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ICCOnline - novembre 2022

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Permanence en ligne du 12 novembre 2022

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Le Courant Communiste International organise une permanence en ligne le samedi 12 novembre 2022 à partir de 14h.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs, contacts et sympathisants à venir y débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue. N'hésitez pas à nous faire part des questions que vous souhaiteriez aborder.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [1]) ou dans la rubrique “nous contacter” de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder, afin de nous permettre d’organiser au mieux les débats.
Les modalités techniques pour se connecter à la permanence seront communiquées ultérieurement.

Vie du CCI: 

  • Permanences [2]

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Permanences

La crise du parti Tory exprime l’impasse de l’ensemble de la classe dominante

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La démission de Liz Truss après 44 jours comme Première ministre n’est que le dernier volet d’une séquence d’événements chaotiques sans précédents dans la politique britannique depuis le référendum sur le Brexit en 2016 et rien n’indique que les choses vont se stabiliser miraculeusement dans une sorte de retour à la normalité constitutionnelle. Au moment où nous écrivons, une nouvelle bataille pour la direction est en cours : Rishi Sunik semble être le favori mais le retour de Boris Johnson est également une possibilité, ce qui est la claire expression d’un parti à court d’option et qui pourrait être au bord d’une division historique.

Mais la crise du parti tory est en réalité l’expression d’une crise politique bien plus profonde au sein de l’ensemble de la classe dominante et d’un système en décomposition dans lequel la bourgeoisie, de manière générale, perd de plus en plus le contrôle sur sa propre vie politique.

44 jours de pagaille politique

Truss est devenue Première ministre le 6 septembre et a écarté des postes ministériels toutes les personnes qui s’étaient opposées à elle dans l’élection pour la direction du parti contre Rishi Sunik. Le 23 septembre, Kwasi Kwarteng avait annoncé une série de baisse d’impôts qui n’avait pas été chiffrée ou mandatée par le Bureau pour la Responsabilité budgétaire. Cela a eu immédiatement un impact considérable sur la valeur de la livre, comme sur les taux d’intérêts, les fonds de pension, les obligations d’État et sur la disponibilité des prêts hypothécaires. À la conférence du parti tory début octobre, Truss a étiqueté tous les opposants à sa politique économique comme membres d’une coalition anti-croissance, comme s’il y avait des factions de la classe dominante qui n’avaient pas d’intérêt à l’accumulation du capital et au renforcement de l’économie nationale, alors qu’il n’y a que des désaccords au sein de la bourgeoisie sur les moyens d’y parvenir.

Le 14 octobre, Kwarteng avait dû quitter une réunion du FMI aux États-Unis afin d’être limogé (pour avoir exécuté ce qui avait été décidé avec Truss) et était remplacé par Jeremy Hunt comme Chancelier de l’Échiquier. Le 17 octobre, Hunt a annoncé l’abandon de presque toutes les mesures du mini-budget de Truss. Un plan de 45 milliards de livres de baisse d’impôts non financé a subi une amputation de 32 milliards et, au nom de la stabilité et de l’équilibrage des comptes, il y aura une réduction drastique des dépenses. Le plafonnement des prix de l’énergie prévu initialement sur deux ans durera seulement jusqu’à avril prochain et il n’a été trouvé seulement que la moitié des 70 milliards pour combler le trou noir fiscal.

Il est certain que le gouvernement Truss a démontré une incompétence particulière dans le fait de ne pas comprendre quels seraient les effets de sa politique. Mais les racines historiques et le contexte global qui président à la crise économique et politique qui secoue le capitalisme britannique, vont au-delà de l’inaptitude d’une administration particulière.

Décomposition sociale et perte de contrôle politique

Historiquement, la bourgeoisie britannique a toujours été capable de faire les ajustements appropriés dans son appareil politique pour faire face à toutes les situations, que ce soit au niveau économique, impérialiste ou dans son rapport à la lutte de classe. Les trois dernières décennies de décomposition sociale ont montré à quel point la bourgeoisie a progressivement perdu le contrôle de son appareil politique, notamment en raison de l’influence grandissante du populisme dans l’une de ses principales composantes. Cela est devenu évident en 2016 avec la maladresse de Cameron consistant en la tenue d’un référendum sur l’appartenance à l’Union européenne, dans une tentative avortée de contrecarrer l’influence du populisme, notamment celle du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) au sein du parti conservateur.

