1'impérialisme existant plutôt que la victoire d'un principe nouveau." Rosa Luxemburg, Discours sur le Programme
La seconde guerre mondiale, bien plus dévastatrice et meurtrière, plus longue et colossale, portant à un niveau supérieur le caractère mondial de celle-ci, n'a pas provoqué la moindre amorce de situation révolutionnaire nulle part dans le monde. En particulier, ce qui avait permis les fraternisations sur le front durant la première guerre mondiale : la prolongation des combats de tranchées où les soldats des deux camps se trouvaient en contact direct, n'a pu se répéter lors de la deuxième guerre avec son emploi massif des blindés et de l'aviation. Non seulement la 2ème guerre n'a pas constitué un terrain fertile pour que se dégage une alternative révolutionnaire, mais encore ses conséquences désastreuses se sont prolongées bien au-delà de la guerre elle-même. Après celle-ci, il aura fallu que s'écoulent encore deux décennies avant que le ressort de la lutte, de la combativité et les étincelles de la conscience du prolétariat ne rejaillissent dans le monde à la fin des années 60.
Par deux fois, la guerre mondiale a sonné minuit dans le siècle. La seconde fois, le raz de marée de barbarie qui a déferlé sur l'humanité a été incomparablement plus puissant et destructeur que la première fois. Aujourd'hui, si une telle catastrophe devait à nouveau advenir, c'est dans son existence même que l'humanité serait irrémédiablement menacée. Au delà de la peste idéologique qui, en situation de guerre, infeste la conscience des millions d'ouvriers impliqués, dressant une barrière d'acier devant toute tentative de transformation révolutionnaire, c'est dans la situation objective d'un monde transformé en ruines que cette possibilité serait balayée.
Dans l'éventualité d'une troisième guerre mondiale, non seulement serait balayée toute possibilité d'un dépassement historique du capitalisme, mais, de plus, nous pouvons avoir la quasi certitude que l'humanité elle-même n'y survivrait pas. Cela situe toute 1'importance des combats présents du prolétariat comme seul obstacle au déferlement d'un tel cataclysme.
M. Prénat
[1] [28] Voir nos articles dans la Revue Internationale °18 ("Le cours historique") et 30 ("Pourquoi l'alternative guerre ou révolution?").
PRESENTATION
Les Thèses sur le Parti du K.A.P.D. ont été écrites en juillet 1921 pour être discutées non seulement dans le parti mais au sein de l'Internationale Communiste (I.C.) à laquelle il adhérait depuis décembre 1920 à titre sympathisant.
Le souci qui animait les rédacteurs des Thèses était double :
- d'une part, se démarquer de la section officielle de l'I.C, le K.P.D., qui était devenu un parti typiquement centriste, après l'expulsion de la Gauche en octobre 1919. Né dans l'action, en avril 1920, au milieu des combats armés entre ouvriers de la Ruhr et la Reichswehr, le KAPD traduisait une orientation révolutionnaire face au KPD qui, par la bouche de son chef Levi, proclamait son "opposition loyale" au gouvernement social-démocrate. Le KAPD, comme le PC d'Italie de Bordiga plus tard, était le prototype du parti révolutionnaire né dans la période de décadence : un parti-noyau "étroit" à l'opposé des partis de masses préconisés par l'I.C, et dont le VKPD allait être le modèle après la fusion avec les Indépendants en décembre 1920.
- d'autre part, face aux tendances "conseillistes" anti-parti, incarnées par Ruhle et l'A.A.U.D-E., affirmer le rôle indispensable du parti dans la révolution, comme corps unitaire centralisé et discipliné dans son programme comme dans l'action.
Les Thèses du KAPD -dont nous donnons ici une traduction d'Invariance (No. 8, octobre-décembre 1969) revue et corrigée par nos soins- sont particulièrement actuelles, en dépit de leurs faiblesses. Une lecture attentive démolit la légende d'un KAPD "infantile" et "anti-parti", légende colportée par les courants "bordiguistes". Au contraire, à la différence de la tendance Ruhle évoluant vers l'anarchisme, le KAPD est une partie intégrante de l'ensemble de la Gauche communiste internationale qui s'opposa à la dégénérescence de l'I.C.
C'est donc un non-sens et une contradiction absolue lorsque aujourd’hui des éléments ou des groupes conseillistes se réclament du KAPD. les Thèses du KAPD sont, sans ambiguïté aucune, une condamnation des idées conseillistes.
a) La nature de la révolution prolétarienne
- Contrairement aux éléments anarchisants de la Gauche allemande, le KAPD affirme que la question du pouvoir politique du prolétariat se pose non localement, dans l'usine considérée comme un "bastion de la révolution", mais à l'échelle mondiale. Elle passe par la destruction de l'Etat, laquelle implique une violence concentrée du prolétariat.
- Contre l'usinisme de Ruhle et de l'AAUD-E, qui font de la révolution prolétarienne une simple question économique de gestion des usines, le KAPD souligne l'aspect unitaire de la révolution prolétarienne, comme processus politique (prise du pouvoir) et économique (prise en main de la production).
b) Le rôle et la fonction du parti
Il est frappant de voir, comme chez Bordiga, la même définition du parti : un corps programmatique (conscience) et une volonté d'action. De même, le parti n'est pas identique à la classe ; il en est une partie sélectionnée, la plus consciente. Le parti n'est pas au service de la classe, puisqu'il peut être amené pour la défense des intérêts globaux de la classe révolutionnaire, à entrer dans une "contradiction apparente" avec elle. Le parti n'est pas à la queue mais à l'avant-garde de la classe ouvrière.
Cette insistance sur le rôle politique du parti combat en fait les tendances "conseillistes" qui se développaient dans le prolétariat allemand après la défaite de 1919 et entraînaient un certain apolitisme de type syndicaliste-révolutionnaire dans le mouvement des Unions qui rassemblaient alors des centaines de milliers d'ouvriers. A ce repliement dans l'usine, voire la branche professionnelle, le KAPD oppose la nécessité d'un combat politique intransigeant. Cette vision du parti n'a rien à voir avec celle de Pannekoek, dans les années 30, qui considérait qu'un "parti" ne peut être qu'un groupe d'études ou de travail. Pour le KAPD, comme pour le CCI aujourd'hui, le parti est une organisation militante de la classe ouvrière. Elle est un facteur actif -un "parti de l'action"- dans la lutte de classe dont la fonction est de développer la conscience de classe du prolétariat qui passe par des phases d'hésitations et d'oscillations.
Cette lutte contre les oscillations et les hésitations est un combat politique constant, autant au sein du parti que dans la classe:
- dans le parti, contre les tendances centristes de conciliation avec la bourgeoisie ou avec l'anarchisme petit-bourgeois. C'est ainsi que le KAPD dut exclure la tendance "national-bolchéviste" de Hambourg groupée autour de Wollfheim et de Laufenberg qui préconisait, soutenue par des nationalistes allemands pro-URSS, la "guerre révolutionnaire" contre les pays de l'Entente. De même fut exclue la tendance Ruhle en Saxe qui niait toute nécessité d'un parti politique du prolétariat.
- dans la classe, le parti se trouve à la tête des luttes en maintenant fermement la boussole de son programme, guidé par une volonté d'action révolutionnaire. Si le parti est incapable de juger clairement d'une situation révolutionnaire et de l'orienter par la clarté de ses mots d'ordre, au moment où la classe se trouve dans un état de flottement, il risque de connaître le sort du Spartakusbund en janvier 1919, à Berlin, incapable de proposer une perspective claire aux ouvriers. Au moment décisif, le parti joue un rôle fondamental, soit pour pousser à l'offensive, lorsque la situation est mûre, soit pour appeler au repli (comme le parti bolchevik en juillet 1917), même au prix d'une "contradiction apparente" avec les fractions les plus avancées de la classe, lorsqu'elles sont isolées du reste de la masse prolétarienne.
Pour être la "tête et l'arme de la révolution", aux moments cruciaux de la lutte révolutionnaire, le KAPD a compris les changements profonds qui s'opéraient dans la structure du parti dans la période de décadence du capitalisme.
c) Structure et fonctionnement du parti
En soulignant la nécessité d'un "noyau communiste solide", le KAPD comprend clairement l'impossibilité de partis de masses révolutionnaires. Dans la période historique "des guerres et des révolutions" (suivant les termes de l'I.C), le parti ne peut rassembler qu'une petite minorité de la classe, la plus décidée et la plus consciente de la nécessité de la révolution. Il n'est plus, comme au XIXe siècle, un parti de réformes rassemblant de larges masses ouvrières et les organisant, mais un parti forgé dans le feu de la révolution. Les conditions de la décadence (totalitarisme et illégalité) imposent une sélection rigoureuse des militants communistes. Pour cette raison, mais aussi par le fait que le parti se développe très rapidement sur le plan numérique dans les périodes révolutionnaires, en attirant à lui des masses qui la veille étaient non politisées ou dans la mouvance des partis de la gauche capitaliste (stalinisme, gauchisme, etc.), il est vital qu'il n'accroisse pas "l'effectif de ses membres plus rapidement que ne le permet la force d'absorption du solide noyau communiste" (thèse No 9).
Cette vision du parti est très proche de celle de Bordiga en 1921. De même l'affirmation d'une discipline de parti détruit la légende entretenue naguère par le PCI (Programme Communiste) d'un KAPD anti-centraliste et "anarchisant". La thèse 7 affirme que le parti communiste est "une volonté unitaire, organisée et disciplinée".
d) L'intervention dans les luttes économiques
La question de l'intervention est posée claire ment par le KAPD. La réponse est à l'opposé de celle d'"Invariance" -et par la suite du milieu moderniste- qui dans sa traduction fait un contre sens tout à fait révélateur. En effet, "Invariance" ajoute une négation (ne pas) là où le KAPD affirme que le "parti doit... se lier aux mouvements des masses ouvrières engendrés par la misère économique". Certes, par la suite, en 1922, Gorter et Schrôder (dirigeant du KAPD) feront scission en préconisant la non-participation aux luttes économiques de la classe, sinon "à titre individuel" (sic). Il va de soi que tout parti révolutionnaire participe politiquement aux luttes revendicatives. Ce qui le distingue des "modernistes" c'est l'affirmation que le prolétariat se soude comme classe à travers les luttes partiel les, comme condition de la marche vers la lutte globale politique pour le pouvoir. Ce qui le distingue, en second lieu, des tendances "conseillistes" qui ne voient que la lutte économique (et jouent les vierges effarouchées lorsque la lutte se politise et va dans le sens des mots d'ordre du parti révolutionnaire), c'est son activité politique. Aller dans le sens inverse de la politisation de la lutte, comme le font les "conseillistes", ne peut mener qu'à "renforcer l'esprit de l'opportunisme" (thèse 11), en séparant luttes revendicatives et luttes révolutionnaires. Ce qui le distingue, en troisième lieu, des tendances "bordiguistes", c'est qu'il ne s'érige pas en organisateur et directeur matériel de la lutte : "il doit essayer de clarifier spirituellement de tels mouvements afin de les pousser aux luttes effectives, les élargir et accélérer leur mouvement par l'appel à la solidarité, afin qu'ils prennent des formes révolutionnaires et, si possible politiques". Même si les termes employés ici ne peuvent être les nôtres par une confusion de langage, où "spirituelle" a une résonance idéaliste et où la lutte révolutionnaire semble précéder la lutte politique, le souci profond d'être un facteur actif de la lutte apparaît clairement dans les thèses. Le parti est un facteur de volonté et de conscience.
Cet esprit le CCI le fait sien. Le parti qui surgira demain ne pourra être ni un cercle de phraseurs timorés ni une direction autoproclamée de la classe. Pour être facteur actif, le parti doit d'abord être le produit de la conscience de classe, qui se cristallise alors par une volonté de minorités significatives de la classe.
En republiant ces thèses, nous ne pouvons passer sous silence les faiblesses et les manques qui transparaissent ici et là et font que nous nous réapproprions le programme du KAPD de façon critique. Ces faiblesses ne sont pas seulement dues au caractère hâtif de la rédaction des thèses en vue du Ille congrès de l'I.C, ce qui les rend parfois obscures. Elles découlent de confusions présentes dans le KAPD et qui finalement expliquent pour une grande part sa disparition comme courant.
QUELQUES FAIBLESSES DES THESES DU KAPD
a) La double organisation
Le fait que les Unions (AAUD) aient surgi avant que se créât le KAPD et sur des positions politiques voisines explique que le KAPD se conçoive à la fois comme un produit et comme la "direction spirituelle" des AAU. Il apparaît dans les thèses une conception pyramidale où le parti crée et dirige les Unions, lesquelles créent les conseils ouvriers. Cette conception substitutiste coexiste de façon confuse avec une théorie "éducationniste" ("travail d'éducation" de la classe).
Dans la confusion qui naît d'une série de défaites décisive du prolétariat allemand, le KAPD assimile en fait organisations d'usine révolutionnaires, qui constituent les débris des conseils ouvriers, et Unions. Les comités d'usine ne peuvent devenir permanents que dans une vague de montée révolutionnaire et, soit disparaissent avec sa défaite, soit constituent l'élément moteur des conseils avec son triomphe.
En maintenant ces comités, après la vague révolutionnaire, de façon permanente sous forme de base de masse reconnaissant les thèses du parti ; (dictature du prolétariat, antiparlementarisme, I destruction des syndicats), le KAPD finit par être absorbé par les AAU, amenant la décomposition du parti en 1929.
L'erreur de la double organisation se retrouve jusque dans le fonctionnement du KAPD, puisqu'à ; côté de lui se fonda, en 1921, une organisation de jeunesse (KAJ) autonome par rapport au parti. !
b) Fraction et opposition ;
A la différence de la Fraction italienne, plus tard, le KAPD se concevait comme une "opposition" dans l'Internationale et non comme un corps organisé ayant une continuité organique avec l'ancien parti. Son expulsion du Komintern en septembre 1921 ne lui permit pas de se rattacher avec les gauches les plus significatives, comme celle de Bordiga. L'existence de groupes en Hollande, Bulgarie et Grande-Bretagne sur les positions du KAPD, donna l'illusion à une minorité, et sous l'influence de Gorter, de pouvoir proclamer artificiellement l'existence d'une Internationale communiste ouvrière (KAI), ce qui entraîna une scission dans le KAPD en mars 1922, qui se solda par la désagrégation numérique du parti. Désormais, le KAPD maintenu (tendance de Berlin opposée à celle d'Essen, qui suivait Gorter) devait se survivre jusqu'en 1933. Face à Gorter, il montrait que la nouvelle Internationale ne surgirait que lorsque les conditions objectives et subjectives seraient mûres. Mais les apports sur les questions de la fraction, de l'Internationale, furent ceux de la Gauche italienne après 1933.
Ces faiblesses et manques dans les thèses du KAPD ne doivent pas nous faire perdre de vue ses apports, qui, avec ceux de la Gauche italienne et, en partie, ceux de la Gauche hollandaise,sont ceux dont nous nous revendiquons.
