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Revue Internationale no 89 - 2e trimestre 1997

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Tensions imperialistes : la montee de l'imperialisme allemand

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Aucun événement récent n'illustre de façon plus significative l'exacerbation des tensions impérialistes que l'arri­vée de 3 000 soldats allemands en Bosnie. Sous prétexte de participer au « maintien de la paix » imposée par les Etats-Unis à Dayton, des troupes allemandes, rejoignant celles des rivaux français, anglais ou améri­cains, ont été envoyées dans la zone de crise pour défendre les intérêts impérialistes de leur bourgeoisie na­tionale.

Aucun autre événement ne confirme plus clairement la montée de l'impé­rialisme de l'Allemagne depuis sa ré­unification nationale. Pour la pre­mière fois depuis la deuxième guerre mondiale, la bourgeoisie allemande envoie ses forces armées à l'extérieur avec pour mandat de faire la guerre. Pendant un demi-siècle, la bourgeoi­sie des deux Etats allemands créés après 1945 n'avait pas eu le droit d'intervenir militairement à l'étranger pour défendre ses intérêts impérialis­tes. Toute exception à cette règle gé­nérale, imposée par l'OTAN pour l'Ouest et par le Pacte de Varsovie pour l'Est, devait être décidée non à Bonn ou à Berlin Est mais à Washington ou à Moscou. En réalité, la seule implication de troupes alle­mandes dans des actions militaires à l'extérieur, pendant toute la période d'après 1945, a été celle des troupes de l'Allemagne de l'Est, au sein de celles du Pacte de Varsovie, dans l'occupation de la Tchécoslovaquie en 1968.

Aujourd'hui, l'Allemagne est unifiée et s'af­firme comme la puissance dominante en Europe. Les blocs de l'ouest et de l'est n'exis­tent plus. Dans un monde déchiré, non seu­lement par les tensions militaires mais par le chaos global et la lutte de chacun contre tous, l'impérialisme allemand n'a plus besoin de permission pour soutenir sa politique étrangère par la force des armes. Aujourd'hui, le gouvernement allemand est capable d'imposer sa présence militaire dans les Balkans, que cela plaise ou non aux au­tres grandes puissances. Cette capacité croissante fait surtout ressortir le déclin de l'hégémonie de la seule superpuissance qui reste dans le monde, les Etats-Unis. La ca­pacité de cette dernière à imposer sa loi au gouvernement de Bonn, qui était la clé de voûte de sa domination sur les deux tiers du globe après la deuxième guerre mondiale, est largement remise en cause et la présence même de la Bundeswehr en Bosnie, aujour­d'hui, démontre au monde entier à quel point cette domination américaine a été sapée.

L'Allemagne sape les accords de Dayton et défie les Etats-Unis

La participation de Bonn aux missions de l'IFOR 2 de l'OTAN en Bosnie, où elle con­trôle une des trois zones d'application avec la France, n'est pas qu'un défi aux Etats-Unis et aux puissances européennes au niveau global et historique. C'est aussi une initia­tive indispensable à la défense concrète des intérêts cruciaux de l'impérialisme allemand dans la région même. L'enjeu est l'acquisi­tion, à long terme, de bases navales en Méditerranée à travers les ports de son allié historique, la Croatie. C'est le gouvernement Kohl qui a déclenché le processus qui a me­né à l'explosion de la Yougoslavie avec son lot de conflits sanglants en poussant de fa­çon agressive à l'indépendance de la Croatie et de la Slovénie au début des années 1990. Bien que Bonn, grâce à des fournitures massives d'armes à la Croatie, ait réussi à développer sa politique, un tiers du territoire de ses alliés croates est resté occupé par les forces serbes, coupant pratiquement le nord du pays des ports stratégiques de la Dalmatie dans le sud. Au début de la guerre des Balkans, l'Allemagne pouvait encore faire de grandes avancées, par un soutien logistique à la Croatie, sans avoir à engager ses propres troupes. Mais quand la guerre a éclaté dans la Bosnie voisine, les principaux rivaux européens de l'Allemagne (l'Angleterre et la France en particulier sous le couvert des Nations Unies et surtout les Etats-Unis sous le parapluie de l'OTAN) ont commencé à défendre leurs intérêts par une présence militaire directe. Cette présence pouvait être d'autant plus efficace que l'Allemagne elle-même n'était prête ni mili­tairement ni politiquement à suivre. Mais c'est par dessus tout l'engagement militaire des Etats-Unis qui a entamé, ces deux der­nières années, la position de l'Allemagne. Les victoires militaires de la Croatie contre les serbes pro-français et pro-anglais en Krajina et en Bosnie, qui ont mis fin à la division de ce pays en reliant les ports dal­mates à la capitale Zagreb, ont été acquises grâce au soutien non pas de l'Allemagne mais des Etats-Unis. Les accords de Dayton, imposés par les Etats-Unis dans le sillage de ses attaques militaires en Bosnie, ont en­suite confirmé la nécessité impérieuse pour l'Allemagne de défendre à son tour ses inté­rêts dans la région avec ses propres forces armées. Le stationnement de forces sani­taires et logistiques en Bosnie l'année dernière, hors de la zone de bataille et sans mandat de combattre, a été un premier pas vers la force actuelle de « maintien de la paix » en Bosnie même. A leur arrivée en Bosnie, ces unités allemandes, fortement armées et équipées, avec cette fois-ci un mandat leur permettant de combattre, ont été ouvertement accueillies comme des al­liées par les croates de Bosnie qui ont im­médiatement adopté une attitude plus agressive vis-à-vis des musulmans, rendant la vie difficile aux troupes françaises et es­pagnoles dans la ville divisée de Mostar. Le gouvernement croate a récompensé Bonn de l'arrivée de la Bundeswehr en décidant de remplacer les vieux Boeings de sa flotte aé­rienne par des avions Airbus construits en grande partie en Allemagne. Le ministre croate des affaires étrangères, en justifiant cette décision, déclarait : « Nous devons no­tre indépendance nationale à l'Amérique mais notre avenir réside en Europe, sur la base de notre amitié avec les gouvernements allemands et bavarois. »

En réalité, la bourgeoisie croate attendait depuis longtemps et avec impatience l'arri­vée des troupes allemandes pour pouvoir se dégager du leadership des Etats-Unis. Washington a, en effet, fait payer cher son soutien à la Croatie. Ce sont les Etats-Unis qui, au dernier moment de la guerre en Bosnie avant Dayton, ont empêché les forces bosniaques et surtout croates de s'emparer de Banja Luca, et donc de chasser les serbes de l'est de la Bosnie. Par dessus tout, ce sont les Etats-Unis qui ont obligé les croates bosniaques à s'allier aux musulmans, en con­tradiction complète avec tous leurs objectifs guerriers en Bosnie. Pour la bourgeoisie croate, son principal ennemi en Bosnie n'est pas serbe mais musulman; son but est le par­tage de ce territoire avec les serbes aux dé­pens de la bourgeoisie musulmane. Les inté­rêts de la Croatie en Bosnie coïncident par­faitement avec ceux de l'Allemagne dans le sens de s'assurer l'accès aux ports dalmates.

Malgré sa collaboration tactique avec les Etats-Unis contre les serbes ces deux derniè­res années, Zagreb a des intérêts communs avec Bonn qui s'opposent non seulement à ceux des puissances de l'Europe de l'ouest et de la Russie pro-serbes mais aussi à ceux des Etats-Unis.

L'offensive allemande dans les Balkans

Nous assistons actuellement à une contre-of­fensive de l'Allemagne dans l'ex-Yougoslavie et les Balkans visant à compen­ser son recul dû aux accords de Dayton. Elle cherche à profiter des difficultés américaines au Moyen-Orient pour étendre son influence en Europe du sud-est et en Asie centrale. L'arrivée de troupes allemandes en Bosnie, loin d'être un événement isolé de « maintien de la paix », fait partie d'une poussée impé­rialiste extrêmement agressive vers la Méditerranée, le Moyen-Orient et le Caucase. Le pivot central de cette politique est la collaboration avec la Turquie. La dé­faite de l'impérialisme russe en Tchétchénie, l'affaiblissement de ses positions dans l'en­semble du Caucase, n'est rien de moins que le fruit de cette collaboration turco-alle­mande. Aujourd'hui, l'Allemagne soutient vigoureusement la politique de rapproche­ment du gouvernement Erbakan à Ankara avec l'Iran, un autre allié traditionnel de l'Allemagne. Celle-ci a clairement pris le parti de la Turquie dans son conflit avec la Grèce. Le ministre des affaires étrangères, Kinkel, a dit à la presse le 7 décembre 1996 à Bonn : « La Turquie est pour l'Allemagne un pays clé dans nos relations avec le monde islamique. Comment peut-on blâmer la Turquie de pencher plus fortement du côté de ses voisins islamiques, quand la Turquie n'a même pas gagné un sou dans l'union douanière avec l'Union Européenne du fait de la politique de blocage de la Grèce ? » C'est pour répondre à cette en­tente germano-turque que la Russie a promis de livrer des roquettes aux chypriotes grecs, sans rencontrer de désapprobation sérieuse de la part de Washington. Dans cette zone située entre l'Europe et l'Asie, il y a une ac­cumulation massive d'armes et une montée des tensions guerrières.

En même temps, les grandes puissances, no­tamment l'Allemagne, déstabilisent les poli­tiques intérieures de tous les pays des Balkans. En Turquie, Bonn soutient le pre­mier ministre « islamiste » Erbakan dans sa lutte acharnée pour le pouvoir contre l'aile pro-américaine de l'armée malgré le danger d'un putsch militaire ou d'une guerre civile. Récemment, un tribunal allemand a officiel­lement accusé la famille de la rivale d'Erbakan, le ministre des affaires étrangè­res Ciller, de jouer un rôle clé dans le mar­ché international des stupéfiants. Si en Serbie l'Allemagne a soutenu, aux côtés des américains, l'opposition « démocratique », y compris les Draskovic et Djinjic qui sont violemment anti-allemands, c'est unique­ment dans le but de déstabiliser le régime de Milosevic. En Bulgarie, Macédoine et Albanie, l'Allemagne et les autres grandes puissances sont impliquées dans les luttes pour le pouvoir qui sont souvent sanglantes. Mais l'exemple le plus spectaculaire de cette politique de déstabilisation est donné par l'Autriche qui se baptisait elle même, jusqu'à il y a peu, « l'île de la tranquillité ». Ce pays a été le seul à reconnaître l'indépendance de la Croatie et de la Slovénie en même temps que Bonn. La plupart des fractions de la bourgeoisie autrichienne sont plus ou moins pro-allemandes. Mais cela ne suffit pas à l'impérialisme allemand. Comme l'Autriche est la porte des Balkans, Bonn essaie de faire de ce pays une quasi-colonie alle­mande, achetant ses banques et son indus­trie, poussant l'armée autrichienne à acheter des armes allemandes et soutenant ouverte­ment le ministre autrichien des affaires étrangères, le chrétien-démocrate Schüssel, qui consulte fidèlement Kohl avant de pren­dre toute décision sérieuse. Cette situation a d'ailleurs provoqué plusieurs crises dans la coalition au pouvoir à Vienne, notamment à travers une « résistance » de la social démo­cratie, le parti classique de la bourgeoisie autrichienne qui a obtenu le remplacement de Vranitsky le « conciliateur » par un nou­veau premier ministre, Viktor Klima, un op­posant plus déclaré à la « prise de posses­sion » de l'Allemagne.

Les enjeux stratégiques de ces conflits

Avec l'effondrement du bloc de l'Est en 1989, les « vieux » enjeux stratégiques, qui ont divisé les puissances occidentales et qui ont débouché sur les deux guerres mondiales de ce siècle, sont de retour. Les ambitions « historiques », qui se réveillent chez l'im­périalisme allemand moderne, incluent la domination de l'Autriche et de la Hongrie en tant qu'ouvertures vers les Balkans, de la Turquie en tant que porte vers l'Asie et le Moyen-Orient, mais aussi le démantèlement de la Yougoslavie et le soutien à la Croatie pour un accès à la Méditerranée. Déjà avant et pendant la première guerre mondiale, les fameux géostratèges du « pangermanisme » avaient élaboré les grands principes de la politique étrangère ; aujourd'hui, avec l'ef­fondrement de l'ordre mondial issu de Yalta, ces principes orientent de nouveau la politi­que étrangère de l'Allemagne. Ernst Jaeckh a écrit en 1916 : « l'Allemagne est encerclée par des peuples déjà établis et de plus en plus hostiles. A l'Ouest, la France qui con­serve son inimitié revancharde ; la Russie qui s'oppose à nous à l'Est ; au Nord, l'Angleterre opposée au monde entier. Il n'y a qu'au sud-ouest, derrière nos alliés autri­chiens et hongrois, que Bismarck a déjà ga­gnés contre la Russie, qu'il y a une route ou­verte vers des peuples qui n'ont pas achevé leur formation en Etat et qui ne nous sont pas encore hostiles dans les régions du monde voisines de l'Europe centrale vers la Méditerranée et l'Océan Indien. La voie ter­restre via la "Mitteleuropa" [l'Europe cen­trale] devient donc notre détour pour accé­der aux mers extérieures ». Jaeckh ajoutait que « l'Allemagne et la Turquie sont la pierre angulaire d'un édifice réunissant l'Autriche, la Hongrie et la Bulgarie. »

La même année, Friedrich Naumann, un au­tre théoricien fameux de l'impérialisme al­lemand écrivait : « L'Allemagne doit mettre tout son poids pour s'assurer cette voie dont dépendent ses liens avec la Turquie. Nous avons fait l'expérience pendant la guerre des dégâts qui peuvent être causés quand les Serbes ont acquis une partie de cette route. Ce fut la raison pour laquelle l'armée de Mackensen a traversé le Danube. Tout ce qui se trouve sur la ligne ferroviaire de Bagdad, se trouve sur la route Hambourg-Suez qu'on ne doit permettre à personne de bloquer. A quoi bon les chemins de fer de Bagdad ou anatoliens si nous ne pouvons les utiliser sans la permission de l'Angleterre ? »

Dans le même sens, Paul Rohrbach, dont Rosa Luxemburg disait qu'il est « un porte-parole semi-officiel très ouvert et honnête de l'impérialisme allemand », parlait constam­ment de « la nécessité d'éliminer le verrou serbe qui sépare l'Europe centrale de l'Orient. » ([1] [1])

Si les Balkans ont été le point de départ de la première guerre mondiale et un des prin­cipaux champs de bataille du second conflit mondial, cette région est aujourd'hui encore plongée dans la barbarie par la montée de l'impérialisme allemand et des efforts de ses grands rivaux pour la contrecarrer.

La rivalité germano-américaine en Europe de l'Est

Bien que les Etats-Unis et l'Allemagne, par pions bosniaques et croates interposés en Yougoslavie, aient récemment fait une al­liance tactique pour repousser les serbes et bien qu'ils aient travaillé ensemble pour li­miter le développement du chaos en Russie, ils sont devenus les principaux rivaux dans la lutte pour la domination de l'Europe de l'Est. Depuis l'effondrement de l'URSS, l'im­périalisme russe a rapidement perdu jus­qu'aux derniers restes de son influence an­térieure sur les pays du Pacte de Varsovie. Quoique l'extension vers l'est de l'OTAN et de l'Union Européenne soit justifiée par les medias bourgeois occidentaux par le besoin de protéger l'Europe de l'Est d'une possible agression russe, cela fait en réalité partie de la course de vitesse qui existe aujourd'hui entre l'Allemagne, à travers l'Union Européenne, et les Etats-Unis à travers l'OTAN, pour prendre la place de Moscou. Pendant la première moitié des années 1990, l'Allemagne a eu la capacité d'acquérir une influence plus ou moins importante dans tous les pays de l'ex-Pacte de Varsovie, ex­cepté dans la République tchèque. Au centre de cette expansion de l'Allemagne, il y a eu son alliance avec la Pologne qui représente une composante militaire forte. En fait, sous prétexte d'aider à fermer la frontière orien­tale de la Pologne aux immigrants illégaux en route pour l'Allemagne, Bonn a commen­cé à équiper et même à financer des parties importantes de l'appareil militaire polonais. Le gouvernement polonais a d'ailleurs cha­leureusement accueilli le déploiement des troupes allemandes en Bosnie et a promis de participer avec la Bundeswehr aux futures opérations à l'extérieur. Le fait qu'un pays comme la Pologne s'allie avec le géant éco­nomique allemand plutôt qu'avec la super­puissance militaire américaine en dit long sur le peu de crainte qu'a Varsovie d'une in­vasion militaire russe. En réalité, la bour­geoisie polonaise, loin d'être sur la défen­sive, compte tirer profit de l'expansion alle­mande vers l'est aux dépens de la Russie. C'est précisément parce que les Etats-Unis ont perdu beaucoup de terrain en Europe de l'est au profit de l'Allemagne ces dernières années qu'ils font maintenant pression, avec une certaine impatience, pour étendre l'OTAN à l'est. Mais en faisant cela, ils met­tent en péril leurs relations privilégiées avec la Russie, relations qui sont tellement im­portantes pour Washington justement parce que l'ours russe même épuisé, est le seul au­tre pays qui possède un arsenal nucléaire gi­gantesque. Actuellement, la diplomatie al­lemande fait tout ce qu'elle peut pour élargir la brèche entre russes et américains en fai­sant une série de concessions à Moscou. Une de ces concessions est que les troupes de l'OTAN (c'est-à-dire les Etats-Unis) ou les armes nucléaires ne puissent pas être sta­tionnées dans les pays de la nouvelle OTAN. Le ministre allemand de la défense, Rühe, a même proposé d'inclure le territoire de l'ex-Allemagne de l'Est dans cette catégorie. Cela reviendrait à créer, pour la première fois depuis 1945, une aire interdite aux troupes américaines dans la République Fédérale Allemande : un premier pas possi­ble vers le retrait de l'ensemble des forces nord-américaines. On comprend la rage de l'appareil politique à Washington qui a commencé à faire publier des rapports sur les droits de l'homme qui mettent l'Allemagne au même niveau que l'Iran ou la Corée du Nord à cause de la manière dont elle traite la secte de L'Eglise de Scientologie américaine.

La montée de l'Allemagne et la crise de la politique européenne de la France

La montée de l'Allemagne en tant que nou­velle puissance dominante en l'Europe n'en est qu'à ses débuts. Mais aujourd'hui déjà, l'impérialisme allemand bénéficie de la re­mise en question générale du leadership américain. Quoique l'Allemagne soit encore bien trop faible, par rapport aux Etats-Unis, pour être à même de constituer son propre bloc impérialiste, sa montée menace déjà sérieusement les intérêts de ses principaux rivaux européens, y compris la France. Après l'effondrement du bloc de l'Est, la France a d'abord recherché une alliance avec l'Allemagne contre les Etats-Unis. Cependant, le renforcement de son voisin de l'est, et surtout la marche de Bonn vers la Méditerranée dans les guerres yougoslaves, ont conduit la France à s'en éloigner et à se rapprocher de la Grande-Bretagne, d'autant plus que cette dernière était engagée dans une rupture de son alliance de toujours avec les Etats-Unis.([2] [2]) Ces derniers mois, Bonn et Paris se sont à nouveau rapprochés. L'exemple le plus frappant est donné par leur collaboration militaire en Bosnie. Est-ce une renaissance de l'alliance franco-alle­mande ?

Plusieurs raisons expliquent le relâchement récent des relations entre Paris et Londres. Il y a d'abord la menace de représailles de la part des Etats-Unis, surtout contre Londres. Il y a ensuite, du point de vue des intérêts français, le fait que l'alliance avec la Grande-Bretagne a échoué par rapport à un de ses objectifs les plus importants : empê­cher l'avancée de l'Allemagne. Les troupes allemandes dans les Balkans, l'entente alle­mande avec la Pologne, traditionnellement alliée de la France, en sont les meilleures preuves. Il y a enfin la pression exercée sur la France par l'Allemagne qui ne voit pas d'un bon oeil le rapprochement de ses prin­cipaux rivaux européens. En réaction, Paris ne se réaligne pas pour autant sur la politi­que de Bonn mais change en fait de tactique pour la combattre. Cette nouvelle tactique, celle d'étreindre son ennemi pour l'empêcher de bouger, se vérifie en Bosnie où les forces allemandes, si elles ne peuvent en être ex­clues, sont au moins sous direction fran­çaise. Cette tactique peut marcher un temps car l'Allemagne n'est pas encore prête à jouer un rôle militaire plus indépendant. Mais, à long terme, elle est aussi vouée à l'échec.