Depuis la décision du Brexit, nous avons eu droit à May et les négociations sur le départ de l’Union européenne puis à Johnson et son « Getting Brexit done », lequel signifiait accepter un accord dont il devint rapidement évident qu’il serait contesté. Le départ de Johnson fut précipité car sous-entendant qu’il avait été victime d’un coup de poignard dans le dos ; il y a pourtant de nombreux membres du parti tory qui sont toujours ouvertement en faveur d’un retour de Boris Johnson au pouvoir.

Le choix de Liz Truss, émergeant d’un nombre limité de candidats tous entachés par leur implication dans le gouvernement Johnson, aurait pu signifier une rupture avec la surenchère populiste. Mais il a été marqué par l’adoption de fantasmes hérités des principes libéraux thatcheriens qui ont ensuite terni l’image des tories comme gestionnaires responsables de l’économie britannique. L’un des seuls points sur lequel il y a eu continuité entre Johnson et Truss a été leur capacité à changer complètement de position sans aucun scrupule.

Une crise économique de longue date

Truss et avant elle Johnson, ont rendu l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février responsable de la hausse de l’inflation, et plus particulièrement de l’augmentation des coûts énergétiques. Pourtant, les entreprises du secteur de l’énergie faisaient déjà faillite à la fin de l’année 2021, et l’inflation au Royaume-Uni (dont la hausse est actuellement plus rapide que celle de n’importe quel pays du G7) décollait déjà au cours de la même année et avait atteint 5,4 % à la fin du mois de décembre avant de passer ensuite à une inflation à deux chiffres (la hausse de la plupart des produits alimentaires étant nettement plus élevée). Il s’agit du taux le plus élevé depuis 1982, et cette augmentation devrait se poursuivre selon toutes les prévisions. En ce qui concerne plus particulièrement les coûts de l’énergie, les prix de l’électricité ont augmenté de 54 % et ceux du gaz de 95,7 % de janvier à septembre.

Mais la crise économique du capitalisme britannique n’est pas seulement le produit de la guerre, de la pandémie ou du Brexit. En réalité, la suprématie économique de la Grande-Bretagne dans le monde était déjà remise en question par des puissances montantes comme les États-Unis et l’Allemagne à la fin du XIXe siècle, et les décennies qui ont suivi la Première Guerre mondiale ont été l’histoire de la descente continue de la Grande-Bretagne vers le statut de puissance de troisième ordre. Cette longue descente s’est accélérée dans la phase finale de la décadence du capitalisme : la montée du populisme et le fiasco du Brexit sont un produit évident de cette phase, et s’ils sont certainement un facteur accélérateur dans la tourmente économique et politique du Royaume-Uni, ils n’en sont pas la cause sous-jacente, qui ne peut être recherchée que dans les contradictions insolubles du capitalisme en tant que système mondial.

Il est important de comprendre cela, car il s’agit d’un avertissement pour la classe ouvrière : un changement d’équipe au pouvoir n’éliminera pas la menace croissante de paupérisation. Les choix faits par les différentes équipes au pouvoir ne représentent aucune alternative de moindre mal. Comme le dit la résolution sur la situation internationale du 24e Congrès du CCI : « [les] changements de politique ne peuvent empêcher l’économie mondiale d’osciller entre le double danger de l’inflation et de la déflation, de nouvelles crises du crédit et des crises monétaires ouvrant toutes sur des récessions brutales ».

Alors que Truss voulait initialement s’attaquer à « l’orthodoxie de la politique du budget public », ce qui a conduit à des paniques sur les marchés financiers, à des augmentations massives de la dette, à une pression sur l’inflation et à des attaques contre les conditions de vie de la classe ouvrière, l’adhésion de Hunt à cette même orthodoxie, dans la dernière des nombreuses volte-faces du gouvernement, signifie la réaffirmation d’un régime d’austérité, sans la prétention d’un « ruissellement » de la richesse. Cela impliquera des réductions des dépenses publiques et des augmentations d’impôts. En bref, de nouvelles attaques contre les conditions de vie des prolétaires.

En l’état actuel des choses, la politique budgétaire signifie une réduction des dépenses publiques, tandis que la Banque d’Angleterre, après avoir essayé de faire face à l’incurie du gouvernement, tentera encore de limiter l’inflation, ce que les commentateurs désignent comme la voie vers une récession plus profonde et plus prolongée.