Face au danger conseilliste dans la classe demain et face aux oscillations centristes, ces thèses montrent la nécessité du parti pour remplir sa fonction indispensable afin que triomphe la révolution mondiale. Il doit être clair que son triomphe dépendra de la maturité des minorités communistes et de leur capacité à ne pas être en retard par rapport aux mouvements révolutionnaires. L'histoire du KAPD montre a contrario que l'issue de la révolution dépend en grande partie de la capacité des révolutionnaires à former au niveau international le parti, non pas pendant, mais avant l'éclatement de la révolution. Les années 80 sont des années de vérité pour le mi1ieu révolutionnaire, particulièrement pour le CCI qui doit rester vigilant contre toute sous-estimation conseilliste de la nécessité d'un parti et être l'élément le plus actif pour poser les bases de sa constitution future.
Chardin
THESES ("Proletarier" No 7, juillet 1921)
1- La tâche historique de la révolution prolétarienne est de mettre dans les mains des masses travailleuses les trésors de la terre, d'abolir la propriété des moyens de production, ce qui rend impossible l'existence d'une classe possédante, exploiteuse et dirigeante basée sur la possession des biens privés. Le but est la libération de l'économie sociale de toutes les entraves du pouvoir politique à l'échelle mondiale.
2- L'abolition effective du mode de production capitaliste, l'appropriation de toute la production et sa distribution dans les mains des classes laborieuses, la suppression des antagonismes de classe, le dépérissement des institutions politiques et la construction de la société communiste sont un procès historique dont les moments particuliers peuvent être prévus exactement. En ce qui concerne la question du rôle de la violence politique au sein de ce procès, quelques points peuvent être fixés.
3- La révolution prolétarienne est en même temps procès économique et politique. Elle ne peut ni en temps que procès économique, ni en temps que procès politique, trouver une conclusion dans le cadre national ; bien plus, l'établissement d'une commune mondiale est son but vital, nécessaire. Il découle que, jusqu'à la défaite définitive, â l'échelle mondiale, du pouvoir du capital, les futures fractions triomphantes du prolétariat, ont aussi besoin d'une violence politique pour se préserver et, si possible, pour attaquer la violence politique de la contre-révolution.
4- Aux motifs de politique extérieure qui rendent nécessaire pour les fractions triomphantes du prolétariat la persistance d'une violence politique (dans sa propre sphère de domination aussi) s'ajoutent des motifs d'évolution interne. Considérée en tant que procès politique, la révolution présente un moment décisif : celui de la prise du pouvoir politique. Considérée en tant que procès économique, elle ne présente pas un tel moment décisif parce que la prise en charge concrète de l'économie de la part du prolétariat et la refonte de l'économie de profit en économie de consommation réclame un travail de longue haleine. Il va de soi que la bourgeoisie durant tout ce procès ne négligera rien pour défendre le profit et, dans ce but, pour ravir à nouveau, pour elle, le pouvoir politique. A cette fin, elle tentera, dans les pays ayant une idéologie démocratique évoluée - pays depuis longtemps industrialisés - d'utiliser les mots d'ordre de la tromperie démocratique afin de mystifier les prolétaires. De ce fait, la violence politique forte et impitoyable des ouvriers révolutionnaires est le minimum nécessaire requis, jusqu'à ce que s'accomplisse complète ment la prise en mains de l'économie de la part du prolétariat et, de ce fait, la privation pour la bourgeoisie de tout fondement économique de son existence. C'est cela la dictature du prolétariat.
5- La nécessité d'une violence de domination politique du prolétariat révolutionnaire même après la victoire politique de la révolution fonde, en même temps, la nécessité d'une organisation politique du prolétariat révolutionnaire aussi bien après qu'avant la prise du pouvoir politique.
6- Les conseils ouvriers politiques (soviets) sent la forme large d'organisation historique pour la domination et l'administration prolétarienne ; ils émergent chaque fois que la lutte de classe se radical i se et devient une lutte pour la totalité du pouvoir.
7- La forme historique convenable pour le rassemblement des combattants prolétariens les plus conscients, les plus éclairés, les plus disposés à l'action, est le parti. Comme le but de la révolution prolétarienne est le communisme, le parti ne peut exister qu'en tant que parti où programme et esprit sont communistes. Le parti doit être une totalité élaborée programmatiquement, fondue en une volonté unitaire, organisée et disciplinée à partir de la base. Il doit être la tête et l'arme de la révolution.
8- La première tâche du parti communiste, aussi bien avant qu'après la prise du pouvoir, est - parmi les confusions et les oscillations de la révolution prolétarienne - de maintenir clairement et sans se laisser déconcerter, la seule boussole sûre : le communisme. Le parti communiste doit dans toutes les situations, inlassablement et sans aucune hésitation, montrer aux masses prolétariennes, le but et le chemin, non seulement par des mots mais par des actes. Il doit dans toutes les questions de la lutte politique avant la prise du pouvoir pousser avec l'acuité la plus totale, à la séparation entre réformisme et révolution. Il doit flétrir toute solution réformiste en tant que rafistolage, en tant que prolongation de vie du vieux système d'exploitation, que trahison de la révolution, trahison des intérêts de la classe ouvrière toute entière. De même qu'il ne peut exister la moindre communauté d'intérêts entre exploiteurs et exploités, de même il ne peut exister le moindre lien politique entre révolution et réformisme ; le réformisme social-démocrate, sous quelque masque qu'il puisse se cacher, est aujourd'hui le plus dur obstacle pour la révolution et le dernier espoir de la bourgeoisie.
9- Le parti communiste doit donc tout d'abord, de façon absolument tranchante, tenir à l'écart de lui tout réformisme et tout opportunisme ; il en est de même pour son programme, sa tactique, sa presse, ses mots d'ordre particuliers et ses actions. En particulier, il ne devra jamais accroître l'effectif de ses membres plus rapidement que ne le permet la force d'absorption du noyau communiste solide.
10- Au cours de la révolution, les masses ouvrières passeront par d'inévitables oscillations. La révolution est un processus dialectique non seulement dans sa totalité mais aussi dans ses phases particulières. Le parti communiste en tant qu'organisation des éléments conscients doit de ce fait essayer de ne pas succomber lui-même à ces oscillations et les surmonter ; il doit aider les masses par la clarté et la pureté de ses mots d'ordre, l'accord entre ses mots d'ordre et ses actions, sa position en tête de la lutte, la rectitude de ses prévisions, à surmonter rapidement et à la racine de telles hésitations. Le parti communiste doit donc, par toute son attitude, développer la conscience de classe du prolétariat même au prix d'une contradiction extérieure apparente avec les larges masses. C'est ainsi seulement que le parti communiste gagnera au cours de la lutte révolutionnaire la confiance des masses et conduira un travail d'éducation sur une vaste échelle.
11- Le parti communiste ne doit naturellement pas se détacher des masses : c'est-à-dire qu'il doit - en dehors du travail qui va de soi d'une propagande inlassable - se lier aux mouvements des masses ouvrières engendrés par la misère économique, les revendications partielles, il doit essayer de clarifier spirituellement de tels mouvements afin de les pousser aux luttes effectives, les élargir et accélérer leurs mouvements par l'appel à la solidarité active, afin qu'ils prennent des formes révolutionnaires et, si possible, politiques. Mais la tâche du parti communiste ne peut être de se poser plus bête qu'il n'est, c'est-à-dire que sa tâche ne peut pas être de renforcer l'esprit de l'opportunisme en développant, sous la responsabilité du parti, des revendications partielles réformistes.
12- Mais le travail pratique le plus important des communistes pour la lutte économique des travailleurs réside dans l'organisation de l'arme de la lutte qui est, dans les époques révolutionnaires, dans les pays hautement développés, la seule arme utilisable pour de telles luttes ; c'est-à-dire les communistes doivent veiller à ce que les ouvriers révolutionnaires (pas seulement les membres du parti communiste) se regroupent dans les entreprises et que les organisations d'entreprises se fondent en Unions pour donner forme à 1'instrument adapté à la prise en charge de la production par la classe ouvrière.
13- Les organisations d'entreprise révolutionnaire (les Unions) constituent l'humus d'où surgiront, dans la lutte, des comités d'action, les cadres pour les revendications économiques partielles et finalement pour la production des travailleurs luttant eux-mêmes, la préparation et l'infrastructure apte à sous-tendre les conseils ouvriers révolutionnaires.
14- En créant ainsi la vaste organisation de classe du prolétariat révolutionnaire, les communistes, outre qu'ils conservent en tant que parti la force d'un corps unitaire programmatique fermé et qu'ils mettent en valeur, dans l'Union comme partout, la pensée communiste en tant que loi suprême, assurent la victoire de la révolution prolétarienne et celle plus éloignée de la société communiste.
15- Le rôle du parti après la victoire politique de la révolution dépend des rapports internationaux et du développement de la conscience de classe des ouvriers. Tant que la dictature du prolétariat (la violence politique de la classe ouvrière victorieuse) est nécessaire, le parti communiste doit tout faire pour sauvegarder le développement dans une direction communiste. Dans ce but, il est indispensable que, dans tous les pays industriels développés, les prolétaires révolutionnaires eux-mêmes, sous la direction spirituelle des communistes, prennent part, de la manière la plus ample, à la prise en charge et à la refonte de la production. L'organisation selon les entreprises et en Unions, l'apprentissage dans les perpétuels conflits partiels, la création de comités d'actions, constituent la préparation qui sera entreprise, au cours de la lutte révolutionnaire, par l'avant-garde des ouvriers eux-mêmes.
16- Dans la mesure où l'Union, en tant qu'organisation de classe du prolétariat, se renforce après la victoire de la révolution et devient capable de consolider les fondements économiques de la dictature sous la forme du système des conseils, elle gagnera en importance vis-à-vis du parti. Dans la mesure où, ultérieurement, la dictature du prolétariat sera assurée grâce à son ancrage dans la conscience des larges masses, le parti perdra de sa signification au profit des conseils ouvriers. Finalement, dans la mesure où la consolidation de la révolution au moyen de la violence politique devient superflue, la dictature se transformant en société communiste, le parti disparaît.
Proletarier, juillet 1921, n°7. (traduction d'Invariance n°8 , oct-déc. 69, revue).
Dans la première partie de cet article, nous avons voulu démontrer que la formation du Bureau International pour le Parti Révolutionnaire par le PCInt (Battaglia Comunista) et la Communist Workers' Organisation, n'avait rien de positif pour le mouvement ouvrier. Ceci, non parce que nous nous amusons à jouer les détracteurs, mais pour deux raisons :
- parce que la pratique organisationnelle du BIPR n a aucun fondement solide, comme nous 1'avons vu lors des Conférences Internationales,
- parce que BC/CWO sont loin d'être clairs sur les positions de base du programme communiste - sur la question syndicale en particulier.
Dans cette deuxième partie, nous revenons sur les mêmes thèmes. Sur la question parlementaire, nous verrons que le BIPR a "résolu" les divergences entre BC et la CWO en les "oubliant". Sur la question nationale, nous verrons comment les confusions de BC/CWO ont entraîné une politique de conciliation envers le gauchisme nationaliste de l'UCM iranien ([1] [34])
La question du parlementarisme
De même que sur la question syndicale, la plateforme de BC de 1982 ne représente ni un changement, ni une clarification sur la question parlementaire par rapport à celle de 1952 : BC a simplement rayé les parties les plus compromettantes. En 1982, comme en 1952, BC écrit : " Depuis le Congrès de Livourne jusqu'à aujourd'hui, le Parti n'a jamais fait sien l'abstentionnisme face aux campagnes électorales comme principe d'orientation de sa propre politique, comme il n'a jamais accepté, ni n'acceptera aujourd'hui, le participationniste systématique et indifférencié. Conformément à sa tradition de classe, le Parti décidera chaque fois du problème de sa participation suivant l'intérêt politique de la lutte révolutionnaire". (Plateforme de BC, 1952 et 1982).
Mais là où en 1952 BC parlait de "la tactique du Parti (participation à la seule campagne électorale avec propagande écrite et orale ; présentation de candidatures ; intervention au sein de l'assemblée)" (Plateforme de 1952), aujourd'hui, "étant donné la ligne de développement de la domination capitaliste, le Parti reconnaît que la tendance est vers des occasions de plus en plus rares pour que les communistes puissent utiliser le parlement en tant que tribune révolutionnaire" (Plateforme de 1982). Au fond, cette argumentation est aussi profonde que celle de n'importe quel parti bourgeois, qui renonce à briguer un siège par peur de perdre sa caution financière.
Pour une fois, la CWO n'est pas d'accord avec son "organisation soeur" :
" Le parlement est la feuille de vigne derrière laquelle se dissimule la dictature de la bourgeoisie. Les véritables organes du pouvoir se trouvent en fait hors du parlement... si bien que le parlement n'est même plus le conseil exécutif de la classe dominante, mais simplement un piège à dupes sophistiqué...(...)... Le concept de choix électoral est aujourd'hui la plus grande fumisterie qui soit." (Plateforme de la CWO) ([2] [35])
Que la CWO prenne BC pour des dupes, soit. Mais qu'ils ne fassent pas de même avec le reste du milieu révolutionnaire, ni avec la classe ouvrière en général. Voici le BIPR, le summum auto-proclamé de clarté programmatique et de volonté militante, qui contient en son sein deux positions non seulement différentes, mais parfaitement incompatibles, voire antagoniques. Et pourtant, nous n'avons jamais vu même l'ombre d'une confrontation entre ces positions.
Comme nous l'avons déjà remarqué ([3] [36]), la plateforme du BIPR résout la question, non pas en la "minimisant", mais en ... 1'"oubliant". C'est peut-être ça, la "responsabilité" que nous sommes "en droit d'attendre d'une force sérieuse dirigeante".
On pourrait nous répondre que le parlementarisme est une question secondaire. Il est effectivement vrai, que nous n'aurons probablement jamais le plaisir d'écouter les discours parlementaires d'un "honorable member" de BC ou de la CWO. Mais accepter ce genre d'argument serait escamoter une question de fond. Le principe abstentionniste était une des positions centrales qui distinguait l'aile gauche du Parti socialiste italien autour de Bordiga (laquelle s'intitulait justement "Fraction abstentionniste"), des réformistes et opportunistes en tout genre. BC aujourd'hui ne défend même pas cette position initiale de Bordiga, mais celle qu'il a adoptée au sein de l'IC, "par discipline" (c.a.d., l'abstentionnisme par tactique et non par principe).
Quant à la CWO, la légèreté avec laquelle elle renie sa propre déclaration qu’"aucun aspect théorique ne doit rester dans 1'ombre aussi bien dans une même organisation qu'entre organisations" (Plateforme de la CWO) ne fait que confirmer que sa position sur la question parlementaire (comme sur tant d'autres) est née de simples observations empiriques.
La position anti-parlementaire doit surgir d'une compréhension profonde de la décadence du capitalisme et de ses implications sur le mode d'organisation de l'Etat bourgeois - le capitalisme d'Etat. Ne pas comprendre la question parlementaire, c'est se rendre incapable de comprendre les manoeuvres politiques des différentes fractions de la bourgeoisie. Pour celles-ci, le pouvoir parlementaire est devenu un problème parfaitement secondaire, par rapport aux besoins de mystification et contrôle social. Pas étonnant donc, que la CWO s'est toujours avouée "incapable de comprendre" nos analyses sur la "gauche dans l'opposition". ([4] [37])
Mais la non compréhension des implications de la décadence capitaliste, et donc des bases matérielles de ses propres positions, n'excuse pas la pratique de la CWO sur la question parlementaire. Dans un article paru dans Workers Voice n°19 en novembre 1984 ("Capitalist Elections and Communism") la CWO réussit le tour de force extraordinaire de publier un long article sur le parlementarisme, en citant les positions de la Fraction abstentionniste (c.a.d. la gauche révolutionnaire organisée autour de Bordiga) du Parti socialiste italien, sans dire un mot des positions de "l'organisation soeur", Battaglia Comunista. Cette pratique, qui consiste à"oublier", ou cacher des divergences de principe dans l'intérêt d'une unité de façade, a un non dans le mouvement ouvrier : c'est l'opportunisme.