L'exacerbation des tensions militaires

Tout ce que l'on vient de développer révèle la logique sanglante du militarisme dans ce siècle, dans la phase décadente du capita­lisme. Avec la chute du bloc de l'est, l'Allemagne, grâce à sa force économique et politique et à sa situation géographique, est devenue la puissance dominante de l'Europe quasiment en une nuit. Mais même une telle puissance ne peut défendre efficacement ses intérêts que si elle est capable de les défen­dre militairement. Comme le capitalisme ne peut plus conquérir des marchés suffisants pour réellement étendre son système, toute puissance impérialiste ne peut que s'affirmer aux dépens des autres. Dans ce cadre, qui est celui qui a déjà provoqué les deux guer­res mondiales de ce siècle, c'est la force brute qui décide, en dernière instance, du statut des Etats bourgeois. Les événements en Yougoslavie nous confirment cette leçon. S'il n'a pas de troupes dans la région, l'im­périalisme allemand perdra, quelle que soit sa force par ailleurs. C'est cette contrainte d'un système en décadence qui fait monter aujourd'hui les tensions militaires dans le monde entier, imposant une politique de militarisation à l'Allemagne et à tous les au­tres Etats bourgeois.

Cependant cette course sanglante, avec tout ce que cela impose d'appauvrissement et de souffrances à la classe ouvrière, avec la lu­mière qu'elle jette sur la réalité barbare du système capitaliste, va, à long terme, exa­cerber la lutte de classe entre bourgeoisie et prolétariat. Au niveau historique, le déve­loppement de l'expansion impérialiste de l'Allemagne peut être un facteur considéra­ble du retour du prolétariat allemand à la tête de la lutte de classe révolutionnaire du prolétariat international.

DK.




[1] [3]. Toutes les citations des géostratèges du « pangermanisme » sont tirées du document « Europastrategien des deutschen Kapitals 1900-1945 ».

 

[2] [4] Sur la rupture historique de l'alliance de la Grande-Bretagne avec les Etats-Unis, voir en parti­culier la « Résolution sur la situation internatio­nale », Revue internationale n° 86.

 

Géographique: 

  • Allemagne [5]

Questions théoriques: 

  • Impérialisme [6]

Crise economique : les « dragons » asiatiques s'essoufflent

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Les récentes grèves ainsi que les dif­fi­cultés économiques en Corée du Sud viennent ébranler un des arguments fa­voris utilisés par la bourgeoisie dans ses campagnes idéologiques de réfutation du marxisme. Déçue par la fin du « miracle » japonais, la bourgeoisie s'était rabattue sur les taux de crois­sance appréciables des « dragons asia­tiques » (Corée du Sud, Taiwan, Hongkong, Singapour) puis sur la mon­tée en puissance des nouveaux « tigres » (Thaïlande, Indonésie, Malaisie) : leur prospérité n'était-elle pas la « preuve » que des pays sous-déve­loppés peuvent rapidement émerger de la misère et que c'est le capitalisme avec ses lois du marché qui mérite de s'arroger ces réussites ? Et combien de fois ne nous a-t-on pas montré des ou­vriers en grève poursuivant leur travail tout en portant un brassard pour mar­quer leur mécon­tentement ? Le « dé­vouement aux inté­rêts de l'entre­prise » et « la discipline légendaire » des tra­vailleurs de l'Asie du sud-est nous étaient ainsi présentés par la bourgeoi­sie et ses médias aux ordres comme un des secrets de la réussite économique de ces pays et comme la preuve vivante de l'inanité de la thèse marxiste sur les irréductibles opposi­tions de classe.

Avec l'effondrement du bloc de l'Est et la faillite du stalinisme, présentée fallacieuse­ment comme celle du communisme, toute la bourgeoisie annonçait le triomphe de « l'économie de marché » et promettait une nouvelle ère de prospérité. Mais les réalités brutales de la crise, les mesures d'austérité et les licenciements massifs, sans précédents depuis 25 ans, sont venus contredire ces dis­cours triomphants et dissiper les brumes des mensonges idéologiques de cet avenir de « prospérité ». Plus que jamais, la bour­geoisie a un besoin urgent de modèles de réussite pour entretenir ses mythes afin de masquer la faillite historique de son sys­tème. Il lui faut empêcher au maximum que le prolétariat, son ennemi mortel, ne prenne conscience des véritables racines de la crise, ne comprenne que le capitalisme n'a d'autre avenir que d'enfoncer l'humanité dans une misère accrue et dans une multiplication de conflits de plus en plus meurtriers. C'est pourquoi, après la déconfiture de plus en plus patente des « modèles » allemand et ja­ponais, les suppôts idéologiques de la bour­geoisie en sont venus à la promotion d'exemples asiatiques définis comme « nouveaux pôles de croissance . Tel est un des nouveaux discours mystificateurs en vo­gue aujourd'hui.

Le « tiers-monde » dans la décadence du capitalisme

Seul le cadre global d'analyse de la déca­dence du capitalisme permet de comprendre la place et l'importance du relatif dévelop­pement économique des « dragons » asia­tiques et l' « exception » qu'ils constituent à la règle de la désindustrialisation massive du « tiers-monde » et à l'incapacité générale du mode de production capitaliste à déve­lopper les forces productives. Les chif­fres sont éloquents, le « tiers-monde » ne re­trouve son niveau d'industrialisation par habitant de 1750 que près de deux siècles plus tard, en 1960. Malgré tous les discours triomphants de la bourgeoisie sur le dyna­misme du Sud-est asiatique et le dévelop­pement dans le « tiers-monde », l'écart n'a fait que se creuser au cours de la décadence entre les pays industrialisés et le reste du monde : il a plus que doublé passant de 1 à 3,4 en 1913 à 1 à 8,2 en 1990. Alors qu'en phase ascendante la population intégrée au processus productif croissait plus rapide­ment que la population elle-même, au­jour­d'hui c'est au rejet d'une masse grandis­sante de travailleurs en dehors du système auquel nous assistons. Le capitalisme a achevé son rôle progressif notamment au travers de la fin du développement d'une des principales forces productives : la force de travail. La petite poussée d'industrialisation qu'a connu le « tiers-monde » au cours d'une période à cheval entre les années 1960-70, vigoureuse en terme de taux de croissance n'a en rien infléchi les grandes évolutions rappelées ci-dessus. Elle fut limitée dans le temps et l'es­pace, dépendante et fonction du mode d'ac­cumulation dans les pays dévelop­pés, et fi­nalement très coûteuse et per­nicieuse pour le « tiers-monde ». Mis à part quelques ex­ceptions, localisées pour l'essentiel dans le Sud-est asiatique, tous les essais de consti­tution d'une véritable assise industrielle per­formante ont échoué. Et pour cause, les puissances industrielles en place ne pou­vaient permettre la généralisation d'un pôle concurrent. ([1] [7])

Sans s'étendre sur une question sur laquelle nous aurons l'occasion de revenir, nous de­vons cependant rappeler que l'essentiel de l'industrialisation dans le « tiers-monde » s'est concentré dans cinq pays seulement : le Brésil et les quatre « dragons » ([2] [8]). Ensemble, ces cinq pays qui fournissent près de 80 % des exportations de produits manu­facturés du « tiers-monde » ne concernent que 6 % de la population de ce même « tiers-monde ». A considérer les seuls qua­tre « dragons », le déséquilibre est en­core plus grand : en 1990 ils fournissent les deux tiers de l'ensemble des exportations de pro­duits manufacturés de tout le « tiers-monde » mais n'en représentent que 3 % en terme de population. Limité dans l'espace, ce « développement » le fut également dans le temps. La brève inversion de dynamique au cours des années 1967-77 (cf. tableau ci-dessous) fait à nouveau place à l'augmenta­tion de l'écart relatif : la crois­sance de la production dans le « tiers-monde » en re­vient à un rythme inférieur à celui des pays industrialisés. Des zones en­tières ont même cessé de croître, puisque le produit par tête y a tout simplement reculé. Les années 1980, véritable décennie perdue pour le « tiers-monde », sont venues mettre définitivement fin aux illusions. Les quelques exceptions qui échappent à cette évolution générale ne sauraient infirmer la tendance globale. La décennie 1980 s'illustre par une quasi stag­nation du produit par tête (0,7 %) pour les pays du Sud :

PIB par habitant

 

 

 

 

 

 

 

 

Nord

Sud

 

 

1960-67

4,0 %

2,5 %

 

 

1967-77

3,0 %

4,3 %

 

 

1977-90

2,2 %

0,7 %

Source : P.N.U.D., Rapport 1992

Pourquoi le développement du Sud-est asiatique après la seconde guerre mondiale

C'est seulement dans le cadre du contexte général rappelé ci-dessus que l'on peut abor­der la question du pourquoi, de l'ampleur et de la nature de la croissance dans le Sud-est asiatique. Tout d'abord, il faut écarter l'in­clusion du Japon dans les performances chif­frées de cette région du monde. le Japon est le seul pays de la région à avoir connu la ré­volution industrielle au 19e siècle et à s'être dégagé de toute domination coloniale impor­tante directe ou même indirecte. Ce pays, qui a réalisé sa mutation capitaliste à travers la « révolution Meiji » de 1867, est incon­testablement à considérer parmi toutes les puissances économiques ayant émergées pendant la phase ascendante du capitalisme.

L'exception du Sud-est asiatique ne peut se comprendre que dans le cadre de la lutte à mort que se sont livrés les deux nouveaux blocs militaires (OTAN et Pacte de Varsovie) à l'issue du second conflit inter-impérialiste. Contenue en Europe dans l'immédiat après-guerre, l'expansion du bloc de l'Est se déporte vers l'Asie. Le soutien soviétique accordé à la fraction bourgeoise maoïste qui arrive au pouvoir en 1949, con­jugué à la guerre de Corée, déterminent les Etats-Unis à développer des politiques pour endiguer au maximum les percées de son ennemi impérialiste dans cette partie du monde. Sachant que la misère économique et sociale est le principal argument sur le­quel s'appuient les fractions nationalistes pro-soviétiques pour arriver au pouvoir dans certains pays d'Asie, les Etats-Unis vont faire des zones qui se situent au voisinage immédiat de la Chine (Taiwan, Hongkong, Corée du Sud et Japon), les avant-postes de la « prospérité occidentale ». La priorité pour les Etats-Unis sera d'établir un cordon sanitaire par rapport à l'avancée du bloc so­viétique en Asie. Contrairement à sa poli­ti­que menée dans le reste du monde, les Etats-Unis vont déployer un arsenal impres­sionnant de mesures pour saper les bases objectives du mécontentement social dans ces pays. Ainsi, alors que la puissance amé­ricaine s'est, quasiment partout dans le monde, violemment opposée aux réformes agraires et institutionnelles et a soutenu les fractions bourgeoises les plus rétrogrades en place, elle va promouvoir des politiques économico-sociales « révolutionnaires » dans les quatre pays asiatiques cités. Ces politiques n'ont d'autres raisons que celles géostratégiques propres à cette partie du monde. La Corée du Sud, par exemple, ne disposait d'aucun atout particulier. Dépourvu de matières premières et dont l'essentiel de l'appareil industriel se localisait au Nord, ce pays se retrouvait exsangue au lendemain de la guerre : la baisse de la production atteint 44 % et celle de l'emploi 59 %, les capitaux, les moyens de production intermédiaires, les compétences techniques et les capacités de gestion étaient quasi inexistants. Seuls les impératifs de la guerre froide ont poussé les Etats-Unis à soutenir la Corée du Sud à bout de bras. Contrairement aux stupides asser­tions sur le formidable auto-développement du Sud-est asiatique, la croissance des qua­tre « dragons » est le pur produit d'une vo­lonté américaine dans le contexte exacer­bé de la guerre froide. Il n'y a guère de doute que sans l'aide massive apportée par les Etats-Unis dès le début et pendant de lon­gues années, ces pays, et particulière­ment la Corée du Sud et Taiwan, n'auraient pas pu survivre en tant qu'Etats nationaux :

1) L'appui militaire et économique des Etats-Unis, de par son ampleur, a constitué l'équivalent d'un plan Marshall pour l'Asie. La croissance dans les années 1950-70 a été soutenue par l'aide extérieure américaine qui crevait tous les plafonds imaginables (elle n'est dépassée, en terme relatifs, que par l'aide reçue par Israël, pour des raisons stratégiques analogues). De 1945 à 1978, la Corée du Sud a reçu quelques 13 milliards de dollars, soit 600 par tête, et Taiwan 5,6 milliards, soit 425 par tête. Entre 1953 et 1960, l'aide étrangère contribue pour environ 90 % à la formation du capital fixe de la Corée du Sud. L'aide fournie par les Etats-Unis atteignait 14 % du PNB. en 1957. A Taiwan entre 1951 et 1965, l'aide « civile » américaine s'élevait à 6 % du PNB. et l'aide militaire à 10 %. Dans les années 1950, plus de 80 % des importations coréennes et 95 % du déficit commercial de Taiwan étaient fi­nancés par l'assistance économique améri­caine. Cette aide a cessé en 1964 pour Taiwan et en 1980 seulement pour la Corée du Sud. Mais même ainsi l'aide en nature a continué. Des céréales et d'autres fournitures ont été données à la Corée en contrepartie de restrictions « volontaires » de ses expor­tations de textiles. Les surplus alimentaires américains ont servi à maintenir de bas sa­laires dans les deux pays. En Asie du Sud-est l'aide a été relayée dans le courant des années 1970 par l'investissement direct d'outre-mer (essentiellement américain puis japonais) et surtout par l'endettement ex­té­rieur (cf. tableau ci-dessous) ; en outre, pour la Corée et Taiwan, c'est également l'expor­tation industrielle qui a pu prendre le relais.

2) De même qu'ils l'ont fait au Japon, des réformes agraires ont été imposées à l'initia­tive des gouvernements militaires améri­cains, lesquelles ont eu de profondes consé­quences sur la structure de classe des diffé­rents pays et sur l'autonomisation rela­tive des Etats. Ainsi en Corée, l'année 1945 a marqué le début de la réforme agraire avec la décision du gouvernement militaire amé­ricain de redistribuer aux anciens fer­miers et cultivateurs coréens les terres jusque-là contrôlées par les japonais. La réforme agraire a donc contribué à instaurer une stabilité politique en supprimant toute éventualité d'émeutes paysannes. A Taiwan les américains exigent la réforme agraire conçue par la commission sino-américaine de reconstruction rurale (JCRR). Celle-ci est dotée de pouvoirs exceptionnels et son bud­get pris en charge par les Etats-Unis.

3) De nombreuses réformes institutionnelles et sociales ont été entreprises pour saper les bases de l'ancien régime et dynamiser la so­ciété. Contrairement au soutien systéma­ti­que apporté à la bourgeoisie foncière dans les autres pays du « tiers-monde », et no­tamment en Amériques centrale et du Sud, la politique américaine en Asie a contribué à la déstructurer, faisant ainsi sauter un ob­s­tacle économique et politique à l'industriali­sation. Ainsi, dès 1959, le démembrement des grandes propriétés terri­ennes et la ré­partition des parcelles agri­coles, sans véri­table indemnisation, étaient relativement équitables ([3] [9]) en Corée du Sud contribuant à la destruction d'un système de classes hé­réditaire (Yangban) fondé sur la propriété du sol ([4] [10]).

4) Mais les Etats-Unis ne se sont pas bornés à fournir aide et soutien militaires, aide fi­nancière et assistance technique ; ils ont en fait pris en charge dans les différents pays toute la direction de l'Etat et de l'économie. En l'absence de véritables bourgeoisies na­tionales, le seul corps social pouvant pren­dre la tête de l'entreprise de modernisation voulue par les Etats-Unis était représenté par les armées. Un capitalisme d'Etat par­ti­culièrement efficace sera instauré dans cha­cun de ces pays. La croissance économique sera aiguillonnée par un système qui alliera étroitement le secteur public et privé, par une centralisation quasi militaire mais avec la sanction du marché. Contrairement à la variante est-européenne de capitalisme d'Etat qui engendrera des caricatures de dé­rives bureaucratiques, ces pays ont allié la centralisation et la puis­sance étatique avec la sanction de la loi de la valeur. De nom­breuses politiques inter­ventionnistes ont été mises en place : la formation de conglomé­rats industriels, le vote de lois de protection du marché intérieur, le contrôle commercial aux fron­tières, la mise en place d'une pla­nification tantôt impérative, tantôt incita­tive, une ges­tion étatique de l'attribution des crédits, une orientation des capitaux et ressources des différents pays vers les sec­teurs porteurs, l'octroi de licences exclusi­ves, de monopoles de gestion, etc. Ainsi en Corée du Sud, c'est grâce à la relation uni­que tissée avec les « chaebols » (équivalents des « zaibatsus » japonais), grands conglo­mérats industriels souvent fondés à l'initia­tive ou avec l'aide de l'Etat ([5] [11]), que les pou­voirs publics sud-coréens ont orienté le dé­veloppement économique. A Taiwan, les entreprises pub­liques fournissaient 80 % de la production industrielle dans les années 1950... Voilà un taux qui n'a rien à envier aux ex-pays de l'Est ! Après une baisse dans les années 1960 cette proportion augmente à nouveau dans les années 1970 quand l'Etat prend en charge le programme d'édification d'industries lourdes.

Loin de constituer un contre-exemple, le Sud-est asiatique est en réalité une magis­trale illustration d'une des caractéristiques fondamentales de la décadence d'un mode de production : l'incapacité d'un développement spontané d'une bourgeoisie nationale auto­nome. A une époque où la bourgeoisie a terminé son rôle historiquement progressif, c'est à l'Etat, et qui plus est aux mains de l'armée – la seule structure offrant encore force et cohérence dans le « tiers-monde » –, que revient le rôle de tuteur de la société, tuteur mis en place, formé et financé par la première puissance mondiale dans le contex­te particulier de la configuration inter-im­périaliste d'après 1945. S'il n'y avait pas eu cet ensemble de circonstances, on peut ai­sément imaginer, et plus particulièrement pour la Corée du Sud et Taiwan, qu'après leur longue décadence sous les Yin et les Mandchous, ces pays auraient été conduits dans l'impasse comme le reste du « tiers-monde ». Voilà qui fait des quatre « dragons » (et du Japon) des exemples non reproductibles. Voilà qui remet à sa place les ridicules assertions de PI sur « les ca­pacités d'émergence de bourgeoisies locales périphériques pouvant s'industrialiser et ri­valiser avec les anciens pays industriels. »

5) Pour assurer le succès économique de ces pays d'Asie, les Etats-Unis ont garanti l'ou­verture de leur marché. La Corée du Sud mais surtout Taiwan, ont également bénéfi­cié de la compétition économique nippo-américaine qui s'est développée au cours du temps, notamment par les privilèges doua­niers accordés par le paragraphe 807 du code des douanes américain pour la réexpor­tation aux Etats-Unis de composants as­semblés ou retravaillés à l'étranger. C'est pourquoi de nombreuses firmes américaines ont délocalisé leurs opérations d'assemblage à l'étranger pour bénéficier des bas salaires locaux et ainsi endiguer le flot d'importa­tions japonaises à bon marché aux Etats-Unis. Ainsi, vers la fin des années 1960, la moitié des importations améri­caines se fai­saient sous le couvert de ce paragraphe 807 et, pour la plus grande part, elles prove­naient d'entreprises américaines du Mexique ou de Taiwan. Mais les japonais ont riposté en faisant de même à Taiwan. Par ailleurs, le soutien américain s'est étendu jusqu'à la tolérance à l'égard de mesures protectionnis­tes que la Corée du Sud et Taiwan prenaient pour protéger leurs industries de substitution aux importations, en dépit des avis contrai­res du FMI, de la Banque Mondiale ou du GATT. Bien plus tard, quand ces pays sont passés à des indus­tries orientées vers l'ex­portation, ce sont les Etats-Unis qui ont di­rigé et organisé ce tournant en dictant prati­quement l'ensemble des réformes nécessai­res.