Des fissures dans le Royaume « Uni »

Un autre domaine dans lequel il y a eu une continuité est celui qui a consisté à renforcer le SNP (Parti National Écossais) en le présentant ainsi que son projet d’indépendance de l’Écosse comme des possibilités viables. En effet, contrairement aux gouvernements Johnson et Truss, le SNP en Écosse s’est comporté dans les limites normales de la respectabilité bourgeoise, toujours prêt à blâmer Londres pour sa gestion des problèmes économiques ou son incurie face à la pandémie. L’éclatement du Royaume-Uni semblait autrefois un doux rêve de nationalistes excentriques, mais le SNP est désormais en mesure de présenter l’indépendance (et le retour dans l’Union européenne) comme une alternative séduisante à la domination des populistes et des extrémistes anglais.

Dans le même temps, la question du statut de l’Irlande du Nord n’est pas résolue, l’accord final du Brexit laissant la bourgeoisie britannique coincée entre le Protocole sur l’Irlande du Nord et l’accord du Vendredi Saint. (1) Le Parti unioniste démocrate (DUP) s’est retranché obstinément derrière le Protocole sur l’Irlande du Nord, mais le gouvernement britannique n’aura pas d’autre choix que de convoquer de nouvelles élections si le DUP ne revient pas à un partage du pouvoir avant le 28 octobre. Le DUP ayant été devancé par le Sinn Fein lors des dernières élections législatives en mai en tant que premier parti régional, il pourrait être réticent à répéter l’expérience. Entre-temps, l’Union européenne et les États-Unis font pression sur la Grande-Bretagne pour qu’elle ne fasse rien qui puisse perturber la situation fragile actuelle en Irlande du Nord.

Avec la guerre en Ukraine, l’impérialisme britannique demeure le plus grand soutien de Zelensky en Europe, tant sur le plan de la fourniture d’armes que sur celui de la rhétorique. Cela représente une charge pour les finances britanniques, et l’engagement précédent de Truss d’augmenter de manière significative le budget de la défense ne sera pas nécessairement maintenu, bien qu’il faille toujours se rappeler que le militarisme est au cœur de la survie du capital national, et que la guerre n’est plus un facteur rationnel en termes de gains économiques ou même stratégiques.

La bourgeoisie britannique fait face à une classe ouvrière combative

Sur un autre front, la bourgeoisie britannique doit faire face aux luttes de la classe ouvrière. Les luttes de l’été ne se sont pas éteintes avec l’arrivée de l’automne et si, pour l’instant, le contrôle des syndicats en limite l’ampleur, celles-ci représentent déjà une rupture avec des années de passivité et pourraient bien se développer. En réponse, le gouvernement a parlé de renforcer la législation contre les grèves et les manifestations. Toutes les factions bourgeoises utiliseront la répression sous une forme ou une autre, mais la tentative de faire passer des mesures politiques et économiques provocatrices à un moment où la lutte des classes se développe est une autre expression de l’incompétence particulière du gouvernement Truss. D’autre part, malgré cette perte de contrôle croissante de l’appareil politique par la bourgeoisie, il ne faudrait pas sous-estimer la capacité des différentes factions à répondre aux développements de la lutte de classe, notamment par une division du travail entre un gouvernement « dur » et des syndicats aux accents de plus en plus radicaux. Dans le même temps, les partis d’opposition, menés par les travaillistes, redoublent leurs appels à des élections générales, ce qui est un autre moyen éprouvé de saboter la lutte de classe.

Cependant, les conditions objectives de l’aggravation du conflit de classe mûrissent chaque jour. Le capitalisme ne peut éviter de s’attaquer aux conditions de vie et de travail de la classe exploitée, que ce soit sous la forme de l’inflation et de la hausse amplifiée du coût de la vie, ou de la réduction des dépenses publiques, ce qui, dans la pratique, signifie des attaques contre les allocations, les retraites et les services de tout organisme financé par l’État, des services de santé à l’éducation en passant par le logement et les transports publics. La bourgeoisie n’a rien d’autre à offrir que l’austérité et aucun parti d’opposition ne peut représenter une alternative à cela malgré les promesses des travaillistes et du Parti nationaliste écossais.