La question nationale
et la conciliation avec le gauchisme
Nous avons déjà vu que, pour le BIPR, la différence entre "stratégie" et "tactique" est la même que celle entre la porte fermée et la fenêtre ouverte. La plateforme du BIPR commence par fermer la porte aux mouvements de libération nationale : "L'ère des libérations nationales, en tant qu'événements progressifs de 1'histoire, par rapport au monde du capitalisme, est depuis longtemps définitivement terminée. Il faut donc rejeter sans équivoque toutes les thèses qui, considérant que le problème national se pose encore dans certaines régions du monde, subordonnent les principes, la stratégie et la tactique du prolétariat à une politique d'alliance avec la bourgeoisie nationale, ou pire avec des blocs impérialistes rivaux" (Revue Communiste n°1, p.7.avril 1984). Aussitôt elle ouvre la fenêtre à la conciliation dans la pratique avec le gauchisme : "Indépendamment de la possible prise en charge de la revendication de certaines libertés élémentaires dans 1'agitation politique révolutionnaire, la tactique du parti communiste sera tournée vers la destruction de l'Etat pour l'instauration de la dictature du prolétariat" (ibid, p.8, nous soulignons).
Cette ambiguïté ne nous surprend pas, puisque BC en particulier n'a jamais été capable de mener sa critique de la position de l'IC sur la question nationale jusqu'au bout. Dans ses interventions à la 2ème Conférence Internationale (novembre 1978), BC parle "de la nécessité de dénoncer le caractère des soi -disant luttes de libération nationale, comme supports à une politique impérialiste", mais enchaîne tout de suite : " si le mouvement national ne se pose pas le problème de la révolution communiste , il est nécessairement et inévitablement victime de la domination impérialiste" (2ème Conférence,vol. 2, p. 62). Avec ce petit "si", BC s'arrête à mi-chemin. Ce "si" traduit l'incapacité de BC de comprendre que le "mouvement national" ne peut jamais se poser "le problème de la révolution communiste". Seule la lutte prolétarienne indépendante, sur le terrain de la défense des intérêts de classe, peut se poser ce problème. Tant que le prolétariat lutte sur le terrain national, il est voué à l'échec, puisque,dans la période du capitalisme décadent, toutes les fractions de la bourgeoisie sont unies contre la classe ouvrière, y inclus les fractions soi -disant "anti-impérialistes". Et dès que le prolétariat lutte sur son terrain, il se heurte au nationalisme de la bourgeoisie.
Ce n'est que sur son terrain, de la lutte de classe internationale, et donc anti-national que le prolétariat peut donner une direction aux luttes des masses pauvres des pays sous-développés. Et si l'issue de la lutte de la classe ouvrière dans ces pays sera effectivement déterminée par celle dans le coeur industriel du capital, ceci n'enlève rien de sa responsabilité en tant que fraction du prolétariat mondial, et donc des révolutionnaires au sein de cette fraction. Parce que BC ne l'a pas compris, parce qu'elle est restée incapable de pousser sa critique des positions de l'IC jusqu'au bout, elle finit par affirmer qu'il faut "dresser les mouvements de libération nationale en révolution prolétarienne" (2ème Conférence, vol 2, p.62.novenbre 78), qu'il faut "travailler dans le sens de la rupture de classe dans le mouvement et non en le jugeant du dehors. Cette rupture, maintenant, signifie la création d'un pôle de référence en lien avec le mouvement" (ibid, p. 63, nous soulignons). Pas étonnant que quand l'UCM affirme : "Nous rejetons l'idée que les mouvements (de libération, nationale, NDLR) sont incapables de s'attaquer au capitalisme de façon révolutionnaire. Nous disons que ces mouvements ont failli parce que la bourgeoisie en avait la direction... il est possible pour les communistes d'en prendre la direction" (4ème Conférence, septembre 1982, p.19), ils ajoutent : "Nous sommes d'accord avec la manière de BC de poser la question".
C'est sans doute le désir de "créer un pôle de référence en lien avec le mouvement" qui a amené BC et la CWO à inviter l'UCM à la même Conférence de la Gauche Communiste. Quant à la nature de l'UCM, nous n'aurions que peu de chose à ajouter à la dénonciation du PC d'Iran (formé par l'UCM et Komala) dans la Revue Communiste n°1. Cet article, nous montre, "que le PC d'Iran a les mêmes conceptions capitalistes d'Etat que la gauche européenne" et qu'il "n'a de communiste que le nom". Mais que le BIPR écrive ces mots en 1984 nous fait penser à l'amant qui se rend compte que sa bien-aimée est religieuse.... quand elle se sauve avec le curé. Le BIPR veut nous faire croire que ce Programme date de 1983, et n'existait pas "quand nous polémiquions avec eux (l'UCM) ; c.a.d. avant que l'UCM n'accepte le Programme du PC d'Iran (ibid). Rien n'est moins vrai. Le Programme a été publié en anglais en mai 1982, et une "note" rajoutée par Komala montre que les deux organisations ont tenu des discussions de fusion à partir de 1981. Cinq mois plus tard, l'UCM, qui se revendique explicitement du "Programme du PC d'Iran" est "sérieusement sélectionné" pour "commencer le processus de clarification des tâches du parti" (4ème Conférence). . En plus, avec quelle gentillesse, quelle circonspection, quelle "compréhension" BC et la CVO répondent-ils à l'UCM !
"Nous sommes globalement en accord avec 1'intervention du SUCM (sur les "révolutions bourgeoises démocratiques", NDLR)" (BC). "Le programme de l'UCM semble être celui dé la dictature prolétarienne" (encore BC). " Le terme "révolution démocratique" prête à confusion" (CWO) ; "Nous pensons que c'est une idée (la "révolution ininterrompue") qui a été dépassée"(BC). Même en 1984, le BIPR n'est pas encore prêt à dénoncer le PC d'Iran pour ce qu'il est - une fraction ultra-radicale de la bourgeoisie nationaliste. Non, pour le BIPR, "le PC d'Iran et les éléments qui gravitent dans son orbite" sont encore des "interlocuteurs", tandis que la participation à la guerre impérialiste n'est que "les graves erreurs pratiques auxquelles peut conduire une ligne politique manquant de cohérence sur le plan historique" (Revue Communiste n°2) .
BC et la CWO feraient mieux de se réapproprier dans la pratique, et non pas de façon platonique contre à présent, les mots de Lénine : "celui qui parle aujourd'hui de "dictature révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie" n'est plus dans le coup et, par voie de conséquence,il est de fait dans le camp de la petite bourgeoisie, contre la lutte de classe prolétarienne" ("Thèses d'Avril") ; "On ne jure plus à notre époque que par 1'internationalisme. Jusqu'aux chauvins jusqu'au-boutistes, jusqu'à MM. Plékhanov et Potressov, jusqu'à Kerenski, qui se disent internationalistes. Le parti du prolétariat a le devoir d'autant plus impérieux d'opposer avec une clarté, une précision, une netteté absolues, l'internationalisme en actions à 1'internationalisme en paroles" (Lénine : "Les tâches du prolétariat dans Notre Révolution" ).
Voilà où mène le désir de BC et la CWO d'être "en lien avec le mouvement" : faire des "Conférences" avec une organisation bourgeoise qui participe à la guerre impérialiste. Eh lien avec le mouvement d'accord - mais quel mouvement ?
L'attitude, le comportement pratique, de la CWO et BC, et maintenant du BIPR, ne sont pas nouveaux dans le mouvement ouvrier. C'est celui du "centre" qui hésite entre les social-chauvins et les véritables internationalistes.. .Le "centre" est pour "l'unité", le centre est l'adversaire de la "scission" (ce que la CWO "deuxième série" ([5] [38]) appelle aujourd'hui notre "sectarisme" envers l'UCM) ; "Le "centre", c'est le règne de la phrase petite-bourgeoise bornée de bonnes intentions (et à résonance "ultra-marxiste" ! NDLR), de l'internationalisme en paroles, de l'opportunisme pusillanime et de la complaisance pour les social-chauvins en fait" (Lénine, op. cit). Si aujourd'hui, le gauchisme en tout genre, la bouche pleine d'internationalisme "en paroles", a pris la place du social-chauvinisme ouvert, le comportement centriste dénoncé par Lénine reste le même.
L'émergence des forces communistes
Si BC et la CWO ont tant de mal à "opposer 1'internationalisme en actions à 1'internationalisme en paroles", c'est aussi parce qu'ils sont sérieusement affaiblis par leur vision invraisemblable du surgissement des groupes révolutionnaires, en particulier dans les pays sous-développés. Ainsi, dans RP 21, 1984 ("The Situation in Iran and the tasks of Communists"), la CWO nous explique qu'il n'y a que trois possibilités pour "le développement d'une clarification politique" :
"1) La formation d'une avant-garde communiste est sans importance dans ces régions puisque leurs prolétaires sont sans importance pour la révolution. Nous rejetons cette conception comme frisant le chauvinisme. ..(...)...
2) ...un parti communiste émergera spontanément de la lutte de classe dans ces régions. C'est à dire, sans contact organique avec la gauche communiste... le prolétariat créera une avant-garde directement qui formulera une vision globale du communisme à partir de sa propre existence. Une telle vision est une folie spontanéiste...
3)...certains courants et individus commencent à mettre en question les bases du gauchisme et se mettent à critiquer leurs propres positions...".
La première "possibilité" est soi -disant la position du CCI, ce qui permet à la CWO de nous dénoncer pour "euro-chauvinisme". Encore une fois, la CWO est passée maître dans la polémique de la calomnie voilée: aucun de nos textes n'est cité pour soutenir cette accusation ridicule, et les soi-disant propos d'un de nos militants (cités dans le même article) ont dû être recueillis un jour où la CWO avait oublié de se laver les oreilles. Il nous suffit ici de rappeler, que si nous menons depuis dix ans, un travail de contact et de discussion en Amérique latine, en Australie, en Inde, au Japon, dans les pays de l'Est...ce n'est certainement pas parce que nous estimons "les prolétaires de ces pays" comme "sans importance pour la révolution".
La deuxième position est également censée être la nôtre. Disons d'abord que cette vision du parti qui surgit sur une base nationale, et non pas internationale dès le départ, n'est pas celle du CCI mais de BC (la contradiction n'a jamais gêné la CWO !). Mais en plus, il est évident que le surgissement de groupes basés sur les positions de classe ne peut qu'être le fruit d'une lutte acharnée contre l'idéologie dominante, d'autant plus dans les pays sous-développés où les militants doivent affronter tout le poids du nationalisme ambiant, et de la situation très minoritaire du prolétariat. La survie de ces groupes dépend donc de leur capacité à porter les leçons de la lutte des ouvriers contre "leur" bourgeoisie soi-disant "anti-impérialiste" au niveau théorique et militant, en nouant des liens avec les organisations politiques les plus avancées du prolétariat mondial, au coeur du monde capitaliste en Europe.
La troisième position - celle du BIPR - revient à ceci : chercher le surgissement de groupes prolétariens au sein même de la classe ennemie, parmi les organisations gauchistes dont la fonction est précisément de dévoyer, trompé, et massacrer la classe ouvrière, au nom même du "socialisme". Le BIPR montre ainsi qu'il ne comprend rien au mouvement dialectique des groupes politiques. Si les organisations prolétariennes subissent constamment l'influence de l'idéologie dominante - ce qui peut éventuellement les corrompre à un tel point qu'elles passent au camp de la bourgeoisie – l’inverse n'est pas vrai. Les organisations bourgeoises, du fait même qu'elles appartiennent à la classe dominante ne subissent aucune "pression idéologique" du prolétariat et on n'a jamais vu une organisation gauchiste passer en tant que telle du côté de la classe ouvrière.
De plus les perspectives du BIPR sont fondées sur une supposition fausse : que ces groupes (tel l'UCM) dans la mouvance maoïste surgissent de façon isolée, chacun dans son propre pays. La réalité est tout autre, et démontre la naïveté du BIPR. Dans les faits, ces groupes vivent autant dans les pays d'émigration que dans leur pays "d'origine", surtout dans les milieux d'exilés très fortement infiltrés par le gauchisme "européen" classique. Une lecture rapide de leur presse nous révèle, par exemple, "Bolshevik Message" (de l'UCM) qui publie une lettre de salutations de la part de l'ancien "El Oumami" ([6] [39]) ou le groupe maoïste "Proletarian Enancipation" (de l'Inde) qui publie - sans un mot de critique - le "Programme du PC d'Iran". Le combat que nous menons contre ces organisations est le même que celui que nous menons contre le gauchisme des pays développés et...tant pis pour "l'euro-chauvinisme".
Il est certain que les organisations surgies de la classe ouvrière en Europe, là où la classe est la plus expérimentée organisationnellement et politiquement ont une responsabilité énorme envers les groupes prolétariens des pays sous-développés, qui se battent souvent dans des conditions pénibles de répression physique et de pression de l'idéologie nationaliste ambiante. Mais ce n'est pas en escamotant la séparation de classe entre le gauchisme et le communisme qu'elles la rempliront; un exemple éclatant de ce genre d'escamotage nous est fourni par la publication côte à côte (dans "Proletarian Emancipation") d'un article de la CWO sur la conscience de classe, et du "Programme du PC d'Iran".
Conclusion
Nous ne sommes pas contre le regroupement des révolutionnaires : le travail que nous menons depuis la naissance du CCI est là pour le prouver. Mais nous sommes opposés aux regroupements superficiels qui passent par l'opportunisme envers leurs propres désaccords, et par le centrisme et la conciliation envers les positions bourgeoises. L'histoire de "Programma Communista" a montré que de tels regroupements finissent inévitablement par perdre, et non pas gagner, des forces au camp prolétarien. C'est pourquoi nous appelons BC et la CWO à passer au crible d'une critique sans merci leurs positions et leur pratique actuelles afin qu'ils puissent véritablement contribuer au travail qui doit mener au Parti mondial du prolétariat.
Arnold
[1] [40] Ce n'est pas le but de cet article de démontrer en détail la nature bourgeoise du "Unity of Communist Militants" ou de ses groupes de sympathisants à l'étranger (SUCM). (Voir nos articles dans WR n°57 et 60. Il suffit de dire que le programme initial de 1'UCM est essentiellement le même que celui du PC d'Iran (qui "n'a de communiste que le nom" selon le BIPR), et que Komala -avec qui l'UCM a publié le programme du PC d'Iran en mai 1982 - est une organisation maoiste, alliée militaire du Parti Démocrate Kurde, et dont les camps d'entraînement se situent en Irak. L'UCM et Komala sont donc des participants directs à la guerre impérialiste Iran/Irak.
[2] [41] Soit dit en passant, nous partageons entièrement cette vision du parlement "démocratique" bourgeois
[3] [42] Voir l'article dans la Revue Internationale n°40 (1er trimestre 1985).