6) Enfin, soulignons-le, cette croissance économique est avant tout le produit d'une exploitation féroce de la classe ouvrière du Sud-est asiatique et d'une militarisation à outrance de toute la vie sociale : bas salai­res, temps de travail harassant, flexi­bilité intense, contrôle social permanent par le rattachement complet du salarié à l'entre­prise, occupation militaire des usines à cha­que conflit social, etc. C'est incon­testable­ment une des fractions du prolétariat mon­dial les plus sauvagement exploités et dont les ouvriers ont payé le plus durement le « miracle économique » dans leur chair. Ainsi, la Corée du Sud est le pays qui dé­tient les plus hauts taux d'accidents du tra­vail et de maladies professionnelles dans le monde. Les ouvrières sud-coréennes, dont les salaires n'atteignent même pas la moitié des salaires masculins, ont longtemps consti­tué le groupe de travailleurs préféré des patrons, essentiellement les jeunes femmes célibataires ayant au moins terminé l'école moyenne. Ces données expliquent le faible taux de croissance démographique, 1,4 % par an, dont la source réside dans l'exploitation des femmes, et non, comme on le prétend, dans le « haut niveau de déve­loppement ». Contrairement aux autres pays du « tiers-monde », les « dragons » n'ont pas eu à souffrir d'une explosion démogra­phique freinant la croissance économique (4 % de croissance, avec une démographie de 3 %, assure 1 % de crois­sance par habi­tant seulement). De surcroît, les trente an­nées de croissance dans ces pays ont engen­dré un véritable désastre écolo­gique qui vient s'ajouter aux conditions de vie épou­vantables.

Loin des grands poncifs de la propagande bourgeoise sur le dynamisme du capitalisme et sur « la possibilité pour de nouveaux ar­rivants sur le marché mondial de s'indus­trialiser et rivaliser avec les an­ciens », le développement du Sud-est asia­tique ne pro­cède d'aucun mystère. Le Japon et les quatre « dragons » étaient désignés par les Etats-Unis pour revitaliser l'Asie ori­entale et faire barrage contre les « ennemis » chinois et soviétique. Ces Etats militaires ou à parti unique ont joui dans l'après-seconde guerre mondiale d'un espace de respiration dont bien peu d'autres ont pu bénéficier. Cette « parenthèse développementiste » dans l'es­pace et dans le temps confirme au con­traire la thèse que toute la décadence du mode de production capitaliste est déter­minée par les conflits inter-impérialistes, par une lutte économique à mort sur un mar­ché mondial sursaturé et donc par le poids surdétermi­nant du militarisme et de l'économie de guerre.

Les difficultés actuelles dans le Sud Est asiatique

Certes, cette parenthèse a connu un certain succès, très certainement au-delà des prévi­sions américaines d'après-guerre ; elle s'est même partiellement retournée contre son initiateur sur le plan économique. Cependant cette situation ne peut qu'être temporaire. Avec un temps de retard, tout comme pour le Japon à l'heure actuelle, ces îlots de « prospérité » dans le Sud-est asia­tique, emprunteront le chemin de la réces­sion. Les difficultés actuelles dans ces pays montrent que cette région du monde ne fait pas exception. Ils entrent progressivement dans une zone de turbulences économiques et de difficultés croissantes. Les récents problèmes économiques et conflits sociaux sont triplement illustratifs. D'une part, que la crise économique du capitalisme est bien mondiale, et que, si elle a pu relativement épargner quelques zones géographiques pour un temps, elle touche tous les pays du monde même si c'est encore à des degrés divers. Les exceptions se font de plus en plus rares et les grands déterminants de la crise mondiale homogénéisent les situations. Ceci vient apporter un premier coup au my­the du soi-disant « modèle Sud-est asia­ti­que ». D'autre part, les grèves en Corée ap­portent un cinglant démenti à tous les dis­cours intégrateurs visant à diviser le prolé­tariat mondial. Elles montrent l'unité inter­nationale d'intérêt de la classe ouvrière, contre les mythes d'une classe ouvrière asia­tique soumise et soucieuse de « l'intérêt na­tional supérieur ». Enfin, la crise et les conflits sociaux viennent démentir un autre mythe, le mythe d'une issue économique possible au sein du capitalisme.

A l'heure actuelle, avec la saturation du marché mondial et les difficultés économi­ques au coeur même des Etats-Unis, la pé­riode où les « dragons » profitaient de l'ou­verture du marché américain se clôture. La « conquête » tolérée du marché améri­cain par les « dragons » asiatiques dans l'après-guerre a implique en retour une dépendance croissante à l'égard de la poli­tique améri­caine. Ainsi la Corée du Sud – et la situation est analogue pour Taiwan – est un pays très extraverti et donc très dépen­dant du marché mondial (en 1987, ses ex­portations équiva­laient à 40 % du PNB), surtout américain (la même année le marché américain absorbait 40 % des exportations sud-coréennes). Du jour au lendemain, l'économie coréenne peut entrer violemment en récession suite à un ralentissement du commerce mondial, une modification nota­ble des taux de change ou à des mesures protectionnistes. Cette dépen­dance est d'autant plus grande, et économi­quement vouée à l'échec, que ce sont les ex­cédents commerciaux déclinant avec les Etats-Unis, qui doivent financer les déficits commerci­aux croissant en biens d'équipe­ments et en technologie avec le Japon ; biens nécessaires pour assurer le maintien de la compétitivité coréenne. Ici, un nouvel obs­tacle s'ajoute, le succès des « dragons » s'étant appuyé sur des technologies éprou­vées mais produites à plus faible coût, ces pays, pour négocier le tournant d'une pro­duction à plus haute valeur ajoutée, doivent s'endetter à outrance et tomber sous la dé­pendance technologique d'un Japon qui con­trôle de plus en plus l'économie de toute la région.

D'ailleurs, la poursuite du succès des deux premières décennies d'après-guerre s'est prolongé en grande partie grâce aux vieilles recettes des déficits publics et de l'endette­ment (cf. tableau ci-dessous) qui ont puis­samment alimenté l'inflation.

Endettement extérieur en % du P.N.B.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1970

1980

1985

1994

Chine

-

2,2

-

19

Inde

15

12

15

34

Indonésie

30

28

37

57

Thaïlande

11

26

36

43

Philippines

21

54

52

60

Malaisie

11

28

-

37

Corée du Sud

23

48

43

15

Inflation

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1980-90

1990-94

Chine

5,8

10,8

Inde

8

10,1

Indonésie

8,5

7,4

Thaïlande

3,9

4,4

Philippines

14,9

9,6

Malaisie

1,7

3,7

Corée du Sud

5,9

6,3

Source : Banque Mondiale

Comme dans les précédentes « success story » du « tiers-monde », la croissance depuis le début de la crise est une bulle gonflée par l'endettement qui peut éclater à tout moment. Les grands investisseurs en sont bien conscients : « Parmi les raisons qui ont rendu les pays industriels les plus riches si soucieux de doubler (!) la ligne des crédits de secours du FMI jusqu'à 850 mil­liards, il y a celle qu'une nouvelle crise du style Mexique est à craindre, cette fois dans le Sud Est asiatique. Le développement des économies dans le Pacifique a favorisé un flux énorme de capital dans le secteur privé, qui a remplacé l'épargne intérieure, condui­sant à une situation financière instable. La question est de savoir quel sera le premier des dragons d'Asie à tomber » (Guardian, 16 octobre 1996). Chaque fois qu'un mythe s'écroule et menace de dévoiler la faillite de tout le système capitaliste, la bourgeoisie en invoque de nouveaux. Il y a quelques an­nées, c'étaient les miracles allemand et ja­ponais ; ensuite, après l'effondrement du bloc de l'Est, ce fut les promesses de « lendemains qui chantent » grâce à l'ouver­ture de « nouveaux marchés » ; au­jourd'hui se sont les « dragons » qui sont à l'honneur. Mais les récentes et futures dif­ficultés dans la région montrent et mon­treront à la classe ouvrière que les petits empereurs sont éga­lement nus, déchirant un peu plus le voile que tend la bourgeoisie pour masquer la faillite du mode de produc­tion capitaliste.

C.Mcl.

Sources : Aseniero Georges, « Le contexte transnational du développement de la Corée du Sud et de Taiwan », article publié dans « Mondialisation et accumula­tion », L'Harmattan, 1993. Bairoch Paul, « Le Tiers-Monde dans l'impasse », Gallimard, 1992 ; « Mythes et paradoxes de l'histoire économique », La découverte, 1994. Banque mondiale, « Rapport sur le développement dans le monde », annuel. Coutrot & Husson, « Les destins du Tiers-Monde », Nathan, 1993. Chung H. Lee, « La transformation économique de la Corée du Sud », OCDE, 1995. Dumont & Paquet, « Taiwan le prix de la réus­site », La découverte, 1987. Lorot & Schwob, « Singapour, Taiwan, Hongkong, Corée du Sud, les nouveaux conquérants ? », Hatier, 1987. P.N.U.D., « Rapport mondial sur le développement humain », Economica, 1992.



[1] [12]. Ainsi, si l'ensemble du « tiers-monde » à écono­mie de marché avait exporté par habitant autant d'articles manufacturés que la moyenne des quatre « dragons », cela aurait représenté une quantité pro­che de la consommation totale des pays développés occidentaux !

 

[2] [13]. Si la Corée du Sud et Taiwan sont deux pays re­groupant respectivement 44,5 et 19 millions d'habi­tants, Hongkong et Singapour sont deux cités-Etats insulaires fondées par les colonisateurs bri­tanniques et ne rassemblant que 6,1 et 2,9 millions d'habitants chacun.

 

[3] [14]. On estime de fait qu'en moyenne, le revenu des 80 % d'exploitants les plus pauvres a augmenté de 20 % à 30 %, alors que le revenu des 4 % les plus riches a connu une baisse de quelque 80 %.

 

[4] [15]. D'autres modifications volontaristes ont été ini­tiées sous l'égide des Etats-Unis comme la mise en oeuvre de grands programmes éducatifs à la base de la constitution d'une main d'oeuvre instruite et facile à former.

 

[5] [16]. La première et la plus importante source de fi­nancement a été l'acquisition par les « chaebols » des biens assignés, à des prix nettement sous-éva­lués. Au lendemain de la guerre ils représentaient 30 % du patrimoine sud-coréen anciennement dé­tenu par les japonais. Initialement placés sous la tu­telle de l'Office américain des biens assignés, ils ont été dis­tribués par l'Office lui-même et par le gou­vernement ensuite.

Géographique: 

  • Asie [17]

Récent et en cours: 

  • Crise économique [18]

Campagnes contre le « negationnisme » : la co-responsabilite des « allies » et des « nazis » dans l' « holocauste »

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La campagne idéologique qui vise aujour­d'hui à assimiler les positions politiques de la Gauche communiste face à la 2e guerre mondiale à du « négationnisme » ([1] [19]), c'est-à-dire la remise en cause de l'extermination des juifs par les nazis, a deux objectifs. Le premier est de salir et de discréditer aux yeux de la classe ouvrière, le seul cou­rant politique, la Gauche communiste, qui refusa de céder à l'Union sacrée face à la se­conde guerre mondiale. En effet seule la Gauche communiste dénonça la guerre – comme l'avaient fait avant elle, Lénine, Trotsky et Rosa Luxemburg à propos de la première guerre mondiale – comme une guerre inter-impérialiste de même nature que celle de 1914-18, en démontrant que la prétendue spécificité de cette guerre, celle d'une lutte entre deux systèmes, la « démocratie » et le « fascisme », n'était qu'un pur mensonge destiné à embrigader les prolétaires dans une gigantesque bou­cherie. Le second ob­jectif s'inscrit dans l'of­fensive idéologique qui veut faire croire aux prolétaires que la démocratie bourgeoise se­rait, malgré ses imperfections, le seul sys­tème possible et qu'il leur faut donc se mo­biliser pour la dé­fendre ; c'est ce qu'on leur demande aujour­d'hui par le matraquage de diverses campa­gnes politico-médiatiques, de l'opération « mains propres » en Italie à « l'affaire Dutroux » en Belgique, en pas­sant par le battage « anti-Le Pen » en France. Et dans cette offensive, le rôle dévo­lu à la campa­gne « anti-négationniste » est de présenter le fascisme comme « le mal ab­solu » et ce faisant de dédouaner le capita­lisme comme un tout de sa responsabilité dans l'holo­causte.

Encore une fois, nous voulons réaffirmer avec force que la Gauche communiste n'a aucune espèce de parenté, même lointaine, avec la mouvance « négationniste » ras­semblant l'extrême-droite traditionnelle et « l'ultra-gauche », concept étranger à la Gauche communiste (1). Pour nous, il n'a jamais été question de nier ou de chercher à atténuer la terrifiante réalité des camps d'ex­termination nazis. Comme nous l'avons dit dans le numéro précédent de cette revue : « Vouloir amoindrir la barbarie du régime nazi, même au nom de la dénonciation de la mystification antifasciste, revient à amoin­drir la barbarie du système capitaliste dé­cadent, dont ce régime n'est qu'une des ex­pressions. » Aussi, la dénonciation de l'anti­fascisme comme instrument de l'embriga­dement du prolétariat dans le pire carnage inter-impérialiste de l'histoire et comme moyen de dissimuler quel est le vrai respon­sable de toutes ces horreurs, à savoir le capi­talisme comme un tout, n'a jamais signifié la moindre complaisance dans la dénonciation du camp fasciste dont les premières victimes furent les militants prolétariens. L'essence de l'internationalisme prolétarien, dont la Gauche communiste s'est toujours faite le défenseur intransigeant – dans la droite li­gne de la vraie tradition marxiste et donc à l'encontre de tous ceux qui l'ont bafouée et trahie, trotskistes en tête – a toujours consis­té à dénoncer tous les camps en présence et à démontrer qu'ils sont tous également res­ponsables des horreurs et des souffrances indicibles que toutes les guerres inter-impé­rialistes infligent à l'humanité.

Nous avons montré dans des numéros précé­dents de cette revue que la barbarie dont a fait preuve le « camp démocratique » durant la seconde boucherie mondiale n'avait rien à envier à celle du camp fasciste, dans l'hor­reur comme dans le cynisme avec lequel fu­rent perpétrés ces crimes contre l'humanité que furent les bombardements de Dresde et de Hambourg ou encore le feu nucléaire s'abattant sur un Japon déjà vaincu ([2] [20]). Nous nous attacherons dans cet article à montrer de quelle complicité consciente ont fait preuve les Alliés, en gardant soigneusement le silence jusqu'à la fin de la guerre sur les génocides auxquels se livrait le régime nazi, et ce alors que le « camp de la démocratie » n'ignorait rien de la réalité des camps de concentration et de leur fonction.

Le fascisme a été voulu et soutenu par la bourgeoisie

Avant de démonter la complicité des Alliés par rapport aux crimes perpétrés par les na­zis dans les camps, il est bon de rappeler que l'avènement du fascisme – lequel, de la droite classique à la gauche et jusqu'à l'ex­trême gauche du capital, est toujours présen­té comme un monstrueux accident de l'his­toire, comme une pure aberration surgie du cerveau malade d'un Hitler ou d'un Mussolini – est au contraire bel et bien le produit organique du capitalisme dans sa phase de décadence, le résultat de la défaite subie par le prolétariat dans la vague révo­lutionnaire qui a fait suite à la première guerre mondiale.

Le mensonge selon lequel la classe domi­nante ne savait pas quels étaient les vrais projets du parti nazi, en d'autres termes qu'elle se serait fait piéger, ne tient pas un seul instant face à l'évidence des faits histo­riques. L'origine du parti nazi plonge ses racines dans deux facteurs qui vont détermi­ner toute l'histoire des années 1930 : d'une part l'écrasement de la révolution allemande ouvrant la porte au triomphe de la contre-ré­volution à l'échelle mondiale et d'autre part la défaite essuyée par l'impérialisme alle­mand à l'issue de la première boucherie mondiale. Dès le départ, les objectifs du parti fasciste naissant sont, sur la base de la terrible saignée infligée à la classe ouvrière en Allemagne par le Parti social-démocrate, le SPD des Noske et Scheidemann, de para­chever l'écrasement du prolétariat afin de re­constituer les forces militaires de l'impéria­lisme allemand. Ces objectifs étaient parta­gés par l'ensemble de la bourgeoisie alle­mande, au-delà des divergences réelles tant sur les moyens à employer que sur le mo­ment le plus opportun pour les mettre en oeuvre. Les SA, milices sur lesquelles s'ap­puie Hitler dans sa marche vers le pouvoir, sont les héritiers directs des corps francs qui ont assassiné Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht ainsi que des milliers de com­munistes et de militants ouvriers. La plupart des dirigeants SA ont commencé leur car­rière de bouchers dans ces mêmes corps francs. Ils ont été « la garde blanche » utili­sée par le SPD au pouvoir pour écraser dans la sang la révolution, et cela avec l'appui des très démocratiques puissances victorieuses. Celles-ci d'ailleurs, tout en désarmant l'ar­mée allemande, ont toujours veillé à ce que ces milices contre-révolutionnaires disposent des armes suffisantes pour accomplir leur sale besogne. Le fascisme n'a pu se dévelop­per et prospérer que sur la base de la défaite physique et idéologique infligée au proléta­riat par la gauche du capital, laquelle était seule en mesure d'endiguer puis de vaincre la vague révolutionnaire qui submergea l'Allemagne en 1918-19. C'est ce qu'avait compris parfaitement l'état-major de l'armée allemande en donnant carte blanche au SPD afin de porter un coup décisif au mouvement révolutionnaire qui se développait en janvier 1919. Et si Hitler ne fut pas suivi dans sa tentative de putsch à Munich en 1923, c'est parce que l'avènement du fascisme était jugé encore prématuré par les secteurs les plus lucides de la classe dominante. Il fallait, au préalable, parachever la défaite du proléta­riat en utilisant jusqu'au bout la carte de la mystification démocratique. Celle-ci était loin d'être usée et bénéficiait encore, au tra­vers de la République de Weimar (bien que présidée par le junker Hindenburg), d'un vernis radical grâce à la participation régu­lière, dans ses gouvernements successifs, de ministres venant du soi-disant parti « socialiste ».

Mais dès que la  menace prolétarienne fut définitivement conjurée, la classe domi­nante, sous sa forme – soulignons le – la plus classique, au travers des fleurons du capitalisme allemand tels Krupp, Thyssen, AG Farben, n'aura de cesse de soutenir de toutes ses forces le parti nazi et sa marche victorieuse vers le pouvoir. C'est que, dé­sormais, la volonté de Hitler de réunir toutes les forces nécessaires à la restauration de la puissance militaire de l'impérialisme alle­mand, correspondait parfaitement aux be­soins du capital national. Ce dernier, vaincu et spolié par ses rivaux impérialistes suite à la première guerre mondiale, ne pouvait que chercher à recon­quérir le terrain perdu en s'engageant dans une nouvelle guerre. Loin d'être le produit d'une prétendue agressivité congénitale ger­manique qui aurait enfin trouvé dans le fa­scisme le moyen de se dé­chaîner, cette vo­lonté n'était que la stricte expression des lois de l'impérialisme dans la décadence du système capitaliste comme un tout. Face à un marché mondial entièrement partagé, ces lois ne laissent aucune autre solution aux puissances impérialistes lésées dans le partage du « gâteau impérialiste » que celle d'essayer, en engageant une nou­velle guerre, d'en arracher une plus grosse part. La défaite physique du prolétariat al­lemand d'une part, et le statut de puissance impérialiste spoliée dévolu à l'Allemagne suite à sa défaite en 1918 d'autre part, firent du fascisme – contrairement aux pays vain­queurs où la classe ouvrière n'avait pas été physiquement écrasée – le moyen le plus adéquat pour que le capitalisme allemand puisse se préparer à la seconde boucherie mondiale. Le fascisme n'était qu'une forme brutale du capitalisme d'Etat qui était en train de se renforcer par­tout, y compris dans les Etats dits « démocratiques ». Il était l'instrument de la centralisation et de la con­centration de tout le capital dans les mains de l'Etat face à la crise économique, pour orienter l'ensemble de l'économie en vue de la préparation à la guerre. C'est donc le plus démocratiquement du monde, c'est-à-dire avec l'aval total de la bourgeoisie allemande, qu'Hitler arriva au pouvoir. En effet, une fois la menace prolé­tarienne définitivement écartée, la classe dominante n'avait plus à se préoccuper de maintenir tout l'arsenal démo­cratique, sui­vant en cela le processus alors déjà à l'oeu­vre en Italie.