Dans la défense de ses conditions de vie contre les attaques grandissantes, la classe ouvrière n’a rien à gagner dans les divisions croissantes qui touchent son ennemi de classe : à ce niveau du conflit de classe, il est plus probable que ces dernières soient utilisées pour renforcer les divisions au sein-même de la classe ouvrière (la lutte entre supporters et opposants au Brexit, les soi-disant « guerres de cultures » ont précisément cet impact négatif sur la conscience que les ouvriers ont d’eux-mêmes en tant que classe avec des intérêts communs). Le développement de la lutte de classe dépendra de la capacité des prolétaires de commencer à comprendre qu’il n’y a plus rien dans le capitalisme qui puisse être sauvé et que leur résistance doit se développer dans la perspective de renverser ce système à l’agonie.

Car, 22 octobre 2022

 

1 Signé en 1998, l’accord du Vendredi Saint a mis fin aux trente années de violences qui firent des milliers de morts en Irlande du Nord (NdT).

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Crise politique au Royaume-Uni

Le mythe de la neutralité et du non-alignement percé à jour

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La vitesse avec laquelle la Suède et la Finlande ont rejoint l’OTAN est un signe clair du développement rapide de la militarisation en Europe du Nord après l’invasion de l’Ukraine en février dernier. Ce processus, initié par la Finlande, a conduit le gouvernement suédois à un changement de cap historique, abandonnant une politique de non-alignement vieille de plus de 200 ans qui datait de la fin des guerres napoléoniennes. Cette politique, de même que la « neutralité » officielle de la Suède, n’a en effet jamais été qu’un écran de fumée destiné à dissimuler son affiliation de longue date au bloc occidental depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Le déroulement rapide des événements après l’invasion de l’Ukraine par la Russie a conduit à une grave intensification de la propagande militariste dans les deux pays, inédite dans leur histoire contemporaine. Le mythe des pays nordiques « pacifiques » est clairement percé à jour, et l’OTAN en profitera pour renforcer son flanc nord, ce qui aura pour effet d’étendre l’encerclement de la Russie et ne pourra que conduire à une nouvelle aggravation des conflits impérialistes en Europe.

La Finlande, une « neutralité » forcée contrôlée par la Russie soviétique

La Finlande, qui partage une large frontière avec la Russie (à peu près la même distance qu’entre Lübeck et Monaco), a une toute autre expérience de la « neutralité » que la Suède. Après que la Suède ait perdu la Finlande au profit de la Russie, la Finlande est devenue un grand-duché et faisait partie de la Russie tsariste en 1809, et ce jusqu’en 1917. Les luttes révolutionnaires en Finlande en 1917-1918, qui ont pris la forme d’une guerre civile entre le camp révolutionnaire et les Blancs, ont été écrasées avec l’aide de l’armée allemande. En raison de l’invasion par la Russie en 1939 et de la « guerre d’Hiver » de 1939-40, mais aussi de la guerre contre la Russie aux côtés de l’Allemagne jusqu’à la défaite en 1944, la Finlande a dû se soumettre à de lourdes réparations de guerre à partir de cette même période Cela signifie que la Finlande a été contrainte, après la Seconde Guerre mondiale, d’entretenir une « relation particulière » avec la Russie soviétique et de pratiquer une politique de « neutralité » forcée qui a duré près de cinquante ans, jusqu’à la chute de l’ancien bloc de l’Est. La Finlande était un pays où l’URSS exerçait un important contrôle sans avoir recours à la puissance militaire, comme c’était le cas dans les pays baltes. La politique de « finlandisation » permettait à l’URSS d’avoir le dernier mot lors de l’élection des gouvernements et des présidents, bien que la Finlande ait officiellement une démocratie à l’occidentale.

La Suède : 200 cents ans de « neutralité » et de non-alignement ?

La perte de la Finlande au profit de la Russie en 1809 (considérée comme « la moitié est du Royaume de Suède » depuis le début du Moyen Âge) a porté le coup final aux ambitions de la Suède qui souhaitait maintenir son ancien statut de grande puissance locale. Durant le XVIIIe siècle, la Suède a peu à peu perdu ses anciennes possessions autour de la mer Baltique, et le nouveau roi en place, le général français Jean-Baptiste Bernadotte, a déclaré en 1818 que la Suède, afin de maintenir la paix avec la Russie, devrait rester « neutre » et éviter de contracter des alliances avec d’autres puissances Européennes.