[4] [43] Sans entrer dans le détail, notre analyse de " La gauche dans l'opposition" se base :
- sur le fait que, dans le capitalisme décadent, il n'existe plus de "fraction progressiste" de la bourgeoisie - quelles que soient ses querelles internes, toute la classe dominante est unie contre la classe ouvrière (voir Revue Internationale n° 31 et 39);
- sur le fait que, au sein de l'appareil capitaliste d'Etat, 1a fonction essentielle de ses fractions de gauche est de dévoyer la lutte prolétarienne.
Sur cette base, nous considérons que la bourgeoisie, depuis 1'ouverture de la deuxième vague de lutte de classe en 1978, a sciemment adopté la politique du maintien dans l'opposition de ses partis de gauche, afin d'éviter qu'ils soient discrédités aux yeux des ouvriers par l'austérité qu'ils seraient obligés d'appliquer au gouvernement (voir aussi Revue Internationale n°18).
[5] [44] Dans "Revolutionary Perspectives"n°20, la CWO est si gonflée par sa"méthode plus dialectique... qui voit les événements dans leur contexte historique, en tant que processus plein de contradictions, et non pas de façon abstraite, formelle", qu'ils ont décidé d'appeler la revue "Revolutionary Perspective". Second Séries . Avec RP 21, la mention "Second Séries" a déjà disparu de la revue, apparemment, la dialectique a fait long feu chez la CWO.
[6] [45] "El-Oumami", anciennement un organe de Programme Communiste, fut fondé sur des positions franchement nationalistes arabes après une scission du PCI en France.
A PROPOS DES LIVRES : "AU-DELA DU PARTI" (Collectif JUNIUS, 1982) "DE L'USAGE DE MARX EN TEMPS DE CRISE" (Les Amis de Spartacus, 1984)
"... Toute cette salade nous la devons surtout à Liebknecht et à sa manie de favoriser les écrivassiers de merde cultivés et les personnages occupant des positions bourgeoises, grâce à quoi on peut faire l'important vis-à-vis du philistin. Il est incapable de résister à un littérateur et à un marchand qui font les yeux doux au socialisme. Or ce sont là précisément en Allemagne les gens les plus dangereux, et depuis 1845, Marx et moi nous n'avons cessé de les combattre. () leur point de vue petit-bourgeois entre à tout moment en conflit avec le radicalisme des masses prolétariennes ou parce qu'ils veulent falsifier les positions de classe."
ENGELS à BEBEL 22 juin 1885.
Les produits des Editions Spartacus en France n'ont pas pour habitude de déroger à une idée fixe : la déformation des acquis principiels du mouvement ouvrier. L'éclectisme des divers ouvrages publiés possède même un point de rencontre primordial : 1'assimilation du bolchevisme au stalinisme et au jacobinisme avec pour objectif la négation de toute activité de parti pour le prolétariat. C'est la référence de base/ le nec plus ultra des deux "cahiers" : Au-delà du parti du collectif Junius ( 1982) et De l'usage de Marx en temps de crise par les "amis de Spartacus" (1984). Ces cahiers ont été réalisés par d'anciens militants du PIC ([1] [50]) et par toute une série d'éléments anarchisants et de notoriétés conseillistes. Les Editions Spartacus ont une diffusion plutôt confidentielle, mais suffisante tout de même pour influencer des éléments de la classe en recherche au niveau international, et pour rendre confuse, voire détruire toute sérieuse réappropriation de 1 'histoire passée du mouvement ouvrier et de son legs théorique aujourd'hui ; c'est pour cela que nous avons pour but de dénoncer ici ce qu'il ne faut pas prendre pour argent comptant en dépit des citations extirpées des textes mêmes de Marx.
1- LA PRETENTION DE REJETER LA NECESSITE DU PARTI
a) La question de l'organisation en parti est-elle étrangère à la lutte de classe prolétarienne ?
Le sous-titre de Au-delà du parti assure qu'il va traiter de "l'évolution du concept de parti depuis Marx". D'emblée l'introduction précise :
"La critique du concept de parti, y compris par les conseillistes et par les diverses variantes de modernistes (situationnistes, associationnistes, autonomes de tous poils...) évite de situer clairement les origines du caractère erroné de ce concept dans les thèses de Marx lui-même. Pire, elle croit pouvoir opposer la théorie du parti prolétarien chez celui-ci à toutes celles qui, à partir de la Social-Démocratie et du léninisme, ont assimilé le Parti à la représentation du prolétariat, à1' incarnation de sa conscience de classe" Dès le départ l'entreprise des anciens du PIC trahit sa démarche intellectuelle: on ne se situe pas du point de vue des intérêts du mouvement prolétarien dans son ensemble, mais du point de vue abstrait d'un "concept". Toute autre est la démarche marxiste :
". On ne peut étudier et comprendre l'histoire de cet organisme, le Parti, qu'en le situant dans le contexte général des différentes étapes que parcourt le mouvement de la classe, des problèmes qui se posent à elle, de 1 'effort de sa prise de conscience, de sa capacité à un moment donné de répondre de façon adéquate à ses problèmes, de tirer les leçons de son expérience et d'en faire un nouveau tremplin pour ses luttes à venir. " ("Le Parti et ses rapports avec la classe" Revue Internationale n°35).
Mais examinons si ce collectif Junius fait mieux que les modernistes. C'est en effet à partir de l'époque de Marx que le "collectif" va faire remonter ses critiques aux conceptions défendues par les Internationales successives, puis par les fractions qui ont résisté à la dégénérescence d'octobre 1917 et par le CCI. Chemin faisant, en remontant l'histoire, on s'aperçoit qu'il est déjà plus facile de l'interpréter et de la "refaire" à son goût :
". .. . Ainsi, pour Marx, le dépassement de la lutte purement économique (formation de syndicats ) en lutte politique se traduit avant tout par la constitution d'un Parti du prolétariat, distinct et indépendant des autres partis formés par les classes possédantes. Les tâches politiques de ce parti visent à aménager le système capitaliste dans un sens favorable aux intérêts des ouvriers puis à 'conquérir le pouvoir'. Ce parti correspond donc au jeu politique du 19ème siècle qui est favorable à une certaine extension du processus démocratique propre au capital dans sa phase ascendante. . . Ce qui est faux dans la conception de Marx se révèle donc être son assimilation du mouvement politique de la classe ouvrière à la formation et à 1 'action d'un parti prolétarien... Son concept de 'Parti prolétarien' est le produit de sa séparation entre phase politique et but social" (p.10) ([2] [51]). Voici donc la notion de parti prolétarien taxée de vieillerie du 19ème siècle (air connu !). Mais essayons toujours de comprendre pourquoi le collectif Junius estime que Marx sépare en deux la lutte de classe :
".. Pour Marx, il n'y avait pas de rupture entre la démocratie bourgeoise et la réalisation du communisme mais une certaine continuité : la phase politique représentait en quelque sorte la charnière entre les deux car une fois le pouvoir conquis, la garantie de la transformation sociale ultérieure était l'existence d'une fraction communiste dans le parti prolétarien." (p.11).
Tout cela est bien alambiqué, mais constatons que c'est l'enfance de l'art que de juger un moment de la trajectoire de Marx avec de l'a peu près et en figeant chaque étape. Ce que révèle ce galimatias, c'est une profonde incompréhension des conditions de la période ascendante du capitalisme qui permettait au prolétariat - tout en posant au long terme la question de la révolution - d'obtenir de véritables réformes. En réalité, c'est jusqu'au tout début du 20ème siècle - au terme du processus d'ascendance du capitalisme - que devait être mené en complémentarité le combat pour les libertés politiques et la lutte syndicale pour la réduction massive de la journée de travail, une même dynamique pour la constitution du prolétariat en classe consciente d'elle-même et en force politique autonome. Ce combat pour les réformes ne s'opposait pas au but social final puisque, ainsi que les citent malgré eux les auteurs, Marx et Engels précisaient toujours :
". il ne saurait être question de masquer les antagonismes de classe, mais de supprimer les classes ; non pas d'améliorer la société existante mais d'en fonder une nouvelle." (1850)([3] [52]).
Paradoxalement le collectif Junius se permet de se moquer de Marx et Engels parce qu'à certains moments ils ont cru à une révolution européenne, mais il omet de citer la réévaluation faite par Engels en 1895, dans une introduction aux Luttes de classe en France, où celui-ci admet que l'histoire leur a donne tort quant à leurs prévisions : " Elle a montré clairement que l'état du développement sur le continent était alors bien loin d'être mûr pour la suppression de la production capitaliste."
Bien qu'esquivant la vraie problématique fondamentale des partis prolétariens au 19ème siècle, le collectif Junius s'efforce en long et en large de prétendre que Marx n'a fait que modeler la forme du parti prolétarien sur le modèle des partis bourgeois. L'idée n'est pas nouvelle, elle est re prise de Karl Korsch ([4] [53]). Il est vrai que Marx a souvent évoqué la révolution de 1789 d'autant plus qu'il la considérait comme la plus exemplaire des révolutions bourgeoises. A chaque époque, les révolutionnaires sont marqués par le modèle des révolutions antérieures, et ils s'efforcent de les étudier minutieusement pour être à même de dépasser les conceptions anciennes. Et ce n'est pas simplement Marx qui était passionné par la révolution française, mais pratiquement tous les révolutionnaires de son époque, tout autant les anarchistes que les blanquistes. Marx est le premier, cependant, à avoir insisté, après Babeuf, sur les limites de cette révolution bourgeoise - voir comment il tire à boulets rouges sur les hypocrites "droits de l'homme" (in la Question Juive) - et surtout le premier à montrer lai nécessité de la révolution prolétarienne pour l'émancipation réelle de l'humanité (cf. le "caractère universel du prolétariat" in L'Idéologie Allemande).
La phase ascendante du capitalisme ne pouvait pas permettre à Marx et à ses compagnons de lutte de comprendre toutes les fonctions- du parti prolétarien qui diffèrent de celles du parti bourgeois classique : il n'a pas pour fonction la prise du pouvoir politique à la place du prolétariat, il n'a pas à encadrer la classe ouvrière ni à appliquer la terreur, ni à étendre la révolution par une "guerre révolutionnaire" (toutes leçons qui seront tirées à travers les expériences de la Commune de Paris et d'Octobre 1917). Cependant, le mouvement-même de la classe à leur époque -surtout les révolutions de 1848 et 1871 - permit non seulement à Marx et Engels de dépasser le modèle de 1789, mais aussi de tirer des enseignements pour l'ensemble du prolétariat que ne tirèrent pas les quaranthuitards ni les communards eux-mêmes : ces leçons étaient par excellence une activité indispensable en tant que militant d'une organisation révolutionnaire - et non d'historien- qui a fait date dans le mouvement révolutionnaire puisque lorsque l'on y parle de 1848 ou 1871, on ne fait pas référence à l'événementiel mais aux leçons politiques de Marx et d'Engels ! D'ailleurs plutôt que de souligner ces leçons politiques et îa capacité de Marx à remettre en question ses analyses antérieures lorsque la lutte de classe apportait des enrichissements in vivo ([5] [54]), le collectif Junius préfère clamer que la Commune a donné tort à Marx, se gardant bien de rappeler qu'il n'y a pas eu foule pour soutenir l'insurrection parisienne ni pour plaider sa cause après la répression sanglante, alors que Marx l'a soutenue pleinement même si elle n'entrait pas dans ses prévisions ; nous pouvons même ajouter que si la postérité s'est tant intéressée à la Commune c'est en bonne partie grâce à Marx. Le collectif a beau assurer :
"... l'insurrection des ouvriers... allait donner tort aux analyses précédentes de Marx et Engels sur la priorité absolue du processus démocratique" (p.14), ceci pour dénigrer une nouvelle fois toute activité de parti prolétarien, il n'en reste pas moins que la faiblesse des mesures prises pendant la Commune, le manque de coordination, le faible nombre de représentants de l'AIT, ont révélé d'autant plus pour l'avenir la nécessité de la présence d'une minorité révolutionnaire au sein de la classe, dotée d'un programme cohérent et influençant fermement la lutte. Mais, malgré tout, la Commune ne pouvait être, de par son caractère prématuré, qu'un gigantesque éclair annonciateur de la confrontation sociale qui allait pouvoir se produire moins d'un demi siècle plus tard, non pas à l'échelle d'une ville, mais au niveau international du fait de l'entrée en décadence du capitalisme. De la même façon que la Commune ne niait pas l'importance d'un parti prolétarien qui soit à la hauteur des tâches de sa période, de la même façon elle donnait raison à Marx sur la nécessité d'une phase transitoire du fait de la nécessaire réorganisation de la société. Pas question de période de transition, disent par contre nos auteurs, en substance :
"... C'est la théorisation d'une séparation entre la phase politique et le but social encore !), donc de la continuité de certaines fonctions de la société de classes et du capitalisme à travers la phase politique (l'Etat)"(p.15).
Il s'agit du même raisonnement que celui de Proudhon. Vingt ans plus tôt, dans la fameuse lettre à Weydemeyer, Marx avait anticipé le contenu transitoire concrétisé par la Commune : ". . . la lutte de classe mène nécessairement à la dictature du prolétariat.(qui) elle-même ne représente qu'une transition vers 1'abolition de toutes les classes et vers une société sans classe" (1852). La Commune est restée un exemple des prémisses transitoires de." ia lutte pour le communisme ; il faut bien constater que les mesures politiques prises y ont été plus importantes que les timides mesures économiques. A la différence de la classe bourgeoise, le prolétariat ne peut s'appuyer sur l'économie pour garantir ses chances de succès ; il bouleversera, certes, constamment l'économie pendant toute la phase future de transition, mais dans la mesure où il s'affirmera politiquement. De ce point de vue, Marx est resté intraitable face au réformisme qui fut longtemps surtout le fait de ceux qui rejetaient l'action politique et la fonction du parti politique de classe, les différentes variétés de syndicalistes ou d'anarchistes, qui auraient approuvé l'argumentation de nos modernes conseillistes. Enfin, et surtout, en cherchant à nous faire avaler que Marx avait tort face à la Commune de Paris à propos du "processus démocratique", le collectif Junius veut nous faire prendre des vessies pour des lanternes, il cache sous la table la principale leçon de la Commune : LA NECESSITE DE LA DESTRUCTION DE L'ETAT BOURGEOIS, que l'opportunisme dans la 2ème Internationale a longtemps également mise sous le boisseau. Or, de ce point de vue, Marx avait parfaitement raison dès 1852, et il l'affirme à plusieurs reprises dans le 18 Brumaire, comme ceci :
"... Toutes les révolutions politiques n'ont fait que perfectionner cette machine, au lieu de la briser. Les partis qui luttèrent à tour de rôle pour le pouvoir considérèrent la conquête de cet immense édifice d'Etat comme la principale proie du vainqueur."
