Événement majeur survenu pendant la phase de décomposition, le Covid 19 est l’événement le plus important pour la classe ouvrière mondiale depuis 1989. Cette pandémie est à la fois le produit de la décomposition du capitalisme et un facteur essentiel de son aggravation, en particulier du fait de son impact sur les conditions de vie des prolétaires. Les répercussions de cette pandémie, qui sont d'ores et déjà d'une importance historique considérable, ouvrent une ère complètement inédite pour la classe exploitée.
La pandémie n'est pas encore parvenue à son pic dans plusieurs parties du monde et personne, pas même les spécialistes en médecine, ne peut prédire si la situation actuelle sera suivie d'une seconde vague partout sur la planète ni quel sera le comportement ultérieur du virus. Pour l'économie capitaliste et la classe dominante, c'est aussi le saut dans l'inconnu : les conséquences économiques vont être dévastatrices mais, là aussi, personne ne peut encore à ce stade en cerner l'ampleur et la profondeur. L'ensemble du système et de la société capitalistes basculent dans une situation entièrement nouvelle, particulièrement mouvante, instable, où "rien ne sera plus comme avant".
Dans ces circonstances appelées à durer, concernant l'évolution de la situation sur ses différents plans, l'organisation des révolutionnaires doit se garder de jugements précipités et avoir en tête l'impossibilité de faire des pronostics définitifs, particulièrement sur le plan de la lutte des classes.
Toutefois, elle n'aborde pas cette situation démunie et sans arme. Son cadre politique ainsi que la méthode marxiste sont les points d'appui qui lui permettent de comprendre :
"Du fait de la grande difficulté actuelle de la classe ouvrière à développer ses luttes, de son incapacité pour le moment à retrouver son identité de classe et à ouvrir une perspective pour l’ensemble de la société, le terrain social tend à être occupé par des luttes interclassistes particulièrement marquées par la petite bourgeoisie. Cette couche sociale sans devenir historique ne peut que véhiculer l’illusion d’une possibilité de réformer le capitalisme en revendiquant un capitalisme "à visage humain", plus démocratique, plus juste, plus propre, plus soucieux des pauvres et de la préservation de la planète. (…)
Face à l’accélération des attaques économiques contre la classe exploitée, et au danger du resurgissement des luttes ouvrières, la bourgeoisie cherche aujourd’hui à gommer les antagonismes de classe. En tentant de noyer et diluer le prolétariat dans "la population des citoyens", la classe dominante vise à l’empêcher de retrouver son identité de classe. La médiatisation internationale du mouvement des Gilets Jaunes révèle que c’est une préoccupation de la bourgeoisie de tous les pays. (…)
Seul le prolétariat porte en lui une perspective pour l’humanité et, en ce sens, c’est dans ses rangs qu’il existe les plus grandes capacités de résistance à cette décomposition. Cependant, lui-même n’est pas épargné, notamment du fait que la petite-bourgeoisie qu’il côtoie en est justement le principal véhicule. Durant cette période, son objectif sera de résister aux effets nocifs de la décomposition en son propre sein en ne comptant que sur ses propres forces, sur sa capacité à se battre de façon collective et solidaire en défense de ses intérêts en tant que classe exploitée" (La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste : Revue internationale n° 107) .
"Le combat pour l’autonomie de classe du prolétariat est crucial dans cette situation imposée par l’aggravation de la décomposition du capitalisme :
(…) Malgré ses difficultés internes et la tendance croissante à la perte de contrôle de son appareil politique, la bourgeoisie a été capable de retourner les manifestations de la décomposition de son système contre la conscience et l’identité de classe du prolétariat. La classe ouvrière n’a donc pas encore surmonté le profond recul qu’elle a subi depuis l’effondrement du bloc de l’Est et des régimes staliniens. Et ce d’autant plus que les campagnes démocratiques et anti-communistes, entretenues sur le long terme, ont été régulièrement remises au goût du jour (par exemple à l’occasion du centenaire de la Révolution d’Octobre 1917).