Le capitalisme décadent exacerbe le racisme

« Oui, peut-être... » nous dira-t-on, « mais ne faites-vous pas abstraction de l'un des traits qui distinguent le fascisme de tous les autres partis et fractions de la bourgeoisie, à savoir, son antisémitisme viscéral, alors que c'est justement cette caractéristique particulière qui a provoqué l'holocauste ? » C'est cette idée que défendent en particulier les trotskistes. Ceux-ci, en effet, ne recon­naissent formellement la responsabilité du capitalisme et de la bourgeoisie en général dans la genèse du fascisme que pour ajouter aussitôt que ce dernier est malgré tout bien pire que la démocratie bourgeoise, comme en témoigne l'holocauste. Selon eux donc, devant cette idéologie du génocide, il n'y a pas à hésiter un seul instant : il faut choisir son camp, celui de l'antifascisme, celui des Alliés. Et c'est cet argument, avec celui de la défense de l'URSS, qui leur a servi à justi­fier leur trahison de l'internationalisme pro­létarien et leur passage dans le camp de la bourgeoisie durant la seconde guerre mon­diale. Il est donc parfaitement logique de re­trouver aujourd'hui en France par exemple, les groupes trotskistes – la Ligue Communiste Révolutionnaire et son leader Krivine avec le soutien discret, mais bien réel, de Lutte Ouvrière – en tête de la croi­sade antifasciste et « anti-négationniste », défendant la vision selon laquelle le fa­scisme est le « mal absolu » et, de ce fait, qualitativement différent de toutes les autres expressions de la barbarie capitaliste ; ceci impliquant que face à lui, la classe ouvrière devrait se porter à l'avant-garde du combat et défendre voire revitaliser la démocratie.

Que l'extrême droite (le nazisme en particu­lier) soit profondément raciste, cela n'a ja­mais été contesté par la Gauche communiste pas plus d'ailleurs que la réalité effrayante des camps de la mort. La vraie question est ailleurs. Elle consiste à savoir si ce racisme et la répugnante désignation des juifs comme boucs-émissaires, responsables de tous les maux, ne serait que l'expression de la nature particulière du fascisme, le produit maléfique de cerveaux malades ou s'il n'est pas plutôt le sinistre produit du mode de production capitaliste confronté à la crise historique de son système, un rejeton mons­trueux mais naturel de l'idéologie nationa­liste défendue et propagée par la classe do­minante toutes fractions confondues. Le ra­cisme n'est pas un attribut éternel de la na­ture humaine. Si l'entrée en décadence du capitalisme a exacerbé le ra­cisme à un de­gré jamais atteint auparavant dans toute l'histoire de l'humanité, si le 20e siècle est un siècle où les génocides ne sont plus l'ex­ception mais la règle, cela n'est pas dû à on ne sait quelle perversion de la na­ture hu­maine. C'est le résultat du fait que, face à la guerre désormais permanente que doit me­ner chaque Etat dans le cadre d'un marché mondial sursaturé, la bourgeoisie, pour être à même de supporter et de justifier cette guerre permanente, se doit, dans tous les pays, de renforcer le nationalisme par tous les moyens. Quoi de plus propice, en effet, à l'épanouissement du racisme que cette atmo­sphère si bien décrite par Rosa Luxemburg au début de sa brochure de dé­nonciation du premier carnage mondial : « (...) la popula­tion de toute une ville chan­gée en populace, prête à dénoncer n'importe qui, à molester les femmes, à crier : hour­rah, et à atteindre au paroxysme du délire en lançant elle-même des rumeurs folles ; un climat de crime rituel, une atmosphère de pogrom, où le seul représentant de la di­gnité humaine était l'agent de police au coin de la rue. » Et elle poursuit en disant : « Souillée, déshono­rée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse, voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu'elle est... » (La crise de la Social-démo­cratie). On pourrait re­prendre exactement les mêmes termes pour décrire les multiples scènes d'horreur en Allemagne durant les années 1930 (pillages des magasins juifs, lynchages, enfants sépa­rés de leurs parents) ou évoquer, entre au­tres, l'atmosphère de pogrom qui régnait en France en 1945 quand le journal stalinien du PCF titrait odieuse­ment : « A chacun son boche ! ». Non, le racisme n'est pas l'apa­nage exclusif du fas­cisme, pas plus que sa forme antisémite. Le célèbre Patton, général de la très « démocratique » Amérique, celle-là même qui était censée libérer l'humanité de « la bête immonde », ne déclarait-il pas, lors de la libération des camps : « Les juifs sont pi­res que des animaux » ; tandis que l'autre grand « libérateur », Staline, organisa lui-même des séries de pogroms contre les juifs, les tziganes, les tchétchènes, etc. Le racisme est le produit de la nature foncière­ment na­tionaliste de la bourgeoisie, quelle que soit la forme de sa domination, « totalitaire » ou « démocratique ». Son nationalisme atteint son point culminant avec la décadence de son système.

La seule force en mesure de s'opposer à ce nationalisme qui suintait par tous les pores de la société bourgeoise pourrissante, à sa­voir le prolétariat, était vaincue, défaite physiquement et idéologiquement. De ce fait le nazisme, avec l'assentiment de l'ensemble de sa classe, put s'appuyer notamment sur le racisme latent de la petite-bourgeoisie pour en faire, sous sa forme antisémite, l'idéolo­gie officielle du régime. Encore une fois, aussi irrationnel et monstrueux que soit l'antisémitisme professé puis mis en prati­que par le régime nazi, il ne saurait s'expli­quer par la seule folie et perversité, par ailleurs bien réelles, des dirigeants nazis. Comme le souligne très justement la bro­chure publiée par le Parti Communiste International, Auschwitz ou le grand alibi, l'extermination des juifs « ... a eu lieu, non pas à un moment quelconque, mais en pleine crise et guerre impérialistes. C'est donc à l'intérieur de cette gigantesque en­treprise de destruction qu'il faut l'expliquer. Le problème se trouve de ce fait éclairci : nous n'avons plus à expliquer le "nihilisme des­tructeur" des nazis, mais pourquoi la des­truction s'est concentrée en partie sur les juifs. »

Pour expliquer pourquoi la population juive, même si elle ne fut pas la seule, fut désignée tout d'abord à la vindicte générale, puis ex­terminée en masse par le nazisme, il faut prendre en compte deux facteurs : les be­soins de l'effort de guerre allemand et le rôle joué dans cette sinistre période par la petite bourgeoisie. Cette dernière fut réduite à la ruine par la violence de la crise économique en Allemagne et sombra massivement dans une situation de lumpen prolétarisation. Dès lors, désespérée et en l'absence d'un proléta­riat pouvant jouer le rôle de contrepoison, elle donna libre cours à tous les préjugés les plus réactionnaires, caractéristiques de cette classe sans avenir, et se jeta, telle une bête furieuse, encouragée par les formations fa­scistes, dans le racisme et l'antisémitisme. Le « juif » était supposé représenter la fi­gure par excellence de « l'apatride » qui « suce le sang du peuple » ; il était désigné comme le responsable de la misère à la­quelle était réduite la petite-bourgeoisie. Voila pourquoi les premières troupes de choc utilisées par les nazis étaient issues des rangs d'une petite-bourgeoisie en train de sombrer. Et cette désignation du « juif » comme l'ennemi par excellence aura aussi comme fonction de permettre à l'Etat alle­mand, grâce à la confiscation des biens des juifs, de ramasser des fonds destinés à con­tribuer à son réarmement militaire. Au dé­but, il dut le faire discrètement pour ne pas attirer l'attention de ses vainqueurs de la première guerre mondiale. Les camps de dé­portation, au départ, eurent la fonction de fournir à la bourgeoisie une main d'oeuvre gratuite, toute entière dédiée à la prépara­tion de la guerre.

Le silence complice des Alliés sur l'existence des camps de la mort

Alors que, de 1945 à aujourd'hui, la bour­geoisie n'a eu de cesse de nous exhiber, de façon obscène, les montagnes de squelettes trouvés dans les camps d'extermination nazis et les corps affreusement décharnés des survivants de cet enfer, elle fut très discrète sur ces mêmes camps pendant la guerre elle-même, au point que ce thème fut absent de la propagande guerrière du « camp démo­cratique ». La fable que nous ressert régu­lièrement la bourgeoisie selon laquelle ce n'est qu'avec la libération des camps en 1945 que les Alliés se seraient véritablement ren­dus compte de ce qui se passait à Dachau, Auschwitz ou Treblinka, ne résiste pas à la moindre étude historique. Les services de renseignement existaient déjà et étaient très actifs et efficaces comme l'attestent des cen­taines d'épisodes de la guerre où ils jouèrent un rôle déterminant ; et l'existence des camps de la mort ne pouvait échapper à leur investigation. Cela est confirmé par toute une série de travaux d'historiens de la se­conde guerre mondiale. Ainsi le journal français Le Monde, par ailleurs très actif dans la campagne « anti-négationniste », écrit dans son édition du 27 septembre 1996 : « Un massacre [celui perpétré dans les camps] dont un rapport du parti social-démocrate juif, le Bund polonais, avait, dès le printemps 1942, révélé l'ampleur et le ca­ractère systématique fut officiellement con­firmé aux officiels américains par le fameux télégramme du 8 août 1942, émis par G. Riegner, représentant du Congrès Juif mondial à Genève, sur la base d'informa­tions fournies par un industriel allemand de Leipzig du nom d'Edouard Scholte. A cette époque on le sait, une grande partie des juifs européens promis à la destruction étaient encore en vie. » On voit donc que les gouvernements Alliés au travers de multi­ples canaux, étaient parfaitement au courant des génocides en cours dès 1942. Pourtant les dirigeants du « camp démocratique », les Roosevelt, Churchill et consorts, firent tout pour que ces révélations, pourtant incontes­tables, ne fassent l'objet d'aucune publicité et donnèrent à la presse de l'époque des consignes d'extrême discrétion sur ce sujet. En fait ils ne levèrent pas le moindre petit doigt pour tenter de sauver la vie de ces millions de condamnés à mort. C'est ce que confirme ce même article du journal Le Monde : « (...) l'Américain D. Wyman a montré, au milieu des années 1980, dans son livre Abandon des juifs (Calmann-Lévy), que quelques centaines de milliers d'existences auraient pu être épar­gnées sans l'apathie, voir l'obstruction, de certains organes de l'administration améri­caine (comme le Département d'Etat) et des Alliés en général. » Ces extraits de ce très bour­geois et démocratique journal ne font que confirmer ce qu'a toujours affirmé à ce pro­pos la Gauche communiste, en particulier dans la brochure Auschwitz ou le grand alibi. Et c'est ce texte qui est aujourd'hui désigné à la vindicte comme étant, ce qui est un mensonge infâme, à l'origine des thèses « négationnistes ». Le silence de la coalition impérialiste opposée à l'Allemagne hitlé­rienne montre déjà ce que valent ces ver­tueuses et tonitruantes proclamations d'indi­gnation devant l'horreur des camps après 1945.

Ce silence s'expliquerait-il par l'antisémi­tisme latent de certains dirigeants Alliés comme l'ont soutenu des historiens israé­liens après la guerre ? Que l'antisémitisme ne soit pas l'apanage des tenants des régimes fascistes est, comme nous l'avons évoqué plus haut, une chose certaine. Mais ce n'est pas là la véritable explication du silence des Alliés dont d'ailleurs certains des dirigeants étaient juifs ou très proches des organisa­tions juives, comme Roosevelt par exemple. Non, là encore, l'origine de cette remarqua­ble discrétion réside dans les lois qui régis­sent le système capitaliste, quels que soient les oripeaux, démocratiques ou totalitaires, dont il drape sa domination. Comme pour l'autre camp, toutes les ressources du camp Allié étaient mobilisées au service de la guerre. Pas de bouches inutiles, tout le monde doit être occupé, soit au front, soit dans la production d'armements. L'arrivée en masse des populations en provenance des camps, des enfants et des vieillards qu'on ne pouvait pas envoyer au front ou à l'usine, des hommes et des femmes malades et épuisés qu'on ne pouvait immédiatement intégrer dans l'effort de guerre, aurait désorganisé ce dernier. Dès lors on ferme les frontières et on empêche par tous les moyens une telle im­migration. Le ministre de sa très gra­cieuse et très démocratique majesté britan­nique, A. Eden décida en 1943 (c'est-à-dire à une période où la bourgeoisie anglo-saxonne n'ignorait rien de la réalité des camps), à la demande de Churchill, « qu'aucun navire des Nations unies ne peut être habilité à ef­fectuer le transfert des réfugiés d'Europe. » Et Roosevelt ajoutait que « transporter tant de monde désorganiserait l'effort de guerre » (Churchill, Mémoires, T.10). Voilà les sordides raisons qui conduisirent ces « grands démocrates » et « antifascistes » patentés à garder le silence sur ce qui se passait à Dachau, Buchenwald et autres lieux de sinistre mémoire ! Les considéra­tions humanitaires qui étaient censées les animer n'avaient pas leur place de­vant leurs sordides intérêts capitalistes et les besoins de l'effort de guerre.

La complicité directe du « camp démocratique » dans l'holocauste

Les Alliés ne se contentèrent pas d'entretenir soigneusement le silence durant toute la guerre sur les génocides perpétrés dans les camps ; ils allèrent beaucoup plus loin dans le cynisme et l'abjection. Si d'un côté ils n'ont jamais hésité à faire tomber un déluge de bombes sur les populations allemandes, pour l'essentiel ouvrières, de l'autre ils se sont refusés à tenter la moindre opération militaire en direction des camps de la mort. Ainsi, alors que dès le début 1944 ils pou­vaient sans difficultés bombarder les voies ferrées menant à Auschwitz, ils se sont vo­lontairement abstenus. Non seulement cet objectif était à ce moment-là à portée de leur aviation mais deux évadés du camp leur avaient décrit en détail le fonctionnement de celui-ci et la topographie des lieux.

Dans l'article cité plus haut, Le Monde rap­porte : « des dirigeants juifs hongrois et slo­vaques supplient les Alliés de passer à l'ac­tion, alors que les déportations des juifs de Hongrie ont commencé. Ils désignent même un objectif : le carrefour ferroviaire de Kosice-Pressow. Les allemands pouvaient, il est vrai, assez rapidement réparer les voies. Mais cet argument ne vaut pas pour la des­truction des crématoires de Birkenau, qui aurait incontestablement désorganisé la machine d'extermination. Rien ne sera fait. En définitive, il est difficile de ne pas recon­naître que même le minimum n'a pas été tenté, noyé qu'il a été par la mauvaise vo­lonté des états-majors et des diplomates. »

Mais contrairement à ce que déplore ce journal bourgeois, ce n'est pas par une sim­ple « mauvaise volonté » ou « lourdeur bu­reaucratique » que le « camp démocrate » fut complice de l'holocauste. Cette compli­cité fut, comme on va le voir, totalement consciente. Les camps de déportation furent au début essentiellement des camps de tra­vail où la bourgeoisie allemande pouvait bé­néficier à moindre coût d'une main d'oeuvre réduite à l'esclavage, toute entière consacrée à l'effort de guerre. Même si déjà à l'époque il existait des camps d'extermina­tion, ils étaient jusqu'en 1942 plus l'excep­tion que la règle. Mais à partir des premiers revers mili­taires sérieux subis par l'impéria­lisme allemand, en particulier face au for­midable rouleau compresseur mis en place par les Etats-Unis, le régime nazi ne pouvait déjà plus nourrir convenablement la popula­tion et les troupes allemandes. Il décida de se débarrasser de la population excédentaire enfermée dans les camps, et dès lors, les fours crématoires se répandirent un peu par­tout et accomplirent leur sinistre besogne. L'horreur indicible de ce qui se perpétrait dans les camps pour alimenter la machine de guerre allemande était le fait d'un impéria­lisme aux abois qui reculait sur tous les fronts. Cependant bien que l'holocauste fut perpétré sans le moindre état d'âme par le régime nazi et ses sbires, il ne rapportait pas grand chose au capitalisme allemand qui était, comme on l'a vu, lancé dans une course désespérée pour réunir les moyens nécessaires à une résistance efficace face à une avancée de plus en plus irrésistible des Alliés. C'est dans ce contexte que plusieurs négociations furent tentées par l'Etat alle­mand, en général directement par les SS, auprès des Alliés dans le but de chercher à se débarrasser, avec profit, de plusieurs cen­taines de milliers, voir de millions de pri­sonniers.

L'épisode le plus célèbre de ce sinistre mar­chandage fut celui qui a concerné Joël Brand, le dirigeant d'une organisation semi-clandestine de juifs hongrois. Ce dernier, comme l'a raconté A. Weissberg dans son li­vre L'histoire de J. Brand et comme cela a été repris dans la brochure Auschwitz ou le grand alibi, fut convoqué à Budapest pour y rencontrer le chef des SS chargé de la ques­tion juive, A. Eichmann. Celui-ci le chargea de négocier auprès des gouvernements an­glo-américains la libération d'un million de juifs en échange de 10 000 camions. Eichmann était prêt à réduire ses préten­tions, voire à accepter d'autres types de mar­chandises. Les SS, pour preuve de leur bonne foi et du caractère on ne peut plus sé­rieux de leur offre, se déclarèrent prêts à li­bérer sans contrepartie 100 000 juifs dès qu'un accord de principe serait obtenu par J. Brand. Dans un premier temps, celui-ci connut les pires difficultés (jusqu'à subir une incarcération dans des prisons anglaises du Proche-Orient) pour rencontrer des représen­tants des gouvernements Alliés. Ces difficul­tés n'étaient pas le fruit du hasard : à l'évi­dence, une rencontre officielle avec cet « empêcheur de tourner en rond » était à éviter.

Quand il put enfin discuter des propositions allemandes avec Lord Moyne, le responsable du gouvernement britannique pour le Proche-Orient, celui-ci lui opposa un refus catégorique qui n'avait rien de personnel (il ne faisait qu'appliquer les consignes du gou­vernement britannique) et qui était encore moins l'expression d'un « refus moral face à un odieux chantage ». Aucun doute n'est en effet possible à la lecture du compte rendu que fit Brand de cette discussion : « Il le supplie de donner au moins un accord écrit, quitte à ne pas le tenir, ça ferait toujours 100 000 vies sauvées, Moyne lui demande alors quel serait le nombre total ? Eichmann a parlé d'un million. Comment imaginez-vous une chose pareille, mister Brand ? Que ferais-je de ce million de juifs ? Où les mettrai-je ? Qui les ac­cueillera ? Si la terre n'a plus de place pour nous, il ne nous reste plus qu'à nous laisser exterminer dit Brand désespéré. » Comme le souligne très justement Auschwitz ou le grand alibi à propos de ce glorieux épisode de la seconde boucherie mondiale : « Malheureusement si l'offre existait, il n'y avait pas de demande ! Non seulement les juifs mais aussi les SS s'étaient laissés pren­dre à la propagande humanitaire des alliés Les alliés n'en voulaient pas de ce million de juifs ! Pas pour 10 000 camions, pas pour 5 000, même pas pour rien. »

Une certaine historiographie récente tente de montrer que ce refus était avant tout dû au veto opposé par Staline face à ce type de marchandage. Ce n'est là qu'une tentative de plus pour chercher à masquer et à atténuer la responsabilité des « grandes démocra­ties » et leur complicité directe dans l'holo­causte. C'est ce que révèle la mésaventure survenue au naïf J. Brand dont on ne peut sérieusement contester le témoignage. De plus, durant toute la guerre, ni Roosevelt ni Churchill n'ont eu pour habitude de se lais­ser dicter leur conduite par Staline. Avec le « petit père des peuples », ils étaient plutôt au diapason, faisant preuve du même cy­nisme et de la même brutalité. Le très « humaniste » Roosevelt opposera d'ailleurs le même refus à d'autres tentatives ultérieu­res des nazis, en particulier lorsque, fin 1944, ils essayèrent encore de vendre des juifs à l' « Organisation des Juifs Américains  », transférant pour preuve de leur bonne volonté près de 2 000 juifs en Suisse, comme le raconte dans le détail Y. Bauer dans un livre intitulé Juifs à ven­dre (Editions Liana Levi).