Le collectif Junius qui n'en est pas à un oubli (de taille) près, reproche surtout, d'une façon générale, à Marx de s'être inspiré du "siècle des lumières". Comme on peut le constater par ce qui précède, il apporte plutôt beaucoup d'ombre aux thèses de Marx lui-même, il colporte pas mal de vieilleries utilisées déjà au siècle dernier, comme cet idéaliste de Bauer que Marx qualifiait de "lumineux" ([6] [55]) sarcastiquement. Marx, au bout du compte, ne s'est pas contenté de copier tel quel l'exemple de la bourgeoisie révolutionnaire - nos doctes historiens ont l'air d'oublier que la bourgeoisie a été aussi une classe progressiste-, il a pris pour point de départ le renversement critique révolutionnaire des principes hégéliens, il a ainsi élaboré une méthode matérialiste traitant des idées et des alternatives de société en connexion avec l'époque historique déterminée et avec la forme spécifique de société propre à ladite époque. Le collectif Junius se soucie fort peu de la méthode marxiste, le matérialisme, historique n'existe pas pour lui : son point de vue étroit d'aujourd'hui lui sert de grille à la compréhension des différentes périodes du passé !
Les partis du prolétariat - nous ne parlons pas ici des partis bourgeois qui prétendent parler et décider en son nom - sont sécrétés par lui, ils lui sont aussi utiles que l'oxygène à l'air. Et c'est le matérialisme historique qui nous permet d'affirmer :
"La formation de 'forces politiques exprimant et défendant des intérêts de classe n'est pas propre au prolétariat. Elle est le fait de toutes les classes de l'histoire* Le degré de développement, de définition et de structuration de ces forces est à 1'image des classes desquelles elles émanent. Cependant, s'il existe des points communs incontestables entre les partis du prolétariat et ceux des autres classes - et notamment de la bourgeoisie - les différences qui les opposent sont également considérables... l'objectif de la bourgeoisie, en établissant son pouvoir sur la société, n'était pas d'abolir 1'exploitation mais de la perpétuer sous d'autres formes, n'était pas de supprimer la division de la société en classes, mais d 'instaurer une nouvelle société de classes, n'était pas de détruire l'Etat mais au contraire de le perfectionner .. Par contre... les partis du prolétariat n'ont pas pour vocation la prise et 1'exercice du pouvoir d'Etat, leur but étant au contraire la disparition de l'Etat et des classes" ("Sur le Parti et ses rapports avec la classe", in la Revue Internationale n°35). Il est logique, cependant, que Marx, même après l'expérience de la Commune de Paris, soit resté marqué par son époque et qu'il ait persisté à soutenir que le parti prolétarien devait prendre le pouvoir, mais l'histoire a tranché depuis, a contrario des bolcheviks sur ce point, que ce n'est pas la fonction du parti. Mais à comparer pour comparer, que dire des contemporains de Marx, des diverses sectes bakouninistes ou blanquistes avec leurs sociétés secrètes et leurs dérisoires projets de coups d'Etat ! Qui peut être placé à côté de la formidable cohérence et lucidité de Marx dont la méthode reste une arme de combat ? Qui, excepté le collectif Junius et sa machine à rebrousser chemin !
b) Conscience de classe et formation des partis
Le collectif Junius qui constate :
" .. une nouvelle fois le poids négatif de la révolution française sur la conscience de Marx-Engels.. La séparation phase politique/phase sociale (cela devient une obsession !) fera apparaître complètement la conception et la mise en pratique du Parti Communiste Jacobin, un parti de spécialistes de la politique, de révolutionnaires professionnels, de théoriciens du prolétariat. Pour la social-démocratie et le bolchevisme, le Parti construit préalablement au mouvement révolutionnaire deviendra l'introducteur d'une conscience idéologique dans le prolétariat considéré uniquement comme trade-unioniste"
Ou encore, puisqu'il faut jeter aux poubelles de la bourgeoisie toute l'histoire de la lutte de classe prolétarienne, après Marx on jette la 2ème Internationale, puis la 3ème, etc.:"Lénine allait appliquer dans la pratique jusqu'à leurs ultimes conséquences, les aspects négatifs de Marx sur la conception organisationnelle que la Social-Démocratie allemande avait déjà amplifiée."
Tout y passe, tout est objet de l'insulte anarchiste : parti élitiste, vision politicienne, manipulation. Il serait fastidieux de répondre à toutes les arguties de cette compilation d'écoliers, que le lecteur soucieux d'une bonne recherche historique se reporte plutôt aux textes de Marx, de Lénine ou aux quelques ouvrages historiques sérieux et aux documents des Internationales. Rappelons simplement ici ce passage toujours valable du Manifeste Communiste :
"(les communistes) n'ont point d'intérêts qui les séparent de l'ensemble du prolétariat." Rappelons simplement que Marx rétorquait à tous les conspirateurs de son temps que la lutte de classe a besoin de clarté comme le jour de la lumière. Quant à l'idée de "conscience introduite de l'extérieur du prolétariat" que ressasse aussi le collectif Junius, elle n'existe pas chez Marx, ni non plus dans les congrès des 2ème et 3ème Internationales. Que Kautsky et Lénine aient tordu la barre dans les débats contre les économistes et les syndicalistes apolitiques est une chose, mais cette idée n'a jamais figuré dans aucun programme des partis ouvriers avant 1914 ; Lénine a publiquement rejeté cette idée en 1907. Il est de bon ton dans certains milieux soixanthuitards de chanter le leitmotiv du "renégat Kautsky et son disciple Lénine", c'est là une vieille mode reprise aux notoriétés de la Gauche hollandaise dégénérée. H est vrai que les erreurs de Kautsky ([7] [56]) et Lénine ont été exploitées par le stalinisme et le trotskysme contre le mouvement ouvrier ; néanmoins, c'est sur la base du combat mené par les Kautsky, Rosa Luxemburg et Lénine contre le révisionnisme, contre les économistes, que la fonction du parti politique de classe a pu être affirmée et précisée. Les débats de leur époque ont constitué un enrichissement indispensable pour le marxisme, pour le développement de la conscience de classe.
Or, pour ce qui est de la conscience de classe, après toute leur entreprise de démolition tout azimut, on se demande où nos vaillants écrivains en herbe vont la chercher, puisqu'il n'y a que le moment spontané qui compte à leurs yeux : le moment des grèves, l'instant des révolutions. Entre temps, le prolétariat a-t-il disparu ? En fait, leur vision est simple : la conscience de classe n'est que le simple reflet des luttes ouvrières, jamais un facteur dynamique. Tout travail d'élaboration théorique, de prise de position, est forcément élitiste, manipulateur, politicien, donc le fait de partis bourgeois. Il n'existe pas pour eux deux dimensions dans le même mouvement prolétarien, celle de ses organisations politiques et celle de l'ensemble de la classe qui réagissent dialectiquement l'une sur l'autre. Dans leur vision, quand la lutte cesse, la classe ouvrière disparaît ([8] [57]) pour renaître de ses cendres six mois ou dix ans plus tard, comme après un coma total, sans que le moindre travail de "taupe" n'ait pu s'effectuer au niveau de la conscience de classe, ni la moindre dynamique de réflexion et de recherche théorique! Tout cela rappelle bien plutôt l'esprit obtus et anti-scientifique des doctes partisans de la génération spontanée combattant Pasteur. De toute façon, l'idée du collectif Junius n'est autre que très scolastique : dépeindre une sorte de parti à travers les âges conçu par le sorcier Marx qui est accusé, une fois de créer le parti avant la révolution et une autre fois de se contredire en disant :
"(le Parti) naît spontanément de la société moderne" (1860).
Tellement obnubilé par l'immédiat et l'événementiel, notre collectif Junius confirme son inaptitude à comprendre le marxisme. Pour Marx, le parti est un produit naturel de la lutte de classe, nullement volontariste ni auto-proclamé ; il n'est pas ce corps statique et omnipotent qu'imaginent nos auteurs, sorte d'invention démoniaque de Marx et Lénine pour saboter la révolution à travers les siècles, c'est un élément dynamique et dialectique :
"…. L'histoire réelle et non fantaisiste nous montre que 1'existence du parti de la classe parcourt un mouvement cyclique de surgissement, de développement et de dépérissement, dépérissement qui se manifeste par sa dégénérescence interne, par son passage dans le camp de 1'ennemi ou encore par sa disparition pure et simple et qui laisse des intervalles plus ou moins longs jusqu'à ce que, de nouveau, se présentent les conditions nécessaires pour son resurgis sèment. S'il existe un lien évident de continuité. . . il n'existe par contre aucune stabilité, aucune fixité de cet organisme appelé parti"
("Sur le Parti et ses rapports avec la classe", Revue Internationale n°35).
Ajoutons que les partis dans le prolétariat sont encore plus indispensables a celui-ci que les partis bourgeois ne l'étaient à l'enfantement de la société bourgeoise ; la tâche est plus immense pour le prolétariat, l'élaboration théorique plus universelle, il doit abolir toutes les divisions de classe et toute société d'exploitation. Le problème de la conscience est donc considérable comparé à la phase du capitalisme progressiste qui, lui, s'est développé "dans la boue et le sang".
c) L'ouvriérisme conseilliste
A rebours dé l'histoire, il y a toute la gauche du capital pour tenter de faire croire que la conscience serait apportée de l'extérieur, mais il y a aussi cette catégorie de révolutionnaires pour qui "les conseils ouvriers" sont une incantation permanente comme pour d'autres la révélation, et dont la logique absurde conduit tout autant à la négation du prolétariat. A force de dire que les partis sont extérieurs au prolétariat, ils finissent toujours par estimer que c'est la lutte de classe qui est extérieure au prolétariat ! Heureusement que le collectif Junius prend la défense du prolétariat contre cet "illuminé" de Marx : "... Les conditions, la marche, les fins... tout est tracé, ce "reste du prolétariat" qui n'a pas ‘l'avantage d'une intelligence claire' n'a donc aucun apport théorique, du moins fondamental ! C'est en quelque sorte un aveugle qui doit se laisser guider par ceux, les communistes, qui possèdent le programme de A à Z." (p.21). Les grandes lignes du Manifeste de 1848 sont, somme toute, "élitistes", concluent nos pourfendeurs de parti. Déduisez : les combats, les sacrifices, les polémiques et les directives des partis prolétariens ont toujours eu pour but de nuire aux ouvriers, ainsi que nous l'explique notre collectif "défenseurs du prolétariat" contre l'odieux Marx :
"... (à propos de la non publication de rectifications au Programme de Gotha)... Même secondaires, ces raisons témoignent de la vision politicienne et donc bourgeoise qu'entretenait Engels sur le mouvement ouvrier : les travailleurs sont incapables d'avoir une conscience claire des choses, le parti peut donc les manipuler à son aise " (p.41). Ici l'outrance passe la mesure, l'invective anarchiste remplace l'argumentation. La démagogie d'épicier couvre à nouveau la négation idéaliste de l'étape réformiste, et surtout des programmes minimum et maximum. Cette défense échevelée de l'ouvrier moyen évoque plutôt ce patron qui s'exclame : "en parlant de grève et d'insurrection aux ouvriers vous leur portez préjudice". Rosa Luxemburg même est accusée de concevoir un parti de chefs avec son "credo" le programme communiste, auquel le collectif Junius (pseudonyme de Rosa pendant la guerre) renvoie son propre credo : "c'est la philosophie des lumières qui continue à faire ses ravages." (p.103)
Une chose est certaine pour le collectif Junius : la classe ouvrière est une classe homogène où ne comptent pas les années d'expérience, où l'ouvrier qui se met en grève pour la première fois de sa vie en sait tout à coup autant que celui qui s'est battu pendant vingt ans ; dix mille ouvriers en grève pendant une journée comptent plus pour ces gens-là du point de vue de l'expérience historique qu'une minorité révolutionnaire qui a combattu pendant quinze ans ! On prétend combattre le mouvement ouvrier "bourgeois" mais en réalité on rend service à la plus plate, à la plus crasse idéologie syndicaliste capitaliste - celle qui favorise par excellence la manipulation - : l'ouvriérisme, et on évacue d'un revers de manche l'existence d'un programme historique du prolétariat I
d) L'ignorance du phénomène de l'opportunisme
Ce qui est frappant, au total, dans cette brochure anti-parti, décousue et indigeste, c'est, non seulement la surdité face à l'évolution de la compréhension du rôle du parti (1848-1871-1905-1917 1921), mais - découlant fondamentalement du reste- l'aveuglement quant à la notion d'opportunisme. Sans traduire la moindre honte de compréhension, le terme est utilisé à plusieurs reprises. Sont évoquées les critiques de l'opportunisme par Pannekoek, Gorter, Rosa, Lénine. Il est même fourni une belle citation de Rosa :
".. il est impossible de se prémunir à l'avance contre la possibilité d'oscillations opportunistes" (p.94).
Se situant hors de la problématique du mouvement ouvrier, il est impossible au collectif Junius de saisir ce qu'il cite de valable. Par contre, il s'identifie très bien à la gauche germano-hollandaise dégénérée, à ce Pannekoek qui a inauguré la formule très moderniste de "nouveau mouvement ouvrier" vers la fin des années 30, et qui est cité avec plaisir :
"... un parti, quel qu'il soit, est petit à l'origine (quelle sagacité !) - mais parce que de nos jours un parti ne peut être qu'une organisation visant à diriger et à dominer le prolétariat"(page 124). CQFD ! Il n'est jamais possible dans ces conditions d'appréhender le phénomène de dégénérescence des partis du prolétariat passés à l'ennemi puisque tout s'explique par : la bourgeoisie, la séparation phase politique/but social, le siècle des lumières. Les apports du mouvement ouvrier sont traités par le collectif Junius comme les étudiants manient les pensées des philosophes : par l'interprétation systématique. La Gauche germano-hollandaise, à ses débuts, ne trouve pourtant pas grâce aux yeux de notre collectif : " « La conception de Gorter sur le parti considéré comme regroupement des 'purs' face à l'opportunisme était encore largement entachée d'une vision inspirée par le processus des révolutions bourgeoises (philosophie des lumières), cela peut expliquer son attitude de 'recherche de la discussion' avec Lénine et les bolcheviks" (p.117). En vérité, c'est le collectif Junius qui se veut "pur", idéalement pur, ou tout au moins en quête de pureté. Il n'est donc pas en mesure de saisir le complexe processus de dégagement de l'idéologie dominante par le prolétariat et ses organisations. Il est si épris de pureté qu'il confond la bourgeoisie avec ses victimes, puisqu'il ne voit pas qu'il s'agit d'un combat. Il est tel un magistrat au-dessus de la mêlée sociale.
L'opportunisme, de façon générale, est une manifestation de la pénétration de l'idéologie bourgeoise dans les organisations prolétariennes et la classe ouvrière ; il conduit au rejet des principes révolutionnaires et du cadre général de l'analyse marxiste. Il menace donc de façon permanente la classe et les organisations ou partis qui en font partie, au mieux il peut être corrigé de la part d'éléments sincères, au pire il entraîne des faiblesses ou des erreurs impardonnables. De ce point de vue, Marx, Lénine et bien d'autres ont commis plus d'une fois des erreurs opportunistes, mais ils n'étaient pas bourgeois pour autant ! Des concessions partielles ou secondaires suivant l'époque et l'expérience générale, ne remettent pas en cause la méthode commune et la fonction des partis pour lesquels ils ont tant combattu, car il n'y a pas eu répétition dans le mouvement révolutionnaire, on s'est efforcé d'affiner progressivement "l'évolution du concept de parti" (si nous reprenons la terminologie universitaire du collectif Junius).