Cette politique de « neutralité » a été rigoureusement appliquée au cours des deux guerres mondiales, même si la majeure partie de la bourgeoisie avait clairement sa préférence pour le camp allemand. Cela a permis le transport de troupes allemandes au travers du pays jusqu’au nord de la Norvège et jusqu’au nord de la Finlande durant les premières années de la Deuxième Guerre mondiale. Lorsque la guerre éclata en Finlande, la Suède soutint son voisin en lui envoyant de la nourriture, des munitions, des armes et des médicaments. Ce n’est que vers le milieu de la guerre, après Stalingrad, que la bourgeoisie suédoise a effectué un virage « opportuniste » et a commencé à soutenir le camp des Alliés.

Alors que les secteurs traditionnels de la bourgeoisie suédoise entretenaient des rapports étroits avec l’Allemagne, les sociaux démocrates, de plus en plus influents grâce à leur hégémonie au pouvoir entre 1933 et 1976, développèrent de forts liens avec les États-Unis et la Grande-Bretagne après la Seconde Guerre mondiale. La politique de « neutralité » signifiait désormais que la Suède (sans le reconnaître officiellement) aidait l’OTAN et le bloc de l’Ouest dans leurs opérations de renseignement à l’encontre de l’Union Soviétique au cours des années 1950 et 1960. Ce n’est qu’au début des années 2000 que ce « secret d’État » a été révélé, bien après la chute du bloc de l’Est.

Le rôle de la Suède dans les années 1960 et 1970, au plus fort de la guerre froide, peut être illustré par le rôle qu’a joué Olof Palme et son éloquente critique de la politique américaine au Vietnam. Le fait d’être un « allié essentiel » des États-Unis était un atout important pour le bloc de l’Ouest, puisque la prétendue neutralité de la Suède pouvait être utilisée afin d’influencer d’anciennes colonies qui risquaient de basculer dans la sphère du bloc de l’Est.

Après la chute du bloc de l’Est, la Suède a réorganisé ses forces militaires et aboli le service militaire obligatoire pendant plus de deux décennies, seulement pour le réinstaurer en 2017. Avec la menace croissante de la Russie au cours de la dernière décennie, la Suède et la Finlande ont développé une affiliation militaire avec les pays de l’OTAN appelée « Partenariat pour la paix », et des discussions ont eu lieu sur une éventuelle collaboration militaire entre la Finlande et la Suède, mais la question de l’adhésion directe à l’OTAN n’était pas inscrite politiquement à l’ordre du jour des deux pays jusqu’à l’invasion de l’Ukraine.

En moins de deux mois, les sociaux-démocrates suédois ont abandonné la politique de « neutralité » et de non-alignement en dépit des fortes critiques au sein même du parti. Alors que la question de l’alignement avec l’OTAN ne figurait pas à l’ordre du jour politique et n’était défendue ouvertement que par une minorité des partis au Parlement, à savoir le Parti libéral, après l’invasion de l’Ukraine, une forte majorité du Parlement suédois a proclamé son soutien au « processus de l’OTAN ». La question de l’OTAN n’a même pas été abordée lors des campagnes électorales suédoises de cette année. Après les élections, la situation n’a pas changé. Les sociaux-démocrates ont été remplacés par une coalition de droite, dans laquelle les démocrates suédois d’extrême-droite joueront un rôle non négligeable. Mais bien que ce parti ait un passé de prises de position et de connexions pro-russes, il a modifié sa position sur l’OTAN au cours du printemps. Le seul parti ouvertement opposé à l’adhésion à l’OTAN est le parti de gauche, l’ancien parti communiste.

De même, lorsque la Première ministre finlandaise Sanna Marin a déclaré que la Finlande devait adhérer à l’OTAN, cela constituait également une rupture totale avec la politique de « neutralité » et avec l’ancienne soumission à son voisin russe pendant la guerre froide.

Rejoindre l’OTAN ne signifie pas « paix et protection » mais un chaos militaire grandissant

Aujourd’hui, le renforcement de l’OTAN sur son flanc nord contient le risque d’une escalade d’un conflit militaire en Europe du nord. Il s’agit d’un autre exemple de la politique à long terme des États-Unis visant à imposer son ordre mondial en encerclant ses principaux rivaux impérialistes, une stratégie qui crée, en réalité, un chaos plus grand, comme l’ont montré les guerres en Afghanistan, en Irak et en Ukraine. Le principal argument en faveur de l’alignement avec l’OTAN a été de « maintenir la paix et la sécurité » et d’attiser ainsi une peur séculaire de la Russie, l’ennemi juré historique des pays scandinaves.