Tout ceci n'est ni une bavure ni le fait de di­rigeants devenus « insensibles » à cause des terribles sacrifices qu'exigeait la conduite de la guerre contre la féroce dictature fasciste comme veut le faire croire la bourgeoisie. L'antifascisme n'a jamais exprimé un réel antagonisme entre d'un côté un camp défen­dant la démocratie et ses valeurs, et de l'au­tre un camp totalitaire. Il n'a été dès le dé­part qu'un « chiffon rouge » agité devant les yeux des prolétaires pour justifier la guerre à venir en masquant son caractère classi­quement inter-impérialiste pour le repartage du monde entre les grands requins capitalis­tes (c'est ce que l'Internationale Communiste avait mis en avant dès la signature du Traité de Versailles et qu'il fallait absolument gommer de la mémoire ouvrière). Il a été surtout le moyen de les embrigader dans la plus gigantesque boucherie de l'histoire. Si, pendant la guerre, il fallait faire le silence sur les camps et fermer soigneusement les frontières à tous ceux qui tentaient d'échap­per à l'enfer nazi pour « ne pas désorganiser l'effort de guerre », après la fin de la guerre il en a été tout autrement. L'immense publi­cité faite soudain, à partir de 1945, aux camps de la mort représentait une formida­ble aubaine pour la bourgeoisie. Braquer tous les projecteurs sur la réalité mons­trueuse des camps de la mort permet­tait en effet aux Alliés de masquer les cri­mes in­nombrables qu'ils avaient eux-mêmes perpé­trés. Ce battage assourdissant permet­tait aussi d'enchaîner solidement une classe ou­vrière (qui risquait de renâcler contre les immenses sacrifices et la misère noire qu'elle continuait de subir même après la « Libération ») au char de la démocratie. Celle-ci était présentée par tous les partis bourgeois, de la droite aux staliniens, comme une valeur commune aux bourgeois et aux ouvriers, valeur qu'il fallait absolu­ment défendre pour éviter, à l'avenir, de nouveaux holocaustes.

En attaquant la Gauche communiste aujour­d'hui, la bourgeoisie, en fidèle adepte de Goebbels, met en pratique son célèbre adage selon lequel plus un mensonge est gros plus il a de chances d'être cru. Elle cherche en ef­fet à la présenter comme l'ancêtre du « négationnisme ». La classe ouvrière doit rejeter une telle calomnie et se souvenir qui a fait fi du terrible sort réservé aux déportés dans les camps, qui a utilisé cyniquement ces même déportés pour en faire le symbole de la supériorité intangible de la démocratie bourgeoise et justifier ainsi le système d'ex­ploitation et de mort qu'est le capitalisme. Aujourd'hui face à tous les efforts de la classe dominante pour raviver la mystifica­tion démocratique notamment au moyen de l'antifascisme, la classe ouvrière doit se sou­venir ce qui lui est advenu, durant les an­nées 1930-40, quand elle s'est faite piéger par ce même antifascisme et qu'elle a fina­lement servi de chair à canon au nom de « la défense de la démocratie ».

RN.



[1] [21]. Pour un développement sur cette campagne qui prétend assimiler le « négationnisme » et la Gauche communiste, voir « L'antifascisme justifie la barbarie », Revue internationale n° 88.

 

[2] [22]. Voir « Les massacre et les crimes des "grandes démocraties" », Revue internationale n° 66, « Hiroshima, Nagasaki, les mensonges de la bourgeoisie », n° 83.

 

Evènements historiques: 

  • Deuxième guerre mondiale [23]

Courants politiques: 

  • Aventurisme, parasitisme politiques [24]

Questions théoriques: 

  • Décomposition [25]

Revolution allemande (VII) : la fondation du K.A.P.D

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Nous avons vu dans l'article précé­dent comment le KPD, privé de ses meilleurs éléments assassinés, soumis à la répression, ne parvient pas à jouer le rôle qui lui incombe, et comment les conceptions organisa­tionnelles erronées vont mener au désastre, jusqu'à l'exclusion de la majorité des membres du parti ! Et c'est dans la confusion politique et dans une situation générale d'ébulli­tion que va se constituer le KAPD.

Les 4 et 5 avril 1920, trois semaines après le début du putsch de Kapp et la vague de lut­tes de riposte que celui-ci a soulevé dans toute l'Allemagne, des délégués de l'opposi­tion se réunissent pour porter un nouveau parti sur les fonds baptismaux : le Parti Communiste Ouvrier d'Allemagne (Kommu­nistische Arbeiterpartei Deutschlands, KAPD).

Il s'agit de fonder enfin un « parti de l'action révolutionnaire » et disposer d'une force qui s'oppose au cours opportuniste du KPD.

Aussi lourdes de conséquences que soient les erreurs du KPD durant le putsch de Kapp, elles ne peuvent en aucune façon jus­tifier la fondation d'un nouveau parti. Sans avoir auparavant épuisé toutes les possibili­tés du travail de fraction, on fonde à la hâte, dans une complète précipitation un nouveau parti, en partie par « frustration », presque sur un coup de colère. Les délégués sont is­sus pour l'essentiel de Berlin et de quelques autres villes. Ils représentent environ 20 000 membres.

Tout comme le KPD lors de son congrès de fondation, le tout nouveau KAPD est de composition très hétérogène. Il représente plutôt un rassemblement des opposants et des exclus du KPD. ([1] [26])

Il est formé de trois tendances :

- La tendance de Berlin est dirigée par des intellectuels comme Schröder, Schwab et Reichenbach, tous issus du milieu des Etudiants Socialistes, ainsi que par des ou­vriers comme Emil Sachs, Adam Scharrer et Jan Appel, excellents organisateurs. Leur point de vue est que les Unions ne sont qu'une branche dépendante du parti; ils rejettent toute forme de syndicalisme révolutionnaire et de fédéralisme anarchi­sant. Cette tendance représente l'aile mar­xiste au sein du KAPD.

- La tendance « anti-parti », dont le princi­pal porte-parole est Otto Rühle, forme, comme telle, un regroupement plutôt hété­roclite. Concentrer toutes ses forces sur les Unions est la seule orientation qui l'unit. C'est une tendance syndicaliste-révolution­naire.

- La tendance nationale-bolchevik, autour de Wolffheim et de Laufenberg, est princi­palement implantée à Hambourg. Même si Wolffheim et Laufenberg ne participent pas directement à la création du KAPD, ils y adhèrent en vue de l'infiltrer.

Très vite le KAPD va connaître une af­fluence de jeunes ouvriers radicalisés qui ne possèdent que peu d'expérience organisa­tionnelle mais sont portés par un énorme en­thousiasme. De nombreux membres de la section de Berlin n'ont que peu de liens avec le mouvement ouvrier d'avant-guerre. De plus la première guerre mondiale a engendré une radicalisation chez de nombreux artistes et intellectuels (F. Jung, poète; H. Vogeler, membre d'une communauté; F. Pfemfert, O. Kanehl, artiste, etc.) qui sont massive­ment attirés par le KPD puis par le KAPD. La plupart d'entre eux y joueront un rôle dé­sastreux. Tout comme les intellectuels bour­geois avec leur influence après 1968, ils dé­fendent des visions individualistes et propa­gent largement l'hostilité envers l'organisa­tion, la méfiance envers la centralisation, le fédéralisme. Ce milieu est facilement con­taminé par l'idéologie et les comportements petits-bourgeois et s'en fait le porteur. Il ne s'agit pas de donner d'emblée une image né­gative du KAPD, contrairement à ceux qui le taxent, à la légère, de « petit-bourgeois ». Mais l'influence de ce milieu va peser et for­tement marquer le parti. Ces cercles intel­lectuels contribuent à l'apparition d'une idéologie encore inédite dans le mouvement ouvrier, celle du « Proletkult » (« culte du prolétaire »), tout en étant les adversaires de tout approfondissement théorique. L'aile marxiste du KAPD, dés le début, se démar­que de ces éléments hostiles à l'organisation.

Les faiblesses sur la question organisationnelle conduisent à la disparition de l'organisation

L'objectif de cet article n'est pas d'examiner de très près les positions du KAPD (pour cela se reporter à de notre livre La Gauche hollandaise). Celui-ci, malgré toutes ses faiblesses théoriques, fournit une contribu­tion historiquement précieuse sur les ques­tions syndicale et parlementaire. Il a ac­compli un travail de pionnier dans l'appro­fondissement de la compréhension des rai­sons qui rendent impossible tout travail au sein des syndicats dans le capitalisme en dé­cadence, qui font que ceux-ci se sont trans­formés en organes de l'Etat bourgeois ; il en a fait de même concernant l'impossibilité d'utiliser le parlement au profit des intérêts ouvriers, celui-ci n'étant plus qu'une arme contre le prolétariat.

Concernant le rôle du parti, le KAPD est le premier à développer un point de vue clair sur la question du substitutionisme. Contrairement à la majorité de l'IC, il recon­naît que dans cette nouvelle période, celle de la décadence du capitalisme, les partis de masses ne sont plus possibles :

« 7. La forme historique pour le rassemble­ment des combattants prolétariens les plus conscients, les plus clairs, les plus disposés à l'action est le Parti. (...) Le Parti commu­niste doit être une totalité élaborée pro­grammatiquement, organisée et disciplinée dans une volonté unitaire. Il doit être la tête et l'arme de la révolution. (...)

9. (...) En particulier, il ne devra jamais accroître l'effectif de ses membres plus ra­pidement que ne le permet la force d'inté­gration du noyau communiste solide. »

(Thèses sur le rôle du parti dans la révolu­tion prolétarienne, Thèses du KAPD, Proletarier n° 7, juillet 1921)

Si nous faisons ressortir en premier lieu les apports programmatiques du KAPD, c'est pour souligner qu'en dépit des faiblesses fa­tales de celui-ci, que nous allons aborder, la Gauche communiste doit s'en réclamer. Mais le KAPD va démontrer par la suite qu'il ne suffit pas d'être clair « programmatiquement sur des questions-clés ». Tant que l'on n'a pas une compréhension suffisamment claire de la question organisationnelle, la clarté programmatique ne présente aucune garantie pour la survie de l'organisation. Ce qui est déterminant ce n'est pas seulement la capaci­té de se doter de bases programmatiques so­lides mais c'est surtout celle de construire l'organisation, de la défendre et de lui don­ner la force de remplir son rôle historique. Sinon, il y a le danger qu'elle ne se déchire sous l'action de fausses conceptions organi­sationnelles et qu'elle ne résiste pas aux vi­cissitudes de la lutte de classes.

Dans l'un de ses premiers points à l'ordre du jour, lors de son congrès de fondation, le KAPD déclare son rattachement immédiat à l'Internationale Communiste sans avoir préalablement demandé son admission à celle-ci. Alors que, dès le départ, son but est de rejoindre le mouvement international, le souci central exprimé dans la discussion va être de mener « le combat contre le Spartakusbund au sein de la 3e Internationale. »

Dans une discussion avec des représentants du KPD, il déclare : « Nous considérons la tactique réformiste du Spartakusbund en contradiction avec les principes de la 3e Internationale, nous allons oeuvrer à l'ex­clusion du Spartakusbund hors de la 3e Internationale. » (Procès-verbal du congrès de fondation du parti, cité par Bock). Au cours de cette discussion c'est toujours la même idée qui resurgit comme leitmotiv :

« Nous refusons la fusion avec le Spartakusbund et nous le combattrons avec acharnement. (...) Notre position vis-à-vis du Spartakusbund est claire et simple à préciser : nous pensons que les chefs com­promis doivent être exclus du front de la lutte prolétarien et nous aurons la voie libre pour que les masses marchent ensembles selon le programme maximaliste. Il est dé­cidé qu'une délégation de deux camarades sera formée pour présenter un rapport oral au Comité Exécutif de la 3e Internationale. » (Idem)

Si la lutte politique contre les positions op­portunistes du Spartakusbund est indispen­sable, cette attitude hostile envers le KPD reflète une complète distorsion des priorités. Au lieu d'impulser une clarification envers le KPD avec l'objectif d'établir les conditions pour l'unification, c'est une attitude sectaire, irresponsable et destructrice pour chaque or­ganisation qui prédomine. Cette attitude est surtout impulsée par la tendance nationale-bolchevik de Hambourg.

Que le KAPD, lors de sa fondation, ait ac­cepté la tendance nationale-bolchevik dans ses rangs est une catastrophe. Ce courant est anti-prolétarien. A elle seule sa présence au sein du KAPD fait d'emblée lourdement chu­ter la crédibilité de celui-ci aux yeux de l'Internationale communiste. ([2] [27])

Jan Appel et Franz Jung sont nommés délé­gués au deuxième congrès de l'IC siégeant en juillet 1920. ([3] [28])

Dans les discussions avec le Comité exécutif de l'IC (CEIC) où ils représentent le point de vue du KAPD, ils assurent que le courant national-bolchevik autour de Wolffheim et Laufenberg, tout comme la tendance « anti-parti » de Rühle seront exclus du KAPD. Sur la question syndicale et parlementaire, les points de vue du CEIC et du KAPD s'af­frontent violemment. Lénine vient juste de terminer sa brochure Le gauchisme, maladie infantile du communisme. En Allemagne, le parti, ne recevant plus aucune nouvelle de ses délégués à cause du blocus militaire, décide l'envoi d'une seconde délégation composée de O. Rühle et de Merges. Il ne pouvait faire pire.

Rühle est, en effet, le représentant de la mi­norité fédéraliste qui souhaite dissoudre le parti communiste pour le fondre dans le sys­tème des Unions. Refusant toute centralisa­tion, cette minorité rejette également impli­citement l'existence d'une Internationale. Après leur voyage à travers la Russie au cours duquel les deux délégués sont choqués par les conséquences de la guerre civile (21 armées se sont portées à l'assaut de la Russie) et ne voient qu'un « régime en état de siège », ils décident, sans en référer au parti, de repartir convaincus que « la dicta­ture du parti bolchevik est le tremplin pour l'apparition d'une nouvelle bourgeoisie so­viétique. » Malgré la demande pressante de Lénine, Zinoviev, Radek et Boukharine qui leur accordent des voix consultatives et les poussent à participer aux travaux du con­grès, ils renoncent à toute participation. Le CEIC va jusqu'à leur accorder des voix déli­bératives et non plus consultatives. « Alors que nous étions déjà à Pétrograd sur le chemin du retour, l'Exécutif nous envoya une nouvelle invitation au Congrès, avec la déclaration qu'au KAPD serait garanti pen­dant ce congrès d'avoir le droit de disposer de voix délibératives, bien qu'il ne remplisse aucune des conditions draconiennes de la Lettre ouverte au KAPD ou n'ait promis de les remplir. »

Le résultat est que le deuxième congrès de l'IC se déroule sans que la voix critique des délégués du KAPD ne se fasse entendre. L'influence néfaste de l'opportunisme au sein de l'IC peut ainsi plus facilement se dé­ployer. Le travail dans les syndicats est ins­crit dans les 21 conditions d'admission dans l'IC comme condition impérative sans que la résistance du KAPD contre ce tournant op­portuniste ne se fasse sentir lors de ce con­grès.

De plus, il n'est pas possible que les diffé­rentes voix critiques vis-à-vis de cette évo­lution de l'IC se trouvent réunies lors du congrès. Par cette attitude dommageable des délégués du KAPD, il n'y a pas de concerta­tion internationale ni d'action commune. L'opportunité d'un travail de fraction inter­national fructueux vient d'être sacrifié.

Après le retour des délégués, le courant re­groupé autour de Rühle est exclu du KAPD à cause de ses conceptions et de ses compor­tements hostiles à l'organisation. Les « conseillistes » ne rejettent pas seulement l'organisation politique du prolétariat, niant de ce fait le rôle particulier que doit jouer le parti dans le processus de développement de la conscience de classe du prolétariat (Voir à ce sujet les Thèses sur le parti du KAPD), ils joignent leur voix au choeur de la bour­geoisie pour défigurer l'expérience de la ré­volution russe. Au lieu de tirer les leçons des difficultés de la révolution russe, ils re­jettent celle-ci et la caractérisent de révolu­tion double (à la fois prolétarienne et bour­geoise ou bien petite-bourgeoise). Ce faisant ils se donnent eux mêmes le coup de grâce politique. Les « conseillistes » ne causent pas seulement des dégâts en niant le rôle du parti dans le développement de la con­science de classe mais ils contribuent acti­vement à la dissolution du camp révolution­naire et renforcent l'hostilité générale envers l'organisation. Après leur désintégration et leur dispersion, ils ne pourront accomplir aucune contribution politique. Ce courant existe encore aujourd'hui et se maintient principalement aux Pays-Bas (bien que son idéologie soit largement répandue au delà de ce pays).

Le Comité central du KAPD décide, lors du premier congrès ordinaire du parti en août 1920, qu'il ne s'agit pas de combattre la 3e Internationale mais de lutter en son sein jus­qu'au triomphe des vues du KAPD. Cette attitude se différencie à peine de celle de la Gauche italienne mais se modifiera par la suite. La vision selon laquelle il faut former une « opposition » au sein de l'IC et non pas une fraction internationale ne donne pas la possibilité de développer une plateforme in­ternationale de la Gauche communiste.

En novembre 1920, après le deuxième con­grès du KAPD, une troisième délégation (dont font partie Gorter, Schröder et Rasch) part pour Moscou. L'IC reproche au KAPD d'être responsable de l'existence, dans le même pays, de deux organisations commu­nistes (KPD et KAPD) et lui demande de mettre un terme à cette anomalie. Pour l'IC, l'exclusion de Rühle et des nationaux-bol­cheviks autour de Wolffheim et Laufenberg ouvre la voie à la réunification des deux courants et doit permettre le regroupement avec l'aile gauche de l'USPD. Alors que le KPD et le KAPD prennent respectivement position, avec véhémence contre la fusion de leurs deux partis, le KAPD rejette par prin­cipe tout regroupement avec l'aile gauche de l'USPD. Malgré ce refus de la position de l'IC, le KAPD reçoit le statut de parti sympa­thisant de la 3e Internationale avec voix consultative.

Malgré cela, lors du troisième congrès de l'IC (du 26 juillet au 13 août 1921) la délé­gation du KAPD exprime à nouveau sa criti­que des positions de l'IC. Dans de nombreu­ses interventions elle affronte avec courage et détermination l'évolution opportuniste de l'IC. Mais la tentative d'ériger une fraction de gauche au cours du congrès échoue car parmi les différentes voix critiques prove­nant du Mexique, de Grande-Bretagne, de Belgique, d'Italie et des Etats-Unis, per­sonne n'est prêt à effectuer ce travail de fraction international. Seul le KAP hollan­dais et les militants de Bulgarie rejoignent la position du KAPD. Pour finir la déléga­tion se trouve confrontée à un ultimatum de la part de l'IC : dans les trois mois le KAPD doit fusionner avec le VKPD sinon il sera exclu de l'Internationale.

Par son ultimatum, l'IC commet une erreur lourde de conséquences, à l'instar du KPD qui, une année auparavant lors du congrès d'Heidelberg, avait réduit au silence les voix critiques qui existaient dans ses propres rangs. L'opportunisme, dans l'IC, a ainsi un obstacle de moins sur son chemin.

La délégation du KAPD refuse de prendre une décision immédiate sans en référer préalablement aux instances du parti. Le KAPD se trouve devant un choix difficile et douloureux (celui-ci se pose également pour l'ensemble du courant communiste de gau­che) :

- soit il fusionne  avec le VKPD, prêtant ainsi main forte au développement de l'op­portunisme ;

- soit il se constitue en fraction externe de l'Internationale avec la volonté de recon­quérir l'IC et même le parti allemand VKPD, en espérant que d'autres fractions significatives se forment simultanément ;

- soit il oeuvre dans la perspective que soient posées les conditions pour la forma­tion d'une nouvelle internationale ;

- soit il proclame de façon totalement artifi­cielle, la naissance d'une 4e Internationale.

A partir de juillet 1921, la direction du KAPD se laisse entraîner dans des décisions précipitées. Malgré l'opposition des repré­sentants de la Saxe orientale et de Hanovre, malgré l'abstention du district le plus impor­tant de l'organisation (celui du Grand Berlin), la direction du parti fait accepter une résolution proclamant la rupture avec la 3e Internationale. Plus grave encore que cette décision, qui est prise en dehors du ca­dre d'un congrès du parti, est celle d'oeuvrer à la « construction d'une Internationale communiste ouvrière ».