Lorsqu'il s'en tient à rejeter systématiquement les apports successifs des différents partis du prolétariat, lorsqu'il évoque indistinctement la classe ouvrière, lorsqu'il rejette férocement la forme et la fonction du parti, le cahier signé collectif Junius est typiquement conseilliste. Mais l'incantation de "la classe elle-même" ou des "conseils ouvriers" comme panacée, est une forme moderne particulièrement pernicieuse de l'opportunisme, plus répandue que chez les simples lecteurs des publications Spartacus. C'est une idéologie qui, ainsi que le révèle sa forme théorisée par le collectif Junius, fait le plus de concessions auîT idées dominantes de la période de décadence du capitalisme contemporain. Nous l'affirmons fermement : le rejet de l'organisation en parti politique est dangereux. De la thèse "tous les partis sont bourgeois", à 1'anti-thèse "seuls les conseils ouvriers sont révolutionnaires", on aboutit au mépris de la lutte de classe et à la démoralisation, on laisse champ libre à la bourgeoisie. Mais plus fondamentalement, à force de nier deux programmes distincts, maximum et minimum, pour notre époque - ce qui est vrai - on aboutit à nier le programme maximum qui reste seul valable parce qu'on rejette tout rôle et toute fonction de parti révolutionnaire.
Dans l'avertissement au lecteur, la présentation de ce cahier Spartacus précisait qu'il s'agissait de la première partie d'un projet "inachevé", or il s'agit bien de quelque chose qui restera inachevé et insaisissable par définition, car issu d'un groupuscule... dissous dans l'incohérence petite-bourgeoise : le défunt PIC. La suite parle d'elle-même, elle n'existe pas. Le grand néant ! A force de vouloir faire table rase du passé, comme dit la chanson de Pottier si ingénument chantée par les fractions de gauche de la bourgeoisie, on fait table rase de l'avenir de la lutte de classe.
2- LES CHRYSANTHEMES DE LA PETITE-BOURGEOISIE
"Ces messieurs font tous du marxisme, mais de la sorte que vous avez connue en France il y a dix ans et dont Marx disait : 'Tout ce que je sais c'est que je ne suis pas marxiste, moi !' Et probablement il dirait de ces messieurs ce que Heine disait de ses imitateurs : j'ai semé des dragons et j'ai récolté des puces". Engels à Lafargue (27/8/1890)
Nous ne nous étendrons pas autant sur le second cahier Spartacus qui dans l'ensemble n'est pas pire que le précédent ; il précise un peu plus que chez les divers collaborateurs "amis de Spartacus", le plus court chemin pour nier la classe ouvrière est de commencer par nier l'apport du militant Marx. Ce cahier avait, lui, fait l'objet d'un appel d'offre publique, et nous leur avions répondu ceci :
"(cette) démarche... et (ce) projet s'inscrivent comme une suite de toute la campagne de singes savants des universités de la bourgeoisie se livrant, à 1'occasion du centenaire de la mort de Marx, à un dénigrement, à une défiguration systématique du marxisme, en identifiant celui-ci avec le régime stalinien des pays du bloc de l'Est. Merci pour votre invitation, "amis de Spartacus, mais très peu pour nous !... Vous, vous vous placez en juges du mouvement, nous, nous sommes des militants révolutionnaires du mouvement" (Révolution Internationale n°112, 1983). Nous ne nous étions pas trompés en répondant ainsi à cette énième cérémonie funèbre du marxisme. L'introduction de l'hommage rendu soi-disant à Marx par les "amis de Spartacus" est claire et résume bien l'éclectisme des textes présentés : "... Les différentes contributions réunies dans ce cahier sont sur ce point convergentes. Quel que soit l'angle d'attaque [sic !] choisi par les auteurs, tous en sont convaincus : les limites de 1'oeuvre de Marx sont aussi bien les limites de son époque que les limites de sa relation à son époque" (p.9).
Ce bouquet de fleurs fanées résume bien à lui tout seul 120 pages de rejet de l'apport - pourtant toujours actuel - de Marx, et sa réduction à une "oeuvre" d'écrivain. Signalons évidemment toute une série de dénigrements de la même teneur et même repris du cahier précédent : trait d'égalité entre jacobinisme et marxisme (1'"apport" de Korsch est ouvertement revendiqué), trait d'égalité entre Octobre 1917 et le stalinisme, et obsessionnellement "Marx copieur de 1789" ou du "siècle des lumières". Marx est aussi considéré comme marqué par une vision "ontologique" et de s'être inspiré de 1'"hypertrophie du politique de Hegel" (rien que ça !).
Tous ces gens-là défilent devant la tombe de Marx l'air si contrit, qu'on ne peut que se les représenter autrement que comme une procession de vieilles bigottes du vieux monde. Choisissons, par exemple, un nommé Janover qui, après avoir évoqué lui aussi l'influence délétère de 1789, tient à montrer combien il est ignare quant à comprendre toute notion d'opportunisme :
"Le marxisme politique est donc tout à la fois le produit de ce détournement (?) et le résultat d'un accommodement. Sa structure était à l'image de 1'organisation social-démocrate, partie prolétarienne, partie bourgeoise, mais la tendance bourgeoise dominante passera vite au premier plan, avant même que le marxisme-léninisme ne propose ses recettes d'accumulation 'socialiste' aux élites des pays encore au stade pré-capitaliste". Plus actuel, un nommé St James n'en finit pas de tracer des hypothèses et de s'essayer à être plus flou que les autres :
"... Bien entendu, on ne peut pas non plus éliminer 1'hypothèse que la situation actuelle évolue vers une crise franche et ouverte. . . On ne peut m d'ailleurs pas plus éliminer le retour à une nouvelle prospérité. Bien sûr, certains pourront objecter d'abord que nous ne déduisons aucune conclusion certaine de cette analyse. Il est clair qu'une théorie que l'on peut éventuellement plier , à rendre compte de phénomènes opposés ne peut guère être considérée comme scientifique". Et ces gens-là osent se réclamer des enseignements de Marx ! En vérité, ils ont tous un pape, l'intellectuel conseilliste notoire Rubel qui, plus que Marx, est l'inspirateur de toutes leurs stupidités.
A peu près tous rejettent, comme Rubel, le Marx militant, ils le placent à leur niveau de puces intellectuelles. Ils croient comme Rubel que Marx s'est trop contenté d'incertitudes dans son travail scientifique (bien qu'ils abhorrent la méthode scientifique) mais, hélas, sans jamais renier "le combat politique quasi quotidien dans le cadre d'une organisation ou en militant isolé" (Rubel dixit). Deux fois hélas, c'est pourquoi Rubel - incapable comme tous les petits-bourgeois de connaître la passion révolutionnaire de la lutte -s'est spécialisé dans la recherche dans les écrits intimes et les poubelles de Marx de tout ce qui peut corroborer ses propres doutes :
" Même s'il s'est refusé à livrer à la postérité des confessions de caractère introspectif. Mieux que de telles confidences, la masse des inédits, des écrits inachevés et des cahiers d'études témoigne des hésitations et des doutes qu'il devait éprouver en se sachant désarmé devant les triomphes répétés de la contre-révolution.". En fait, puisque le militant Marx dérange, on va lui imaginer ses propres doutes de petit-bourgeois, on va rayer d'un trait de plume son implication dans le mouvement collectif du prolétariat pour n'en extraire que "la poésie" (Rubel). Rubel qui prête ses propres doutes en vain à Marx, affirme pourtant ses certitudes : ". Nous sommes obligés de reconnaître que si le capital est partout, c'est parce que le prolétariat n'est rien et nulle part" (p.43). Ce philistin nous confirma par là que le conseillisme n'est pas seulement un danger opportuniste pour le prolétariat mais que son aboutissement réside dans la négation de la classe ouvrière : le modernisme. Dans sa conclusion, Rubel, après avoir abandonné le prolétariat, rejoint les grands impuissants de l'histoire, les philosophes : "..Nous, les vivants, nous pouvons et devons agir dès maintenant pour mettre en oeuvre un projet de modification visant les forces aliénantes, produit du génie inventif de 1'homme tout autant que ses inventions créatrices".
Les autres philistins n'ont qu'à marquer le pas derrière le grand maître à penser es conseillisme devenu es modernisme. Le représentant du cercle moderniste "Guerre Sociale" peut se lamenter comme le collectif Junius :
"L'oeuvre de Marx exprime les circonstances historiques dans lesquelles elle s'est créée, prolonge les tendances bourgeoises dont elle est issue et qu'elle cherchait à dépasser" (p.90). Un enterrement est toujours une circonstance pénible quand on pense aux "vivants" ; aussi l'anarchiste Pengam chuchote-t-il en inclinant la tête : "... la classe ouvrière vise, par l'intermédiaire des 'partis ouvriers' à se faire reconnaître dans l'Etat en fonction de la place qu'elle occupe dans les rapports de production" (p.103). Enfin, même un vieux routier du milieu révolutionnaire comme Sabatier a mis le crêpe noir, et vient donner le coup de goupillon anti-bolchevik de rigueur pour la cérémonie des "amis de Spartacus": ".., La contre-révolution et ses idéologies mystificatrices triomphèrent en prenant appui sur les médiations introduites par Marx et en noyant toute méthode critique sous les flots d'un langage de bois" (p.83).
Les intellectuels petits-bourgeois finissent toujours par se retrouver en abandonnant le terrain de la défense des principes de classe - d'accord avec la bourgeoisie qui s'est efforcée, elle, consciemment, pendant cinquante ans, de déformer les véritables raisons de la dégénérescence d'Octobre 1917 et de l'échec de la vague révolutionnaire des années 20. C'est contre les arguments de ces philistins que le prolétariat doit lutter dès aujourd'hui s'il' ne veut pas compromettre son combat pour la destruction de l'ordre capitaliste établi.
Gieller.
[1] [58]Le groupe "Pour une Intervention Communiste" (Jeune Taupe) s'est constitué en 1974 autour d'éléments ayant quitté "Révolution Internationale" parce qu'ils estimaient que ce groupe n ' intervenait pas assez ; ce groupe s'est brisé il y a quelques années contre les écueils de 1'activisme, du conseillisme et du modernisme ; son héritier "Révolution Sociale" n'a tiré pratiquement aucune leçon de cette trajectoire désastreuse (cf. sa brochure intitulée pompeusement "Bilan et Perspectives").
[2] [59] Affirmation inconséquente puisque, juste à la page précédente, les auteurs ont repris la célèbre phrase du pamphlet contre Proudhon : "Ne dites pas que le mouvement social exclut le mouvement politique, Il n'y a jamais de mouvement politique qui ne soit social en même temps." Ajoutons ce que Marx affirmai) déjà en 1844 : "Toute révolution dissout 1 'ancienne société ; en ce sens elle est sociale. Toute révolution renverse l'ancien pouvoir ; en ce sens elle est politique" (Gloses critiques, in La Pléiade, annoté par Rubel).
[3] [60] Remarque qu'on retrouve dans maints autres textes depuis le Manifeste. Mais Lénine souligne justement en quoi c'est une question de méthode : "...A quel point Marx s'en tient strictement aux données de l'expérience historique, on le voit par le fait qu'en 1852, il ne pose pas encore la question concrète de savoir par quoi remplacer cette machine d'Etat qui doit être détruite. L'expérience n'avait pas encore fourni à l'époque, les matériaux nécessaires pour répondre à cette question, que l'histoire mettra à l'ordre du jour plus tard, en 1871." (L'Etat et la Révolution).
[4] [61] Karl Korsch, ancien membre du parti communiste allemand (KPD) dont il est exclu en-1926 ; abandonnant la méthode marxiste, il a théorisé l'idée que le jacobinisme était la source fondamentale de Marx certaines de ces idées ont été reprises par Mattick aux USA. Son principal traducteur en France a été le conseilliste Bricianer.
[5] [62] Voir notre article pour le centenaire de la mort de Marx, Revue Internationale n°33 : "Marx toujours actuel".
[6] [63] "Bataille critique contre la révolution français, Marx (La Pléiade, p.557).
[7] [64] Nous parlons ici évidemment du Kautsky d'avant 1910, celui qui, avant de devenir un centriste puis un renégat, était un authentique militant révolutionnaire, le chef de file avec Rosa Luxemburg de l'aile gauche de la Social-Démocratie dans sa lutte contre 1'opportunisme.
[8] [65]Signalons la vision symétriquement inverse de certains bordiguistes, mais finalement identique selon lesquels lorsque le parti disparaît la classe ouvrière n'existe plus !
Dans le n°40 de cette Revue, nous avons publié un article, "Le danger du conseillisme", qui défend la position du CCI, fruit d'un débat interne ouvert depuis plus d'un an. Dans ce débat, d'une part le CCI a réaffirmé que les perspectives de la lutte du prolétariat exigent un ferme rejet des conceptions erronées du "substitutionnisme" (conception que le parti est l'unique porteur de la conscience, menant à la conception de la dictature du parti) et du "conseillisme" (conception de la conscience vue comme simple reflet des luttes immédiates, menant à la minimisation de la fonction et à la négation de la nécessité du parti). D'autre part, le CCI a été amené à repréciser pourquoi, dans les conditions de notre époque, les faiblesses et les erreurs de type "conseilliste" constituent un obstacle plu important du "plus grand danger", que les erreurs et conceptions "substitutionnistes". Le CCI n'a pas hésité à systématiser et préciser ses positions sur la conscience, le centrisme, le conseillisme, l'intervention, etc., en les libérant de toutes les imprécisions, et interprétations confuses. Mais là où le CCI voit dans cette orientation ses positions placées sur un terrain plus profondément rattaché aux bases du marxisme et, en même temps, plus capables de faire face aux questions posées par 1'accélération de 1'histoire, 1'article que nous publions ci-dessous voit une "nouvelle orientation", une adoption d'une théorie du "moindre mal". Il exprime la position de camarades minoritaires qui se sont constitués en tendance au sein du CCI. Nous ne pouvons que regretter que l'article aborde beaucoup de questions, sans souci, selon nous, de répondre à 1'argumentation de 1'article critiqué. De notre point de vue, il exprime une tendance centriste par rapport au conseillisme car, tout en réaffirmant platoniquement le danger du "conseillisme" il s'attache surtout à en atténue la portée, et offre, en fin de compte, comme "perspective" que .toute erreur est dangereuse pour le prolétariat. Nous répondrons aux différents points abordés dans cet article dans le prochain n°.
CCI
Dans la Revue Internationale (R.Int,) No 40 se trouve un article intitulé "Le danger du conseillisme" qui défend la nouvelle orientation du CCI selon laquelle le conseillisme représente aujourd'hui et représentera demain le plus grand danger pour la classe ouvrière et ses minorités révolutionnaires, un danger plus grand que celui du substitutionnisme. Nous voulons par le présent article porter vers l'extérieur la position d'une minorité de camarades au sein du CCI qui n'est pas d'accord avec cette nouvelle orientation.
Il ne s'agit pas de nier le danger des positions conseillistes ou de penser que cette déviation n'a pas eu de poids dans le passé ou n'en aura pas dans l'avenir. Le conseillisme, c'est-à-dire le rejet de la nécessité de l'organisation des révolutionnaires et du parti et de son rôle militant; actif et décisif dans la prise de conscience de la classe ouvrière, représente comme nous l'avons toujours analysé dans le CCI, un danger, surtout pour le milieu révolutionnaire y compris le CCI dans la mesure où sa théorisation a pour conséquence de couper la classe de son outil indispensable .