La déclaration de la ministre suédoise des affaires étrangères, Ann Linde, selon laquelle l’adhésion à l’OTAN serait une manière « d’éviter les conflits » et permettrait d’instaurer une situation plus paisible et plus sereine en Europe, est manifestement fausse. Le renforcement de l’OTAN sur son flanc nord signifiera avant tout un renforcement des États-Unis par la mise en place d’un gigantesque bouclier contre la Russie dans les États nordiques et baltes. L’alignement avec l’OTAN et son augmentation obligatoire des budgets militaires à 2 % du PIB (ce qui signifie un renforcement de l’industrie militaire suédoise, Bofors et SAAB) entraînera une instabilité et une insécurité accrues pour la classe ouvrière ainsi que pour l’ensemble de la population. Avec sa tactique hypocrite consistant à apparaître comme « défenseur de la paix » tout en attisant les flammes de la guerre et du chaos, ce revirement stratégique des classes dirigeantes suédoises et finlandaises est un signe clair de l’escalade de la situation en quelques mois seulement.

La militarisation accrue de la société dans les pays Scandinaves (illustrée ce printemps par l’ancienne Première ministre suédoise Magdalena Andersson posant avec un casque dans un char d’assaut lors d’une opération conjointe dirigée par l’OTAN dans le nord) ne conduira qu’à davantage de déstabilisation et de destruction.

Edvin, 19 octobre 2022

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Intégration de la Suède et de la Finlande à l’OTAN

Appel à la “sobriété énergétique”: L’État bourgeois fait payer la crise au prolétariat!

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« On doit tous se bouger » ! « Il va falloir transformer durablement nos habitudes et nos comportements », « résister », « accepter de payer le prix de notre liberté et de nos valeurs », accepter « la fin de l’abondance ». Voilà ce que clame Macron depuis près de deux mois pour justifier d’éventuelles pénuries causées par « l’absence de gaz russe ». Mais rassurons-nous, pour « résister », le gouvernement a tout prévu : il suffit de baisser le chauffage, de couper la wifi, d’éteindre les lumières quand on est absent (d’après le sage conseil d’Olivier Veran, porte-parole du gouvernement…), de porter des pulls à col roulé (selon Bruno Le Maire, le ministre de l’économie et des finances) ou encore de mettre un couvercle pour faire bouillir plus vite l’eau des pâtes… Et pour mieux nous montrer la voie, le château de Versailles, la pyramide du Louvre et la tour Eiffel s’éteindront plus tôt le soir. Ouf, nous voilà sauvés !

On croirait le début d’un sketch humoristique, mais non : il s’agit bien du discours proféré sur toutes les chaînes de télévision et de radio par les principaux représentants de l’État. La société s’auto-détruit, les catastrophes écologiques s’enchaînent, le chaos guerrier s’amplifie, la pauvreté ne cesse d’augmenter, les prix de s’envoler… mais en participant activement au plan de sobriété énergétique de l’État, en faisant chacun de « petits efforts » tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes.

La mystification de l’État « providentiel »

La réalité de toute cette propagande ridicule, c’est une attaque idéologique bien plus sournoise, menée aussi bien par le gouvernement que par tous les partis bourgeois de gauche et écologistes. L’État profite, en effet, de l’atomisation des prolétaires pour développer tout un catéchisme citoyen afin d’accompagner idéologiquement et faire accepter les effets de la crise économique, préparer les esprits à des attaques à venir encore plus brutales, comme la loi sur l’assurance chômage ou celle sur les retraites qui ne visent ni plus ni moins qu’à diminuer le montant des pensions et augmenter le temps de travail. Dans un contexte où la colère reste toujours forte, où la lutte du prolétariat au Royaume-Uni peut trouver des résonances dans d’autres pays comme en France, la bourgeoisie reste sur ses gardes. Par exemple, à travers le fameux « bouclier énergétique » permettant de plafonner le prix de l’énergie, l’État français se présente comme le bon samaritain soucieux du sort des plus démunis au nom de la « solidarité nationale » face à la guerre et d’une prétendue préservation de l’environnement ! Il faut « être au rendez-vous de la solidarité et de la sobriété », martèle le président. Le discours est d’autant plus efficace qu’il joue sur les craintes légitimes : celle de la pénurie, de l’accélération de la crise écologique, des coupures d’électricité, de la crise économique et de la guerre. Au fond, il s’agit d’inculquer aux ouvriers qu’ils doivent soutenir l’État démocratique dans sa prétendue quête de justice, de paix et de préservation de l’environnement, y compris au travers de sacrifices pour la guerre et l’économie de guerre. Cela a d’ailleurs toujours été la logique de la bourgeoisie. Churchill en 1940 n’avait rien d’autre à offrir à la classe ouvrière britannique que « du sang, du labeur, des larmes et de la sueur ». Macron, lui, n’a à offrir que la « fin de l’abondance » et des sacrifices afin de venir, prétendument, en aide « aux plus fragiles » dont le nombre ne cesse d’augmenter.