12) Néanmoins, malgré trois décennies de recul de la lutte de classe, la bourgeoisie n’est pas parvenue à infliger jusqu’à présent une défaite décisive à la classe ouvrière, comme ce fut le cas dans les années 1920-30. Malgré la gravité des enjeux de la période historique actuelle, la situation n’est pas identique à celle de la période de contre-révolution. Le prolétariat des pays centraux n’a pas subi de défaite physique (comme ce fut le cas lors de l’écrasement sanglant de la révolution en Allemagne au cours de la première vague révolutionnaire de 1917-23). Il n’a pas été massivement embrigadé derrière les drapeaux nationaux. La grande majorité des prolétaires ne sont pas prêts à sacrifier leur vie sur l’autel de la défense du capital national. Dans les grands pays industrialisés, aux États-Unis comme en Europe, les masses prolétariennes n’ont pas adhéré aux croisades impérialistes (et soi-disant "humanitaires") de "leur" bourgeoisie nationale." (…)
L’aggravation inexorable de la misère, de la précarité, du chômage, les atteintes à la dignité des exploités dans les années à venir constituent la base matérielle qui pourra pousser les nouvelles générations de prolétaires à retrouver le chemin des combats menés par les générations précédentes pour la défense de toutes leurs conditions d’existence. Malgré tous les dangers qui menacent le prolétariat, la période de décomposition du capitalisme n’a pas mis fin aux "circonstances" objectives qui ont constitué l’aiguillon des combats révolutionnaires du prolétariat depuis le début du mouvement ouvrier.
13) L’aggravation de la crise économique a d’ores et déjà fait apparaître une nouvelle génération sur la scène sociale, même si c’est encore de façon très limitée et embryonnaire : en 2006, le mouvement des étudiants en France contre le CPE, suivi cinq ans plus tard par le mouvement des "Indignés" en Espagne." (Résolution sur le rapport de forces entre les classes, 23e congrès du CCI [1]. Revue internationale n° 164).
Ce cadre a dû être actualisé avec le surgissement de manifestations de luttes ouvrières, en France de même qu’au plan international, montrant :
Notre méthode, nos critères d’analyse utilisés en 2003 pour identifier le tournant dans la lutte des classes permettent ainsi d’évaluer :
En premier lieu, dans le rapport sur L’évolution de la lutte de classe dans le contexte des attaques généralisées et de la décomposition avancée du capitalisme (réunion du Bureau International d’octobre 2003), le CCI fait de "la simultanéité des mouvements en France et en Autriche", pourtant ténue et réduite à la situation dans deux pays, un critère important de l’analyse de la situation. La situation de fin 2019 / début 2020 a été marqué par des manifestations de combativité ouvrière en particulier en Europe et en Amérique du Nord :
Dans son rapport de 2003, le CCI mettait en perspective "l’impossibilité croissante pour la classe – en dépit de son manque persistant de confiance en elle – d’éviter la nécessité de lutter face à l’aggravation dramatique de la crise et au caractère de plus en plus massif et généralisé des attaques."
En 2003, l’insistance est portée non pas sur le rythme de développement de la combativité mais sur la question de la conscience :
Le combat de la classe ouvrière en France de 2019-20 a exprimé de façon très claire la recherche de la solidarité et de l’extension des luttes ; c’était aussi le cas en Finlande : en solidarité avec les salariés d’une filiale de la Poste à qui on a infligé baisse de 30% des salaires, "les travailleurs se mirent en grève le 11 novembre. Pendant près de 2 semaines ce furent 10 000 postiers qui suivirent le mouvement, en solidarité avec les travailleurs menacés et pour revendiquer des hausses de salaire. Mais le conflit s’étendit au-delà de la Poste : des grèves de solidarité se déclenchèrent le 25/11 dans les transports terrestres et aériens, les ferrys, etc. Quand se profila la menace d’un blocage des ports, voire d’une grève générale, la direction de la Poste retira son projet" (article du PCint.)
Face aux attaques violentes impulsées par la crise et la classe dominante, le prolétariat et en dépit des défaites (France, États-Unis) qu’il a subies, le prolétariat manifeste un refus de se résigner aux conditions qui lui sont faites et est traversé par un effort de prise de conscience sur comment lutter et renforcer la lutte.
Tout montre dans la réaction de la bourgeoisie qu'elle ne s'attend pas alors à ce que ce soit temporaire. Cela ne débouche pas sur la nécessité d’une adaptation complète de son appareil politique comme nous l'avons vu dans les années 1980, mais néanmoins les syndicats adoptent une posture plus "lutte de classe" et même certaines forces parlementaires se positionnent de cette façon.
Donc le changement d’état d'esprit dans la classe ouvrière est une réalité qui a franchi des étapes depuis 2003, et la bourgeoisie l’a bien compris, constatant la recherche de solidarité et la volonté existante de développer la lutte.
