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L’importance historique du divorce entre les États-Unis et l’Europe

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Le CCI tient régulièrement des permanences et des réunions publiques, physique ou en ligne. Celle du 5 avril s’est tenue en ligne, regroupant des participants de différents pays et continents. Lors de ce débat, la discussion s’est penchée sur les évolutions de la situation internationale, une situation particulièrement grave et complexe. Cela, afin de pouvoir mieux comprendre les dynamiques à l’œuvre, de pouvoir mieux poser les conditions de la lutte de classe avec la plus grande clarté possible.

Le déroulement de la discussion

Une introduction du CCI a présenté le cadre politique pour comprendre la signification et les implications du divorce transatlantique, celui que nous pouvons constater entre les États-Unis et l’Europe et qui s’est largement amplifié et confirmé depuis. La dynamique mondiale, qui est à l’œuvre depuis 1989 et qui culmine aujourd’hui avec l’élection de Trump et l’éclatement des alliances scellées à la fin de la Seconde Guerre mondiale, a des implications à différents niveaux de la vie de la société. En particulier sur le plan impérialiste et la lutte de classe.

Sur la base de notre présentation, les participants étaient appelés à intervenir plus précisément sur les thématiques et problématiques suivantes :

– Derrière les promesses de paix de Trump, pouvons-nous nous attendre à autre chose que plus de militarisme et d’escalade guerrière ? La dynamique à l’œuvre depuis 1989 a-t-elle maintenant atteint un nouveau palier historique ?

– La classe capitaliste n’a-t-elle d’autre choix, afin de financer de vastes programmes d’armement, que d’attaquer les travailleurs partout et de la manière la plus impitoyable ?

Un divorce définitif

Les camarades qui sont intervenus après l’exposés ont exprimé un soutien global aux positions défendues par le CCI sur la question des tensions guerrières, avec toutefois des nuances, voire chez un camarade une vision différente à propos de la manière dont le monde s’enfonce dans la barbarie guerrière. Selon lui on assiste à un renforcement de trois blocs impérialistes rivaux.

Mais dans le cadre de cette réunion, il nous a semblé préférable de laisser cette question très importante en suspens afin de privilégier l’analyse du changement historique occasionné par le divorce entre les États-Unis et l’Europe.

Bon nombre d’interventions sont allées dans le sens d’une confirmation de la réalité du développement du chacun pour soi, en particulier au sein de l’UE, soulignant un phénomène aggravé par les pressions américaines et la politique erratique de Trump comme expression du capitalisme en décomposition. Bon nombre de camarades se sont centrés sur les points que nous jugeons essentiels, en tentant notamment d’appréhender la signification de ce que nous qualifions de « divorce » entre les États-Unis et l’UE scellant la rupture de leur alliance : « il est difficile de prédire une rupture définitive entre les États-Unis et l’UE, mais il est clair que l’UE aura un besoin urgent d’augmenter ses dépenses militaires et de renforcer son indépendance […]. Au-delà de Trump, la politique américaine envers la Chine tend à diviser l’UE. De nombreux facteurs divisent les pays : une alliance étroite, fragile ces trente dernières années, mais qui ne se reproduira plus ». Un autre camarade a souligné l’importance du phénomène et sa gravité : « Nous observons une fracture entre les États-Unis et l’Europe. Cela confirme ce qui se passe depuis un certain temps. C’est un Choc et la stupeur face à Trump […]. Même la bourgeoisie affirme que le monde est devenu plus dangereux […]. L’élection de Trump est une nouvelle étape qualitative du capitalisme vers la barbarie ».

De nombreuses interventions ont évoqué aussi, dans ce cadre, le poids du populisme et sa réalité. Un camarade a ainsi cherché à mettre en exergue « une accélération profonde de la crise de toutes les bourgeoisies » mettant en évidence que « la bourgeoisie américaine a encore une supériorité sur la Russie avec l’objectif de mettre le bazar en Europe pour tenter de garder le leadership mondial et damer le pion à la Chine. On est dans une espèce de course folle vers le néant et il n’y a pas le choix pour la bourgeoisie, quoiqu’elle fasse, cela se retourne contre elle […]. Il faut [pour les États-Unis] désorganiser l’Europe, faire tout pour contrecarrer la concurrence de l’Europe ».

Les camarades qui sont intervenus ont souligné les difficultés qu’il y avait pour appréhender une situation mouvante et complexe. Le CCI a donc tenté de contribuer au débat avec le souci de donner un cadre mettant davantage l’accent sur la profondeur historique des changements opérés sur le plan international. Pour comprendre la situation, en particulier cette question du divorce entre les ex-alliés du bloc occidental, nous pensons qu’il est nécessaire de partir de l’équilibre des alliances dans les rapports impérialistes traditionnels instaurés depuis 1945. Après la Seconde Guerre mondiale, il a toujours existé une alliance forte et une certaine dépendance entre les États-Unis et l’Europe de l’Ouest. Même après la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide, malgré la menace de disparition du bloc occidental et sa désagrégation progressive, les anciens alliés restaient en partie soudés du fait de leur « victoire » mais aussi de leurs inquiétudes et prudence face à un effondrement du bloc de l’Est qui conduisait à rebattre les cartes sur le plan impérialiste. Prônant la « victoire du monde libre » et de la « démocratie », puis la « mort du communisme », il existait encore des liens politiques au sein des ex-alliés, liens qui se sont distendus par la suite du fait de la contestation croissante de l’autorité américaine sans que, pour autant, celle-ci disparaisse totalement.