Ces flots de mensonges déversés par l’ensemble de la bourgeoisie (partis politiques, médias aux ordres, patronat, syndicats…) ne visent qu’à faire croire que l’État est l’instrument de « l’intérêt commun », un organisme au-dessus des classes et de leurs petits intérêts particuliers. Autrement dit, un « État providentiel » ! En réalité, cet organe apparu en relation avec le développement des sociétés de classes, est toujours au service de la classe dominante ! Comme l’affirmait Engels dans l’Anti-Dühring : « l’État moderne, quelle qu’en soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste : l’État des capitalistes, le capitaliste collectif idéal. Plus il fait passer de forces productives dans sa propriété, et plus il devient capitaliste collectif en fait, plus il exploite de citoyens. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste n’est pas supprimé, il est au contraire poussé à son comble ». C’est bien l’État capitaliste, qu’il soit patron ou non, qui a contribué à la dégradation de nos salaires et de nos conditions de vie, qui a renforcé l’exploitation des ouvriers depuis des décennies !

Culpabiliser les individus pour mieux dédouaner le capitalisme

De plus, par des slogans tels que « chacun a son rôle à jouer », « la solution est dans notre main », le gouvernement rend chaque ouvrier responsable de la « sur-consommation » énergétique et de la destruction de la planète. Il appelle à se sacrifier et faire de son mieux pour l’effort national en nourrissant un sentiment de culpabilité. La bourgeoisie ne se privera d’ailleurs pas d’expliquer, lorsque les attaques deviendront plus insupportables encore, que tout est de la faute des « égoïstes » qui n’ont pas « joué le jeu ». Alors qu’en réalité la prédation et l’accaparement frénétique des ressources sont essentiellement à mettre sur le compte d’un complexe industriel de l’industrie lourde au service de la machine de guerre, de l’agriculture intensive, du pillage des terres rares et des forêts, de l’anarchie de la production, etc., c’est-à-dire un système qui ne peut exister sans la recherche constante du profit et de l’accumulation.

La fameuse « sobriété » est, en effet, uniquement au service des besoins et des intérêts de la classe dominante, elle n’est rien d’autre que l’une des conséquences du développement de l’économie de guerre et prend la forme d’une véritable insulte pour tous les exploités connaissant les situations de précarité les plus extrêmes et vivant au quotidien, dans leur chair, la « sobriété » des conditions d’existence imposée par l’exploitation de la force de travail par le capitalisme à la surface du monde.

Car tandis que le budget de la Défense explose (en augmentation de 3 milliards d’euros par an entre 2022 et 2025) manifestant par là les velléités toujours plus guerrières de tous les États qui alimentent une concurrence sauvage, les ouvriers doivent se serrer encore plus la ceinture et en subir les conséquences : inflation galopante, pénuries à venir, système de soins à l’agonie, système éducatif à bout de souffle, précarisation des contrats de travail, réforme des retraites à venir, etc. Quelle indécence que d’exiger de « baisser la température dans les foyers » quand une partie toujours plus croissante de la population vie dans des logements mal isolés, quand le prix de l’énergie est tel que des millions de personnes peuvent déjà difficilement se chauffer, alors que des millions d’autres sombrent chaque jour un peu plus dans la « précarité énergétique » à mesure qu’augmentent les prix du gaz et de l’électricité !

Dans le capitalisme, ce système qui ne peut survivre qu’en détruisant la planète, il n’y a pas de solution : ni au réchauffement climatique, ni aux guerres, ni au chômage, ni à la précarité, ni à la misère. Seule la lutte du prolétariat mondial soutenue par tous les opprimés et exploités du monde peut ouvrir la voie à une alternative.

Jeanne, 9 octobre 2022

Rubrique: 

Crise économique

Permanence en ligne du 10 décembre 2022

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Le Courant Communiste International organise une permanence en ligne le samedi 10 décembre 2022 à partir de 14h.
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Permanences

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