Le changement actuel pose les problèmes d'une manière plus large qu'en 2003. Le processus de maturation souterraine n'est pas du tout homogène et est plus évident dans certaines régions du monde que dans d'autres. Par exemple, aux États-Unis, où l'on peut observer le développement, petit mais significatif, d'un milieu de jeunes qui cherchent à s'engager sur les positions de la gauche communiste.
La pandémie intervient dans ce contexte où la lutte de classe en France et internationalement avait montré un changement d’état d’esprit dans la classe ouvrière marqué par la colère, le mécontentement, mais aussi une volonté de riposter aux attaques de la bourgeoisie, se traduisant par un développement de la combativité (et même de début de prises d’initiative) et aussi un début de réflexion au sein de prolétariat sur l’absence de perspective dans le capitalisme. Mais ce processus n’en est qu’à son tout début, tout juste amorcé par la classe.
Même si l’exposition aux épidémies fait partie des conditions de vie du prolétariat, elle fait face à une situation inédite : une pandémie mondiale nécessitant le confinement général (une majeure partie de l’humanité) et la mise à l’arrêt quasi-total de l’économie capitaliste.
Cette pandémie a une importance internationale pour toute la classe ouvrière. La spécificité de cette pandémie est qu'elle constitue un défi direct pour la santé et la vie des travailleurs. À un niveau immédiat, pour les travailleurs de la santé, contraints d’y faire face sans le matériel nécessaire, et pour le reste du prolétariat également. Dans une situation qui possède des analogies avec une situation de guerre, la population est confrontée à la mise en danger de sa vie et à la peur pour sa vie.
Quel impact sur la conscience, la combativité de la classe ouvrière ? Quel impact sur la crédibilité de la bourgeoisie et l’efficacité de ses campagnes idéologiques, la façon dont la bourgeoisie présente et utilise les différentes crises ? 2020 doit-il voir se répéter un scénario identique à 1989 de régression de la conscience et de recul de la combativité ouvrière à une échelle historique ?
Le contexte pour le prolétariat est très différent tant au plan de la situation objective de l’état de la société capitaliste, que de la situation politique de la classe ouvrière : 1989 et 2020 représentaient deux événements historiques, de portée mondiale : l’un,1989, comme inauguration d’une nouvelle phase dans l’histoire de la décadence du capitalisme ; l’autre, 2020, comme événement historique le plus important au sein de la phase de décomposition, marquant une étape de son évolution.
a) "L’effondrement spectaculaire du bloc de l’Est et des régimes staliniens en 1989, a porté un coup brutal à la dynamique de la lutte de classe, modifiant ainsi de façon majeure le rapport de forces entre prolétariat et bourgeoisie au bénéfice de cette dernière. (…) Il a permis à la classe dominante de mettre un terme à la dynamique de la lutte de classe qui, avec des avancées et des reculs, s’était développée pendant deux décennies." (Résolution sur le rapport de forces entre les classes, 23e congrès du CCI [1]. Revue internationale n° 164).
Cela n’a été possible que parce cet effondrement d’une partie du monde capitaliste qui n’a eu lieu ni sous les coups de la lutte des classes ni de la guerre impérialiste, pouvait apparaitre comme une sorte d’événement "extérieur" aux rapports capitalistes. En lui-même cet événement ne pouvait qu’avoir un impact négatif sur la classe ouvrière.
En 2020, l’origine capitaliste de la pandémie est beaucoup plus difficile à masquer. Il est certain que la source de la pandémie est sujet de tensions impérialistes entre la Chine et les États-Unis et la proie des théories complotistes qui, de marginales qu'elles étaient, sont devenues dominantes, de plus en plus encouragées par des chefs d'État comme Trump. Néanmoins l’ampleur de la catastrophe fait apparaitre la responsabilité des politiques d’austérité et l’incurie de tous les États capitalistes.
b) À la prétendue "faillite du communisme" la bourgeoisie pouvait opposer la victoire du capitalisme occidental qui semblait être renforcé en proclamant l’ouverture d’une ère de paix, de démocratie, de prospérité. Cet événement n’a non seulement pas été considéré comme un échec du capitalisme, (car économiquement la situation n'a pas conduit à une crise économique dans les années qui ont suivi l'implosion du bloc de l’Est), mais a donné lieu et a été utilisé comme une attaque idéologique contre la classe ouvrière. Cet événement a été en effet présenté comme une preuve de la supériorité du capitalisme.