Le congrès extraordinaire du KAPD du 11 au 14 septembre 1921 proclame, à l'unani­mité, sa sortie immédiate de la 3e Internationale comme parti sympathisant.

En même temps, il considère toutes les sec­tions de l'IC comme définitivement perdues. D'après lui, il ne peut plus surgir de frac­tions révolutionnaires du sein de l'Internationale. Déformant la réalité, il voit les différents partis de l'IC comme « des groupes auxiliaires politiques » au service du « capital russe ». Par emballement le KAPD, non seulement sous-estime le poten­tiel d'opposition internationale au dévelop­pement de l'opportunisme dans l'IC, mais aussi porte atteinte aux principes régissant les rapports entre partis révolutionnaires. Cette attitude sectaire est un avant-goût de celle que vont adopter par la suite d'autres organisations prolétariennes. L'ennemi ne semble plus être le Capital mais les autres groupes auxquels l'on dénie la qualité de ré­volutionnaires.

Le drame de l'automutilation

Une fois exclu de l'IC, une autre faiblesse du KAPD va peser de tout son poids. Non seu­lement, lors de ses conférences, il n'y a qua­siment pas d'évaluation globale du rapport de forces entre les classes au niveau inter­national, mais il se borne plus ou moins à l'analyse de la situation en Allemagne et à souligner la responsabilité particulière de la classe ouvrière dans ce pays. Nul n'y est dis­posé à admettre que la vague révolutionnaire internationale est sur le reflux. De cette fa­çon, au lieu de tirer les leçons de ce reflux et de redéfinir les nouvelles tâches de l'heure, il est affirmé que la « situation est archi-mûre pour la révolution ». Malgré cela, une majorité de membres s'éloigne du parti, surtout les jeunes qui ont rejoint le mouvement après la guerre, constatant que le moment des grandes luttes révolutionnai­res est dépassé. En réaction à ce fait, il y a des tentatives, comme nous le montreront dans un autre article, d'affronter artificielle­ment la situation avec le développement d'une large tendance au putschisme et aux actions individuelles.

Au lieu de reconnaître le reflux de la lutte de classe, au lieu de mettre en oeuvre un patient travail de fraction à l'extérieur de l'Internationale, on aspire à la fondation d'une Internationale Communiste Ouvrière (KAI). Les sections de Berlin et de Bremerhaven s'élèvent contre ce projet mais restent minoritaires.

Simultanément, au cours de l'hiver 1921-22, l'aile regroupée autour de Schröder com­mence à rejeter la nécessité des luttes re­vendicatives. Selon elle, celles-ci sont, dans la période « de la crise mortelle du capita­lisme », opportunistes ; et seules les luttes politiques posant la question du pouvoir doivent être soutenues. En d'autres termes, le parti ne peut remplir sa fonction que dans les périodes de luttes révolutionnaires. Il s'agit là d'une nouvelle variante de la con­ception « conseilliste » !

En mars 1922, Schröder obtient, grâce à la manipulation de la procédure des votes, une majorité pour sa tendance, ce qui ne reflète pas la réalité des rapports de forces dans le parti. En réaction le district du Grand Berlin, le plus important numériquement, exclut Sachs, Schröder et Goldstein du parti du fait de leur « comportement portant at­teinte au Parti et de leur ambition person­nelle démesurée. » Schröder, qui appartient à la majorité « officielle », réplique par l'exclusion du district de Berlin et va s'ins­taller à Essen où il forme la « tendance d'Essen ». Il y a désormais deux KAPD et deux journaux portant le même nom. C'est alors que commence la période des accusa­tions personnelles et des calomnies.

Au lieu de chercher à tirer les leçons de la rupture avec le KPD lors du congrès d'Heidelberg en octobre 1919 et celles de l'exclusion de l'IC, tout se passe, au con­traire, comme si l'on voulait maintenir une continuité dans la série des fiascos ! Le con­cept de parti n'est plus qu'une simple éti­quette dont s'affuble chacune des scissions qui se réduisent à quelques centaines de membres si ce n'est moins.

Le sommet du suicide organisationnel est at­teint avec la fondation, par la tendance d'Essen, de l'Internationale Communiste Ouvrière (KAI) entre le 2 et le 6 avril 1922.

Après la naissance dans la précipitation du KAPD lui-même en avril 1920, sans qu'au­paravant toute possibilité d'un travail de fraction de l'extérieur du KPD ne soit épui­sée, il est décidé maintenant – juste après avoir quitté l'IC et après qu'une scission ir­responsable ait provoqué l'apparition de deux tendances, celle d'Essen et celle de Berlin – de fonder précipitamment et ex-nihilo une nouvelle internationale ! Une création purement artificielle, comme si la fondation d'une organisation n'est qu'une question de volontarisme ! Il s'agit là d'une attitude complètement irresponsable qui en­traîne un nouveau fiasco.

La tendance d'Essen se scinde à son tour en novembre 1923 pour donner le « Kommunitischer Rätebund » (Union Communiste des Conseils) ; une partie de cette tendance (Schröder, Reichenbach) re­tourne en 1925 dans le SPD et une autre se retire complètement de la politique.

Quant à la tendance de Berlin, elle parvient à se maintenir en vie un peu plus longtemps. A partir de 1926 elle se tourne vers l'aile gauche du KPD. A ce moment-là, elle comp­te encore environ 1 500 à 2 000 membres et la majorité de ses groupes locaux (surtout dans la Ruhr) a disparu. Elle connaît cepen­dant un nouvel accroissement numérique (atteignant environ 6 000 membres) en se regroupant avec « Entschiedene Linke » (la « Gauche déterminée » qui a été exclue du KPD). Après une nouvelle scission en 1928, le KAPD. devient de plus en plus insigni­fiant.

Toute cette trajectoire nous le montre : les communistes de gauche en Allemagne ont, sur le plan organisationnel, des conceptions fausses qui leur sont fatales. Leur démarche organisationnelle est une catastrophe pour la classe ouvrière.

Après leur exclusion de l'IC et la farce de la création de la KAI, ils sont incapables d'ac­complir un travail de fraction international conséquent. Cette  tâche fondamentale sera prise en charge par la Gauche italienne. Il n'était possible de tirer les leçons de la va­gue révolutionnaire et de les défendre qu'à la condition de se maintenir en vie comme or­ganisation. Et c'est précisément leurs fai­blesses et leurs conceptions profondément erronées sur la question organisationnelle qui les a conduit à l'échec et à la disparition. Il est vrai que la bourgeoisie a, dés le début, tout fait, par la répression (d'abord avec la Social-démocratie, puis avec les staliniens et les fascistes), pour anéantir physiquement les communistes de gauche. Mais c'est leur incapacité à construire et à défendre l'orga­nisation qui a fondamentalement contribué à leur mort politique et à leur destruction. L'héritage révolutionnaire en Allemagne est, abstraction faite de quelques rares cas, complètement réduit à néant. La contre-ré­volution a totalement triomphé. C'est pour­quoi tirer les leçons léguées par l'expérience organisationnelle de la « Gauche alle­mande » et les assimiler constitue, pour les révolutionnaires d'aujourd'hui, une tâche fondamentale afin d'empêcher que le fiasco d'alors ne se répète.

Les conceptions organisationnelles fausses du KPD accélèrent sa trajectoire vers l'opportunisme

Le KPD, ayant exclu après 1919 l'opposi­tion, se trouve pris dans le tourbillon dévas­tateur de l'opportunisme.

En particulier, il commence à entreprendre un travail dans les syndicats et au sein du Parlement. Alors qu'il s'agissait d'une ques­tion « purement tactique » lors de son deuxième congrès en octobre 1919, cette ta­che se transforme rapidement en « stratégie ».

Constatant que la vague révolutionnaire ne s'étend plus et même recule, le KPD cherche à « aller » vers les ouvriers « retardataires » et « bercés d'illusions » qui se trouvent dans les syndicats en cons­truisant des « fronts unis » dans les entre­prises. De plus, en décembre 1920, l'unifi­cation avec l'USPD centriste se réalise avec l'espoir d'avoir plus d'influence grâce à la création d'un parti de masse. Grâce à quel­ques succès lors des élections parlementai­res, le KPD s'enfonce dans ses propres illu­sions en croyant que « plus on obtient de voix aux élections, plus on gagne de l'in­fluence dans la classe ouvrière. » En fin de compte il va obliger ses militants à devenir membres des syndicats.

Sa trajectoire opportuniste s'accélère encore lorsqu'il ouvre la porte au nationalisme. Alors qu'il veut, à juste raison, exclure les nationaux-bolcheviks en 1919, à partir de 1920-21 il laisse entrer des éléments natio­nalistes par la petite porte.

Vis à vis du KAPD, il adopte une attitude de rejet inflexible. Lorsque l'Internationale ad­met ce dernier avec voix consultative en no­vembre 1920, il pousse au contraire à son exclusion.

Après les luttes de 1923, avec la montée en force du stalinisme en Russie, le processus qui fait du KPD le porte-parole de l'Etat russe s'accélère. Au cours des années 1920, le KPD devient l'un des appendices les plus fidèles de Moscou. Si d'un côté la majorité du KAPD rejette l'ensemble de l'expérience russe, de l'autre le KPD perd complètement tout sens critique ! Les conceptions organi­sationnelles fausses ont affaibli, en son sein, de façon définitive, les forces d'opposition au développement de l'opportunisme.

« La révolution allemande » : histoire de la faiblesse du parti

Il est clair qu'il a manqué, à la classe ou­vrière en Allemagne, un parti suffisamment fort à ses côtés. On peut comprendre que l'influence des Spartakistes, dans la pre­mière phase des luttes en novembre et dé­cembre 1918, soit relativement faible et c'est un véritable drame que le KPD fraîchement fondé ne puisse empêcher la provocation de la bourgeoisie. Pendant toute l'année 1919, la classe ouvrière paie le prix des faiblesses du parti. Dans la vague de luttes qui se dé­roule après dans les différents endroits d'Allemagne, le KPD ne dispose pas d'une influence déterminante. Cette influence di­minue encore après octobre 1919 avec les scissions dans le parti. Lorsqu'ensuite se produit, en mars 1920, la réaction massive de la classe ouvrière contre le putsch de Kapp, de nouveau il n'est pas à la hauteur.

Après avoir souligné la tragédie qu'a été, pour la classe ouvrière la faiblesse du parti, on pourrait se dire qu'on a enfin trouvé la cause de la défaite de la révolution en Allemagne. Il est certain que cette faiblesse ainsi que les erreurs faites par les révolu­tionnaires, notamment sur le plan organisa­tionnel, ne doivent pas se répéter. Cependant, elles ne suffisent pas, à elles seules, à expliquer l'échec de la révolution en Allemagne.

Il a souvent été souligné que le Parti bol­chevik autour de Lénine fournit l'exemple de la façon dont la révolution peut être conduite à la victoire, alors que l'Allemagne fournit le contre-exemple par la faiblesse des révolu­tionnaires. Mais cela n'explique pas tout.. Lénine et les bolcheviks sont les premiers à souligner que : « S'il a été si facile de venir à bout de la clique de dégénérés, tels que Romanov et Raspoutine, il est infiniment plus difficile de lutter contre la bande puis­sante et organisée des impérialistes alle­mands, couronnés ou non. » (Lénine, Discours au premier congrès de la marine de guerre de Russie, 22 novembre 1917, Oeuvres, tome 26) « Pour nous, il était plus facile de commencer la révolution, mais il est extrêmement difficile pour nous de la poursuivre et de l'accomplir. Et la révolu­tion a des difficultés énormes pour aboutir dans un pays aussi industrialisé que l'Allemagne, dans un pays avec une bour­geoisie aussi bien organisée. » (Lénine, Discours à la conférence de Moscou des comités d'usine, 23 juillet 1918, Oeuvres, tome 27)

En particulier, en mettant un terme à la guerre sous la pression de la classe ouvrière, la bourgeoisie a éliminé un ressort important pour la radicalisation des luttes. Une fois la guerre terminée, malgré la formidable com­bativité des prolétaires, leur pression crois­sante à partir des usines, leur initiative et leur organisation au sein des conseils ou­vriers, ils se sont heurtés au travail de sabo­tage particulièrement élaboré des forces con­tre-révolutionnaires, au centre desquelles se trouvaient le SPD et les syndicats.

La leçon pour aujourd'hui va de soi : face à une bourgeoisie aussi habile que l'était alors celle d'Allemagne – et dans la prochaine ré­volution l'ensemble de la bourgeoisie fera preuve, pour le moins, de mêmes capacités et sera unie pour combattre la classe ou­vrière par tous les moyens – les organisa­tions révolutionnaires ne pourront remplir leur devoir qu'en étant elles-mêmes solides et organisées internationalement.

Le parti ne peut se construire qu'en s'ap­puyant sur une clarification programmatique préalable de longue haleine et surtout sur l'élaboration de principes organisationnels solides. L'expérience en Allemagne le mon­tre : l'absence de clarté sur le mode de fonc­tionnement marxiste de l'organisation con­damne immanquablement celle-ci à la dis­parition.

La défaillance des révolutionnaires en Allemagne à l'époque de la première guerre mondiale pour véritablement construire le parti a eu des conséquences catastrophiques. Non seulement le parti lui-même s'est effon­dré et s'est désagrégé, mais au cours de la contre-révolution et dés la fin des années 1920, il n'y a quasiment plus de révolution­naires organisés pour faire entendre leur voix. Il va régner pendant plus de 50 ans un silence de mort en Allemagne. Lorsque le prolétariat relève la tête en 1968, il lui man­que cette voix révolutionnaire. C'est l'une des tâches les plus importantes dans la pré­paration de la future révolution proléta­rienne que de mener à bien la construction de l'organisation. Si cela ne se fait pas, il est sûr que la révolution ne se produira pas et que son échec est d'ores et déjà annoncé.

C'est pourquoi la lutte pour la construction de l'organisation se trouve au coeur de la préparation de la révolution de demain.

DV.




[1] [29]. Voir La Gauche hollandaise où est abordée en détail la question du KAPD et de son évolution, en particulier la partie concernant « Le Communisme de gauche et la révolution - 1919-1927 ».

 

[2] [30]. Ils ne furent exclus du KAPD qu'après le retour de la délégation à la fin de l'été 1920. Leur appartenance au KAPD révèle combien le KAPD est fortement hétérogéne au moment de sa fondation et qu'il est plus un rassemblement qu'un parti construit sur des bases programmatiques et organisationnelles solides.

 

[3] [31]. Il n'était alors pas possible d'atteindre Moscou par voie de terre en raison du blocus imposé par les « armées de la démocratie » et de la guerre civile. Ce n'est qu'en détournant un navire et après avoir persuadé les marins de déposer leur capitaine, que Franz Jung et Jan Appel parviennent, dans des circonstances aventureuses, à forcer le blocus imposé par les armées contre-révolutionnaires à la Russie en pleine guerre civile et atteindre fin avril le port de Mourmansk, et de là Moscou.

 

Géographique: 

  • Allemagne [5]

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Allemande [32]

Approfondir: 

  • Révolution Allemande [33]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La Révolution prolétarienne [34]

Polémique : nous sommes-nous trompés dans les années 1980 ?

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La C.W.O et le cours historique, une accumulation de contradictions

Dans le n° 5 de Revolutionary Perspec­tives, organe de la Communist Workers Organisation (CWO), on peut lire un ar­ticle intitulé « Sectes, menson­ges et la perspective perdue du CCI » qui se veut une réponse à celui que nous avons publié dans la Revue Internationale n° 87, « Une politique de regroupement sans boussole » (ce texte étant lui-même une réponse à une lettre de la CWO publiée dans la même Revue). Il aborde beaucoup de ques­tions, no­tamment sur la méthode de construction des organisations commu­nistes, sur lesquelles nous reviendrons dans d'au­tres numéros de la Revue Internationale. Dans l'article qui suit nous nous conten­terons de traiter prin­cipalement d'un des aspects de la po­lémique de la CWO : l'idée suivant la­quelle le CCI se­rait en crise du fait de ses erreurs dans l'analyse de la pers­pective historique.

Dans plusieurs textes publiés dans la Revue Internationale ainsi que dans notre presse territoriale ([1] [35]), nous avons rendu compte de la crise qu'a dû affronter notre organisation dans la dernière période et qui s'est traduite notamment, comme le signale l'article de la CWO, par un nombre important de démis­sions dans sa section en France. Le CCI a identifié les causes de ses difficultés organi­sationnelles : la persistance en son sein du poids de l'esprit de cercle résultant des con­ditions historiques dans lesquelles notre or­ganisation s'était formée après la plus longue et profonde période de contre-révolution de l'histoire du mouvement ouvrier. Le main­tien de cet esprit de cercle avait notamment conduit à la formation de clans au sein de l'organisation qui avaient gravement miné le tissu organisationnel. Dès l'automne 1993, l'ensemble du CCI avait engagé le combat contre ces faiblesses et son 11e Congrès, te­nu au printemps 1995, avait pu conclure qu'elles avaient, pour l'essentiel, été surmon­tées ([2] [36]).

Pour sa part, la CWO donne des difficultés organisationnelles du CCI une explication différente :

« (...) la crise actuelle du CCI... est le résul­tat ... d'une démoralisation politique. La véritable raison en est que les perspectives sur lesquelles le CCI a été fondé se sont fi­nalement effondrées face à la réalité que le CCI a tenté pendant des années d'ignorer. En fait, ce que nous disions à propos de la précédente scission de 1981 s'applique à la crise présente.

"Les causes de la crise présente se sont développées pendant plusieurs années et peuvent être trouvées dans les positions de base du groupe. Le CCI affirme que la crise économique "est là" dans toutes ses contra­dictions est qu'il en a été ainsi depuis plus de 12 ans. Il considère que la conscience ré­volutionnaire surgit directement et sponta­nément chez les ouvriers en lutte contre les effets de cette crise. De ce fait, il n'est pas surprenant, alors que la crise a été loin de provoquer le niveau de lutte de classe prédit par le CCI, que cela conduise à des scissions dans l'organisation." (Workers' Voice n° 5)

Depuis lors, la situation de la classe ou­vrière a empiré et celle-ci a été acculée à la défensive. Au lieu de le reconnaître, le CCI a proclamé tout au long des années 80 que nous étions dans les "années de vérité" con­duisant à des confrontations de classe en­core plus grandes. (...) Les contradic­tions évidentes entre les perspectives du CCI et la réalité capitaliste auraient provoqué plus tôt la crise actuelle s'il n'y avait pas eu l'ef­fondrement du stalinisme. Ce seul phé­nomène historique a complètement escamoté le débat sur le cours historique dans la me­sure où la pause faisant suite à un boulever­sement d'une telle ampleur a repoussé pour un temps le cours de la bourgeoise vers la guerre et a permis également à la classe ou­vrière de disposer de plus de temps pour se regrouper avant que les nouvelles attaques du capital ne rendent à nouveau nécessaires des conflits sociaux à grande échelle au ni­veau international. Il a permis au CCI d'échapper par des contorsions aux consé­quences de la perspective des "années de vérité". Pour lui, mai 1968 a mis fin à la contre-révolution et a ouvert la période où la classe ouvrière pourrait jouer son rôle historique. Presque trente ans après (c'est-à-dire plus d'une génération !) qu'en est-il de cette confrontation de classe ? C'est la question que nous avons posée au CCI en 1981 et c'est encore aujourd'hui là où le bât blesse.

Le CCI sait cela, et c'est dans le but de prévenir une nouvelle démoralisation qu'il s'est tourné vers un vieux truc, la recherche d'un bouc émissaire. Le CCI se refuse à af­fronter sa crise actuelle en tant que résultat de ses erreurs politiques. Au lieu de cela, il a essayé – et ce n'est pas la première fois – de renverser la réalité dans sa tête et insiste sur le fait que les problèmes qu'il rencontre sont dus à des éléments "parasites" exté­rieurs qui le minent sur le plan organisa­tionnel. »

Evidemment, n'importe quel lecteur de notre presse aura pu constater que jamais le CCI n'a attribué ses difficultés organisationnelles internes à l'action des éléments parasites. Ou bien la CWO ment délibérément (et dans ce cas, nous lui demandons dans quel but elle fait cela) ou bien elle a très mal lu ce que nous avons écrit (et nous conseillons à ses militants d'acheter des lunettes ou d'en changer). En tout état de cause une telle af­firmation fait preuve d'une accablante ab­sence de sérieux qui est absolument regret­table dans le débat politique. C'est pour cela que nous n'allons pas nous y attarder préfé­rant traiter le fond des désaccords qui exis­tent entre le CCI et la CWO (et le Bureau International pour le Parti Révolutionnaire, BIPR, dont elle est un des constituants). Plus particulièrement nous allons aborder dans cet article l'idée suivant laquelle les perspectives mises en avant par le CCI con­cernant la lutte de classe auraient fait faillite ([3] [37]).