Or, en février 2025, l’administration Trump entrait en pourparlers avec la Russie de Poutine sans la participation des pays européens et de l’Ukraine. Trump est allé jusqu’à reprendre les arguments de la Russie, justifiant ainsi l’intervention en Ukraine, en opposition totale avec la vision de la plupart des pays Européens. La rencontre entre le président Ukrainien Zelenski humilié et le couple Trump/Vance à Washington a confirmé cet alignement officiel de l’équipe Trump sur les revendications de la Russie face au « dictateur Zelenski ». Ainsi, concernant tant la question ukrainienne que celle de l’OTAN, Trump 2.0 marque une véritable rupture avec les anciens alliés européens. Les liens ténus se sont rompus.

Contrairement aux groupes du milieu politique prolétarien qui pensent que nous nous orientons vers des blocs militaires et une Troisième Guerre mondiale, les faits têtus démontrent qu’il n’en est rien. Même les alliés historiques comme les États-Unis, la Grande Bretagne ou le Canada ne marchent plus ensemble comme par le passé. Cela ne signifie nullement pour autant que le militarisme et la guerre ne sont plus des menaces, bien au contraire !

Dans cette période d’aggravation de la décomposition, il existe un chaos croissant qui s’instaure dans les rouages politiques de la bourgeoisie et alimente le militarisme. La montée du populisme, qui ne correspond pas à une politique réfléchie, rationnelle de la bourgeoisie, donne des orientations politiques chaotiques et aberrantes. Nous avons mentionné des exemples, dont celui spectaculaire de la Grande-Bretagne avec le Brexit, non souhaité par la partie de la bourgeoisie la plus éclairée. Une des bourgeoisies les plus expérimentées au monde perdait ainsi le contrôle de son appareil politique !

Aujourd’hui, nous constatons que la première puissance mondiale, à son tour, se donne comme dirigeants une équipe d’aventuriers irresponsables. Jamais dans la diplomatie bourgeoise de tels comportements ont pu être observés, même pendant les pires moments de la guerre froide, des comportements de voyous qui deviennent peu à peu la règle. De nombreux exemples ont aussi été donnés relatifs à l’irrationalité et la bêtise des orientations populistes, comme celle consistant à d’attaquer systématiquement la science en privant ainsi la classe dominante de certains outils, prouvant à quel point la montée au pouvoir de l’équipe Trump constitue une aberration totale face à la nécessité pour les différentes fractions bourgeoises au pouvoir de défendre les intérêts de la bourgeoisie américaine et de son État.

Les perspectives de la lutte de classe

Le deuxième point traité durant cette réunion publique concernait les perspectives de la lutte de classe. Malheureusement, si elle a été très vivante et passionnante, cette deuxième partie de discussion a manqué de temps, en particulier pour explorer la question de la dynamique du combat ouvrier.

Globalement, les interventions ont souligné que, face aux attaques brutales, le prolétariat sera amené à lutter : « Toutes les puissances impérialistes augmentent leurs budgets militaires et développent une économie de guerre. C’est la classe ouvrière mondiale qui subira le poids de cette économie de guerre et des politiques d’austérité, subissant une baisse de son niveau de vie. La classe ouvrière sera forcée de répondre par la lutte des classes ». De même, cette insistance : « De toute évidence, il est impossible d’éviter les attaques contre la classe ouvrière, et c’est vrai partout, en raison de la crise. En Europe en particulier, comme je l’ai mentionné précédemment, l’augmentation nécessaire des dépenses militaires, un doublement, se fait aux dépens de la classe ouvrière. La situation ne fait que s’aggraver ».

Beaucoup d’interventions se basaient sur l’analyse selon laquelle « le prolétariat n’est pas près d’être mobilisé pour la guerre », ce qui est effectivement très important et vérifié dans les parties du monde où le prolétariat a la plus forte expérience historique.

Certaines interventions ont aussi insisté avec lucidité sur les obstacles auxquels la classe ouvrière doit se confronter, notamment sur le plan idéologique. Ainsi, la classe ouvrière : « doit résister aux dangers posés par certains gauchistes ou démocrates (à savoir la fausse dichotomie entre démocratie et fascisme) et rester engagée dans sa lutte indépendante. La seule voie progressiste est la lutte des classes ». Une autre intervention allait dans le même sens en s’appuyant sur l’expérience de l’histoire de la Gauche communiste : « la défense de la démocratie contre le fascisme ou l’irrationalité populiste est un aspect essentiel des attaques idéologiques de la bourgeoisie contre la classe ouvrière […]. Parallèlement, d’autres factions de la bourgeoisie parlent de résistance et de défense de la démocratie contre les dangers autocratiques de Trump. La Gauche communiste a toujours été consciente du danger de ce type d’idéologie. Bordiga avait déclaré que le pire produit du fascisme était l’antifascisme ».