Aujourd’hui rien de tel. Les trois décennies de crise économique et d’austérité, de dégradation des conditions de vie du prolétariat, ont conduit à une perte d’illusions suivant laquelle le capitalisme offrirait une place au prolétariat. Cette perte d’illusions a conduit à une prise de conscience embryonnaire de l’impasse et de l’absence de perspective qu’offre le capitalisme. Au contraire, on assiste de plus en plus à un affaiblissement du capitalisme dans la capacité idéologique à masquer sa faillite.
En 1989, "la bourgeoisie a pu exploiter cet évènement pour déchainer une gigantesque campagne idéologique visant à perpétuer le plus grand mensonge de l’Histoire : l’identification du communisme au stalinisme. Ce faisant, la classe dominante a porté un coup extrêmement violent à la conscience du prolétariat. Les campagnes assourdissantes de la bourgeoisie sur la prétendue "faillite du communisme" ont provoqué une régression du prolétariat dans sa marche en avant vers sa perspective historique de renversement du capitalisme. Elles ont porté un coup à son identité de classe. Ce profond recul de la conscience et de la lutte de classe s’est manifesté par une baisse de la combativité ouvrière dans tous les pays, un renforcement des illusions démocratiques, un très fort regain de l’emprise des syndicats et une très grande difficulté du prolétariat à reprendre le chemin de ses luttes massives malgré l’aggravation de la crise économique, la montée du chômage, de la précarité, et la dégradation générale de toutes ses conditions de vie dans tous les secteurs et tous les pays." (Résolution sur le rapport de forces entre les classes, 23e congrès du CCI [1]. Revue internationale n° 164).
Aujourd’hui, la bourgeoisie ne dispose plus des mêmes marges de manœuvres pour masquer sa faillite et en retourner certains effets ou aspects idéologiques contre le prolétariat :
L’ensemble des mesures économiques "d’accompagnement" prises par les principaux États centraux pour atténuer l’impact immédiat des brusques pertes d’emplois ou de revenus par de vastes secteurs de la classe ouvrière (notamment les garantie de revenus minimums pour les chômeurs, les indemnités d’État pour permettre le chômage technique ou partiel, la création d’aides, etc.) même plus symboliques (comme aux États-Unis où il n’existe pas la même protection sociale qu’en Europe), confirme les analyses du CCI. Cette politique extrêmement prudente de la part de la classe dominante est en partie motivée par le besoin d'éviter l'effondrement des secteurs clé de l'économie, mais elle montre que :
La violence des attaques contre la classe ouvrière et les mesures prises par la bourgeoisie de tous les pays, sa tentative de créer une certaine union nationale, le renforcement du contrôle de l’État policier, l’intimidation et la stigmatisation qu’ont voulu mettre en œuvre les États capitalistes n’ont pas réussi à :
Alors qu’en 2015 la crise migratoire et les attentats terroristes avaient conduit à un réflexe dans la classe ouvrière à rechercher la protection de l’État capitaliste, le rôle de l’État comme défenseur des seuls intérêts de la classe dominante a largement fissuré le mythe de l’État protecteur.
Donc, il apparait assez clairement que la classe ouvrière n’est pas prête à accepter les sacrifices que va lui demander la bourgeoisie. Malgré le fait que la classe bourgeoise rende le virus responsable des terribles effets de la crise, elle ne pourra pas cacher sa responsabilité dans toute cette catastrophe.
C. Quelles perspectives pour la classe ouvrière ?
Le prolétariat se trouve dans une situation complexe face aux effets combinés et simultanés de :
L’explosion de mouvements sociaux produits par l’aggravation significative de la décomposition et la tendance de plus en plus manifeste de la bourgeoisie à perdre le contrôle sur son système, à parvenir à maintenir une cohésion sociale, s’exprime désormais dans les pays centraux eux-mêmes.
En 1989, les conséquences pour la classe ouvrière à l'échelle mondiale ont été très différentes à l'Ouest et à l'Est : le développement de la Chine a été permis par l’irruption de la phase de décomposition du capitalisme, charriant l’illusion d’un capitalisme juvénile, capable de se développer contrairement à 2020 : le prolétariat sera partout frappé par une tendance mondiale et générale à des attaques drastiques dignes des années 1930 et en tout cas inédites depuis la Seconde guerre mondiale.