La divergence ne porte pas sur le danger du conseillisme mais :
a) sur la nouvelle théorie unilatérale du conseillisme le plus grand danger :
- parce qu'elle s'accompagne d'un rabaissement du substitutionnisme au niveau du "moins grand danger" ;
- parce qu'elle détourne l'attention du véritable danger essentiel pour le prolétariat que présente l'Etat capitaliste et ses prolongements au sein de la classe ouvrière (les partis de gauche, les gauchistes, le syndicalisme de base et tout le mécanisme de la récupération capitaliste à l'époque du capitalisme d'Etat) pour se focaliser sur de prétendues tares conseillistes du "prolétariat des pays avancés" ;
- parce qu'elle mène à des régressions sur les leçons tirées de la première vague révolutionnaire et du mouvement ouvrier dans la décadence,
b) sur les implications de cette théorie au niveau de la compréhension du développement de la conscience de classe, tendant à réduire la conscience de classe à "théorie et programme" (R.Int. No 40) et le rôle de la classe à l'assimilation du programme.
c) sur la théorie du "centrisme/opportunisme" qui, en considérant la "vacillation" et "l'hésitation" comme le mal permanent du mouvement ouvrier, aboutit à remettre dans le prolétariat des éléments et partis politiques qui l'ont définitivement trahi.
Nous allons aborder ici surtout le premier point : la théorie du conseillisme le plus grand danger. La discussion continuera sur le centrisme et la conscience de classe dans d'autres articles à paraître bientôt dans notre presse.
LE CONSEILLISME, LE PLUS GRAND DANGER ?
L'article de la R.Int.40 développe l'argumentation suivante : le danger du substitutionnisme existe surtout dans les périodes de reflux des luttes révolutionnaires; par contre, "le conseillisme est un danger bien plus redoutable surtout dans la période de montée d'une vague révolutionnaire" ; le substitutionnisme trouverait un terrain fertile dans les pays sous-développés ; les réactions du type conseilliste sont plus caractéristiques des classes ouvrières des pays hautement industrialisés comme les ouvriers d'Allemagne dans la première vague révolutionnaire ; le substitutionnisme est une "erreur" prolétarienne, un "phénomène unique...de l'isolement géographique de la révolution dans un seul pays, facteur objectif du substitionnisme qui n'est plus passible". (R.Int, No 40)
En quoi consisteraient ces "réflexes conseillistes" de la montée de la lutte de classe, comment on les reconnaît ? Selon l'article, ils sont l'ouvriérisme, le localisme, le suivisme, le modernisme, l'apolitisme des ouvriers, la petite-bourgeoisie, 1'immédiatisme, l'activisme et l'indécision. En somme, tous les maux de la terre ! Si chaque fois que la classe hésite, ou que des révolutionnaires tombant dans 1'immédiatisme, si chaque fois qu'on discerne du suivisme ou que les révolutionnaires ne comprennent pas le processus de la formation du parti, c'est une manifestation du "conseillisme", le conseillisme serait à lui tout seul le mal permanent du mouvement ouvrier.
Puisque toutes les faiblesses subjectives de la classe ouvrière deviennent par ce jeu de définitions "des réflexes conseillistes'' le remède est le parti. En d'autres termes, le CCI, le milieu politique prolétarien et la classe ouvrière toute entière se protégeront contre 1'immédiatisme, la petite-bourgeoisie, l'hésitation, etc. en reconnaissant dès à présent le danger No 1 de "sous-estimer", "minimiser" le parti.
Toute la problématique de choisir entre "sous" et "sur"-estimer le parti, toute la politique du moindre mal que le CCI a toujours rejetée au niveau théorique, il l'introduit aujourd'hui au niveau pratique sous couvert de vouloir donner une perspective "concrète" à la classe : il faut dire au prolétariat que le danger conseilliste est plus grand que celui du substitutionnisme, sinon le prolétariat n'aurait pas une "perspective" !
Choisissez, camarades ! Si vous pensez que le substitutionnisme est le plus grand danger, vous êtes vous-mêmes des conseillistes. Si vous refusez de choisir votre camp, vous êtes porteurs des "oscillations centristes par rapport au conseillisme", des"conseillistes qui n'osent pas dire leur nom" (R.Int. No 40).
On prétend que "l'histoire a prouvé" cette théorie du conseillisme le plus grand danger, mais quelle histoire ? Le CCI a toujours reconnu et critiqué dans la révolution allemande les erreurs de Luxembourg et les Spartakistes, les positions de la tendance d'Essen, de la tendance anti-parti de Ruhle expulsée du KAPD en 1920 et la scission de l'AAUD(E), les conséquences désastreuses des hésitations du prolétariat et le manque de confiance parmi les révolutionnaires dans leur rôle. Mais on n'a jamais cherché les causes dans un conseillisme latent du prolétariat des pays avancés. Nous n'avons jamais cité "l'histoire" pour démontrer une théorie cyclique du danger conseilliste plus grand dans la révolution et du substitutionnisme dans le recul.
Outre de simples affirmations, la seule "preuve" donnée dans l'article de la R.Int. pour justifier cette nouvelle théorie, c'est que "comme Luxembourg en 1918, les militants non-ouvriers du parti pourront être exclus de toute prise de parole dans les conseils". (R.Int, No 40) Et aussi dans World Révolution (publication du CCI en Grande-Bretagne); "Le danger devant la classe n'est pas qu'elle fera "trop confiance" aux minorités révolutionnaires mais qu'elle les empêchera tout simplement de parler". Voilà le "conseillisme" du prolétariat allemand contre Luxembourg !
Tout ceci est une déformation grossière de l'histoire. En décembre 1918, au congrès national des conseils ouvriers en Allemagne, l'ensemble de la Ligue Spartacus n'a pas pu défendre ses positions non pas parce que "les ouvriers" l'en ont empêchée mais parce que Spartacus n'était qu'une fraction au sein de l'USPD. "Pour comprendre le destin de ce congrès, il faut d'abord comprendre le rapport entre la Ligue Spartacus et les Indépendants. Vous savez que nous étions là mais qu'est-ce qui s'est passé, où étions-nous passés effectivement ? Si vous avez écouté les discours, vous serez en droit de vous demander quelles étaient les différences fondamentales entre le groupe Spartacus et les Indépendants ?...Nous étions pieds et poings liés par les Indépendants qui ont contrôlé la liste des inscrits et paralysé notre activité à chaque moment." (Leviné ,"Rapport sur le Premier Congrès des Conseils ouvriers").
Les positions révolutionnaires de Spartacus (à savoir que les conseils se déclarent l'organe suprême du pays, qu'ils lancent un appel au prolétariat international, qu'ils soutiennent les soviets en Russie et que Luxembourg et Liebkneeht viennent parler) ont été présentées et défendues par l'USPD qui, lui, voulait dissoudre les conseils dans la Constituante ! Spartacus (comme la majorité de l'Internationale Communiste plus tard) voulait "influencer les masses" en récupérant l'USPD "en voyant ce dernier comme l'aile droite du mouvement ouvrier et non comme une fraction de la bourgeoisie."(R.Int. No 2). Mais le CCI aujourd’hui, selon sa théorie du "centrisme", voit l'USPD, ce parti de Kautsky, Bernstein, Haase et Hilferding comme prolétarien au lieu de le comprendre, avec 70 ans de recul, pour ce qu'il était : l'expression de la radicalisation de l'appareil politique de la bourgeoisie, une première expression du phénomène du gauchisme, cette barrière extrême de l'Etat capitaliste contre la montée révolutionnaire. Déjà à l'époque, c'était Spartacus qui s'était fait récupérer sur ce terrain parce qu'en reproduisant le schéma du passé social démocrate avec sa droite, centre, gauche, il voyait son rôle comme celui d'une opposition révolutionnaire au sein de l'"aile gauche" de la social-démocratie. Refuser de tirer cette leçon du passé, c'est la porte ouverte aux compromissions de demain.
Tout ceci n'a rien à voir avec ce mythe selon lequel les ouvriers auraient refusé d'écouter les révolutionnaires à cause de "réflexes conseillistes".
Les erreurs des révolutionnaires dans la montée de la lutte de classe en Allemagne ne s'expliquent pas par la "sous-estimation du rôle du parti". Les révolutionnaires allemands n'étaient pas trop peu "actifs", ou trop peu présents dans la lutte. La volonté d'assumer leur rôle au sein de la classe était réelle mais ce qui a pesé de façon dramatique c'était de savoir quoi faire, comment le faire et avec qui, c'est-à-dire, de comprendre ce que la nouvelle période impliquait pour le programme communiste.
Le retard des révolutionnaires allemands n'est pas attribuable à un conseillisme du prolétariat allemand ou de son avant-garde même si ces tendances ont effectivement existé, mais essentiellement à la difficulté générale dans tous les pays de se dégager de la social-démocratie, de la conception du parti de masse et du substitutionnisme à cette époque charnière. Au moment de la révolution, la conception prédominant parmi les révolutionnaires et dans l'ensemble du prolétariat en Allemagne n'était pas que les conseils ouvriers allaient tout résoudre par eux-mêmes mais qu'un parti devrait assurer le pouvoir délégué par les conseils. Dans les faits, les conseils ont été amenés à remettre leur pouvoir à la social-démocratie.
Comment nier cette évidence ?
Pour les défenseurs du substitutionnisme c'est facile : quand la classe ouvrière remet son pouvoir à la social-démocratie elle a tort ; quand elle le remet aux Bolcheviks, elle a raison. Le tout est que la classe "fasse confiance" au "bon" parti. Le CCI n'en est pas là. Mais pour lui, maintenant, remettre le pouvoir à la social-démocratie ne montre pas le poids des conceptions substitutionnistes dans la montée de la lutte de classe. Comme dit l'article, c'était simplement de la "naïveté" des ouvriers. Toujours selon l'article, le substitutionnisme ne peut pas s'appliquer aux gauchistes et ceux de la bourgeoisie "qui veulent dévier la lutte". La définition du substitutionnisme serait réservée à ceux qui ne veulent pas dévier la lutte mais se trompent. Ah voila... ainsi, le substitutionnisme est une "erreur" si on a de bonnes intentions ; si on ne les a pas, c'est une position bourgeoise et on ne l'appelle plus substitutionnisme !
LA MINIMISATION DU SUBSTITUTIONNISME
En réalité, contrairement à la position sur les syndicats et 1'électoralisme dans la période ascendante, le substitutionnisme a toujours été une position bourgeoise, appliquant le modèle de la révolution bourgeoise à celle du prolétariat. Puisque la révolution prolétarienne n'était pas encore à l'ordre du jour, les révolutionnaires ne se sont pas rendus compte de toutes les implications de cette position. Au fur et à mesure que la révolution prolétarienne venait à l'ordre du jour, ils ont commencé à sentir la nécessité d'une clarification du programme sans avoir le temps d'aller jusqu'au bout. La première vague révolutionnaire révélera au grand jour la position subs-titutionniste sur le parti et tout ce qu'elle implique sur le rapport parti/classe pour ce qu'elle est : une position bourgeoise, quelles que soient les bonnes intentions subjectives de ceux qui la défendent.
Mais pour la théorie du conseillisme le plus grand danger dans la montée, le substitutionnisme n'est un danger que quand le recul de la lutte donne des forces à la contre-révolution. En d'autres termes, la contre-révolution est le plus danger quand on y est en plein dedans. Voir ses germes, aller à la racine des choses n'est pas nécessaire. Parons au plus pressé i D'abord, contrer le "conseillisme" ; après, on verra bien ce que le prolétariat vô> faire des partis.
Ainsi, la définition de substitutionnisme est encore rétrécie. En parlant de la révolution russe^ T'article de la Revue Internationale n°40 maintient explicitement qu'avant 1920, le substitutionnisme ne pèse pas dans la dégénérescence de la révolution russe.
"C'est seulement dans l'isolement et la dégénérescence de la révolution que le substitutionnisme bolchevik devient un facteur actif dans la défaite de la classe" (World Révolution, décembre 1984). "De la prétention à diriger de façon militaire la classe (cf. la discipline confinant "à la discipline militaire" affichée au 2ème Congrès) il n'y avait qu'un pas à la conception d'une dictature d'un parti unique vidant les conseils ouvriers de leur propre substance" (Revue Internationale n°40)
Mais les conseils ouvriers en Russie ne commencent pas à se vider de vie prolétarienne en 1920 ; c'est en 1920 le moment des derniers soubresauts de la classe contre un étouffement qui a ses racines dès le lendemain de la prise du pouvoir par les conseils. Cela a toujours été la position du CCI :
"Dès après la prise du pouvoir, le parti bolchevik rentre en conflit avec les organes unitaires de la classe et se présente comme un parti du gouvernement" (cf. brochure "Organisation Communiste et conscience de classe) et nous 1'avons démontré dans maints articles depuis le début du CCI tout en affirmant le caractère prolétarien de la révolution russe.
Dire que les conceptions des bolcheviks étaient La cause de la dégénérescence est absolument faux, mais affirmer, comme fait apparemment le CCI aujourd'hui, que les positions des bolcheviks ne jouaient pas un rôle de facteur actif (aussi bien quand ils se sont trompés que quand ils ont en raison) est impossible pour des marxistes conséquents.
En réduisant le substitutionnisme, expression idéologique de la division du travail dans les sociétés de classes, à une quantité négligeable, la nouvelle théorie arrive à une minimisation du danger de l'Etat capitaliste, son appareil politique et le mécanisme de son fonctionnement idéologique.
Il ne faut pas prendre l'exemple de 1905, ou même de 1917 en Russie pour voir comment la bourgeoisie des pays avancés se protégera contre la montée révolutionnaire. La bourgeoisie allemande, plus avertie après la révolution russe; avec un arsenal politique plus sophistiqué, a su pénétrer directement les conseils non seulement à travers les industriels qui "négociaient" avec les conseils mais surtout à travers la social-démocratie qui les sabotait de l'intérieur. La social-démocratie (et les Indépendants^ loin d'"interdire les partis", les acceptait tous et exigeait la représentation proportionnelle des partis au gouvernement ; elle allait jusqu'à demander à Spartacus de se joindre au gouvernement SPD/USPD. Pour récupérer le mouvement, le SPD joue sur tous les tableaux (n'en déplaise aux "définitions" insaisissables de la nouvelle théorie) : dans certaines régions, seuls les ouvriers peuvent voter ; dans d'autres, c'est la "population" ; dans d'autres, seuls les ouvriers syndiqués, ou plutôt les petites usines ; pour ou contre la représentation des soldats. Et le tout, la reconnaissance des conseils, l'ouvriérisme, le démocratisme, la phraséologie de la révolution russe, pour mieux détourner le prolétariat de l'assaut contre l'Etat tout en organisant les provocations et le massacre. Les Spartakistes faisaient eux-mêmes récupérer pour ne pas avoir compris la radicalisation de la bourgeoisie. Aucune voix, pas même celle de la gauche plus claire que les Spartakistes, ne s'est élevée au début pour dénoncer cette vision bourgeoise du rapport parti/conseils.