Une question cependant plus difficile à appréhender a été celle de savoir si le prolétariat pourra récupérer pleinement son identité de classe, sa conscience de constituer une classe historique aux intérêts opposés à ceux de la bourgeoisie, s’il sera capable de renforcer son combat en vue du renversement du capitalisme. Il s’agit là d’une question très importante, qui est la clé du processus de développement de la conscience de la classe ouvrière. Pour le CCI, ce processus a démarré et s’exprime de manière souterraine et aussi de façon plus visible, comme au moment des luttes au Royaume-Uni de l’été 2022, qui a constitué une rupture dans la dynamique mondiale de la lutte de classe.

En effet, jusque-là, la classe ouvrière était prisonnière des campagnes idéologiques de la bourgeoisie sur une prétendue « fin de la lutte de classe » et sur la « non-existence même de la classe ouvrière ». Une propagande bâtie à partir de l’effondrement du bloc de l’Est présenté comme « preuve » de la « mort du communisme ». En réalité, le recouvrement de l’identité et de la conscience de classe sera un processus long, de plus entravé par de nombreux pièges idéologiques tendus par la bourgeoisie pour tenter de l’en détourner, comme l’ont souligné divers intervenants.

Pour comprendre le sens de la rupture opérée dans les tréfonds de la conscience ouvrière, il convient de prendre du recul historique et procéder avec méthode. Pour le CCI, si nous ne pouvons mettre sur le même plan les grèves en Grande-Bretagne et celles de la fin des années 1960, nous pouvons tout de même procéder, toute proportion gardée, par analogie. Les grèves de 1968 étaient bien plus importantes historiquement. Cependant, les grèves en Grande-Bretagne de l’été 2022 témoignaient de la réalité d’une nouvelle dynamique qualitative de la lutte de classe. Comme l’a rappelé un camarade « cette lutte a éclaté au même moment que la guerre qui faisait rage en Ukraine, avec une vaste campagne médiatique sur la guerre et une crise politique au sein de la bourgeoisie autour de Johnson, juste après la pandémie. Malgré cela, la classe ouvrière a fait passer ses intérêts avant ceux du capitalisme. Ce n’était donc pas une réponse pavlovienne aux attaques, mais le fruit d’une réflexion ».

Nous devons aussi comprendre dans ce processus l’importance du prolétariat anglais, le plus ancien du monde. Dans les années 1970, il était à l’avant-garde de la lutte du prolétariat mondial. Comparée à des pays comme l’Italie, la Grande-Bretagne, en particulier en 1979, était bien le théâtre d’un nombre plus important de jours de grève. Le prolétariat était extrêmement combatif durant cette période, et cela a culminé en 1985 avec les grèves des mineurs. Mais il s’agissait d’un piège tendu par la bourgeoisie qui a isolé et vaincu le prolétariat. Une défaite qui a entraîné une grande passivité pendant des décennies. Il y a eu alors un ralentissement et un reflux des luttes ouvrières un peu partout dans le monde. La chute de l’URSS a aggravé la situation en Grande-Bretagne.

Pourtant, après une période de passivité de plusieurs décennies, le Royaume Uni a été le théâtre du grand mouvement de grèves de l’été 2022. À partir de ce moment, nous avons constaté un changement d’état d’esprit dans la classe ouvrière, dans le rapport de force entre le prolétariat et la bourgeoisie à différents endroits. Un changement qui s’est poursuivi avec des luttes en France, aux États-Unis ou en Belgique, comme il n’en avait pas existé depuis les années 70 et 80. Ce changement d’atmosphère dans la combativité ouvrière ne concerne donc pas seulement la Grande-Bretagne, mais il est le signe d’un changement qui s’effectue en profondeur au sein du prolétariat international.

Bien entendu, il ne faut pas s’attendre mécaniquement à un développement rapide de la lutte et de la conscience prolétariennes. Le chemin est long. La classe ouvrière aura besoin de temps pour développer son identité de classe et sa force, elle devra faire face aux obstacles comme diverses interventions l’ont bien illustrées. C’est un passage obligé pour la classe ouvrière, avant de pouvoir développer sa conscience historique et donner une perspective politique à la lutte.

Les insistances ont porté sur le fait que ces attaques vont également susciter la résistance de la classe ouvrière. La classe ouvrière sera donc attaquée aussi brutalement que dans les années 1930. Face à cette situation, elle doit plus que jamais se battre sur son propre terrain de classe, à savoir la défense de ses intérêts économiques. Même si la classe ouvrière est confrontée à de grandes difficultés, elle n’est pas vaincue et a commencé à relever la tête.

Face à ces perspectives de lutte de classe, nous avons réaffirmé que les révolutionnaires doivent être prêts à intervenir en vue de soutenir la résistance de notre classe, de défendre l’auto-organisation, l’unification des luttes et surtout participer au processus lent et difficile de politisation du combat.

CCI, 23 avril 2025

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