La perspective du CCI a-t-elle fait faillite ?

Pour évaluer la validité ou non de la pers­pective que nous avions tracée, il est néces­saire de revenir sur ce que nous écrivions à la veille des années 1980.

« (...) tant que pouvait subsister l'apparence qu'il y avait des solutions à la crise, elle [la bourgeoisie] a bercé les exploités de pro­messes illusoires : "acceptez l'austérité aujourd'hui et ça ira mieux demain" (...)

Aujourd'hui ce langage ne prend plus (...) Puisque promettre des "lendemains qui chantent" ne trompe plus personne, la classe dominante a changé de registre. C'est le contraire que l'on commence à promettre maintenant en disant bien fort que le pire est devant nous mais qu'elle n'y est pour rien, que "c'est la faute des autres", qu'il n'y a pas d'autre issue... Ainsi la bourgeoisie, en même temps qu'elle perd ses propres illu­sions, est obligée de parler clair à la classe ouvrière quant à l'avenir qu'elle lui réserve.

(...) Si la bourgeoisie n'a pas d'autre avenir à proposer à l'humanité que la guerre géné­ralisée, les combats qui se dé­veloppent au­jourd'hui démontrent que le prolétariat n'est pas prêt à lui laisser les mains libres et que LUI a un autre avenir à proposer, un avenir où il n'y aura plus de guerre ni d'exploita­tion : le communisme.

Dans la décennie qui commence, c'est donc cette alternative qui va se décider : ou bien le prolétariat poursuit son offensive, continue de paralyser le bras meurtrier du capitalisme aux abois et ramasse ses for­ces pour son renversement, ou bien il se laisse piéger, fatiguer et démoraliser par ses dis­cours et sa répression et, alors, la voie est ouverte à un nouvel holocauste qui ris­que d'anéantir la société humaine. Si les années 1970 furent, tant pour la bourgeoisie que pour le prolétariat, les années d'illu­sion, les années 1980, parce que la réalité du monde actuel s'y révélera dans toute sa nudité, et parce que s'y décidera pour bonne part l'avenir de l'humanité, seront les an­nées de la vérité. » ([4] [38])

Comme le dit la CWO, nous avons maintenu cette analyse tout au long des années 1980. En particulier, chacun des congrès interna­tionaux que nous avons tenus dans cette pé­riode a été l'occasion pour le CCI de réaffir­mer sa validité.

« A l'aube des années 1980, nous avons analysé la décennie qui commençait comme "les années de vérité" (...) A la fin du pre­mier tiers de cette période, on peut constater que cette analyse s'est pleinement confir­mée : jamais depuis les années 1930, l'im­passe totale dans laquelle se trouve l'éco­nomie capitaliste ne s'était révélée avec une telle évidence ; jamais, depuis la dernière guerre mondiale, la bourgeoisie n'avait dé­ployé de tels arsenaux militaires, n'avait mobilisé de tels efforts en vue de la produc­tion de moyens de destruction ; jamais de­puis les années 1920, le prolétariat n'avait mené des combats de l'ampleur de ceux qui ont secoué la Pologne et l'ensemble de la classe régnante en 1980-81. (...) » ([5] [39])

Cependant, lors de ce congrès, nous rele­vions le fait que le prolétariat mondial ve­nait de subir une défaite très sérieuse qui s'était notamment concrétisée par l'instaura­tion de l'état de guerre en Pologne :

« Alors que les années 1978-79-80 avaient été marquées par une reprise mondiale des luttes ouvrières (grève des mineurs améri­cains, des dockers de Rotterdam, des ou­vriers de la sidérurgie en Grande-Bretagne, des ouvriers de la métallurgie en Allemagne et au Brésil, affrontements de Longwy-Denain en France, grèves de masse en Pologne), les années 1981 et 1982 se sont distinguées par un net reflux de ces luttes ; ce phénomène étant particulièrement évi­dent dans le plus "classique" des pays capi­talistes, la Grande-Bretagne, où l'année 1981 connaissait le nombre le plus faible de grèves depuis la seconde guerre mondiale alors qu'en 1979 celles-ci avaient atteint leur niveau quantitatif le plus élevé de l'his­toire avec 29 millions de jours d'arrêt de travail. Ainsi, l'instauration de l'état de guerre en Pologne et la violente répression qui s'est abattue sur les ouvriers de ce pays n'arrivaient pas comme un éclair dans un ciel bleu. Point le plus marquant de la dé­faite ouvrière après les formidables combats de l'été 1980, le coup de force de décembre 1981 participait d'une défaite de tout le prolétariat. (...)

Quelle que soit la gravité de la défaite en­registrée ces dernières années par la classe ouvrière, elle ne remet pas en cause le cours historique dans la mesure où :

- ce ne sont pas les bataillons décisifs du prolétariat mondial qui se sont trouvés en première ligne de l'affrontement ;

- la crise qui maintenant atteint de plein fouet les métropoles du capitalisme oblige­ra le prolétariat de ces métropoles à ex­primer ses réserves de combativité qui n'ont pas été jusqu'à présent entamées de façon décisive. »

Il n'a pas fallu attendre plus de trois mois pour que se confirme cette prévision. Dès septembre 1983 en Belgique et peu après aux Pays-Bas, les travailleurs du secteur public entraient massivement dans la lutte ([6] [40]). Ces mouvements n'étaient nullement isolés. En fait, en quelques mois, les mou­vements sociaux touchent la plupart des pays avancés : Allemagne, Grande-Bretagne, France, Etats-Unis, Suède, Espagne, Italie, Japon ([7] [41]). Rarement on n'avait connu une telle simultanéité internationale dans les affron­tements de classe, en même temps que la bourgeoisie de tous les pays organi­sait un black-out presque total sur ces mou­vements. Evidemment, la bourgeoisie n'est pas restée les bras croisés et a organisé toute une série de campagnes et de manoeuvres, principa­lement de la part des syndicats, destinées à écoeurer les ouvriers, à épar­piller leurs lut­tes, à les enfermer dans des impasses corpo­ratistes ou sectorielles. Cela conduit, au cours de l'année 1985, à une certaine ac­calmie des luttes ouvrières dans les princi­paux pays européens, notamment ceux qui avaient connu les mouvements les plus im­portants au cours des années précé­dentes. En même temps, ces manoeuvres n'ont pu qu'accentuer un peu plus le discrédit qui, dans la plupart des pays avancés, frap­pait les syndicats ce qui constituait un élé­ment très important dans la prise de con­science de la classe ouvrière puisque ces organes sont ses principaux ennemis, ceux qui ont comme fonction de saboter de l'inté­rieur ses luttes.

« C'est pour cet ensemble de raisons que le développement actuel de la méfiance à l'égard des syndicats constitue une donnée essentielle du rapport de forces entre les classes et donc de toute la situation histori­que. Cependant, cette méfiance elle-même est en partie responsable, de façon immé­diate, de la réduction du nombre de luttes dans différents pays et plus particulièrement là où justement le discrédit des syndicats est le plus fort (comme en France, suite à l'arri­vée accidentelle de la gauche au pouvoir en 1981). Lorsque pendant des décennies les ouvriers ont eu l'illusion qu'ils ne pouvaient mener des combats que dans le cadre des syndicats et avec l'appui de ceux-ci, la perte de confiance en ces organes s'accompagne de façon momentanée d'une perte de con­fiance en leur propre force et les conduit à opposer la passivité à tous les soi-disant "appels à la lutte" qui en émanent. » ([8] [42]) Les lut­tes très importantes qui allaient se dérou­ler peu après dans deux grands pays mar­qués par une faible combativité en 1985, la France (notamment la grève des che­mins de fer en décembre 1986) et l'Italie en 1987 (notamment dans le secteur de l'éducation, mais aussi dans les transports) faisaient la preuve que la vague de luttes débutée en septembre 1983, en Belgique, se poursui­vait. Cette réalité était également il­lustrée, et de quelle manière, justement dans ce dernier pays, par un mouvement de luttes de six semaines (avril-mai 86), le plus im­por­tant depuis la seconde guerre mondiale, englobant le secteur public, le secteur privé et les chômeurs, qui paralysait pratiquement la vie économique et contraignait le gouver­nement à reculer sur toute une série d'atta­ques qu'il avait préparées. Au cours de la même période (1986-87), se déroulaient d'autres mouvements d'ampleur dans les pays scandinaves (Finlande et Norvège dé­but 1986, Suède à l'automne 1986), aux Etats-Unis (été 1986), au Brésil (un million et demi de grévistes en octobre 1986, luttes massives en avril-mai 1987), en Grèce (2 millions de grévistes en janvier 1987), en Yougoslavie (printemps 1987), en Espagne (printemps 1987), au Mexique, en Afrique du Sud, etc. Il faut relever également la grève spontanée, en dehors des syndicats, des 140 000 travailleurs de British Telecom fin janvier 1987.

Evidemment, la bourgeoisie réagissait à cette combativité en mettant en oeuvre de nouvelles manoeuvres de grande envergure. Il s'agissait de créer des diversions avec des campagnes idéologiques amplement média­tisées sur le « terrorisme islamique », sur la « paix » entre les grandes puissances (signature des accords de réduction des ar­mements nucléaires), sur l'aspiration des peuples à la « liberté » et à la « démocra­tie » (mise en scène internationale de la « glasnost » de Gorbatchev), sur l'écologie, sur les interventions « humanitaires » dans le tiers-monde, etc. ([9] [43]) Il s'agissait surtout de pallier au discrédit croissant qui affectait les syndicats classi­ques en promouvant de nouvelles formes de syndicalisme (de « combat », de « base », etc.). La manifes­tation le plus marquante de cette manoeuvre bourgeoise (souvent prise en charge par les organisations gauchistes, mais également par des syndicalistes et des partis de gauche traditionnels, staliniens ou socio-démocra­tes) a été la constitution de « coordina­tions » dans les deux pays où le syndica­lisme classique était le plus discré­dité, l'Italie (particulièrement dans les trans­ports) et la France (en premier lieu dans l'importante grève des hôpitaux à l'automne 1988) ([10] [44]). Une des fonctions de ces orga­nes, qui se présentaient comme « émanation de la base » et « anti-syndicaux », était d'intro­duire le poison corporatiste dans les rangs prolétariens avec l'argument que les syndi­cats ne défendaient pas les intérêts ouvriers parce qu'ils étaient organisés par branches et non par métiers.

Ces manoeuvres ont eu un certain impact que nous avons relevé à l'époque : « Cette capacité de manoeuvre de la bourgeoisie est parvenue jusqu'à présent à entraver le pro­cessus d'extension et d'unification dont est porteuse la vague présente de lutte de classe. » ([11] [45]) En outre, parmi les au­tres causes des difficultés éprouvées par la classe ouvrière, nous relevions : « le poids de la décomposition idéologique environ­nante sur laquelle s'appuie et s'appuieront de plus en plus les manoeuvres bourgeoises visant à renforcer l'atomisation, le "chacun pour soi", et à saper la confiance croissante de la classe ouvrière en sa propre force et en l'avenir que porte son combat. » (Ibidem)

Cependant nous notions également que si « le phénomène de la décomposition pèse à l'heure actuelle et pour toute une période d'un poids considérable » et si « il constitue un danger très important auquel la classe doit s'affronter (...) ce constat ne doit être nullement une source de démoralisation ou de scepticisme » puisque « tout au long des années 1980, c'est malgré ce poids négatif de la décomposition, systématiquement ex­ploité par la bourgeoisie, que le prolétariat a été en mesure de développer ses luttes face aux conséquences de l'aggravation de la crise... ». ([12] [46]).

Voici donc l'analyse que nous faisions de l'état de la lutte de classe quelques mois avant un des événements les plus considé­rables de l'après-guerre, l'effondrement des régimes staliniens d'Europe et de l'URSS.

Le CCI n'avait pas prévu cet événement (pas plus que les autres organisations du milieu prolétarien ou que les « experts » de la bourgeoisie). Il fut cependant, dès septembre 1989, deux mois avant la chute du mur de Berlin, parmi les premiers à l'identifier ([13] [47]). Dès ce moment-là nous avons qualifié l'ef­fondrement du bloc de l'est comme la mani­festation majeure jusqu'à ce jour de la dé­composition de la société capitaliste. Et en ce sens, nous avons immédiatement annoncé que cet événement allait provoquer « Des difficultés accrues pour le prolétariat » ([14] [48]). Ainsi, en cohé­rence avec nos précé­dentes analyses, nous écrivions : « L'identification systématique­ment établie entre communisme et stali­nisme, le men­songe mille fois répété, et en­core plus martelé aujourd'hui qu'aupara­vant, suivant lequel la révolution proléta­rienne ne peut conduire qu'à la faillite, vont trouver avec l'effondrement du stalinisme, et pendant toute une période, un impact accru dans les rangs de la classe ouvrière. C'est donc à un recul momentané de la conscience du prolétariat... qu'il faut s'attendre. (...) En particulier, l'idéologie réformiste pèsera très fortement sur les luttes de la période qui vient, favorisant grandement l'action des syndicats. Compte tenu de l'importance historique des faits qui le déterminent, le re­cul actuel du prolétariat, bien qu'il ne re­mette pas en cause le cours historique, la perspective générale aux affrontements de classes, se présente comme bien plus pro­fond que celui qui avait accompagné la dé­faite de 1981 en Pologne. » ([15] [49])

C'est avec beaucoup de légèreté que la CWO affirme que l'effondrement du stalinisme « a permis au CCI d'échapper par des contor­sions aux conséquences de la perspective des "années de vérité" ». Ce n'est pas pour « écraser le coup » et tenter de masquer la faillite de notre perspective sur le dévelop­pement des luttes au cours des années 1980 que nous avons annoncé que les événements de la fin 1989 allaient provoquer un recul de la classe ouvrière. Comme on l'a vu plus haut, nous n'avons pas sorti cette thèse comme on tire un lapin d'un chapeau, mais elle était en complète cohérence avec notre cadre d'analyse. Si les années 1980 se ter­minaient donc avec un recul très important de la classe ouvrière, cela ne signifiait nul­lement que l'analyse du CCI de la période historique était erronée, comme le prétend la CWO.

En premier lieu, on ne peut, pour affirmer une telle idée, se baser sur le surgissement d'un phénomène qui n'avait été prévu par personne (même si, après coup, le marxisme permet de l'expliquer). Après tout, les révo­lutionnaires du 19e siècle avaient-ils prévu un des événements les plus considérables de ce siècle, la Commune de Paris ? Lénine avait-il prévu ce qui allait se passer quel­ques semaines plus tard, la révolution de fé­vrier 1917 en Russie, prélude de l'Octobre rouge, lorsqu'il disait aux jeunes ouvriers suisses : « Nous les vieux, nous ne verrons peut être pas les luttes décisives de la révo­lution imminente. » (« Rapport sur la révo­lution de 1905 », janvier 1917) ? En tout état de cause, il appartient aux marxistes de savoir réagir rapidement face aux événe­ments imprévus et de savoir en tirer immé­diatement les conséquences et les leçons. C'est ce que Marx avait fait avec la Commune avant même qu'elle ne soit écra­sée (La guerre civile en France). C'est ce que Lénine a su faire dès l'annonce de la ré­volution de février (Lettres de loin et Thèses d'avril). Pour notre part, nous avons dès la fin de l'été 1989 mis en évidence les boule­versements que les événements de l'Est al­laient provoquer, tant du point de vue des antagonismes impérialistes que du dévelop­pement de la lutte de classe.

Cela dit, même ces bouleversements impré­visibles n'ont pas remis en cause notre ana­lyse de fin 1979 : « Les années 1980, (...) parce que s'y décidera pour bonne part l'avenir de l'humanité, seront les années de la vérité. »

Effectivement, c'est bien au cours de cette période que s'est jouée pour une part la perspective historique. Au début des années 1980, la bourgeoisie, particulièrement celle d'Occident, avait lancé, en même temps qu'elle développait de façon massive ses ar­mements, de vastes campagnes visant à soumettre les prolétaires à la botte du capi­tal afin de pouvoir les embrigader dans une nouvelle guerre mondiale. Pour ce faire, elle avait essayé de mettre à profit la défaite et l'écrasement des ouvriers de Pologne en 1981 qui, outre qu'il avait provoqué une grande désorientation parmi les ouvriers d'Occident, lui donnait le prétexte de stig­matiser « L'Empire du Mal » (suivant les termes de Reagan). La vague de luttes qui a commencé en 1983 a déjoué cet objectif. Pas plus que dans les années 1970, la classe ou­vrière des pays centraux n'était prête à se laisser embrigader pour une nouvelle guerre généralisée.

De plus, le fait que la bourgeoisie n'ait pu donner sa propre réponse à la crise de son système, la guerre impérialiste, en même temps que le prolétariat n'était pas encore en mesure de mettre en avant sa pro­pre pers­pective révolutionnaire, a précipité la société capitaliste dans sa phase de dé­composition ([16] [50]) dont une des manifesta­tions majeures a été justement l'effondre­ment des régimes staliniens ce qui a repous­sé dans la futur la possibilité d'une nouvelle guerre mondiale.

Enfin, d'une façon inattendue, les années 1980 ont abouti, avec l'effondrement du bloc de l'Est et toutes ses conséquences, sur une mise en évidence sans précédent de la vérité du capitalisme décadent : celle d'un chaos indescriptible, d'une barbarie sans nom qui ne font que s'aggraver chaque jour plus.

L'aveuglement de la CWO et du BIPR

Ainsi, comme on peut le voir, la thèse de la CWO sur « la faillite de la perspective du CCI » ne résiste pas au rappel des faits et de nos propres analyses. Et si une organisation a été réellement aveugle à ce qui se passait au cours des années 1980, ce n'est pas le CCI mais la CWO (et le BIPR) elle-même. Une organisation qui décrit les luttes de classe de cette période dans les termes sui­vants :

« (...) à partir de 1976, la classe dominante, en utilisant principalement les syndicats et la social démocratie, a été capable de res­taurer une nouvelle fois la paix sociale. Ce fut une paix sociale ponctuée par de gran­des luttes de la classe ouvrière (Pologne 1980-81, les dockers belges en 1983 et la grève des mineurs britanniques en 1984-85). Cependant, il n'y a pas eu de vague interna­tionale de grèves comme en 1968-74, et tous ces mouvements se sont achevés par un re­cul encore plus grand face aux attaques capitalistes. » ([17] [51])

On reste sidéré devant une telle affirmation. Pour ne prendre que quelques exemples, la CWO n'a retenu des luttes en Belgique de 1983 que celle des dockers en faisant l'im­passe sur celle de l'ensemble du secteur public. Pour elle, les luttes du printemps 1986 dans ce pays, encore plus importantes (1 million de travailleurs mobilisés pendant plus d'un mois dans un pays comptant moins de 10 millions d'habitants), n'ont pas existé. De même, les luttes dans le secteur public aux Pays-Bas à l'automne 1983, les plus im­portantes depuis le début du siècle, lui sont passées complètement inaperçues. Peut être peut-on penser que cette cécité de la CWO provient du fait qu'elle-même, ou l'autre or­ganisation du BIPR, Battaglia Comunista, n'est pas présente dans ces pays et qu'elle a été, comme la grande majorité du prolétariat mondial, victime du black-out international organisé par les médias bourgeoises pour occulter les mouvements sociaux qui s'y sont déroulés. Même si c'est le cas, ce n'est pas une excuse : une organisation révolution­naire ne peut se contenter, pour analyser la situation de la lutte de classe, des informa­tions répercutées par les journaux des pays où elle est présente. Elle peut éventuelle­ment s'appuyer sur ce que rapporte la presse d'autres organisations révolutionnaires, no­tamment la nôtre qui a amplement rendu compte de ces événements. Mais c'est jus­tement là où se trouve le problème : ce n'est pas le CCI qui a été confronté à des « contradictions évidentes entre [ses] pers­pectives et la réalité capitaliste », ce n'est pas lui qui « a tenté pendant des années d'ignorer la réalité » pour se masquer ses erreurs sur la perspective, comme le prétend la CWO, c'est la CWO elle-même. La meilleure preuve de cela : lorsque la CWO évoque « les grandes luttes de la classe ou­vrière » qui « ont ponctué la paix sociale » dans le pays où elle est implantée, la Grande-Bretagne, elle ne fait référence qu'à la grève des mineurs de 1984-85 en ignorant totalement les formidables mobilisations de 1979, les plus importantes depuis plus d'un demi-siècle. De même, elle ne fait nulle­ment référence au mouvement très important de 1987 en Italie, dans le secteur de l'école, alors que son organisation soeur, Battaglia Comunista, s'y trouvait en première ligne.