La bourgeoisie, demain, jouera sur tous les tableaux. Croyons-nous sérieusement que la bourgeoisie n'arrivera pas à pénétrer les conseils ? Ou qu'elle va compter sur les prétendus "réflexes conseillistes" des ouvriers pour défendre son système ? Ou sur des "organisations conseillistes", des "individus petits-bourgeois", comme dit la Revue internationale ? Soi disant les conseils, dans un soubresaut "anti-partidaire", vont interdire tous les partis et la bourgeoisie dirait : "ah bon, au moins, il n'y aura pas le parti prolétarien" ? Du bout des lèvres, la Revue Internationale n°40 semble admettre la présence des "syndicalistes de base" dans des conseils, mais comment? Comme individus ? La bourgeoisie va compter sur de vagues individus ? Et d'ailleurs, qui est derrière les syndicalistes de base sinon les gauchistes, staliniens et d'autres expressions politiques organisées ? La lutte ne se fera pas fondamentalement autour de savoir si nous sommes un parti ou non mais autour du programme et la nécessité de l'assaut révolutionnaire.
Cette théorie détourne l'attention du véritable danger essentiel pour la classe ouvrière - l'Etat capitaliste et ses prolongements
au sein de la classe ouvrière - et ne fait qu'émousser dans la confusion notre critique du substitutionnisme présenté comme le "moindre mal".
AUJOURD'HUI ET DEMAIN
Un ne peut pas oeuvrer vers la dictature du prolétariat, accélérer le développement de la prise de conscience au sein du prolétariat, en présentant le substitutionnisme et 1'anti-partitisme comme des notions en soi dont on doit comprendre l'une mais où il ne serait pas grave que l'on ne comprenne pas l'autre. La seule façon de contribuer est en comprenant que la véritable critique de ces deux notions ne peut se faire que par une critique de leur fondement commun et par la compréhension du véritable rapport parti/conseils dans l'assaut contre l'Etat.. .
De plus, ce n'est pas comme si la classe n'avait jamais trouvé la voie vers le dépassement de la contradiction substitutionnisme/anti-partitisme. Même au cours de la première vague révolutionnaire, le prolétariat a su donner naissance à des positions politiques du KAPD qui, tout en rejetant le substitutionnisme, réaffirme la nécessité d'un parti avec une esquisse de son véritable rôle. Même à bout de forces, le prolétariat de ce temps-là a laissé un héritage de la résolution de ce problème et, étant le point le plus haut de la dernière vague, sera une base pour la renaissance du mouvement ouvrier de demain.
Une des grandes faiblesses des révolutionnaires a toujours été de vouloir expliquer le développement lent, heurté, difficile de la conscience de classe au travers de toute l'histoire du mouvement ouvrier, par des tares dans le prolétariat lui-même (son "trade-unionisme", son "anarchisme", son "conseillisme", son "intéqration au capitalisme", etc.) .Cette nouvelle théorie ne fait que traduire un découragement face aux difficultés qu'a la classe à entrer dans une lutte générale, à affirmer ses propres perspectives de société et d'organisation. Cette difficulté générale ne disparaîtra qu'au cours du développement des luttes, avec l'expérience acquise au cours de ces luttes, qui lui permettra de redécouvrir toutes ses potentialités historiques. Et ces potentialités, ce n'est pas seulement le parti, mais aussi les conseils et le communisme lui-même. Aller chercher le danger de conseillisme dans la difficulté de la classe à s'affirmer en tant que telle, c'est créer une mystification.
La classe ouvrière n'est pas plus fondamentalement minée par le conseillisme que par le léninisme ou le bordiguisme mais doit péniblement se débarrasser de tout le poids de la contre-révolution.
La preuve que la contre-révolution est en train de se désagréger des deux côtés, c'est la décantation de ces derniers 15 ans dans le milieu politique du prolétariat. Les idées bourgeoises sur le substitutionnisme et 1'"anti-partitisme" trouvent leurs principaux défenseurs dans les rangs de l'appareil politique de la classe ennemie (le gauchisme, les libertaires etc..) mais à cause de la confusion de la contre-révolution, des courants prolétariens sclérosés ont continué à défendre ces positions sous différentes formes. C'est justement la réapparition des luttes prolétariennes qui donne la possibilité de balayer ces positions vestiges du passé, soit par la clarification de ces groupes, soit par la disparition des groupes sclérosés. Ce n'est pas encore une situation révolutionnaire où des organisations défendant des positions bourgeoises passent directement dans le camp ennemi mais la pression de l'accélération de l'histoire, à défaut de la clarification (cf. les conférences internationales) produit (comme le processus de perte des illusions dans la classe) une décantation dans son milieu politique.
Après 15 ans de décantation, aussi bien la tradition de la Gauche hollandaise que celle de la Gauche italienne est tombée dans une décomposition politique et organisationnelle : les conseillistes et le PCI (Programme Communiste). La période de la contre-révolution a vu le développement du conseillisme et du bordiguisme mais le nouveau cours historique de nos jours voit l'inadéquation et la dégénérescence des deux pôles.
Sur la question clef de notre époque, le chemin de la politisation des luttes ouvrières, les deux pôles du passé montrent leur inadéquation historique par une sous-estimation, une incompréhension de la reprise actuelle et tout ce qu'elle contient dans son devenir. Ni le conseillisme, ni le bordiguisme ne peuvent comprendre par quel chemin viendra la révolution de demain, ne peuvent comprendre le cours historique.
Le refus de la discussion de Programme Communiste, le sectarisme et le sabotage des conférences internationales par "Battaglia Comunista" et le CWO ont, autant que la stérilisation des énergies révolutionnaires par le conseillisme, empêché le processus de clarification et de regroupement des révolutionnaires.
L'article de la Revue Internationale n°40 ne donne aucune explication de cette décantation historique dans le milieu prolétarien parce que la nouvelle théorie du "conseillisme, le plus grand danger" ne peut pas l'expliquer.
Où est le conseillisme, le plus grand danger, dans le milieu prolétarien aujourd'hui? Le CCI semble vouloir polémiquer avec des fantômes. Dans la Revue Internationale n°40, c'est "Battaglia" et le CWO qui sont des "conseillistes" parce que leurs groupes d'usines seraient un exemple des erreurs du KAPD sur les "unions". Ainsi, la bonne vieille idée des "courroies de transmission" et des "gruppi sindicali" est devenue aussi la- preuve du "conseillisme" ?
L'article de la Revue Internationale, en cherchant désespérément le "plus grand danger" aujourd'hui, se fixe sur l'idéologie petite-bourgeoise individualiste qui représenterait un danger mortel dans les conseils alors que déjà aujourd'hui, la situation démontre qu'il n'y a plus de possibilité de s'en sortir individuellement, que le temps de la "démerde" est dépassé avec 63 il y a longtemps, qu'il n'y a plus que la lutte collective qui puisse faire face, on ne peut pas sérieusement maintenir que "le plus grand danger" sera "l'individualisme petit-bourgeois" dans la révolution.
L'évolution future du milieu politique ne sera pas la répétition de mai 68. Croire que le poids de la petite-bourgeoisie ne se traduit que par la défense des idées "conseillistes" est un leurre.
Le milieu politique prolétarien de demain se formera sur les leçons de la décantation de ces 15 dernières années. Le conseillisme ne sera pas plus le plus grand danger de demain qu'il ne l'était par le passé.
LES ORIGINES DU DEBAT
Quand une organisation introduit le raisonnement du moindre mal, elle ne dit jamais explicitement qu'il faut tordre les principes. C'est plutôt une logique d'engrenage.
Ainsi, comme dit l'article de la Revue Internationale n°40, une confusion a surgi dans l'organisation à propos de la "maturation souterraine de la conscience de classe" : d'une part, un rejet de la possibilité de développement de la conscience de classe en dehors des luttes ouvertes (et l'idée que la conscience de classe n'est qu'un reflet de la réalité sans la reconnaître comme un facteur actif) et d'autre part, une théorisation selon laquelle les difficultés qu'éprouve le prolétariat à dépasser l'encadrement syndical nécessiteront un saut qualitatif dans la conscience qui s'effectuera à travers une pure "maturation souterraine" pendant un "long recul" après la défaite en Pologne. Outre cette idée d'un long recul qui a été vite démentie par le ressurgissement de la lutte de classe, ce débat a posé (sans la résoudre entièrement) la difficulté de comprendre concrètement - et pas seulement en théorie - le chemin de la politisation des luttes ouvrières à partir des résistances à une crise économique et le cadre général que donne la décadence pour la maturation des conditions subjectives de la révolution.
L'existence d'une maturation souterraine de la conscience de classe, le développement d'une conscience révolutionnaire latente dans la classe ouvrière à travers toute son expérience face à la crise et par l'intervention des minorités communistes en son sein, est un élément fondamental de toute la conception du CCI, la négation à la fois du conseillisme et du bordiguisme. Il était donc nécessaire de réagir contre ces confusions et de clarifier en profondeur. Bien que la maturation souterraine soit rejetée à la fois explicitement par "BattagliaVCWO par exemple (cf. Revolutionary Perspectives n°21), ce rejet étant parfaitement conséquent avec la théorie "léniniste" de la conscience "trade-unioniste" de la classe (que Lénine a défendu à diverses reprises mais pas toujours); à la fois par les théorisations du conseillisme dégénère (mais pas par toute la Gauche hollandaise du temps des communistes des conseils avant la 2ème guerre), l'organisation a décidé que le rejet de la maturation souterraine était en lui-même uniquement le fruit du conseillisme latent en nos rangs. L'apparition dans les débats à un moment donné d'une vision non-marxiste qui a réduit la conscience à un simple épiphénomène, bien que cette vision nie aussi bien le rôle de la conscience révolutionnaire hétérogène mais inhérente à la classe dans son ensemble que le rôle actif des minorités révolutionnaires, a été interprétée aussi unilatéralement comme une négation du parti. Par conséquent, dans une résolution qui voulait résumer ce que nous avons appris de ce débat se trouve la formulation citée dans la Revue Internationale n°40 :
"Même si elles font partie d'une même unité et agissent l'une sur l'autre, il est faux d'identifier la conscience de classe avec la conscience de la classe ou dans la classe, c'est-à-dire son étendue à un moment donné... Il est nécessaire de distinguer ce qui relève d'une continuité dans le mouvement historique du prolétariat : 1'élaboration progressive de ses positions politiques et de son programme, de ce qui est lié aux facteurs circonstanciels : l'étendue de leur assimilation et de leur impact dans la classe."
C'est au moment des "réserves" sur cette formulation que s'est introduite dans l'organisation la nouvelle orientation du "conseillisme, le plus grand danger", du "centrisme par rapport au conseillisme" et da centrisme appliqué à l'histoire du mouvement ouvrier dans la période de décadences-La minorité actuelle qui se constitue en tendance se situe contre 1'ensemble de cette nouvelle orientation, considérant qu'elle pose le danger d'une régression dans notre armement théorique.
L'ENJEU DU DEBAT ACTUEL
Cet article devait se donner pour tâche essentielle de répondre à la théorisation du "conseillisme, le plus grand danger" dans la R.Int No 40. Mais même si ces débats n'ont eu qu'une faible répercussion dans notre presse jusqu'à présent, la façon dont World Révolution (W.R., déc. 84) a exposé 1'ensemble de la nouvelle théorisation fait ressortir beaucoup plus clairement les enjeux. Pour ne citer que notre presse extérieure :
- Dans W.R., la conception kautskyste de la conscience de classe est caractérisée comme un "bug-bear" ("un épouvantail fait de vains fantômes") ; le danger de substitutionnisme n'est qu'une simple diversion introduite par des "conseillistes qui n'osent pas dire leur nom" (R.Int. No 40). On escamote de plus en plus le fait que donner un rôle bourgeois au parti ne défend pas mieux son rôle indispensable que de rejeter toute notion de parti. Les deux conceptions, aussi bien l'une que l'autre, nient la fonction réelle du parti.
- "Le CCI, comme le KAPD et BILAN, est convaincu du rôle décisif du parti dans la révolution. " (R.Int. No 40) Mais le KAPD et BILAN n'ont pas la même conception du rôle et fonction du parti pourquoi escamoter cela ? Il est vrai que la Gauche italienne a subi une régression après BILAN mais elle a toujours fondamentalement adhéré aux conceptions de Bordiga sur le parti pendant toute son histoire. BILAN a commencé à faire une critique très importante notamment sur le parti en tant qu'appareil étatique, mais il republie comme siens les textes de Bordiga sur le rapport parti-classe avec le même manque de compréhension du rôle des conseils (vu unilatéralement sous l'angle de la lutte anti-Gramsci ) et le développement de la conscience et la théorie de la médiation. De plus, les conceptions d ' INTERNATIONALISME des années 40 sur le parti et son rôle ne sont pas identiques à celles de BILAN. Et il y a toute une évolution encore entre les positions d ' INTERNATIONALISME sur le développement de la conscience et celles du CCI.
- Dans Révolution Internationale du mois d'octobre 1984 (N° 125), les éléments chauvins Frossard et Cachin sont rebaptisés "centristes" et "opportunistes", donc prolétariens selon la définition, tandis qu'en réalité ce sont des éléments contre-révolutionnaires. Les appeler "centristes" sur le modèle des tendances au sein du mouvement ouvrier dans l'ascendance n'a servi dans le passé qu'à fournir une couverture idéologique à la politique désastreuse suivie par l'I.C, contre la Gauche, dans la formation des partis communistes en occident (y compris la fusion du KPD avec l'USPD). Mais le grave danger que l'utilisation du concept du "centrisme" dans la décadence représente pour toute organisation révolutionnaire se voit deux mois après dans Révolution Internationale de décembre 1984 (No 127) dans un article qui considère que le PCF était "centriste", c'est-à-dire, dans 1''erreur mais sur le terrain prolétarien, jusqu'en 1934 ! Et ceci en contradiction avec le Manifeste de la fondation du CCI : "1924-1926 : le début de la théorie du "socialisme dans un seul pays" ;cet abandon de l'internationalisme a signifié la mort de l'Internationale Communiste et le passage de ses partis dans le camp de la bourgeoisie". (R.Int. No 5)
Il est largement temps, quelles que soient les confusions sur l'utilisation des termes centrisme-opportunisme dans le passé et même dans notre organisation, de se rendre compte aujourd'hui que la conciliation avec la position de la classe ennemie dans l'époque du capitalisme d'Etat se manifeste par la capitulation directe à l'idéologie capitaliste et son acceptation et non plus - comme à la fin de la période ascendante- par l'existence de positions "intermédiaires", des positions ni marxistes ni capitalistes. Et il faut s'en rendre compte avant que par cette brèche ne se gangrènent tous nos principes de base.
Les débats actuels surgis à la suite d'une accélération de l'histoire, sont le prix que paie le CCI pour l'insuffisance de son approfondissement théorique et historique au cours des années passées.
Toute tentative d'appliquer de façon cohérente les notions de "conseillisme le plus grand danger" ne peut qu'aboutir à une remise en cause des positions du CCI sur la conscience de classe, pierre de touche d'une compréhension correcte de la lutte de classe et du rôle du futur parti en son sein ; sur les leçons de la première vague révolutionnaire ; sur le capitalisme d'Etat et sur les frontières de classe entre bourgeoisie et prolétariat.
De la capacité du CCI à dépasser ses faiblesses actuelles et à mener à bien les débats actuels dépendra en grande partie notre capacité à être à la hauteur des combats de classe futurs.
J.A.
Liens
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