Alors que, dans l'analyse de la situation du prolétariat, nous avons constamment mis en avant :
Aujourd'hui, nous devons analyser et comprendre ce qui change ou non, et dans quelle mesure, dans la situation actuelle. Notamment le fait qu'à la différence des situations passées, toutes les parties du monde sont affectées par l'enfoncement brutal dans la crise (la Chine, les USA, l'Europe de l'ouest, les pays émergents) et que la bourgeoisie doit, tôt ou tard, attaquer massivement et simultanément le prolétariat de façon accélérée ;
Si la classe ouvrière ne va pas développer immédiatement une riposte face aux attaques économiques, il faut tenir compte des éléments suivants :
Les employés du secteur médical ont conscience d'agir sur le "champ de bataille" de leur propre santé, mais aussi de celle des patients. La question éthique surgissant de la contradiction entre ce que les sciences peuvent ou pourraient offrir, et les misérables "conditions de mort" et de pénurie qu’offre le capitalisme (obligeant par exemple au tri entre les patients admis en soins et ceux qui sont condamnés à mort) font que la lutte de classe peut prendre une dimension éthique/morale. La question éthique (qui est une question de vie ou mort dans le secteur médical) peut être un facteur de prise de conscience non seulement parmi le personnel soignant mais plus amplement dans la classe ouvrière.
Face au problème universel de la crise sanitaire, les différentes fractions de la classe ouvrière sont confrontées à différentes conditions ; de ce fait, l’impact de la pandémie est différent dans les différents pays :
Ces éléments vont tendre à affaiblir la possibilité d'une réponse générale de la classe ouvrière.
L’hétérogénéité des situations tant au niveau de la classe ouvrière qu’au niveau de la situation dans chaque pays, va avoir un impact sur la riposte de la classe ouvrière.
En Europe, le chômage dure depuis longtemps mais l'État providence a servi de tampon et a prolongé la décomposition par une détérioration aiguë des conditions de la classe ouvrière.
En Chine, ce sera la première fois que la classe ouvrière sera confrontée au chômage de masse puisque, suite à une poussée massive de croissance économique, il y a eu une pénurie de main-d'œuvre. Le prolétariat en Chine a beaucoup moins d'expérience du chômage, bien que nous ayons assisté à des manifestations contre le coût élevé de la vie. Bien que le capital chinois semble avoir mieux fait face à la pandémie que ses principaux rivaux, il sera encore obligé d'exiger de plus en plus de sacrifices de la classe ouvrière face à une récession mondiale croissante.
Aux États-Unis, il n'y a pas d'État-providence : l’explosion du chômage, les expulsions, les sans-abris, etc. sont un défi de taille. Le début de réaction de la classe ouvrière a été immédiatement confronté à l’explosion des contradictions sociales dues à la décomposition du capitalisme.
La situation en Amérique latine et ailleurs, est différente. Il n’y a pas encore eu de confrontation directe face aux effets de la crise économique.
L’irruption de la pandémie et l’étape qu’elle représente dans l’enfoncement de la décomposition renforcent l'âpreté de la course de vitesse engagée entre, d'une part, le développement de la lutte de classe et la capacité de celle-ci à dégager la perspective révolutionnaire du prolétariat et, d'autre part, cette nouvelle avancée de la décomposition qui sape toujours d'avantage les conditions historiques pour l'édification d'une société communiste. Cela souligne la responsabilité historique du prolétariat et l’urgence du développement de sa perspective révolutionnaire. "Nous reconnaissons tout-à-fait que plus le capitalisme met de temps à sombrer dans la décomposition, plus il sape les bases d’une société plus humaine. Ceci est à nouveau illustré le plus clairement par la destruction de l’environnement, lequel atteint le point où il peut accélérer la tendance vers un complet effondrement de la société, une condition qui ne favorise aucunement l’auto-organisation et la confiance dans le futur requis pour mener une révolution ; et même si le prolétariat arrivait au pouvoir à une échelle mondiale, il devrait affronter un travail gigantesque, non seulement pour nettoyer le bazar légué par l’accumulation capitaliste, mais aussi pour renverser la spirale de destruction qu’il a déjà mise en route." (Rapport sur la lutte de classe pour le 23e Congrès international du CCI (2019) [2]).