A quoi faut-il attribuer la cécité de la CWO, son incapacité à voir, ou plutôt à chercher à voir la réalité ? La CWO nous donne la ré­ponse (en attribuant cette démarche au CCI) : parce que cette réalité a démenti ses propres perspectives. En particulier, la CWO, comme le BIPR n'a jamais compris la question du cours historique.

Le BIPR et le cours historique

Le CCI, et la Revue Internationale notam­ment, a déjà consacré de nombreuses polé­miques avec le BIPR sur la question du cours historique ([18] [52]). Nous n'allons pas re­venir sur tout ce que nous avons écrit à ces occa­sions et qui constitue une critique de l'ab­sence de méthode avec laquelle le BIPR aborde la question de la phase historique dans laquelle prennent place les luttes ou­vrières de notre temps. En quelques mots, disons que le BIPR rejette la notion même de cours historique telle qu'elle avait été no­tamment développée au cours des années 1930 par la Fraction de Gauche du Parti communiste d'Italie. C'est parce qu'elle avait compris que le cours à la guerre et le cours aux affrontements de classe ne sont pas pa­rallèles mais s'excluent mutuellement que la fraction avait été capable de prévoir, dans une période de profonde contre-révolution, l'inéluctabilité de la seconde guerre mon­diale dès lors que le capitalisme, depuis 1929, connaissait une nouvelle crise ouverte de son économie.

Pour le BIPR : « le cycle d'accumulation qui a commencé après la seconde guerre mon­diale approche de sa fin. Le boom d'après guerre a depuis longtemps laissé la place à la crise économique globale. Une nouvelle fois la question de la guerre impérialiste ou de la révolution prolétarienne est placée à l'ordre du jour de l'histoire. » (Plate forme du BIPR de 1994) En même temps, il recon­naît aujourd'hui (ce n'était pas le cas à l'épo­que) qu'il y a eu une « réponse ouvrière massive à l'échelle internationale aux atta­ques de la crise capitaliste, à la fin des an­nées 60 et au début des années 70 » (« Perspectives de la CWO », Revolutionary Perspectives n° 5). Cependant, le BIPR s'est toujours refusé à admettre que si le capita­lisme n'avait pas été précipité vers une nou­velle guerre mondiale à partir de la fin des années 1960, cela était dû essentiellement au fait que la réponse apportée par la classe ouvrière dès les premières attaques de la crise faisaient la preuve que celle-ci n'était pas prête, contrairement aux années 1930 à se laisser embrigader dans un nouvel holo­causte. Ainsi, pour répondre à la question « pourquoi la guerre mondiale n'a-t-elle pas encore éclaté » alors que « au niveau ob­jectif sont présentes toutes les raisons pour le déclenchement d'une nouvelle guerre gé­néralisée », la revue théorique de Battaglia Comunista, Prometeo n° 11 (décembre 1987) commence par affirmer que « il est clair qu'aucune guerre ne pourra jamais être menée sans la disponibilité (au combat et dans la production de guerre) du prolé­tariat et de toutes les classes laborieuses. Il est évident que, sans un prolétariat consen­tant et embrigadé, aucune guerre ne serait possible. Il est évident, de même, qu'un prolétariat en pleine phase de reprise de la lutte de classe serait la démonstration du surgissement d'une contre-tendance précise, celle de l'antithèse à la guerre, celle de la marche vers la révolution socialiste. » C'est exactement de cette façon que le CCI pose le problème, mais c'est justement cette mé­thode qui était critiquée dans un autre article publié dans Battaglia Comunista n° 83 (mars 1987), et repris en anglais dans l'or­gane du BIPR Communist Review n° 5, inti­tulé « Le CCI et le cours historique : une méthode erronée ». Dans cet article on peut lire, entre autres choses, « la forme de la guerre, ses moyens techniques, son rythme, ses caractéristiques par rapport à l'ensem­ble de la population, ont beaucoup changé depuis 1939. Plus précisément, la guerre aujourd'hui nécessite moins de consensus ou de passivité de la part de la classe ouvrière que les guerres d'hier... l'engagement dans des actions de guerre est possible sans l'ac­cord du prolétariat ». Comprenne qui pour­ra. Ou plutôt on comprend que le BIPR ne comprend pas très bien de quoi il parle. La cohérence, en tout cas, n'est pas sa préoccu­pation première.

On peut d'ailleurs trouver une preuve de ce manque de cohérence dans la façon dont le BIPR a réagi à la crise qui allait aboutir à la guerre du Golfe, début 1991. Dans la ver­sion en anglais d'un appel adopté à cette oc­casion par le BIPR (la version en italien est différente !) on peut lire : « Nous devons combattre ses plans et préparatifs de guerre [de notre Etat]... Toutes les tentatives d'en­voyer de nouvelles forces doivent être com­battues par des grèves aux ports et aux aé­roports par exemple... nous appelons les ou­vriers britanniques du pétrole de la mer du Nord à développer leur lutte et à empêcher les patrons d'augmenter la production. Cette grève doit être étendue afin d'inclure tous les ouvriers du pétrole et tous les autres ou­vriers. » (Workers Voice n° 53) Si « l'engagement dans des actions de guerre est possible sans l'accord du prolétariat », à quoi rime ce type d'appel ? La CWO pour­rait-il nous l'expliquer ?

Pour revenir à l'article de Prometeo n° 11, celui qui commence par poser la question dans les mêmes termes que le CCI, nous pouvons y lire : « La tendance à la guerre avance d'un pas rapide mais le niveau de l'affrontement de classe, par contre, est ab­solument en dessous de ce qui serait néces­saire pour repousser les pesantes attaques lancées contre le prolétariat international ». Donc, pour le BIPR, ce n'est pas la lutte de classe qui permet de répondre à la question qu'il posait lui-même : « pourquoi la guerre mondiale n'a-t-elle pas encore éclaté ? ». Les réponses qu'il donne sont au nombre de deux :

- les alliances militaires ne sont pas encore suffisamment constituées et stabilisées ;

- les armements atomiques constituent un facteur de dissuasion pour la bourgeoisie du fait de la menace qu'ils représentent pour la survie de l'humanité ([19] [53]).

Dans la Revue Internationale n° 54, nous avons longuement répondu à ces « arguments ». Nous nous contenterons ici de rappeler que le deuxième constitue une concession incroyable pour des marxistes aux campagnes de la bourgeoisie sur le thème de l'armement atomique comme ga­rant de la paix mondiale. Quant au premier, il a été réfuté par le BIPR lui même lorsqu'il a écrit, au moment de l'éclatement de la guerre du Golfe : « la troisième guerre mondiale a commencé le 17 janvier » (BC de janvier 1991) alors que les alliances mili­taires qui avaient dominé la planète pendant près d'un demi-siècle venaient juste de dis­paraître. Il faut signaler que, par la suite, le BIPR est revenu sur cette analyse de l'immi­nence de la guerre. Par exemple, les pers­pectives de la CWO nous disent aujourd'hui que « une guerre à grande échelle entre les puissances impérialistes dominantes a été repoussée dans le temps ». Le problème, c'est que le BIPR a la fâcheuse habitude d'aligner les analyses contradictoires. Ce fai­sant, il peut ainsi se mettre hors de portée de la critique qu'il fait au CCI d'avoir maintenu la même analyse tout au long des années 1980. Mais cela n'est sûrement pas un signe de la supériorité de la méthode ou des pers­pectives du BIPR sur celles de notre organi­sation.

La CWO va probablement nous accuser en­core de dire des mensonges, comme elle le fait abondamment dans son article de polé­mique. Elle va peut être ouvrir le grand pa­rapluis de la « dialectique » pour affirmer que tout ce qu'elle dit (ou le BIPR) n'est nullement contradictoire. Avec le BIPR, la « dialectique » a bon dos : dans la méthode marxiste, elle n'a jamais signifié qu'on peut dire une chose et son contraire.

« Falsification ! » va crier la CWO. Alors, nous donnerons encore un autre exemple, non pas sur une question de second plan ou circonstancielle (pour laquelle les contra­dictions sont plus facilement pardonnables) mais sur une question essentielle : la contre-révolution qui s'est abattue sur la classe ou­vrière à la suite de l'échec de la vague révo­lutionnaire du premier après guerre est-elle terminée ?

On peut supposer que même si le BIPR n'est pas capable de donner une réponse claire et cohérente sur la question du cours historique – puisque la compréhension de cette ques­tion est apparamment au-dessus de ses for­ces ([20] [54]) – il peut quand même répondre à celle que nous venons de formuler.

Une telle réponse, pourtant essentielle, nous ne la trouvons ni dans la plate forme du BIPR de 1994 ni dans les « Perspectives » de la CWO de décembre 1996 où pourtant il serait essentiel qu'elle trouve place. Ceci-dit on trouve quand même des réponses dans d'autres textes :

- dans l'article de Revolutionary Perspectives n° 5 cité plus haut, la CWO semble dire que la contre-révolution n'est pas encore terminée puisqu'elle rejette l'idée du CCI suivant laquelle : « mai 1968 a mis fin à la contre-révolution » ;

- cette affirmation semble être dans la conti­nuité des thèses adoptées par le 5e congrès de Battaglia Comunista" de 1982 (voir Prometeo n° 7), même si les choses ne sont pas dites avec autant de clarté : « si le prolétariat aujourd'hui, confronté à la gravité de la crise et subissant les coups répétés des attaques bourgeoises, ne s'est pas encore montré capable de riposter, cela signifie simplement que le long travail de la contre-révolution mondiale est en­core actif dans les consciences ouvriè­res. »

Si on s'en tient à ces deux textes, on pourrait dire qu'il existe une certaine constance dans la vision du BIPR : le prolétariat n'est pas sorti de la contre-révolution. Le problème c'est qu'en 1987 on pouvait lire dans « Le CCI et le cours historique : une méthode er­ronée » (Communist Review n° 5) : « la pé­riode contre-révolutionnaire qui a suivi la défaite de la révolution d'octobre a pris fin » et « il ne manque pas de signes d'une reprise de la lutte de classe et on ne manque pas de les signaler. »

Ainsi, même sur une question aussi simple, il n'existe pas une position du BIPR mais plusieurs positions. Si on essaye de résumer ce qui ressort des différents textes publiés par les organisations constituant le BIPR, nous pouvons formuler ainsi son analyse :

- « les mouvements qui se sont développés en 68 en France, en 69 en Italie puis dans bien d'autres pays, sont essentiellement des révoltes de la petite-bourgeoisie » (position de Battaglia Comunista à cette époque) mais ils constituent néanmoins « une réponse ouvrière massive à l'échelle internationale aux attaques de la crise capitaliste » (CWO en décembre 1996) ;

- « le long travail de la contre-révolution est encore actif dans les consciences ouvriè­res » (BC en 1982), cependant « la période contre-révolutionnaire qui a suivi la dé­faite de la révolution d'octobre a pris fin » (BC en 1987), ce qui n'empêche pas que la période actuelle est sans conteste « une continuation de la domination capitaliste qui a régné, en étant seulement sporadi­quement contestée, depuis la fin de la va­gue révolutionnaire qui a suivi la première guerre mondiale » (CWO en 1988 dans une lettre envoyée au CBG publiée dans le n° 13 de son Bulletin) ;

- « à partir de 1976 [et jusqu'à aujourd'hui] la classe dominante... a été capable de restaurer une nouvelle fois la paix so­ciale » (CWO, décembre 1996) bien que « ces luttes [le mouvement des Cobas en 1987 dans l'éducation en Italie et les grè­ves en Grande-Bretagne de la même an­née] confirment le commencement d'une période marquée par l'accentuation des conflits de classe. » (BC n° 3 de mars 1988)

Evidemment, nous pourrions considérer que ces différentes positions contradictoires cor­respondent à des divergences existant entre la CWO et Battaglia Comunista. Mais il ne faut surtout pas dire une telle chose car c'est « une calomnie » du CCI qui est invité à « la fermer » lorsqu'il avance cette idée (« Sectes, mensonges et la perspective per­due du CCI », note n° 1). Puisqu'il n'existe pas de désaccord entre les deux organisa­tions, il faut alors en conclure que c'est dans la tête de chaque militant du BIPR que co­habitent des positions contradictoires. Nous nous en doutions un peu, mais la CWO a l'obligeance de nous le confirmer.

Sérieusement, est-ce que toutes ces contra­dictions ne font pas réfléchir les militants du BIPR ? Ces camarades sont par ailleurs ca­pables d'avoir une pensée cohérente. Comment se fait-il que lorsqu'ils essaient de développer leurs analyses de la période on arrive à une telle bouillie ? N'est-ce pas jus­tement parce le cadre qu'ils se sont donnés n'est pas adéquat, qu'il prend des distances, au nom de la « dialectique », avec la rigueur marxiste pour sombrer dans l'empirisme et l'immédiatisme, comme nous l'avons déjà mis en évidence dans d'autres articles de polémique ?

Aux difficultés qu'éprouve le BIPR pour apréhender de façon claire et cohérente l'état actuel de la lutte de classe, il existe une au­tre cause : une analyse confuse de la ques­tion syndicale, qui ne lui permet pas de comprendre, par exemple, toute l'importance du phénomène qu'on a connu tout au long des années 1980 de discrédit croissant des syndicats. Nous reviendrons sur cette ques­tion dans un prochain article.

Pour le moment, nous pouvons déjà répon­dre à la CWO : ce n'est pas à cause de ses analyses sur la période historique actuelle et sur le niveau de la lutte de classe que le CCI a connu la crise dont nous avons parlé dans notre presse. Pour une organisation révolu­tionnaire, il peut exister, contrairement à ce que pense la CWO qui fait toujours le même diagnostic depuis 1981, d'autres facteurs de crise, et particulièrement les questions or­ganisationnelles. C'est bien ce que nous a montré, parmi beaucoup d'autres exemples, la crise qu'a connu le POSDR à la suite de son 2e Congrès de 1903. Cependant, nous nous permettrons de mettre fraternellement en garde la CWO (et le BIPR) : si une ana­lyse erronée de la situation historique consti­tue pour elle le seul, ou même le principal, facteur de crise (peut-être est-ce le cas dans sa propres expérience), alors il convient qu'elle soit particulièrement vigilante car avec la montagne d'incohérences que con­tient sa propre analyse, elle court un grand danger.

Ce n'est certainement pas notre souhait. Notre souhait le plus sincère serait que la CWO et le BIPR rompent une fois pour tou­tes avec leur empirisme et leur immédia­tisme et reprennent à leur compte les meilleures traditions de la Gauche commu­niste et du marxisme.

Fabienne



[1] [55]. Voir notamment notre article sur le 11e Congrès du CCI dans la Revue Internationale n° 82.

 

[2] [56]. Ibidem

 

[3] [57]. Il faut signaler quand même à l'adresse de la CWO qu'il serait préférable, si elle veut aborder la question des difficultés qu'à rencontrées le CCI, qu'elle commence par examiner sérieusement l'analyse que notre organisation en a donnée et non à partir de ses propres postulats. L'analyse par le CCI de sa crise organisationnelle a été publiée dans sa presse et si la CWO estime qu'elle en sait plus que le CCI lui-même sur cette crise il lui appartient au moins de démontrer (si toutefois elle peut le faire) en quoi cette analyse est erronée ou inconsistante.

 

[4] [58]. Revue Internationale n° 20, « Années 80 : les années de vérité », décembre 1979.

 

[5] [59]. « Résolution sur la situation internationale » du 5e Congrès du CCI, 2 juillet 1983, Revue Internationale n° 35.

 

[6] [60]. Voir à ce propos notre article « Belgique-Hollande, crise et lutte de classe » dans la Revue Internationale n° 38.

 

[7] [61]. Pour un tableau des caractéristiques et de l'am­pleur de ces luttes, voir notre article « Simultanéité des grèves ouvrières : quelles perspectives ? » dans la Revue Internationale n° 38.

 

[8] [62]. « Résolution sur la situation internatio­nale » adoptée par le 6e Congrès du CCI, Revue Internationale n° 44.

 

[9] [63]. Voir à ce sujet notre article « Les manoeuvres bourgeoises contre l'unification de la lutte de classe », Revue Internationale n° 58.

 

[10] [64]. Voir à ce sujet notre article « France, les "coordinations" à l'avant-garde du sabotage des luttes », Revue Internationale n°56.

 

[11] [65]. « Résolution sur la situation in­ternationale » du 8e Congrès du CCI, Revue Internationale n° 59

 

[12] [66]. « Présentation de la résolution sur la situation internationale », Revue Internationale n° 59

 

[13] [67]. Voir les « Thèses sur la crise économique et politique en URSS et dans les pays de l'Est », dans la Revue Internationale n° 60.

 

[14] [68]. Titre d'un article de novembre 1989 dans la Revue Internationale n° 60.

 

[15] [69]. « Thèses », point 22. Bien que depuis l'automne 1989 nous ayons annoncé le recul qu'allait subir la conscience de classe, ce qui s'est amplement confirmée depuis et que nous avons régulièrement souligné dans notre presse, la CWO se permet d'écrire, dans la réponse à un lecteur : « Il [le CCI] continue de croire, contre toute évidence, que nous sommes dans une période de haute con­science de classe. Tout ce que les révolutionnaires ont à faire est de démystifier les travailleurs sur les syndicats et le chemin de la révolution sera ou­vert. » Lorsqu'on falsifie la pensée de son détracteur ou qu'on en fait une caricature, c'est évidemment plus facile de la réfuter, mais cela ne fait pas avancer beaucoup le débat.

 

[16] [70]. Pour une présentation de notre analyse de la dé­composition, voir « La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme », Revue Internationale n° 62).

 

[17] [71]. « Perspectives de la CWO » adoptées par la réunion générale annuelle de cette organisation en décembre 1996, Revolutionary Perspectives n° 5.

 

[18] [72]. Revue intenationale n° 36, 41, 50, 54, 55, 59, 72.

 

[19] [73]. Pour enfoncer le clou, Battaglia va même jusqu'à écrire : « "Le jour après la signature de l'accord sur le non emploi des armes nucléaires, la guerre sera déclarée" est une boutade désormais classique en­tre nous et qui a tout le goût de la vérité » (BC n° 4, avril 86) Comme si la bourgeoisie était une classe « fair play » qui respecte ses engagements et les bouts de papier qu'elle signe !

 

[20] [74]. C'est bien le constat qu'il fait dans l'article « Le CCI et le cours historique : une méthode erronée » en rejetant toute possibilité de définir le cours historique : « En ce qui concerne le problème que le CCI nous pose, de devenir les prophètes exacts du futur, la difficulté est que la subjectivité ne suit pas mécaniquement les mouvements objectifs... Personne ne peut croire que la maturaton de la conscience... puisse être déterminée de manière rigide à partir de données observables et mises dans un rapport rationnel ». Evidemment, nous ne demandons pas que les révolutionnaires soient des « prophètes exacts du futur » ou qu'ils « déterminent la conscience de manière rigide », mais tout simplement qu'ils répondent à la question : « les luttes qui se sont développées depuis 1968 étaient-elles ou non un signe que le prolétariat n'était pas prêt à se laisser enrôler dans une troisième guerre mondiale ? » En altérant la formulation de la question, le BIPR démontre soit qu'il ne l'a pas comprise, soit qu'il n'est pas capable d'y répondre.

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [75]
  • Communist Workers Organisation [76]

Approfondir: 

  • Polémique dans le milieu politique : sur le cours historique [77]

Questions théoriques: 

  • Le cours historique [78]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La décadence du capitalisme [79]

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