La crise économique frappe durement non seulement le prolétariat mais aussi d'autres couches de la population, dont une grande partie va se paupériser de façon drastique. Cette perspective d’une paupérisation générale fait de l'interclassisme un piège dangereux pour les luttes ouvrières. Face à la dégradation de ses conditions de vie, le prolétariat va devoir nécessairement développer sa riposte, sa combativité. Ce développement de la lutte de classe va se heurter au danger de luttes interclassistes dans la période à venir. Les périls que représente la période historique actuelle ont donc été multipliés par l'aggravation de la décomposition et mettent ainsi en évidence les enjeux de la lutte des classes :
"Le combat pour l’autonomie de classe du prolétariat est crucial dans cette situation imposée par l’aggravation de la décomposition du capitalisme :
Contre les mobilisations sur le terrain pourri du nationalisme, du pacifisme, de la réforme "écologique", etc." (Résolution sur le rapport de forces entre les classes, 23e congrès du CCI [1]. Revue internationale n° 164).
Les mouvements aux États-Unis autour de la question de la race et de la violence policière, qui se posent soit sur le terrain d'émeutes sans perspective, soit directement sur un terrain politique bourgeois illustrent les graves dangers que confronte la classe ouvrière aujourd’hui. C’est une perspective à laquelle l’organisation des révolutionnaires doit s’attendre et qui va de plus en plus se concrétiser dans les pays centraux (ou dans des pays, comme le Liban, au bord du gouffre).
Le mouvement "Black Live Matters", a rapidement eu un écho et une extension internationale, dans les autres pays centraux, eux-mêmes fondamentalement affectés par les mêmes contradictions sociales accumulées depuis des décennies. L’État bourgeois est contraint de plus en plus de tenter de les contenir à l’aide du renforcement de son contrôle sur la société et de la répression. Ces mouvements en réponse au racisme ont été rapidement rejoints et encadrés par les organes de la gauche de la bourgeoisie, permettent à la classe dominante de polariser toute l’attention sur la question raciale et la revendication d’un système vraiment démocratique. La bourgeoisie a ainsi été capable de tirer avantage contre la lutte de classes alors que le système capitaliste, dans son ensemble, révèle sa faillite totale.
Aux États-Unis, les premières réactions aux meurtres de la police ont pris la forme d'émeutes. Normalement, ces réactions ont une durée de vie limitée, même si, comme leurs causes sous-jacentes demeurent, elles peuvent facilement reprendre. Mais en général, elles ont été remplacées par des manifestations plus pacifiques exigeant la fin des violences policières, et ces mobilisations seront prolongées par la campagne autour des prochaines élections présidentielles, qui aura également un effet négatif.
Ce rapport a été rédigé en juillet 2020. Depuis lors, la possibilité d'une seconde vague de la pandémie est devenue une réalité, en particulier dans les pays centraux du capitalisme. Cela ne fait que souligner un point soulevé au début du rapport, à savoir qu'avec la pandémie, nous entrons dans des eaux inconnues, et dans cette situation, il serait insensé de spéculer sur les perspectives, même à court terme, de la lutte des classes. Il est probable que la poursuite du confinement fera obstacle à la reprise des luttes ouvertes, et même si nous pouvons être plus sûrs de la nécessité pour la bourgeoisie de lancer des attaques massives contre les conditions de vie de la classe ouvrière, l'ampleur de ces attaques, surtout si l'on considère qu'elles se traduiront par des licenciements et des fermetures d'entreprises à grande échelle, pourrait, dans un premier temps, constituer un facteur supplémentaire d'inhibition et d'intimidation du prolétariat. Mais ce rapport a également montré que la capacité de la classe ouvrière à répondre à la crise du système n'a nullement disparu ; et cela implique que tôt ou tard nous verrons des réactions significatives à l'offensive du capital. En attendant, les révolutionnaires ont beaucoup de travail à faire pour fertiliser les fragiles pousses de la conscience déjà visibles chez les petites minorités à travers le monde et qui sont le produit d'un mouvement sous-jacent plus profond de prise de conscience que le système de production actuel est profondément et irréversiblement en faillite.
Juillet 2020.
[1]. Grève chez General Motors: les syndicats divisent les travailleurs et les montent les uns contre les autres (Revolución Mundial, Section du CCI au Mexique , 21 novembre 2019)
[2]. Rapport sur L’évolution de la lutte de classe dans le contexte des attaques généralisées et de la décomposition avancée du capitalisme (BI plénier d’octobre 2003, BII n°300)
[3]. "Seule la lutte massive et unie peut faire reculer le gouvernement !" (13 January 2020) Révolution Internationale n°480
[4]. “Finlande: Vague de grèves au "pays le plus heureux du monde"